Une vie au service de l’Algérie
C’est un monument de la cause algérienne qui s’en est
allé hier. Il s’en est allé subrepticement, avec cette nette et étrange
impression que la patrie ne lui a pas été assez reconnaissante. C’est
une pépite à la valeur inestimable du combat émancipateur du peuple
algérien, un juste parmi les justes que l’Algérie vient de perdre à
jamais.
Pierre Chaulet est décédé hier, à Montpellier, des suites d’une longue
maladie. Il sera rapatrié lundi et inhumé mardi à Alger (conformément à
sa volonté), la ville qui l’a vu naître, où il a vécu et combattu sa vie
durant. Jusqu’à ses ultimes instants de vie, le professeur Chaulet a
voulu et désiré ardemment sa patrie. Hospitalisé depuis plusieurs mois
en France, le professeur Chaulet demandait à rentrer chez lui pour
dormir enfin du sommeil du juste. Avec Claudine, son épouse et compagne
de lutte, Pierre Chaulet a frayé toute sa vie avec le mouvement
national, a connu et fréquenté ces «grands» hommes, chevilles ouvrières
et anonymes porteurs d’eau ; il était acteur et témoin de ces événements
charnières. Le couple mythique de la Révolution algérienne abhorrait
les feux des projecteurs et la rhétorique patriotarde ; il cultivait
dévotement la discrétion, la modestie. Leur engagement pour
l’indépendance de l’Algérie et au-delà, authentique et désintéressé, a
forcé le respect de plusieurs générations d’Algériens.
«Non-musulmans, ils avaient, eux, de manière spécialement vitale,
besoin d’une nation algérienne», écrivait l’historien Gilbert Meynier à
propos de cette «mince frange» de pieds-noirs et de juifs d’Algérie
engagés dans la lutte de Libération nationale. Car du point de vue de
l’identification nationale, les pieds-noirs nationalistes algériens FLN,
«furent d’authentiques Algériens, étrangers qu’ils étaient tant au
communautarisme de base des Arabo-Berbères qu’au communautarisme
mahométan universel ; et parce qu’ils avaient pratiquement rompu avec
leur communauté originelle tant leur engagement était exceptionnel».
Pierre Chaulet n’aimait pas cette présentation un tantinet cajoleuse
mais biaisée aux entournures. «Gilbert (Meynier) écrit ce qu’il veut»,
nous répondit, excédé, le professeur qui aimait se définir comme un
«militant FLN, canal Abane» (lire l’entretien paru dans El Watan en
avril 2011). Pour Pierre Chaulet, leur engagement «naturel» était
«l’illustration que la guerre n’était pas raciste, confessionnelle ; que
des gens génétiquement pas Algériens se considéraient comme tels, en
tant que partie prenante de l’Algérie en combat».
En parlant de lui, son vieil ami et compagnon de route, Rédha Malek, ne
tarissait pas d’éloges : «Son sens précoce de la justice face aux
inégalités s’est aiguisé au fil des ans et s’est épanoui au cours de la
Révolution», disait le négociateur des Accords d’Evian.
«Militant FLN, canal Abane»
1er Novembre 1954 au soir. Pierre Chaulet apprend de son ami Mohamed
Laichaoui, journaliste et militant du MTLD, le déclenchement de la lutte
armée. Contrairement à Camus et aux centaines de milliers d’Européens
d’Algérie, Chaulet n’avait pas choisi le parti de sa «mère», mais
l’Algérie, le parti de la justice. «Il était clair pour moi que j’étais
non seulement solidaire d’un camp, mais dans un camp : je n’avais pas à
faire de choix», racontait-il. Pierre Chaulet avait 24 ans. Il venait de
terminer ses études de médecine.
Dans Majallat Et Tarikh (édité par le Centre national d’études
historiques, 1984), il se dit «né à Alger de parents nés eux-mêmes en
Algérie, élevé à Alger. Responsable dans des mouvements de jeunesse
chrétiens, je n’appartenais à aucun parti. Je ne parlais pas arabe.
