Depuis l’arrestation en 2008 du célèbre trafiquant d’armes russe, puis sa condamnation en 2012 aux États-Unis à vingt-cinq ans de prison, Moscou n’a cessé de demander sa libération. Il vient d’être échangé contre la basketteuse américaine Brittney Griner.
Qui se cache derrière Viktor Bout, ce « marchand de mort » devenu un véritable mythe dans le milieu des trafics d’armes pendant des décennies ? Depuis son arrestation en Thaïlande en 2008, son extradition aux États-Unis à l’issue de deux ans de bataille diplomatico-juridique et sa condamnation en 2012 à vingt-cinq ans de prison, Moscou cherchait par tous les moyens à le récupérer.
Sa libération, jeudi 8 décembre, en échange de la basketteuse américaine Brittney Griner détenue en Russie depuis de longs mois, ravive des interrogations anciennes sur la véritable profession de cet ancien élève de l’Institut des langues étrangères à Moscou qui, dans sa cellule américaine, gardait une photo de Vladimir Poutine.
Lord of War
Ce moustachu au charisme indéniable, qui a inspiré le héros du thriller hollywoodien Lord of War (2005), avec un Nicolas Cage campant un trafiquant d’armes des plus cyniques, avait toutes les caractéristiques d’un espion professionnel. À Moscou, à l’Institut des langues étrangères, il a formé les officiers de renseignement militaire.
Viktor Bout s’est toujours présenté en simple homme d’affaires. Très vite, multipliant les sociétés écrans pour transporter les armes, il a aidé les hauts gradés soviétiques à se faire de l’argent en bradant le matériel de leurs unités. Profitant de la surabondance d’armes soviétiques abandonnées à la chute de l’URSS, il a alimenté une série de guerres civiles fratricides, notamment en Afrique. De fait, Viktor Bout entretenait des liens avec toutes sortes de groupes rebelles ou d’États voyous – et donc avec les gouvernements qui, en coulisse, les soutenaient.
Pour son commerce, comme pour ses hypothétiques missions politiques, Viktor Bout disposait d’un atout fort, propre aux membres des services d’espionnage : polyglotte, il parle huit langues. Et une autre grande spécialité : les avions militaires. Outre les langues étrangères, Viktor Bout a fait des études d’aéronautique puis rejoint l’armée de l’Air. Plus tard, son commerce des vieux avions soviétiques Antonov et Tupolev fait sa fortune. Il exploite jusqu’à soixante appareils, opérés par des pilotes russes capables de se poser n’importe où.
« Dieu sait la vérité »
Fort de sa propre flotte d’avions-cargos, il livre des armes à travers le monde entier. Un trafic qui n’a pas pu être mené à bien sans relations politiques au plus haut niveau et autres couvertures des services de renseignement. Déjouant les embargos internationaux, Viktor Bout a vendu à tous les mouvements rebelles de la planète, en particulier en Afrique. Mais aussi en Afghanistan où il aurait équipé à la fois les insurgés talibans et leurs ennemis de l’Alliance du Nord pro-occidentale.
En 2008, Viktor Bout finit par être arrêté en Thaïlande, piégé par des agents américains. Il est jugé aux États-Unis pour « soutien aux terroristes », « complot en vue de tuer des Américains », « trafic d’armes et blanchiment d’argent ». Les procureurs réclamaient la perpétuité. Il est finalement condamné à New York en avril 2012 à vingt-cinq ans de prison.
« Je ne suis pas coupable, je n’ai jamais eu l’intention de tuer qui que ce soit, je n’ai jamais eu l’intention de vendre des armes à qui que ce soit », se défend-il alors. Avant d’insister : « Dieu sait la vérité. »
Visiblement, le ministère russe des affaires étrangères connaissait aussi la vérité. Il n’a cessé d’œuvrer pour obtenir son retour en Russie. C’est désormais chose faite.
Benjamin Quénelle, correspondant à Moscou (Russie),
Dix-sept députés européens demandent à Ursula von der Leyen et à l’Union européenne de réviser l’Accord d’association avec l’Algérie, au motif qu’elle apporterait un « soutien politique, logistique et financier » à la Russie dans la guerre contre l’Ukraine.
Les 17 députés signataires (élus de Lituanie, France, Danemark, Estonie, Suède, Bulgarie, Finlande, Pologne, Hongrie et Slovaquie) énumèrent ainsi les éléments qui attestent du soutien supposé de l’Algérie à la guerre que Vladimir Poutine mène en Ukraine.
Alger s’abstient encore à l’ONU
Alger s’est, tout d’abord, abstenu de voter la résolution de l’ONU du 2 mars 2022 qui « exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Elle n’a pas non plus, ajoutent les signataires, voté le 7 avril la décision de L’Assemblée générale des Nations unies de suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme (CDH). Le 12 octobre, l’Algérie s’est encore une fois abstenue de voter la résolution sur l’annexion « illégale » de quatre régions ukrainiennes par la Russie. Pour les 17 eurodéputés, toutes ces abstentions sont des signes qu’Alger soutient « les aspirations géopolitiques de la Russie ».
À l’appui de leur demande, les signataires de la pétition indiquent aussi que l’Algérie compte « parmi les quatre premiers acheteurs d’armes russes dans le monde, avec notamment un contrat d’armement de plus de 7 milliards de dollars en 2021 » (6 milliards d’euros à cette date) et que « ce transfert militaire a fait de l’Algérie le troisième plus grand bénéficiaire d’armes russes dans le monde ». Tout afflux d’argent à la Russie ne peut que renforcer sa machine de guerre en Ukraine, ajoutent les signataires.
Pour les 17 députés européens, l’Algérie apporte ainsi son soutien financier à l’agression contre l’Ukraine, ce qui constitue une violation de l’article 2 de l’Accord d’association de 2005, qui stipule que « le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme, tels qu’énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel du présent accord ».
Les signataires exhortent en conséquence l’UE à prendre des mesures pour s’assurer que ses partenaires ne soient pas tentés de financer le gouvernement russe par l’achat d’équipements militaires. Ils demandent également que l’Union européenne réclame à l’Algérie la signature et la ratification du traité sur le commerce des armes, qui réglemente le commerce international des armes classiques (entré en vigueur le 24 décembre 2014).
Un contrat qui n’existe pas
Problème : en appuyant leur démonstration sur l’existence d’un contrat d’achat d’armements de 7 milliards de dollars signé avec Moscou en 2021, les 17 députés européens reprennent en fait une vieille information déjà utilisée par le sénateur républicain Marc Rubio, ancien candidat à l’investiture de son parti face à Donald Trump, au mois de septembre. Un mois plus tard, un groupe de 27 élus du Congrès reprenaient à leur compte le même argument pour demander au secrétaire d’État Antony Blinken de prendre des sanctions contre certains responsables algériens qu’ils accusaient d’achats massifs d’armes auprès de la Russie.
Or Alger et Moscou n’ont paraphé, en 2021, aucun contrat d’armement de 7 milliards de dollars. Le montant total des exportations d’équipements de la Russie vers l’Algérie pour cette année-là étaient de 985 millions de dollars, selon un rapport conjoncturel du Service fédéral des douanes russe rendu public en septembre 2021. Et de 2 milliards de dollars en 2020. Si la Russie reste bien le principal fournisseur en armement de l’Algérie, jamais les deux pays n’ont signé un montant d’une telle ampleur en une année.
Après des années de négociations, Vladimir Poutine avait par ailleurs accepté, en mars 2006, de convertir la dette militaire de 4,5 milliards de dollars que l’Algérie avait contractée auprès de l’URSS dans les années 1960 et 1970. En échange, Alger avait accepté de signer un contrat de 3,5 milliards de dollars comprenant l’achat de différents équipements militaires, dont 28 chasseurs Sukhoi SU-30 MKI, 40 chasseurs MiG-29 SMT, 8 groupes de missiles antiaériens S-300 PMU et 40 chars T-90.
