Capture d’écran floutée de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et montrant la colère de l’ambulancier, le 27 juin 2023 à Nanterre. (TWITTER)
Jugé jeudi en comparution immédiate pour « outrage » à l’encontre d’un policier, l’ambulancier, dont la colère a fait le tour des réseaux sociaux mardi après la mort de l’adolescent, a été dispensé de peine. Son collègue qui a filmé la scène a été relaxé.
D’emblée, il pleure. Pleure à nouveau. Puis pleure encore, emportant dans le flot de ses intarissables larmes la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Juste en bas, ce jeudi 29 juin après-midi, au pied du palais de justice qui jouxte la préfecture des Hauts-de-Seine, plusieurs milliers de personnes convergent. La marche blanche en hommage au jeune Nahel, 17 ans, tué mardi par un policier lors d’un refus d’obtempérer, s’est élancée un peu plus tôt de son quartier Pablo-Picasso.
Marouane D., lui, n’a pas pu s’y rendre. Il est là, traits tirés et air accablé dans le petit box vitré de cette grande salle aux bancs clairs, sans fenêtre, d’où l’on perçoit le bruit de quelques pétards tirés depuis la rue. Bras croisés et polo marine siglé du nom de sa société, il se tient droit à côté de son collègue Amine Z., en veste manches longues portant le même sigle. Leur tenue de mardi, quand ils ont été placés en garde à vue.
Ils sont jugés en comparution immédiate. Marouane D. pour « outrage » à policier. Amine Z. pour « divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser » un policier, l’exposant à un risque d’atteinte. C’est Marouane D. qu’on voit invectiver un policier sur cette vidéo publiée sur le réseau social Snapchat qui a tant circulé, depuis mardi, au point de largement dépasser le million de vues. C’est son collègue qui l’a filmée et diffusée.
« Tu vas voir ! Tu vas payer ! Je vais t’afficher sur les réseaux sociaux ! Tu ne vas plus vivre tranquille, frère ! » énonce en préambule la présidente pour rappeler les propos valant à Marouane D. d’être jugé. L’ambulancier de 32 ans les reconnaît « totalement ». Il pleure.
Sur les images tournées par son collègue, on le voit aussi s’adresser hors de lui en ces termes à un des policiers présents mardi devant l’entrée des urgences de l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre : « Là, tout le monde est en train de dormir, vous allez voir comment Nanterre va se réveiller. Il a 19 ans [en réalité 17 ans], tu vois qu’il a une gueule d’enfant. Pour un défaut de permis ! Pour un défaut de permis, frère !Je le connais le petit, je l’ai vu grandir ! »
« Amalgame »
Mardi matin, Marouane D. vient de déposer un patient quand un ami l’appelle et lui apprend ce qu’il vient de se passer. Il lui envoie la vidéo. Puis Marouane D. apprend que c’est Nahel, qu’il connaît si bien, qui est la victime de ce tir policier. « Pile-poil à ce moment-là, j’arrive aux urgences, je vois un policier avec l’écusson de la brigade motocycliste et il me dit bonjour, explique Marouane D. mais je ne peux pas dire bonjour à quelqu’un qui a tué quelqu’un que je connais. » Il pleure. « Ce n’est que de l’émotion, madame », dit-il en admettant « avoir fait l’amalgame ».
« On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac, poursuit l’ambulancier en se confondant en excuses, j’ai vidé mon cœur, je regrette, je n’ai jamais voulu en arriver là. » Juste après, devant l’entrée des urgences où il doit récupérer un patient, le jeune homme est plaqué au mur, menotté, interpellé. « On m’a dit “t’as menacé de mort notre collègue”, mais c’était l’émotion », repète-t-il sans cesse.
C’est quand l’officier de police judiciaire lui lit ses propos, en garde à vue, qu’il prend conscience de leur teneur. « J’ai dit des choses assez graves quand même, admet-il, mais à aucun moment je n’ai voulu nuire. Je suis quelqu’un de très discret. » Des larmes roulent encore sur ses joues. Père de famille ayant grandi à Nanterre, l’ambulancier apprécié de ses patients et de son employeur présent dans la salle, qui a obtenu son diplôme haut la main avec une note de 19,5, souhaite se racheter. « Je l’ai accusé pour rien, s’il veut que je refasse une vidéo pour m’excuser… » S’il s’est laissé dépasser par son émotion, dit-il aussi, c’est parce qu’il connaissait si bien Nahel, son ancien voisin.
« Nahel, on le surnommait “Michelin” »
« La semaine dernière encore, il était avec ma fille, dit-il au tribunal, ma mère le connaît, mes frères et sœurs le connaissent. » Sa mère gardait Nahel quand il était petit. « Quand il est né, on le surnommait “Michelin” comme le bonhomme parce qu’il était un peu gros », se souvient-il aussi en pleurs. « C’est comme s’il faisait partie de ma famille, c’est comme si on m’avait enlevé mon petit frère », livre-t-il encore. En tant que professionnel de santé, c’est sûr, il aurait dû prendre sur lui : « J’ai dû faire face dans mon métier à des situations difficiles, mais Nahel était vraiment quelqu’un de proche. »
A sa gauche, son collègue Amine Z. est à son tour invité à s’expliquer. « J’ai l’habitude de “snapper” mon quotidien, quand je filme, je ne fais pas exprès, ce n’est pas dans le but de nuire à qui que ce soit », déclare-t-il au tribunal. S’il a filmé la scène, c’est pour « se protéger » : « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de quelque chose que je n’avais pas fait », poursuit-il en affirmant ne pas s’entendre avec Marouane D. et vouloir changer de binôme. « Je suis en insertion, j’ai été addict aux jeux d’argent, j’ai des dettes, j’essaie de m’en sortir en travaillant. »
Ces images, il les a ensuite publiées sur Snapchat « en story privée », soit dit-il à une trentaine de ses contacts. « Je n’aurais pas dû filmer,dit-il, je m’excuse ».« Le problème, c’est que ce qui est sur la toile est indélébile », répond l’avocate du policier, en arrêt de travail depuis, qui défend deux autres agents visibles sur les images, « à un moment un zoom est fait sur le policier, et envoyer ces images à 30 ou 10 000 personnes, c’est la même chose ».
« Conséquences dramatiques »
Le procureur n’est pas convaincu. « Quel intérêt de filmer ? Pourquoi votre première réaction n’est-elle pas de calmer votre collègue ? Et puis filmer pour vous protéger, c’est une chose mais pourquoi diffuser ces images ? Vous saviez, à partir du moment où il était identifié, que cela allait avoir des conséquences dramatiques pour le policier et sa famille. » Le délit reproché à Amine Z., récent, a été créé en 2021 après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Le procureur requiert à l’encontre d’Amine Z. douze mois de prison, à l’encontre de Marouane D. trois mois de prison avec sursis et 600 euros d’amende.
L’avocate de ce dernier, Sarah Mauger-Poliak, elle, n’en revient toujours pas que son client soit là pour cela. « Quand la famille m’appelle et me dit qu’il va être jugé en comparution immédiate, je me dis qu’ils ne sont pas au courant de tout, lance-t-elle à la barre, mais si : il a bien fait 48 heures de garde à vue pour un malheureux outrage qu’il regrette sincèrement. »
A elle, alors, de hausser le ton : « Il est où l’outrage ? C’est “Tu vas voir !”, “Tu vas plus vivre tranquille, frère !” On a combien d’outrages chaque jour ? Quand on connaît l’engorgement des juridictions, s’il fallait venir déférer tous les outrages… » Et d’ajouter : « Fallait-il aussi absolument le menotter ? Ne pouvait-on pas le convoquer ? » Elle demande la relaxe, sinon une dispense de peine.
« Il “snappe” tout »
Sa consœur Mélody Blanc, pour l’autre ambulancier, plaide aussi la relaxe. Pour elle, l’intentionnalité n’est pas caractérisée. « Il “snappe” tout à longueur de journée : ses recettes, ses voyages… Une heure après, quand on lui a dit les proportions que cela prenait, il a supprimé la vidéo. » « Je m’excuse, répète son client, cela va me servir de leçon, je ne savais pas pour la nouvelle loi. »
Son collègue Marouane D. lui emboîte le pas et enchaîne : « Je ne suis pas à l’origine de cette vidéo ni de cet effet boule de neige, dehors on me reconnaît, je n’ai pas les épaules pour cela… Je suis prêt à faire ce qu’il faut pour rétablir la vérité et la dignité de ce policier. »
Le tribunal l’a reconnu coupable, mais compte tenu notamment du contexte et de ses liens avec la victime, l’a dispensé de peine. Son collègue, lui, a été relaxé. Un troisième jeune homme était jugé avant eux pour avoir diffusé, sur Snapchat encore, l’identité et la commune de résidence du policier désormais mis en examen pour le meurtre de Nahel. Avec le commentaire : « C’est le nom de ville du fdp [fils de pute, NDLR] qui a tué notre frère. » Il a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze avec sursis probatoire. A ce moment-là, la marche blanche avait déjà pris fin depuis un moment, une nouvelle nuit de violences débutait.
Il y a tout juste 70 ans, l’assassinat de six manifestants algériens le 14 juillet 1953 peut-il être abordé comme un prélude au 1er Novembre 1954 ? Plusieurs événements de lutte dans les années 1950 révèlent le degré d’engagement du mouvement national dans l’émigration.
Il y a eu six morts algériens lors de la tuerie du 14 juillet 1953 à Paris. Dans notre triste liste publiée lundi 10 juillet, nous avions omis Amar Tadjadit (1927 – Alger). Que la famille du martyr nous en excuse ! Ce militant est décédé avec ses compagnons Abdallah Bacha (né en 1928 –Alger) ; Larbi Daoui (1926 – Oran) ; Abdelkader Dranis ; Mohamed Isidore Illoul (1933 –Constantine).
Tous étaient des militants de la cause nationale. Aguerris et prêts à revendiquer coûte que coûte les droits pour les Algériens et l’indépendance pour le pays. Cette précision nous donne l’occasion de revenir sur cette époque prérévolutionnaire sur le territoire français avant que la Guerre de libération n’éclate en Algérie le 1er Novembre 1954. Avant ce 14 juillet 1953 funeste, les graines de la lutte étaient semées.
Le militant et historien de cette période Maurice Rajsfus écrit que cette tuerie n’est en rien hasardeuse : «Cela fait longtemps que l’on assassine en Algérie, dans le même temps que des Algériens sont réprimés et même tués sur le sol français.»
Dans son livre 1953, un 14 juillet sanglant (édition le Détour 2021), il cite quelques prémisses. Avec déjà en 1951, pour la manif’ du 1er Mai des drapeaux algériens sont brandis par les militants algériens, ce qui provoque des bagarres avec la police : «Il y a 68 blessés et des centaines d’arrestations.»
«LA POLICE INTERPELLE TOUS LES PASSANTS AYANT LE TEINT BASANÉ»
Même chose le 1er mai 1953, dans le Nord, à Anzin et Valenciennes, «la police intervient contre des cortèges où on brandit le drapeau algérien. Il y a 200 arrestations et 100 blessés parmi les Algériens». Et d’autres faits qui rappellent l’implication précoce de l’émigration algérienne dans le combat et déjà les comportements racistes de la police française.
Ainsi, le 19 septembre 1950, 3000 Nord-Africains manifestent contre la non-parution du journal L’Algérie libre. 1127 personnes sont arrêtées : «La police interpelle tous les passants ayant le teint basané.» La même année 1950, le 4 décembre, «pour protester contre l’arrestation de deux des leurs, 30 Nord-Africains attaquent un commissariat de police à Belleville». Le 3 avril 1951, «150 Nord-Africains sont arrêtés aux abords de la Maison de la mutualité, à Paris à l’occasion d’une manifestation interdite du MTLD. De violents heurts entre les CRS et des passants font plusieurs blessés».
UN ALGÉRIEN TUÉ LE 10 DÉCEMBRE 1952
On pourrait citer et conclure cette liste qui pourrait être rallongée, par le 10 décembre 1952. Maurice Rajsfus rapporte les faits suivants : «De nombreux Nord-Africains participent à la manifestation communiste contre la venue à Paris du général Matthieu Ridgway. Le militant algérien Hocine Belaïd est tué par la police près de la place Stalingrad.» Rajsfus en observateur et témoin parle dans son livre de «volonté meurtrière» : «La haine du ‘‘bougnoule’’ est toujours tenace chez nos policiers, et la pratique brutale de rigueur .»
Quel constat ferait-il aujourd’hui après la mort du jeune Nahel et l’épisode de fièvre lors des émeutes de la fin juin. ? Dans des circonstances différentes, mais avec un fond sur lequel les historiens ont matière à étudier les analogies.
Une cinquantaine d’associations, de syndicats et de partis de gauche, dont La France insoumise, Europe Ecologie-Les Verts et la CGT ont dénoncé, samedi 15 juillet, l’interdiction par la préfecture de police de Paris d’une manifestation contre les violences policières, qui doit se dérouler dans l’après-midi place de la République, au centre de la capitale.
Les associations, syndicats, collectifs et partis politiques sont cosignataires d’un communiqué de presse, diffusé dans la matinée. Ils jugent que cette nouvelle interdiction de manifester est « un évident signe d’autoritarisme ». « Nous dénonçons avec force cette tentative de museler l’expression politique des quartiers populaires et la répression des mouvements sociaux et écologistes. Les organisations exigent que cette marche puisse se tenir », ont-ils affirmé. L’arrêté d’interdiction pris par le préfet, Laurent Nuñez, a fait l’objet d’un recours en urgence rejeté, samedi matin, par le tribunal administratif de Paris.
