Une guerre sans front La vraie guerre quand même Par des héros sans nom, A l’âge des « je t’aime ».
Ils ont dormi longtemps, ces maux de l’Algérie, Comme un bruit défendu, un flot que l’on charrie. Nous étions jeunes alors, nous étions au printemps. Notre automne est venu : de parler il est temps.
Un siècle avait coulé où nous étions les maîtres, Ce jour de la Toussaint vint secouer nos êtres. O le déchirement du bateau qui partait ! Entre le ciel et l’eau l’inconnu s’apprêtait.
Au-delà des ses peurs chacun a trouvé place Et les coeurs ont battu et vieilli les audaces. Le premier blessé, le sang qu’on a frôlé, Les retours de nos morts, les cris des rappelés !
Si l’on fait le bon cidre en broyant tant de pommes, Quel fut le résultat... en broyant tous ces hommes ? Les rires ou colères ont-ils vu augmenter, Avec notre amitié, la part d’humanité ?
Tandis que cheminaient nos consciences et l’Histoire, Dans la brume de guerre, s’emplissaient nos mémoires. Puis nous avons connu, au milieu des périls, Le non des transistors aux félons de l’Avril.
Vint un signe de l’eau : Evian, pour le silence, Pour des soupirs de mère et le retour en France. Certains ont cru ce jour aube de libertés mais il menait encor à d’autres cruautés.
Autre guerre sans front Mais la guerre quand même - par des ombres sans nom A l’âge des « je t’aime ».
Maxime Becque, (2 000) Ancien d’Algérie
Pourquoi voyons-nous tant d’injustices et misères ? Sur tous les continents des gens souffrent sur terre. Chacun trouve mille raisons d’avoir raison Car l’humain n’aime pas se remettre en question. Sa fierté accepte mal les remises en cause Malgré son savoir et les moyens dont il dispose. Tares et mille boulets le freinent en son essor Depuis la nuit des temps, il est frêle et se croit si fort !
Nuit algérienne
La guerre faisait rage en terre algérienne, Le djebel hostile dressait ses cimes nues, La lune dans le ciel immobile et sereine, Eclairait le désert de sa lumière crue, Que coiffaient çà et là quelques rares palmiers, Les armes des soldats, vigilance opportune, Rappelaient les dangers à ne pas oublier ! Soudain la palmeraie, oasis de quiétude, Résonna sèchement de rafales multiples, d’une soirée troublée véritable prélude, Des rebelles hardis nous avaient pris pour cible ! L’ambiance changea presque instantanément, Les balles à présent sifflaient à nos oreilles, Subirions-nous l’assaut qui semblait imminent, Que chacun redoutait après des nuits de veille ? L’alerte fut rapide et la réponse franche, Des éclairs maintenant jaillissaient du fortin, Semant la confusion, là-bas, entre les branches, Et peut être la Mort, nous le saurions demain ? Le ciel s’illumina de fusées éclairantes, Causant à l’ennemi un désarroi certain ; Elles montraient pour moi lenteur désespérante, Avant de disparaître, ailleurs, dans le lointain ! Pour un temps plus de tirs, plus de coups menaçants, Un silence imprévu autant qu’inexplicable, Questionnement soudain, sans réponse, agaçant Ennemis disparus ou desseins insondables ? Pas plus tôt le fortin plongé dans la pénombre, Un feu nourri reprit presque immédiatement, Des rebelles tapis nous ignorions le nombre, Nos soldats faisaient front très courageusement ! Je connus un moment de rare indécision, Mesurant d’un seul coup dangers environnants, Dans mon esprit troublé désordre et confusion, Quand le présent requiert des ordres pertinents ! Fallait-il regagner les postes de combat, Entourant la mechta pour plus de protection, Ou rester dans nos murs, impérieux débat, Subir possible assaut, lourde interrogation ? Mon adjoint, vieux briscard rescapé d’Indochine, Me tira, Dieu merci, de ce grand embarras ; Nous resterions sur place et sans courber l’échine, Ensemble et bien groupés poursuivrions le combat ! Quand le silence vint après de longs échanges, Quand le désert reprit son aspect fascinant, Mes hommes dont je veux chanter haut les louanges, Retrouvèrent sang froid et calme impressionnant ! Seul je m’interrogeai sur la folie des hommes, Sur la Guerre stupide et sur tous ses méfaits, Elle qui de malheurs n’est jamais économe, Aurai-je assez de voix pour mieux la dénoncer ?
Sous-lieutenant Durando René ; Aïn Bou Zenad, le 30 septembre 1960.
Fellagah mon frère,
Fellagha, mon frère, je te reverrai toujours Dans la faible clarté du petit jour ! S'annonçait un beau jour d'hiver Près du village de Zérizer. C'était, si ma mémoire ne flanche, Au lieu-dit de la « ferme blanche ». Ô Fellagha, mon frère, je te revois tous les jours Dans la faible lueur du petit jour ! Les chasseurs de Morritz t'ont tiré hors de la Jeep Où tu gisais, mains liées dans le dos Et le nez contre les rangers des soldats. A quoi pensais-tu, pendant cet ultime voyage ? A tes soeurs, à tes frères, à tes parents, A ton épouse, à tes enfants Restés seuls là - bas dans la mechta ? Pensais-tu à tes compagnons d'infortune Aux vies sauvées par ton mutisme, Ou bien priais-tu, Allah ton Dieu ? Un des soldats t'a bousculé jusqu'au milieu de la cour. Le P.M a aussitôt craché sa salve mortelle. Tu t'es affaissé sans un cri. Dans un gourbi proche, des enfants, Dérangés dans leur sommeil, se mettent à pleurer. Une à une les étoiles s'éteignent Dans le ciel sans nuage La journée sera belle ! Ô Fellagha, mon frère, je te reverrai toujours Gisant au milieu de la cour Dans la faible clarté du petit jour.
A. Roulet, appelé du contingent.
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois, ta guerre. Elle revenait te hanter souvent, les longs soirs d'hiver. Je sens encore le parfum des orangers, la chaleur du désert, Mais aussi les horreurs qui t'ont fait oublier tes prières.
J'étais enfant et j'écoutais tes récits, sagement, Ils m'ont fait comprendre combien l'homme est un tyran, M'ont donnés des frissons avant que j'ais l'âge de raison. Les tortures, les gamelles, tirailleurs marocains, rations.
Tes mots raisonnent encore en moi, et j'ai vu ton regard, Cent fois, mille fois tes yeux étaient repartis là-bas, hagard. Des scènes indescriptibles, le goût de la mort te poursuivra A jamais. Dépression post-algérie, les soldats ne parlent pas de ça.
Tu étais beau jeune homme et la vie devant toi, pleine de promesse, Mais cette guerre t'a maudit, fait tourner la tête, rempli d'ivresse. Je me demande parfois pourquoi les chants arabes me plaisent tant, Quelques mots me reviennent aux senteurs des parfums d'orient.
Tu m'a si bien dépeint ce pays aux accents de velours, Que tu as embrassé de tes bras de vingt ans avec amour Après une longue traversée un cargo vous déversant Ondée de jeune recrue à ces nouveaux vents grisants.
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois ta guerre. Je n'ai d'elle que quelques photos et des récits les longs soirs d'hiver, Où je t'écoutais sagement avec mon regard d'enfant, innocent. Tes récits de l'enfer où tu t'en est sorti, psychologiquement, survivant.
J'aime:Aubépin des Ardrets et CHENNOUFI
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Paisible paysage
Où les combats font rage
Un pays aux multiples facettes
Où la mort nous guette
La mer, le désert, la montagne
Tout cela ne ressemble pas à la Bretagne
Tout là bas, est plus grand
Tout là bas est tellement différent
Un pays si somptueux que l’on prive de liberté
Pourtant leur indépendance est purement méritée
Ce pays garde sa splendeur
Malgré le froid parfois et la chaleur
Ces femmes aux visages si noirs
Qui vivent dans la peur et le désespoir
Elles ne demandent qu’une vie tranquille et paisible
Mais l’espoir ne suffit plus, leur vie est désormais horrible
Jamais je n’oublierai ces regards de détresse
Qui ne demandent que de la tendresse
Je ne saurais apporter ce qu’ils veulent
Car désormais chacun est seul
Dans ce combat, dans cette violence
Ce pays obtiendra son indépendance
Coralie
1-Au travail, c’était l’esclavage, Dans la rue, c’était la répugnance, En famille, c’étaient des dommages, Partout, étaient mauvaises les circonstances. Le colonialisme profitait davantage En croyant à l’éternité de l’ignorance.
Nulle patience ne peut résister aux effets de l’injustice.
Le chemin de l’indépendance
1-Au travail, c’était l’esclavage, Dans la rue, c’était la répugnance, En famille, c’étaient des dommages, Partout, étaient mauvaises les circonstances. Le colonialisme profitait davantage En croyant à l’éternité de l’ignorance.
Nulle patience ne peut résister aux effets de l’injustice.
2-Mais, quand on a trop attisé la flamme, La glace s’est fondue et a débordé le bol. Rien n’a pu arrêter la colère et le drame, Une fois le liquide a atteint le sol. Le corps s’était imaginé sans âme Et la peur était devenue sans rôle.
L’oppression, excite, réveille et active-les soumis.
3-C’est ainsi que s’est manifesté la sagesse, En évoquant le mot ; INDÉPENDANCE. L’objectif circulait avec tact et finesse Et promenait la nation dans tous les sens. Unanimes sur le but et sa noblesse, La minorité n’avait point d’importance.
Rien n’est insurmontable, quand l’imagination épouse la réalité.
4-Nul prétexte n’a pu vaincre la détermination et la foi, Pour renoncer à la décision. Comme un seul homme, le peuple s’est levé à la fois, Dont le support était l’union. L’objectif n’est dominé ni par la force, ni par la loi. Le seul chemin c’est l’action. La détermination est le chemin idéal vers l’objectif.
5-L’action sera accompagnée de misère, Mais dotée de dignité et d’espoir. La patrie qui a appelé, c’est la mère. Qui dit à ses fils : « pas de blanc, sans noir. ». Même durable, la souffrance sera temporaire. Ce qui aura comme âge l’éternité, c’est la gloire.
La privation a toujours donné goût à l’obtention.
6- Elle n’est plus utile la patience, Une patience déjà vieille et séculaire. Se disait l’intelligence, En traçant, telle une araignée, ses repères. L’Algérie ne peut être la France Et la France doit rejoindre son repaire Ephémères, les délices de l’égoïsme se transforment en amertume durable.
7-C’est le 1er novembre 1954, à minuit, Que les vrais appels sont lancés. Des bouches de fusils sortaient des bruits Intelligibles comme des paroles sensées. Le passé et sont contenus sont déjà cuits, La voie du futur, avec du courage, est tracée.
Il suffit de vouloir, le savoir et le pouvoir s’invitent automatiquement.
8-Aucun algérien, digne de ce nom, N’était resté inerte à ces appels. Les fellahs, les ouvriers, les étudiants… Qui jette sa plume, qui jette sa pelle… Pour se jeter eux même dans un camp Menant vers la paix, malgré conflictuelle.
Solides, nulle force ne peut délier les anneaux de la chaîne.
9-Les discours flatteurs et trompeurs Que les colons prenaient pour nécessaires Ne faisaient qu’aiguiser les cœurs Et exciter la maudite mais utile guerre. Les esprits n’étaient fixés que sur l’heure Où l’Algérie et l’algérien, formeront la paire.
La vérité est lumière, le mensonge est obscurité, c’est clair.
10-Le 5 juillet 1962, sonna cette heure, En apportant tristesse et gaieté. Joyeux d’être de sa maison, le seul possesseur Attristé, par ceux qui, à vie, l’ont quitté, L’algérien, a gonflé son cœur En l’emplissant d’amertume et de fierté.
Si les absents étaient présents, « l’utilité serait liée à l’agréable. »
11-Le héros de la révolution, dans sa multiplicité, est unique. Il s’appelle le vrai ALGÉRIEN. Avec du sang, sueur, sacrifices…est écrit son historique, Que rien ne peut décrire aussi bien. Concevant une victoire sûre, réelle et non utopique, Avec le courage, il était toujours en lien.
Quand c’est toute la foule qui chante, identifier les chanteurs, c’est risquer de léser certains. 12– Illogique de méconnaître les morts, S’étant donnés pour que vive la patrie. Omettre de les citer est un tort, Leurs valeurs dépassent tous les prix. Hommage à leur courage si fort. Hommage à leurs parents, veuves et enfants aussi.
Nulle conscience n’égale celle des morts pour la patrie.
13 -Une guerre sans saccages, manque de sens, Et sa cessation ne signifie pas confort. Après elle, une autre guerre commence, Dont le sacrifice est intense et fort. Pour parfaire et bien asseoir notre indépendance, Cessons d’attacher à l’autrui notre sort. Récupérer ses biens, c’est l’idéal, les délaisser, c’est infidèle.
14- Entre la paix et la guerre, La différence est de grande taille, C’est comparer un champ en jachère A un jardin où les fruits se chamaillent. Nous devons être contents et fiers. Être satisfait, peut engendrer des failles.
Qui dit jour, dit nuit dissoute.
15– Tout se fait entre algériens, A l’école, dans l’administration, à l’hôpital… C’est par un langage commun Que le gouvernant et le gouverné se parlent. Si hier, nous étions traités de vauriens, Aujourd’hui nous tenons le croissant et l’étoile.
A nous de les placer haut dans le ciel. 16- Des centaines de milliers de martyrs Est, à notre mémoire, un indice. C’est un nombre qui doit nous unir En nous rappelant leur sacrifice. Leur âme, ne cessera jamais de nous dire : « Il ne faut pas que notre honneur se salisse. » L’ingratitude obstrue les chemins de la bénédiction.
Ils sont tous venus ce jour là Des banlieues du nord de Paris Des bidonvilles de là-bas Nanterre, Bezons, ou Clichy - Ils sont venus manifester En costume du dimanche Pacifique et non armés Aucun esprit de revanche - Capitale des droits de l’homme Ils espéraient être entendus Liberté pour tous les hommes Même immigrés bien entendu - Mais le préfet de police En a décidé autrement Ordonnant quelle injustice Le massacre des innocents - Leurs corps flottants sur la Seine Sont maintenant dans l’histoire Une image très obscène Qui noircit nos mémoires - Une date de la honte Dont doit se souvenir chacun Ce sale temps qui remonte Dix sept octobre soixante et un.
Gérard Bollon-Maso
SOLEIL A MA TERRE
Paix au chemin des lavandières sous l´orgueil noir des pins.
Paix sur le silence tiède des betes au midi de l´abreuvoir.
Paix a l´enfant nomade écrivant ses reves sur les murs.
Paix au pas du mulet,secret dans ses peines,
Paix au plus loin de l´ombre,sur le sel paresseux des chotts.
Paix a la flute acide de Taguine,amoureuse des espaces.
Paix sur les matins de Blida,de jasmin exprimés.
Paix sur les filles de l´été aux cheveux de cannelle.
ILS SONT LES HAUTES CEREALES PROMISES APRES L´ORAGE.
Paix sur les vallées prochaines et les figuiers bleus.
Paix au raisin perdu sous les lenteurs de l´automne.
Paix sur le limon craquelé dans l´été du Chélif.
Paix sur l´orge d´un hiver au pied de l´ane gris.
