Parmi les 12 à 15000 morts sous les balles allemandes en France pendant l’Occupation, les immigrés originaires du Maghreb, pas tous des combattants, ont eux aussi payé un lourd tribut à la répression aveugle des nazis à la fin de la guerre.
Le barrage de Génissat dans l’Ain, un haut lieu de la Résistance
Le 8 mars 1944, Tahar Ben Belkacem et Mohamed Ben Ahmed deux ouvriers algériens, accompagnés de Djellil Taïeb, un tunisien natif de Sousse, tous trois affectés au barrage de Génissat dans l’Ain, se rendent consciencieusement à leur travail. La région est alors en pleine ébullition. Un groupe de résistants emmenés par un de leur ancien collègue de travail au barrage, le FFI François Bovagne, est engagé dans un combat avec les forces allemandes, assistées de gendarmes français.
Bovagne alias « Michel », ancien délégué CGT, est une figure de la Résistance dans la région. Il a recruté un groupe de partisans dans les rangs de son syndicat; mais les trois ouvriers n’en font pas partie. Ils se préparent simplement à embaucher. Un destin funeste les attend pourtant. Les trois hommes sont arrêtés sur le bord de la route et torturés à mort. Ils rendent l’âme sans avoir jamais parlé. Et pour cause : ils n’avaient rien à voir ni de près, ni de loin, avec la Résistance.
Larbi Ben Lahyien, un marocain de 56 ans, lui non plus ne faisait pas partie de l’Armée secrète. Il était juste curieux. Le 29 juin 1944 à Saint-Manvieu, dans le Calvados, les SS le surprennent examinant les papiers d’un soldat britannique tué après le débarquement. Soupçonné de faire partie d’un réseau de soutien logistique aux partisans, Ben Lahyen est battu et torturé pendant plusieurs jours avant d’être achevé d’une balle dans la tête.
Massacres de masse
Ces civils nord-africains font parties d’une longue cohorte de victimes d’exécutions sommaires et massacres de masse qui vont endeuiller la France vers la fin de la guerre. Une politique de la terreur mise au point au début de l’année 1944 par les autorités allemandes pour faire face à la stratégie de harcèlement qu’avaient adopté les hommes de la Résistance plus nombreux et mieux armés.
Le plus haut responsable militaire allemand en France, Hugo Sperrie, avait en effet promulgué un ordre général en février 1944. Cette instruction dite « Sperrle-Erlass » prescrivait à la troupe de répondre immédiatement par le feu quand elle serait attaquée par la résistance française. Cette note prescrivait: « Dans la situation actuelle, il n’y a pas de raison de sanctionner le chef d’une unité qui imposerait des mesures trop sévères. Au contraire, il faudra punir un chef trop souple, car il met la sécurité de ses hommes en danger. » Difficile de ne pas y voir un permis de tuer sans condition n’importe qui, même les civils. Une carte blanche qui explique en partie les grands massacres de la fin de la guerre en France comme Oradour-sur-Glane (643 morts) ou Asq (86 morts) par exemple.
La communauté nord-africaine immigrée en France, en paiera elle aussi un lourd tribut, rarement mis en évidence par les historiens depuis. Les exemples d’exécutions sommaires purement gratuites ou par représailles ne manquent pourtant pas. Comme celui par exemple de Mohamed Ben Ahmed, né à Fès au Maroc et installé à Cheylas (Isère) depuis 1920. A 44 ans, il travaille comme manœuvre à l’usine des Hauts Fourneaux et Forges d’Allevard (Isère). Cet ancien soldat de 1ère classe du 5ème régiment de tirailleurs marocains fait prisonnier en 1940 et libéré trois ans plus tard, avait, depuis, repris le cours de sa vie de labeur, tranquillement, sans faire d’histoires. Célibataire, il occupe un petit logement aménagé dans la cité de son usine, en compagnie notamment d’Abdelkader Ben Haouri Ben Ali, un manœuvre âgé de 35 ans, lui aussi marocain.