La Cour pénale internationale devra établir si les viols commis par les soldats russes en Ukraine constituent des crimes contre l’humanité. En attendant, bien des obstacles demeurent pour rendre justice aux victimes.
En ce début juillet, il fait près de 40 °C dans la petite voiture qui emmène Mmes Tatiana Zezioulkina et Lyudmila Kravchenko près de la frontière biélorusse. « On va à Yahidne, un village occupé par les Russes pendant presque un mois, explique la première. Trois cent cinquante personnes ont été retenues de force dans le sous-sol de l’école. Et on pense que des viols y ont été commis. » Les deux militantes, membres du Réseau international d’entraide des survivantes de crimes sexuels en période de conflit armé (SEMA), sont ici pour enquêter. À l’école, abandonnée, vitres brisées, le gardien raconte : « Ils ont réclamé, oui, mais on n’a pas donné nos femmes aux soldats. » Une femme les approche, hésitante. Elle confie avoir trouvé des préservatifs chez elle après la libération et finit par donner le nom de deux victimes.
Dès fin mars, quelques semaines après le début de la guerre, alors que les forces ukrainiennes commencent à libérer des villages occupés — Boutcha, Irpin et d’autres —, les récits de viols commis par les forces russes sur des civils émergent sur les réseaux sociaux et dans la presse : le calvaire de cette mère violée pendant deux semaines devant sa fille ; ce garçon de 11 ans violé devant sa mère ; ces deux adolescentes violées par cinq soldats qui leur ont aussi fracassé les dents… Le président Volodymyr Zelensky parle début avril de « centaines de cas rapportés ». Représentants des Nations unies, dirigeants européens et américains s’indignent, réclament des enquêtes et des investigations poussées. Pour la première fois, à ce niveau, on parle du viol comme « arme de guerre » en Ukraine.
Si le viol dans la guerre a toujours existé, sa reconnaissance comme outil de la guerre s’est affermie ces dernières décennies. Une autorité politico-militaire peut en effet l’utiliser de manière stratégique pour humilier, détruire, prendre le pouvoir ; il est employé surtout sur les femmes, mais sur les hommes aussi. C’est avec le conflit en ex-Yougoslavie que le viol commence à être reconnu comme une arme. Il sera puni pour la première fois en tant que crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY, 2001) et comme acte de génocide par son homologue pour le Rwanda (tpir, 1998). Depuis 2002, viols et violences sexuelles sont intégrés dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur lesquels la Cour pénale internationale (CPI) peut statuer.
Les défenseurs des droits humains relèvent une forme d’inaction
Les instances qui se pencheront sur les crimes commis pendant le conflit ukrainien auront à juger des viols commis depuis l’invasion russe de février 2022. Mais pas seulement. En décembre 2020, la CPI déclarait déjà qu’il y avait de « sérieuses bases » pour croire que de nombreux crimes de guerre avaient été commis en Ukraine depuis 2014 — date de l’annexion de la Crimée par la Russie — y compris des viols et violences sexuelles (1).
En 2015, Mmes Zezioulkina et Kravchenko sont détenues plusieurs jours dans le Donbass par un bataillon pro-ukrainien (baptisé Tornado), et sont victimes d’attouchements et de menaces de viol. À cette période en effet, alors que les positions des belligérants sont très mouvantes dans l’est de l’Ukraine et que les structures étatiques se sont effondrées, les violences sexuelles sont couramment pratiquées des deux côtés de la ligne de front, aux abords des checkpoints ou en détention — par les bataillons armés et les services secrets côté pro-ukrainien ; par des milices et des membres du « ministère de la sécurité » côté séparatiste et même des membres des services de sécurité russes (FSB) présents sur le terrain. Viols avec objets, viols collectifs, menaces, nudités forcées, électrocutions des parties génitales sont perpétrés dans le but d’humilier, d’intimider, de punir, d’obtenir des informations, voire, côté séparatiste, d’extorquer des biens ou de l’argent.
Selon la mission onusienne de surveillance des droits humains en Ukraine, ces violences n’étaient alors pas utilisées « à des fins stratégiques », mais surtout comme méthodes de torture (2). Elle estime, dans un rapport de 2021, à environ 340 (depuis 2014) le nombre de victimes de violences sexuelles en détention, soit entre 170 et 200 côté séparatiste et entre 140 et 170 côté ukrainien. Des chiffres sous-évalués notamment dans les républiques séparatistes et en Crimée où la mission des Nations unies n’a pu se rendre depuis huit ans. Selon de nombreux chercheurs travaillant sur la base de témoignages d’anciens détenus, tortures et mauvais traitements ont cours quotidiennement dans diverses prisons côté séparatiste, rappelant, par leur systématisme, des méthodes employées dans l’univers carcéral russe (3). Certains les qualifient d’outils de contrôle politique de ces territoires.
Le parcours de Mme Iryna Dovgan, fondatrice du réseau SEMA (en Ukraine), illustre les difficultés auxquelles se heurtent les victimes qui souhaitent obtenir justice. Capturée par un groupe séparatiste au printemps 2014 près de Donetsk, elle est agressée, attachée à un poteau et humiliée en place publique, déshabillée, frappée sur les seins, menacée de viols. « Et encore, je ne dis que 5 % de ce qu’ils m’ont fait… », confie cette femme de 60 ans dans le jardin de sa maison près de Kiev. Mme Dovgan obtient l’aide d’un avocat en 2016. Elle est interrogée en 2017 par un procureur militaire, mais son dossier est ensuite égaré pendant plusieurs années. Ce n’est qu’en 2021, après une conférence de presse qu’elle organise pour présenter le réseau SEMA, que le bureau de la procureure générale ouvre une procédure… dont Mme Dovgan n’a aucune nouvelle à ce jour.
Même si les autorités ukrainiennes ont ouvert plus de 750 enquêtes sur des crimes commis envers les civils entre 2014 et 2020 par leurs propres forces armées, plusieurs rapports de défenseurs des droits humains relèvent une forme d’inaction. « Rien n’a été fait pour que justice soit rendue aux victimes de disparitions forcées, d’actes de torture et de détention illégale aux mains de membres du SBU [services de renseignement ukrainiens] dans l’est de l’Ukraine entre 2014 et 2016 », déplore ainsi Amnesty International en 2021 (4). Dans un procès-test pour la démocratie ukrainienne, des membres du bataillon pro-ukrainien Tornado ont toutefois été jugés en 2016 pour leurs exactions commises dans le Donbass, dont des viols. À l’époque, le procès, à huis clos, échauffe les esprits. Violences et menaces ont lieu dans et en dehors de la cour par les soutiens des paramilitaires pour intimider l’appareil judiciaire. Huit anciens combattants écopent de peines allant de huit à onze ans de prison. Aucun, cependant, n’a été condamné pour crimes de guerre, alors que des faits auraient pu être qualifiés comme tels. La législation ukrainienne sur les crimes de guerre, couverts par l’article 438 du code criminel notamment, ne détaille pas les crimes sexuels, ce qui complique le travail des magistrats, souvent mal formés sur le sujet. D’autant plus que, jusqu’en 2019, les viols avec objets, par sodomie ou entre personne de même sexe par exemple, n’étaient pas considérés comme tels par la loi, modifiée depuis pour s’aligner sur les standards internationaux.
« Dans les villages, les jeunes femmes ont peur de ne jamais pouvoir se marier »
Un défi se pose aujourd’hui en Ukraine pour mieux accompagner les victimes de violences sexuelles, qui seraient désormais commises en masse et utilisées comme « tactique de domination politique et militaire par les forces russes », analyse Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et spécialiste des crimes de guerre. Pour Mme Matilda Bogner, représentante de la mission de surveillance des Nations unies en Ukraine, l’ampleur serait « significativement plus importante que ce qui s’est passé dans la première phase du conflit ». Sa mission comptabilise déjà plusieurs dizaines de cas de violences sexuelles par les forces armées russes. Des viols sur des hommes, femmes ou enfants, perpétrés souvent devant d’autres membres de la famille ou de la communauté. Des viols en général collectifs pour les femmes et commis en détention pour les hommes. « Toutes les femmes que je défends sauf une ont été violées par plusieurs soldats, trois en moyenne », confie Mme Larysa Denysenko, avocate ukrainienne spécialisée en droit international humanitaire.