J’avais un avenir, simplement tracé, de promotion sociale par les études
universitaires. Un Européen algérois ordinaire ? Pas exactement, car
au-delà du milieu étudiant, j’avais des amis algériens dont, depuis deux
ans, j’étais devenu étroitement solidaire. En rappelant comment ces
amitiés ont pu se nouer et se transformer en solidarité de lutte, on
peut espérer faire comprendre pourquoi mon engagement paraissait naturel
en tant qu’aboutissement d’une évolution personnelle et exceptionnel,
puisque, en situation coloniale, les rencontres à égalité sont
contraires à l’ordre des choses».
Un engagement «naturel» qui n’a pas toujours été apprécié à sa juste valeur par ses frères d’armes.
A l’indépendance, nombre d’Européens d’Algérie qui avaient rallié avec
armes et bagages la «cause» ont obtenu la nationalité algérienne… par
décret ! Suprême humiliation. Le code de la nationalité (1963) a laissé
cette catégorie d’Algériens en rade.
«Je ne regrette rien… surtout pas d’avoir espéré»
Bien avant, en 1960, les prémices de cet affront fait à ces militants
se manifestaient déjà. Lors du congrès de l’Ugema à Tunis, les Chaulet
protestaient devant Ferhat Abbas contre l’annulation de l’élection d’une
étudiante algérienne d’origine juive par la section de Berlin, la
future psychiatre Alice Geronimi-Cherki. Leur lettre adressée au
président du GPRA restera dans les annales pour avoir mis le doigt sur
une de ces blessures mortelles infligées à des militants non musulmans
qui avaient rejoint la lutte sur la seule base de la Déclaration du
1er Novembre, proclamation imperméable qu’elle était aux marqueurs
éthique et religieux. «Dire à Madame Cherki, écrivent les Chaulet,
qu’elle est d’origine européenne alors qu’il s’agit d’une indigène
algérienne authentique est une grossièreté gratuite qu’il est difficile
de croire involontaire. A tout moment un Algérien non musulman peut être
considéré comme un citoyen de seconde zone, un Européen libéral
sympathisant, un étranger toléré.»
La lettre est restée sans suite. Un demi-siècle après l’indépendance,
la même injustice frappe cette catégorie d’Algériens. «Je pense que les
termes de cette lettre, disait Pierre Chaulet, sont d’actualité quand on
constate la dérive communautariste de l’opinion de la majorité de nos
concitoyens, en particulier des plus jeunes qui ignorent l’histoire du
Mouvement national et pour qui des gens comme nous sont vus davantage
comme des ‘’amis de l’Algérie’’ (donc en quelque sorte ‘’extérieurs’’)
que comme des concitoyens égaux en droits et en devoirs.»
L’enfer de l’été 1962, les luttes fratricides pour le pouvoir, le
débarquement de l’armée des frontières qui ont suivi ne le laisseront
pas indifférent. Perplexe plutôt. «Je n’avais pas à prendre partie.
J’étais simple militant de base (…). On disait ce qu’on pensait jusqu’au
moment où le FLN nous a abandonnés : il y avait une coupure due aux
querelles d’appareils. Il n’y avait aucune raison de faire du suivisme.
On nous a dit : rentrez chez vous, on vous appellera dès qu’on aura
besoin de vous. On avait tout de suite compris.»
A l’indépendance, Pierre Chaulet reste sur le pied de guerre. Dans la
santé publique, l’aura du professeur Chaulet frise le mythe.
L’organisation de la lutte contre la tuberculose, son éradication
presque, c’est essentiellement lui. Il ne quittera son pays (pour la
Suisse) que forcé, en 1994. Son nom figurait sur une liste de
personnalités à abattre par les groupes islamistes armés. «Deux
phénomènes, plaisantait-il, m’ont poussé à quitter l’Algérie : les paras
et les barbus.» Au crépuscule de sa vie, Chaulet disait ne rien
regretter de ses choix et engagements : «Je ne regrette surtout pas
d’avoir espéré (conférence à Alger, 19 décembre 2006). Grâce aux
compétences acquises, à l’engagement et à la vigilance d’hommes et de
femmes conscients des réalités actuelles, issus des nouvelles
générations formées après l’indépendance et grâce à elles, j’espère
encore. Malgré tout.»