« Une consigne générale donc illégale »
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé mercredi l’interdiction de ce rassemblement, ainsi que toute autre « manifestation en lien direct avec les émeutes », jusqu’au 15 juillet inclus.
Lors de l’audience devant le tribunal administratif, samedi, l’avocate des requérants, Lucie Simon, a dénoncé « une consigne générale et donc illégale » d’interdiction des manifestations. « Si on veut juguler la colère, il faut canaliser son expression démocratique », a-t-elle plaidé au nom des organisateurs.
Pour le représentant de la préfecture de police à l’audience, le problème « n’est pas l’objet de la manifestation mais la possibilité que des individus violents » soient présents. Et ce dans un contexte de « faible disponibilité des forces de l’ordre » après les émeutes et la mobilisation d’un important dispositif de sécurité jeudi et vendredi soir pour le 14-Juillet.
La préfecture de police avait déjà interdit la semaine dernière une précédente manifestation à Paris visant à honorer la mémoire d’Adama Traoré, mort peu après son arrestation par des gendarmes en juillet 2016. En dépit de cette mesure préfectorale, environ 2 000 personnes s’étaient rassemblées le 8 juillet.
Le sociologue Hicham Benaissa rappelle, dans une tribune au « Monde », qu’il est vain de croire que le calme revenu après les émeutes en banlieue est durable. Selon lui, la colère se manifestera tant que nos institutions ne regarderont pas notre passé colonial en face.
Un fait devient social et historique, nous enseigne Emile Durkheim, lorsqu’il est régulier, objectif, général. C’est d’ailleurs à ce titre que le sociologue s’est intéressé au crime en tant qu’objet qui répond aux critères d’un phénomène social. Indépendamment de la volonté des uns et des autres, un fait social s’impose à nous de l’extérieur, à tel point que nous pouvons en donner des prévisions.
La sociologue Rachida Brahim a fourni un travail de recherche précieux qui a consisté à recenser le nombre de crimes racistes commis entre 1970 et 1997. Elle a listé, au total, 731 actes, soit une moyenne de 27 cas par an. Dans le cadre d’un débat critique et universitaire, on peut, si on le souhaite, débattre des chiffres et des concepts, mais il sera difficile de contester la constance et la régularité de ce phénomène. Et, au-delà de la statistique froide, il faut rappeler à la conscience publique la nature précise de quelques événements marquants.
Il y a plus de soixante ans, le 17 octobre 1961, la police réprime dans le sang une manifestation d’Algériens à Paris. Des dizaines de morts par balle. Certains sont jetés dans la Seine, meurent noyés. Ils sont des centaines à être blessés, mis en détention, frappés à coups de crosse. En 1973, le racisme s’exprime dans sa banalité la plus extrême. Dans la nuit du 28 au 29 août, près de la cité de La Calade, à Marseille, Ladj Lounes, 16 ans, est abattu de plusieurs balles dans le corps par le brigadier Canto. La ville, cet été-là, est l’épicentre d’un terrorisme raciste aveugle : 17 Algériens y meurent dans une quasi-indifférence de la police et de la justice. On estime à un peu plus de cinquante les crimes à caractère raciste visant les Maghrébins dans toute la France.
Mépris de race
Dans la nuit du 19 au 20 juin 1983, au milieu du quartier des Minguettes, à Vénissieux (Rhône), un policier tire une balle de 357 Magnum dans l’abdomen de Toumi Djaidja. Il est grièvement blessé mais s’en sort. Sur son lit d’hôpital, il a l’idée d’une marche qui irait de Marseille à Paris. Objectifs : dénoncer les crimes racistes dont sont l’objet les immigrés et leurs enfants, et exiger qu’on les traite avec égalité. Sur leur trajet, les marcheurs apprennent la mort de Habib Grimzi, défenestré du train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la Légion étrangère.
Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, des étudiants manifestent contre le projet de réforme universitaire Devaquet. Malik Oussekine sort d’un club de jazz où il avait ses habitudes, dans le 6e arrondissement de Paris. Il est alors pris en chasse par des policiers « voltigeurs » et meurt dans un hall d’immeuble, au 20, rue Monsieur-le-Prince, sous une pluie battante de coups de pied et de matraque de trois CRS. Plus récemment encore : Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, en octobre 2005, Adama Traoré en juillet 2016, et Nahel M. en juin. Pourquoi ce dernier est-il mort ? Parce que c’était prévisible. Il avait plus de risque d’être abattu par un policier qu’un autre jeune homme de son âge issu de milieu et d’origine différents.
En réalité, Nahel M. n’avait pas son âge. Il était vieux du monde qu’il portait dans sa chair, ce monde dans lequel les corps sont hiérarchisés, plus ou moins exposés à l’injure, à la violence physique, à la mort. Ils ne sont pas que biologiques, mais aussi sociaux et symboliques, ce par quoi passent nos jugements, nos désirs, nos dégoûts, structurés par l’histoire d’un monde qui les précède. L’histoire de la mort de Nahel M., c’est l’histoire d’un corps frappé, dès son plus jeune âge, du sceau du mépris de classe et de race.
Sa mort n’est pas un accident, ni un fait divers perdu dans le flux chaotique du présent. Elle s’inscrit dans la continuité historique des crimes racistes perpétrés à l’endroit des Noirs et des Arabes de ce pays. Depuis une date inconnue, la société française entretient avec le corps de Nahel M., et de tous les autres, une relation raciale, seule explication valable permettant de justifier, des dizaines d’années après, leur agglomération continue dans les mêmes lieux délabrés et méprisés, à la périphérie des grandes villes.
Jeunesse abandonnée
Parce que si le racisme trouve sa forme la plus violente dans le crime, il est avant toute chose un rapport banalisé à la société entière. Il vient se loger jusque dans l’intimité, dans le rapport à soi, puis dans le rapport aux autres, aux institutions, à l’école, au logement, au travail, à la justice. En 2020, le Défenseur des droits écrit, dans la synthèse d’un rapport intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir » : « Il ressort de toutes les études et données à la disposition du Défenseur des droits que les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne et les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs trajectoires de vie et leurs droits les plus fondamentaux. » Contre les tentatives de déresponsabilisation de l’Etat, il faut répondre. C’était là, sous vos yeux.
Si on reprend le fil historique des révoltes contre les crimes racistes, on remarquera qu’elles sont plus amples, plus violentes, plus spontanées. La dynamique est au nombre. Mais elles sont aussi plus désorganisées car davantage portées par des individus d’une extrême jeunesse qui se révoltent sans grande orientation intellectuelle. Cette même orientation qui pourrait leur donner les outils pour comprendre, et donc maîtriser, les raisons de leur colère en les formulant au travers d’objectifs politiques clairs. Une jeunesse en grande partie abandonnée à l’idéologie d’un capitalisme sauvage et sans horizon, à qui on fait miroiter avoir et paraître, succès et fortune, auxquels, sur le plan statistique, ils ont peu de chance d’avoir accès.
Mais on se trompe dangereusement si l’on croit que le feu est éteint et qu’on peut tranquillement retourner à nos affaires. Cela reviendra, parce qu’il y a ici la nature d’un fait social régulier, objectif et général. Avec une particularité supplémentaire : le conflit ne se situe plus uniquement sur le terrain du social mais aussi sur le plan des idées. L’explication traditionnelle de ces révoltes est aujourd’hui concurrencée par des théories et des argumentaires d’une classe moyenne supérieure culturelle et économique partageant avec cette jeunesse une histoire commune.
Cette lutte sociale et intellectuelle nous conduira inévitablement (mais à quel prix ?) vers un travail collectif de redéfinition des principes de la nation française, à partir de la diversité de ses composantes. Comme souvent dans l’histoire de France, cela passera sans doute par une réorganisation institutionnelle de son régime. La Ve République s’est ouverte en pensant tourner définitivement la page avec son passé colonial. La VIe devra le regarder en face.
Hicham Benaissa est docteur en sociologie, rattaché au laboratoire du Groupe sociétés, religions, laïcités de l’Ecole pratique des hautes études et du CNRS. Il est notamment l’auteur du livre « Le Travail et l’Islam. Généalogie(s) d’une problématique » (Editions du Croquant, 2020).
Publié aujourd’hui à 06h00, modifié à 12h43Temps deLecture 4 min.
Empêtrées dans une relation diplomatique fragile et conflictuelle, France et Algérie commémorent, samedi 16 et dimanche 17 octobre, un triste anniversaire. Il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, au moins 120 Algériens ont été tués par la police lors d’une manifestation à Paris. A l’appel de la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), au moins 20 000 Algériens avaient défilé pour défendre pacifiquement une « Algérie algérienne » et dénoncer un couvre-feu imposé à ces seuls « Français musulmans d’Algérie ».
Emmanuel Macron s’apprête à reconnaître samedi « une vérité incontestable » lors de la cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre, allant plus loin que la « sanglante répression » admise par François Hollande en 2012, a fait savoir l’Elysée vendredi.
En plein cœur de sa politique de réconciliation mémorielle autour de la guerre d’Algérie, le président français, Emmanuel Macron, s’est engagé à célébrer les trois grandes commémorations autour du conflit : l’hommage aux harkis (auxiliaires algériens ayant combattu pour l’armée française) ; le soixantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961 ; et les accords d’Evian, qui ont scellé, le 18 mars, l’indépendance du pays.
Pour tenter de mieux comprendre les enjeux de cette commémoration, Le Monde vous explique ce qu’il s’est passé le 17 octobre 1961 et ce que cela a entraîné.
Que s’est-il passé ?
Alors que la guerre d’Algérie (1954-1962) touche à sa fin, la tension entre la police parisienne, alors dirigée par Maurice Papon – également impliqué dans la rafle de 1 600 juifs à Bordeaux entre 1942 et 1944 – et le FLN s’accroît, jusqu’à la mise en place d’un couvre-feu, pour les « Français musulmans d’Algérie » uniquement. Pour boycotter cette règle discriminatoire, la Fédération de France du FLN organise, le 17 octobre 1961, une large manifestation appelant hommes, femmes et enfants à défiler dans la capitale. La mobilisation est voulue pacifique, toute arme étant strictement interdite.
En fin d’après-midi, au moins 20 000 Algériens – et jusqu’à 40 000 selon des estimations internes au FLN – gagnent ainsi la rue. Mais la manifestation est rapidement et durement réprimée par la police parisienne, échaudée par la diffusion de fausses informations faisant état de plusieurs morts et blessés parmi les forces de police. De nombreux manifestants sont tués : passés à tabac, dans la rue ou dans les centres d’internement vers lesquels ils étaient emmenés, jetés dans la Seine ou bien abattus par balle.
Lors de cette nuit sanglante, au moins 12 000 Algériens ont été arrêtés, et au moins 120 ont été tués – les estimations de certains historiens portant même le bilan à plus de 200 morts.
Dans quel contexte ce massacre a-t-il eu lieu ?
Tandis que la guerre fait rage en Algérie, les tensions sont aussi vives en France en octobre 1961, où police parisienne et membres du FLN se livrent une bataille violente. Des sévices sont régulièrement perpétrés par les forces de l’ordre sur des Algériens détenus.
Dans une escalade de la violence, les actions du FLN se font de plus en plus sanglantes à mesure que la répression française contre les Algériens se durcit. En septembre 1961, cinq policiers français avaient notamment été tués lors d’attaques du FLN.
« Si la mort d’un agent en service fait normalement l’objet d’une prise en charge institutionnelle, à l’époque le préfet Maurice Papon choisit de suspendre les obsèques solennelles, car il ne peut y en avoir toutes les semaines et il craint les réactions de ses agents. On peut imaginer l’esprit de vengeance que génère ce contexte », souligne ainsi l’historien Emmanuel Blanchard dans nos colonnes.
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Quelle suite ces événements ont eue ?
La préfecture de Paris – couverte par les autorités gaulliennes – s’est rapidement employée à dissimuler ce qui s’est révélé être « la répression d’Etat la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l’histoire contemporaine », selon les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster. Dès le lendemain, le 18 octobre 1961, la préfecture établit, dans un communiqué, un bilan de trois morts lors – selon elle – d’affrontements entre manifestants algériens. A cette période, la presse est alors largement censurée par le pouvoir, et le discours officiel est relayé par les titres de presse populaires.
Parallèlement, police et justice mènent une enquête peu rigoureuse, s’attardant, selon Emmanuel Blanchard, sur certains pans de l’histoire, comme les règlements de comptes qui avaient opposé deux groupes indépendantistes algériens à la fin des années 1950, et occultant de nombreux autres, comme la violence policière. Aussi, la reprise des négociations entre Paris et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue de son indépendance a largement contribué à installer une omerta autour des évènements du 17 octobre 1961, les deux parties estimant que ce silence poursuivait un intérêt commun.
Les langues ont bien commencé à se délier dans les années 1980 sous l’impulsion des descendants des Algériens restés en France et témoins du massacre. Mais la véritable avancée vers la connaissance et la mémoire de cet évènement ne vient qu’en 1991, lorsque l’historien Jean-Luc Einaudi publie La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 aux éditions du Seuil. Son ouvrage lève alors le voile sur l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire franco-algérienne, remettant en cause la version officielle de l’Etat et le bilan humain de cette manifestation – annoncé à trois morts. M. Einaudi le relève à plus de 200.
Dix ans après cette publication, le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë inaugure, en 2001, une plaque « à la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ». Aucun ministre ni membre de l’Etat ne s’associe à la commémoration. Il faudra attendre 2012 pour qu’un gouvernement prenne position, en la personne du président socialiste François Hollande. Ce dernier « reconn[aît] avec lucidité », et au nom de la République, la « sanglante répression » qui a pris la vie « d’Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ». En revanche, la forme du geste présidentiel – un communiqué plutôt qu’un discours lors d’une cérémonie – a limité la puissance symbolique de cette reconnaissance par l’Etat français.