Paix sur les transhumances,aux feux près du fleuve épuisés.
Paix au fellah distrait par l´odeur des sillons.
Paix au potier taciturne derrière son argile de longtemps.
Paix au marcheur Chergui,ami des forets et de l´oiseau sans nid.
ILS SONT L´INSTANT DE TOUS.
Paix au solitaire sur la grève dérisoire.
Paix aux premières fiancées,attentives au pas.
Paix aux yaouleds des places et des souffrances adultes.
Paix a nos femmes près du puits,a leur ruban de joie.
Paix au docker Bougiote,le dos livré a l´aube.
Paix au mendiant d´hiver,à sa bure froide.
Paix au vagabond sans besace dans le jour arreté.
Paix au fugitif,surpris a l´approche des villes.
ILS SONT L´HERBE NEUVE SOUS LE CIEL ENNEMI.
Paix sur les criques de Collo,au bruit de soie déchirée.
Paix au saisonnier du Sersou jusqu´au soir sur Vialar.
Paix sur Djidjelli,au parfum de liège entêté.
Paix sur l´Ouenza de phosphate subjuguée à coup de tumulte.
Paix sur ma Mitidja frileuse et ses orangers oubliés.
Paix toute musicale sur le cèdre vif de l´Ouarsenis.
Paix sur Chiffalo au gout de sel dans le jour continué.
Paix au travail, à l´amour jusqu´au dernier sommeil.
ILS SONT LA JUSTICE DE MA TERRE A SES PREMIERES SYLLABES.
Paix a Guelma féminine et Tebessa la jalouse.
Paix sur mon Zaccar définitif,cadet immédiat du Djurdjura.
Paix sur Marengo aiguë dans la vérité des vendanges.
Paix sur Tlemcen l´insoupçonnée,égrenant ses jardins.
Paix sur Mascara la haute,lascive sur ses pairies.
Paix sur Perregaux au prénom de pastèque.
Paix sur Arzew ouverte en bracelet d´épousailles.
Paix sur Mers-El-Kebir étirée en épée de Tolède.
Paix sur Bel-Abbes rentrée de ses tambours sanglants.
ILS SONT LA NUIT FERTILE REDOUTEE AU PLUS LOIN.
Paix sur Cap Matifou,de lumière dite,comme un silex oublié.
Paix sur Ghardaia reculée,rauque dans son exil.
Paix sur Cherchell dispersée à l´heure des poudrières.
Paix sur les monts du Dahra,frissons et gloires associés.
Paix sur le galop furieux au détour de Morsott.
Paix sur l´aube sauvage du Guergour vers les caroubiers éclairés.
Paix sur les Bibans hauts de silence et de climats passionnés.
Paix sur les soirs citadins au bord des rancunes d´un jour.
ILS SONT LA VIE DE TOUTES LES VIES.
Paix au courage réuni des tribus du sud.
Paix a l´angoisse reconnue au réveil des fourrés.
Paix au sang national,l´hiver surgi des grottes.
Paix au fusil lisse crevant le ciel du Djorf.
Paix aux nuits pleines d´orties,de cris et de couteaux.
Paix sur les brunes N´Mancha et les Aurès lyriques.
Paix sur le geste général par les vies résume.
Paix sur ma patrie qui monte au milieu des fusils.
ILS SONT LE SERMENT FIXE LE LONG DES LAURIERS-ROSES.
Paix au deuil le plus proche et au-dedans des larmes.
Paix a l´orphelin encore de douleur étonné.
Paix sur le blessé que la mémoire égare.
Paix a l´infirme trop précis,avant la foule reconnu.
Paix a la sentinelle des Attafs,frère rugueux sous l´eucalyptus.
Paix a la fille fragile de Ténès,son fusil sous la pluie.
Paix au franc-tireur,complice de l´aube dans le défile de Tagdent.
Paix au brancardier,de temps et de fraternité jaloux.
ILS SONT LA FIBRE INNOMBRABLE DE MEME ESPOIR VALABLE.
Paix au Douar Kimmel,premier enfant de la Révolution.
Paix au saboteur,près du soir,solitaire en son acte.
Paix au gavroche surgi du bivouac derrière son signal de cailloux.
Paix aux embuscades échevelées a coups de sang prodigue et de terre rouge.
Paix sur Miliana la douce pleurant Ali-la-Pointe et
Maillot rejoints dans la fraternité des sillons.
Paix sur la jeunesse d´Akli,abîmée au carrefour du Chenoua.
Paix sur Yveton nommé a l´aube sales des polygones.
Paix sur Mustafa du littoral,emporté dans une odeur de prairie de printemps.
ILS SONT LA MAIN UNANIME SUR LES MAQUIS REUNIS.
Paix sur Alger la berbère et du C.R.U.A. secret.
Paix sur mes frères emportés,sang reconstruit,fibre à fibre.
Paix ALGERIENNE,toute de nom surveillé,corolle écarlate et rebelle.
PAIX SUR MON PEUPLE ABSOLU.PAIX-PEUPLE
ALGERIE de Djamila Bouhired,guitare dechirée au-dedans d´une rose.
Algérie des soirs magiques en Fadhila Drif enchainée.
Algérie de Germaine Guerrab,de Toury,d´Améziane.
Algérie des précieux fils plongés dans tes moles acides.
ILS SONT LE VENT NATIONAL APRES LA DIGNITE DU JOUR.
Alger des larmes dans ton port vite contenues.
Alger de la croix et des menottes,des bottes et des paras.
Alger du même Alger,des haines officielles.
ALGER D´HIER,CAPITALE DU MEPRIS.
Algérie des fusillés face a la mer qui les vit naître.
Algérie des juges aux yeux rétrécis par la honte.
Algérie des bourreaux jurant de s´éblouir.
ALGERIE DU PLUS DIFFICILE D´ETRE ALGERIEN QUE COLON.
ILS SONT L´INSOMNIE VITALE ALLAITANT LES NUITS ADVERSES.
Algérie des nuits partisanes,écoute les mitrailleuses hostiles de Novembre.
Prépare ta voix pour le tortionnaire,le mouchard,le flic et le traître.
Frappe et frappe dans ta volonté de frontière.
Mais frappe jusqu´à ta justice de haute écume.
Pour toute l´hypothèque sur les vies,les vieillesses au taudis.
Pour la tribu déracinée,hors du cheval et du code,
pour le fellah voûté,déjà griffes contre terre,
pour l´ouvrier sans chemise,converti en rides,
pour l´artisan obscur dans l´angoisse des faubourgs,
pour l´enfant aux cotes pales,d´école et de joie affamé,
pour l´étudiant traîné aux murs des polices racistes,
pour chaque solitude précise,chaque espoir interdit,
pour chaque regard sans voix,chaque patience égarée,
pour chaque larme écoutée,chaque mot retenu,
pour chaque odeur de haine,chaque soif enfoncée,
pour chaque soleil perdu,chaque plaie à peine vieille,
pour chaque réveil anéanti,chaque deuil appelé,
pour chaque insulte bourdonnée,chaque doute étendu,
pour chaque nuit féodale,chaque inexistence assignée,
pour ceux d´Ain-Naga,de Tablat,d´El-Halia,dans le sang enfoncés,
pour les polygones et la morgue,les chambres de tortures,les dachras ratissées.
POUR TOUT L´AIR COLONIALISTE RESPIRE.
POUR LA LIBERTE INSULTEE,
POUR TOUTE LA TERRE VOLÉE.
Ecris Algérie du jour immense:
ILS SONT LA NUIT IRREFUTABLE AUX HAINES,PLUS HAUTS QUE LES LIVRES.
ILS SONT L´AVENIR COMMENCE,FUSIL-PEUPLE REVENU DES FUSILLADES.
ILS SONT LES RACINES NOCTURNE,COLERE DU TERRITOIRE.
ILS SONT LA NATION PRECIPITEE,COULEUR DE MIEL NOIR.
ILS SONT LE REFUS NU AU MALHEUR D´OBEIR.
ILS SONT L´HISTOIRE REVEILLEE,SIGNIFIEE JUSQU´A EUX.
ILS SONT LES HEROS DE TOUS,AU PEUPLE ENTRELACES.
ILS SONT L´HONNEUR PHYSIQUE,FILS DES CICATRICES
ILS SONT LE PEUPLE LARGE AU RETOUR DES CROSSES.
ILS SONT POUDRE ET CHANSON DE MA PREMIERE PATRIE.
ILS SONT DRAPEAU REPARTI DANS L´HERITAGE FURIEUX DE L´AURORE.
Deux mil quatorze, année de quatre anniversaires : Des Allemands, d’abord, farouches adversaires, Ensuite les nazis et un débarquement, Pour sauver une France au bord du reniement. Puis la fin des combats dans cet Extrême-Orient Dont on parle si peu, vu son éloignement. Enfin, la « Der des Der » comme nous l’espérons ! Celle qui nous concerne et n’avait pas de nom ; « Evénements » d’abord et puis « Maintien de l’ordre » Puis « Pacification » mais toujours la discorde Cette guerre qui dure et qui ne finit pas Porte des souvenirs qui sonnent comme un glas, Laissant sur le terrain trente mille soldats Dans cette guerre atroce aux horribles combats !
Je me souviens très bien l’Ecole d’Officiers Où l’on nous apprenait à tuer sans pitié, Et moi, j’avais vingt ans, je ne comprenais rien Et je m’exécutais en faisant mieux que bien. Je sors sous-lieutenant, choisis mon régiment J’opte pour l’Allemagne où nous sommes présents : C’est vous dire l’envie de l’Algérie française Et de donner ma vie pour défendre une thèse ! Je passe à Tübingen et comme aide de camp Auprès d’un général direct et compétent Dix mois à dialoguer avec des étudiants Et à perfectionner ainsi mon allemand !
Avril soixante et un : retour en Algérie Dans ce si beau, si grand et si rude pays. La guerre va cesser restent les attentats ; F.L.N, O.A.S, pieds-noirs et fellaghas. « Barrage » face à moi, et puis la Tunisie Et des « harcèlements » entrecoupent nos nuits Seul avec mon radio qui, près de moi, mourra Et vingt-deux autres gars, braves petits soldats. Attente et déception durent quatorze mois Pendant lesquels la vie nous file entre les doigts. Notre cessez-le-feu, si cher à notre cœur Passa inaperçu dans notre sous-secteur ! Et c’est le lendemain par message radio Que j’apprends la nouvelle et transmets illico
En juin soixante deux je rentre donc en France Ne croyant plus en rien, ni foi, ni espérance Il me faut bien six mois pour retrouver l’espoir D’un monde un peu moins triste et qui se laisse voir. Le travail me reprend et la chance un beau jour Me fera rencontrer Les Parapluies d’Cherbourg !…
Derrière mon récit, banal en quelque sorte C’est la vie de chacun que le souvenir porte : Tous, nous avons vécu, selon nos régiments, Bien sur dans d’autres lieux et dans d’autres moments Que la vie militaire et la guerre mêlées Nous ont fait vivre hélas ! sans l’avoir désirée, Cette aventure inouïe et qui nous dépassait Dont on voyait pourtant paraître les effets. Sans espoir, sans pitié, nous étions les pantins D’un théâtre effrayant qui paraissait sans fin.
Il reste près de nous nos trente mille morts Que nous n’oublions pas dans ce triste décor, Unis pour aborder cette année dans l’action Afin que nos souhaits, nos revendications Soient accueillis enfin sous un ciel tutélaire Et nous fassent rester ensemble solidaires. Ne lâche rien, mon gars, demeure vigilant Et que l’année en cours te conserve vivant Prêt à intervenir, à défendre tes droits Pour notre dix neuf mars, la FNACA et la loi !
A DJILALLI ZIOU
Mais qu’est donc devenu mon compagnon, mon frère Partageant avec moi, les joies et les misères ! Moi, gars de métropole, et lui, bon musulman, Nous venions de quitter tous deux notre maman. Il avait un prénom musical et discret, Et un nom qui claquait comme un coup de mousquet : Djilalli ZIOU, ainsi s’appelait mon ami Tout droit venu de son étrange Kabylie, Montagneuse et secrète, ambitieuse et loyale, Un peuple à elle seule, isolée et royale. Il aimait comme moi Debussy et Ravel J’admirais avec lui les couleurs du djebel Lorsque la nuit venait emportant avec elle Des éclats de soleil aux teintes irréelles.
C’est à Cherchell, alors école d’officiers Que nos deux jeunes vies se sont alors liées : La même compagnie et la même section Très naturellement scellèrent notre union, Exercices de tir, marches forcées de nuit Compensaient largement tout sentiment d’ennui Surtout exécuter et ne pas réfléchir Et puis, par-dessus tout : obéir, obéir ! Ainsi, rapidement, nos six mois prirent fin Et l’on se retrouva sous-lieutenant ….enfin ! Fidèle à ses valeurs, il choisit la légion Moi, en bon Alsacien, j’optais pour ma région ! L’éloignement, hélas, joua son rôle amer Quelques courriers anxieux, des lettres éphémères, Puis un silence lourd, plus un mot, plus un signe, La guerre se poursuit, impudique et maligne, Du « je vous ai compris » au quarteron perfide, De « valise ou cercueil » à l’OAS avide ! Entretemps l’Algérie m’avait récupéré : Barrage tunisien, blockhaus et barbelés, Nuits de veille et d’attente, harcèlements torrides, Lourde promiscuité, solitude morbide. Et le temps qui s’écoule et qui traîne avec lui Ou bien un fol espoir, ou bien un lourd ennui.
Il était plus qu’un frère, il était mon ami, Le temps a fait son œuvre et généré l’oubli. Mes recherches poussées restent infructueuses Le souvenir demeure, objet des heures creuses Et puis soudain, un signe, oh certes, minuscule D’un « copain » oublié qui un jour me bouscule Au détour d’une rue, et qui me reconnaît ! Il cherche des contacts, renouer les lacets, Et nous voilà partis, retrouvant le passé, Evoquant souvenirs et jeunesse brisés ; Et puis, un nom qui perce, au fond de ma mémoire, La bouteille à la mer, dernier et fol espoir : « Te souviens-tu de Ziou ? « son prénom » ? Djilalli ! Et l’image sortie peu à peu de l’oubli, On consulte l’armée, on monte des recherches, On tresse des filets et on lance des perches, Notre ténacité fut bien récompensée : Enfin on retrouva les traces effacées :
Djilalli le Kabyle habite à Annaba Où il a retrouvé son bordj et sa casbah, Il attend son ami, ses souvenirs, son frère, Pour retracer aussi nos deux itinéraires, Pour renouer les liens qui unissent deux vies Et, pourquoi pas, enfin, relier nos deux pays.
Un poème sur la mort d’une jeune soldat halluinois, Régis Verschae, Maréchal des Logis au 30ème Régiment des Dragons, survenu le 22 janvier 1961 durant la Guerre d’Algérie, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans, et qu'il aurait dû être libéré dix jours plus tard.
Poème que l’on peut dédier à la mémoire de tous les combattants qui y ont laissé leur vie.
Sur la mort d’un soldat
Il était jeune et beau, son âme restait tendre.
Il git sous un ciel bleu. Serait-il mort en vain ?
Il ne connaîtra plus les ciels brumeux de Flandre
où le pain ne pourrait être bon sans levain.