Courant juillet, le bureau du procureur général ukrainien confirmait enquêter sur quarante-trois dossiers de violences sexuelles commises par les forces russes en Ukraine. Mais ce chiffre ne reflète pas la réalité, explique M. Oleksandr Pavlichenko, de Helsinki Human Rights Union (UHHRU), en rappelant que beaucoup de victimes ont fui le pays et que la stigmatisation reste particulièrement forte « dans les villages, où les jeunes femmes ont peur de ne jamais pouvoir se marier » : « Elles se disent aussi que les coupables ne seront jamais punis. »
Les victimes sont peut-être devenues encore plus méfiantes après l’affaire Lioudmila Denisova, du nom de l’ancienne commissaire aux droits humains à Kiev, qui avait dénoncé environ quatre cent cinquante cas de viols identifiés via sa hotline créée juste après le début de la guerre, en publiant des détails, parfois très crus, sur ses réseaux sociaux. Fin mai 2022, quelques jours après son renvoi par le président, elle a reconnu dans la presse avoir « exagéré » certains des témoignages (5) pour toucher les politiciens et l’opinion occidentale. Une source membre d’une organisation non gouvernementale (ONG) à Kiev et qui connaît bien le dossier ne cache pas sa déception : « Parmi ces cas, il y en a de véritables bien sûr, mais cette utilisation politique des violences sexuelles est très problématique. Elle a sans doute fait ça pour provoquer la société, pour venger ces crimes et obtenir plus d’armes. En fait, cela donne surtout une arme très puissante à la propagande russe et fait peur aux victimes. »
De nombreux observateurs sur place — notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (6) — considèrent que les viols y sont utilisés comme arme de guerre et pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité. Mi-octobre, la représentante spéciale de l’ONU Pramila Patten, en charge des violences sexuelles commises en période de conflit, parle d’une « stratégie militaire » et d’une « tactique délibérée pour déshumaniser les victimes », se basant sur les témoignages de femmes évoquant notamment « des soldats russes équipés de Viagra ». « On ne trouvera sûrement jamais d’ordre écrit de la part de Poutine pour dire : “Il faut violer toutes les Ukrainiennes” », explique Mme Larysa Denysenko. Mais, selon cette avocate, cela n’invalide pas la responsabilité de la chaîne de commandement. « Personne ne leur dit d’arrêter », avance-t-elle, avant de rappeler que M. Vladimir Poutine a décoré de médailles militaires la 64e brigade de fusiliers motorisés, auteurs présumés des exactions commises à Boutcha — dont des viols.
Pour expliquer en partie ces violences, l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe pointe la « tromperie » initiale de cette guerre, avec des troupes auxquelles on a promis une mission « pour sauver les populations russophones des nazis », mais qui ont en fait rencontré le rejet des populations locales. « Le sens même de cette guerre est donc mis en défaut et, si on ajoute la fréquence des viols de bizutage au sein de l’armée et l’abandon de leur hiérarchie sur le terrain, cela crée les conditions pour des exactions de masse. »
Les enquêteurs nationaux et internationaux vont devoir patiemment rassembler les pièces du puzzle pour pouvoir juger les coupables. Sachant que la CPI ne traitera que les cas les plus retentissants, de nombreux défenseurs des droits humains plaident pour la création d’un tribunal hybride regroupant des magistrats ukrainiens et internationaux. Mais, en attendant, c’est la justice ukrainienne qui se trouve aux manettes. Il y a donc urgence, selon Mme Oleksandria Matviitchouk, de modifier le code criminel. La directrice du Centre pour les libertés civiques (une ONG ukrainienne qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2022) se bat depuis plusieurs années pour faire passer le projet de loi 2689, qui détaille beaucoup plus concrètement les crimes de guerre et contre l’humanité susceptibles d’être punis, notamment les violences sexuelles. Ratifié par le Parlement en 2020, ce texte attend depuis la signature du président Zelensky. « Les militaires s’opposaient à ces changements, éclaire M. Pavlichenko, de l’UHHRU. Avec la guerre, ils sont devenus des héros. Il n’y a donc pas de volonté politique pour le moment. » « C’est le silence », résume Mme Matviitchouk.
Ilioné Schultz
Journaliste.
(1) « Statement of the prosecutor, Fatou Bensouda, on the conclusion of the preliminary examination in the situation in Ukraine », 11 décembre 2020.
(2) « Conflict-related sexual violence in Ukraine 14 March 2014 to 31 January 2017 » (document Microsoft Word), Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, www.ohchr.org
(3) Jean-Baptiste Naudet, « Viols, sévices, humiliations : l’effroyable système de torture dans les prisons russes », Nouvel Obs, Paris, 12 décembre 2021.
(5) Matthias Bau et Sophie Timmermann, « Reports of sexual violence in the war : Why the Ukrainian parliament dismissed human rights chief Denisova », Correctiv, 11 août 2022.
(6) « OSCE Secretary General condemns use of sexual violence as weapon of war, urges for international support to survivors », Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, 19 juin 2022, www.osce.org
Les soldats algériens s'exercent avec leurs homolgues russes.
Les forces antiterroristes algériennes et russes organisent un exercice commun en Algérie, le premier de leur histoire. Le Maroc, à la frontière duquel s'organisent les manœuvres, est tacitement visé.
L'Algérie et la Russie commencent ce mardi 15 novembre un exercice militaire conjoint, à proximité de la frontière marocaine, dans un contexte de tensions avec le Maroc et de guerre en Ukraine. "Bouclier du désert", qui rassemble 200 soldats des forces antiterroristes russes et algériennes, est le premier exercice des deux pays sur le territoire algérien.
Un exercice inédit
Ces manœuvres conjointes sont organisées dans la région de Béchar, à proximité du Maroc, bien que selon le JDD, la porte-parole des Affaires étrangères russes a indiqué que ces manœuvres conjointes "ne visent aucun pays tiers".
Le quartier général des opérations sera situé à Hammaguir, où les forces françaises se sont maintenues conformément à l'accord d'Evian jusqu'en 1967, et ont pu organiser des tirs de missiles et fusées. De l'autre côté de la frontière, le Maroc a organisé en juin les manœuvres Africa Lion, avec la participation d'Israël, de membres de l'Otan et des Etats-Unis, au sein du plus grand exercice jamais organisé dans le pays.
Des relations de plus en plus étroites
Les deux pays avaient déjà organisé des manœuvres navales conjointes en octobre 2022 au large d'Alger, tandis que l'Algérie avait participé aux exercices militaires Vostok 2022, dans l'est de la Russie.
La coopération russo-algérienne se prolonge également sur le plan industriel, l'Algérie important un nombre considérable d'équipements russe à la faveur de la hausse de 130 % de son budget de défense en 2021. Nos confrères de France info rapportent qu’un contrat de plus de 11 milliards serait en préparation, pouvant concerner l'achat de chasseurs russes Soukhoi Su75. De manière plus générale, 80 % des équipements militaires importés depuis 2017 viennent de Russie.
Le Sahara Occidental dans la balance
La Sahara Occidental, région de 600 000 habitants un temps colonisée par l'Espagne, tend les relations entre les deux pays. Après la décolonisation espagnole, le Maroc a revendiqué et occupé cette région désertique, mais l'Algérie s'est mise pour sa part à appuyer le Front Polisario, groupe revendiquant l'indépendance du Sahara Occidental. Le front Polisario occupe aujourd'hui une petite partie de la région à l'Est, mais les Etats-Unis ont reconnu l'appartenance de cette région au Maroc. Son statut international est aujourd'hui toujours dans la balance.
