Le film est un huis clos féministe au cœur d’un hammam.
Alger, été 1995. De la terrasse du quartier populaire de Bab el Oued, on aperçoit la mer. En bas, on entend les youyous des femmes. L’eau est revenue ! En ces années noires de guerre civile, les Algériens manquent de tout : d’eau, mais aussi d’huile, de café, d’électricité et surtout d’amour. Violée en vitesse par son mari dans le lit conjugal, Fatima (Hiam Abbas) file au marché. Elle y achète des oranges puis rejoint le hammam qu’elle gère. Elle se lave, fume une cigarette et papote avec la jeune Samia (Fadila Belkebla), 29 ans, qui rêve d’un mari. Il est bientôt 11h, le hammam va ouvrir… Débarque alors Meriem (Lina Soualem), une jeune fille enceinte jusqu’au cou qui se réfugie auprès de Fatima, après avoir été battue par son frère. L’aînée la cache à l’étage avant l’arrivée de ses clientes…
En 2009, la comédienne algérienne réfugiée en France Rayhana Obermeyer avait connu le succès à Paris avec sa pièce A mon âge je me cache encore pour fumer, qui s’inspirait de sa propre expérience sous la terreur du Front islamique du salut au début des années 90. Comme l’un de ses personnages, étudiante, elle avait en effet été aspergée d’acide par deux jeunes "barbus". Après avoir vu la pièce, la productrice Michèle Ray-Gavras (la femme de Costa-Gavras) a proposé à Rayhanna de la porter au grand écran, non plus en français mais en arabe… Si l’on sent encore ces origines théâtrales - notamment dans un final un peu grandiloquent et non naturaliste -, A mon âge, je me cache encore pour fumer est un film très fort. Grand prix au dernier Festival du cinéma méditerranéen de Bruxelles, ce premier long évoque en effet avec une grande justesse le quotidien des femmes durant les années noires algériennes.
Le choix du hammam est évidemment le bon, non seulement parce que Rayhana a conçu sa pièce et son film comme un huis clos, mais surtout car il s’agit d’un espace de liberté pour les femmes. Entre elles (jeunes, vieilles, progressistes, traditionalistes ou islamistes), elles peuvent ici se libérer du voile, se dénuder, parler ouvertement, se confier intimement et rire de tout (des hommes, de la religion…).
Adoptant un point de vue radicalement féministe sur la condition des femmes en Algérie, la cinéaste n’a évidemment pas pu tourner dans son pays. C’est donc en Grèce qu’elle a filmé ces femmes, dans les anciens bains turcs de Thessalonique, datant du XVe siècle. Un clin d’œil de l’Histoire pour la productrice Ray-Gavras, un demi-siècle après "Z", violente attaque de la dictature des colonels en Grèce qui avait dû être tournée… en Algérie. De même, aucune actrice d’Algérie n’a accepté de jouer dans le film, de peur de se dénuder ou d’endosser les dialogues, très durs vis-à-vis de la société algérienne, écrits par Rayhana. Celle-ci a donc fait appel à une superbe galerie de comédiennes exilées en France (Nadia Kaci, Biyouna, Nassima Benchicou…), emmenée par la Palestinienne Hiam Abbas. Toutes endossent une partie du calvaire de ces Algériennes soumises au diktat d’hommes qui, islamistes ou non, les considèrent comme des êtres impurs, inférieurs…
Scénario & réalisation : Rayhana (d’après sa pièce de théâtre). Photographie: Olympia Mytilinaiou & Mohamed Tayeb-Laggoune. Avec Hiam Abbas, Fadila Belkebla, Nadia Kaci, Biyouna, Nassima Benchicou… 1 h 30.
HUBERT HEYRENDTPublié le
«1994», un roman noir sur fond de guerre civile algérienne
1994, banlieue d’Alger. Ils sont quatre : Amin, Sidali, Farouk et Nawfel. Quatre amis d’enfance d’à peine 20 ans soudés par la rage. L’Algérie est déchirée par la guerre civile, l’armée et les islamistes n’en finissent plus de faire couler le sang. Il suffit d’un coup de fil anonyme, d’un regard de travers ou d’un geste maladroit pour être abattu d’un coup de «mah’choucha», ce fusil de chasse à canon scié dont la seule vue sème la terreur. L’assassinat d’un de leurs proches va servir de détonateur.
En cette fin d’après-midi, à l’ombre des pins maritimes et des eucalyptus, sur trois marches de pierre balayées par un léger vent venu du large, ils sont réunis autour d’une bouteille de vin rouge qu’ils sirotent dans des tasses à thé. Ils se regardent. L’un d’eux lance : «Il faut faire quelque chose.» Quelque chose? Se lancer dans la lutte armée clandestine. Prendre exemple sur leurs parents qui, trente-cinq ans plus tôt, ont pris les armes contre les Français. «Un jour, face à la merde, ils ont décidé de ne plus rester les bras croisés. Nous avons été élevés dans ça ! On ne peut pas être lâches, nous devons faire quelque chose. Quelque chose ! Lazem [«il le faut», en arabe] !» tonne Sidali. Ainsi naît l’armée impérieuse.
La bande va entreprendre de constituer une liste de cibles potentielles de sympathisants du FIS (Front islamique du salut) en s’imposant d’éviter toute trace écrite, rien qui puisse permettre aux puissants services secrets de remonter jusqu’à eux. Ils iront même jusqu’à potasser des romans d’espionnage et des livres sur le Mossad, le service de renseignement israélien.
Le problème, c’est que les quatre lycéens ne sont pas des tueurs dans l’âme. Le jour où ils exécutent le frère de la femme aimée par Amin, quelque chose se casse. Ils s’effondrent. Sauf qu’Amin n’est pas n’importe qui. Son père, le général Zoubir Sellami, dirige la lutte antiterroriste au sein des puissants services de renseignement algérien, un homme cruel qui ne se déplace jamais sans son tokarev à la ceinture.
Si la guerre d’Algérie commence à être abondamment couverte par la littérature, la guerre civile des années 90 n’a guère été traitée. Et le roman noir s’y prête particulièrement tant elle a été sanglante. D’abord publié en Algérie par la maison d’édition Barzakh, 1994 a l’immense mérite de montrer comment la violence et la haine se transmettent de génération en génération et de tracer une continuité entre 1962 et 1994. Journaliste et romancier né en 1975 à El-Harrach, dans la banlieue d’Alger, où se situe l’intrigue de ce roman, Adlène Meddi livre là un formidable roman noir. Un roman à l’écriture dense, qui pulse comme le cœur d’un homme aux abois.
Blanquer a eu l’audace de proposer l’enseignement de la langue arabe dans les collèges et lycées français. Oui, ça y est, la France s’appellera dorénavant «Farança» et sa langue sera jetée à la poubelle sous la pression de djihadistes voulant faire de ce pays le paradis de l’islam sur terre!
Le pauvre et par ailleurs excellent ministre de l’Education nationale en France, M. Jean-Michel Blanquer, a eu le malheur, l’audace, la folie de proposer l’enseignement de la langue arabe dans les collèges et lycées français. Que n’a-t-il pas dit? L’extrême droite (Rassemblement national) a trouvé là un prétexte inestimable pour sortir de sa léthargie estivale et a simplement appelé au secours, «Blanquer veut islamiser la France!», suivie par l’incroyable Dupont-Aignan qui ne trouve plus ses mots pour dire son rejet haineux de cette proposition. Il demande à ce qu’on enseigne le français comme si cela ne se faisait plus. Mais la réaction la plus débile, la plus stupide et indécente est celle de Luc Ferry qui a été ministre, au même poste, sous Nicolas Sarkozy (qui s’en souvient? Pas même lui).
Lui aussi a hurlé contre la menace de l’arabisation et de l’islamisation de la France! Son discours rejoint les cris de l’extrême-droite. On peut le résumer ainsi en le caricaturant un peu: oui, ça y est, la France s’appellera dorénavant «Farança» et sa langue sera jetée à la poubelle sous la pression armée de djihadistes voulant faire de ce pays le paradis de l’islam sur terre! Et dire que Monsieur Ferry donne des leçons de philosophie, c’est-à-dire d’«amour de la sagesse»!
Ce qui vient de se passer est symptomatique d’une France qui a pris en horreur tout ce qui est arabe et musulman, bien entendu pas toute la France, mais souvenez-vous de la jeune Mennel, française d’origine syrienne à la voix d’or qui, en février 2018, a chanté «Hallelujah» de Léonard Cohen moitié en anglais moitié en arabe dans l’émission «The Voice». On a été chercher dans ses anciens tweets des déclarations, certes maladroites, sur le terrorisme pour la jeter ensuite de la compétition et lui barrer la route du succès. La vraie raison, ce fut une journaliste de l’émission «Touche pas à mon poste» qui l’a exprimée: «en plus elle a chanté en arabe!» Quel crime !
Cette hystérie est quasi-systématique quand un Arabe trébuche et ne se conduit pas comme il faut, c’est-à-dire «comme on l’aime».
La guerre d’Algérie n’est pas tout à fait terminée. Le dossier reste ouvert et dégage des relents de haine assez nauséabonds, et cela de part et d’autre. Le fait que Macron ait reconnu la responsabilité de l’armée française dans la mort en juin 1957 après torture du jeune militant communiste Maurice Audin est un pas important dans le processus d’assainissement de la mémoire algéro-française. Mais cela n’est pas suffisant.
En fait, ceux qui posent problème à la France, ce ne sont pas des immigrés venus dans les années soixante, soixante-dix parce que la France en avait besoin, non, ce sont les enfants qu’ils ont faits dans ce pays après la décision de Giscard d’Estaing d’instaurer le regroupement familial en 1975. Dans un débat sur l’enseignement de l’arabe dans les collèges et lycées en France, un journaliste aux idées bien à droite, a désigné Giscard comme le responsable de ce qui arrive aujourd’hui en France (je cite de mémoire): c’est lui qui a ouvert les frontières à des centaines de milliers de familles. Depuis, la France a un problème sérieux avec les Arabes!
Les prisons françaises sont remplies à plus de 60% de jeunes Français d’origine maghrébine. Ils sont là pour des petits délits. Cela résume la question. Avec un chômage de plus de 40% dans les zones dites difficiles, la délinquance et l’incivisme se multiplient. Certains se conduisent mal, mais que fait ou qu’a fait l’Etat français pour ces Français de seconde zone? Eric Zemmour a déclaré fièrement à la télé: «ils sont moins Français que le reste de la population française». Tout est dit. Quand on est «moins», on ne peut pas faire «plus» ou «mieux».
Pour ce qui est de la proposition de Blanquer, ceux qui la refusent sont aveuglés et obsédés par leur rejet de ce qui est arabe et musulman. Il y a une sorte d’allergie systématique qui s’explique par l’histoire mais aussi par les vieilles traditions du racisme banal et quotidien. Impossible de considérer l’aspect positif d’une telle proposition. L’apprentissage d’une langue se confond dans ces esprits avec la peur du djihadisme et du terrorisme. C’est étrange et pathétique.
Voici pourquoi l’introduction de l’arabe comme langue secondaire à enseigner a suscité une hystérie incompréhensible. Entre la France et ses anciennes colonies, tout est à reconsidérer.
La date est officielle : le 8 décembre 2018 les sept moines de Tibhirine et 12 autres religieux assassinés dans les années 90 en Algérie seront béatifiés.