Quel est l’enjeu de cet anniversaire sur fond de tensions entre Paris et Alger ?
Emmanuel Macron est donc particulièrement attendu cette année. D’autant que ce soixantième anniversaire intervient dans un contexte très tendu entre la France et l’Algérie après que M. Macron a évoqué, le 30 septembre lors d’une réunion retranscrite par Le Monde, un « système politico-militaire » algérien « fatigué », fondé sur la « haine de la France » et qui entretient une « rente mémorielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». Ces propos ont fortement déplu de l’autre côté de la Méditerranée, provoquant un véritable incident diplomatique.
Les tensions étaient toutefois déjà vives entre les deux pays, s’étendant sur plusieurs fronts, parmi lesquels : la question migratoire ; les déconvenues concernant des contrats économiques et commerciaux ; la sécurité régionale ; ou encore cette réconciliation mémorielle que le président français a voulu initier, a rappelé Frédéric Bobin, journaliste spécialiste de l’Afrique du Nord au Monde.
M. Macron a reconnu « au nom de la France » et de la « République française » l’assassinat, à Alger en 1957, des militants indépendantistes Maurice Audin et Ali Boumendjel. Il a aussi admis, le 20 septembre, la « tragédie » concernant les harkis, pour laquelle il a demandé « pardon ».
Samedi, le chef de l’Etat déposera en milieu d’après-midi une gerbe sur les berges de la Seine, à la hauteur du pont de Bezons, en banlieue parisienne, emprunté il y a soixante ans par les manifestants algériens qui arrivaient du bidonville voisin de Nanterre à l’appel de la branche du FLN installée en France. M. Macron, premier président français né après la guerre d’Algérie, achevée en 1962, sera selon l’Elysée « le premier de la Ve République à se rendre sur un lieu de mémoire où se tiendra cettecommémoration ».
Publié le 16 octobre 2021 à 07h00, modifié le 16 octobre 2021 à 14h30https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/16/que-s-est-il-passe-le-17-octobre-1961-a-paris_6098617_3224.html.
« Pour la fête des hommes libres, ils ont massacré mes amis », écrivait le poète pied-noir et indépendantiste Jean Sénac en souvenir d’une manifestation qui, avant même le déclenchement de la guerre d’Algérie, s’acheva sur une tuerie en plein cœur de la capitale française. Soixante-dix ans plus tard, la mémoire s’en est presque effacée.
Du 14-Juillet, fête nationale française, on retient avant tout aujourd’hui le défilé militaire sur les Champs-Élysées, les bals populaires et les feux d’artifice. Durant quelques décennies pourtant, cette date, tout comme le 1er-Mai, donna lieu à un grand défilé des forces de gauche, dans un écho sans doute plus fidèle à la prise de la Bastille en 1789. Le premier du genre eut lieu en 1935, dans le sillage de la grande union antifasciste connue sous le nom de Front populaire, apparue après la manifestation d’extrême droite du 6 février 1934.
C’est dans cette tradition politique et pacifique encore récente que s’inscrivait la manifestation du 14 juillet 1953, où les Algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) venaient fermer la marche. Souvent, pour éviter les heurts, on préférait les placer au cœur du cortège, entre des groupes moins susceptibles de se retrouver en conflit avec les forces de l’ordre.
Quand la violence coloniale s’exprime au grand jour en métropole
Place de la Nation, du côté de l’avenue du Trône, les tirs de la police ce jour-là firent pourtant sept morts et au moins cinquante blessés par balles parmi les manifestants. Avant le 17 octobre 1961 et la manifestation du métro Charonne le 8 février 1962, cette répression sanglante fit entrer la violence coloniale en plein Paris, qui plus est dans une journée symbole d’émancipation, y compris pour les sujets de l’Empire.
L’élément déclencheur de la fusillade suscite encore débat. On évoque, en rappel peut-être du massacre de Sétif le 8 mai 1945, des heurts après la tentative d’un officier de police de s’emparer du drapeau algérien. On s’accorde en revanche sur le fait que, très probablement, aucun ordre ne fut donné d’ouvrir le feu et que les premiers coups de pistolet furent tirés spontanément par les gardiens de la paix. Ils firent deux morts et déchaînèrent la colère de la foule au lieu de la faire reculer.
La suite fut un carnage. Bien que les rapports officiels aient cherché à convaincre du contraire, on sait aussi qu’aucun Algérien ne brandit d’arme à feu et que les tirs furent strictement policiers. Parmi les victimes, une seule était Française, un syndicaliste de la CGT qui tenta de s’interposer et d’implorer un cessez-le-feu.
« Un racisme qui n’ose pas dire son nom »
« Quand on constate que la plupart des journaux (le vôtre est parmi les exceptions)couvrent du nom pudique de “bagarres” ou “d'incidents” une petite opération qui a coûté sept morts et plus d'une centaine de blessés, quand on voit enfin nos parlementaires, pressés de courir à leurs cures, liquider à la sauvette ces morts encombrants, on est fondé, il me semble, à se demander si la presse, le gouvernement, le Parlement, auraient montré tant de désinvolture dans le cas où les manifestants n'auraient pas été Nord-Africains, et si, dans ce même cas, la police aurait tiré avec tant de confiant abandon. Il est bien sûr que non et que les victimes du 14 juillet ont été un peu tuées aussi par un racisme qui n'ose pas dire son nom », écrivit Albert Camus au Monde.
En 2014, Daniel Kupferstein a consacré un documentaire aux Balles du 14 juillet 1953. Trois ans plus tard, après avoir repassé en revue toutes ses archives, il a donné le même titre à un livre publié aux éditions La Découverte, lequel constitue à ce jour la référence ultime sur le sujet. Pour construire son propos, il a passé en revue les archives de police et consulté le dossier de l’instruction aux archives de la Seine. Il a aussi parcouru la presse des semaines qui ont suivi le massacre et recherché les témoignages des victimes ou de leurs proches ainsi que celui de quelques policiers, à partir des noms consignés dans le dossier d’instruction.
Certains d’entre eux disaient ne se souvenir de rien, d’autres ont purement et simplement refusé de témoigner, deux ont finalement répondu – tous deux sont décédés peu de temps après ces entretiens. L’un des policiers apparaissant dans le film reconnaît avoir « tiré à l’horizontale », autrement dit en direction des manifestants, quand l’autre dit n’avoir que tiré en l’air pour faire reculer la foule. De leur récit, il ressort que 210 douilles, et non une dizaine comme précisé dans l’instruction, ont été retrouvées sur les lieux, et que les policiers sont allés acheter des cartouches chez un armurier afin de recharger leurs armes et camoufler ainsi la plupart des tirs effectués.
Des balles à bout portant
Aucun des deux n’a manifesté de remords. « C’était violent pour moi, parce que je revenais d’Algérie où j’avais entendu les familles des défunts », confie le réalisateur. Le plus impliqué dans la fusillade lisait, le jour de sa venue, un livre sur les secrets de la police qu’il a montré au documentariste. Quand, en fin d’entretien, ce dernier lui a demandé s’il avait quelque chose à ajouter, espérant un mot de compassion à l’égard des victimes, il s’est souvenu qu’en plaisantant, un policier s’était écrié en remontant dans le fourgon : « Quand est-ce que vous nous filez les mitraillettes que l’on tire dans le tas. »
Ce massacre fut vite éclipsé par les grèves victorieuses d’août 1953 – contre le recul de l’âge de la retraite – et l’année suivante, les débuts de ce qu’en métropole on nomma les « événements d’Algérie » posa la question de l’indépendance d’une manière autrement plus tragique encore. Il reste que ce jour-là, comme cela se produira en Irlande après le Bloody Sunday de septembre 1972, de nombreux militants algériens renoncèrent à une voie strictement politique et négociée.
Quelque temps plus tard, le MTLD devait se diviser entre les partisans de la lutte armée du Front de libération nationale, le FLN, et les fidèles au vieux leader Messali Hadj autour du Mouvement national algérien, le MNA. Au conflit anticolonial s’ajouta ainsi une sorte de guerre civile entre les deux camps, dont une partie eut lieu en métropole, où le MNA restait solidement implanté. « Ce qui m’a déterminé à faire ce film, conclut Daniel Kupferstein, c’est ce que je dis en substance à la fin de mon livre. En 1953, la guerre d’Algérie n’avait pas commencé, ce qui vide de leur sens les justifications constamment avancées concernant les violences commises en octobre 1961 ou en février 1962. » Lors du débat qui a suivi la projection du film à l’hôtel de ville de Paris, pour les 70 ans du massacre, le président de la Ligue des droits de l’homme, Patrick Baudoin, s’est fait encore plus explicite, en référence à la mort de Nahel Merzouk, 17 ans, le 27 juin 2023 : « Une balle à bout portant, ça rappelle quelque chose. »
Les Français qui ont pris la Bastille sans demander l’autorisation des puissants, il y a 234 ans, mériteraient-ils de célébrer la Fête nationale cette année ? La question peut se poser, à l’heure où certains s’arrogent le droit de décider qui fait partie de la République et qui n’en est pas, dans une version dénaturée de cette grande œuvre du peuple de France. La gauche, héritière de Jean Jaurès qui n’a eu de cesse de se battre pour la construire et l’approfondir, est sur le point d’être excommuniée par le nouveau parti de l’ordre, rassemblant les élites « modérées » jusqu’aux droites extrêmes.
Profitant de l’exacerbation des tensions qui a suivi la mort de Nahel à Nanterre, certains poussent leur avantage en prétendant trier les « vrais » et les « faux » Français. De LR au RN, on traite les quartiers populaires comme une 5e colonne, tandis qu’est déniée, dans un langage qui n’a rien à envier au pire répertoire fasciste, l’appartenance à la nation de jeunes Français nés en France révoltés par les exactions de la police. En se servant de la figure de «l’émeutier» comme d’un repoussoir, les nouveaux Tartuffe cherchent à escamoter les clivages de classe pour fédérer le patron comme l’ouvrier des campagnes, le bourgeois des beaux quartiers et le travailleur précaire des cités, chacun étant mis en demeure de choisir son camp : qui n’est pas pour le « retour à l’ordre » est forcément complice du feu et du chaos.
On mesure la dérive idéologique de la droite quand on réécoute les paroles de Jacques Chirac après l’embrasement des cités de 2005 : «Je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, qu’ils sont tous les filles et les fils de la République.» Ces mots d’un président qui n’avait pourtant rien de gauche – et qui ne les a nullement traduits en actes par la suite – lui vaudraient sûrement aujourd’hui un procès en trahison de la part de ses héritiers politiques. Emmanuel Macron s’honorerait pourtant à reprendre ces paroles à son compte, ce 14 Juillet, s’il ne veut pas d’une Fête nationale défigurée par les divisions et la haine qu’on attise jusque dans son camp.
Quartiers populaires:les oubliés du bal du 14Juillet
La France célébrera, ce vendredi, une fête nationale synonyme de chute de l’Ancien Régime et d’acte de naissance de la République. Mais la promesse républicaine demeure ce grand inachevé, comme en témoigne le soulèvement des quartiers populaires.
À l’approche des festivités, la devise Liberté, égalité, fraternité est loin d’être une réalité pour tout le monde. dmitry kostyukov/NYT-redux-rea
Sur les Champs-Élysées, si près et en même temps si loin de Nanterre où un policier a tiré sur Nahel, ce sera, vendredi, le grand raout des régiments qui marchent au pas, de la République en bon ordre, des insignes et des flonflons. À la tribune officielle, Emmanuel Macron recevra en majesté le premier ministre indien, l’ultranationaliste hindou Narendra Modi, soucieux qu’il reparte à New Delhi avec, dans sa valise, 26 avions Rafale achetés au groupe Dassault. Étrange spectacle que celui de la déconnexion entre la célébration et l’objet célébré…
«Le 14Juillet, dans nos banlieues, c’est
au mieux un folklore national»A-t-on perdu le sens du 14 Juillet ? On y marque le coup de la prise de la Bastille, des «tyrans descendus au cercueil», de l’effervescence politique révolutionnaire et de la démocratie comme horizon pour tous. Vraiment pour tous ?
La promesse sonne désormais comme une trahison, dans les quartiers populaires. «Le 14Juillet, dans nos banlieues, c’est au mieux un folklore national,soupire Philippe Rio, maire PCF de Grigny (Essonne). La promesse républicaine n’est plus tenue depuis bien longtemps, ça relève davantage de la fable du père Noël. Elle est censée s’incarner dans le triptyque liberté-égalité-fraternité, or les habitants sont, au contraire, très conscients des inégalités, de la discrimination, des injustices. La République, pour eux, c’est ça. »
La désertification des services publics ronge tout le pays, mais les banlieues pauvres sont particulièrement mal servies : il y a cinq fois plus de bureaux de poste à Neuilly-sur-Seine qu’à Saint-Denis, pour une population deux fois plus nombreuse. Dans les immeubles haussmanniens chics du « 92 », des concierges plus ou moins affables veillent à la tranquillité des bourgeois. Dans le « 93 », l’ascenseur en panne depuis plusieurs mois pourrit le quotidien d’une tour de douze étages. 45 % des moins de 25 ans sont au chômage, dans les quartiers dits « politique de la ville ».
Au pied des cités, la République revêt bien trop souvent l’uniforme et la matraque
Au pied des cités, la République revêt bien trop souvent l’uniforme et la matraque. Les témoignages sur les petites humiliations policières, le contrôle au faciès, les insultes sont nombreux.