La position d'Alger, qui traite directement avec Moscou, est cependant facilitée par la guerre en Ukraine : les réserves d'hydrocarbures du pays en font un partenaire à ménager pour les pays européens.
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https://www.laPublié le , mis à jour depeche.fr/2022/11/15/pourquoi-larmee-russe-organise-t-elle-des-exercices-militaires-en-algerie-10803802.php
Le groupe paramilitaire proche du Kremlin tente d’instiller la terreur avec des images terribles.
« Je suis Evgueni Anatolievitch Noujine, né en 1967. J’ai rejoint le front dans le but de passer du côté ukrainien et de me battre contre les Russes. Le 4 septembre, j’ai mis en œuvre mon plan. Le 11 novembre, dans une rue de Kiev, j’ai reçu un coup sur la tête et j’ai perdu connaissance. Je me suis réveillé dans cette cave où on m’a indiqué qu’on allait me juger. »
L’homme qui parle a le visage attaché à une brique par du film plastique. Il a à peine le temps de terminer sa phrase qu’un violent coup de masse s’abat sur sa tempe. Il est ensuite achevé au sol d’un second coup.
La vidéo est apparue dimanche 13 novembre sur une chaîne Telegram proche du groupe de mercenaires Wagner. « Le traître a reçu la punition traditionnelle wagnérienne », dit le commentaire. Depuis l’exécution en 2019 d’un déserteur de l’armée syrienne, démembré et brûlé, la masse ressemble presque à une signature pour cette société militaire privée qui a exporté ses méthodes brutales dans le monde entier.
Le visage ceint de plastique n’est pas inconnu. Après sa reddition, Evgueni Noujine avait donné plusieurs entretiens à des médias ukrainiens, affirmant parler librement. Il y racontait son parcours : emprisonné depuis 1999 pour meurtre et tentative d’évasion, l’homme avait saisi la possibilité d’une sortie de prison en rejoignant les rangs de Wagner ; surtout, il affirmait avoir eu l’intention dès le début de déserter pour combattre du côté de l’Ukraine, « victime » d’une agression russe.
A l’époque, ce récit avait été contesté. L’homme, ancien du ministère de l’intérieur, purgeait sa peine dans une prison réputée privilégiée. Il affichait sur les réseaux sociaux un franc soutien à « l’opération spéciale » – et sur le torse un tatouage de croix gammée.
Dissuader les désertions
Pour Wagner, ces interrogations sont secondaires. La priorité semble de dissuader les désertions et les refus de combattre, qui touchent toute l’armée. Le groupe avait déjà laissé entendre il y a quelques jours avoir exécuté l’un de ses combattants, ne filmant cette fois que l’interrogatoire du soldat au visage tuméfié.
Par cette exécution publique, Wagner et son patron, Evgueni Prigojine, montrent aussi que tout leur est permis, y compris sur le sol russe, y compris contre des Russes. M. Prigojine a ainsi clairement revendiqué les faits, dimanche, avec l’ironie glaçante dont il est coutumier : « Il n’a pas trouvé le bonheur en Ukraine et a fini par rencontrer des gens durs mais justes. Ce film devrait s’appeler “une mort de chien pour un chien”. Excellente réalisation, qui se regarde d’un souffle. Aucun animal n’a souffert durant le tournage. »
Le comité d’enquête, institution d’ordinaire prompte à déclencher des investigations à tout sujet, n’avait pas réagi, lundi. Le porte-parole du Kremin, Dmitri Peskov, a lui aussi refusé de commenter : « Nous ne savons pas dans quelle mesure cela correspond à la réalité et ce n’est pas notre affaire. »
L’épisode pose aussi question quant à l’attitude de Kiev. L’idée que Noujine aurait été enlevé en pleine rue suscite des doutes. Les observateurs russes penchent plutôt pour un échange de prisonniers. L’un d’eux a bien eu lieu le 11 novembre, avec 45 Ukrainiens rendus et aucune précision donnée côté russe. Certaines sources vont jusqu’à affirmer que Noujine a été échangé contre vingt Ukrainiens détenus par Wagner.
Pour l’Ukraine, l’indépendance énergétique se joue dans les coulisses du conflit
Les affrontements entre Russes et Ukrainiens autour de la centrale de Zaporijia ont ravivé le spectre d’une catastrophe nucléaire, et conduit l’Agence internationale de l’énergie atomique à dénoncer une situation « intenable ». Dans son dernier ouvrage, le journaliste Marc Endeweld montre pourquoi le nucléaire représente dans ce conflit un enjeu énergétique autant que stratégique.
Au cours d’un échange téléphonique avec son homologue français le 11 septembre 2022, le président russe Vladimir Poutine renouvelle sa mise en garde au sujet de la situation de la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande d’Europe, située près de la ville d’Energodar sur les rives du Dniepr, le fleuve qui partage à cet endroit la ligne de front. Le même jour, on apprend que l’ensemble des six réacteurs de mille mégawatts ont été mis à l’arrêt.
Tout au long de l’été, Russes et Ukrainiens se sont renvoyé la responsabilité des bombardements sur le site et autour. Ainsi, peu de temps après l’appel téléphonique entre les deux présidents, Moscou dénonce publiquement jusqu’à vingt-six bombardements ukrainiens sur la zone. De son côté, Kiev accuse son adversaire de positionner des armes lourdes au sein de la centrale et de procéder à des tirs vers la rive opposée du Dniepr, sous contrôle de l’Ukraine. Si début août le président Volodymyr Zelensky menace de répliquer à ces attaques russes, certains de ses soldats ne l’ont pas attendu. Le 19 juillet, au moyen de drones de petite taille, ils s’en prennent aux soldats russes présents sur le site : « L’armée ukrainienne harcèle les forces occupantes jusqu’à l’intérieur de la centrale », commente Le Monde (1). Le 19 septembre, un bombardement russe touche un bâtiment situé à trois cents mètres d’un des réacteurs d’une autre centrale nucléaire, « Ukraine du Sud », dans l’oblast de Mykolaïv.
La convention de Genève (protocole II), ratifiée en 1977 par l’Ukraine et la Russie (alors toutes deux dans l’Union soviétique), interdit pourtant les attaques contre des sites nucléaires : « Les ouvrages ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales électriques nucléaires, ne doivent pas faire l’objet d’une attaque. »
L’occupation par l’armée russe de la centrale de Zaporijia intervient tôt dans la guerre opposant la Russie à l’Ukraine : le 4 mars. Dès le premier jour de l’invasion, qui a lieu le 24 février, les troupes aéroportées russes prennent le contrôle de la centrale de Tchernobyl, dont les réacteurs sont à l’arrêt depuis de nombreuses années — le site sera occupé jusqu’au 31 mars. Ce lieu symbolique (du fait de la catastrophe nucléaire de 1986) est hautement stratégique car il abrite de nombreux déchets nécessaires à la fabrication de bombes atomiques. Durant la même période, les forces russes mènent une offensive importante dans la région de Kherson pour tenter de prendre le contrôle de la centrale « Ukraine du Sud ». L’opération échoue. Dès le début de la guerre, M. Poutine fait donc des centrales nucléaires ukrainiennes (quinze réacteurs VVER à eau pressurisée de conception soviétique) un objectif majeur de son « opération militaire spéciale ».
Au printemps dernier, l’occupation de la centrale de Zaporijia suscite les inquiétudes de la communauté internationale. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) demande très tôt qu’une mission d’inspection accède au site. Dans un premier temps, l’Ukraine s’y oppose, de peur, officiellement, de voir l’occupation russe de l’installation légitimée par une institution internationale. Au cours de l’été, un accord est trouvé. Le gouvernement de Kiev obtient que la délégation de l’AIEA transite par les territoires qu’il contrôle pour accéder à la centrale. Tandis que le président Zelensky dénonce à de multiples reprises le « chantage russe » au sujet de la centrale de Zaporijia, le Kremlin convoque en urgence une réunion du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) consacrée exclusivement à cette question.