La nouvelle vient d'être rendue publique par le biais d'un communiqué daté du mercredi 12 septembre et signé par les évêques d'Algérie: la célébration des béatifications des 19 religieux de l'église catholique dont l'ancien évêque d'Oran, Mgr Pierre Claverie, et les 7 moines-martyrs du monastère de Tibhirine, tués par des terroristes, et dans des crimes haineux, pendant la terrible décennie rouge qu'a connue notre pays durant les années 1990, «aura lieu le samedi 8 décembre 2018, au sanctuaire de Notre-Dame de Santa Cruz d'Oran».
«Le cardinal Angelo Becciu, Préfet de la Congrégation des causes des saints, a été désigné par le pape François pour être son envoyé (à cette cérémonie)», indique également ce communiqué des évêques d'Algérie qui rappelle, un par un, les noms des 19 religieux-martyrs qui vont être béatifiés.
Ces 19 femmes et hommes de Dieu, souligne ce texte signé par Mgr Paul Desfarges, archevêque d'Alger, Mgr Jean-Paul Vesco, évêque d'Oran, Mgr John Mac William, évêque de Laghouat-Ghardaïa et P. Jean-Marie Jehl, administrateur apostolique de Constantine «nous sont donnés comme intercesseurs et modèles de vie chrétienne, d'amitié et de fraternité, de rencontre et de dialogue. Depuis l'Algérie, leur béatification sera pour l'Église et pour le monde, un élan et un appel pour bâtir ensemble un monde de paix et de fraternité».
En mai 2018, alors que venait d'être soulevée la possibilité que ces béatifications puissent avoir lieu en Algérie, Mgr Jean-Paul Vesco, l'évêque d'Oran, avait indiqué que «si cet événement se déroule en Algérie et précisément à Oran comme je le souhaite, nous le ferons avec nos frères et sœurs algériens musulmans.
Et il ne s'agira pas de mettre ces 19 martyrs à part, ou même de les comparer aux 200.000 victimes algériennes du terrorisme (...). Il est important pour nous de dire que ces chrétiens ont été tués avec des musulmans et non pas d'abord par des musulmans». M. Mohamed Aïssa, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, avait quant à lui déclaré que l'Etat algérien avait donné son accord pour que ces béatifications puissent avoir lieu en Algérie.
Cette béatification concerne au total 19 personnes consacrées, certaines étant bien connues, comme le Frère Christian de Chergé ou Mgr Pierre Claverie, mais d'autres religieux et religieuses dont les noms sont moins familiers figurent aussi dans cette liste. Ces martyrs qui vivaient au service de la population algérienne seront honorés au nom des milliers de victimes, musulmanes dans leur très grande majorité, de la guerre civile des années 1990.
Voici donc la liste des futurs bienheureux, dans l'ordre chronologique de leur assassinat:
Le 8 mai 1994 à Alger : Frère Henri Vergès, né le 15 juillet 1930 à Matemale, religieux mariste et enseignant français, et Soeur Paul-Hélène Saint-Raymond, née le 24 janvier 1927 à Paris, religieuse française des Petites Soeurs de l'Assomption.
Le 23 octobre 1994 à Bab El Oued : Sœur Esther Paniagua Alonso, née le 7 juin 1949 à Izagre, religieuse espagnole des Soeurs Augustines Missionnaires et Sœur Caridad Alvarez Martin : née le 9 mai 1933 à Santa Cruz de la Salceda, religieuse espagnole des Soeurs Augustines Missionnaires,
Le 27 décembre 1994 à Tizi Ouzou : quatre Pères blancs, parmi lesquels trois prêtres de nationalité française, le Père Jean Chevillard, né le 27 août 1925 à Angers, le Père Alain Dieulangard, né le 21 mai 1919 à Saint-Brieuc, et le Père Christian Chessel, né le 27 octobre 1958 à Digne, et un Belge, le Père Charles Deckers, né le 26 décembre 1924 à Anvers.
Le 3 septembre 1995 à Belouizdad : Sœur Angèle-Marie Littlejohn, née le 22 novembre 1933 à Tunis, religieuse française des Soeurs missionnaires de Notre-Dame-des-Apôtres, et Sœur Bibiane Leclercq, née le 8 janvier 1930 à Gazeran, religieuse française des Soeurs missionnaires de Notre-Dame-des-Apôtres.
Le 10 novembre 1995 à Alger : Sœur Odette Prévost : née le 17 juillet 1932 à Oger, religieuse française des Petites Soeurs du Sacré-Coeur.
Le 21 mai 1996 vers Médéa, sept moines de Tibhirine (les deux autres frères de la communauté avaient échappé à l'enlèvement):
Frère Christian de Chergé : né le 18 janvier 1937 à Colmar, prêtre cistercien français, prieur de la communauté depuis 1984, moine depuis 1969, en Algérie depuis 1971,
Frère Luc Dochier : né le 31 janvier 1914 à Bourg-de-Péage, religieux cistercien français, moine depuis 1941, en Algérie depuis août 1946. Médecin, il est présent cinquante ans à Tibhirine, il a soigné tout le monde gratuitement, sans distinction,
Frère Christophe Lebreton : né le 11 octobre 1950 à Blois, prêtre cistercien français, moine depuis 1974, en Algérie depuis 1987,
Frère Michel Fleury : né le 21 mai 1944 à Sainte-Anne-sur-Brivet, religieux cistercien français, moine depuis 1981, en Algérie depuis 1985. Membre de l'Institut du Prado, il était le cuisinier de la communauté,
Frère Bruno Lemarchand: né le 1er mars 1930 à Saint-Maixent l'École, prêtre cistercien français, moine depuis 1981, en Algérie et au Maroc depuis 1989,
Frère Célestin Ringeard : né le 27 mars 1933 à Touvois, prêtre cistercien français,moine depuis 1983, en Algérie depuis 1987,
et Frère Paul Favre-Miville : né le 17 avril 1939 à Vinzier, religieux cistercien français, moine depuis 1984, en Algérie depuis 1989. Il était chargé du système d'irrigation du potager du monastère.
Le 1er août 1996 : Mgr Pierre Claverie : né le 8 mai 1938 à Alger, prêtre dominicain, évêque d’Oran depuis 1981.
« Si nous venons à mourir, défendez nos mémoires » (Chahid Didouche Mourad).
«L'indépendance a eu lieu au moment d'une grande crise, et il y avait beaucoup de scepticisme dans la population sur la capacité du F.L.N. à encadrer et diriger l'Algérie, beaucoup de scepticisme. Et même moi, j'ai entendu des propos comme ça, mais pas chez une personne ou deux, chez beaucoup de gens disant: c'est pas ces gens-là qui nous ont apporté l'indépendance, c'est De Gaulle qui a fini par vouloir en finir avec cette guerre. Et donc, il fallait remonter le moral des troupes, d'une certaine manière, avec en commençant à donner forme à des mythes guerriers ».
Ces propos ont été tenus, in extenso, par un témoin dans le film-documentaire de Malek Bensmail dont le titre est « Autour de la bataille d'Alger », diffusé ce mois d'octobre 2017 dans la chaîne française « HISTOIRE ». Ce n'est pas un ultra français, nostalgique de l'Algérie française, qui a prononcé ses vérités, ni d'ailleurs un harki, ce qui serait dans l'ordre des choses. Ce n'est pas non plus un Algérien lambda qui réagit par dépit, à cause d'une situation sociale précaire, mal vécue, ce qui ne prêterait pas à grande conséquence. Mais, c'est, malheureusement, un éminent professeur en Histoire, et qui plus est était un acteur, un cadre, au sein du F.L.N. (à l'extérieur), durant la lutte de libération. Il s'agit, en l'occurrence, de Mohamed HARBI !
De tels propos dans la bouche d'un tel personnage, connu pour ses nombreux écrits, livres, interviews, conférences, sur le mouvement national et sur la guerre d'Algérie, qui sont des références, à juste titre, pour beaucoup, sont très graves. Ils rappellent étrangement les dires des généraux français revanchards, déclarant: bien que militairement victorieux, De Gaulle les a trahis en « abandonnant » l'Algérie ! Selon M. Harbi donc, la population était « beaucoup sceptique sur la capacité du F.L.N. à gérer le pays » (et il répète « beaucoup sceptique » comme pour souligner ce prétendu sentiment à l'intention de celui à qui cela a échappé), et prête à beaucoup de personnes la conviction que ce n'est pas ces « gens-là » (sic), c'est-à-dire les éléments de l'A.L.N., qui ont apporté l'indépendance, mais c'est De Gaulle qui l'a octroyée. Alors, « pour remonter le moral des troupes », dit-il avec un sourire narquois, ils (F.L.N.-A.L.N.) ont construit des mythes guerriers !
Quant à la crise de 1962, personne ne la conteste, sauf que chacun la perçoit et l'analyse selon sa sensibilité. En tout cas, cela a été une véritable malédiction pour le pays.
En ce qui concerne le mythe De Gaulle, grand seigneur, nous offrant la souveraineté sur notre propre pays, sur un plateau d'argent, c'est une grande escroquerie et une falsification de l'Histoire. Mais, le plus affligeant, c'est lorsque chez nous, des gens « bien-pensants » soutiennent la même thèse en affirmant sur les plateaux mêmes de la télévision nationale que les maquis ont été « asséchés », un autre personnage dans une vidéo prétend que les moudjahidine ont été « laminés » ! C'est plus que triste et le révisionnisme est bien là. Pourtant, c'est pendant l'avènement de De Gaulle que la guerre a été la plus atroce ; il a cherché par tous les moyens à faire plier notre résistance, mais en vain (notamment par les opérations « Challe », etc.). Ce dossier, où toutes les allégations plus haut citées seront démontées, nécessite plus d'espace que celui qui nous est imparti ici. La population « sceptique » dont parle M. Harbi, n'est qu'une impression tardive dans son esprit, ou bien il s'agit de quelques personnes opportunistes qu'il a rencontrées dans les salons de la capitale après son arrivée de Tunis. Par contre, la population que nous avons connue, nous, et parmi laquelle nous avons vécu pendant de très longues années en parfaite harmonie, elle a fêté l'indépendance avec une grande liesse et a manifesté une confiance totale en ces « gens-là ».
Malheureusement, cet enthousiasme a été brisé à l'été 1962. On se demande pourquoi M. Harbi, si fécond dans ses écrits et ses interventions lorsqu'il s'agit d'analyses concernant le mouvement national, avant 1954 et après le déclenchement de la lutte armée, sur le F.L.N., le M.N.A, le parti communiste, etc., n'aborde que très rarement la lutte de l'A.L.N. à l'intérieur du pays, et même quand il le fait, c'est avec une approche pas très objective et à la limite négative.
C'est ainsi qu'un lecteur non averti qui prend connaissance de son interview faite à un quotidien national à gros tirage en mai 2011, s'imaginera que durant toute la guerre de libération, il régnait un climat malsain, fait surtout de luttes fratricides pour le leadership de tel ou tel groupe, ou de liquidation de tel chef qui fait de l'ombre à ses pairs, ou bien tout simplement d'exécutions sommaires de civils innocents ( évalués à 50.000, dit-il ! quelle qu'en soit la source, nous sommes sûr qu'elle n'existe pas ( l'étude ), car impossible à réaliser. Ce ne sont qu'extrapolations et supputations tendancieuses et gratuites. Et tout ce beau monde de « tueurs » (les moudjahidine) errait au milieu d'une population pas toujours accueillante, si elle ne lui est pas carrément hostile
Voilà le tableau pitoyable qui est insinué en filigrane dans cette interview. Nous nous interrogeons, au demeurant, comment M. Harbi peut-il concevoir que des combattants, alors qu'il sévit dans leur camp une ambiance si délétère, arrivent à résister et persistent à affronter une des plus grande armée du monde, très aguerrie, pendant 7 ans et 8 mois en payant le prix fort, et ce jusqu'à la victoire. N'est-ce-pas incohérent et invraisemblable ?