L’idée que les «flics assassins» ne sont jamais condamnés est largement partagée , alors que la justice – pour Zyed et Bouna, pour Adama, pour Nahel – est au cœur de toutes les revendications. « Dans les faits, il y a une impunité judiciaire presque complète pour ces policiers, explique Yassine Bouzrou, avocat de la famille de Nahel, dans le Monde. La justice n’a jamais été aussi radicale dans l’exonération des policiers.»
La jeune femme, cofondatrice de l’association Cité des chances, milite pour que les banlieues s’intéressent à la politique. Une gageure : «Il y a une grosse méfiance, beaucoup de« tous pourris », mais aussi de la méconnaissance sur qui gère quoi… On leur a tellement répété que ce n’était pas leur affaire, voire pas leur pays quand ils sont racisés, que certains ont fini par y croire.»
La stigmatisation se déverse par tous les canaux médiatiques
La devise républicaine a bon dos quand la stigmatisation se déverse par tous les canaux médiatiques. On y crée des «sous-Français», des «pas-comme-nous».«Les émeutiers, vous allez me dire qu’ils sont français. Oui, mais comment Français? » s’interroge la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, quand son président de groupe Bruno Retailleau évoque sans sourciller «une régression » des immigrés «vers leurs origines ethniques».
Valeurs actuelles déclare les banlieues en «sécession », Paris Match noircit ses pages de «casseurs pilleurs qui mettent la France à feu et à sang». Le RN parle de «Français de papier», de «nationalité faciale»,relance le débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux.
Lauren Lolo en mesure les conséquences sur le terrain : «Les banlieues sont tellement stigmatisées, qu’a fini par s’y développer l’idée qu’il faudra se débrouiller sans l’État, sans la République. D’où tous ces discours d’apologie de l’autoentreprise, très start-up nation, qui marchent bien dans les quartiers.»
La combine est connue : plus un service public se dégrade, plus le discours pro-intérêts privés gagne du terrain. Quitte à éroder un peu plus la confiance. «Aujourd’hui, le citoyen français, a fortiori dans les banlieues populaires, se méfie des politiques, de la police et de la justice,évalue Philippe Rio. Plus vous lui parlez de République, moins il vous croit. La maison République est à rénover de fond en comble, pour retrouver le sens de notre devise et du 14 Juillet. »
Certaines banlieues n’auront d’ailleurs même pas le droit au folklore. À Sartrouville (Yvelines), le maire LR Pierre Fond a décidé d’annuler le spectacle traditionnel de la fête nationale. «Je ne suis pas un amuseur public », se défend l’élu, qui préfère voir «les forces de l’ordre prêtes à se projeter sur des violences potentielles » plutôt qu’à sécuriser les festivités. Mêmes décisions dans d’autres villes franciliennes, comme Chelles, Dammarie-les-Lys, Bussy-Saint-Georges, Claye-Souilly, Vaires-sur-Marne ou encore Jouy-le-Moutier. Histoire de rajouter de l’exclusion à l’exclusion. Le gouvernement veille : en tout, 130 000 policiers et gendarmes seront déployés dans le pays.
Mort de Nahel : « Cette fois, tout le monde a vu »
Angela Davis, Judith Butler, Ken Loach, Annie Ernaux, Adèle Haenel, Éric Cantona... Cette tribune a été écrite par la Legal Team antiraciste, constituée en réponse aux arrestations massives pendant et après les révoltes qui ont éclaté à la suite du meurtre de Nahel par un policier à Nanterre. Le collectif appelle à la participation à la marche unitaire contre les violences policières, le 15 juillet 2023.
Une voiture jaune roule dans les rues de Nanterre. C’est un mardi du mois de juin. Il est près de huit heures du matin, trois adolescents sont à bord. Le véhicule de location emprunte la voie de bus. Deux policiers activent leur gyrophare et demandent au conducteur de stationner. Il s’appelle Nahel, il a 17 ans. Nahel poursuit sa route, grille un feu rouge. Les deux policiers le rattrapent et, pied à terre, arme au poing, lui somment de baisser la vitre. Il la baisse. L’un d’eux crie « Je vais te mettre une balle dans la tête ». Puis tire. Nahel meurt, une balle dans la poitrine.
Cette mort s’ajoute à tant d’autres sous les tirs de la police. Des morts qui se ressemblent : des hommes le plus souvent, non-blancs, issus des classes populaires.
Sauf que, cette fois, le pays tout entier a assisté à la mise à mort.
Chacun a vu le policier ouvrir le feu sur un adolescent qui ne présentait aucune menace physique. Le coupable d’un délit routier n’a pas écopé d’un an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, la peine maximale pour ce type d’infraction : il a été tué à bout portant par un ancien soldat engagé en Afghanistan et membre de la Brav-M. Ce matin-là, la mère de Nahel lui avait dit de faire attention à lui. Bientôt elle dira : « C’était ma vie, c’était mon meilleur ami, c’était mon fils, c’était tout pour moi. »
Nahel faisait du rugby. L’école, ça n’était pas ça ; il livrait des pizzas. Un gamin des quartiers, raconteront ceux qui l’ont connu.
Et puisque, cette fois, tout le monde a vu, puisque, cette fois, tout le monde a su que la déposition policière était une fabrication, la colère s’est étendue au pays. « Ce qui s’est passé à Nanterre cette semaine, c’était la fois de trop », confie un jeune homme à la presse, avant d’ajouter : « On est tous des Nahel aujourd’hui. » On appelle ça une émeute. On appelle ça une révolte. Qu’importe, au fond. « De quoi se compose l’émeute ? De rien et de tout. D’une électricité dégagée peu à peu, d’une flamme subitement jaillie, d’une force qui erre, d’un souffle qui passe. Ce souffle rencontre des têtes qui parlent, des cerveaux qui rêvent, des âmes qui souffrent, des passions qui brûlent, des misères qui hurlent, et les emporte. » C’est du vieil Hugo. Les Misérables. Alors des feux d’artifice visent les forces de police. Des poubelles brûlent. Des abribus brûlent. Des voitures brûlent. Des locaux de la police sont visés, des mairies, des écoles. Des magasins sont pillés. Le gouvernement déploie le RAID, la BRI et le GIGN ; l’extrême droite, elle, lance une cagnotte au profit du tueur de Nahel. La somme récoltée dépasse en quelques jours le million d’euros. Une prime au meurtre.
À ces « misères qui hurlent », la Justice ne répond pas par la justice mais par la répression. On compte à l’heure qu’il est plus de 3 600 interpellations. Déjà 380 peines de prison ferme. Les tribunaux ne traînent pas face aux citoyens sans éclat. Ils frappent nos jeunes têtes. Matent les « mal élevés ». Nos rues crient ce qu’elles n’ont jamais cessé de crier depuis les premières révoltes des quartiers, dès 1978 : « Nous ne sommes pas du gibier à flic ! » Nos rues crient ce que l’Institut Montaigne a, poliment, fait savoir en 2015 : « Mohammed a quatre fois moins de chances d'être recruté que Michel. » Nos rues crient ce qu’une enquête du Défenseur des droits a, courtoisement, démontré en 2017 : les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d'être contrôlés » par la police. Nos rues crient ce que l’ONU vient, à bas bruit, de déclarer : il existe en France de « profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre ».
Il y a Nahel, bien sûr.
Il y a le policier, bien sûr.
Mais il y a surtout l’ordre du monde.
Un ordre dans lequel Nahel perd la vie pour un délit routier et le policier devient millionnaire pour un crime de sang. Un ordre qui expose ces vies minoritaires à des formes bien spécifiques de violences et de dangers. Cet ordre ne fera jamais qu’engendrer le désordre. La paix n’est possible que par l’égalité et la justice. Sans elles, de nouvelles émeutes éclateront, de nouvelles révoltes. En France comme ailleurs. En France comme aux États-Unis. Qu’elles prennent le nom de George Floyd ou de Nahel. Répondre par la prison ne répond qu’à un désir de vengeance : on n’a jamais pansé une plaie avec des barreaux. Le moment exige une grande délibération nationale. Une remise à plat politique. Des retours éminemment concrets. Un premier pas serait de revenir sur les peines de prison infligées aux révoltés par une Justice aussi brutale qu’expéditive. Le gouvernement a réclamé une réponse pénale « sévère », « rapide » et « systématique ». Il l’a obtenue ; nous la dénonçons. Nous réclamons, nous, l’abandon des charges qui pèsent sur eux.
Et nous faisons nôtres les revendications des collectifs de familles de victimes et des organisations militantes. Lesquelles demandent entre autres choses :
- la création d’un organe entièrement indépendant chargé d’enquêter sur les violences et crimes policiers
- la limitation drastique de l’usage des armes à feux par les forces de l’ordre et l’interdiction de toutes les autres pratiques létales, comme le plaquage ventral et la clé d’étranglement
- la reconnaissance du mobile racial et raciste de ces violences.
Quelques jours après la mise à mort de Nahel, un autre homme est tombé sous les balles de la police. Son nom, c’était Mohamed. Il allait être père pour la deuxième fois. Il a reçu une balle de LBD dans la poitrine, un soir de révolte, à Marseille, alors qu’il filmait une interpellation policière. De quelles images la police pensait-elle nous priver ?
Quelles sont les causes du poison français ? Deux raisons semblent s’opérer, la raison historique et la raison religieuse et les deux sont imbriquées. L’histoire sanglante de la colonisation a généré une mémoire collective française pas totalement réconciliée avec son passé. Ce passé traumatique la France peine à l’admettre.
Des crimes contre l’humanité furent commis à l’encontre des populations civiles algériennes de 1830 à 1960, mais aussi des pratiques qui furent celle du nazisme comme le confirme Germaine Tillon, une des plus illustres résistantes françaises durant la seconde guerre mondiale : « Avant 1957, je n’avais jamais entendu parler de la torture. Sauf par les nazis. Je n’imaginais pas que des Français pouvaient torturer des prisonniers.
Ce qui se passe sous mes yeux est une évidence : il y a à ce moment-là, en 1957, en Algérie, des pratiques qui furent celles du nazisme. Le nazisme que j’ai exécré et que j’ai combattu de tout mon cœur… Avec en même temps, dans l’Algérie de 1957, une volonté, impuissante, de retenir, de contrôler la cruauté. » (5). Les propos du Président Macron : propos percutants alors rapportés par le journal Le Monde du 2 octobre 2021 : « Une histoire officielle réécrite par Alger construite sur la haine de la France », « la rente mémorielle », « un système politico-militaire fatigué » et son refus catégorique de présenter des excuses aux victimes alors qu’il présentait cette colonisation comme crime contre l’humanité en 2017. Faisant dire à certains : «On ne peut que devenir schizophrène avec des volte-face de la sorte.»
Le rapport fantasmé de Benjamin Stora
Il suffit de lire le rapport fantasmé de Benjamin Stora pour prendre la pleine mesure de la manipulation politique de l’historien (3) qui est devenu le conseiller des princes sur l’Algérie depuis plus de 40 années, comme le confirme Olivier Le Cour Grandmaison (6). Incapable de prendre la mesure de la violence coloniale, parlant de brutalisation en Algérie, alors qu’il sait que des crimes contre l’humanité ont été perpétrés, et des centaines de milliers de civils assassinés sans parler de la torture institutionnalisée, des dépossessions des terres, des viols et de la clochardisation de la population.
Ce conseiller des princes, depuis fort longtemps, tente par un jeu d’équilibriste de vouloir imposer une symétrie des responsabilités des acteurs en présence alors qu’il sait qu’il y avait un colonisateur qui massacrait en masse et des colonisés qui tentaient d’arracher leur indépendance d’une manière artisanale. Le bilan est dramatique et il le sait. Mais il confirme d’une manière tactique qu’il n’est pas nécessaire de proposer de présenter des excuses aux victimes ou aux ayants droits (3). Quant à l’ex-ambassadeur Driencourt, deux fois ambassadeurs de France en Algérie soit 8 années d’exercice, nommé la deuxième fois par le Président Macron, ses propos vont encore plus loin en considérant que les Algériens en responsabilités sont souvent des manipulateurs, assoiffés par le rapport de force, les intérêts personnels et qu’il faut réagir pour inverser ce rapport de force au risque d’une faillite de la France.
Il affirme : «Le prix de notre aveuglement ou de nos compromissions s’appellera donc immigration massive, sans rapport avec ce qu’elle est aujourd’hui, islamisme conquérant, ghettoïsation de nos banlieues, repentance mémorielle.» «L’Algérie, en ce sens, a gagné le combat contre l’ancien colonisateur : elle reste un problème pour la France, elle s’effondre, mais risque d’entraîner Paris dans sa chute.
La IVe République est morte à Alger, la Ve succombera-t-elle à cause d’Alger ?» (7) Ce personnage aujourd’hui décomplexé va même jusqu’à menacer l’Algérie sans être fermement recadrer par son ex ministère de tutelle : «Alors disons aux Algériens que nous nous donnons jusqu’à la fin de l’année pour revoir complètement notre relation migratoire et les accords de 1968. Et si, d’ici le 31 décembre, nous n’avons abouti à rien, nous dénoncerons cet accord et tant pis pour vous». (8) Sans parler des intellectuels comme Onfray et les autres. Un point commun à tous ces acteurs, ils sont devenus des idéologues politiques en cherchant désormais ouvertement le rapport de force. A titre d’exemple, ils savent qu’ils heurtent d’une manière frontale la mémoire de ces enfants de l’immigration qui restent fortement attachés à leurs origines et à la mémoire algérienne contrairement à ce qu’ils pensent. Ne pas respecter la mémoire de leurs grands-parents, c’est indubitablement une offense à leurs dignités et ces idéologues le savent. Par prolongement, comment s’étonner de constater la difficulté de ses enfants de la colonisation d’être fiers d’être Français. La fracture est d’autant plus grande qu’ils ne peuvent admettre ce traitement différencié face à l’histoire avec une certaine idéologie française sur l’Algérie où la mémoire de leurs familles est toujours bafouée.