Un couplage avec le réseau européen
Les uns et les autres jouent avec la peur d’un « nouveau Tchernobyl », et l’AIEA fait l’objet de très fortes pressions des deux belligérants. Kiev veut imposer une « démilitarisation » de la centrale, quand Moscou souhaite que l’Ukraine soit dénoncée comme l’auteure principale des bombardements. Dans son rapport, l’agence internationale demande l’arrêt immédiat des bombardements (sans évoquer l’origine des tirs) et propose l’établissement d’une « zone de protection » autour de la centrale de Zaporijia (sans plus de précisions). Elle estime que la situation est « intenable » et constitue « une menace permanente pour la sûreté et la sécurité nucléaires car des fonctions essentielles à la sûreté du site, en particulier le refroidissement des installations (…), pourraient être touchées » (2). Les inspecteurs de l’AIEA ont constaté de nombreux dégâts à la suite des bombardements : le toit d’un bâtiment où sont entreposées des barres de combustible neuf ainsi que des déchets radioactifs a par exemple été éventré. Ils s’inquiètent aussi des conditions de travail des techniciens ukrainiens, soumis aux pressions de l’armée russe.
Zaporijia ne constitue pas uniquement un enjeu de sûreté nucléaire : la centrale représente un but de guerre à vocation géopolitique. Avant l’occupation russe, les six réacteurs fournissaient 20 % de l’électricité ukrainienne. L’indépendance énergétique de l’Ukraine se joue donc dans les coulisses du conflit, notamment autour de la question du raccordement électrique de la centrale. Lors de sa visite du site, l’AIEA a constaté que de nombreux bombardements avaient ciblé les lignes à haute tension en direction de l’est de l’Ukraine, en partie occupé par les Russes, ainsi que les stations de raccordement et les transformateurs électriques. Le 25 août, la centrale est déconnectée durant quelques heures du réseau ukrainien, et l’Ukraine craint que les Russes ne la raccordent à leur propre réseau. Un détournement d’énergie « inacceptable », dénonce le département d’État américain (3).
Les centrales ukrainiennes, héritées de l’Union soviétique, étaient jusqu’à récemment connectées au réseau électrique de la Russie et de la Biélorussie. L’information est passée sous les radars des grands médias mais, quelques heures avant l’invasion, l’Ukraine a procédé au découplage de son réseau avec la Russie, une phase de « test » décidée plus tôt, mais qui a perduré du fait de la guerre. L’opération a facilité le raccordement du réseau électrique ukrainien avec celui de l’Europe, via la Pologne, en mars 2022. L’idée d’une connexion avec l’Ouest remonte à 2015, quelques mois après l’annexion de la Crimée et le début du conflit au Donbass. Il reçoit le soutien de la France, qui mobilise son gestionnaire Réseau de transport d’électricité (RTE) pour aider les Ukrainiens ainsi qu’Électricité de France (EDF) Trading pour assurer une partie du financement (un total de 2,6 milliards de dollars (4) en partenariat avec les groupes polonais Polenergia et américain Westinghouse). À terme, l’Ukraine souhaite exporter de l’électricité bon marché aux pays européens.
L’une des motivations de M. Poutine pour lancer son « opération militaire spéciale » était en fait de mettre un coup d’arrêt à la volonté des Ukrainiens d’échapper à la tutelle russe sur leur parc nucléaire, un enjeu à la fois énergétique et sécuritaire. Longtemps après la chute de l’URSS, la maintenance et la sûreté des réacteurs VVER en Ukraine, la fourniture en combustible nucléaire et la gestion des déchets ont été assurées par les Russes (les pièces détachées des centrales proviennent de Biélorussie), comme pour tous les réacteurs de ce type en Europe. Jusqu’alors, le cycle nucléaire en Ukraine se décomposait ainsi : le Kazakhstan fournissait l’uranium, celui-ci était enrichi en Russie, qui l’envoyait en Ukraine. En 2010, TVEL, filiale de Rosatom, l’entreprise d’État russe du nucléaire, a vendu pour 608 millions de dollars de combustible à l’Ukraine. Cette dernière est alors le client le plus important de TVEL.
Dès les années 2000, l’Ukraine cherche à diversifier ses approvisionnements en combustible nucléaire et à mettre à niveau ses vieux réacteurs de conception soviétique. Les gouvernements issus de la « révolution orange » de 2004 se tournent alors vers le groupe américain Westinghouse. Pour ce dernier, les débuts en Ukraine sont difficiles. Le groupe connaît plusieurs défaillances. Au point qu’en 2012 un incident sérieux survient sur l’un des réacteurs de la centrale « Ukraine du Sud » équipé d’un assemblage américain de combustibles. Le cœur est gravement endommagé. Adapter des combustibles aux contraintes d’une technologie soviétique est une opération délicate, qui exige du temps. Après plusieurs essais infructueux, Westinghouse réussit néanmoins à alimenter six réacteurs ukrainiens. À la centrale de Zaporijia, quatre des six réacteurs fonctionnent à partir de combustibles fournis par Westinghouse.
Ces dernières années, les pressions russes se sont multipliées pour préserver le système nucléaire entre les deux pays. Le prédécesseur de M. Zelensky, M. Petro Porochenko, avait promis à Westinghouse une part majoritaire du marché du combustible, avant de se raviser et de lui accorder moins de contrats qu’envisagé. À partir de 2019, les Ukrainiens, bien décidés à éloigner les Russes de leur industrie nucléaire, changent de ton. Cette année-là, un nouvel accord prévoit une baisse des commandes de combustibles à la Russie. Energoatom, l’exploitant des centrales nucléaires en Ukraine, décide de se fournir principalement chez Westinghouse.
Deux ans plus tard, tout s’accélère : en août 2021, un accord de coopération américano-ukrainien prévoit la création par Westinghouse d’une usine de fabrication de combustible nucléaire. Un mois plus tard, la société américaine et Energoatom signent un protocole d’accord représentant 30 milliards de dollars pour la construction de quatre réacteurs AP1000 en Ukraine. En juin 2022, un nouvel accord est signé : Westinghouse construira en tout neuf réacteurs dans le pays. Discrètement, le groupe américain lance son offensive dès 2018 sous l’impulsion de l’administration Trump, qui souhaite que les États-Unis reviennent en force sur le marché du nucléaire civil mondial face à la Chine et à la Russie (5).
Le rapprochement entre l’Ukraine et les États-Unis préoccupe M. Poutine. À ses yeux, il s’agit non seulement d’un affront, mais aussi d’une menace. Le nucléaire est une technologie potentiellement duale : à la fois civile et militaire.
Préserver le contact avec les Russes
Pour appréhender la réaction de Moscou, il convient de revenir au mémorandum de Budapest de 1994, signé par l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni (ainsi, plus tard, que par le reste des puissances nucléaires déclarées, soit la France et la Chine). Le document avait amené les Ukrainiens à accepter le renvoi à Moscou de l’arsenal nucléaire présent sur leur sol, et hérité de l’URSS, contre des garanties strictes d’intégrité territoriale et de sécurité. Salué à l’époque comme un modèle de désarmement nucléaire (l’Ukraine signant en parallèle le traité de non-prolifération [TNP]), le mémorandum comporte pourtant une faille de taille : les garanties de sécurité ne sont accompagnées d’aucune obligation réelle de défendre l’Ukraine, et aucune sanction ou mesure contraignante n’est prévue en cas de violation du texte par l’un des pays. Or, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, une partie des élites ukrainiennes ne cesse de regretter publiquement le désarmement intervenu une dizaine d’années plus tôt (6).