Les kabyles, là-bas, l’ont connu sous les armes,
ils l’ont vu professeur et puis encor soldat.
Ils surent qu’un Français ne verse pas de larmes
mais qu’il n’en aime point pour autant le combat.
Il n’est pas ici-bas de souffrances stériles.
« Heureux chantait Péguy, les épis moissonnés ».
Sont-ils heureux vraiment ? Du moins ils sont utiles
et sous la faux ils sont parfois prédestinés.
«Une âme, tu le sais, ne meurt pas toute entière ».
Ainsi parlait jadis le poète latin.
Pour toi, jeune Français, est close la carrière
dans l’orbe où s’est inscrit, hélas, ton court destin.
En mon pays natal, des amours m’étaient chères
et dans mon bled lointain formaient mon seul avoir.
Adieu ! Qu’à ces amours ma voix familière
Redise encor ces mots : amour, espoir, devoir ! »
Ta tombe va s’ouvrir un jour au cimetière
où, petit enfant, tu trottais d’un pas léger ;
en la glèbe d’argile et sous une bruyère,
il te sera, crois-nous, un frais et doux verger.
Régis, ô notre ami, tu n’avais pas de frère.
Se brise une lignée où manque un seul chaînon.
Dis-nous. Que restera-t-il de toi sous la pierre ?
…………………………………………………
« Sur une croix de bois, mon nom, mon simple nom ».
Paix au chemin des lavandières sous l´orgueil noir des pins.
Paix sur le silence tiède des betes au midi de l´abreuvoir.
Paix a l´enfant nomade écrivant ses revers sur les murs.
Paix au pas du mulet,secret dans ses peines,
Paix au plus loin de l´ombre,sur le sel paresseux des chotts.
Paix a la flute acide de Taguine,amoureuse des espaces.
Paix sur les matins de Blida,de jasmin exprimés.
Paix sur les filles de l´été aux cheveux de cannelle.
ILS SONT LES HAUTES CEREALES PROMISES APRES L´ORAGE.
Paix sur les vallées prochaines et les figuiers bleus.
Paix au raisin perdu sous les lenteurs de l´automne.
Paix sur le limon craquelé dans l´été du Chélif.
Paix sur l´orge d´un hiver au pied de l´ane gris.
Paix sur les transhumances,aux feux près du fleuve épuisés.
Paix au fellah distrait par l´odeur des sillons.
Paix au potier taciturne derrière son argile de longtemps.
Paix au marcheur Chergui,ami des forets et de l´oiseau sans nid.
ILS SONT L´INSTANT DE TOUS.
Paix au solitaire sur la grève dérisoire.
Paix aux premières fiancées,attentives au pas.
Paix aux yaouleds des places et des souffrances adultes.
Paix a nos femmes près du puits,a leur ruban de joie.
Paix au docker Bougiote,le dos livré a l´aube.
Paix au mendiant d´hiver,à sa bure froide.
Paix au vagabond sans besace dans le jour arreté.
Paix au fugitif,surpris a l´approche des villes.
ILS SONT L´HERBE NEUVE SOUS LE CIEL ENNEMI.
Paix sur les criques de Collo,au bruit de soie déchirée.
Paix au saisonnier du Sersou jusqu´au soir sur Vialar.
Paix sur Djidjelli,au parfum de liège entêté.
Paix sur l´Ouenza de phosphate subjuguée à coup de tumulte.
Paix sur ma Mitidja frileuse et ses orangers oubliés.
Paix toute musicale sur le cèdre vif de l´Ouarsenis.
Paix sur Chiffalo au gout de sel dans le jour continué.
Paix au travail, à l´amour jusqu´au dernier sommeil.
ILS SONT LA JUSTICE DE MA TERRE A SES PREMIERES SYLLABES.
Paix a Guelma féminine et Tebessa la jalouse.
Paix sur mon Zaccar définitif,cadet immédiat du Djurdjura.
Paix sur Marengo aiguë dans la vérité des vendanges.
Paix sur Tlemcen l´insoupçonnée,égrenant ses jardins.
Paix sur Mascara la haute,lascive sur ses pairies.
Paix sur Perregaux au prénom de pastèque.
Paix sur Arzew ouverte en bracelet d´épousailles.
Paix sur Mers-El-Kebir étirée en épée de Tolède.
Paix sur Bel-Abbes rentrée de ses tambours sanglants.
ILS SONT LA NUIT FERTILE REDOUTEE AU PLUS LOIN.
Paix sur Cap Matifou,de lumière dite,comme un silex oublié.
Paix sur Ghardaia reculée,rauque dans son exil.
Paix sur Cherchell dispersée à l´heure des poudrières.
Paix sur les monts du Dahra,frissons et gloires associés.
Paix sur le galop furieux au détour de Morsott.
Paix sur l´aube sauvage du Guergour vers les caroubiers éclairés.
Paix sur les Bibans hauts de silence et de climats passionnés.
Paix sur les soirs citadins au bord des rancunes d´un jour.
ILS SONT LA VIE DE TOUTES LES VIES.
Paix au courage réuni des tribus du sud.
Paix a l´angoisse reconnue au réveil des fourrés.
Paix au sang national,l´hiver surgi des grottes.
Paix au fusil lisse crevant le ciel du Djorf.
Paix aux nuits pleines d´orties,de cris et de couteaux.
Paix sur les brunes N´Mancha et les Aurès lyriques.
Paix sur le geste général par les vies résume.
Paix sur ma patrie qui monte au milieu des fusils.
ILS SONT LE SERMENT FIXE LE LONG DES LAURIERS-ROSES.
Paix au deuil le plus proche et au-dedans des larmes.
Paix a l´orphelin encore de douleur étonné.
Paix sur le blessé que la mémoire égare.
Paix a l´infirme trop précis,avant la foule reconnu.
Paix a la sentinelle des Attafs,frère rugueux sous l´eucalyptus.
Paix a la fille fragile de Ténès,son fusil sous la pluie.
Paix au franc-tireur,complice de l´aube dans le défile de Tagdent.
Paix au brancardier,de temps et de fraternité jaloux.
ILS SONT LA FIBRE INNOMBRABLE DE MEME ESPOIR VALABLE.
Paix au Douar Kimmel,premier enfant de la Révolution.
Paix au saboteur,près du soir,solitaire en son acte.
Paix au gavroche surgi du bivouac derrière son signal de cailloux.
Paix aux embuscades échevelées a coups de sang prodigue et de terre rouge.
Paix sur Miliana la douce pleurant Ali-la-Pointe et
Maillot rejoints dans la fraternité des sillons.
Paix sur la jeunesse d´Akli,abîmée au carrefour du Chenoua.
Paix sur Yveton nommé a l´aube sales des polygones.
Paix sur Mustafa du littoral,emporté dans une odeur de prairie de printemps.
ILS SONT LA MAIN UNANIME SUR LES MAQUIS REUNIS.
Paix sur Alger la berbère et du C.R.U.A. secret.
Paix sur mes frères emportés,sang reconstruit,fibre à fibre.
Paix ALGERIENNE,toute de nom surveillé,corolle écarlate et rebelle.
PAIX SUR MON PEUPLE ABSOLU.PAIX-PEUPLE
ALGERIE de Djamila Bouhired,guitare dechirée au-dedans d´une rose.
Algérie des soirs magiques en Fadhila Drif enchainée.
Algérie de Germaine Guerrab,de Toury,d´Améziane.
Algérie des précieux fils plongés dans tes moles acides.
ILS SONT LE VENT NATIONAL APRES LA DIGNITE DU JOUR.
Alger des larmes dans ton port vite contenues.
Alger de la croix et des menottes,des bottes et des paras.
Alger du même Alger,des haines officielles.
ALGER D´HIER,CAPITALE DU MEPRIS.
Algérie des fusillés face a la mer qui les vit naître.
Algérie des juges aux yeux rétrécis par la honte.
Algérie des bourreaux jurant de s´éblouir.
ALGERIE DU PLUS DIFFICILE D´ETRE ALGERIEN QUE COLON.
ILS SONT L´INSOMNIE VITALE ALLAITANT LES NUITS ADVERSES.
Algérie des nuits partisanes,écoute les mitrailleuses hostiles de Novembre.
Prépare ta voix pour le tortionnaire,le mouchard,le flic et le traître.
Frappe et frappe dans ta volonté de frontière.
Mais frappe jusqu´à ta justice de haute écume.
Pour toute l´hypothèque sur les vies,les vieillesses au taudis.
Pour la tribu déracinée,hors du cheval et du code,
pour le fellah voûté,déjà griffes contre terre,
pour l´ouvrier sans chemise,converti en rides,
pour l´artisan obscur dans l´angoisse des faubourgs,
pour l´enfant aux cotes pales,d´école et de joie affamé,
pour l´étudiant traîné aux murs des polices racistes,
pour chaque solitude précise,chaque espoir interdit,
pour chaque regard sans voix,chaque patience égarée,
pour chaque larme écoutée,chaque mot retenu,
pour chaque odeur de haine,chaque soif enfoncée,
pour chaque soleil perdu,chaque plaie à peine vieille,
pour chaque réveil anéanti,chaque deuil appelé,
pour chaque insulte bourdonnée,chaque doute étendu,
pour chaque nuit féodale,chaque inexistence assignée,
pour ceux d´Ain-Naga,de Tablat,d´El-Halia,dans le sang enfoncés,
pour les polygones et la morgue,les chambres de tortures,les dachras ratissées.
POUR TOUT L´AIR COLONIALISTE RESPIRE.
POUR LA LIBERTE INSULTEE,
POUR TOUTE LA TERRE VOLÉE.
Ecris Algérie du jour immense:
ILS SONT LA NUIT IRREFUTABLE AUX HAINES,PLUS HAUTS QUE LES LIVRES.
ILS SONT L´AVENIR COMMENCE,FUSIL-PEUPLE REVENU DES FUSILLADES.
ILS SONT LES RACINES NOCTURNE,COLERE DU TERRITOIRE.
ILS SONT LA NATION PRECIPITEE,COULEUR DE MIEL NOIR.
ILS SONT LE REFUS NU AU MALHEUR D´OBEIR.
ILS SONT L´HISTOIRE REVEILLEE,SIGNIFIEE JUSQU´A EUX.
ILS SONT LES HEROS DE TOUS,AU PEUPLE ENTRELACES.
ILS SONT L´HONNEUR PHYSIQUE,FILS DES CICATRICES
ILS SONT LE PEUPLE LARGE AU RETOUR DES CROSSES.
ILS SONT POUDRE ET CHANSON DE MA PREMIERE PATRIE.
ILS SONT DRAPEAU REPARTI DANS L´HERITAGE FURIEUX DE L´AURORE.
NORDINE TIDAFI (ALLAH YARAHMOU)
PAIX
Paix au chemin des lavandières sous l'orgueil noir des pins. Paix sur le silence tiède des bêtes au midi de l'abreuvoir. Paix à l'enfant nomade écrivant ses rêves sur les murs Paix au pas du mulet, secret dans ses peines, Paix au plus loin de l'ombre, sur le sel paresseux des chotts. Paix à la flûte acide de Taguine, amoureuse des espaces. Paix sur les matins de Blida, de jasmin exprimés. Paix sur les filles de l'été aux cheveux de cannelle. Ils sont les hautes céréales promises après l'orage. Paix sur les vallées prochaines et les figuiers bleus. Paix au raisin perdu sous les lenteurs de l'automne. Paix sur le limon craquelé dans l'été du Chélif. Paix sur l'orge d'un hiver au pied de l'âne gris. Paix sur les transhumances, aux feux près du fleuve épuisés. Paix au fellah distrait par l'odeur des sillons. Paix au potier taciturne derrière son argile de longtemps. Paix au marcheur Chergui, ami des forêts et de l'oiseau sans nid. Ils sont l'instant de tous. Paix au solitaire sur la grève dérisoire. Paix aux premières fiancées, attentives au pas. Paix aux yaouleds des places et des souffrances adultes. Paix à nos femmes près du puits, à leur ruban de joie. Paix au docker Bougiote, le dos livré à l'aube. Paix au mendiant d'hiver, à sa bure froide. Paix au vagabond sans besace dans le jour arrêté. Paix au fugitif, surpris à l'approche des villes. Ils sont l'herbe neuve sous le ciel ennemi. Paix sur les criques de Collo, au bruit de soie déchirée. Paix au saisonnier du Sersou jusqu'au soir sur Vialar. Paix sur Djidjelli, au parfum de liège entêté. Paix sur l'Ouenza de phosphate subjuguée à coup de tumulte. Paix sur ma Mitidja frileuse et ses orangers oubliés Paix toute musicale sur le cèdre vif de l'Ouarsenis. Paix sur Chiffalo au goût de sel dans le jour continué. Paix au travail, à l'Amour jusqu'au dernier sommeil. Ils sont la justice de ma terre à ses premières syllabes. Paix à Guelma féminine et Tébessa la jalouse. Paix sur mon Zaccar définitif, cadet immédiat du Djurdjura. Paix sur Marengo aiguë dans la vérité des vendanges. Paix sur Tlemcen l'Insoupçonnée, égrenant ses jardins, et Mascara la haute, lascive sur ses prairies. Paix sur Perrégaux au prénom de pastèques. Paix sur Arzew ouverte en bracelet d'épousailles. Paix sur Mers-El-Kebir étirée en épée de Tolède. Paix sur Bel-Abbès rentrée de ses tambours sanglants. Ils sont la nuit fertile redoutée au plus loin. Paix sur Cap Matifou, de lumière dite, comme un silex oublié. Paix sur Ghardaïa reculée, rauque dans son exil. Paix sur Cherchell dispersée à l'heure des poudrières. Paix sur les monts du Dahra, frissons et gloires associés. Paix sur le galop furieux au détour de Morsott. Paix sur l'aube sauvage du Guergour vers les caroubiers éclairés. Paix sur les Bibans hauts de silence et de climats passionnés. Paix sur les soirs citadins au bord des rancunes d'un jour. Ils sont la vie de toutes les vies. Paix au courage réuni des tribus et du Sud. Paix à l'angoisse reconnue au réveil des fourrés. Paix au Sang National, l'hiver surgi des grottes. Paix au fusil lisse crevant le ciel du Djori. Paix aux nuits pleines d'orties, de cris et de couteaux. Paix sur les brunes N'Mancha et les Aurès lyriques. Paix sur le geste général par les vies résumé. Paix sur ma Patrie qui monte au milieu des fusils. Ils sont le serment fixé le long des lauriers-roses. Paix au deuil le plus proche et au-dedans des larmes. Paix à l'orphelin encore de douleur étonné. Paix sur le blessé que la mémoire égare. Paix à l'infirme trop précis, avant la foule reconnu. Paix à la sentinelle des Attafs, frère rugueux sous l'eucalyptus. Paix à la fille fragile de Ténès, son fusil sous la pluie. Paix au franc-tireur, complice de l'aube dans le défilé de Tagdent. Paix au brancardier, de temps et de fraternité jaloux. Ils sont la fibre innombrable de même espoir valable. Paix au Douar Kimmel, premier enfant de la Révolution. Paix au saboteur, près du soir, solitaire en son acte. Paix au gavroche surgi du bivouac derrière son signal de cailloux. Paix aux embuscades échevelées à coups de sang prodigue et de terre rouge. Paix sur Miliana la douce pleurant Ali-la-Pointe et Maillot rejoints dans la fraternité des sillons. Paix sur lajeunesse d'Akli, abîmée au carrefour du Chenoua. Paix sur Yveton nommé à l'aube sale des polygones. Paix sur Mustafa du littoral, emporté dans une odeur de prairie de printemps. Ils sont la main unanime sur les maquis réunis. Paix sur Alger la Berbère et du C.R.U.A. secret. Paix sur mes frères emportés, sang reconstruit, fibre à [fibre. Paix algérienne, toute de nom surveillé, corolle écarlate et rebelle. Paix sur mon peuple absolu, Paix-peuple. Algérie de Djamila Bouhired, guitare déchirée au-dedans d'une rose. Algérie des soirs magiques en Fadhila Drif enchaînée. Algérie de Germaine Guerrab, de Toury d'Améziane. Algérie des précieux fils plongés dans tes môles acides. Ils sont le vent national après la dignité du jour. Alger des larmes dans ton port vite contenues. Alger de la croix et des menottes, des bottes et des paras. Alger du même Alger, des haines officielles. Alger d'hier, capitale du mépris. Algérie des fusillés face à la mer qui les vit naître. Algérie des juges aux yeux rétrécis par la honte. Algérie des bourreaux jurant de s'éblouir. Algérie du plus difficile d'être algérien que colon. Ils sont l'insomnie vitale allaitant les nuits adverses. Algérie des nuits partisanes, écoule les mitrailleuses hostiles de novembre. Prépare ta voix pour le tortionnaire, le mouchard, le flic et le traître. Frappe et frappe dans ta volonté de frontière. Mais frappe jusqu'à ta justice de haute écume. Pour toute l'hypothèque sur les vies, les vieillesses au taudis, pour la Tribu déracinée, hors du cheval et du code, pour le fellah voûté, déjà griffes contre terre, pour l'ouvrier sans chemise, converti en rides, pour l'artisan obscur dans l'angoisse des faubourgs, pour l'enfant aux côtes pâles, d'école et de joie affamé, pour l'étudiant traîné aux murs des polices racistes, pour chaque solitude précise, chaque espoir interdit, pour chaque regard sans voix, chaque patience égarée, pour chaque larme écoutée, chaque mot retenu, pour chaque odeur de haine, chaque soif enfoncée, pour chaque soleil perdu, chaque plaie à peine vieillie, pour chaque réveil anéanti, chaque deuil appelé, pour chaque insulte bourdonnée, chaque doute étendu, pour chaque nuit féodale, chaque inexistence assignée, pour ceux d'Aïn-Naga, de Tablat, d'El-Halia, dans le sang enfoncés, pour les polygones et la morgue, les chambres de tortures, les dachras ratissées. Pour tout l'air colonialiste respiré. Pour la liberté insultée, pour toute la terre volée. Écris Algérie du jour immense : Ils sont la nuit irréfutable aux haines, plus hauts que les livres. Ils sont l'avenir commencé, fusil-peuple revenu des feuillages. Ils sont les racines nocturnes, colère du territoire. Ils sont la nation précipitée, couleur de miel noir. Ils sont le refus nu au malheur d'obéir. Ils sont l'histoire réveillée, signifiée jusqu'à eux. Ils sont les héros de tous, au peuple entrelacés. Ils sont l'honneur physique, fils des cicatrices. Ils sont le peuple large au retour des crosses. Ils sont poudre et chanson de ma première patrie. Ils sont drapeau réparti dans l'héritage furieux de l'aurore.