L’idéologie française sur l’Algérie accélère
le poison
Le Président Macron, le conseiller Stora, l’ex-ambassadeur Driencourt, les politiques Le Pen, Zemour, Ciotti, Philippe, le philosophe Onfray et tous les autres ont un point commun, une peur bleue d’être submergés par l‘influence algérienne en France en particulier de ces franco- algériens. Avec le risque de demander des comptes sur le passé, y compris en termes de réparation financière des crimes coloniaux. La posture commune à tous ces acteurs… : il ne faut rien lâcher sur l’essentiel, comme le confirme le Président Macron dans son interview au journal le Point du 12 janvier 2023 : «Je n’ai pas à demander pardon, ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens. Tout en donnant l’illusion aux Algériens qu’on avance par l’installation d’une commission mixte d’historiens composée du côté français de personnalités pour le moins controversées. Comme Jean-Jacques Jordi qui affirme dans un rapport du Sénat (9) par une note détaillée que le nombre de morts du côté algérien serait de 152 000 victimes, chiffre dérisoire, soit 10 fois inférieur aux positions algériennes. Les Algériens ne sont pas dupes et l’historien algérien Hosni Kitouni (10) a raison de préciser le profil de l’équipe Stora, tous partisans d’une certaine idéologie. Cette idéologie française sur l’Algérie peut se résumer de la sorte… : il faut inverser le rapport de force et surtout ne rien lâcher aux Algériens sur l’essentiel c’est-à-dire sur la réparation, car ce serait source d’une nouvelle humiliation insupportable après la perte de l’Algérie française. Avec le risque de tout perdre une seconde fois et de faire sombrer la Ve République comme le souligne l’ex-ambassadeur Driencourt et d’une certaine manière le Président Macron en soulignant : «Le mot pardon romprait tous les liens.»
Ce mot pardon qui ouvrirait la première porte du chemin de la réparation intégrale des crimes et dommages coloniaux.
La France est malade de l’Algérie, car elle n’a pas su se remettre en question, se soigner. Allant même jusqu’à louer les bienfaits de la colonisation, par une loi en 2005, sans un mot pour les victimes algériennes. Une forme de suicide collectif renforçant toujours un peu plus le poison racisme. Il n’y a pas un jour en France sans interview, article ou émission TV qui n’attaque pas les musulmans et par prolongement les Algériens. Comment ne pas tomber malade et voir chez certains Français d’origine algérienne, une haine de la France qu’il ne faut jamais justifier mais tenter d’expliquer pour sortir de ce piège. Ce démon colonial est omniprésent dans la mémoire collective française, car on n’a pas su le déconstruire et apporter les justes réponses, c’est-à-dire la reconnaissance et la réparation pleine et entière de toutes les victimes, y compris algériennes. Faire l’exception avec le déni de justice pour les victimes algériennes, comme c’est le cas depuis l’indépendance de l’Algérie c’est inéluctablement un signal fort de discrimination aux Franco-algériens qui ne peuvent que le rejeter et se révolter lorsque le poison s’exprime à leur égard.
Ce poison qui se fonde en grande partie sur ce déni colonial. Il a fallu 40 ans pour reconnaître qu’il y a eu une guerre en Algérie, il a fallu légiférer en 2005 pour relater les supposés bienfaits de la colonisation espérant noyer le trauma colonial et étouffer les revendications de juste reconnaissance et réparation des victimes algériennes. Il a fallu 60 ans pour qu’on accepte l’idée d’une commission mixte sur la base du rapport Stora donnant l’impression de vouloir concéder quelques éléments accessoires pour préserver l’essentiel c’est-à-dire la non réparation des crimes et dégâts coloniaux (chimiques et nucléaires). On ne souhaite toujours pas d’excuses ou de pardon et encore moins de réparation qui est l’enjeu principal. Ce démon colonial (humiliation d’avoir perdu l’Algérie française et perpétuation de l’image des enfants d’indigènes musulmans comme sujets inférieurs) semble constituer un continuum, une problématique désormais déplacée en métropole avec ces enfants de la colonisation. En d’autres termes, la France a souvent été incapable de traiter ces franco algériens comme des égaux. Il reste difficile d’admettre l’égalité pour ces enfants des ex-colonisés. Concrètement, la plupart de ces stéréotypes viennent de très loin et se sont imprimés d’une manière sournoise dans la mémoire collective française sans que le travail de déconstruction soit réalisé. Les politiques de tous bords y compris de gauche ont une lourde responsabilité car ils ont surfé sur cette mémoire fracturée pour capter des électorats divers, y compris des nostalgiques de l’Algérie française. Le temps a été assassin pour ces politiques car ils espéraient effacer la mémoire tragique des victimes de cette colonisation. Le contraire s’est opéré, un attachement à l’Algérie perdure et une soif de reconnaissance plus forte s’exprime pour les victimes et les ayants droit, dont un grand nombre sont devenus français. Aujourd’hui, cette image stéréotypée continue de perdurer spécifiquement dans les médias ou d’une manière insidieuse, l’Arabe, le musulman, l’algérien est souvent assimilé à un rebelle, voire à un délinquant, ou à un extrémiste violent qui ne partage pas les valeurs de la république, avec un dernier palier, celui d’être le nouveau porteur de l’antisémitisme français.
L’ASSASSINAT DE NAHEL, VICTIME
DU POISON FRANÇAIS ?
L’assassinat du jeune adolescent Franco-Algérien de 17 ans par un policier le 27 juin 2023 a mis le feu aux poudres dans les banlieues où est concentrée la majorité de la population d’origine étrangère, en particulier d’origine algérienne. La question du poison racisme s’impose dans cette tragédie, car nous connaissons depuis longtemps les liens conflictuels entre les personnes d’origine étrangère et les forces de l’ordre en France.
Il suffit de lire encore le rapport du défenseur des droits pour s’en convaincre : «Les personnes identifiées comme noires et arabes font l’objet de biais et de pratiques discriminatoires d’ordre systémique dans le cadre de leurs relations avec les forces de l’ordre. Page 27» (1). Face à ce constat, une hypothèse s’impose : si le conducteur avait été d’origine européenne, le policier aurait-il réagit autrement. Les premières fausses déclarations des policiers prouvent un fait, leurs comportements fautifs où leurs responsabilités sont pleinement engagées.
A la justice désormais de caractériser les circonstances de cette terrible tragédie où ces policiers ont failli à leurs missions car on ne tire pas debout face/face sur un jeune individu en fuite ne représentant une menace pour personne. Le combat judiciaire sera long et difficile comme le confirme le défenseur des droits : «Il reste toujours extrêmement difficile d’obtenir la reconnaissance judiciaire des «contrôles au faciès » comme pratiques discriminatoires compte tenu de la difficulté d’en apporter la preuve face au pouvoir discrétionnaire des forces de police et à l’objectif légitime de maintien de l’ordre.» Page 54. (1)
L’Algérie face à ses responsabilités
L’Algérie est au cœur de la politique française depuis très longtemps, n’oublions pas que Louis XIV lorgnait déjà sur l’Algérie au XVIIe siècle en débarquant en 1664 à Jijel mais fut violemment repoussé. Aujourd’hui avec près de 6 millions de ressortissants en France, l’Algérie a raison de se préoccuper de sa communauté à l’étranger. C’est pourquoi son communiqué de presse suite à l’assassinat du jeune Nahel demandant à la France de préserver la sécurité de ses ressortissants, tout en ne cautionnant pas les dérives délinquantes est opportun, car elle connaît la charge du poison français sur ses ressortissants. Mais l’Algérie doit aussi faire beaucoup plus. D’une part en valorisant réellement sa diaspora en France, y compris dans le champ politique et mémoriel pour qu’elle puisse mieux se prendre en main et valoriser les potentiels nombreux (11) loin de tout misérabilisme et d’assistanat mécanique. Cet investissement serait le meilleur moyen pacifique de lutter contre le poison du racisme qu’elle subit quotidiennement.
D’autre part, en lui permettant d’apporter aussi en Algérie une réelle contribution au développement du pays par des dispositifs encourageant l’investissement, la mobilité des scientifiques et des enseignants. Des supports puissants pour consolider le développement de l’Algérie et freiner l’émigration illégale inquiétante de ses enfants. Les compétences existent, il faut désormais une volonté forte et opérationnelle des autorités algériennes pour les mettre en œuvre. La France n’a pas su s’inspirer de sa réconciliation avec l’Allemagne pour faire la paix des braves avec l’Algérie. Cette France qui avait subi l’innommable mais qui était aussi capable le jour de la victoire sur le nazisme de commettre à son tour l’innommable. Comment caractériser le 8 mai 1945 en Algérie si ce n’est un crime contre l’humanité où des milliers de civils algériens furent massacrés parce qu’ils avaient osé solliciter une égalité de traitement. Le poison français du colonialisme a martyrisé une grande part de la population indigène mais la ténacité des Algériens à devenir des hommes libres fut plus forte. Des Français, y compris de confession juive, ont soutenu cette lutte pour l’indépendance et ont permis à des millions d’Algériens d’être accueillis en France avec bonté et générosité. Ces Français qui continuent de lutter aujourd’hui contre ce poison racisme. Je suis convaincu que cette générosité française est le principal atout d’une réconciliation véritable loin du rapport de force que certains comme Driencourt et les autres tentent d’imposer aux Algériens. L’avenir est commun si on respecte l’autre, l’enfant de l’ex colonisé, l’ex-bougnoule, comme son égal en droit mais surtout en fait car c’est sur ce terrain que se joue la matérialisation du poison.
Les crimes racistes en France existent depuis fort longtemps, depuis le début du XXee siècle. Ils perdurent encore aujourd’hui, preuve d’une société française malade victime de son trauma colonial, incapable de déconstruire et prisonnière de son passé. La tragédie du jeune Nahel doit tous nous interpeller pour combattre ensemble le fléau du racisme en France. La France et l’Algérie sont condamnées à s’entendre sur cette question et à prendre les mesures les plus énergiques, y compris des réformes structurelles, comme le confirme le défenseur des droits. La jeunesse des deux côtés est prête depuis longtemps mais les résistances coupables souvent des politiques et des idéologues persistent. Au risque de radicaliser définitivement la société française et d’avoir à la prochaine élection présidentielle, un parti xénophobe au pouvoir. Je reste optimiste et je mise sur un avenir proche qui verra peut-être un jour un Président franco-algérien élu en France mais aussi en Algérie. Signe d’une fraternité exemplaire.
Par Pr Seddik Larkeche Intellectuel Franco-algérien
Bibliographie 1. Le Défenseur des droits, Rapport Discrimination et origines, l’urgence d’agir, 2020. 2. Larkeche S, Le poison français, lettre au Président de la république, Ena, 2017. 3. Larkeche S, Réponses d’un franco-algérien au Président Macron et à Benjamin Stora, Ena, 2021. 4. Labat S, La France réinventée : les nouveaux binationaux franco-algériens, Publisud, 2010. 5. Tillion G, la Traversée du mal, Arlea,1997. 6. Le Cour Grandmaison.O, Sur le rapport de Benjamin Stora, le conseiller contre l’historien, Mediapart,28.01.2021. 7. Driencourt X, Interview, Le Figaro, 8 janvier 2023. 8. Driencourt X, Interview, Atlantico, 12 juin 2023. 9. Boyer, V, Rapport sur la répression d’Algériens le 17 octobre 1961, Senat, 1 dédembre 2021. 10. Kitouni H, interview BerbereTv, 16 juin 2023. 11. Larkeche S, Il était une fois en France, Ena, 2000
Y a-t-il de l’eau dans le gaz entre Paris et Alger ? Ca ne serait pas nouveau sauf que Paris a bien besoin du gaz algérien pour réduire sa dépendance au gaz russe dans un contexte de guerre en Ukraine. Et c’est le président de l’Algérie qui aurait cette fois ouvert les hostilités. Par un décret promulgué le 24 mai dernier, Abdelmadjid Tebboune a décidé de réintroduire dans l’hymne national l’usage d’un couplet évoquant la France coloniale et qui était tombé en désuétude depuis 1986. Voici les paroles écrites par le poète algérien, Moufdi Zakaria, en 1955 dans les geôles coloniales françaises qui seront reprises dans l’hymne nationale lors des commémorations officielles en présence du Président de la République : « Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! Voici notre réponse. Le verdict, notre révolution le rendra, Car nous avons décidé que l’Algérie vivra ». Une décision qui n’a pas manqué de faire réagir la classe politique et la presse françaises. La ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, a estimé que cette décision pouvait « apparaître à contretemps » et qu’il fallait replacer « cela dans son contexte de la décolonisation ». “
Pourquoi étendre l’usage d’un hymne qui date d’une autre époque au moment même où le président de la République Emmanuel Macron et le président Tebboune ont décidé, à l’été dernier, de donner un nouvel élan à nos relations ? ». C’est une question que pose la cheffe de la diplomatie française et avec elle des journalistes très remontées contre le chef d’état algérien accusé d’être anti-français dans Marianne et francophobe dans le nouvel obs.Ce qui fait dire à Yazid Ben Hounet, anthropologue, chargé de recherche au CNRS et auteur de "Hirak, propagande et propagande médiatique", que les journalistes en France ne comprennent pas l’Algérie. On lui a donc demandé de bien vouloir nous aider à comprendre et nous expliquer pourquoi les relations entre Alger et Paris sont de nouveau tendues. Et pas seulement avec Alger, la France est également en froid avec le Maroc. Tandis que le Maroc est en conflit avec l’Algérie. On tente de décrypter tout ça, c’est l’heure de l’entretien d’actu !