Ce débat dépasse les frontières de l’Ukraine. En juin dernier, M. Radosław Sikorski, l’ancien ministre de la défense et des affaires étrangères polonais, a déclaré que la Russie avait violé le mémorandum de Budapest et que, par conséquent, l’Occident pouvait « offrir » des ogives nucléaires à l’Ukraine afin « qu’elle puisse défendre son indépendance ». Cinq jours avant l’invasion russe, le 19 février 2022, à la conférence de sécurité de Munich, M. Zelensky fait référence au mémorandum de Budapest de 1994 en expliquant que, si une renégociation ne s’enclenche pas rapidement entre les parties signataires, son pays considérera qu’il n’est plus tenu de respecter ses engagements historiques : « L’Ukraine a reçu des garanties de sécurité pour avoir abandonné la troisième capacité nucléaire du monde. Nous n’avons pas cette arme. Nous n’avons pas non plus cette sécurité. »
Fin mars, lors des négociations de paix entre Russes et Ukrainiens, sous l’égide du président turc Recep Tayyip Erdoğan, M. Zelensky se déclare prêt à la neutralité de son pays et promet de ne pas développer d’armes atomiques, comme l’écrit le Financial Times, si la Russie replie ses troupes et si Kiev reçoit des garanties de sécurité sérieuses (7) : « Le statut non nucléaire de notre État, nous sommes prêts à y aller… Si je me souviens bien, c’est pour ça que la Russie a commencé la guerre [NDLR : la Russie refusant que l’Ukraine se nucléarise à terme militairement] », explique le président ukrainien.
Tout en aidant les Ukrainiens dans le nucléaire civil, les Américains ont tenu à préserver le contact avec les Russes sur ce dossier. Le président Donald Trump avait mandaté un haut fonctionnaire, M. John Reichart, ancien patron du Centre d’étude des armes de destruction massive, pour évaluer l’ensemble de la situation nucléaire en Ukraine, lequel a discrètement rendu ses rapports. Et aujourd’hui, malgré la guerre, des négociations secrètes entre États-Unis et Russie sont en cours au sujet du futur partage du nucléaire civil ukrainien : « Ils savent qu’avant que les centrales AP1000 ne soient construites en Ukraine, pas plus qu’eux que les Ukrainiens ne pourront faire sans les Russes », commente en off un acteur de l’industrie nucléaire mondiale.
Marc Endeweld
Octobre 2022
Journaliste, auteur de Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien, Seuil, Paris, 2022.
Des fuites des camps du polisario à Tindouf ont révélé l’arrivée récemment d’importantes quantités d’armes sophistiquées russes pour moderniser l’arsenal du front séparatiste.
Il s’agit d’armes qui font partie des commandes massives effectuées début 2022 par l’armée algérienne à la Russie.
Des achats tellement importants qu’ils sont devenus une source d’inquiétude aux Etats-Unis, où des membres du Congrès ont exigé des sanctions contre le régime algérien, accusé de financer l’effort de guerre de Poutine en Ukraine.
Auparavant, la junte militaire du général Said Chengriha a équipé le polisario pour près de 850 millions de dollars juste entre 2021 et 2022 en armes légères, de pièces d’artillerie montées sur des véhicules, des munitions d’origine russe.
En effet, le pouvoir algérien continue de renforcer l’arsenal russe du polisario, le groupe terroriste de Brahim Ghali, établi à Tindouf, une localité située dans le sud ouest de l’Algérie.
Sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune, le pouvoir algérien, encouragé par la crise du gaz en Europe et les revenus qu’il tire en dollars, outrepasse les sanctions américaines dans la loi Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA).
Des députés du Congrès américain, républicains et démocrates, conduits par Lisa McClain, ont exigé dans une lettre adressée jeudi dernier au Secrétaire d’Etat, Antony Blinken, des sanctions contre l’Algérie pour l’achat massif d’armes russes en violation de cette loi CAATSA.
Pour les USA, la Russie est le plus grand fournisseur d’armes militaires à l’Algérie, qui est une menace pour toutes les nations du monde, selon la députée Lisa McClain.
«Rien que l’année dernière, l’Algérie a finalisé un achat d’armes avec la Russie pour un total de plus de 7 milliards de dollars. Dans cet accord, l’Algérie a accepté d’acheter des avions de combat russes avancés, y compris Sukhoi 57 », sachant que «la Russie n’avait jusqu’à présent, accepté de vendre cet avion particulier à aucune autre nation».
«Ce transfert militaire a fait de l’Algérie le 3ème destinataire d’armes russes au monde », relèvent les cosignataires de la lettre publiée ce jeudi 29 septembre sur le site officiel de la Chambre des représentants des Etats-Unis.
Pour rappel, le polisario a tissé des liens stratégiques et tactiques avec des groupes terroristes jihadistes en Afrique ainsi que le Hezbollah chiite libanais et les iraniens, des mercenaires installés dans des bases en Algérie, aguerris à la guerre asymétrique.
Malgré les signaux adressés par les Etats Unis d’Amérique (USA) aux responsables algériens depuis des mois sur l’Ukraine, la Russie, le groupe Wagner, les dirigeants algériens civils, militaires et leurs familles, qui profitent des intérêts juteux de leurs positions despotiques, continuent de s’obstiner, mais ils se retrouvent dans la ligne de mire des sanctions pour tous ceux impliqués dans le financement de la machine de guerre russe.
Après le sénateur américain du parti républicain de Floride, Marco Rubio, des membres du Congrès américain ont adressé une lettre au Secrétaire d’État, Antony Blinken, à travers laquelle ils lui ont exprimé leur inquiétude quant aux relations entre l’Algérie et la Russie, notamment dans le domaine militaire.
Hier, 27 membres du Congrès américain ont adressé une lettre au Secrétaire d’État, Antony Blinken, pour lui faire part de leurs préoccupations concernant les relations, « toujours croissantes », qui lient l’Algérie et la Russie.
Dans leur lettre, les 27 signataires ont indiqué que « la Russie est le premier fournisseur d’armes pour l’Algérie ». Avec, d’après eux, « un contrat d’une valeur totale de plus de 7 milliards de dollars, signé l’an dernier ».
« L’Algérie, 3ᵉ importateur d’armes russes au monde »
En outre, les 27 membres du Congrès américain ont souligné le fait que « l’Algérie aurait accepté d’acquérir des avions de chasse russes très développés, tels que le Sukhoi 57, que la Russie aurait refusé de vendre à aucun autre pays jusqu’à présent ». Ainsi, poursuivent les contestataires, « ces échanges militaires font de l’Algérie le troisième plus grand importateur d’armes russes dans le monde ».
En s’adressant au Secrétaire d’État, les 27 députés ont rappelé le fait « qu’en 2017, le Congrès avait adopté la loi Countering America’s adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) ». Notant que cette loi « permet au Président américain d’imposer des sanctions contre toute partie s’engageant sciemment dans une transaction importante avec des représentants des secteurs de la défense ou du renseignement du Gouvernement de la Fédération de Russie ».
Pour les 27 députés américains, « le récent achat d’armes entre l’Algérie et la Russie serait clairement considéré comme une transaction importante, en vertu de la CAATSA ». « Pourtant, aucune sanction à votre disposition n’a été élaborée par le Département d’État », ont-ils encore souligné.
Des députés américains appellent à sanctionner l’Algérie
Pour argumenter leur position contre l’Algérie, ces 27 membres du Congrès américain ont expliqué le fait que « la Russie aurait besoin de fonds pour continuer de financer la guerre en Ukraine ». Notamment « après avoir suspendu les livraisons de gaz naturel russe vers les pays européens, ce qui aurait eu un impact sur les revenus de l’État », ont-ils noté.
Ainsi, poursuit les 27 signataires, « il est crucial que le Président Biden et son administration se préparent pour sanctionner ceux qui tentent de financer le Gouvernement russe et sa machine de guerre, à travers l’achat d’équipements militaires ».