La vraie question qu'il faut se poser c'est comment le FLN-ALN, constitué surtout de simples gens souvent incultes et frustes (comprenant aussi, tout de même, dans ses rangs quelques universitaires, beaucoup de lycéens et de diplômés de la Zeytouna de Tunis), a-t-il pu préserver sa cohésion dans les maquis, à l'intérieur du pays où se déroulait la vraie guerre, et même se renforcer au fil du temps, sans que ces prétendues luttes intestines pernicieusement suggérées ne le fassent imploser ? La réponse est que la vérité est largement travestie. Le courage, la discipline et le don de soi jusqu'au sacrifice suprême, constituent la véritable force des moudjahidine, et de cela les exemples sont légion.
M. Harbi n'y fait jamais allusion dans ses écrits, car ces situations il ne les a pas vécues ! Par contre, il passe le plus clair de son temps à rechercher les lacunes et insuffisances » du mouvement national et de la guerre de libération.
Certes, il y a eu des bavures, quelques excès, mais quelle que soit leur gravité, ils sont limités dans l'espace et dans le temps (affaire Melouza, purges en wilaya 3, dissensions en wilaya 1 ). On ne peut les considérer comme étant une constante durant presque 8 ans, sans être de mauvaise foi. D'ailleurs, comment ne pas trouver normal qu'une lutte si acharnée, très inégale, menée seulement par des troupes de partisans, faut-il le souligner, dont l'arme la plus redoutable est leur esprit de sacrifice, ne connaisse pas quelques trébuchements, voire quelques écarts. L'essentiel c'est que ces dépassements soient contenus et ils l'ont été. En tout cas, ils n'ont jamais atteint les dimensions que leur prêtent certains. Ces militants armés tant bien que mal, militaires de fortune, ont tenu tête à toute une armée moderne fortement équipée et entrainée, bénéficiant de l'appui de l'OTAN, et surtout secondée par des traîtres « algériens ». Quitte à nous répéter, nous nous posons la question, comment auraient-ils pu tenir dans ces conditions si leurs arrières étaient constamment minés par des querelles intestines (ce qui se passait à l'extérieur ne nous intéressait pas), et s'ils étaient rejetés par la population ? C'est tout bonnement impensable. Quant à la population, son soutien dans sa grande majorité était acquis à la cause nationale, sinon la révolution aurait indubitablement avorté. Ce soutien s'est exprimé de différentes manières, de l'engagement total à l'engagement occasionnel, à la sympathie dans l'expectative. Les tenants de cette dernière catégorie ont basculé avec les premiers, en participant massivement aux manifestations de décembre 1960.
Voici ce que pensent d'anciens officiers français de notre révolution
« la rébellion dure parce qu'elle a la faveur et l'appui de la population, l'A.L.N. est militairement invincible parce qu'elle jouit de la confiance et de l'aide de l'immensité des musulmans. ( )
L'A.L.N. est l'émanation directe de la population, elle est la population en armes et non point une armée de mercenaires ». Source : « Officiers en Algérie » de J.M. Darboise, M. Heynaud, J. Martel. P 16-17.
Il y avait effectivement une petite minorité pro-française, consciente et souvent inconsciente de son choix, en villes et dans les campagnes. Beaucoup sont connus, et aucune révélation « explosive » (sic) ne nous surprendra...
Pour revenir à l'assertion qui dénie à ces « gens-là » (les moudjahidine) d'avoir « apporté » l'indépendance, il suffit d'examiner les chiffres des pertes françaises, bien que ces chiffres évoluent selon les motivations de la partie qui les publie, ils ne peuvent être qu'approximatifs, en plus ou en moins : sans prendre en compte les déserteurs qui se chiffrent à 9 722 éléments, nous notons, selon le Nouvel Observateur du 28.02.2002, 30.000 tués, 1.000 disparus, et également 70.000 militaires blessés. Donc, 100 000 soldats et gradés environ ont été mis hors de combat. Si l'on considère qu'une compagnie compte entre 100 et 200 soldats selon les armées, ce sont entre 500 et 1.000 compagnies qui ont été neutralisées.
Les balles n'étaient pas virtuelles, et c'est bel et bien ces « gens-là » qui les ont tirées ! Il faut reconnaître que nos pertes étaient bien plus importantes devant le déséquilibre patent des forces en présence, mais, malgré cela, nos braves djounoud ne lâchaient pas prise, et ceux qui tombaient sont facilement et rapidement remplacés.
Pour illustrer leur combativité, nous nous abstiendrons d'évoquer nous-mêmes les nombreux faits d'armes bien réels où se sont distingués nos valeureux moudjahidine partout dans les six wilayate, ainsi qu'aux frontières Est et Ouest, car nous risquons d'être accusés de « donner forme à des mythes guerriers » (sic).
Alors, pour convaincre les « sceptiques », plus enclins à donner crédit aux déclarations des généraux français, et dévaloriser les leurs par une sorte d'aliénation non avouée et une propension à plaire à une certaine élite française, donnons la parole à des militaires français, dont des témoignages portent sur la région même d'où est originaire M. Harbi :
«Algérie, 20 août 1955, insurrection, répression, massacres», de Claire Mauss-Copeaux. P 108»: «La foule algérienne est partie à l'attaque de ses objectifs. Le colonel De Vismes décrit pour son secteur (El Harrouch) des situations où le courage des insurgés apparaît en pleine lumière »
P 109: « Dans les conclusions de son rapport, le colonel De Vismes relève leur «mordant». L'hommage qu'il leur rend est bref et net: non seulement ils sont «très décidés à résister sur place jusqu'à la destruction», mais ils le font. Un autre document militaire précise que des armes lourdes (lance-roquettes antichar et automitrailleuses) ont été utilisés pour les réduire (les commandos). Mais, ils ont tenu et leur dernier combat ne s'est pas conclu avant 18 H 20 (sachant que l'attaque a eu lieu à midi !)».
«Anciens 15ème RTS» + «Jacques Martin, un «soldat d'occasion» raconte le 15ème R.T.S.»: «Embuscade du 18 mars 1956, sur la piste Safsafa-Aïn Kechera (6ème Compagnie 3eme section du 2/15°RTS). Le bilan est lourd : 7 morts, 5 blessés. 1 GMC incendié, 2 PM MAT 49, 1 MAS36 et MAS 51 brûlés.»
«Embuscade du 11 mai 1957, entre Tamalous et Aïn Kechera, l'une des plus sanglantes de la Guerre d'Algérie, n'eut que peu d'échos dans les médias de l'époque, et reste aujourd'hui ignorée des livres d'Histoire. Et pourtant le bilan a été particulièrement lourd : 35 morts, 27 blessés et un disparu. (L'énorme quantité d'armes et de munitions récupérée par l'A.L.N. n'est pas évoquée). Très curieusement, les 35 morts du 15eRTS auront beaucoup moins frappé l'opinion que les 19 morts de Palestro Mystère médiatique ?» .
Le choc a été tel dans la sphère des états-majors français, qu'il a provoqué le déplacement sur les lieux même de l'embuscade le lendemain, dimanche, du général Salan, et le jour suivant, le lundi, c'est le ministre de la Défense Max Lejeune lui-même qui est arrivé à Tamalous. Comme conséquences aussi de cette action d'un bataillon de l'A.L.N., le général Salan « Cdt supérieur interarmées et Cdt la 10e RM communique par télégramme n°1663/RM/10/3/OPE du 15 mai 1957: «des pertes sensibles nous ont été occasionnées par quelques embuscades tendues sur l'ensemble du territoire (c'est nous qui soulignons) ; la routine, la fréquence, l'horaire, sont autant d'occasions favorables exploitées par les rebelles à l'aide d'effectifs croissants fortement armés. Je rappelle que (Suit l'énumération des mesures à prendre )
Destinataire : M le Général Cdt la Z.N.C. pour exécution ».
Et pourtant le 25 mai 1957, soit seulement 2 semaines après l'embuscade de Aïn Kechera, un convoi de la 4ème Compagnie du 1/35eRI, tombait dans une embuscade sur l'itinéraire reliant le poste de Beni Resdoum au P.C. du bataillon situé à Sidi-Kamber.
(Seulement à quelques km du lieu de l'embuscade du 11 mai !) Le bilan sera encore lourd : 8 morts, 7 blessés, 1FM, 2PM, 4 fusils Garant, perdus.»
Même source.«Le 22 janvier 1959, tragique embuscade dans la région d'El-Milia (c'est dans la région de Aïn Kechera, plus précisément au douar Zeguer) tendue à un convoi militaire composé d'éléments d'infanterie de marine, à 8h résultat : 21 militaires tués, 5 blessés, 3 civils blessés et 1 civil disparu Une opération est en cours dans la région».
Puisque cette embuscade est avérée, nous ne risquerons pas d'être taxé de «monter un mythe guerrier» en nous immisçant dans cet événement. En effet, nous étions présents à quelques encablures du lieu de l'embuscade, en guettant le résultat.
En compagnie, ce jour-là, des regrettés Si Salah Laoudja, chef de Secteur, de Abdallah Naïme et de Messaoud Charim, tous des moudjahidine de la première heure, nous constations que beaucoup d'armes ont été récupérées.
Même source: «Quant à l'embuscade du 22 décembre 1961, les journaux n'y ont pas fait allusion, et pourtant
Une section de 25 hommes qui avait assuré la protection de la route Tamalous-Aïn Kechera, est tombée dans une embuscade tendue près du poste de Bordj El Caïd. Bilan : 12 morts, 5 blessés ».
Source: «guerre d'ALGERIE magazine» n°5 sept/octobre 2002. P20: «Collo, sa presqu'île dont, en mai 1961, la réputation est bien établie au centre d'instruction des troupes de marine implanté à Fort de l'Eau ; les hommes de troupe ont comme premier corollaire, « surtout ne pas être affecté dans ce nid où il y a un maximum de tués au km² ».
Ces confrontations avec l'armée française sont très loin d'être exhaustives, il y a eu seulement un choix pour les besoins de la cause, dans une région donnée dont les moudjahidine ont soutenu une activité militaire intense jusqu'au cessez-le-feu. S'il faut citer une autre bataille, c'est parce que l'officier français tué par les nôtres jouissait: « d'un prestige incomparable et en Algérie française ce colonel dépassa en renommée celle de Bigeard ». Il s'agit du colonel P. Jeanpierre mitraillé dans son hélicoptère « Alouette », dans une grande bataille à Mermoura, près de Guelma, le 29 mai 1958, où ses « légionnaires ont perdu 110 hommes. Jeanpierre était le 111ème. ». Source : Moudjahidine + « babelouedstory »
Quant aux opérations « Challe », qui nécessitent une longue analyse, relevons ces petites phrases du général Challe lui-même, dans son ouvrage « Notre révolte », P41 : « le rebelle s'est fractionné et les premiers résultats sont décevants ». Les difficultés sont telles que pour entamer son opération « Pierres précieuses », qui va s'appliquer à la wilaya 2, il dit « L'affaire est encore plus dure, car toutes ces montagnes sont le domaine du rebelle, et les P.C. de Secteur sont assiégés plutôt qu'assiégeants ». Sans commentaire.