Bio express :
Né à Alger le 27 mars 1930, de parents catholiques sociaux engagés dans
le syndicalisme chrétien, eux-mêmes nés en Algérie, il effectue ses
études primaires et secondaires au collège Notre-Dame d’Afrique, puis
des études de médecine à Alger. C’est à l’université, entre 1947 et
1950, qu’il prend conscience des limites du réformisme social ainsi que
de la puissance du juste mouvement d’émancipation des peuples
anciennement colonisés. Devenu responsable de mouvements de jeunesse
éducatifs catholiques (notamment par le scoutisme), il participe aux
contacts entrepris en 1951 entre les responsables de mouvements de
jeunesse en Algérie. Il contribue à la création de l’Association de la
jeunesse algérienne pour l’action sociale (AJAAS) en 1952 et devient
membre du comité de rédaction de la revue Consciences Maghrébines
(1954-1956).
A partir de décembre 1954, Pierre Chaulet milite à Alger dans le FLN
(transport et hébergement de militants et responsables clandestins –
dont Ramdane Abane et Larbi ben M’hidi –, soins aux malades et aux
blessés, diffusion des tracts du FLN et d’El Moudjahid clandestin).
Correspondant du journal l’Action (Tunis) de décembre 1955 à février
1957, il est arrêté une première fois en novembre 1956 en même temps que
sa sœur, puis relâché faute de preuves ; il est encore arrêté et
emprisonné à Serkadji en février 1957, puis expulsé d’Algérie en mai
1957. En décembre 1957, il soutient sa thèse de doctorat en médecine à
Paris et rejoint Tunis, où son épouse Claudine et son fils Luc l’ont
précédé. Il participe alors régulièrement, jusqu’en juillet 1962, à la
rédaction d’El Moudjahid (en langue française) et à diverses activités
développées dans le cadre du ministère de l’Information du GPRA (centre
de documentation, commission cinéma-son) tout en poursuivant son
activité professionnelle de médecin spécialiste dans la santé publique
tunisienne et au service de santé de l’ALN-FLN (base de Tunisie). Il
participe aux groupes de travail chargés de préparer des dossiers pour
les pourparlers algéro-français qui aboutiront aux Accords d’Evian.
Après l’indépendance, sa carrière professionnelle est consacrée à la
santé publique. La nationalité algérienne lui ayant été officiellement
reconnue en juillet 1963, il est d’abord médecin spécialiste à temps
plein, puis assistant et enfin maître de conférences agrégé à la
clinique de pneumo-phtisiologie du CHU Mustapha jusqu’en 1971, avant de
devenir professeur chef de service de pneumo-phtisiologie au CHU de Beni
Messous de 1972 à 1994. C’est à ces postes qu’il contribue, avec ses
collègues, à l’organisation de la lutte contre la tuberculose au niveau
national et qu’il développe, par l’enseignement et la recherche, des
stratégies de prise en charge des principales maladies respiratoires en
Algérie. Parallèlement, il est élu délégué à l’Assemblée populaire
communale d’Alger de 1967 à 1971, et vice-président de l’Observatoire
national des droits de l’homme de 1992 à 1996.
De juin 1992 à février 1994, il est chargé de mission (pour le secteur
de la santé) auprès du chef du gouvernement (Belaïd Abdesselam, puis
Rédha Malek).En février 1994, directement menacé par le terrorisme
islamiste, Pierre Chaulet s’exile à Genève où il travaille pendant
quatre ans et demi comme médecin de l’OMS dans le Programme mondial de
lutte contre la tuberculose, accomplissant à ce titre de nombreuses
missions en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. De retour à Alger
depuis 1999, il fait partie du Comité national d’experts de la
tuberculose et des maladies respiratoires auprès du ministre de la Santé
et devient consultant en stratégies de santé publique auprès du Conseil
national économique et social depuis 2006.
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Mohand Aziri
A Dieu nous appartenons et...à Dieu nous retournons.
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La dernière interview du professeur Pierre Chaulet
«Je suis Algérien à part entière»
L’équipe du journal El Moudjahid à l’imprimerie de La Presse de Tunisie
(M’hammed Yazid, Mahieddine Moussaoui et Pierre Chaulet), avril 1959,
collection Kouaci.
Dans un entretien qu’il avait accordé, resté
inédit, le professeur Chaulet s’exprimait au sujet de la place des
Européens qui se sont engagés dans la lutte de Libération nationale et
refusait d’enfermer ces militants dans leur origine, comme cela a été
souvent le cas. Nous publions ici l’interview en hommage au défunt.