I. Tout le monde sait que je n'ai jamais murmuré la moindre prière. Tout le monde sait aussi que je n'ai jamais essayé de dissimuler mes défauts. J'ignore s'il existe une Justice et une Miséricorde... Cependant, j'ai confiance, car j'ai toujours été sincère.
II. Que vaut-il mieux? S'asseoir dans une taverne, puis faire son examen de conscience, ou se prosterner dans une mosquée, l'âme close? Je ne me préoccupe pas de savoir si nous avons un Maître et ce qu'il fera de moi, le cas échéant.
III. Considère avec indulgence les hommes qui s'enivrent. Dis-toi que tu as d'autres défauts. Si tu veux connaître la paix, la sérénité, penche-toi sur les déshérités de la vie, sur les humbles qui gémissent dans l'infortune, et tu te trouveras heureux.
IV. Fais en sorte que ton prochain n'ait pas à souffrir de ta sagesse. Domine-toi toujours. Ne t'abandonne jamais à la colère. Si tu veux t'acheminer vers la paix définitive, souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.
V. Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d'être heureux aujourd'hui. Prends une urne de vin, va t'asseoir au clair de lune, et bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain.
VI. Le Koran, ce Livre suprême, les hommes le lisent quelquefois, mais, qui s'en délecte chaque jour? Sur le bord de toutes les coupes pleines de vin est ciselée une secrète maxime de sagesse que nous sommes bien obligés de savourer.
VII. Notre trésor? Le vin. Notre palais? La taverne. Nos compagnes fidèles? La soif et l'ivresse. Nous ignorons l'inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos coeurs, nos coupes et nos robes maculées n'ont rien à craindre de la poussière, de l'eau et du feu.
VIII. En ce monde, contente-toi d'avoir peu d'amis. Ne cherche pas à rendre durable la sympathie que tu peux éprouver pour quelqu'un. Avant de prendre la main d'un homme, demande-toi si elle ne te frappera pas, un jour.
IX. Autrefois, ce vase était un pauvre amant qui gémissait de l'indifférence d'une femme. L'anse, au col du vase... son bras qui entourait le cou de la bien aimée!
X. Qu'il est vil, ce cœur qui ne sait pas aimer, qui ne peut s'enivrer d'amour! Si tu n'aimes pas, comment peux-tu apprécier l'aveuglante lumière du soleil et la douce clarté de la lune?
XI. Toute ma jeunesse refleurit aujourd'hui! Du vin! Du vin! Que ses flammes m'embrasent! ... Du vin! N'importe lequel... Je ne suis pas difficile. Le meilleur, croyez bien, je le trouverai amer, comme la vie!
XII. Tu sais que tu n'as aucun pouvoir sur ta destinée. Pourquoi l'incertitude du lendemain te cause-t-elle de l'anxiété? Si tu es un sage, profite du moment actuel. L'avenir? Que t'apportera-t-il?
XIII. Voici la saison ineffable, la saison de l'espérance, la saison où les âmes impatientes de s'épanouir recherchent les solitudes parfumées. Chaque fleur, est-ce la main blanche de Moïse? Chaque brise, est-ce l'haleine de Jésus?
XIV. Il ne marche pas fermement sur la Route, l'homme qui n'a pas cueilli le fruit de la Vérité. S'il a pu le ravir à l'arbre de la Science, il sait que les jours écoulés et les jours à venir ne diffèrent en rien du premier jour décevant de la Création.
XV. Au delà de la Terre, au delà de l'Infini, je cherchais à voir le Ciel et l'Enfer. Une voix solennelle m'a dit: "Le Ciel et l'Enfer sont en toi."
XVI. Rien ne m'intéresse plus. Lève-toi, pour me verser du vin! Ce soir, ta bouche est la plus belle rose de l'univers... Du vin! Qu'il soit vermeil comme tes joues, et que mes remords soient aussi légers que tes boucles!
XVII. La brise du printemps rafraîchit le visage des roses. Dans l'ombre bleue du jardin, elle caresse aussi le visage de ma bien aimée. Malgré le bonheur que nous avons eu, j'oublie notre passé. La douceur d'Aujourd'hui est si impérieuse!
XVIII. Longtemps encore, chercherai-je à combler de pierres l'Océan? Je n'ai que mépris pour les libertins et les dévots. Khayyâm, qui peut affirmer que tu iras au Ciel ou dans l'Enfer? D'abord, qu'entendons-nous par ces mots? Connais-tu un voyageur qui ait visité ces contrées singulières?
XIX. Buveur, urne immense, j'ignore qui t'a façonné! Je sais, seulement, que tu es capable de contenir trois mesures de vin, et que la Mort te brisera, un jour. Alors, je me demanderai plus longtemps pourquoi tu as été créé, pourquoi tu as été heureux et pourquoi tu n'es que poussière.
XX. Aussi rapides que l'eau du fleuve ou le vent du désert, nos jours s'enfuient. Deux jours, cependant, me laissent indifférent: celui qui est parti hier et celui qui arrivera demain.
XXI. Quand suis-je né? Quand mourrai-je? Aucun homme ne peut évoquer le jour de sa naissance et désigner celui de sa mort. Viens, ma souple bien-aimée! Je veux demander à l'ivresse de me faire oublier que nous ne saurons jamais.
XXII. Khayyâm, qui cousait les tentes de la Sagesse, tomba dans le brasier de la Douleur et fut réduit en cendre. L'ange Azraël a coupé les cordes de sa tente. La Mort a vendu sa gloire pour une chanson.
XXIII. Pourquoi t'affliges-tu, Khayyâm, d'avoir commis tant de fautes! Ta tristesse est inutile. Après la mort, il y a le néant ou la Miséricorde.
XXIV. Dans les monastères, les synagogues et les mosquées se réfugient les faibles que l'Enfer épouvante. L'homme qui connaît la grandeur d'Allah ne sème pas dans son coeur les mauvaises graines de la terreur et de l'imploration.
XXV. Au printemps, je vais quelquefois m'asscoir à la lisière d'un champ fleuri. Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut. Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien.
XXVI. Le vaste monde: un grain de poussière dans l'espace. Toute la science des hommes: des mots. Les peuples, les bêtes et les fleurs des sept climats: des ombres. Le résultat de ta méditation perpétuelle: rien.
XXVII. Admettons que tu aies résolu l'énigme de la création. Quel est ton destin? Admettons que tu aies pu dépouiller de toutes ses robes la Vérité. Quel est ton destin? Admettons que tu aies vécu cent ans, heureux, et que tu vives cent ans encore. Quel est ton destin?
XXVIII. Pénètre-toi bien de ceci: un jour, ton âme tombera de ton corps, et tu seras poussé derrière le voile qui flotte entre l'univers et l'inconnaissable. En attendant, sois heureux! Tu ne sais pas d'où tu viens. Tu ne sais pas où tu vas.
XVIX. Les savants et les sages les plus illustres ont cheminé dans les ténèbres de l'ignorance. Pourtant, ils étaient les flambeaux de leur époque. Ce qu'ils ont fait? Ils ont prononcé quelques phrases confuses, et ils se sont endormis.
XXX. Mon coeur m'a dit: "Je veux savoir, je veux connaitre! Instruis-moi, Khayyâm, toi qui as tant travaillé!" J'ai prononcé la première lettre de l'alphabet, et mon cœur m'a dit: "Maintenant, je sais. Un est le premier chiffre du nombre qui ne finit pas...
XXXI. Personne ne peut comprendre ce qui est mystérieux. Personne n'est capable de voir ce qui se cache sous les apparences. Toutes nos demeures sont provisoires, sauf notre dernière: la terre. Bois du vin! Trêve de discours superflus!
XXXII. La vie n'est qu'un jeu monotone où tu es sûr de gagner deux lots: la douleur et la mort. Heureux, l'enfant qui a expiré le jour de sa naissance! Plus heureux, celui qui n'est pas venu au monde!
XXXII. Ne cherche aucun ami dans cette foire que tu traverses. Ne cherche pas, non plus, un abri sûr. D'une âme ferme, accueille la douleur, et ne songe pas à te procurer un remède que tu ne trouveras pas. Dans l'infortune, souris. Ne demande à personne de te sourire. Tu perdrais ton temps.
XXXIV. La Roue tourne, insoucieuse des calculs des savants. Renonce à t'efforcer vainement de dénombrer les astres. Médite plutôt sur cette certitude: tu dois mourir, tu ne rêveras plus, et les vers de la tombe ou les chiens errants dévoreront ton cadavre.
XXXV. J'avais sommeil. La Sagesse me dit: "Les roses du Bonheur ne parfument jamais le sommeil. Au lieu de t'abandonner à ce frère de la Mort, bois du vin. Tu as l'éternité pour dormir."
XXXVI. Le créateur de l'univers et des étoiles s'est vraiment surpassé lorsqu'il a créé la douleur! Lèvres pareilles au rubis, chevelures embaumées, combien êtes-vous dans la terre?
XXXVII. Je ne peux apercevoir le Ciel. J'ai trop de larmes dans les yeux! Les brasiers de l'Enfer ne sont qu'une infime étincelle, si je les compare aux flammes qui me dévorent. Le Paradis, pour moi, c'est un instant de paix.
XXXVIII. Sommeil sur la terre. Sommeil sous la terre. Sur la terre, sous la terre, des corps étendus. Néant partout. Désert du néant. Des hommes arrivent. D'autres s'en vont.
XXXIX. Vieux monde que traverse, au galop, le cheval blanc et noir du Jour et de la Nuit, tu es le triste palais où cent Djemchids ont rêvé de gloire, où cent Bahrâms ont rêvé d'amour, et se sont réveillés en pleurant.
XL. Le vent du sud a flétri la rose dont le rossignol chantait les louanges. Faut-il pleurer sur elle ou sur nous? Quand la Mort aura flétri nos joues, d'autres roses s'épanouiront.
XLI. Oublie que tu devais être récompensé hier et que tu ne l'as pas été. Sois heureux. Ne regrette rien. N'attends rien. Ce qui doit t'arriver est écrit dans le Livre que feuillette, au hasard, le vent de l'Éternité.
XLII. Lorsque j'entends disserter sur les joies réservées aux Élus, je me contente de dire: "Je n'ai confiance que dans le vin. De l'argent comptant, et non des promesses! Le bruit des tambours ne plait qu'à distance..."
XLIII. Bois du vin! Tu recevras de la vie éternelle. Le vin est le seul philtre qui puisse te rendre ta jeunesse. Divine saison des roses, du vin et des arnis sincères! Jouis de cet instant fugitif qu'est la vie.
XLIV. BOIS du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre, sans ami, sans femme. Je te confle un secret: les tulipes fanées ne refleurissent pas.
XLV. Tout bas, l'argile disait au potier qui la pétrissait: "Considère que j'ai été comme toi... Ne me brutalise pas!"
XLVI. Potier, si tu es perspicace, garde-toi de meurtrir la glaise dont fut pétri Adam! Je vois sur ton tour la main de Féridoun, le coeur de Khosrou... Qu'as-tu fait!
XLVII. Le coquelicot puise sa pourpre dans le sang d'un empereur enseveli. La Colette naît du grain de beauté qui étoilait le visage d'un adolescent.
XLVIII. Depuis des myriades de siècles, il y a des aurores et des crépuscules. Depuis des myriades de siècles, les astres font leur ronde. Foule la terre avec précaution, car cette petite motte que tu vas écraser était peut-être l'oeil alangui d'un adolescent.
XLIX. Ce narcisse qui tremble au bord du ruisseau, ses racines sortent peut-être des lèvres décomposées d'une femme. Que tes pas effleurent légèrement le gazon! Dis-toi qu'il a germé dans les cendres de beaux visages qui avaient l'éclat des tulipes rouges.
L. JAI vu, hier, un potier qui était assis devant son tour. I1 modelait les anses et les flancs de ses urnes. Il pétrissait des crânes de sultans et des mains de mendiants.