« Par conséquent, nous vous demandons de commencer à appliquer immédiatement des sanctions importantes contre les membres du Gouvernement algérien qui ont été impliqués dans l’achat d’armes russes.Les États-Unis doivent envoyer un message clair au monde que le soutien apporté à Vladimir Poutine et les efforts de guerre barbare de son régime ne seront pas tolérés », conclut la lettre des 27 députés américains.
Le sénateur Marco Rubio inquiet des relations entre l’Algérie et la Russie
Dans ce méme contexte, il convient de rappeler que le 15 septembre dernier, le sénateur américain du parti républicain de Floride, Marco Rubio, avait adressé une lettre au Secrétaire Blinken, à travers laquelle « il s’était dit inquiet des achats de matériel de défense en cours entre l’Algérie et la Russie ». Et ce, en saisissant l’occasion pour rappeler aussi la loi « Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act».
En effet, le sénateur du parti républicain avait noté le fait que « l’Algérie figurait parmi les principaux acheteurs mondiaux d’équipements militaires russes », avec « un contrat de plus de 7 milliards de dollars en 2021 ».
Alors que l’Occident ne parvient pas à mobiliser la communauté internationale contre l’invasion de l’Ukraine et que la Russie, la Chine et l’Inde semblent s’allier pour remettre en cause l’ordre mondial, il faut comprendre les pays qui se tiennent à l’écart de ce conflit.
Le 24 février a sonné un réveil brutal pour l’Occident. Que ce soit Washington ou les capitales européennes, ceux-ci ont été dans l’impossibilité de rallier à leur cause de très nombreux pays dont ils croyaient la loyauté acquise. Les deux votes de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) à ce sujet ont d’ailleurs montré la rapide dégradation de l’influence occidentale.
Si le 2 mars, seulement la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie et l’Érythrée ont voté avec la Russie contre le texte exigeant qu’elle cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine, 35 pays se sont abstenus, dont 17 États africains. Or en fin avril, lors du vote de l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme, 25 pays incluant la Chine s’y sont opposés et 58 États se sont abstenus. Chose encore plus surprenante, seulement 93 pays sur les 193 qui sont membres de l’ONU ont voté le texte.
Une perception différente
Les Occidentaux en général semblent voir la guerre en Ukraine comme une abomination. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, affirme que la Russie ne respecte aucune règle dans cette guerre ou environ 50 soldats ukrainiens meurent chaque jour, soit une estimation de 10 500 depuis le début. Le président américain, Joe Biden, a accusé pour sa part la Russie d’avoir « violé de manière éhontée » la Charte des Nations-Unies, disant qu’elle veut anéanti le droit de l’Ukraine d’exister.
Le premier ministre belge, Alexander De Croo, a affirmé « qu’il n’y avait pas de place pour l’impunité. Ni pour les bouchers de Boutcha, ni pour les dirigeants de Moscou qui en portent la responsabilité ultime ». Le président de la France, Emmanuel Macron, disait devant l’assemblée générale des Nations-Unies craindre un retour des impérialismes, dénonçant une tentative de partition du monde. « Notre organisation a bien des valeurs universelles et la division face à la guerre en Ukraine est simple. Êtes-vous pour ou contre la loi du plus fort, le non-respect de l’intégrité territoriale des pays et de la souveraineté nationale? Êtes-vous pour ou contre l’impunité? »
Ce conflit peut cependant être vu différemment par plusieurs pays non-alignés. Selon le Norwegian Refugee Council (NRC), une ONG norvégienne d’aide aux réfugiés qui identifie chaque année les dix crises les plus négligées au monde en fonction de l’intérêt des médias, du manque d’aide humanitaire et de volonté politique internationale pour les régler, celles-ci étaient pour la première fois toutes situées en Afrique en 2021.
Les dirigeants africains voient bien qu’en RDC avec 5,5 millions de personnes déplacées et 1 million de réfugiés en 2021, et dont 27 % de sa population souffre de la faim, qu’au Burkina Faso ou 800 personnes sont mortes dans des attaques terroristes en 2021, dont le nombre de déplacés dépasse 2 millions et les personnes sous-alimentées, 3,4 millions, qu’au Cameroun ou 4,4 millions de personnes ont besoin de support humanitaire et 700 000 enfants ne peuvent aller a l’école, qu’aux Soudan du Sud ou 4,3 millions de personnes sont déplacés en 2021 et 8,3 millions sont en insécurité alimentaire, qu’au Tchad ou les changements climatiques ont entrainé 5,5 millions de personnes dans le besoin pendant que l’assistance humanitaire internationale y a été coupée de 25 % en 2021, qu’au Mali ou l’insécurité alimentaire touche 7,5 millions de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire et ou les attaques par des groupes armés ont obligées le déplacement 350 000 personnes, qu’au Soudan ou 14,3 millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire et un demi-million ont été déplacé en 2021, qu’au Nigeria ou 66 000 déplacés ont vu leurs camps fermer sans autres solutions, qu’au Burundi ou 400 000 personnes ont quitté le pays en raison en raison de conflit interne et qu’en Éthiopie ou 4,2 millions de personnes sont des déplacés et ou 29,7 million d’autres ont besoin d’assistance humanitaire, la guerre en Ukraine, aussi cruelle et inhumaine qu’elle soit, peut avoir une autre dimension que pour les occidentaux.
Aider les non-alignés pour avoir leurs votes
Quand Poutine, Xi Jinping et Narendra Modi annoncent au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarcande en Ouzbékistan un nouvel ordre international antioccidental, dont leurs pays seraient les piliers, ils prennent naturellement leurs désirs pour la réalité.
Ce qui se passe est plus simple que cela, mais les dirigeants des grands pays regardent à côté parce que cela les obligerait de s’engager réellement dans le développement et le bien-être des pays non-alignés qui veulent avoir des actions concrètes avant de choisir leur camp.
Le président en exercice de l’Union Africaine et président du Sénégal, Macky Sall, a appelé devant la 77e assemblée générale de l’ONU, a une réforme des cercles décisionnels internationaux, dont le conseil de sécurité, pour une meilleure représentation des 1,4 milliards d’Africains. « Cette Afrique des solutions souhaite engager avec tous ses partenaires des rapports réinventés qui transcendent le préjugé selon lequel qui n’est pas avec moi est contre moi. Nous voulons un multilatéralisme ouvert et respectueux de nos différences parce que le système des Nations Unies ne peut emporter l’adhésion de tous que sur la base d’idéaux partagés. »
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Izioum. D. R.
Le mois de septembre a vu défiler simultanément trois événements qui alertent sur un monde qui se meure, sur un autre qui émerge et sur une organisation militaire qui tombe le masque. La Grande-Bretagne a vu, le 8 septembre 2022, la reine Elisabeth II quitter son monde où jadis le soleil ne se couchait jamais sur son empire. Un monde qui n’oublie pas que ledit empire, dont les habitants colonisés n’avaient pas droit à une toute petite place au soleil. Du reste un OTAN, où la Grande-Bretagne occupe une place au premier rang sur le champ de bataille en Ukraine pour empêcher la fin des rêves impériaux. Et le 16 septembre l’OCS (Organisation coopération de Shanghai), les briseurs de ces rêves surannés se sont réunis sur un continent, l’Asie pour dire haut et fort, ça suffit, halte à l’arrogance. Et le champ de bataille pour mettre fin à cette arrogance se trouve en Ukraine où l’OTAN a entraîné une armée et l’a équipée d’armes sophistiquées. Et comme ça ne suffisait pas, elle a pris en main le commandement pour lancer, en août-septembre, deux offensives au sud et nord-est de l’Ukraine. Avant de cerner les raisons qui ont poussé le déclenchement de ces deux offensives, il n’est pas inutile de rappeler à la fois les bobards de la désinformation et la croyance stupide de croire que la sophistication de l’armement rend caduc l’art millénaire de la guerre.