La France est une grande nation démocratique où la qualité de vie est une des plus élevées au monde. L’Etat français ne peut être suspecté de racisme, j’en suis convaincu. Toutefois, la France est gangrénée de l’intérieur par un poison insidieux, d’une violence inouïe qui la fracture et la paralyse dans son développement.
Ce poison, c’est le fléau de la discrimination et plus particulièrement de la discrimination liée aux origines : le poison racisme. Discrimination et racisme sont étroitement imbriqués tel un continuum comme le confirme le Défenseur des droits (1), faisant dire à certains sociologues que la discrimination est un racisme en acte. C’est une réalité sociale qu’on ne peut plus négliger et qui fracture la France depuis plus de 60 années.
Le Défenseur des droits représente l’institution de l’Etat français en charge des luttes contre les discriminations. Il a raison de mettre en exergue l’effet dévastateur du poison racisme où l’on juge l’autre, l’étranger, non pas pour ce qu’il fait mais pour ce qu’il est ou supposé être avec une stigmatisation et des stéréotypes (couleur de peau, traits du visage, texture des cheveux, patronyme, prénom, accent, religion, lieu de résidence). Cet article s’interroge sur le modèle d’assimilation français et pose la question suivante : pourquoi le poison racisme ne fait que progresser ?
Quelles en sont les véritables causes y compris historiques et quelles préconisations pouvons-nous esquisser ?
Cette problématique renvoie à la dialectique de la société française, où une confrontation, invisible mais puissante s’opère, entre un « nous » et un « eux » qui se matérialise par une différence de traitement discriminant, souvent excluant et infériorisant. La fracture de la société française se matérialise à ce niveau en considérant ces autres, souvent citoyens français d’origines étrangères (principalement arabes, musulmans, noirs), comme des Français pas tout à fait comme les autres. Ces autres, un peu inférieurs, suspectés de ne pas partager les mêmes valeurs comme la laïcité ou l’égalité homme-femme, remettent en cause le pacte républicain poussant à les considérer comme les intrus ou les adversaires de la république.
La montée de l’extrême droite nationale et la droitisation de la société française, y compris dans les classes populaires, prône désormais ouvertement la préférence nationale avec le rapatriement ou l’expulsion forcée de ces citoyens toujours immigrés dans le regard de l’autre. Cette radicalisation fragilise ouvertement le pacte républicain qui a fait la grandeur de la France comme terre d’accueil de vagues d’immigrés successives. Il ne faut pas se tromper sur l’analyse, le poison racisme a toujours existé, au début du 20e siècle avec les immigrés italiens, juifs, arméniens, polonais, espagnols mais aussi maghrébins, avec les Algériens en première ligne qui fuyaient la misère de leurs pays où ils étaient devenus étrangers sur leurs propres terres parce qu’ils avaient été dépossédés et clochardisés par la puissance coloniale française. Le modèle français d’intégration a su assimiler les premières vagues d’immigrants d’origines européennes, le poison racisme s’étant rapidement estompé à leur égard contrairement aux maghrébins et en particulier les Algériens. Nous allons tenter d’en comprendre les effets, les causes et les perspectives.
LE POISON FRANÇAIS : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Les conséquences du poison racisme se jouent à différents niveaux. Au-delà de leurs coûts économiques et sociaux, elles entament le rapport de confiance des personnes discriminées aux institutions et questionnent leur place dans la société comme le confirme le Défenseur des droits(1). Un poison qui fragilise la cohésion sociale. Si vous ne donnez pas les mêmes droits dans les faits à un citoyen, il se sent exclu et légitime de ne plus être tenu par les mêmes devoirs. C’est en cela que la république a failli. La dignité des victimes du poison est altérée et tous les comportements y compris déviants sont désormais permis, s’octroyant le droit de bafouer les lois de la république parce qu’elle n’a pas su les considérer comme des citoyens à part entière. Ces victimes du poison s’exonèrent des devoirs de civisme et le revendiquent fièrement comme réponse violente à la société qui n’a pas su les considérer comme de véritables citoyens.
Cette lecture ne légitime aucunement les dégradations opérées lors des émeutes, au contraire elle tente de les expliquer comme conséquence d’une mal-vie pour qu’elles ne se reproduisent plus. La France se retrouve piégée par son poison car le pacte républicain est rompu avec des valeurs partagées disloquées en particulier en termes d’égalité de traitement face à l’emploi, le logement, le loisir mais aussi la mémoire, nous y reviendrons. En d’autres termes, le poison racisme fait exploser les stratégies d’évitement des lois de la république de certaines victimes y compris dans la violence et la délinquance, une forme d’auto-exclusion de la société comme réponse de protestation. La question des responsabilités se pose et semble ne pas trouver de réponse pertinente.
«Les discriminations fragilisent ainsi les formes d’adhésion des groupes discriminés à la République et nourrissent une certaine défiance vis-à-vis des institutions».Page 38 (1).
«Les personnes d’origine maghrébine, immigrées ou descendantes d’immigrés du Maghreb, sont également plus souvent exposées au risque de chômage que les personnes sans ascendance migratoire ayant les mêmes caractéristiques». Page 51 (1).
La France victime de son poison racisme
A l’heure où le pays s’enflamme, deux camps s’affrontent désormais au grand jour. Symbole de la fracture de la société française, le premier composé de français de tous bords, s’interroge sur la récurrence des soulèvements en banlieue. Le dernier, en 2005, avait coûté plusieurs milliards d’euros et un état d’urgence de plusieurs mois avait suscité la risée du monde. Il se pose par ailleurs la question de l’étrange incapacité de notre société à faire respecter le pacte républicain avec ces Français souvent d’origines maghrébines et en particulier algérienne. En face, principalement les populations d’origines maghrébines où l’appartenance religieuse est forte, considère que le poison racisme français les frappe de plein fouet encore et toujours, y compris en assassinant un des leurs parce qu’arabe, musulman, algérien et finalement français pas tout à fait comme les autres. Une question se pose, la France est-elle devenue un pays foncièrement raciste ? Ou alors les actes racistes sont-ils des actes isolés ? Ne seraient-ils pas que l’expression de quelques bavures, une réalité sociale mineure qui n’impacte pas le vivre ensemble. Ma réponse est explicite, la France n’est pas dirigée par un Etat raciste mais elle est gangrénée par le poison racisme.
En écrivant l’ouvrage «Le poison français » en 2017 (2) et en interpellant le Président Macron de l’urgence d’agir, j’avais pris position en affirmant que ce racisme anti-musulman était un poison pour la France. A nouveau, je réitère mes positions et affirme que c’est un fléau omniprésent qu’il faut combattre d’une manière puissante dans un souci d’apaisement. Il faut prendre la mesure et agir concrètement en urgence pour inverser la tendance haussière. Le Président Macron m’avait répondu dans un esprit cordial mais avait éludé le fond de la problématique en occultant ce poison racisme face à une islamophobie galopante.
Pire, en l’alimentant en légiférant en 2021 sur le séparatisme religieux, loi stigmatisant un peu plus les musulmans. Il l’accentue encore plus en consolidant l’idée que les antisionistes, ceux qui luttent contre la politique coloniale d’Israël dont sont principalement issus les musulmans et les algériens en particulier du fait de leurs histoires coloniales sont désormais suspectés d’être les nouveaux porteurs de l’antisémitisme français (3). Une nouvelle chape de plomb s’abat sur ces français d’origines musulmanes et algériennes. La question persiste. Ce poison français à l’égard des musulmans et en particulier des algériens, est-il une construction intellectuelle aux objectifs obscurs ou est-il une réalité qui ne peut plus être niée. Les rapports du Défenseur des droits (1), institution légitime de l’Etat, sont accablants et confirment l’ampleur du poison racisme en France comme fléau de masse et en progression.
LE DENI FRANÇAIS FACE AU POISON RACISME
«Ces discriminations, souvent peu visibles, entravent de façon durable et concrèteles parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs droits les plus fondamentaux. Selon le défenseur des droits, Les discriminations fondées sur l’origine concernent en effet une part importante de la population en France.
Si l’on ajoute l’ensemble des personnes dont les deux parents sont français et qui sont victimes de discrimination parce qu’ils sont assignés à une origine étrangère, on commence à saisir les contours d’un phénomène discriminatoire de masse, pourtant largement sous-estimé ». (1). Dans les médias et les discours institutionnels, le sujet des discriminations raciales se trouve dissout dans l’approche des inégalités sociales ou territoriales où sous le prisme du fait divers ou de la diversité, empêchant sa reconnaissance au profit d’autres analyses comme le reconnaît le Défenseur des droits. Le cadre de l’action publique en la matière est également marqué par une grande confusion des concepts : lutte contre les discriminations, promotion de la diversité, inclusion, politique d’égalité, laïcité, racisme ou encore intégration.
Cela tend à mettre en concurrence les registres d’intervention, à minorer les situations de discriminations et à favoriser l’inaction des pouvoirs publics en la matière. La question de l’identité semble avoir supplanté celle de l’égalité comme le confirme là encore le Défenseur des droits (1). Une autre question s’impose, qui sont les principales victimes du poison français et pourquoi ?
LES PRINCIPALES VICTIMES DU POISON FRANÇAIS, LES MUSULMANS ET LES ALGÉRIENS
«Les polémiques récentes et toujours renouvelées autour du principe de laïcité, interprété parfois de manière extensive, ont continué à renforcer la stigmatisation des personnes de confession musulmane ou simplement perçues comme telles ».Page 48. (1) « Le marqueur religieux tend à redoubler le marqueur racial : les personnes perçues comme arabes déclarent majoritairement être également considérées comme étant de confession musulmane (88% des femmes et 94% des hommes)». Page 31(1)
Depuis plus de trente ans, les citoyens français de confession musulmane sont quasi absents du paysage politique comme s’ils le désertaient parce que ne se sentant pas concernés. Ce milieu politique semble totalement décalé des réalités parce que peu vivent ou ont vécu de l’intérieur le quotidien de cette population. La désillusion est profonde vis-à-vis de cette classe politique qui sous couvert de l’intérêt général passe souvent son temps à « casser » du musulman dans les médias ou ailleurs. Il faut désormais avoir le courage de les nommer pour enfin ne plus les stigmatiser d’une manière insidieuse et poser sérieusement le devenir de cette communauté dans la société française.
On a tout fait pour ne pas la nommer sous couvert de l’absence de communautarisme. Par cette politique de l’autruche, on écarte les problématiques présentes car dans les faits cette population induit un communautarisme de destin avec un poison racisme des plus aiguisé à son encontre. On leur demande surtout de ne pas se représenter en tant que membre d’une communauté ethnique tout en les renvoyant d’une manière insidieuse à leurs communautés d’origine (arabe et musulmane).
La contradiction principale s’inscrit dans cette équation impossible à vivre. Le système ambiant les enferme souvent dans une forme de déterminisme ou la reproduction sociale est quasi générale, y compris chez les plus diplômés, toujours avec ce regard d’être des Français pas tout à fait comme les autres, un peu beaucoup et toujours étrangers dans le regard des autres.
Le système a grand mal à nommer ce type de population comme si c’étaient des hommes sans nom, comme au temps de la colonisation avec une élite maghrébine souvent instrumentalisée qui n’a pas su transmettre des repères percutants, centrée sur un carriérisme personnel oubliant le déterminisme des masses qui était frappé par le poison et l’exclusion. On parle de jeunes, de gens des cités et dans le meilleur des cas de beurs, faisant dire à certains « nous ne sommes plus du beurre à tartiner ». Ces musulmans sont en grande partie d’origine algérienne, il y aurait en France 4 millions de franco-algériens selon Sévérine Labat (4) et 6 millions selon le Président algérien Abdelmadjid Tebboune.
Quelle que soit la source retenue, cette population est très nombreuse et représente près de 10% de la population française totale et plus de 50% de la population totale musulmane en France.
Le poison racisme à l’égard des musulmans, où les Algériens sont majoritaires, peut s’expliquer en partie par une raison historique, celle de la colonisation française en Algérie. Cette colonisation française, fondée principalement sur le racisme en refusant l’égalité des droits aux indigènes algériens sur le fondement de l’incompatibilité de la croyance musulmane à la citoyenneté française. La question qui perdure, le poison du racisme colonial n-a-il pas perduré dans nos sociétés actuelles en considérant toujours ces enfants de colonisés comme étant inférieurs, incompatibles avec la société française car musulmans et finalement jamais comme des Français à part entière.
Les algériens en France, la triple peine : colonisé, islamiste et antisémite
Aujourd’hui, la majorité des musulmans de France, dont les Algériens constituent la majorité, subit une triple peine. La première est d’être toujours considérés comme étrangers et un peu inférieurs dans le regard de l’autre car enfants de la colonisation, toujours un peu indigènes de la république. Ensuite, le fait d’être musulman aujourd’hui dans la cité française se confronte à l’image séculaire de cette religion qui est maltraitée depuis au moins mille ans, comme dernière religion du livre révélé. Enfin, ces musulmans, surtout les Algériens, sont souvent les supposés porteurs du nouvel antisémitisme français faisant de ce cette population la cible privilégiée du poison français. Alors que l’on aurait pu croire que le système les aurait protégés un peu plus du fait d’un racisme démultiplié à leur encontre.
Pour les autres pays du Maghreb, sur cette question du nouvel anti sémitisme, la tendance serait moins lourde. Le Maroc ayant normalisé ses relations avec Israël et la Tunisie négocie, d’une manière secrète depuis longtemps, une éventuelle normalisation avec Israël. Pour ces deux pays, une communauté juive est toujours présente. L’Algérie, dernier pays du front de la fermeté contre Israël, serait dans le viseur de beaucoup de lobbyistes en France. L’ultime question qui s’impose : quelles sont les causes profondes du poison ?