-Les Algériens d’origine européenne jouissent-ils pleinement de leur citoyenneté algérienne ?
Je n’ai pas qualité pour répondre au nom de cette catégorie de
citoyens.D’ailleurs, je trouve discriminatoire de citer les personnes en
fonction de leur origine, ce qui était une pratique coloniale.
Parle-t-on des Algériens d’origine turque ou kurde ou tcherkesse ou
maltaise ou andalouse ? Il se trouve que, historiquement, le peuplement
colonial, constitué à la suite de l’occupation française du pays au
XIXe siècle, a laissé en Algérie des descendants dont certains ont
choisi non seulement de participer à la lutte de Libération nationale,
mais aussi de s’intégrer à l’Algérie indépendante, dans le respect des
valeurs culturelles et civilisationnelles de la nation, en participant à
leur place et selon leurs compétences aux tâches de l’édification
nationale ainsi qu’aux débats et aux luttes politiques, professionnelles
ou syndicales, avec les autres Algériens et comme d’autres Algériens.
Pour ma part, depuis l’indépendance, j’ai joui pleinement de la
citoyenneté algérienne qui m’a été reconnue dès 1963, conformément aux
principes contenus dans l’appel du 1er Novembre 1954, renouvelés dans la
Charte de la Soummam en 1956. Il faut souligner que dans l’histoire
générale de la décolonisation, l’Algérie est le premier pays à avoir
offert la citoyenneté et la nationalité aux personnes issues du
peuplement colonial qui accepteraient l’égalité des droits et des
devoirs de tous les citoyens.
C’est ainsi que je suis devenu fonctionnaire de l’Etat algérien en
qualité d’enseignant puis de professeur de médecine, que j’ai été élu à
la première Assemblée populaire communale de la ville d’Alger, et élu
comme vice-président de l’Observatoire national des droits de l’homme,
puis chargé de mission pour la santé auprès du chef du gouvernement. Ces
engagements m’ont valu d’être menacé de mort, comme d’autres Algériens
au cours de la décennie noire, et un exil de plus de 4 ans. A mon
retour, ayant pris ma retraite, j’ai participé bénévolement à
l’enseignement universitaire et apporté ma contribution d’expert OMS et
de consultant en santé publique au ministère chargé de la Santé et au
Conseil national économique et social. Je m’excuse de raconter tout cela
parce que je n’aime pas parler de moi, mais je le fais pour vous
confirmer que je suis un citoyen algérien à part entière.
-L’engagement de ces Algériens «d’origine européenne» en
faveur de l’indépendance de l’Algérie est-il reconnu par l’histoire
officielle ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi, selon vous ?
Tout d’abord, je voudrais bien savoir ce qu’est l’histoire officielle.
Il y a épisodiquement, à l’occasion de dates anniversaires, des rappels
historiques plus ou moins complets. On lit maintenant de plus en plus
souvent des témoignages d’acteurs de ce bouleversement social et
politique énorme qu’a été la Révolution algérienne. Il me semble que
l’engagement de la petite poignée de militants issus de la minorité de
peuplement colonial ou de la minorité juive d’Algérie n’est ni mieux ni
moins connue que l’engagement et le sacrifice de milliers d’autres
militants anonymes, hommes et femmes, des villes et des campagnes. C’est
la tâche immense des historiens de rétablir les faits, de recouper les
témoignages et d’écrire la véritable histoire sociale de la Révolution.
Progressivement, ce travail est en train de s’accomplir.
-Mais il y a le cas de Félix Collozi…
Ce militant anticolonialiste a été condamné aux travaux forcés à
perpétuité en raison de sa participation à la lutte de Libération
nationale. C’est à ce titre que la nationalité algérienne lui avait été
reconnue. Il a été déchu de la nationalité algérienne par décret
présidentiel en 1968, apparemment pour des raisons politiques, puisque, à
ma connaissance, il n’a pas mené d’action subversive contre l’Etat ni
préconisé l’assassinat d’autres Algériens. Je pense que son cas mérite
d’être pris en charge par les instances ou institutions en charge de la
protection, de la défense ou de la promotion des droits de l’homme en
vue du réexamen de sa situation et d’une réparation amplement méritée
après plus de 40 ans, alors qu’il vit en Algérie et que je le rencontre
chaque fois que nous honorons la mémoire des martyrs condamnés à mort et
exécutés.