Pour résumer notre pensée, nous nous autorisons à emprunter le contenu de la page 449 de l'excellent livre « L'ALGERIE EN GUERRE » (OPU) du regretté Mohamed TEGUIA, moudjahid de la wilaya 4, décédé prématurément, et auquel nous rendons ici hommage : « Après les différentes opérations d'envergure pendant lesquelles on a vu l'amorce d'un processus de renforcement des frontières et d'affaiblissement de l'intérieur, on peut faire un bilan qui n'est pas aussi catastrophique pour l'intérieur qu'on l'a dit, avec des arrières pensées cousues de fil blanc. Les Français tenaient à claironner une victoire militaire sur les maquis, parce que les moyens qu'ils avaient mis étaient trop considérables ( ) pour qu'on puisse reconnaître même un demi échec. Et puis cela va de soi, la guerre contre-révolutionnaire faisant intervenir l'arme psychologique, il fallait convaincre tout le monde, soi-même et l'adversaire, que les rebelles ont été militairement écrasés, on martelait sans cesse les esprits avec le slogan que militairement on avait remporté la victoire » (Du même auteur, p 436, concernant les opérations Challe : « Comme le Phoenix de la légende, l'A.L.N. renaissait chaque fois de ses cendres, une zone sitôt évacuée après « pacification », était réoccupée, et les structures politico-militaires du F.L.N.-A.L.N. se remettaient à fonctionner. ») Il se trouve que l'A.L.N. était la grande inconnue pour de nombreux hommes politiques algériens ce qui a contribué, durant l'été 1962, à faire admettre par des responsables Algériens de l'extérieur ou en détention, les bilans dressés par l'armée française qui arrangeaient bien les choses sur le papier-. C'est ainsi qu'on entendra, avec ahurissement, des dirigeants algériens qui rentraient en Algérie après l'indépendance (c'est nous qui soulignons), dire que l'A.L.N. de l'intérieur n'existait plus. » !!
Durant la guerre de libération nationale, nous avions une diplomatie très active qui faisait l'admiration de beaucoup. La Fédération de France du F.L.N. était très efficace dans son action. Tout le monde savait également que l'A.L.N. des frontières, à l'Est et à l'Ouest, tout en se renforçant, harcelait sans cesse les positions françaises, obligeant l'ennemi à lui faire face par le maintien de troupes nombreuses, soulageant ainsi quelque peu l'A.L.N. de l'intérieur. Le souci fondamental des autorités françaises, tant civiles que militaires, était d'instaurer la paix et la sécurité à l'intérieur de tout le territoire algérien, « l'extérieur » serait ensuite plus facilement maitrisable. Pour cela, ils ont mobilisé tous leurs moyens, notamment militaires (surtout depuis 1959), pour venir à bout des « rebelles », mais sans résultat. L'A.L.N. de l'intérieur, qui n'a jamais été vaincue, a maintenu, avec des hauts et des bas certes, une activité soutenue au niveau de toutes les wilayate, même en zone urbaine, portant à l'occasion des coups sérieux à l'adversaire et instaurant une insécurité permanente.
Si ce n'était les actions courageuses et continuelles de l'A.L.N. de l'intérieur, nous aurions eu droit, peut-être, à une indépendance de notre pays, mais, amputée de sa partie sud, et avec des enclaves à la « Ceuta » et « Melilla » !!
C'est donc, grâce aux sacrifices de ces « gens-là » que l'Algérie jouit aujourd'hui de son indépendance et de l'intégrité de out son territoire !
par Mohammed Hamrouch
Moudjahid
En parallèle : -_-
Nouveau livre de Bernard Lugan : Algérie, l'histoire à l'endroit
Présentation :
Depuis 1962, l’écriture officielle de l’histoire algérienne s’est appuyée sur un triple postulat :
- Celui de l’arabité du pays nie sa composante berbère ou la relègue à un rang subalterne, coupant de ce fait, l’arbre algérien de ses racines.
- Celui d’une Algérie préexistant à sa création par la France à travers les royaumes de Tlemcen et de Bougie présentés comme des noyaux pré-nationaux.
- Celui de l’unité d’un peuple prétendument levé en bloc contre le colonisateur alors qu’entre 1954 et 1962, les Algériens qui combattirent dans les rangs de l’armée française avaient été plus nombreux que les indépendantistes.
En Algérie, ces postulats biaisés constituent le fonds de commerce des rentiers de l’indépendance. En France, ils sont entretenus par une université morte du refus de la disputatio et accommodante envers les falsifications, pourvu qu’elles servent ses intérêts idéologiques. Dans les deux pays, ces postulats ont fi ni par rendre le récit historique officiel algérien aussi faux qu’incompréhensible.
Cinquante ans après l’indépendance, l’heure est donc venue de mettre à jour une histoire qui doit, comme l’écrit l’historien Mohamed Harbi, cesser d’être tout à la fois « l’enfer et le paradis des Algériens ».
Ce livre répond donc aux interrogations fondamentales suivantes : l’essence de l’Algérie est-elle Berbère ou Arabe ? Avant la conquête française, ce pays fut-il autre chose qu’une province de l’Empire ottoman ? Les résistances d’Abd el-Kader et de Mokrani furent-elles des mouvements pré-nationaux ?
Que s’est-il véritablement passé à Sétif et à Guelma en mai 1945 ? La France a-t-elle militairement perdu la guerre d’Algérie ? Quelle est la vérité sur le « massacre » du 17 octobre 1961 à Paris ? Enfin, peut-on raisonnablement affirmer que la France ait « pillé » l’Algérie comme le prétendent certains ?
Table des matières :
Chapitre I : - L’Algérie est-elle Berbère ou Arabe ?
Chapitre II : - Comment des Berbères chrétiens sont-ils devenus des Arabes musulmans ?
Chapitre III : - Pourquoi Bougie et Tlemcen n’ont-elles pas créé l’Algérie alors que Fès et Marrakech ont fondé le Maroc ?
Chapitre IV : - L’Algérie, Régence turque oubliée ou marche frontière de l’empire ottoman ?
Chapitre V :
- Abd el-Kader, une résistance « nationale » ou arabe ?
- Mokrani, une résistance « nationale » ou berbère ?
Chapitre VI :
- Que s’est-il passé à Sétif et à Guelma au mois de mai 1945 ?
- Sétif au-delà des mythes
Chapitre VII :
- 1954-1962 : la « révolution unie », un mythe ?
- La revendication berbériste
Chapitre VIII :
- Le FLN a-t-il militairement vaincu l’armée française ?
- La guerre d'Algérie ne s'est pas terminée le 19 mars 1962
Chapitre IX :
- Le 17 octobre 1961 à Paris : un massacre imaginaire ?
Chapitre X :
- La France a-t-elle pillé l’Algérie ?
Algérie, où les archives ottomanes brisent le roman d'une histoire tronquée ...
« Si nous venons à mourir, défendez nos mémoires »
Le ciel est magnifique. On peut en faire un pays si on reste longtemps allongé sur le dos, mains sous la nuque. Il suffit de se concentrer et on perd peu à peu le corps. On dénoue la limite de sa peau et on tombe vers l’avant sans rien heurter que des images dans sa propre tête. C’est l’une des meilleures prières. Le ciel est le selfie de chacun, même des dieux. On peut y voir ce que l’on veut et s’y voir aussi. Cap sur le sujet du jour : l’image. Qui en a le monopole ici dans le pays ? L’ANEP, les journaux, l’ENTV redevenue RTA ou les religieux et les «historiques» ? Selon les rumeurs internet, le ministre de la Culture vient de rappeler qu’un film sur Larbi Ben M’hidi ne peut être diffusé pour les Algériens sauf avec le visa des vétérans de guerre et des commissaires politiques de la mémoire. Grave dérive déjà consacrée par les textes. Si on ouvre encore cette brèche du contrôle de l’art par les commissaires, Ould Abbès va un jour revendiquer la paternité de la guerre de libération ou placer son fils sur la photo mythique des fondateurs du FLN.
Ensuite, il s‘agit de cinéma, d’exercice de liberté. Il n’y a que les régimes policiers à exercer cette rigueur du «vraisemblable», du réalisme, au nom de la vérité. Laquelle ? Celle du puissant, de la caste, du dictateur. Le révisionnisme commence toujours par le souci de «contrôler la vérité». Dangereux. Mais en même temps révélateur sur cette volonté de monopole sur l’histoire nationale par la caste des vétérans ou leurs employés. Est-ce parce qu’on a fait une guerre qu’on a le droit exclusif d’en parler seul, à vie, tout le temps et à sa manière ? On sait que ce droit exclusif nous a conduits à des versions d’avions abattus par les yeux, de chiffres de moudjahidines plus grands que lors de l’indépendance, de versions de faits qui approchent le ridicule, pas l’exactitude, avant de nous faire aboutir à Ould Abbès. Ou bien est-ce qu’on veut cacher des vérités qu’on se proclame les gardiens d’une seule pour ne pas être trahi par l’enquête ou la curiosité ? Fascinant ce souci de la représentation chez les castes des vétérans et leur système de reproduction. Il ressemble à la pathologie des religieux quant à l’art et l’image. En général, ces derniers soutiennent que toute image est interdite, les autres affirment que toute image sauf la leur est interdite. Du coup, vous êtes soit invisible, soit soumis à l’invisible.
Les peuples d’ailleurs, ceux qui ont confiance en eux-mêmes, en leur identité et récit national ne s’offusquent pas d’une comédie hilarante sur Lincoln ou Georges Washington. C’est les peuples qui doutent qui rient mal, rêvent peu et veulent contrôler les images, jacassent sur l’identité et voient des complots linguistiques avec l’ouverture de chaque fenêtre dans la tête d’un écolier. On y est et au cœur : l’histoire algérienne, ses héros, ses figures ou ses versions ouvertes à la contradiction de l’humain et ses infinies nuances, ne peut être racontée que selon une caste, ne peut être enseignée que selon une caste et, depuis peu, ne peut être filmée que selon cette caste. D’ailleurs ce désir de filmer le passé, ses deys, ses guerriers et ses figures est en lui-même, parce que versé dans l’excès, une pathologie de la représentation, un refus du temps et de la mort, un narcissisme de vieillards. Vieux émirs qui, gardant la main sur l’argent, financent les films qui font l’éloge de leur jeunesse ou de leur fantasme, de l’épopée qui leur donne le meilleur rôle dans le pays, exigent que l’on décrive d’une certaine manière leur jeunesse, à leur avantage, et s’indignent de l’atteinte à l’histoire nationale (qui ne leur appartient pas), si on ne filme pas le passé selon leur caprice de financiers. L’Algérie ne peut donc être filmée que du ciel, ou à partir de leur regard. Le reste est plongé dans le gris et la surveillance, soumis à l’autorisation ou l’interdit, négligé.
Fascinant donc que cet usage de caste sur la création cinématographique. Cette puissance rétroactive de la propagande, cette police du passé qui interdit aux Algériens de rêver, imaginer, creuser, enquêter sans passer par eux. La caste des décolonisateurs est la pire : elle meurt trop lentement, a la vie rancunière contre ceux qui sont nés après la guerre et l’effort, et a l’intelligence aigrie et le sens de la propriété déformé par le sens du butin. Sur la terre et sur l’image.