(A Suivre)
Par Pr SEDDIK LARKECHE
Bibliographie
Le Défenseur des droits, Rapport Discrimination et origines, l’urgence d’agir, 2020. 2. Larkeche S, Le poison français, lettre au Président de la république, Ena, 2017. 3. Larkeche S, Réponses d’un franco-algérien au Président Macron et à Benjamin Stora, Ena, 2021. 4. ;Labat S, La France réinventée : les nouveaux binationaux franco-algériens, Publisud, 2010. 5. Tillion G, la Traversée du mal, Arlea,1997. 6. Le Cour Grandmaison.O, Sur le rapport de Benjamin Stora, le conseiller contre l’historien, Mediapart,28.01.2021. 7. Driencourt X, Interview, Le Figaro, 8 janvier 2023. 8. Driencourt X, Interview, Atlantico, 12 juin 2023. 9. Boyer, V, Rapport sur la répression d’Algériens le 17 octobre 1961, Senat, 1 dédembre 2021. 10. Kitouni H, interview BerbereTv, 16 juin 2023. 11. Larkeche S, Il était une fois en France, Ena, 2000
La ville dans laquelle a grandi Nahel M., où ont démarré les émeutes, a une histoire singulière, aux portes de Paris. Celle d’une cité devenue préfecture des Hauts-de-Seine, où voisinent une partie de la Défense et des quartiers populaires, et où vit une population métissée.
Le bidonville de Nanterre, où vivaient un grand nombre de familles d’immigrés algériens, le 24 mars 1964. A l’arrière-plan, les grands ensembles d’immeubles HLM. AFP
Ce matin du 2 novembre 1964, les trains de banlieue en provenance de Paris Saint-Lazare marquent comme d’habitude l’arrêt à Nanterre-La Folie. Mais, en ce lundi de rentrée universitaire, de nouvelles silhouettes s’égaillent dans ce paysage peu accueillant : des jeunes d’une vingtaine d’années – garçons en veste, chemise, souvent cravatés et, moins nombreuses, filles en robe ou jupe descendant à la hauteur des genoux –, déferlent par vagues à la sortie de la gare. Les voilà qui s’engagent en hésitant sur la direction à prendre au milieu du cloaque d’une tranchée boueuse d’où émergeront dans plusieurs mois les voies du RER A et la nouvelle gare Nanterre-Université.
Ils sont près de mille étudiants venus pour la majorité d’entre eux de Paris, qui se sont inscrits pendant l’été à cette nouvelle faculté de lettres et de sciences sociales : l’université Paris-Nanterre d’où, le 22 mars 1968, démarrera la révolte étudiante, prélude au grand mouvement de Mai 68. Mais, en ce début des années 1960, le pays n’en est pas là. Il faut soulager la Sorbonne, qui menace de déborder, et les autorités ont choisi cet ancien site militaire de l’armée de l’air pour y ériger cinq bâtiments reliés par un immense couloir.
A peine trois ans auparavant, à quelques centaines de mètres de là, un bidonville peuplé de travailleurs algériens couvrait une partie de cet espace situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de la capitale. Ils étaient là depuis la fin de la guerre, œuvrant à la reconstruction du pays ou sur les chaînes des usines automobiles de Simca et de Citroën. Parqués à la va-comme-je-te-pousse dans cette zone au milieu de nulle part, ils avaient improvisé des cabanes de planches, de tôles ondulées et d’autres matériaux de récupération.
Les populations relogées plus loin
En ce début des années 1960 et de la Ve République, Nanterre est un gigantesque chantier parsemé de grues que la fureur des engins mécaniques dispute au vacarme des marteaux-piqueurs. En 1958, l’Etat a planifié la création d’un quartier d’affaires aux portes de Paris. L’Etablissement public pour l’aménagement de la région de la Défense sort des cartons, et des norias de pelleteuses commencent un manège qui va durer plus de vingt ans.
Petit à petit, les bidonvilles, stigmates de misère éparpillés çà et là sur ce bout de territoire entre Seine et carrières, hérités de l’histoire des migrations intérieures et extérieures – on en comptabilise une dizaine dans la localité – sont détruits. Au plus fort de la guerre d’Algérie (1954-1962), ils ont été des bastions de la branche métropolitaine du Front de libération nationale et en ont payé le prix au soir de la manifestation du 17 octobre 1961. Un vieux quartier constitué d’un ramassis d’habitations hétéroclites, refuge des chiffonniers, est rasé. Toutes ces populations d’origines diverses qui n’ont que leur dénuement en partage sont relogées plus loin vers l’ouest, dans des cités de transit annoncées comme provisoires.
En cette année 1964, en même temps qu’elle accueille la nouvelle université, la commune de Nanterre devient préfecture d’un nouveau département. Avec la création du Val-de-Marne au sud, de la Seine-Saint-Denis au nord et des Hauts-de-Seine à l’ouest, l’Etat a démembré l’ancien département de la Seine, dont Paris était le centre. L’initiative du pouvoir gaulliste recèle un double enjeu : économique et politique. Le premier pour accélérer le développement de l’agglomération parisienne. Le second pour cantonner les communistes en Seine-Saint-Denis, manière de contenir l’influence de ce parti qui pèse dans le rapport de force contre la droite.
Des cités de transit fleurissent
Les paysages de la banlieue se transforment. Les premières tours de la Défense s’élèvent au-dessus des gravats. Nanterre, désormais préfecture des Hauts-de-Seine, change aussi de statut. Administrations et services de l’Etat arrivent. Les fonctionnaires et les salariés du tertiaire bousculent les modes de vie de l’ancienne ville que gèrent les communistes depuis 1935, exception faite des années d’Occupation, entre 1940 et 1944.
En 1971, Jacqueline Fraysse a 24 ans. Jeune militante, elle est élue au conseil municipal qui, depuis la Libération, est dirigé par le communiste Raymond Barbet. Elle deviendra maire à son tour en 1988, poste qu’elle occupera jusqu’en 2004. « Quand les bidonvilles et le vieux centre de Nanterre ont été démolis, au début des années 1960, des logements sociaux ont été construits, se souvient-elle. La ville s’est développée à partir de là, dans un cadre fixé par l’Etat. »
Des cités de transit poussent dans le Petit-Nanterre sur les amas des bidonvilles à l’instar de celui des Pâquerettes dont la cité – toujours debout – a hérité son nom. Sur les décombres des vieilles baraques de l’ancien centre, que les pelleteuses ont réduit en poussière, se dessine le quartier du Parc-Nord, avec le parc André-Malraux et, à proximité, plus au sud, la cité Pablo-Picasso.
Pauvreté extrême
C’est là, dans l’une de ces dix-huit tours construites au cours des années 1970 que vivait Nahel M., tué mardi 27 juin 2023 par un policier. Un ensemble conçu par l’architecte Emile Aillaud, avec ses façades courbées peintes aux couleurs d’un bleu ciel ennuagé, ses fenêtres en forme de gouttes d’eau, ses appartements confortables réservés à une population peu habituée au confort, le tout symbole de ce nouvel urbanisme aux ambitions esthétiques et sociales revendiquées des années 1970.
Classées au Patrimoine mondial de l’Unesco et en cours de réhabilitation, ces tours sont aujourd’hui un concentré de précarité et, souvent, de pauvreté extrême. Cinquante années ont passé et, loin de s’arranger, la situation n’a fait que s’aggraver. Gangrenée par le trafic de drogues, la cité est pour partie la proie de voyous. Le commerce de stupéfiants – l’une des principales activités économiques – y affiche une bonne santé. Les trafiquants prospèrent et tentent d’imposer leur loi.
En février, Le Parisien avait relaté cet épisode. Les dealeurs de la tour 11 avaient placardé à l’entrée de l’immeuble le message suivant : « Chers voisins, chères voisines. Comme vous avez pu le constater, nous sommes de retour dans la tour (…). Nous ne sommes pas là pour perturber votre quotidien, uniquement pour travailler. » Et de s’engager à respecter un code (ne pas fumer dans les cages d’escalier, ne pas faire de tapage, ne pas laisser traîner de déchets), dans la mesure où les résidents s’engagent en retour à respecter « les employés ». Pour toute question ou demande, « la direction » du point de deal se disait disposée à communiquer dans le but d’aplanir les éventuelles tensions.
« Nanterre est une ville métissée »
A l’automne 2005, lorsque les banlieues ont flambé, après la mort de deux adolescents poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Nanterre est restée calme. Pas d’émeutes, pas de voitures brûlées, aucun bâtiment public détérioré, aucune institution prise pour cible. Dix-huit ans après, Jacqueline Fraysse, qui était alors redevenue conseillère municipale, y voit encore les résultats d’une politique municipale tournée vers l’écoute et le dialogue, en premier lieu avec la population des cités. « On venait de lancer les assises pour la ville, se remémore-t-elle. Chacun était invité à rêver son projet. Il y avait des conseils de quartier au sein desquels la population était active. » D’autres y voyaient plutôt la mainmise, déjà, des trafiquants sur les quartiers, notamment celui de la cité Pablo-Picasso, qui redoutaient que le déploiement des forces de police n’affecte leur commerce illicite.
L’actuel maire de la ville, Patrick Jarry (divers gauche), un Nanterrien qui a grandi dans le Petit-Nanterre, le concède : « Bien sûr qu’il y a des trafics, comme dans beaucoup d’endroits. La consommation de drogue progresse dans tout le pays, Nanterre n’y échappe pas. » Mais, insiste-t-il en substance, il n’est pas vrai qu’ils régissent la marche de la ville. Pas davantage que les tensions entre différentes communautés. Selon lui, son histoire, écrite au fil d’immigrations nombreuses, l’immunise contre les tentations de repli communautaire. « Nanterre est une ville du vivre-ensemble, entourée de villes qui à l’inverse cultivent l’entre-soi », souligne-t-il.
Installée dans l’ancienne mairie, au cœur du vieux Nanterre, la société d’histoire de la ville préserve la mémoire de la cité, remontant au-delà du Moyen Age. Une mémoire qui raconte que, après avoir été un gros bourg – havre de riches propriétaires soucieux de se maintenir à l’écart de l’agitation parisienne –, à partir du XXe siècle la ville s’est peu à peu étendue, au fur et à mesure d’une industrialisation attirant les migrants, d’abord nationaux, puis portugais, italiens, maghrébins et africains subsahariens. Tous venaient pour travailler et n’avaient nul endroit où loger. Aussi s’établissaient-ils sinon au mieux en tout cas au « moins pire », en usant des moyens du bord.
Cette histoire fait dire à Patrick Jarry et à sa prédécesseure, Jacqueline Fraysse, que Nanterre s’est forgée avec les migrants. « Nanterre est une ville métissée, affirme-t-il. Une ville de pionniers arrivés là pour se construire un avenir. » Un avenir qui, à ce jour et après bien des épisodes, reste marqué par un trop-plein d’inquiétudes.
En vieux briscard de la communication, le maire de Béziers, Robert Ménard, ancien secrétaire général et co-fondateur de l'Organisation non gouvernementale (ONG) Reporters sans frontière (RSF), a su focaliser les feux de la rampe sur sa personne dans des moments particulièrement chauds en France, où exprimer sa haine de l'immigré est devenu, chez une certaine classe politique, presque une fierté nationale. Quitte à se mettre hors-la-loi, le maire de cette ville française a refusé de marier un Algérien et une française sous prétexte que le jeune Algérien se trouve en situation irrégulière en France, sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pourtant, la loi est claire, notamment l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui stipule qu'«à partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit», ainsi que deux décisions du Conseil constitutionnel, rendues en 1993 et en 2003, qui reconnaissent cette liberté du mariage et sa conformité quelle que soit la situation administrative des futurs époux. Dans le cas de ces futurs mariés, l'autorité judiciaire, représentée par le procureur de la République, ne s'est pas opposée à ce mariage. Que se passe-t-il dans la tête de ce maire qui veut fonder sa propre République à l'intérieur de la République française ? En haut lieu, on lui a répondu que s'il veut qu'une personne en situation irrégulière soit interdite de mariage, il doit faire une proposition dans ce sens dans la prochaine loi sur l'immigration. En l'état actuel des choses, il ne peut pas s'opposer à ce mariage. Il peut, bien sûr, se mettre hors-la-loi, et refuser d'officier ce mariage, mais il risque gros. Car, la mariée, une Française, qui a tous les droits qu'il a lui-même, ne lui pardonnera pas cette offense. Déjà, dans le sillage de sa tentative de ternir l'image du futur mari, affirmant qu'il est «connu des services de police pour vol avec recel et agression», la future mariée a dénoncé à travers les médias l'illégalité de la décision du maire, non sans lancer que «c'est lui le voyou». L'affaire ira devant les tribunaux, car les futurs époux ont décidé de porter plainte contre le maire en question, qui risque gros, jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, sans parler de la sanction administrative (le Conseil des ministres peut procéder à sa suspension).
Que gagne-t-il dans cette affaire ? Une aura politique dans le cercle de l'extrême droite. Une partie des Français est, de plus en plus, remontée contre les étrangers, les Maghrébins particulièrement, suite à un matraquage en règle qui laisse croire que tous les malheurs de la France sont provoqués par l'immigration. La tension qui a régné, ces derniers jours, dans plusieurs régions en France, suite à l'assassinat du jeune Naël, a légèrement baissé, mais certains veulent encore plus de spectacle.