LI. Le bien et le mal se disputent l'avantage, ici-bas. Le Ciel n'est pas responsable du bonheur ou du malheur que le destin nous apporte. Ne remercie pas le Ciel ou ne l'accuse pas... Il est indifférent à tes joies comme à tes peines.
LII. Si tu as greffé sur ton cœur la rose de l'Amour, ta vie n'a pas été inutile, ou bien si tu as cherché à entendre la voix d'Allah, ou bien encore si tu as brandi ta coupe en souriant au plaisir.
LIII. Prudence, voyageur! La route où tu marches est dangereuse. Le glaive du Destin est très affilé. Si tu vois des amandes douces, ne les cueille pas. Il y a du poison.
LIV. Un jardin, une jeune fille onduleuse, une urne de vin, mon désir et mon amertume: voilà mon Paradis et mon Enfer. Mais, qui a parcouru le Ciel et l'Enfer?
LV. Toi, dont la joue humilie l'églantine, toi, dont le visage ressemble à celui d'une idole chinoise, sais-tu que ton regard velouté a rendu le roi de Babylone pareil au fou du jeu d'échecs qui recule devant la reine?
LVI. La vie s'écoule. Que reste-t-il de Bagdad et de Balk? Le moindre heurt est fatal à la rose trop épanouie. Bois du vin, et contemple la lune en évoquant les civilisations qu'elle a vues s'éteindre.
LVII. Écoute ce que la Sagesse te répète toute la journée: "La vie est brève. Tu n'as rien de commun avec les plantes qui repoussent après avoir été coupées."
LVIII. Les rhéteurs et les savants silencieux sont morts sans avoir pu s'entendre sur l'être et le non-être. Ignorants, mes frères, continuons de savourer le jus de la grappe, et laissons ces grands hommes se régaler de raisins secs.
LIX. Ma naissance n'apporta pas le moindre profit à l'univers. Ma mort ne diminuera ni son immensité ni sa splendeur. Personne n'a jamais pu m'expliquer pourquoi je suis venu, pourquoi je partirai.
LX. Nous tomberons sur le chemin de l'Amour. Le Destin nous piétinera. Ô jeune fille, ô ma coupe enchanteresse, lève-toi et donne-moi tes lèvres, en attendant que je sois poussière!
LXI. Du bonheur, nous ne connaissons que le nom. Notre plus vieil ami est le vin nouveau. Du regard et de la main, caresse notre seul bien qui ne soit pas décevant: l'urne pleine du sang de la vigne.
LXII. Le palais de Bahrâm est maintenant le refuge des gazelles. Les lions rôdent dans ses jardins où chantaient des musiciennes. Bahrâm, qui capturait les onagres sauvages, dort maintenant sous un tertre où broutent des ânes.
LXIII. Ne cherche pas le bonheur. La vie est aussi brève qu'un soupir. La poussière de Djemchid et de Kaï-Kobad tournoie dans le poudroiement vermeil que tu contemples. L'univers est un mirage. La vie est un songe.
LXIV. Va t'asseoir, et bois! Tu jouiras d'un bonheur que Mahmoud n'a jamais connu. Écoute les mélodies qu'exhalent les luths des amants: ce sont les vrais psaumes de David. Ne plonge ni dans le passé ni dans l'avenir. Que ta pensée ne dépasse pas le moment! C'est le secret de la paix.
LXV. Les hommes bornés ou orgueilleux établissent une différence entre l'âme et le corps. Moi, je n'affirme qu'une chose: le vin détruit nos soucis et nous donne la quiétude parfaite.
LXVI. Quelle énigme, ces astres qui bondissent dans l'espace! Khayyâm, tiens solidement la corde de la Sagesse. Prends garde au vertige qui fait tomber, autour de toi, tes compagnons!
LXVII. Je ne crains pas la mort. Je préfère cet inéluctable à l'autre qui me fut imposé lors de ma naissance. Qu'est-ce que la vie? Un bien qui m'a été confié malgré moi et que je rendrai avec indifférence.
LXVIII. La vie passe, rapide caravane! Arrête ta monture et cherche à être heureux. Jeune fille, pourquoi t'attristes-tu? Verse-moi du vin! La nuit va bientôt venir...
LXIX. J'entends dire que les amants du vin seront damnés. Il n'y a pas de vérités, mais il y a des mensonges évidents. Si les amants du vin et de l'amour vont en Enfer, le Paradis doit être vide.
LXX. Je suis vieux. Ma passion pour toi me mène à la tombe, car je ne cesse de remplir de vin de dattes cette grande coupe. Ma passion pour toi a eu raison de ma raison. Et le Temps effeuille sans pitié la belle rose que j'avais...
LXXI. Tu peux m'obséder, visage d'un autre bonheur! Vous pouvez moduler vos incantations, voix amoureuses! Je regarde ce que j'ai choisi et j'écoute ce qui m'a déjà bercé. On me dit: "Allah te pardonnera". Je refuse ce pardon que je ne demande pas.
LXXII. Un peu de pain, un peu d'eau fraîche, l'ombre d'un arbre, et tes yeux! Aucun sultan n'est plus heureux que moi. Aucun mendiant n'est plus triste.
LXXIII. Pourquoi tant de douceur, de tendresse, au début de notre amour? Pourquoi tant de caresses, tant de délices, après? Maintenant, ton seul plaisir est de déchirer mon cœur... Pourquoi?
LXXIV. Quand mon âme pure et la tienne auront quitté notre corps, on placera une brique sous notre tête. Et, un jour, un briquetier pétrira tes cendres et les miennes.
LXXV. Du vin! Mon cœur malade veut ce remède! Du vin, au parfum musqué! Du vin, couleur de rose! Du vin pour éteindre l'incendie de ma tristesse! Du vin, et ton luth aux cordes de soie, ma bien aimée!
LXXVI. On parle du Createur... Il n'aurait donc formé les êtres que pour les détruire! Parce qu'ils sont laids? Qui en est responsable? Parce qu'ils sont beaux? Je ne comprends plus...
LXXVII. Tous les hommes voudraient cheminer sur la route de la Connaissance. Cette route, les uns la cherchent, d'autres affirment qu'ils l'ont trouvée. Mais, un jour, une voix criera: "Il n'y a ni route ni sentier!"
LXXVIII. Dédié aux flammes de l'aurore le vin de ta coupe pareille à la tulipe printanière! Dédie au sourire d'un adolescent le vin de ta coupe pareille à sa bouche! Bois, et oublie que le poing de la Douleur te renversera bientôt.
LXXIX. Du vin! Du vin, en torrent! Qu'il bondisse dans mes veines! Qu'il bouillonne dans ma tête! Des coupes... Ne parle plus! Tout n'est que mensonge. Des coupes... Vite! J'ai déjà vieilli...
LXXX. Une telle odeur de vin émanera de ma tombe, que les passants en seront enivrés. Une telle sérénité entourera ma tombe, que les amants ne pourront s'en éloigner.
LXXXI. Dans le tourbillon de la vie, seuls sont heureux les hommes qui se croient savants et ceux qui ne cherchent pas à s'instruire. Je suis allé me pencher sur tous les secrets de l'univers, et j'ai regagné ma solitude en enviant les aveugles que je rencontrais.
LXXXII. On me dit: "Ne bois plus, Khayyâm!" Je réponds: "Quand j'ai bu, j'entends ce que disent les roses, les tulipes et les jasmins. J'entends, même, ce que ne peut me dire ma bien-aimée."
LXXXIII. À quoi réfléchis-tu, mon ami? Tu penses à tes ancêtres? Ils sont poussière dans la poussière. Tu penses à leurs mérites? Regarde-moi sourire. Prends cette urne et buvons en écoutant sans inquiétude le grand silence de l'univers.
LXXXIV. L'aurore a comblé de roses la coupe du ciel. Dans l'air de cristal s'égoutte le chant du dernier rossignol. L'odeur du vin est plus légère. Dire qu'en ce moment des insensés rêvent de gloire, d'honneurs! Que ta chevelure est soyeuse, ma bien-aimée!
LXXXV. Ami, ne fais aucun projet pour demain. Sais-tu, seulement, si tu pourras achever la phrase que tu vas commencer? Demain, nous serons peut-être loin de ce caravansérail, et déjà pareils à ceux qui ont disparu, il y a sept mille ans.
LXXXVI. Ô rétiaire des cœurs, prends une urne et une coupe! Allons nous asseoir au bord du ruisseau. Svelte adolescent au clair visage, je te contemple et je songe à l'urne et à la coupe que tu seras, un jour.
LXXXVII. Il y alongtemps que ma jeunesse est allée rejoindre tout ce qui est mort. Printemps de ma vie, tu es maintenant où sont les printemps passés. Ô ma jeunesse, tu es partie sans que je m'en aperçoive! Tu es partie comme s'abolit, chaque jour, la douceur du printemps.
LXXXVIII. Ouvre-toi, mon frère, à tous les parfums, à toutes les couleurs, à toutes les musiques. Caresse toutes les femmes. Redis-toi que la vie est brève et que tu reviendras bientôt à la terre, serais-tu l'eau de Zemzem ou de Selsebil.
LXXXIX. Aspirer ici-bas à la paix: folie. Croire au repos éternel: folie. Après ta mort, ton sommeil sera bref, et tu renaîtras, dans une touffe d'herbe qui sera piétinée ou dans une fleur que le soleil flétrira.
XC. Je me demande ce que je possède vraiment. Je me demande ce qui subsistera de moi après ma mort. Notre vie est brève comme un incendie. Flammes que le passant oublie, cendres que le vent disperse: un homme a vécu.
XCI. Conviction et doute, erreur et vérité, ne sont que des mots aussi vides qu'une bulle d'air. Irisée ou terne, cette bulle est l'image de ta vie.
XCII. À la puissance de Kaï-Kaous, à la gloire de Kai-Kobad, aux richesses du Khorassan, je préfère une urne de vin. J'estime l'amant qui gémit de bonheur, et je méprise l'hypocrite qui murmure une prière.
XCIII. Écoute ce grand secret. Quand la première aurore illumina le monde, Adam n'était déjà qu'une douloureuse créature qui appelait la nuit, qui appelait la Mort.
XCIV. La lune du Ramazan vient d'apparaître. Demain, le soleil baignera une ville silencieuse. Les vins dormiront dans les urnes et les jeunes filles dans l'ombre des bosquets.
XCV. Je n'ai pas demandé de vivre. Je m'efforce d'accueillir sans étonnement et sans colère tout ce que la vie m'apporte. Je partirai sans avoir questionné personne sur mon étrange séjour sur cette terre.
XCVI. Ne laisse pas de cueillir tous les fruits de la vie. Cours vers tous les festins et choisis les plus grandes coupes. Ne crois pas qu'Allah tient compte de nos vices ou de nos vertus. Garde-toi de négliger ce qui peut te rendre heureux.
XCVII. Nuit. Silence. Immobilité d'une branche et de ma pensée. Une rose, image de ta splendeur éphémère, vient de laisser tomber un de ses pétales. Où es-tu, en ce moment, toi qui m'as tendu la coupe et que j'appelle encore? Sans doute, aucune rose ne s'effeuille près de celui que tu désaltères là-bas, et tu es privée du bonheur amer dont je sais t'enivrer.
XCVIII. Si tu savais comme je m'intéresse peu aux quatre éléments de la nature et aux cinq facultés del'homme! Certains philosophes grecs, dis-tu, pouvaient proposer cent énigmes à leurs auditeurs? Mon indifférence là-dessus est totale. Apporte du vin, joue du luth et que ses modulations me rappellent celles de la brise, qui passe comme nous!
XCIX. Quand l'ombre de la Mort s'allongera vers moi, quand la gerbe de mes jours sera liée, je vous appellerai, et vous m'emporterez, ô mes amis! Lorsque je serai devenu poussière, vous façonnerez, avec mes cendres, une urne que vous remplirez de vin. Peut-être, alors, me verrez-vous revivre.
C. Je ne me préoccupe pas de savoir où je pourrais acheter le manteau de la Ruse et du Mensonge, mais je suis toujours à la recherche de bon vin. Ma chevelure est blanche. J'ai soixante-dix ans. Je saisis l'occasion d'être heureux aujourd'hui, car, demain, je n'en aurai peut-être plus la force.
CI. Que sont devenus tous nos amis? La Mort les a-t-elle renversés et piétinés? Que sont devenus tous nos amis? J'entends encore leurs chansons dans la taverne... Sont-ils morts, ou sont-ils ivres d'avoir vécu?
CII. Quand je ne serai plus, il n'y aura plus de roses, de cyprès, de lèvres rouges et de vin parfumé. Il n'y aura plus d'aubes et de crépuscules, de joies et de peines. L'univers n'existera plus, puisque sa réalité dépend de notre pensée.
CIII. Voici la seule vérité. Nous sommes les pions de la mystérieuse partie d'échecs jouée par Allah. Il nous déplace, nous arrête, nous pousse encore, puis nous lance, un à un, dans la boîte du néant.
CIV. La voûte du ciel ressemble à une tasse renversée sous laquelle errent en vain les sages. Que ton amour pour ta bien-aimée soit pareil à celui de l'urne pour la coupe. Vois... Lèvre à lèvre, elles se donnent leur sang.
CV. Les savants ne t'apprendront rien, mais la caresse des longs cils d'une femme te révélera le bonheur. N'oublie pas que tes jours sont comptés et que tu seras bientôt la proie de la terre. Achète du vin, emporte-le à l'écart, puis laisse-le te consoler.
CVI. Il te versera sa chaleur. Il te délivrera des neiges du passé et des brumes de l'avenir. Il t'inondera de lumière. Il brisera tes chaînes de prisonnier.
CVII. Autrefois, quand je fréquentais les mosquées, je n'y prononçais aucune prière, mais j'en revenais riche d'espoir. Je vais toujours m'asseoir dans les mosquées, où l'ombre est propice au sommeil.
CVIII. Sur la Terre, bariolée, chemine quelqu'un qui n'est ni musulman, ni infidèle, ni riche, ni pauvre. Il ne révère ni Allah, ni les lois. Il ne croit pas à la vérité. Il n'affirme jamais rien. Sur la Terre bariolée, quel est cet homme brave et triste?
CIX. Avant de pouvoir caresser un visage pareil à une rose, que d'épines tu as à retirer de ta chair! Vois ce peigne. C'était un morceau de bois. Quand on l'a découpé, quel supplice il a subi! Mais, il a plongé dans la chevelure parfumée d'un adolescent.
CX. Quand la brise du matin entr'ouvre les roses et leur chuchote que les violettes ont déjà déplié leurs robes, seul est digne de vivre celui qui regarde dormir une souple jeune Elle, saisit sa coupe, la vide, puis la jette.
CXI. Tu appréhendes ce qui peut t'arriver demain? Sois confiant, sinon l'infortune ne manquerait pas de justifier tes craintes. Ne t'attache à rien, ne questionne ni livres ni gens, car notre destinée est insondable.
CXII. Seigneur, Ô Seigneur, réponds-nous! Tu nous as donné des yeux, et tu as permis que la beauté de tes créatures nous éblouisse... Tu nous as donné la faculté d'être heureux, et tu voudrais que nous renoncions à jouir des biens de ce monde? Mais cela nous est aussi impossible que de renverser une coupe sans répandre le vin qu'elle contient!