« Morts pour la France »
Le 11 août 1944, un groupe de la résistance s’accroche avec une colonne allemande de six à sept cents hommes dans le hameau du Villard. Mais les résistants se sont montrés trop présomptueux. Ils doivent se replier.
Les Allemands investissent l’usine et fouillent les bâtiments. Ils tombent sur Ben Ahmed et Ben Haouri Ben Ali. Le premier est conduit au bord d’une route, jeté dans le fossé et exécuté d’une rafale de mitraillette dans le dos. Son compagnon abattu de trois balles dans la tête, sans autre forme de procès.
Le maire de Cheylas, dans un rapport daté de juillet 1945 écrira : « leur attitude a tous les deux a été magnifique de simplicité, de grandeur et de résignation ». Les deux hommes ont obtenu, depuis la mention, « morts pour la France ». Comme également, les Algériens Tahar Bendemagh, son cousin Saad et trois autres ouvriers cuvistes de l’usine Péchiney de Saint-Michel de Maurienne en Savoie. Eux ont été fusillés sans raison le 23 août 1944. Ils avaient eu la malchance de se trouver dans les parages d’une embuscade organisée par la Résistance contre une autre colonne allemande battant en retraite après la campagne d’Italie.
Quelques jours plus tôt, le 16 août, Nourredine Rhachide, un cafetier algérien de Lyon, avait déjà succombé. Il avait été raflé par hasard, avec deux autres hommes, par la Gestapo et un groupe de collabos, après l’attaque d’une caserne de la Milice par la Résistance.
En cet été 44, la défaite allemande qui se profilait après le débarquement avait fait sauter les derniers verrous moraux de l’armée nazie. En Côte d’Armor par exemple sur 700 victimes recensées dans le département après le 6 juin 1944, la moitié étaient de simples quidams abattus par colère et frustration, sans le moindre motif, comme Abdelkader Bensaïd par exemple. Natif de Constantine, il buvait un café au Brezellec sur le port de Paimpol, le 5 août 1944 quand des Allemands font irruption dans l’établissement, font sortir tous les consommateurs et tirent dans le tas. Bilan : trois morts dont Bensaïd, 38 ans
Quelques jours plus tard, c’est au tour d’Ali Lakrout de tomber. Né au douar Ennalou à Fort-National, marchand forain, sans domicile fixe, Lakrou est arrêté en représailles après le largage de parachutistes britanniques dans la région, qui avait rendu folles les autorités allemandes. Cet immigré est d’abord détenu dans une école catholique de Callacavec trente autres malheureux, dont ses associés Amokrane Lassaoui et Hocine Ouareski ainsi que quatre autres compatriotes. Le lendemain tout le monde est conduit dans une forêt de Plestan et sauvagement assassiné. Les meurtriers sont parfaitement identifiés. Ils sont dirigés par le chef de la Gestapo et de Rennes, assistés d’autonomistes bretons. A la Libération pourtant, les coupables réussiront à passer entre les mailles du filet de la justice.
La communauté des forains qui comptaient à l’époque nombre d’Algériens déplorera deux mois plus tard une autre victime des représailles aveugles allemandes, en la personne de Mohamed Yanes. De passage à Saint-Yan, en Saône-et-Loire, le 31 août, Yanes se retrouve pris en otage avec tous les habitants de ce petit bourg occupés par les Allemands mais assiégés par les FFI.
Les nazis, plus lourdement armés, parviennent à faire fuir les résistants. Mais ils tiennent à faire un exemple. Cinq hommes, dont Yanes, choisis au hasard sont torturés et abattus. Pour essayer de masquer leurs forfaits, les nazis brûleront vêtements et papiers d’identités des otages. Mais à leur départ, les habitants exhumeront les corps, avant de leur donner une sépulture décente.
Leurs noms figurent toujours sur le monument aux morts du village.
https://mondafrique.com/ces-heros-maghrebins-de-1939-45-volet-4-des-innocents-executes/
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