Alors à la fin ? Il faut libérer même les héros aujourd’hui. Rendre Larbi Ben M’hidi à ceux qui peuvent en rêver et non à ceux qui mangent sur son dos. Retour au ciel. Le jour, il est une page bleue. La nuit, c’est un alphabet en braille lumineux pour ceux qui peuvent le sentir au bout de leurs doigts.
par Kamel DAOUD
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5265731
Algérie : un réalisateur dénonce la censure d'un film sur un héros de L'indépendance
AFP
03/09/2018
Les autorités algériennes ont interdit la sortie en salles d'un film algérien sur Larbi Ben M'hidi, un des chefs historiques de la guerre d'indépendance contre la France, exigeant des modifications, a dénoncé lundi son réalisateur Bachir Derrais. "Il est strictement interdit de projeter le film ou de l'exploiter sous une quelconque forme, jusqu'à la levée des réserves et à l'accord final sur son contenu", a écrit à M. Derrais un organisme dépendant du ministère des Moudjahidine (anciens combattants). La lettre de cet organisme, le Centre national d'Etudes et de Recherches sur le Mouvement national (Cnermn), publiée par plusieurs journaux et confirmée par M. Derrais, ne détaille pas ces "réserves". Aucun responsable des ministère de la Culture ou des Moudjahidine n'a pu être joint par l'AFP.
Les autorités "trouvent le film trop politique", a expliqué le réalisateur à l'AFP. Elles auraient préféré davantage de "scènes de guerre" mettant en valeur les combattants algériens ou d'images de tortures commises par l'armée coloniale, a-t-il détaillé.
M. Derrais décrivait en 2016 son film comme un "biopic", retraçant notamment l'enfance et l'adolescence de Ben M'hidi, l'un des neuf chefs historiques du Front de libération nationale (FLN) qui déclenchèrent la guerre d'indépendance le 1er novembre 1954.
"On me reproche aussi de raconter les divergences entre les chefs de la Révolution (algérienne), notamment une scène d'une altercation entre Ben M'hidi et (Ahmed) Ben Bella", futur président de l'Algérie, qui est pourtant "dans tous les livres d'Histoire", a-t-il poursuivi.
Mort en 1957, Ben M'hidi s'est, selon la thèse officielle française de l'époque, suicidé après son arrestation par les parachutistes français. Mais le général français Paul Aussaresses avait avoué en 2001 l'avoir fait pendre.
Une source au ministère des Moudjahidine a expliqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que "le film n'a pas respecté le scénario" validé par les autorités et "donne une image dégradante de Ben M'hidi, le montrant comme un forcené alors qu'il est connu pour sa sagesse".
Les 800 millions de dinars (environ 6 millions d'euros) de budget du film ont été financés à 40% par le ministère algérien de la Culture et à 29% par celui des Moudjahidine.
M. Derrais a affirmé avoir respecté le scénario validé et assure que le contrat de production lui donne le pouvoir "sur le montage final".
La loi algérienne soumet "la production des films relatifs à la guerre de libération nationale" à "l'approbation préalable du gouvernement" et interdit celle de films "portant atteinte (...) à la guerre de libération nationale, ses symboles et son histoire".
Elle... Suzanne Planturier, Suzie pour les amis, une Canadienne de Montréal, infirmière de son état : d'aventure en aventure. Au départ, elle croyait vivre une grande et belle histoire d'amour. Mais, cela ne dura que... cinq années. Son compagnon, un Canadien médecin de son état, Sylvain Beauregard, la quitte pour aller soigner, loin d'elle, très loin, les malades démunis du monde. Dépression... Psy'... Elle se retrouve affectée dans un service de soins palliatifs d'un autre hôpital de Montréal. Elle re-découvre la vie, la vraie vie et, surtout, des raisons de ne pas désespérer, et surtout l'espoir de re-découvrir... l'amour, même s'il est numérique.
Lui, 8.000 km plus loin,... Dahmane, un Algérien de Hassi El Ghella, technicien des télécoms : de peur en peur. Dans un pays qui verse peu à peu dans la violence et sous la coupe (non officielle mais bel et bien présente, tout particulièrement dans les quartiers populaires des villes, les villages et la campagne) des terroristes islamistes.
Les années 90 ! Une guerre civile ne disant pas son nom. La mort qui pourchasse tout le monde. Les massacres collectifs, la lutte anti-terroriste... La quête du «pouvoir»... le pouvoir, l'abîme, le trou noir, le crime, le désastre et la honte...
Pour fuir la peur et la terreur, Hamdane part au Canada. Il rencontre (en fait, il avait déjà établi un lien virtuel -en «tchatchant»- grâce à internet) Suzie et il l'épouse. Cinq années de bonheur, deux enfants et la paix des corps et des esprits. Dieu que le Canada est accueillant !
Puis, comme tout Algérien, ne voilà-t-il pas qu'il a des «envies» d'Algérie... Revoir la maman. D'abord, un séjour -avec femme et enfants- de rêve aux Andalouses... puis, le départ au village natal.
Le cauchemar va débuter sur le chapeau des roues : Papiers confisqués par les «tangos» du coin... obligation de réparer du matériel de télécommunications... arrêté par les forces de sécurité... enlevé par des terroristes... Cela ne va s'arrêter à ça. Suzanne voulant s'enfuir avec ses enfants est, elle aussi, enlevée par un groupe de terroristes et séparée de ses deux enfants. Moutabaridja à la peau blanche et douce «comme du yaourt», considérée comme butin de guerre» (ghanima harb). Devenue «esclave», comme beaucoup d'autres femmes kidnappées, elle est brutalisée, exploitée, violée par le chef puis livrée aux autres... Aucune limite à la sauvagerie. Au nom d'un Islam d'une autre dimension...
Un jour, elle retrouvera (dans un maquis des monts du Tessala) son époux, lui aussi otage (un otage utile, en tant qu'«ingénieur», spécialiste des télécoms). Ils s'enfuiront. Il périra. Après vingt-cinq mois séquestrée dans le maquis terroriste, elle repartira («extradée» et soupçonnée d'aide aux terroristes, pour avoir «participé» à la mise en place d'une infirmerie) au Québec... mais sans ses enfants, Sajid Jean et Okba Romuald... disparus. Certainement, elle reviendra, un jour, les (re-)chercher. Un autre livre dans une Algérie cette fois-ci réconciliée ? Elle a, de nouveau, beaucoup d'espoir, car... tenez-vous bien, elle s'est convertie à l'Islam... demandant même à son futur (et ex-compagnon) époux, le Canadien bon teint... de se convertir avant. Une drôle de chute, n'est-ce pas ? Syndrome de Stockholm ? Elle ne nous dit pas si elle va porter désormais le djilbab.
A signaler une annexe avec des «Notes et Contexte historique» en fin d'ouvrage. Très riche... Mais notes trop nombreuses et contexte trop fouillé. On s'y perd.
L'auteur : Longtemps journaliste en Algérie, près de 35 ans, résidant actuellement au Canada, écrivain, auteur, déjà, de plusieurs livres en Algérie ; livres publiés aussi à l'étranger, dont «Le grain de sable» traitant de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf et «Le Tycoon et l'empire des sables» traitant de l'affaire Khalifa (livre rapidement «épuisé» car «ramassé» par ??? des librairies et des dépôts de distribution). L'auteur était alors directeur de l'édition au sein de la Sn. Anep. Il ne fera pas long feu.
Extraits : «Tout au début de cette effervescence religieuse, il falait l'orienter ou la stopper ; mais le temps avait fait son œuvre et ce fut ainsi que la bêtise incontrôlable s'érigea en intelligence, et la force remplaça l'idée motrice conduisant toute une nation vers un rituel préhistorique au sein duquel les frontières entre le bien et le mal n'étaient pas encore clairement définies» (p. 55), «Il est des particularités dans l'utilisation des klaksons des véhicules chez les conducteurs algériens, bizarres : on se salue à coups de klakson, on fait la fête à coups de klakson, on étale sa vantardise à coups de klakson, on s'insulte à coups de klakson, on drague à coups de klakson, on s'invite, on s'interpelle, on se parle, on communique, on s'avertit à coups de klakson.» (p. 109).
Avis : Long, très long, trop long... et très cher... roman. Une histoire qui se traîne dans des longueurs, parfois avec des digressions souvent inutiles. Il est vrai que l'auteur est un amoureux du détail. Journaliste un jour, journaliste toujours ! Et, l'utilisation de termes (inconnus chez nous) franco-canadiens ne facilitent pas la lecture, obligeant à avoir un dico près de soi... sans être certain de trouver de significations, l'Académie française n'ayant pas encore décidé. Un ouvrage surtout destiné aux Canadiens... Québécois, par le biais des multiples digressions et explications sur le fonctionnement des institutions et de la société algérienne. Et, aux Algériens par le biais des multiples digressions et explications sur le fonctionnement des institutions et de la société canadienne qui, elle aussi, a connu, dans son passé, des moments «pas roses» suite à l'emprise de l'Eglise.
Appel à l'éditeur bien plus qu'à l'auteur : Attention aux «coquilles». Ce n'est pas parce que c'est la langue française qu'il faut la «mal-traiter». Problème de respect des lecteurs... qui payent.
Citations : «Si tu cours après le bonheur, jamais tu ne le rejoindras. Si tu t'assoies pour l'attendre, jamais il n'arrivera. Si tu le cherches, jamais tu ne le trouveras. Va simplement sur ton chemin et au moment où tu t'y attendras le moins, tu rencontreras le bonheur... » (p. 38), «Les Algériens sont devenus des zombies, depuis que le pays s'est embourbé dans cette horrible guerre ! Plus personne ne réagit devant la mort. Plus personne ne se sauve de la mort. C'est plutôt la mort qui pourchasse tout le monde» (p. 181), «Pour quelqu'un qui subissait la torture physique et le diktat de l'oppression, c'était toujours la première gifle qui faisait le plus mal. C'était celle qui rabaissait, qui plongeait dénudé, qui écorchait. Elle éloignait sa victime des proportions de l'estime de soi» (p. 280), «Dans les société en guerre, il n'y avait pas que les faux dévôts, ceux qui guerroient, le dénuement, les privations, les restrictions des libertés, les violations des droits de la personne qui étaient les ennemis avérés de l'humanité ; il y avait aussi les profiteurs qui trouvaient, dans ces situations exceptionnelles, un terreau favorable pour se développer» (p. 319)
PS : Le créneau des romans à l'eau de rose, ou encore la romance, un genre littéraire un peu tabou en Europe depuis plusieurs décennies, et encore plus chez nous d'autant que son importation s'était trouvée grandement réduite, cartonnerait. Les études de marché montrent que tous les profils existent. «À force de lire des classiques, j'avais besoin de me détendre, d'aller au-delà d'un certain snobisme littéraire et j'ai trouvé un espace d'évasion», témoigne une lectrice.
Le créneau cartonne donc. Ainsi, en France, la maison d'édition Harlequin, n°1 du genre, vend 5 millions de livres par an. Si l'univers des auteur(e)s reste très anglo-saxon, les français(es) commencent à prendre de la place, déclarant vouloir «faire passer des messages sur l'évolution de la société et de la femme». A noter que bien des auteur(e)s sont d'illustres inconnu(e)s produisant, bien souvent, une grande quantité de titres sans pour autant se prévaloir du titre d' «écrivain(e)». «C'est un sous-genre qui est décrié, mais il brasse quand même énormément de gens, donc je trouve ça un peu dommage de pointer du doigt ce lectorat», explique une spécialiste.