CXIII. Dans une taverne, je demandais à un vieux sage de me renseigner sur ceux qui sont partis. Il m'a répondu: "Ils ne reviendront pas. C'est tout ce que je sais. Bois du vin!"
CXIV. Regarde! Écoute! Une rose tremble dans la brise. Un rossignol lui chante un hymne passionné. Un nuage s'est arrêté. Buvons du vin! Oublions que cette brise effeuillera la rose, emportera le chant du rossignol et ce nuage qui nous donne une ombre si précieuse.
CXV. Cette voûte céleste sous laquelle nous errons, je la compare à une lanterne magique dont le soleil est la lampe. Et le monde est le rideau où passent nos images.
CXVI. Une rose disait: "Je suis la merveille de l'univers. Vraiment, un parfumeur aura-t-il le courage de me faire souffrir?" Un rossignol chanta: "Un jour de bonheur prépare un an de larmes."
CXVII. Ce soir ou demain, tu ne seras plus. Il est temps que tu demandes du vin, couleur de rose. Insensé, te compares-tu à un trésor, et crois-tu que des voleurs méditent déjà d'ouvrir ton sépulcre et d'emporter ton cadavre?
CXVIII. Sultan, ta destinée glorieuse était écrite dans les constellations où flamboie le nom de Khosrou! Depuis le commencement des âges, ton cheval, aux sabots d'or, bondissait parmi les astres. Quand tu passes, un tourbillon d'étincelles te dérobe à notre vue.
CXIX. L'amour qui ne ravage pas n'est pas l'amour. Un tison répand-il la chaleur d'un brasier? Nuit et jour, durant toute sa vie, le véritable amant se consume de douleur et de joie.
CXX. Tu peux sonder la nuit qui nous entoure. Tu peux foncer sur cette nuit... Tu n'en sortiras pas. Adam et Ève, qu'il a dû être atroce, votre premier baiser, puisque vous nous avez créés désespérés!
CXXI. Les étoiles laissent tomber leurs pétales d'or. Je me demande pourquoi mon jardin n'en est pas déjà tapissé. Comme le ciel répand ses fleurs sur la terre, je verse dans ma coupe noire du vin rose.
CXXII. Je bois du vin comme la racine du saule boit l'onde claire du torrent. Allah seul est Allah. Allah seul sait tout, dis-tu? Quand il m'a créé, il savait que je croirais au vin. Si je m'abstenais de boire, la science d'Allah serait en défaut.
CXXIII. Le vin, seul, te délivrera de tes soucis. Le vin, seul, t'empêchera d'hésiter entre les soixante-douze sectes. Ne te détourne pas du magicien qui a le pouvoir de te transporter dans la contrée de l'oubli.
CXXIV. Chaque matin, la rosée accable les tulipes, les jacinthes et les violettes, mais le soleil les délivre de leur brillant fardeau. Chaque matin, mon coeur est plus lourd dans ma poitrine, mais ton regard le délivre de sa tristesse.
CXXV. Si tu veux avoir la magnifique solitude des étoiles et des fleurs, romps avec tous les hommes, avec toutes les femmes. Ne chemine près de personne. Ne te penche sur aucune douleur. Ne participe à aucune fête.
CXXVI. Le vin a la couleur des roses. Le vin n'est peut-être pas le sang de la vigne, mais celui des roses. Cette coupe n'est peut-être pas du cristal, mais de l'azur figé. La nuit n'est peut-être que la paupière du jour.
CXXVII. Le vin procure aux sens une ivresse pareille à celle des Élus. Il nous rend notre jeunesse, il nous rend ce que nous avons perdu et il nous donne ce que nous désirons. Il nous brûle comme un torrent de feu, mais il peut aussi changer notre tristesse en eau rafraîchissante.
CXXVIII. Referme ton Koran. Pense librement, et regarde librement le ciel et la terre. Au pauvre qui passe, donne la moitié de ce que tu possèdes. Pardonne à tous les coupables. Ne contriste personne. Et cache-toi pour sourire.
CXXIX. Que l'homme est faible! Que le Destin est inéluctable! Nous faisons des serments que nous ne tenons pas, et notre honte nous est indifférente. Moi-même, j'agis souvent comme un insensé. Mais, j'ai l'excuse d'être ivre d'amour.
CXXX. Homme, puisque ce monde est un mirage, pourquoi te désespères-tu, pourquoi penses-tu sans cesse à ta misérable condition? Abandonne ton âme à la fantaisie des heures. Ta destinée est écrite. Aucune rature ne la modifira.
CXXXI. Cette buée autour de cette rose, est-ce une volute de son parfum ou le fragile rempart que la brume lui a laissé? Ta chevelure sur ton visage, est-ce encore de la nuit que ton regard va dissiper? Réveille-toi, bien-aimée! Le soleil dore nos coupes. Buvons!
CXXXII. Prends la résolution de ne plus contempler le ciel. Entoure-toi de belles jeunes filles et caresse-les. Tu hésites? Tu as encore envie de supplier Allah? Avant toi, des hommes ont prononcé de ferventes prières. Ils sont partis, et tu ignores si Allah les a entendus.
CXXXIII. L'aurore! Bonheur et pureté! Un immense rubis scintille dans chaque coupe. Prends ces deux branches de santal. Transforme celle-ci en luth, et embrase l'autre pour qu'elle nous parfume.
CXXXIV. Las d'interroger vainement les hommes et les livres, j'ai voulu questionner l'urne. J'ai posé mes lèvres sur ses lèvres, et j'ai murmuré: "Quand je serai mort, où iraije?", Elle m'a répondu: "Bois à ma bouche. Bois longtemps. Tu ne reviendras jamais ici-bas."
CXXXV. Si tu es ivre, Khayyâm, sois heureux. Si tu contemples ta bien-aimée aux joues de rose, sois heureux. Si tu rêves que tu n'existes plus, sois heureux, puisque la mort est le néant.
CXXXVI. Je raversais l'atelier désert d'un potier. Il y avait au moins deux mille urnes, qui parlaient tout bas. Soudain, l'une d'elles cria: "Silence! Permettez à ce passant d'évoquer les potiers et les acheteurs que nous étions..."
CXXXVII. Vous dites que le vin est le seul baume? Apportez-moi tout le vin de l'univers! Mon cœur a tant de blessures... Tout le vin de l'univers, et que mon cœur garde ses blessures!
CXXXVIII. Quelle âme légère, celle du vin! Potiers, pour cette âme légère, faites aux urnes des parois bien lisses! Ciseleurs de coupes, arrondissez-les avec amour, afin que cette âme voluptueuse puisse doucement se caresser à de l'azur!
CXXXIX. Ignorant qui te crois savant, je te regarde suffoquer entre l'infni du passé et l'infini de l'avenir. Tu voudrais planter une borne entre ces deux infinis et t'y jucher... Va plutôt t'asseoir sous un arbre, près d'un flacon de vin qui te fera oublier ton impuissance.
CXL. Une autre aurore! Comme chaque matin, je découvre la splendeur du monde et je m'affige de ne pouvoir remercier son créateur. Mais, tant de roses me consolent, tant de lèvres s'offrent aux miennes! Laisse ton luth, ma bien-aimée, puisque les oiseaux se mettent à chanter.
CXLI. Contente-toi de savoir que tout est mystère: la création du monde et la tienne, la destinée du monde et la tienne. Souris à ces mystères comme à un danger que tu mépriserais. Ne crois pas que tu sauras quelque chose quand tu auras franchi la porte de la Mort. Paix à l'homme dans le noir silence de l'Au-Delà!
CXLII. Au milieu de la prairie verte, l'ombre de cet arbre ressemble à une île. Passant, reste où tu es, là-bas! Entre la route que tu suis et cette ombre qui tourne lentement, il y a peutêtre un abime infranchissable.
CXLIII. Que ferai-je, aujourd'hui? Irai-je à la taverne? Irai-je m'asseoir dans un jardin, ou me pencherai-je sur un livre? Un oiseau passe. Où vat-il? Je l'ai déjà perdu de vue. Ivresse d'un oiseau dans l'azur torride! Mélancolie d'un homme dans l'ombre fraîche d'une mosquée!
CXLIV. Un peu plus de vin, ma bien-aimée! Tes joues n'ont pas encore l'éclat des roses. Un peu plus de tristesse, Khayyâm! Ta bien-aimée va te sourire.
CXLV. Notre univers est une tonnelle de roses. Nos visiteurs sont les papillons. Nos musiciens sont les rossignols. Quand il n'y a plus ni roses, ni feuilles, les étoiles sont mes roses et ta chevelure est ma forêt.
CXLVI. Serviteurs, n'apportez pas les lampes puisque mes convives, exténués, se sont endormi. J'y vois suffisamment pour distinguer leur pâleur. Étendus et froids, ils seront ainsi dans la nuit du tombeau. N'apportez pas les lampes, car il n'y a pas d'aube chez les morts.
CXLVII. Quand tu chancelles sous le poids de la douleur, quand tu n'as plus de larmes, pense à la verdure qui miroite après la pluie. Quand la splendeur du jour t'exaspère, quand tu souhaites qu'une nuit défnitive s'abatte sur le monde, pense au réveil d'un enfant.
CXLVIII. Je dissimule ma tristesse, puisque les oiseaux blessés se cachent pour mourir. Du vin! Écoutez mes plaisanteries! Du vin, des roses, des chants de luth et ton indifférence à ma tristesse, bien-aimée!
CXLIX. Seigneur, tu as placé mille pièges invisibles sur la route que nous suivons, et tu as dit: "Malheur à ceux qui ne les éviteront pas!" Tu vois tout, tu sais tout. Rien n'arrive sans ta permlssion. Sommes-nous responsables de nos fautes? Peux-tu me reprocher ma révolte?
CL. J'ai beaucoup appris et j'ai beaucoup oublié aussi, volontairement. Dans ma mémoire, chaque chose était à sa place. Par exemple, ce qui était à droite ne pouvait aller à gauche. Je n'ai connu la paix que le jour où j'ai tout rejeté avec mépris. J'avais enfin compris qu'il est impossible d'affirmer ou de nier.
CLI. J'ai eu des maitres éminents. Je me suis réjoui de mes progrès, de mes triomphes. Quand j'évoque le savant que j'étais, je le compare à l'eau qui prend la forme du vase et à la fumée que le vent dissipe.
CLII. Pour le sage, la tristesse et la joie se ressemblent, le bien et le mal aussi. Pour le sage, tout ce qui a commencé doit finir. Alors, demande-toi si tu as raison de te réjouir de ce bonheur qui t'arrive, ou de te désoler de ce malheur que tu n'attendais pas.
CLIII. Puisque notre sort, ici-bas, est de souffrir puis de mourir, ne devons-nous pas souhaiter de rendre le plus tôt possible à la terre notre corps misérable? Et notre âme, qu'Allah attend pour la juger selon ses mérites, dites-vous? Je vous répondrai là-dessus, quand j'aurai été renseigné par quelqu'un revenant de chez les morts.
CLIV. Derviche, dépouille-toi de cette robe peinte dont tu es si fier et que tu n'avais pas à ta naissance! Endosse le manteau de la Pauvreté. Les passants ne te salueront pas, mais tu entendras chanter dans ton coeur tous les séraphins du ciel.
CLV. Ivre ou altéré, je ne cherche qu'à dormir. J'ai renonce à savoir ce qui est bien, ce qui est mal. Pour moi, le bonheur et la douleur se ressemblent. Quand un bonheur m'arrive, je ne lui accorde qu'une petite place, car je sais qu'une douleur le suit.
CLVI. On ne peut incendier la mer, ni convaincre l'homme que le bonheur est dangereux. Il sait, pourtant, que le moindre choc est fatal à l'urne pleine et laisse intacte l'urne.
CLVII. Regarde autour de toi. Tu ne verras qu'afflictions, angoisses et désespoirs. Tes meilleurs amis sont morts. La tristesse est ta seule compagne. Mais, relève la tête! Ouvre tes mains! Saisis ce que tu désires et ce que tu peux atteindre. Le passé est un cadavre que tu dois enterrer.
CLVIII. Je regarde ce cavalier qui s'éloigne dans la brume du soir. Traversera-t-il des forêts ou des plaines incultes? Où va-t-il? Je ne sais. Demain, serai-je étendu sur la terre ou sous la terre? Je ne sais.
CLIX. "Allah est grand!" Ce cri du moueddin ressemble à une immense plainte. Cinq fois par jour, est-ce la Terre qui gémit vers son créateur indifférent?
CLX. Le Ramazan' est fini. Corps épuisés, âmes fanées, la joie revient! Les conteurs savent des histoires nouvelles. Les porteurs de vin, les marchands de rêves lancent leurs appels. Mais je n'entends pas celui qui me rendra la vie, celui de ma bien-aimée.
CLXI. Regarde ce ruisseau qui brille dans ce jardin. Comme moi, décide que tu vois le Kaouçar et que tu es dans le Paradis. Va chercher ton amie au visage de rose.
CLXII. Tu ne vois que les apparences des choses et des êtres. Tu te rends compte de ton ignorance, mais tu ne veux pas renoncer à aimer. Apprends qu'Allah nous a donné l'amour comme il a rendu certaines plantes vénéneuses.
CLXIII. Tu es malheureux? Ne pense pas à ta douleur, et tu ne souffriras pas. Si ta peine est trop violente, songe à tous les hommes qui ont souffert inutilement depuis la création du monde. Choisis une femme aux seins de neige, et garde-toi de l'aimer. Qu'elle soit, aussi, incapable de t'aimer.
CLXIV. Pauvre homme, tu ne sauras jamais rien.. Tu n'élucideras jamais un seul des mystères qui nous entourent. Puisque les religions te promettent le Paradis, aie soin de t'en créer un sur cette terre, car l'autre n'existe peut-être pas.
CLXV. Lampes qui s'éteignent, espoirs qui s'allument. Aurore. Lampes qui s'allument, espoirs qui s'éteignent. Nuit.
CLXVI. Tous les royaumes pour une coupe de vin précieux! Tous les livres et toute la science des hommes pour une suave odeur de vin! Tous les hymnes d'amour pour la chanson du vin qui coule! Toute la gloire de Féridoun pour ce chatoiement sur cette urne!
CLXVII. J'ai reçu le coup que j'attendais. Ma bien-aimée m'a abandonné. Quand je l'avais, il m'était facile de mépriser l'amour et d'exalter tous les renoncements. Près de ta bien-aimée, Khayyâm, comme tu étais seul! Vois-tu, elle est partie pour que tu puis ses te réfugier en elle.
CLXVIII. Seigneur, tu as brisé ma joie! Seigneur, tu as élevé une muraille entre mon coeur et son coeur! Ma belle vendange, tu l'as piétinée. Je vais mourir, mais tu chancelles, enivré!
CLXIX. Silence, ma douleur! Laisse-moi chercher un remède. Il faut que je vive, car les morts n'ont plus de mémoire. Et je veux revoir sans cesse ma bien-aimée!
CLXX. Luths, parfums et coupes, lèvres, chevelures et longs yeux, jouets que le Temps détruit, jouets! Austérité, solitude et labeur, méditation, prière et renoncement, cendres que le Temps écrase, cendres!