Que s’est-il passé samedi 8 juillet, lors de la dispersion de la marche en la mémoire d’Adama Traoré, jeune homme mort lors de son interpellation par des gendarmes en 2016 ? A l’issue d’un court défilé qui s’est passé globalement dans le calme, Yssoufou Traoré – le frère d’Adama Traoré et d’Assa Traoré, figure du comité La Vérité pour Adama, qui entend lutter contre les violences policières – a été interpellé par des policiers de la BRAV-M, brigade de répression de l’action violente motocycliste. Il est mis en cause pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique », selon un communiqué de la Préfecture de police de Paris.
M. Traoré a d’abord été conduit dans un commissariat, où on lui a notifié sa garde à vue. Mais il y a fait un malaise. Il est alors conduit à l’hôpital par les pompiers. Sa garde à vue sera levée pendant la nuit, alors qu’il était toujours hospitalisé. Il est sorti de l’hôpital dimanche à la mi-journée.
Son avocat, Yassine Bouzrou, considère, auprès du Monde, que si la garde à vue a été si rapidement levée, c’est que « le parquet a compris à quel point les motifs d’interpellation de M. Traoré et les accusations portées contre lui sont fantaisistes ». Dans un communiqué, l’avocat résume la situation : « Yssoufou Traoré a été victime de violences commises par des policiers de la BRAV-M qui semblent disproportionnées et illégitimes, il a notamment subi un plaquage ventral. »
Me Bouzrou énumère les blessures de son client : « Une fracture du nez, un traumatisme crânien avec contusion oculaire, des contusions thoraciques, abdominales et lombaires révélatrices de la violence du plaquage ventral subi. » Il annonce, en outre, déposer une plainte pour « violences volontaires aggravées ». Contactée, la Préfecture de police n’a pas été en mesure d’apporter de plus amples précisions. Le parquet de Paris, quant à lui, déclare que « l’enquête étant en cours », il « ne souhaite pas évoquer le fond de l’affaire à ce stade », ni réagir aux déclarations de Me Bouzrou.
Des manifestants protestent contre la technique d’interpellation
L’interpellation de M. Traoré a été filmée et les images corroborent le récit fait par Me Bouzrou. Cette vidéo s’est rapidement retrouvée sur les réseaux sociaux. On y voit M. Traoré avec d’autres personnes en contrebas de la gare de l’Est, à quelques mètres de l’endroit où le comité La Vérité pour Adama avait appelé à une dispersion dans le calme. On l’entend dire qu’il ne « bougera pas » de là où il se trouve.
Des policiers de la BRAV-M s’approchent. Une bousculade s’ensuit, M. Traoré tente de partir en courant. Un policier l’attrape et le met au sol, et plusieurs de ses collègues le rejoignent pour le plaquer. En tout, ils sont quatre, puis trois à le maintenir au sol, sur le ventre. Une jeune femme s’approche pour protester. Elle est violemment poussée par un policier et tombe. Me Bouzrou annonce, d’ailleurs, porter plainte à la suite de ces agissements, là encore pour « violences volontaires aggravées ».
Ensuite, des manifestants protestent contre la technique d’interpellation. L’un d’eux est rudement repoussé par un policier qui utilise son bouclier. M. Traoré est alors mis debout, en chaussettes (il a perdu ses chaussures lors de son interpellation) et est conduit vers un véhicule de police. Des journalistes sont présents et filment la scène, notamment Clément Lanot, free-lance qui couvre régulièrement les manifestations, le photographe Florian Poitout et Pierre Tremblay, du HuffPost (qui fait partie du groupe Le Monde).
Tous trois recevront des coups ou seront poussés sans ménagement par des membres des BRAV-M. « Mettre au sol des journalistes pour les empêcher de prendre des images d’une interpellation est une violation inacceptable de la liberté d’informer », a réagi Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. Le HuffPost a condamné des « violences scandaleuses et inacceptables ».
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Enfin, un manifestant lance un projectile vers les forces de l’ordre. Ces dernières interpellent alors un militant (la vidéo ne permet pas de savoir si c’est lui qui a lancé l’objet). Il n’oppose aucune résistance. Les membres du comité La Vérité pour Adama encore présents demandent aux gens de « reculer », pour faire tomber la pression.e régulièrement pointée pour ses interventions – détonne avec ce qui s’est passé samedi après-midi. Au moins 2 000 personnes s’étaient retrouvées place de la République malgré l’interdiction, par la Préfecture de police, du rassemblement annuel commémorant la mort en 2016 d’Adama Traoré, qui avait auparavant été interdit à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).
« Ils jettent de l’huile sur le feu »
Assa Traoré a tout de même voulu tenir une conférence de presse à Paris. Au départ, quelques dizaines de personnes sont venues écouter les interventions de Mme Traoré, des militants associatifs, des représentants de syndicats (CGT, Solidaires, UNEF) et des responsables politiques. Tous ont dénoncé une interdiction de manifester qualifiée de « liberticide ». Juchée sur un banc, Assa Traoré a rappelé que la commémoration annuelle organisée en la mémoire de son frère était pacifique et visait à réclamer « vérité et justice ». « En l’interdisant, ils jettent de l’huile sur le feu. Nous voulons dénoncer toutes les violences policières. On marche pour la liberté, la démocratie et contre l’impunité policière », a-t-elle notamment martelé.
Ensuite, et après une courte bousculade, les manifestants se sont mis au pied du Monument à la République. Après les sommations de la police menaçant d’« employer la force » si elle ne quittait pas les lieux, la petite foule s’est dirigée vers la gare de l’Est. S’en est suivie une courte marche, sans débordements.
Aux cris de « pas de justice, pas de paix » ; « justice pour Adama » ; « justice pour Nahel », ou encore « tout le monde déteste la police » et « siamo tutti antifascisti [nous sommes tous antifascistes] », le cortège a rapidement remonté le boulevard Magenta jusqu’au croisement avec la rue du Faubourg-Saint-Martin, où les membres du comité La Vérité pour Adama ont appelé à la dispersion. « Nous avons eu le dernier mot », s’est félicité, juste avant l’interpellation de son frère, Assa Traoré, depuis le toit d’un Abribus.
Dans cette manifestation improvisée, on pouvait croiser plusieurs députés. La France insoumise était fortement représentée avec Eric Coquerel, Mathilde Panot, Antoine Léaument, Danielle Simonnet, Rachel Keke, Louis Boyard, Jérôme Legavre et Thomas Portes, tous élus en Ile-de-France. Côté écologistes, Sandrine Rousseau, élue à Paris, et Aurélien Taché, élu dans le Val-d’Oise, avaient notamment fait le déplacement, tout comme le député européen David Cormand. A la fin de la marche, quelques policiers étaient à l’intérieur du cortège, sans que cela pose de problème particulier. Ce qui rend d’autant plus surprenant la façon dont s’est déroulée l’interpellation d’Yssoufou Traoré.
Par Abel Mestre Publié aujourd’hui à 16h36, modifié à 18h14
La police algérienne peut former la police française
Face au débordement total de l’ordre public en France
Rédaction LNR
Visiblement très répressive et trop violente à la fois jusqu’à même commettant des dépassements graves, parfois d’actes racistes, contre sa propre population, des erreurs professionnelles gravissimes ayant coûté la vie à de nombreux citoyens français, la Police française est en déroute et dans le noir, la formation des agents de l’ordre pose un très sérieux souci en France. La police algérienne ayant une longue expérience et une expertise réputée et avérée dans la gestion de l’ordre public, peut fournir de l’aide technique et pédagogique à la police française.
En déroute et dans l’impasse, la Police française est dans le grand collimateur après les graves dépassements et attitudes commis par ses policiers, apparemment et visiblement très mal sélectionnés et mauvaisement formés dans le domaine du maintien de l’ordre public, voire la sécurité publique en générale. La mort par balle d’une arme automatique, durant le 27 juin dernier, du jeune adolescent Nahel, le Franco-Algérien âgé seulement de 17 ans dans la région de Nanterre, en France, suite à un tir volontairement mortel d’un agent de l’ordre français, un motard policier relevant de la Sécurité routière, a été la goutte qui a fait déborder le vase en France mais, partout dans le monde, où l’indignation a été générale, forte et intraitable. Un acte purement raciste, voire même criminel venant d’un policier français vraisemblablement un adhérent à l’idéologie de la haine envers les jeunes Arabes musulmans, étant donné qu’il s’agit d’un jeune mineur de 17 ans ayant une tête arabe, dont l’abattre était une question «légitime» et «démonstratif» pour le policier français. Un geste qui démontre parfaitement l’état où se trouve aujourd’hui la Police française, cette institution de sécurité qui est derrière plusieurs dépassements racistes commis auparavant et avant l’ignoble acte perpétré contre Nahel, n’ayant épargné personne, ni même les mineurs et femmes y compris les citoyens français, où tout le monde se sent en insécurité. Tout le monde est d’accord, après les flagrantes, répétitives et sanglantes répressions policières vécues durant ces quatre années par les citoyens français, pour dire et constater à la fois que la police française est l’une des institutions de sécurité les plus violentes et racistes dans le monde. Une réalité rapportée et dénoncée presque quotidiennement par des médias français, par la classe politique française et par le peuple français, dont il est amplement victime d’une véritable machine de répression, brutalité et violence engagés par la Police française. Une répression policière très agressive qui est derrière, faut-il le signaler, la mort des dizaines de citoyens français pour faute d’obtempération, de l’éborgnement des dizaines d’autres relevant du mouvement des «Gilets jaunes» à travers les marches populaires, et derrière, également, des dépassements gravissimes, voire des actes de racismes commis contre des citoyens français d’une «seconde zone». Il est parfaitement illustratif et tristement démonstratif à la fois pour dire, qu’aujourd’hui la Police française se trouve dans l’embarras, très malade et en grande déroute, où le choix et la formation des policiers sont au socle de sa grande maladie, sans parler de certaines mesures et décisions brutales prises par des politiciens dans le cadre de la lutte contre le phénomène du terrorisme, notamment la loi autorisant le tir à balles réelles contre chaque citoyen français refusant d’obtempérer dans un barrage policier. C’est précisément cette loi décidée en 2017 par le Premier ministre français, Bernard Cazeneuve, qui, après sept ans de son installation, a provoqué aujourd’hui un chaos urbain en France. Un délit routier qui a causé depuis sa promulgation en 2017 et jusqu’à présent la mort de 31 citoyens français, tous tués par balles dans leur siège. Un véritable génocide routier, une atteinte aux droits de l’Homme, à la sécurité publique et une loi qui tue, la Police française a commis, au nom de la loi suprême de l’Etat, des tueries contre sa propre population.
La violence de la Police française et l’intelligence de la Police algérienne Incontestablement très différent dans la manière d’intervenir, d’instaurer l’ordre public et de gérer les grandes foules, les marches populaires, les rassemblements et la sécurité publique, la Police algérienne représentée par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) s’est montrée plus professionnelle, adaptée et plus capable à gérer les situations les plus difficiles et les évènements les plus grands par rapport à la Police nationale française, où la violence, répression, erreurs et dépassements se comptent à la pelle. Face à des millions de citoyens algériens descendus dans les rues et avaient occupés, en février 2019, des villes et artères principales, scandant pacifiquement le départ d’un pouvoir mafieux, la Police algérienne s’est montrée à la hauteur dans une gestion des grandes foules parfaitement menée par des policiers ayant un haut sens de responsabilité et hautement formés dans le traitement dans ce genre de situation. Le mouvement populaire pacifique du Hirak de l’année 2019 avait été un succès retentissant à l’échelle mondiale, une leçon de professionnalisme et une grande victoire remportée par la Direction générale de la sûreté nationale, lorsque celle-ci avait démontré ses grandes capacités et le haut sens de professionnalisme de ses agents de l’ordre à gérer parfaitement, sans recourir à la force et sans provoquer un seul dépassement ou autre violence dans la gestion des grandes foules. Menés par des policiers algériens aguerris, robustes, très vigilants et très intelligents à la fois, dans une conjointure mondiale agitée par de nouvelles formes, voire de «générations» de guerres, notamment celle liée à la communication où le faux est plus dominant que le vrai, le Hirak 2019 a parfaitement démontré et illustré l’expérience et les grandes capacités, dont disposent la Police algérienne dans le domaine de la gestion de l’ordre public. Une expérience de la Police algérienne qui peut être partagée avec la police française, surtout dans des moments des plus difficiles que traverse l’institution de sécurité française.
Une Police française très agressive qui éborgne son propre peuple Tout le monde se souvient de la brutalité sans limite de la Police française, lorsqu’en été 2019, celle-ci avait fait l’usage abusif de force, violence et répression contre le mouvement populaire pacifique porté par des dizaines de milliers de «Gilets jaunes», allant jusqu’à même éborgner des dizaines de citoyens français avec les matraques des policiers français acharnés. En Algérie le Hirak, qui se déroulait en même temps que le mouvement social en France, la Police algérienne a fait preuve d’un grand sens de professionnalisme, de courage et de hautes responsabilités face à des millions de citoyens descendus en même temps dans les rues. En France, alors que tout le monde comptait les dizaines de cas confirmés de manifestants du mouvement des «Gilets jaunes» où un citoyen avait perdu un œil suite à la violence et à la répression policières vécues dans plusieurs villes françaises, en Algérie, la Police algérienne s’est montrée tout à fait contraire et gérer grandement les mouvements populaires pacifiques. Aucun dépassement n’avait été déploré ni même un seul cas d’éborgnement d’un militant ou autres citoyen. Un traitement des grandes foules digne d’une institution de sécurité de première classe, la DGSN avait été à la hauteur, cela explique et divulgue parfaitement et amplement le niveau de professionnalisme auquel a atteint aujourd’hui la Sûreté nationale. Cela lui a permis d’atteindre de nouveaux seuils et d’avoir une grande réputation dans le monde, notamment par la Police internationale (Interpol) et la Police africaine (Afripol), sans compter la grande admiration affichée par de nombreux pays. Sofiane Abi
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