-Pourquoi, quand on parle d’eux, on utilise souvent la formule «amis de l’Algérie» ?
Je pense que c’est le résultat de l’amnésie et de l’inculture politique
et historique, entretenues par la dérive «communautariste» de la
conception de la nation algérienne, actuellement dominante à l’école et
dans la majorité des discours «commémoratifs» officiels. Parmi les amis
de l’Algérie, on classe tous ceux qui, tout en gardant leur nationalité
d’origine, ont aidé notre lutte : je pense aux amis du réseau Jeanson et
aux autres amis de Belgique, de Suisse, d’Allemagne, souvent qualifiés
de «porteurs de valises» ou encore de «porteurs d’espoir». Cette
classification est commode pour certains de nos compatriotes, souvent
encore attachés à une conception étroite et réductrice de la nation
algérienne, qui n’était pas celle des rédacteurs de l’Appel du
1er Novembre 1954. Cela évite d’avoir à considérer ces personnes non
seulement comme des concitoyens, mais aussi comme des compatriotes,
égaux en droits et en devoirs, subissant les mêmes contraintes et
participant aux mêmes espoirs et aux mêmes combats que les autres
Algériens. Mais heureusement, les pratiques sociales dépassent les
préjugés idéologiques et la vie, comme l’Algérie, a des visages
multiples.
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Hacen Ouali
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Le commandant Azzedine : «J’étais blessé, les chaulet m’ont transporté dans leur 2 cv citroën»
C’est à Palestro (aujourd’hui Lakhdaria) que Pierre et Claudine
Chaulet, qui appartenaient au «nidham» depuis décembre 1955, sont venus
me chercher, dans leur 2 CV Citroën, alors que j’avais été blessé au
combat dans le maquis de la Wilaya IV par une décharge de chevrotine au
genou droit, qui m’avait immobilisé. Je me souviens que Mme Claudine
Chaulet était enceinte de leur fils Luc.
Ce n’est pas faire offense à mes amis que de dire que j’avais été
étonné de voir des «Européens» embrasser notre cause et se ranger de
notre côté. J’ignorais alors, que la justesse de notre cause
transcendait l’appartenance ethnique, tout comme j’étais alors loin de
savoir que le combat que nous venions d’entamer était autrement plus
considérable que les exiguïtés communautaires ou religieuses. Bien plus
qu’une solidarité circonstancielle ou engagement idéologique, les
Chaulet affirmaient leur algérianité par les actes.
Claudine et Pierre me conduisirent à Alger passant les très nombreux
barrages filtrants, menaçants et pointilleux de l’armée d’occupation,
avec un rare sang-froid. Ce sont eux qui, ensuite, me remirent entre les
mains de l’organisation, à Alger. Une fois dans la capitale, qui était
en état de siège avec ses rues barrées de herses et ses quartiers
compartimentés par les chevaux de frise, je fus conduit à la clinique
Verdun (aujourd’hui hôpital Aït Idir), aux limites de la Haute-Casbah,
pour y être opéré par le chirurgien Stoppa, assisté de Pierre Chaulet.
C’est Pierre qui a habilement subtilisé aux yeux inquisiteurs des
infirmières la balle qui m’avait broyé le genou pour la remplacer, d’un
geste de prestidigitateur, par un caillou. Aux curieux de toutes sortes,
il expliquait que j’étais «le fils d’un riche propriétaire terrien qui
avait fait une brutale et douloureuse chute de cheval». Evacué par la
suite, pour une convalescence, chez le militant Rebbah Lakhdar, le
couple Chaulet venait me rendre visite une fois par semaine pour
s’enquérir de mon état.
Ces compatriotes par option qui ont fait «le choix de l’Algérie», comme
ils ont titré leur livre(1), ont bravé, en silence, loin de toute
publicité, le terrible ordre colonial. Je ne connaîtrai le nom de ces
militants qu’une fois que je les retrouvais à Tunis. Leur nom reviendra
souvent et toujours lié à ceux de Ben M’hidi, Abane Ramdane, Benyoucef
Benkhedda, Krim Belkacem et la liste est longue des responsables du FLN
et de l’ALN, au plus haut niveau, qu’ils ont hébergés, transportés,
cachés dans la capitale à travers les mailles finement tramées des
services de la redoutable police colonialiste. Arrêtés, exilés vers la
France, ils ont déjoué la surveillance étroite dont ils faisaient
l’objet pour se rendre en Tunisie, rejoindre la Révolution pour
poursuivre leur lutte. Tout en exprimant ma solidarité et mon amitié à
son épouse Claudine et à tous les siens, je m’incline devant la mémoire
de cet inlassable combattant qui figurera, j’en suis sûr, au frontispice
d’une page du Grand Livre de l’Algérie.