Nos éditeurs (existants ou à venir) devraient, quand même, tenir compte de cette tendance internationale et arrêter de «mépriser» ce genre. Et nos «critiques» devraient ne pas le décrier ou de l'ignorer. Il faut donc encourager de nouveaux auteurs (en français et en arabe) à écrire des romans «à l'eau de rose». Cela (re-)boosterait, peut-être, le marché de la lecture et du livre... et, surtout, sortir nos jeunes de la déprime sans issue en leur offrant certes du «rêve» mais surtout l'espoir d'un «mieux-être»... grâce... à l'Amour... dans leur pays même.
Il ne faut pas se voiler la face : la chanson a déjà bien réussi dans ce crénaeau. Et on se souvient encore du début des années 90, années de grande liberté dans l'expression et l'information, du succès rencontré par la nouvelle presse... «rose» (qui publiait entre autres énormément de lettres sentimentales de jeunes lectrices et lecteurs)... ce qui a fait la fortune de certains... Aujourd'hui, l'hypocrisie ambiante, sous l'effet d'une religiosité mal assimilée, a créé des freins, mais les problèmes sentimentaux sont partout. «L'eau de rose» est partout présente chez nous... Hélas, nos nez sont bouchés.
par Belkacem Ahcene-Djaballah
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5265602
L'otage. Roman de Salah Chekirou. Editions El Qobia, Birkhadem/Alger 2017. 1.800 dinars, 351 pages.
Vous pouvez lire une grande partie de ce livre sur :
On pourrait se demander, une fois refermé ce roman ambitieux, si les belles âmes dans ce récit ne sont pas celles que des critiques ont descendues en flammes avant que ne s'abatte une implacable censure sur un précédent ouvrage du même auteur, Le Tycon ou l'empire des sables, ramassé et détruit au terme d'une exceptionnelle première semaine de ventes...
Alors, pour mieux saisir la trame de L'Otage, il faut savoir —ou se rappeler— qu'au début des années 1990, les jeunes filles montréalaises se targuaient d’avoir un «chum» (copain) outre-Atlantique, notamment dans notre pays. Grâce à internet, Suzanne, une jeune infirmière québécoise, arrive donc à Alger sans connaître la réalité sécuritaire du pays. Suzanne trouve alors un pays en proie à une violence inouïe. Les hordes terroristes semaient mort et désolation dans les villes et les villages. Au cours d'un trajet qui devait lui permettre de rejoindre Hamdane Benahmed, le père de ses deux garçons, elle est enlevée par un groupe terroriste. Suzanne sera ainsi séquestrée durant 25 longs mois. «On m’a battue, torturée, violée, exploitée au point de me réduire à un débris humain. Je suis séparée de mes deux chers enfants depuis mon kidnapping, alors que je tentais de m'enfuir de ma première séquestration. Je fus réduite à l'esclavage et à la servitude dans des conditions atroces que nul humain ne peut supporter... J'ai vécu l'enfer dans ma chair», se remémore-t-elle à travers la plume de Salah Chekirou. Et de poursuivre : « Si ce n'étaient l'élan de solidarité et la mobilisation des Québécoises, des Québécois et des femmes et des hommes libres à travers le monde, y compris dans le pays où j'étais retenue, jamais je n'aurais pu tenir durant cette très longue et douloureuse tragédie que j'ai subie (...).» Le premier tort de cette jeune infirmière québécoise, qui s'extirpe d'une grosse déception suite à une douloureuse rupture avec l'amour de sa vie, Suzanne Planturier, car c'est d'elle qu'il s'agit, est d'avoir intégré le service des soins palliatifs d'un grand hôpital montréalais, pensant qu'en côtoyant les malheurs de ceux que la vie n'a pas choyés, elle se remettra sur ses pieds. Plutôt courageuse dans ses choix ultérieurs qu'on peut ne pas partager, elle a eu le tort, durant son séjour algérien entaché d'un séquestre de vingt-cinq mois dans les maquis, d'avoir voulu protéger ses deux enfants, Sadjid-Jean et Okba-Romuald, nés d'une liaison avec l'ingénieur en télécommunications Hamdane Benahmed.
Cela dit, d’emblée, Suzanne met les points sur les «i» : «Nous sommes tous des otages de quelqu'un, de quelque chose. En ce qui me concerne, moi, Suzanne Planturier, citoyenne canadienne, toute ma vie, j’étais otage : otage de mes sentiments. Otage de ma sensibilité à fleur de peau. Otage de mon amour. Otage de ma bêtise. Otage des hommes que j’ai aimés. Otage de mes grandes déceptions. Otage du mal qu'on m'a fait. Otage des conditions désastreuses d'une vie tumultueuse. Otage des terroristes islamistes et otage de ceux qui étaient eux-mêmes otages de l'islamisme politique. Otage, enfin, de mes deux garçons que l'on a séparés de moi. »
Un roman captivant qui se lit d’un trait
Parsemé d’intrigues, ce tout dernier roman de Salah Chekirou nous replonge dans l’enfer des maquis terroristes de la décennie noire. Des personnages de triste mémoire défilent alors dans les pages de l’ouvrage, comme pour nous rappeler leur «rêve insensé» qui a failli faire sombrer le pays, État et nation, dans les abysses du Moyen Âge. Le roman, auquel ne manque surtout pas la touche de sensibilité qui blesse au cœur les lecteurs les plus blasés, raconte ainsi, sans pleurnicherie ni condescendance, les malheurs existentiels d'une infirmière québécoise qui, pour ne plus tirer le diable par la queue, accepte les souffrances endurées au cours de sa captivité dans les maquis algériens et ce, durant la décennie noire. Écrit dans un style narratif, entrecoupé de dialogues qui donnent une assise à la trame romanesque, L’Otage, qui est récemment sorti aux Editions «Belle Feuille» de Montréal, se lit d’un trait, captivant son lecteur d’entrée de jeu.
Quoi qu'il raconte donc, le talent de Salah Chekirou reste intact. Ce qui serait assurément insupportable, chez d'autres auteurs par exemple, en l'occurrence cette prétendue écriture à la française, devient amusant ici, parce que cette écriture-là, le romancier l'a domestiquée à sa façon. Car ce qu'il raconte dans ce roman, plus sérieux qu'il ne le paraît, c'est un peu lui : accessible à une certaine mélancolie, L'Otage constitue, en effet, une manière d'autoportrait, coulé dans son héroïne, grande infirmière aux semelles de vent et capable de tout, même du meilleur.
En voici quelques lignes : «Dans le refuge, à l’ouest, le chef terroriste, qui retenait Suzanne et Samia en otages dans son harem, entra dans une colère noire. Il envoya son téléphone cellulaire se fracasser contre le tronc d’un pin d’Alep, à la bordure de la petite clairière. Djamel Zitouni, l’autre chef terroriste autoproclamé émir national à qui il avait envoyé deux émissaires depuis trois jours —aux fins— de ne pas toucher aux moines de Tibehirine, venait de l’informer en personne qu’il avait enlevé les sept moines du monastère (…).» Eh oui ! C’était l’époque où les groupes islamistes faisaient parler la poudre et le sabre, de l’Ouarsenis aux confins de Collo, en passant par la Chiffa et les maquis de la Kabylie.
Mais il n'empêche : ce que Salah Chekirou réussit le mieux, ce sont ses commencements. On retiendra ainsi qu'à leur sortie, ses premiers romans ont été fort bien accueillis par la presse et le public d'ici et d'ailleurs. Établi au Québec depuis six ans, l'auteur, qui a plusieurs romans à son actif, notamment Le Grain de Sable, sur l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, ou encore Le Tycoon et l’Empire des Sables, inspiré de l’affaire Khalifa, Zone de turbulence et Rendez-vous à El Qods, l'auteur donc explique que son tout dernier roman se veut un hommage aux combats des femmes d’ici et d’ailleurs, comme il est d'ailleurs mentionné en quatrième de couverture. «Ce roman rappelle une époque douloureuse, mais nous renseigne aussi sur des liens déjà étroits entre l’Algérie et le Québec», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse tenue récemment à Montréal. En définitive, on aura compris que, s'il existe aujourd'hui un bonheur de lecture, astringent comme une huile pure, c'est celui que Salah Chekirou apporte avec cette désinvolture nonchalante qui n'appartient qu'à lui. Autre bon signe, à une exception près, l'éditeur ne met en avant aucun nom d'école. Nous laissera-ton supporter longtemps autant de liberté de lire ?
Aujourd'hui, Zoubir Aissi est mort. Le jeune Algérien a disparu dans la fleur de l'âge, tabassé à mort par des parkingueurs dans une plage de Bejaia. Il a laissé une famille orpheline et traumatisée pour avoir refusé de payer le parking sauvage. Paix à son âme !
Le ministre de l'Intérieur a maintes fois insisté sur la gratuité des plages. Oui, mais derrière une caméra. Le littoral est colonisé par la mafia qui squatte encore les plages. Des groupes de lâches ont pu défier une République ! Et quand une mafia réussit, ça prouve que l'Etat est «faible ». Que l'anarchie l'emporte sur la loi. C'est la logique.
Les déclarations des responsables ne deviennent ainsi que blabla et marivaudage. Ils ne s'inquiètent pas parce qu'ils ne passent pas leurs vacances sur les plages publiques parmi les victimes ; ils adorent plutôt cette «Algérie vue du ciel » qui cache sa misère et tue ses propres enfants. Il faut regarder l'Algérie d'en bas pour sentir le poids d'une mort pour quelques dinars.
Le terrorisme de l'espace public est né et il faut désormais commencer à faire l'inventaire des victimes en commençant par Zoubir !
En Algérie, le verbe tuer a été «gracié » tout comme ces condamnés lors de la fête d'Indépendance. Il ne signifie rien. La mort de Zoubir a valu quelques minutes de tristesse hypocrite, de deuil virtuel, et un silence éternel. Il y a eu des morts avant lui, dans l'espace public, pour une banalité. Et il y en aura après lui aussi. L'impunité et l'insouciance règnent. Chaque jour vécu est un échappement à la mort. Autrement dit, le citoyen ne vit pas mais échappe à la mort tant que la menace le guette quotidiennement. Et c'est pourquoi l'Algérie est un pays absurde.
Les islamistes ne se manifestent pas pour ce genre d'affaires. Ils prient dans la rue pour annuler une activité artistique, jamais pour dénoncer un meurtre. Leur hypocrisie leur fait oublier ce verset qui dit que sauver une âme est comme sauver toute l'humanité. La vie ne les intéresse pas ; ils pensent à la mort qui leur offrira houris et miel.
Vu sa profondeur, la mort de Zoubir ressemble à un roman. Un roman précis : l'Etranger de Camus. Les deux ont des points communs : une plage, un soleil de plomb, et un meurtre.
La fiction a été publiée en 1942. Meursault tue un Arabe sur une plage d'Alger et accuse le soleil brûlant. Il sombre ensuite dans la philosophie de l'indifférence pour faire face à l'absurdité de la vie. Une remarque : le narrateur a décrit la plage mais n'a pas parlé des parkings sauvages et des parasols et tentes à louer. Dans les années 1940, il suffisait donc d'un short et d'une serviette pour aller à la plage.
Avec le temps, le roman a été dénaturé en Algérie pour devenir un complexe postcolonial. Un document politique, pas une œuvre littéraire. Tant d'Algériens détestent Camus et ses personnages de papier ; celui qui aime sa littérature est un harki littéraire, un partisan de l'Algérie-Française, et un Algérien qui nourrit les fantasmes colonialistes. Leurs arguments sont les suivants : le meurtre sans raison et la non-dénomination de la victime (Arabe) sont la preuve que Camus a effacé l'identité algérienne et qu'il était contre l'Indépendance de l'Algérie. Voilà une analyse mythique qui se lègue d'une génération à l'autre.