Traduits par Franz Toussaint, Paris, L'Édition d'art H. Piazza
Dresse-toi devant moi, mon fils, pour que je me souvienne de ta taille Je veux aller trouver ma famille Un cercle de mains caressantes, De douces mains humaines Où l’oubli soit enclos. Je veux aller trouver ma vraie famille humaine Sous les branches bombées de l’olivier bruni Et les pentes à nu de ces collines bleues Le désespoir dormait. Et le ciel inclément sur ces masses perdues à jamais Dans la mort impalpable et splendide, Versait sa fraîcheur bleue La vie légère s’envolait des fleurs violettes des pêchers Et dans le fond des ravins bleus Chantait l’eau de la Miséricorde Je veux trouver les anges de mes frères, Dans le pays muet que renferme mon cœur. Âmes, ô âmes des morts ! Sous le schiste trié Les olives pleuraient sur vos os oubliés, Mais l’huile ensoleillée ne pourra plus jamais, Pourtant, jamais, Redonner la jeunesse à vos membres séchés. Coulez-vous dans le ciel, A l’heure où l’épervier, Autour des gouffres bleus Enroule son envol silencieux. Est-ce vous, ô voyageurs de l’éternelle angoisse, Qui traversez la foule des étoiles innombrables, Dans le ciel noir où mon étoile, un jour, me fera signe ? Mais, sa place, Celle de votre enfant, malgré vous, malgré lui Prisonnier de ces os rendu au schiste sec, Mais, ma place, Celle de votre fils aux membres ligotés Où, où est-elle ? Je voudrais reposer dans ma famille humaine, celle qui fut livrée à une sombre haine Mais qu’un dieu délivrera sur mon Mont d’oliviers Pareil aux troncs noueux des arbres de chez nous Ces sépulcres offerts au soleil dévorant, Ces femmes ravinées dont les mains sont tendues Aujourd’hui, aujourd’hui, j’abandonne ce lieu où j’ai cru si longtemps que mes pieds poseraient Pour jamais, avinées dont les mains sont tendues Non vers ce ciel trop pur, mais vers les mains fermées des enfants en allés Vers le pays de l’or et du travail facile. J’appareille aujourd’hui vers une autre colline, Un pays jamais vu par des regards humains, Sous un arbre aux bras longs comme un regard de mère...
JEAN AMROUCHE
BRISURE II
Quel mot pur, essentiel, total
Dense, inoubliable te dire ?
Un bruit confus s’élève dans mon cœur,
Comme une sourde angoisse,
Et se remue, enfant redoutable d’un sentiment amer
Il se crée une inexplicable musique,
Combien dure, étrange et lente,
Inconnue :
Coups sourds frappés du lourd marteau de la mémoire,
Appels funèbres d’un avenir semé d’orages solitaires,
Au seuil du temps.
Solitude,
Complainte grise et froide,
Maîtresse déjà tes cheveux impalpable comme la vie
Couvriront mon front moite,
Et tes longs doigts d’algue incolore
Errants par mon corps effondré
Épuiseront leurs efforts à chercher
Ma jeunesse perdue.
Ô solitude, demain déjà je serai tien
Dans le crépuscule de ma chambre étroite
Où danse vainement la douce clarté de la lune.
Et les chansons des garçons neufs
Criant leur vie à pleins poumons
Au vent du large ?
Et la belle fille qui passe,
Aux fortes jambes mues en cadence,
Épousé du soleil et du violent désir des hommes ?
Puisque tu pars demain,
Puisque déjà tu es partie et que le lourd vaisseau
T’emporte dans ses flancs,
Écoute un instant ce cri
Qui te suit le long de la blanche blessure de la mer,
Ululement de la sirène au bord de la tempête
....
Adieu tous mes amis vivants ! Il n’est pas de minute qui m’aspire, Loin de vous.
Celui que vous avez connu au temps de l’amour Se défait Comme la vague meurt au rivage désert.
Aussi longtemps que plonge le regard Dans l’espace indolore, Aussi loin qu’il s’élance sur les dunes de sable, Il ne voit que la nuit dans un jour qui s’éteint :
La nuit, la Mort en chacun instant donnée Et la vie toute pareille.
Celui que vous avez aimé aux jours vermeils, Quand le soleil dansait sur les plages, Celui-là même qui vous offrait son âme En un grand geste d’amour, S’effrite, chaux diluée, aux temps inexorable. Adieu, vous tous, enfants de mon âme violente ! Je sais trop, aujourd’hui, que vous n’existiez pas.
Mirages et tourbillons célestes au creux de mes entrailles, Vous fûtes un seul jour de gloire, Rayonnantes écailles ! Tombées, Dissoutes, quand l’air cessa d’abreuver les chimères Qui fondirent ; Neiges splendides Réduites à la boue uniforme de l’absence.
JEAN AMROUCHE
LE COMBAT ALGERIEN
À l'homme le plus pauvre à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent la pluie ou la neige à celui qui depuis sa naissance n'a jamais eu le ventre plein On ne peut cependant ôter ni son nom ni la chanson de sa langue natale ni ses souvenirs ni ses rêves On ne peut l'arracher à sa patrie ni lui arracher sa patrie. Pauvre affamé nu il est riche malgré tout de son nom d'une patrie terrestre son domaine et d'un trésor de fables et d'images que la langue des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte la vie.
Aux Algériens on a tout pris la patrie avec le nom le langage avec les divines sentences de sagesse qui règlent la marche de l'homme depuis le berceau jusqu'à la tombe la terre avec les blés les sources avec les jardins le pain de bouche et le pain de l'âme l'honneur la grâce de vivre comme enfant de Dieu frère des hommes sous le soleil dans le vent la pluie et la neige.
On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine on les a fait orphelins on les a fait prisonniers d'un présent sans mémoire et sans avenir les exilant parmi leurs tombes de la terre des ancêtres de leur histoire de leur langage et de la liberté.
Ainsi réduits à merci courbés dans la cendre sous le gant du maître colonial il semblait à ce dernier que son dessein allait s'accomplir. que l'Algérien en avait oublié son nom son langage et l'antique souche humaine qui reverdissait libre sous le soleil dans le vent la pluie et la neige en lui.
Mais on peut affamer les corps on peut battre les volontés mater la fierté la plus dure sur l'enclume du mépris on ne peut assécher les sources profondes où l'âme orpheline par mille radicelles invisibles suce le lait de la liberté.
On avait prononcé les plus hautes paroles de fraternité on avait fait les plus saintes promesses.
Algériens, disait-on, à défaut d'une patrie naturelle perdue voici la patrie la plus belle la France chevelue de forêts profondes hérissée de cheminées d'usines lourde de gloire de travaux et de villes de sanctuaires toute dorée de moissons immenses ondulant au vent de l'Histoire comme la mer Algériens, disait-on, acceptez le plus royal des dons ce langage le plus doux le plus limpide et le plus juste vêtement de l'esprit.
Mais on leur a pris la patrie de leurs pères on ne les a pas reçu à la table de la France Longue fut l'épreuve du mensonge et de la promesse non tenue d'une espérance inassouvie longue amère trempée dans les sueurs de l'attente déçue dans l'enfer de la parole trahie dans le sang des révoltes écrasées comme vendanges d'hommes.
Alors vint une grande saison de l'histoire portant dans ses flancs une cargaison d'enfants indomptés qui parlèrent un nouveau langage et le tonnerre d'une fureur sacrée : on ne nous trahira plus on ne nous mentira plus on ne nous fera pas prendre des vessies peintes de bleu de blanc et de rouge pour les lanternes de la liberté nous voulons habiter notre nom vivre ou mourir sur notre terre mère nous ne voulons pas d'une patrie marâtre et des riches reliefs de ses festins.
Nous voulons la patrie de nos pères la langue de nos pères la mélodie de nos songes et de nos chants sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil dans le présent sans mémoire et sans avenir
Ici et maintenant nous voulons libre à jamais sous le soleil dans le vent la pluie ou la neige notre patrie : l'Algérie. Jean Amrouche Paris 1958 poèmes algériens
Il est de ces viatiques existentiels qui sont si nobles qu'on ne peut guère leur appliquer les critères habituels sans porter la main à ces viatiques eux-mêmes. Celui que feu Himoud Brahimi, dit Momo, a toujours soutenu de son vivant était tout simplement sublime : devenir l'illuminé de la Casbah.
"Chaque matin le soleil salue son amour et la Casbah ravie lui ouvre toutes ses couches". La voilà bien, l'image initiale ! La Casbah est une amante. Mais c'est aussi un univers labyrinthique multiséculaire, le noyau historique de la capitale, où le passé s'accorde sans artifice avec le présent.
Déjà adolescent, feu Himoud Brahimi, dit Momo, conçut cette idée qui, plus tard, sera son idée-force : "El-Bahdja", la forteresse inexpugnable, ou l'entêtement héraldique d'une civilisation maghrébine poursuivant obstinément sa lente progression à travers les âges.
Imaginez un peu ce docte personnage qui frisait l'insolite
Les poètes sont -en tant que poètes- dépourvus de puissance. Peut-être est-ce pour cela qu'ils ne convainquent que là où ils ne disent presque plus rien et, paradoxalement, suggèrent tout, comme Momo le fit dans son poème-cantilène "Architecture" (lire encadré intitulé "Architecture").
Imaginez un peu ce docte personnage qui frisait l'insolite, qui paraissait presque irréel. A l'écouter conter son singulier parcours existentiel, tout, en lui, transpirait une profonde originalité. A commencer par le visage : face burinée par les embruns, à l'image de ces fantasques rais de l'époque barbaresque, barbe en pointe qui lui dévorait les joues jusqu'aux pommettes, regard pénétrant, cheveux en boucles argentées -parfois attachés en queue de cheval- le tout serti de quelques traits de caractère à la limite de l'ostentation : langage ésotérique pointu, intonation sacerdotale, expression des yeux tantôt malicieuse, tantôt affectée, quelquefois mélancolique...
Avec son légendaire saroual "m'qaàda", son "h'zème" traditionnel et son gilet typiquement algérois, il faisait songer à on ne sait quel rapsode mythique ou conteur épique sorti tout droit d'un bazar stambouliote du 19e siècle.
La Casbah, "labyrinthe prodigieux d'architecture phénoménale",...
Et c'est toute la Casbah, "imprescriptiblement" secrète, tout le Viel-Alger des contes et légendes populaires d'antan qu'on était amené, avec une émotion et une admiration croissantes, à découvrir au fur et à mesure qu'il se remémorait, non sans ferveur d'ailleurs, "ce labyrinthe prodigieux d'architecture phénoménale, qui s'étage en escaliers de terrasses, de clartés grimpant commodément sur les collines qui mènent aux monts alentours" et dont il a su si bien incarner la conscience millénaire.
Mais pourquoi donc si peu de témoignages sur Momo qui collent véritablement à la mémoire ? Aujourd'hui la question ne s'est même pas posée et pourtant, elle demeure pendante. Peut-être parce que Momo, presque "seul contre tous", naviguait à vue dans les humeurs grises d'une citadelle par trop repliée sur elle-même, peu encline à se confesser ? Il est vrai qu'il n'avait besoin de personne. Ou peut-être si...
Respectable patriarche octogénaire, à l'image des sages de ce monde, il donnait toujours, il rendait la voix à ceux qui ne l'avaient plus. Il criait la souffrance des autres. C'est en cela qu'il ne restait pas moins vif, attentif à tous les bruissements, à toutes les pulsations qui lui parvenaient du cœur de la ville. Il "frère" encore, comme dirait l'irremplaçable Jacques Brel.
Himoud Brahimi dit Momo, "poète-cantilène de la Citadelle"
...demeurée inséparable de la mer qui l'a vue naitre
Sa famille ? L'humanité entière. Sa patrie ? La planète terre. Et, comme pour souligner qu'il n'y avait point de limite à son humanisme convivial, il y ajoutait volontiers un zeste d'univers cosmique. "Affaire de concepts", lançait-il en penchant vers l'avant sa tète, histoire de mieux vous toiser par-dessus ses lunettes.
Momo expliquait, de la sorte, que sa patrie commençait par l'inamissible ville blanche : harmonieusement étagée, demeurée inséparable de la mer qui l'a vue naitre, qui a fait sa gloire, sa fortune, et surtout de cette originalité que seules quelques grandes cités méditerranéennes peuvent se targuer d'avoir. "El Djazair El-Mahroussa", la Bien-Gardée, immuable vestale de la mémoire historique et culturelle de l'Algérie.
Seulement voilà : à la lisière maritime de cet "immense gâteau de sel dont chaque maison forme un cube régulier, comme des cristaux de sel gemme", campe solidement l'inébranlable Ras-Ammar, L'Amirauté. Entendre par là l'emplacement élu de sa prime jeunesse, là où, se rappelait-il, "les pavés de la ville et de la Pêcherie dévalaient en pentes inclinées jusqu'au bord de la mer, où les barques de pécheurs arrivaient à la queue-leu-leu pour vendre des poissons frais et frétillants, à la criée..."
Vint ensuite ce pays d'accueil où il avait bonne souvenance d'avoir été plutôt bien accepté : Paris-Verlaine, Paris-Cocagne des années 1940, fragrance de sylphides auréolant de langoureux lauriers notre fringant Adonis des mers, champion du monde de nage sous-marine en 1950 (133,33mètres) : "Je suis allé à Paris en 1945. J'ai réalisé mon rêve...Voir Paris...J'ai vu les musées...Le Louvre...Et j'ai lu...J'étais gourmand des mots et des idées. Et puis des femmes"...Mais je sentais que j'allais vers l'impasse. J'avais oublié l'arabe et mes ancêtres venaient me le rappeler dans mes nuits sans sommeil".
La Casbah : plus qu'une colline, pas vraiment une montagne...
Le récit semblait soudain pris dans le champ d'invisibles caméras qui enregistraient des scènes précises d'un film, dont personne n'aurait su le fil d'Ariane. "J'ai changé de vie...je suis revenu à Alger. Je me suis mis à la prière...A cette époque, J'étais comédien, je travaillais au théâtre...je me suis brusquement arrêté. Mes amis me disaient que j'étais fou. Moi, j'étais à la recherche de moi-même...A la recherche de la lumière qui est en moi..."
"Cette lumière, je la cherche quand je suis sur le mole, face à la mer et au soleil, ou dans l'eau, lorsque je plonge en retenant mon souffle pendant de longues minutes...
J'attend l'éblouissement ! L'illumination. C'est cela ; Je voudrais être illuminé ! L'illuminé de la Casbah...! ".
Hé oui, il y a des jours comme ça, où Momo était comme placé sur orbite, emporté dans un mouvement d'une régularité presque effrayante, que plus rien ne semblait interrompre, un avant-gout d'éternité. Dans un pan de mémoire planté de vieilles rengaines repassées à coup de 78 tours sur le phono à manivelle, il évoquait.
Et, pour ce qui est d'évoquer, il ne craignait personne : du cinéma d'époque, "Pépé le Moko," "Tahia ya Didou" et autres souvenirs en livraison groupée, renvoyant d'un coup l'ascenseur vers les temps immémoriaux, les bourlingues de la jeunesse, les
amours fous qui se sont écrasés comme de grands oiseaux morts sur les pavés du mole, un vrai roman d'aventures entre le "Marie Rose", carcasse d'un vieux yatch reclus, amarré non loin du phare, et les années d'exode, de révolution, d'indépendance et d'incursions surréalistes.