1) – Pierre et Claudine Chaulet, Le Choix de l’Algérie. Deux voix,
une mémoire. Préface de Rédha Malek (Editions Barzakh - Alger 2012)
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le Cdt Azz.
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Rédha Malek, compagnon de lutte : «Un anticolonialiste, un juste»
Je perds un ami, un frère de combat et par-dessus tout, c’est un juste.
Une perte terrible et irremplaçable. Pierre était un homme qui
incarnait la justice.
Son attachement pour les valeurs de la justice et du progrès l’a
naturellement conduit à prendre des positions fermes contre
l’humiliation et l’oppression qu’a incarnées le système colonial. Dès le
déclenchement de la Révolution, Pierre s’est rangé du côté du Mouvement
de libération nationale en compagnie d’autres militants issus de la
communauté européenne d’Algérie. Dès le départ, il a créé un pont entre
les Européens d’Algérie et les musulmans. Son action aura une influence
sur l’Eglise d’Algérie qui, sans hésitation, a défendu la cause
algérienne. L’église de Belcourt (Alger) servait de cache aux militants
nationalistes, comme Salah El Ouanchi, recherchés par la police
coloniale. Cette position de l’Eglise prend une forme importante avec le
père Duval qui, dès 1955, dénonçait la torture. Ainsi donc, Pierre
Chaulet, qui s’est considéré comme un Algérien, s’est engagé pleinement
dans la lutte de Libération en travaillant directement avec le Comité de
coordination et d’exécution (CCE), organe dirigeant de la
Révolution. Il était un anticolonialiste. Il a côtoyé les plus hauts
dirigeants de la Révolution algérienne, en travaillant étroitement avec
Abane Ramdane, Benyoucef Benkhedda…
Après son arrivée à Tunis, il rejoint l’équipe de l’organe central du
FLN, El Moudjahid, où il a travaillé avec Frantz Fanon. Dans le même
temps, il a soigné les réfugiés et les militants du FLN et créé un
centre de documentation pour le compte de la Révolution. Après
l’indépendance, il s’est attelé à former des spécialistes dans un esprit
de bâtir une Algérie moderne et ouverte. Il lance le projet audacieux
d’éradiquer la tuberculose. Sur le plan politique, il s’était intéressé à
toutes les questions qui agitaient la société algérienne, avec une
grande modestie, mais avec des positions fermes. Il défendait ardemment
la gratuité de la médecine et l’accès aux soins pour tous les
Algériens. En 1990, il est forcé à l’exil avec sa compagne Claudine,
quand il a découvert qu’il était sur une liste de gens à éliminer. Il
en a beaucoup souffert. Les terribles années sanglantes ne l’ont jamais
détourné de son pays. Son attachement à l’Algérie était plus solide que
toute autre chose. Cette Algérie à qui il voue une fidélité absolue. Il
nous en donne encore la preuve par son choix d’être inhumé sur cette
terre pour laquelle il a tout donné.
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Hacen Ouali
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Pierre Chaulet inhumé à Alger
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Le professeur Pierre Chaulet, militant anticolonialiste
décédé vendredi à l'âge de 82 ans, a été inhumé mardi au cimetière
chrétien de Diar Essâada (Alger), en présence d'une foule nombreuse
composée de sa famille, de membres du gouvernement ainsi que de
personnalités politiques, d'anciens moudjahidines et de membres du corps
médical.
Pierre Chaulet est décédé vendredi dernier à Monpellier (sud de
la France), suite à une longue maladie. Le cercueil du défunt,
recouvert de l'emblème national et porté par un détachement de la
protection civile est entré dans le cimetière sous les applaudissements
et les youyous des habitants du quartier de Diar Essâada venus en grand
nombre rendre un dernier hommage au militant de l'indépendance
algérienne.