Le roman n'est pas le sujet de cette chronique. Tout ce petit rappel a été fait pour arriver à ce constat : depuis 1942, Meursault, un personnage fictif, dérange la conscience algérienne par son homicide commis dans un contexte colonial; en 2018, dans une Algérie indépendante, Zoubir Aissi, un être humain en chair et en os, a été assassiné par des Algériens et sa mort ne dérange personne.
Contrairement à la victime de Meursault, Zoubir avait une famille, une vie, une histoire, une identité, et surtout un NOM. Paradoxalement, l'Algérie se souviendra éternellement de Meursault, jamais de Zoubir ou ses semblables, morts étrangers dans leur propre pays. L'Algérie est un pays absurde parce que la fiction dérange sa population plus que la réalité amère.
Sur la pierre tombale de Zoubir, il vaut mieux graver ce vers paraphrasé de Baudelaire :
Ce qu'il y a de terrible dans cette épidémie de choléra, c'est qu'elle a montré les limites et les graves défaillances du système de santé actuel. Depuis le début de la maladie jusqu'à aujourd'hui, aucun des responsables du secteur n'a donné une quelconque assurance aux Algériens sur le fait que la maladie était maîtrisée. Pis, avec des communiqués contradictoires, sur le peu qu'il y a eu, les responsables en charge de la santé des Algériens n'ont fait qu'aggraver la situation sur le plan psychologique, provoquant un début de panique. En une semaine, il n'y a pas eu également de réactivité du gouvernement, autant pour rassurer les Algériens quant à la prise en charge de cette maladie que pour donner des signaux rassurants aux pays de la région qui suivent minutieusement tous les développements et les informations données, même au compte-goutte, sur la propagation de la maladie.
Fatalement, des pays voisins s'en sont inquiétés et ont mis en place des dispositifs de prévention, alors que dans le pays, en particulier dans les wilayas touchées, aucun dispositif particulier n'a été pris. Ce qui est étonnant et dramatique pour ceux qui craignent pour la santé de leurs enfants, de leurs proches. Depuis le début, le ministère comme les autres autorités sanitaires, dont l'Institut Pasteur, ont montré un grand amateurisme, par ailleurs préoccupant, à prendre en charge une maladie qui risque de devenir problématique pour la santé publique. Autre «couac» de l'action publique, c'est cette incapacité des responsables du secteur à accorder leurs violons et servir à l'opinion publique une information viable, correcte, dépouillée de toute approximation et en temps réel. Au lieu de cela, il n'y a eu que des tâtonnements, des approximations et aucune certitude quant aux causes et l'origine de la maladie, son vrai foyer et les mesures de prophylaxie à suivre pour éviter toute contagion.
Sur un autre registre, il y a lieu de relever ce silence incompréhensible du gouvernement, jusqu'à hier, sur un cas potentiel de menace contre la sécurité du pays, d'autant que les structures hospitalières sont tout à fait capables de prendre en charge cette maladie, mais à condition qu'il y ait une cellule de veille des grandes pandémies. Ce que le secteur de la Santé ne possède pas, et cela est d'autant étonnant que la nouvelle loi sanitaire, défendue «bec et ongles» par le ministre Mokhtar Hasbellaoui, n'en fait aucunement mention. Or, les experts de la santé ont depuis toujours appelé à la mise en place d'une vraie structure sanitaire de veille contre les épidémies, les grandes maladies, avec ses experts et son personnel. Beaucoup estiment ainsi que si une telle structure existait, l'épidémie actuelle de choléra aurait été vite dépistée, son foyer circonscrit et les causes mises en évidence. Hélas ! Les deux dernières lois sanitaires n'ont pas prévu un tel organisme, ce que doit, par contre, le gouvernement revoir pour donner plus de flexibilité à la prévention sanitaire des grandes pandémies.
Certes, aucun pays au monde n'est à l'abri de telles épidémies, mais aucun pays bien organisé et disposant de l'infrastructure, du matériel et du personnel nécessaires ne commet l'erreur de sous-estimer la dangerosité de ces épidémies, ni attendre des ordres «d'en haut» pour prendre des décisions urgentes, radicales, salutaires. La propagation d'un virus comme la rumeur et la peur n'attendent pas des ordres signés. Maintenant, il faut espérer qu'il y ait moins de démagogie dans les explications officielles et plus d'efficacité pour éradiquer la maladie.
Quand la colère prend des dimensions cholériques, elle devient un état de «colérat». Soit un état qui dépasse de loin la coutumière colère que chacun de nous peut piquer à la contradiction du sort ou en face d'un mauvais traitement. Le «colérat» est une colère silencieuse qui se subit sans pour autant atteindre des cimes d'extériorisation. Il se la joue volontairement dans la dérision, et parfois même dans l'hérésie. Quand aucun robinet domestique ne sert à rien, sauf à remplir des chasses d'eau ou à faire couler une flotte indésirable dans la tuyauterie d'une salle de bains, à la limite permettre à son eau de faire bouillir nos états d'âme espérant voir partir en vapeur nos soucis et inquiétudes; c'est dire que la panique est en train de se débiter de ce même robinet. Comme toute épidémie qui peut sévir dans n'importe quelle contrée, elle ne peut que s'inscrire dans le grand registre de la santé publique. Dans le constat, la prévention, l'arrêt de sa contagion, l'éradication de ses causes et la prise de mesures nécessaires. Tout ceci reste cholériquement insuffisant. Et cette santé publique, qui est une mission constitutionnelle, un devoir patriotique et religieux, ne doit pas se circonscrire dans un apaisement en discours ou dans un procès-verbal de cellule de crise. La mobilisation générale, tel un état de siège, est à même d'affronter cette invasion comme un savoir-faire nationaliste envers un ennemi s'apprêtant à envahir pas nos territoires mais nos corps, nos existences et toutes nos espérances. Cette énième tare qui vient, c'est comme si l'on n'en a pas assez, pourrir la vie et la menacer d'extinction, ne peut être un produit engendré par la fatalité ou provoqué consciemment par des manœuvres politiques. Basses et criminelles seraient celles-ci, si c'en était le cas. L'eau n'est pas responsable de ceci, affirme-t-on à l'autorité compétente, mettant par conséquent au banc des accusés «les fruits et légumes mal lavés». Ceci tend à prouver une défaillance dans la chaîne du contrôle tant des services du ministère de l'Agriculture que ceux du Commerce. Le pays est en pleine panique, le robinet, le melon, la pastèque sont boudés, soit le dessert et la flotte des pauvres, alors que l'eau dite minérale prend des pentes et enrichit davantage les puisatiers industriels et les sourciers à grande échelle. Les chargés de ces secteurs peinent à se faire voir et surtout convaincre pour tranquilliser la population. L'on saura d'ici peu un autre jeu de jet de responsabilité. Ce n'est pas moi, c'est l'autre. Assurément, moi et toi. Le citoyen, le consommateur, cet auteur-victime ultérieur. Ainsi, comment ne pas piquer un «colérat» ?
En solidarité avec la résistance afghane à l’occupation soviétique, une internationale islamiste voit le jour dans les années 80, sous les auspices d’un exilé palestinien et d’un milliardaire saoudien.
Cette journée d’août 1988, il y a exactement trente ans, n’a laissé aucune anecdote vérifiable, parole rapportée ou élément de décor précis pour lui écrire un scénario digne des événements fondateurs. Seulement trois personnages : l’instituteur palestinien Abdallah Azzam, le chirurgien égyptien Aymane al-Zawahiri et le milliardaire saoudien Oussama Ben Laden, et un lieu : quelque part dans la banlieue de la ville pakistanaise de Peshawar. La présence de Zawahiri n’est pas certaine, et selon certaines versions, l’assemblée était plus large que ces trois protagonistes, le jour où el-Qaëda, « la base », fut créée.
Quatre ans plus tôt, Azzam et Ben Laden avaient fondé le Bureau des services aux moujahidine (BSM), qui réceptionne les volontaires arabes au jihad afghan contre l’occupant soviétique. Le Bureau a aménagé une grande auberge où les recrues attendent leur tour d’aller au front. Car en cette année 1984, le jihad commence à souffrir de sureffectif. Les moyens distancent de plus en plus les besoins de la résistance afghane, quand deux ans plus tard, le retrait échelonné des troupes soviétiques devient irréversible. Alors, en patientant à l’arrière dans les pensions et les camps d’entraînement du BSM, les Algériens du maquis Bouyalis, les vétérans des prisons égyptiennes de Sadate ou de Moubarak, les compatriotes de Ben Laden, les Irakiens et les Jordaniens mijotent dans ce que le jihadiste Michari al-Dhaidi appellera plus tard « la cuisine de Peshawar ». « Dans les sociétés musulmanes, la religion a toujours servi à mobiliser contre une occupation étrangère. Le Front de libération national algérien, d’inspiration marxiste, appelait ses hommes les moujahidine. Mais ce phénomène n’a jamais pris autant d’ampleur qu’en Afghanistan », explique Lemine Ould Mohamed Salem, auteur d’une biographie du Mauritanien Abou Hafs, l’ancien mufti d’el-Qaëda, et de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar.
« Rejoins la caravane »
C’est Abdallah Azzam qui fait tourner le chaudron. Natif d’un village périphérique de Jénine en Cisjordanie, il est le personnage principal de la genèse d’el-Qaëda, celui à qui le mouvement doit sa doxa originelle. « Azzam est le premier à avoir donné une dimension internationale au jihad contemporain, remarque M. Salem. Il est un Palestinien : c’est un fait important. Avant l’Afghanistan, il navigue entre la Cisjordanie, la Jordanie après 1967, Damas, Le Caire, Jeddah. Ses voyages forgent son panislamisme. » Azzam a révolutionné le casus belli du jihad : alors que les Frères musulmans voulaient d’abord prendre la relève des gouvernements arabes, le clerc palestinien donne la priorité à la lutte contre les occupants étrangers, l’« alliance judéo-croisée » aux multiples occurrences dans les interventions ultérieures de Ben Laden. Il substitue à l’idée élitiste d’avant-garde, répandue dans l’école égyptienne, celle de « jihad populaire général ». « Quant à la poignée d’officiers qui pense pouvoir établir une société musulmane, écrit-il dans son manifeste Rejoins la caravane (1987), c’est une illusion et un leurre qui risque de répéter la tragédie que vécut le mouvement islamique sous Gamal Abdel Nasser. » Une référence au groupe al-Jihad, dont la stratégie, inspirée des écrits du frère musulman Sayyid Qutb, tablait sur le coup d’État d’un petit groupe de militants éclairés. « Ces hommes étaient très différents par leurs milieux sociaux. Mais ils avaient un socle commun : ils ont tous fréquenté une université wahhabite ou un univers proche du wahhabisme saoudien, ainsi que les Frères musulmans. Je ne sais pas si les Frères préparent le passage à l’acte radical. Mais pour beaucoup d’entre eux, la confrérie a été une instance de formation politique », observe M. Salem.