Les petits soldats du mensonge, avec leurs bobards et vantardises, ont voulu faire croire que les cerveaux de l’OTAN ont réédité l’exploit de leurs ancêtres lors de la Seconde Guerre mondiale. Lesdits ancêtres avaient en effet piégé Hitler en lui faisant croire que les Alliés allaient débarquer au Pas-de-Calais et non pas sur les plages de Normandie. Hitler n’écouta ni les services de renseignements militaires ni ses prestigieux généraux et notamment Rommel. Erreur fatale d’Hitler ! Les cerveaux de l’OTAN ont donc, en ces mois d’août-septembre, lancé deux offensives dont l’une devait servir de leurre pour piéger les Russes. Les petits soldats du mensonge ont qualifié de leurre la première offensive, celle de Kherson pour permettre à la seconde de surprendre les Russes à Kharkov au nord-est. Un leurre par définition, c’est du faux pour faire croire à du «vrai». Les Alliés ont, en effet, lors de la Seconde Guerre mondiale, fabriqué sur la côte anglaise des camps d’entraînement et des avions en carton-pâte et des soldats s’entraînant à tirer avec des balles blanches. Bref, ce cinéma a coûté quelques milliers de dollars. En revanche, le piège de Kherson a coûté aux Ukrainiens des milliers de morts et blessés et les Russes n’ont pas pour autant été leurrés. Nous le verrons plus loin.
Quant à l’ignorance de l’art de la guerre, nos petits soldats ont répété allégrement la propagande des Ukrainiens qui criaient à une «victoire» chèrement payée en milliers de morts et de blessés pour les besoins de la stratégie otanienne. Dans la guerre, l’impératif qui commande, c’est de préserver les troupes, acteurs décisifs pour briser l’ennemi à la fin des fins. Des morceaux de territoires peuvent être abandonnés car une armée victorieuse finit toujours par les récupérer. Et dans le cas des Russes, que de fois ils ont abandonné des territoires dans leur histoire. Ils ont laissé Napoléon prendre Moscou pour le renvoyer, bredouille et épuisé, chez lui pour se faire prisonnier par les Anglais. Durant la Première Guerre mondiale, ils ont accepté de laisser du territoire aux Allemands pour sauver leur Révolution du 17 octobre de 1917. Et, enfin, avec les Allemands de la Seconde Guerre mondiale, ils les ont attirés à Stalingrad pour les tailler en pièces et se lancer ensuite à Berlin pour hisser leur drapeau sur la Chancellerie du 3e Reich où, la veille, Hitler avais mis fin à sa vie…
Ainsi, les tactiques utilisées lors de l’actuelle 3e phase de la guerre en Ukraine avaient pour dessein de déblayer le terrain pour mettre en branle l’objectif stratégique militaire et politique de chaque camp. Avant de cerner ledit objectif, arrêtons-nous un instant sur les effets des tactiques utilisées…
Les Ukrainiens ont mobilisé d’énormes forces pour attaquer Kherson, capitale d’une région stratégique jouxtant la Crimée. Le champ de bataille était une steppe où ils furent sous le feu intense et continu des Russes, solidement installés en défensive et maîtres du ciel avec leur aviation. Attaque contre défense, résultat conforme à l’art de la guerre. Ce fut une boucherie pour les Ukrainiens avec un gain de territoire de deux ou trois villages frontaliers désertés par leurs populations. Pour les Russes, ils sont toujours enterrés dans leurs lignes défensives et repoussent toute incursion audacieuse sur le fleuve Dniepr.
Sur le front de Kharkov, pour de multiples erreurs politiques et militaires que l’on connaîtra sans doute plus tard, les Russes ont été surpris et ont préféré se retirer en bon ordre pour aller défendre le Donbass et consolider le front sud face à la centrale nucléaire de Zaporojie. Les Ukrainiens ont donc facilement avancé sur un territoire sans véritable obstacle militaire. Ils ne pouvaient alors qu’exploiter politiquement le retrait (qualifié de débandade) des forces russes. Ils ont vite arrêté de crier victoire sur tous les toits car des généraux dans des médias et même le secrétaire général de l’OTAN ont appelé à ne pas crier victoire trop fort. Le président ukrainien embraya alors sur son terrain préféré, taper sur les «barbares» russes en exploitant des «charniers» d’Izioum.
Voilà donc le décor, les tactiques et la désinformation mis sur les rails en vue d’ouvrir la voie à un objectif ambitieux mais tout aussi chimérique de son prometteur, le président ukrainien Zelensky, la reconquête de la Crimée. Enhardi et encouragé par le matériel sophistiqué de guerre et les milliards de dollars des Américains, il se mit à rêver de la Crimée. Il avait commencé à en parler après quelques attaques de dépôt d’armement en Crimée.
La mer Noire, objectif numéro un des Américains et des Ukrainiens
Pour les Américains et les Ukrainiens, unis comme des frères jumeaux, leur plus grande victoire serait de prendre pied sur les côtes de la mer Noire. Pour les Ukrainiens, c’est une question vitale car c’est leur seul débouché pour l’exportation par la mer Noire vers l’Asie et l’Afrique. Pour les Américains prendre la Crimée, c’est prendre Sébastopol, pièce maîtresse de la marine russe en mer Noire qui leur ouvre la Méditerranée. L’encerclement de la Russie par l’Ukraine et la Turquie, membre de l’OTAN, qui a déjà plus de 1 000 kilomètres terrestres au sud la Russie, c’est un vieux rêve américain.
Avec pareil objectif, on comprend le pourquoi des énormes mouvements de troupes sur un théâtre de guerre de 1 500 à 2 000 km de long. Voilà pourquoi les Russes ont préféré regrouper leurs forces pour, à la fois, défendre les républiques russophones du Donbass, barrer la route du sud vers la mer Noire. Les quelques milliers de kilomètres carrés perdus autour de Kharkov comptent peu, pour l’heure, d’autant que Kharkov n’est qu’à 35 km de la frontière russe. Au regard des postures d’attaque pour l’Ukraine et défensive de la Russie et que la doctrine de guerre défensive de la Russie s’appuyant sur une artillerie et des blindés, la victoire sourira à celui qui a du temps devant lui. Et le temps, c’est l’autre facteur de l’art de la guerre…
En tout cas, cette guerre en Ukraine, outre les paramètres cités plus haut, révèle la méthode de raisonner et des ingrédients culturels qui aident à construire un récit de la désinformation. Ledit récit des petits soldats part du postulat que le narrateur a raison par nature et l’autre n’a aucun droit de contredire sa médiocre fiction d’idéologue. Le contraire de la littérature dont le point de départ est le réel, lequel réel, travaillé par l’imaginaire du romancier avec le mot juste et à sa juste place, offre au lecteur le secret qui sommeille sous les mots dont leur modeste ambition est de s’approcher au plus de la vérité. J’avais écouté une émission où une autrice dans son essai affirmait que les gens étaient épuisés par l’information qu’on leur offre.
Le lendemain, j’ouvre radio et médias et tous, comme un seul homme au même moment, commençaient par le massacre à Izioum. Le plus drôle ou navrant, la radio, qui avait la veille parlé de la lassitude des gens, était aux avant-postes de cette propagande obscène qui mettait déjà en scène le procès de Poutine devant le Tribunal international. Mais leur mémoire, à la fois trouée et murée, ne pouvait pas leur rappeler les millions de Vietnamiens, Irakiens, Syriens, Libyens gazés, déchiquetés. Un jour, on saura la nature de la maladie qui a fait des trous dans leur mémoire (1).
A. A.
P.-S. : Le titre est une référence au célèbre roman et film Autant en emporte le vent d’une Amérique de la guerre de sécession traversée par le racisme, l’esclavagisme d’une société agricole et rurale, ébranlée par une industrialisation naissante qui redistribue le pouvoir entre les classes sociales.
1- Pour être juste, il faut signaler qu’il y a des pointures intellectuelles qui alimentent par leurs écrits les armes et arguments qui aident les gens. Ça se voit dans leurs posts des réseaux sociaux où la colère n’empêche pas la rigueur des propos.
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