Parmi les personnalités présentes, le ministre de la santé, de la
population et de la réforme hospitalière Abdelaziz Ziari, le secrétaire
général de l'Onm (Organisation nationale des moudjahidine) Saïd Abadou,
l'ancien premier ministre Réda Malek ainsi que Ali Haroun, ancien
responsable de la fédération de France du Front de libération national
(Fln).
Pierre Chaulet a été enterré , conformément à sa volonté, à côté de
la tombe du militant pour l'indépendance algérienne Henri Maillot, mort
sous les balles du l'armée française le 4 juin 1956.
L'oraison funèbre a été prononcée par l'ancien Archevêque d'Alger Mgr Teissier.
Les éléments de la protection civile ont ensuite procédé à
l'inhumation du corps avant que les présents ne se succèdent pour jeter
un dernier regard sur la tombe recouverte d'une gerbe de fleur avec
l'inscription "Au frère de combat, repose en paix".
Né en Algérie en 1930, Pierre Chaulet, qui a choisi la nationalité
algérienne peu après l'indépendance, a été l'un des pionniers de la
médecine algérienne.
Pendant la guerre de Libération nationale, il a rejoint les rangs du
Front de libération nationale (FLN) et a été chargé de plusieurs
missions, lors desquelles il a côtoyé de grands dirigeants de la
Révolution, tel Abane Ramdane.
Pierre Chaulet a été aussi l'un des fondateurs de l'agence Algérie
presse service en 1961 à Tunis. Pierre Chaulet a également fait partie
de l'équipe rédactionnelle du journal El Moudjahid, doyen de la presse
écrite nationale.
Eminent spécialiste en pneumologie, Pierre Chaulet a formé après
l'indépendance des générations de médecins algériens et a mené un combat
sans répit contre la tuberculose. Son dévouement et sa compétence lui
ont valu d'occuper de hautes fonctions au sein du ministère de la Santé.
Son expertise reconnue lui a également valu d'être sollicité par
l'organisation mondiale de la santé (OMS) en qualité de consultant.
Pierre Chaulet a été, en outre, vice-président de l'Observatoire
national des droits de l'homme et membre du Conseil national économique
et social (CNES).
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APS
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«Ina Lillah wa ina Ilayhi radjioun
(A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons).»
Pierre Chaulet inhumé hier. Le dernier hommage au fils de l’Algérie
le 10.10.12 |
Digne de sa grandeur et de son humilité,
l’enterrement du professeur Pierre Chaulet, militant de la cause
algérienne, a eu lieu hier à Alger, en présence d’une foule très
nombreuse. Comme il en avait émis le vœu, sa tombe se trouve juste à
côté de celle de son ancien camarade de lutte, le lieutenant Henri
Maillot, guillotiné par l’armée coloniale en 1956.
Se sachant proche de la fin, Pierre Chaulet n’a rien laissé au
hasard. Il avait tout préparé avant de quitter ce bas monde, vendredi
dernier à Montpellier (France), à l’âge de 82 ans. De la cérémonie
funèbre à la petite chapelle de la maison diocésaine d’El Biar jusqu’au
choix de l’emplacement de sa tombe à côté de celle de Henri Maillot, ou
encore le contenu de sa biographie. Normal, disent ceux qui le
connaissaient bien.
Le défunt était très organisé même dans les moments les plus
difficiles, comme la maladie et la mort, que l’être humain puisse
traverser.
Hier matin, la petite chapelle de la maison diocésaine, où son
cercueil – drapé de l’emblème national et couvert de couronnes de roses –
avait été déposé par un détachement de la Protection, civile, était
bondée de monde. Etaient présents notamment ses anciens camarades de
lutte, des personnalités politiques, Rédha Malek, Sid Ahmed Ghozali,
Mouloud Hamrouche, Smaïl Hamdani, tous anciens chefs de gouvernement,
mais aussi Ali Haroun (ancien responsable de la Fédération de France du
FLN), Lakhdar Brahimi, Abdelhak Brerhi, pour ne citer que ceux-là, ainsi
que des universitaires, des syndicalistes et des représentants du
mouvement associatif et de simples citoyens.