Le nerf de la guerre
Dans le domaine de la révolution idéologique, Ben Laden n’est donc qu’un disciple et continuateur de Abdallah Azzam. Mais le Saoudien va procurer à ces nouveaux préceptes le nerf indispensable, ce sans quoi el-Qaëda n’aurait pas donné au XXIe siècle sa borne historique inférieure : de l’argent, beaucoup d’argent. Des groupes à vocation jihadiste aux plumes non moins entraînantes que celle de Azzam ont précédé el-Qaëda, comme le Jihad islamique égyptien (JIE). L’écrasante hauteur financière du Saoudien les a condamnés à s’aligner ou mourir. L’argent aura une importance décisive dans le repositionnement idéologique de Zawahiri, futur successeur de Ben Laden, à l’époque encore émir du JIE. En 1998, ce cacique de l’opposition au régime de Hosni Moubarak s’associera au « Front islamique mondial pour la guerre sainte contre les juifs et les croisés », opérant ainsi un revirement de l’ennemi proche (Le Caire) à l’ennemi lointain (l’Occident judéo-chrétien). Les rangs du JIE étaient rendus exsangues par la campagne d’arrestations du Caire, et l’organisation bataillait sec pour obtenir des financements. Le parapluie financier du Saoudien se mérite à condition de souscription idéologique.
La base de ce parapluie est la fortune de feu son père Mohammad Ben Laden, le « Rockefeller du Moyen-Orient », cinq fois milliardaire. Il y a aussi les dons de ses admirateurs saoudiens et des cœurs conquis par Abdallah Azzam lorsque ce dernier s’en va battre le rappel à travers le monde. Et les dollars distribués de façon libérale par la CIA à la résistance afghane. L’objectif est d’épuiser l’Armée rouge en choyant le jihad. Cette stratégie est payante, les soviétiques se rapprochent de leurs limites. À Peshawar, le temps passe lentement. Le dernier soldat de l’Armée rouge part en février 1989, et avec lui le gros du contingent arabe de Ben Laden. Une voiture piégée tue Azzam la même année, sur le chemin de la mosquée où il devait prononcer le sermon du vendredi. Peu avant de mourir, il aurait eu ces mots : « J’ai l’impression d’avoir 9 ans : 7 ans et demi de jihad afghan et un an et demi de jihad palestinien. Le reste de ma vie ne compte pas. » Dans son Arabie saoudite natale où il est rentré, Ben Laden se morfond dans sa vie de planqué. Le zélote cherche alors une nouvelle cause pour mettre à profit ce réseau tissé en Afghanistan, cette base combattante, « el-Qaëda ».
États amis, États ennemis
Le régime « athée » à Bagdad l’obsède. Lorsque l’armée irakienne envahit le Koweït en 1990, Ben Laden prétend pouvoir aligner une « légion arabe » de 10 000 hommes. Riyad décline et préfère confier la libération du Koweït à une coalition d’armées occidentales sous patronage américain. L’émir d’el-Qaëda prend alors en grippe les Saoud, suppôts de l’« occupation du pays des deux sanctuaires ». Ben Laden tombe sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire, qu’il finit par braver en 1991, grâce aux interventions de membres puissants de sa famille. Il prétexte devoir régler une affaire au Pakistan et ne revient plus.
Du Pakistan, où il a eu vent d’un projet d’attentat contre lui, Oussama Ben Laden part pour le Soudan. Le pays est dirigé depuis le coup d’État de 1989 par le général Omar el-Bachir, mais l’éminence grise est Hassan al-Tourabi, patron des Frères musulmans. Ce dernier donne son feu vert pour que l’émir et sa « cour » débarquent à Khartoum en 1992. La capitale est un sanctuaire pour fugitifs en tout genre. Le JIE d’Aymane al-Zawahiri et le Groupe islamique combattant libyen (GICL) y coulent des jours heureux. Depuis sa villa de la rue el-Meshtal, en plein quartier résidentiel, l’émir d’el-Qaëda finance et dispense ses bons conseils aux jihadistes algériens, égyptiens ou yéménites, ainsi qu’au pouvoir en place à Khartoum dans sa guerre contre les chrétiens et animistes du Sud. Il ne se cache pas. Ceux qui le cherchent finissent par savoir. Il y fait brillamment des affaires : Ben Laden possède plusieurs entreprises de BTP, en vue sur les marchés publics.
Le borgne
C’est durant la période soudanaise qu’el-Qaëda émerge en tant que « marque ». Une marque qui assure aujourd’hui au groupe une survivance morale alors que son chef charismatique est mort. Le groupe met en orbite d’autres formations jihadistes dont les cadres ont fait leurs dents sur le front afghan. L’un d’eux est un Algérien, Mokhtar Belmokhtar. De son passage en Afghanistan, il garde une trace indélébile : un éclat d’obus lui a balafré l’œil droit. « Le borgne », c’est son surnom, rentre tardivement en Algérie, en 1992. Son pays s’est transformé en son absence. Un mouvement de libéralisation a permis au Front islamique du salut (FIS) de devenir la principale force politique au premier tour des élections législatives de décembre 1991, après plus de 20 ans de parti unique socialisant. Moins de quinze jours après les résultats, les blindés encerclent Alger. Cinq mois angoissants s’écoulent, durant lesquels le président démissionne et son remplaçant est assassiné. Finalement, en juillet, les principaux chefs du FIS sont jetés en prison. Leurs partisans prennent le maquis.
Dans son manifeste Cavaliers sous l’étendard du Prophète (2001), Zawahiri consacre quelques mots à l’épisode qui enclencha la guerre civile algérienne. Il « montra aux musulmans que l’Occident est non seulement impie, mais aussi menteur et hypocrite. Car le FIS s’était comporté selon sa doctrine : il voulut passer par les urnes pour pénétrer dans les palais présidentiels et les ministères mais, à leurs portes, l’attendaient des chars d’assaut, qui pointaient leurs canons bourrés de munitions françaises vers ceux qui avaient oublié les règles de la lutte entre le bien et le mal ». Pour Bernard Rougier, auteur de l’Oumma en fragments, « el-Qaëda se sert du coup d’État militaire en Algérie pour dénigrer la stratégie légaliste des Frères musulmans et recentrer la lutte sur l’Occident lointain. Cavaliers sous l’étendard du prophète est le texte qui accompagne le 11-Septembre ».
Belmokhtar a rejoint les maquisards et fonde la Brigade des martyrs, rattachée au Groupe islamique armé (GIA), nouvel avatar militaire du FIS. Ses faits d’armes acquièrent une petite notoriété. Mais le GIA est mal en point. Pour lui donner un nouveau souffle, le borgne veut placer l’organisation sous l’étendard d’el-Qaëda. Les premiers contacts auraient été noués en 1994. Ben Laden met la main au portefeuille, moyennant un « redressement salafiste ». Car le GIA plonge l’Algérie dans ses années noires, culminant avec l’intronisation de Antar Zouabri. Ce dernier promulgue en 1996 une fatwa qui apostasie tout individu se soustrayant au jihad. Des civils sont massacrés à ce titre. Ben Laden dépêche un émissaire qui arrive en Algérie au premier semestre de 1998, avec pour mission de mettre au pas le jihad local. La majorité des brigades affiliées au GIA de Zouabri font scission et fondent le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). El-Qaëda et les Algériens en restent là. On les retrouvera plus tard, au début de l’année 2007.
Coming out
1996, année moins 5 : Ben Laden et ses compagnons doivent reprendre la route. L’idylle avec Khartoum est finie. En février 1993, un camion piégé a explosé dans les sous-sols de la tour nord du World Trade Center. Le cerveau de l’attentat est un vétéran pakistanais d’Afghanistan, Khaled Cheikh Mohammed. Six mois après, le département d’État américain inscrit le Soudan sur la liste des États parrainant le terrorisme. Omar el-Bachir est contrarié. Sa carrière se portait bien. Sous la pression de Mouammar Kadhafi, le GICL doit plier bagage. Puis c’est tous les sbires libyens de Ben Laden qui sont déclarés persona non grata. La bande retourne donc à son premier amour, le Pakistan. C’est là, en 1996, que Cheikh Mohammed et Ben Laden se seraient rencontrés pour la première fois. Le Pakistanais est promu chef des opérations spéciales. Cheikh Mohammed insiste auprès de l’émir sceptique sur la faisabilité du 11-Septembre.
Pendant que le commando de pirates soigneusement sélectionnés par l’émir s’entraîne, le mouvement est en route vers son apogée opérationnelle. Jusqu’en 1998, el-Qaëda est une « base » au sens base de données combattantes, dans la droite ligne du BSM : l’organisation finance, supplée et « aimante » idéologiquement des groupes préexistants, mais ce sont ces derniers qui sévissent sur le terrain. C’est au tournant de 1998 qu’el-Qaëda acquiert pleinement son second sens, « la norme ». Les attentats perpétrés quasi simultanément contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar es-Salam le 7 août sont la seule volonté d’Oussama Ben Laden. Ils révèlent au monde son identité opérationnelle : son modus operandi, ses cibles, son mépris des vies civiles.
Retour aux sources
Cet âge d’or prend fin vers 2002. Deux mois après le nuage de fumée qui a embrumé les écrans de télévision du monde entier, un matin de septembre, une vaste coalition de plusieurs pays vient chasser les hôtes talibans d’el-Qaëda en Afghanistan. Ben Laden somme ses troupes d’évacuer les lieux. Certains fuient en Iran, dont le mufti Abou Hafs et une partie des quatre épouses et des dizaines d’enfants de Ben Laden. Ils y sont cordialement accueillis, hébergés, puis suivis, retenus et un jour jetés en prison. De la prison, ils passent en résidence surveillée. Une passoire. Une des filles de Ben Laden s’échappe lors d’une virée shopping surveillée dans un centre commercial de Téhéran. Abou Hafs l’imite et trouve refuge auprès de l’ambassade mauritanienne. Il passe aujourd’hui sa retraite dans un quartier résidentiel de Nouakchott peuplé de gens du cru. Ben Laden, lui, est abattu en 2011 dans sa villa à Abottabad (Pakistan). La ville abritait l’Académie militaire nationale. Ainsi donc, l’émir vivait entouré d’élèves officiers pakistanais.
La mort du Saoudien fait entrer el-Qaëda dans un nouveau cycle de vie : le corps de l’organisation « al-Qaëda maison mère » s’affaiblit avec le dronage de plusieurs de ses cadres, mais son esprit est amalgamé avec des « filiales ». C’est un retour aux sources de ce qu’était el-Qaëda pendant la décennie qui a suivi sa création. Caractériser cette évolution est une question de point de vue : affaiblissement ou résilience. Ce repli stratégique est consacré en janvier 2007 avec l’adoubement du GSPC de Belmokhtar, qui devient el-Qaëda au Maghreb islamique (AQMI), et la fusion deux ans plus tard entre les cellules jihadistes saoudiennes et yéménites au sein d’el-Qaëda dans la péninsule Arabique (AQPA). « Les franchises se sont autonomisées. Mais des sortes d’audits sont accomplis par le commandement général de Zawahiri. Un émissaire avait par exemple été envoyé auprès du Fateh el-Islam au Liban, et la consultation s’était mal passée, explique Bernard Rougier. Dans ses dernières lettres, Ben Laden insiste pour qu’el-Qaëda reste clandestin. Ces dernières volontés n’ont pas été respectées. Les franchises s’enracinent dans le tissu local, concluent des alliances matrimoniales avec les tribus sur place. Ces dernières font simplement des calculs d’intérêt. Si ces calculs se modifient, elles peuvent se retourner contre el-Qaëda. » En Syrie, qui était une terre de jihad prometteuse, les dernières ramifications du groupe ont été désavouées par la maison mère sur des divergences stratégiques. Elles comptent leurs jours, encerclées par le régime à Idleb. Mais comme à Tombouctou et à Gao au Mali ou Zinjibar au Yémen, le contrôle territorial n’est qu’une parenthèse de leur histoire.
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