L’ex-archevêque d’Alger, monseigneur Tessier, a officié la messe
dans un silence religieux et a terminé par : «Ina Lillah wa ina Ilayhi
radjioun (A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons).» Il cède sa
place à Jaqueline Guerroudj, autre militante anticolonialiste, qui a
lu, devant une assistance émue, une longue et riche biographie du
défunt. La cérémonie a duré deux heures.
Le cercueil, porté par deux rangées d’éléments de la Protection
civile, est hissé sous des youyous stridents lancées par les nombreuses
femmes, surtout d’anciennes moudjahidate. Devancé par Claudine Chaulet,
la veuve du professeur, ses deux filles, ses petits-enfants et ses
proches, accompagné par l’assistance, le cortège funèbre s’ébranle vers
le cimetière chrétien de Diar Essaâda, à El Madania, qui surplombe la
baie d’Alger.
Sur les lieux, de forts applaudissements et des youyous accueillent
l’arrivée de la dépouille. Une foule nombreuse l’attendait depuis des
heures sous un soleil de plomb. Des membres du corps médical, des cadres
de l’administration, des responsables, d’anciens combattants et
combattantes de la Révolution, des syndicalistes, des étudiants, des
artistes, des anonymes, des personnalités politiques. Parmi celles-ci,
le ministre de la Santé, Abdelaziz Ziari, le secrétaire général de
l’Organisation nationale des moudjahidine, Saïd Abadou, Saïd Bouteflika,
le frère et conseiller du président de la République, le ministre de
l’Environnement, Amara Benyounes, l’ex-ministre de la Santé Yahia
Guidoum, l’ex-ministre de la Communication Abdelaziz Rehabi, le
président du Conseil national social et économique, Mohamed Seghir
Babes…
C’est dans un coin du cimetière, en retrait, sous l’ombre des
arbres, surplombant la baie d’Alger et juste à côté de la tombe de Henri
Maillot – un militant de l’indépendance guillotiné par l’armée
coloniale en juin 1956 pour avoir rejoint la Révolution algérienne – que
Pierre Chaulet a choisi d’être enterré. Très ému, monseigneur Teissier
prononce l’oraison funèbre. Une Fatiha est lue par l’assistance avant
que le cercueil soit mis en terre par les éléments de la Protection
civile. Une file humaine interminable se forme pour poser un dernier
regard sur la tombe recouverte d’une gerbe de fleurs portant
l’inscription «Au frère de combat, repose en paix».
Né en Algérie de parents également natifs d’Algérie en 1930, Pierre
Chaulet, qui a choisi la nationalité algérienne peu après
l’indépendance, a été l’un des pionniers de la médecine algérienne. Il
avait rejoint les rangs du FLN en décembre 1954 et côtoyé ses plus
importants dirigeants.
Un des fondateurs de l’agence Algérie presse service (APS) en 1961 à
Tunis, le défunt, qui a également fait partie de la rédaction du
journal El Moudjahid, était aussi un éminent spécialiste en pneumologie
qui a formé, après l’indépendance, des générations de médecins
algériens. Il avait été le précurseur de la lutte contre la tuberculose,
ce qui lui a valu d’occuper de hautes fonctions au sein du ministère de
la Santé et d’être sollicité en tant que consultant par l’Organisation
mondiale de la santé (OMS). Il a été vice-président de l’Observatoire
national des droits de l’homme et membre du Conseil national économique
et social (CNES). Il avait quitté le pays en 1994, après des menaces de
mort lancées contre lui par les terroristes, sans pour autant couper les
liens avec sa patrie, l’Algérie. Il est revenu en 1999 et a fait partie
du comité national d’experts de la tuberculose et des maladies
respiratoires auprès du ministère de la Santé jusqu’à son décès.
En tant que consultant auprès du CNES, il avait participé à
l’élaboration du rapport national sur le développement humain en Algérie
pour les années 2006, 2007 et 2008, et était devenu, en 2009, animateur
du comité ad hoc sur la stratégie de santé publique et la sécurité
sanitaire nationale.
En 2010, Pierre Chaulet a présidé la commission de réflexion sur la
loi sanitaire, dont l’avant-projet de loi a été remis aux autorités fin
octobre 2010. En février 2012, la maladie le contraint à mettre fin à
ses activités. Vendredi dernier, il a rendu l’âme à Montpellier, en
présence de tous les membres de sa famille.
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Salima Tlemçani
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