Bien entendu Momo ne s'arrêtera pas à son exergue de champion du monde de nage sous-marine. De retour à Alger, il côtoiera simultanément Albert Camus, Emmanuel Roblès et tous les écrivains algériens d'expression arabe, berbère ou française. Et d'ailleurs, c'est pour la cause d'un parcours existentiel aussi prodigieux que l'auteur bédéiste Ferrandez consacra à notre chantre trois albums rutilants de bandes dessinées en couleurs, aux éditions Casterman. Aujourd'hui on peut , avec délectation, y lire "Carnets d'Orient", "Cimetière des princesses", etc.
Ineffable Casbah aux maisons qui "semblent grimper les unes sur les autres"
Quoiqu'il en fut, la grande fierté de Momo demeurait la vieille médina au profil de pyramide immaculée. Plus qu'une colline, pas vraiment une montagne. En tout cas autre chose qu'une simple acropole, dans cet immense amphithéâtre que cerne de toute part une luxuriante végétation. "Vous croyez, sans doute, que la Casbah est un quartier ? Hé bien non, la Casbah n'est pas un quartier, c'est la conscience endormie d'une civilisation", prévenait-il avec à propos, comme pour prendre les devants sur quelque glissement sémantique.
Ineffable Casbah aux maisons qui "semblent grimper les unes sur les autres". Tout
est là, noir sur blanc et en couleurs, sur les murs : le jour et la nuit qui se heurtent à chaque instant, le rêve, l'illusion, la peur, le cauchemar des autres, la ligne bleue de la mer...Et, tout autour, le superbe vacarme de la modernité en marche.
C'est qu'il en fut natif, Momo, il en en fut le blason, le chantre. Il n'en ignorait aucune palpitation ! Et lorsqu'il vous chuchotait malicieusement à l'oreille, "moi qui en suit le fils, je ne puis même pas en connaitre le secret intime", croyez-vous qu'il venait de pécher simplement par modestie ? Ou, sait-on jamais, de se laisser voguer sur quelque effluve lointain, remontant le temps sans doute jusqu'à la Régence, jusqu'au fameux coup d'éventail administré par le dey Hussein au consul Duval ?
L'avez-vous vu flâner dans ce monde fascinant de beauté austère?
Allons donc, Momo méconnaissant les profondeurs secrètes de sa souveraine citadelle ? De ces lieux naguère enchanteurs, impétueux, à présent silencieux, fantomatiques, où le désenchantement l'emporte bien souvent sur tout le reste ? L'avez-vous vu flâner dans ce monde fascinant de beauté austère, à la mesure d'un autre temps ? L'avez-vous suivi à travers l'inextricable dévalement de ruelles en pentes ? Vous êtes-vous arrêté(e) lorsqu'il s'arrêtait par moments sous les encorbellements engrillagés qui laissent filtrer une merveilleuse poésie d'ombre et de lumière, à l'image de ceux des ruelles ottomanes de la Corne d'Or (Istanbul) ? Il vous aurait dit alors : "Le matin, le soleil est féminin. Regardez comme il est doux et caressant. C'est le bon moment pour visiter la Casbah...L'après-midi, le soleil est masculin...Il est cruel".
Vous-êtes vous efforcé, un peu plus loin, de deviner ce que Momo avait vu au-delà des portes fermées de ces modestes demeures anonymes ? L'avez-vous écouté se raconter près d'une fontaine publique, ou s'insinuer dans l'histoire de quelque palais somptueux ? Là, le café que Fromentin avait l'habitude de fréquenter, vers 1850...là, le cimetière des Deux-Princesse...là, le lieu où Karl Marx, alors en voyage à Alger en 1882, rencontra -lors d'une promenade en bordure de la Casbah- un "individu" au visage émacié sous son parasol, peintre de son état, sans savoir qu'il s'agissait de Pierre-Auguste Renoir...
La haute-Casbah, citadelle d'où la vieille médina tient son nom
Plus loin encore, la citadelle d'où la vieille médina tient son nom et d'où l'on domine toute la ville... Momo trouvait là, justement, entre les topanets qu'il aimait tellement, dans la lumière dansante du soleil, dans les maisons qui donnent l'impression d'avoir mis les escaliers sur leur terrasse, une "porte de l'air", c'est-à-dire une liberté à la fois douce et agréable, tonifiante.
A suivre pas à pas son fabuleux itinéraire, on a l'impression qu'il avait deux façons de voir la Casbah qui se complètent l'une et l'autre. En détail d'abord, rue à rue et maison à maison. En masse ensuite, du haut des remparts crénelés de la citadelle. On croirait même l'entendre murmurer : "De cette manière, on a dans l'esprit la face et le profil de la ville".
Et parce que les esprits paraissent un tant soit peu medium, pour tout au moins dénoncer l'injustice et proclamer le message de la compassion humaine, le geste, semble-t-il, a déjà été posé par Momo. Ce geste, ce jalon, ce cri du cœur, était dédié tout naturellement à la Casbah. On ne peut que déplorer, à présent, que la voix de cet illustre personnage n'ait pas pu résonner avec une plus grande faconde littéraire. Car cette voix méritait franchement d'être écoutée, soutenue, mémorisée. De son vivant.
Architecture
Ville incomparable, jolie comme une perle, / Splendide à souhait, au bord de la mer /Les mouettes au port, les bateaux ancrés / Les iles reliées, le mole qui les suit / Vision d'une coupole, la Casbah colline / Maison séculaires, cèdres renforcés / Habitat mystère, les murs patinés / Terrasses gouailleuses, ruelles clairières /
Alger El Djazair, comptoirs phéniciens / Hercule y vécut, Mezghenna aima /
L'andalou maçon traça le schéma / Le soleil selon, un gite à la lune / Un peuple pour époux, épouse dulcinée / Casbah solitaire, joyau de mon cœur / Casbah de mémoire, aux histoires citées / Le voile qui te sied, ne peut plus cacher / Les rides séniles, rongeant toute ta peau / A chaque jour nouveau l'agonie te guette / Et toi toute muette, dans les yeux ta vie / Gaieté des enfants, l'œuvre des mamans / Dans ce monde nouveau, tu es matriarche / Je sais ce que racontent, les tournants des rues / Les pavés qui chantent, les pas des partants / Du sang sur les murs, linceuls dans les tombes : / Je me dois de dire à ceux qui ne sont plus : / Qu'ils sont avec nous et Toi avec eux / Nous sommes leur Casbah et toi notre aïeule !
Par Kamel Bouslama
Journaliste, psychopédagogue et consultant en édition et communication.
CASBAH LUMIÈRE...EXTRAIT
Comme un cygne paré de sa blancheur laiteuse,
La Casbah s'apprête à recevoir le soleil arqué à l'horizon.
Paraissant immobile, le soleil avance, et la Casbah en révérence ailée, le salue.
Et toi, baie d'el Djazaïr,
comme une vierge de Botticelli qui attend tout de l'amour
tu drapes ta nudité en baissant pudiquement les paupières.
C'est la grâce de son sillage qui rend le cygne attirant,
C'est la rondeur de la terre qui rend le soleil heureux,
C'est aussi le sourire des étoiles qui rend les terrasses joyeuses.
Si je m'avisais à décrire ton état actuel, mienne Casbah,
je me détruirais tout en te détruisant.
Ne dit-on pas que lorsque le cygne sent l'approche de son départ,
il annonce sa mort en offrant son chant à tous les alentours.
Si le chant du cygne est le chant du grand départ,
pour toi mon chant est comme une ode.
Tu me fais écrire des mots dont tu composes la musique.
Tu me fais dire des paroles décrites par ton climat.
Tant que je t'adule je ne peux t'abhorrer,
et tant que tu es là je ne peux t'oublier
Quant à ceux qui m'invitent à écrire sur la Casbah...
Ô mon Dieu, comme la Casbah est très demandée ces jours-ci.
Je leur dirai que la Casbah est encore celle
que le regard de mon enfance a coincé dans une impasse.
Dans cette impasse il n'y a qu'elle et moi
Elle, encore vierge malgré son âge sans âge.
Moi pas jeune du tout
quoique dans mes yeux pétille un accent de vie de jouvence,
que seul je sens lorsque près d'elle je suis.
Je me rappelle cette nuit là !
C'était une nuit sans lune, sans éclairage.
Un nuit où les marches d'escaliers vous guettent
pour vous surprendre et vous faire glisser, le long de la ruelle,
pour vous la faire haïr davantage.
....
Se retrouver dans la nuit et le noir de la nuit
avec un corps pour flambeau
un coeur pour lumière
une âme pour servir
C'est retrouver la Casbah dans toute sa juvénilité millénaire.
C'est retrouver des ruelles qui vous guident jusqu'aux sources de la vie.
C'est retrouver des murs qui vous racontent les récits collés à leur patine.
C'est retrouver les terrasses qui vous confient les échos
des voix de nos parents confondues dans les nues.
C'est retrouver les confidences de la mer qui vous réconforte
avec la pureté qu'elle sait circonscrire dans ses moments de bon accueil.
C'est se retrouver soi-même en train d'apprendre à respirer la respiration,
comme on respirerait une rose qui vous serait offerte par surprise.
...
Sous le dôme de ma Casbah, j'ai retrouvé les restes de l'école musicale
arabo-andalouse, avec un je ne sais quoi de parfum de cédrat d'antan.
Et la musique comme un plain-chant serein réveille à la vie ce coeur souverain. En respirant les noubas arabo-andalouse,
je lisais la démarche sonore comme le rebond d'une balle
qui ne s'arrête pas de bondir et rebondir,
en décrivant des arcs autour de la terre.
Voyez-ça d'ici ou plutôt voyez-ça avec votre ouïe.
Des arcs qui se croisent et s'entrecroisent.
Des arcs qui ne finissent plus d'imiter le dôme.
Des arcs par où coule la musique comme on ferait couler de l'or fondu.
Des arcs en or fondu pour obtenir un arc musical
par où passerait le cortège d'amour de musique vêtue..
Rendre grâce à la terre pour être mieux aimé par elle,
c'est ce que le musique arabo-andalouse fait en flânant sereinement autour.
La modale de la musique arabo-andalouse ne se multiplie pas
pour architecturer une superposition de vibrations sonores
qui veulent défoncer le ciel.
Elle est un acte d'amour qui répond aux besoin de la terre.
Je me sentais une intimité foisonnante qui se collait à la peau de la terre.
Je voyais tomber des gouttes d'étoiles comme des flocons de neige
et la terre en était imbibée.
Le dôme recevait cette offrande comme un don de la vie à la vie.
Comme une vision peinte par Salvador Dali, le dôme fondait en tous les tons.
Toute une ribambelle de demi-tons se joignaient à la noce.
Toute une myriade de corpuscules se bousculaient autour du quart de ton.
...
Voir une ligne droite qui ondule et épouse les formes du corps humain jusqu'à l'ubiquité,
c'est voir un rai de lumière qui paraphe son parcours.
Une clé de sol qui s'agite et se démène pour bâtir sa maison.
Une gamme de serrures qui attendent l'avènement de leurs vies.
Une profusion de signes où se reconnaît l'appel de la terre entière.
Chaque montagne, chaque vallée, chaque champs, chaque prairie, chaque mer, chaque océan
chaque vie s'animait en s'identifiant à travers la profusion de signes.
L'image de ma Casbah avait toute la terre pour espace.
Le monde musical que je respirais n'avait d'autre droit
que celui d'ouvrir les voix à la clarté de la parole,
pour que le jour ouvre à la nuit l'entrée du secret des lumières.
Ma Casbah et moi sommes à l'aise dans notre placenta planétaire.
Voici que la musique s'empare de ma plume et me demande
de prêter ma perception à tout ce qui m'entoure.
Je dresse mon coeur.
Assidûment , je dresse mon coeur et j'entends
une polyphonie assourdissante, comme étouffée,
elle me parvient des façades des maisons.
Ces façades qui semblent remercier leurs bâtisseurs.
Ces façades qui ne finissent pas d'être des façades
et comme façades on ne trouverait pas mieux.
Ces façades qui se révèrent et se prosternent toutes en même temps.
Avez-vous jamais vu une cité qui se prosterne ?
Venez à ma Casbah, vous les verrez comme elles acceptent
cette attitude à la fois humble et altière.
Chacune d'elle est un serment témoin.
Chaque maison de distingue par sa génuflexion spéciale.
Chaque terrasse se singularise pour épater sa voisine.
Chaque patio sert de place publique aux muses heureuses de danser la musique
Chaque arceau sur sa colonne chante la modale du marbre enivré par sa torsade.
Chaque ruelle est une corde de luth et quand la corde vibre,
l'âme de toute la médina frissonne au son de cet accent envoûtant.
Chaque fontaine est une oasis d'attraction,
et la bousculade des enfants vaut tout un spectacle.
Une cité qui se prosterne face à la mort, face à la vie
ne peut être une cité comme les autres.
Un médina pareille a quelque chose en plus et cette chose là:
C'est l'amour avec lequel l'endroit a été choisi.
C'est l'amour avec lequel le maçon l'a construite.
C'est l'amour avec lequel l'histoire l'a glorifiée.
C'est l'amour avec lequel moi-même,
pris dans les mailles de son filet,
je me complais à y rester
pour continuer à respirer et à attendre
celui qui,
par cette nuit noire,
vint me rendre visite pour me marquer au front.
HIMOUD BRAHIMI
Himoud Brahimi dit Momo, poète, philosophe, chantre de la Casbah
Momo, les bobos, les bravos et les trémolos Un jour on a interrogé Woody Allen : « Vous avez peur de la mort ? » « Ce n’est pas que j’ai peur, je ne voudrais pas être là quand ça arrivera… » Plus je m’élève au plus haut des cieux Mieux je me sens ancré à terre Plus je me sens ancré à terre Mieux La Casbah m’éblouit à nouveau S’il n’y avait pas la mer, nous les enfants d’Alger que serions-nous devenus ? Notre sardine n’est pas comme celle de Marseille.
Elle ne bloque pas le port, elle ouvre l’appétit. Métaphysicien, poète, sportif, philosophe, acteur, Momo avait cette particularité de dire crûment ses vérités, même celles qui font mal. « Si les gens ont peur de moi, c’est qu’ils ont peur d’eux-mêmes. Ils ont fait de moi un monstre, dit Momo, mais je ne suis qu’un miroir. » Sa fille Çaliha dresse de lui un portrait tout en tendresse.
« Depuis ma tendre enfance, j’ai vécu aux chevilles de mon père dans une atmosphère livresque. Il avait une prédisposition pour les choses de l’esprit et un talent avéré pour tout ce qui flirte avec l’art et la culture de manière générale. Ce qu’il a écrit s’adapte à notre génération.
Quand il parle de lui, il parle aussi de nous », confie-t-elle, dans un livre dédié à son père. Momo, de son vrai nom Mohamed Brahimi, dit Himoud, a vu le jour le 18 mars 1918 à La Casbah d’Alger, rue des frères Bachagha (ex-rue Klébert), dans une famille algéroise, dont il était l’unique enfant. Son père, El Hadj Ali Brahimi, poète à ses heures perdues, était un riche commerçant, originaire de la commune de Tablat. Sa mère, Doudja Bouhali Chekhagha, est originaire de la commune d’Azzefoun, en Kabylie.
En 1931, le certificat d’études Dès l’âge de six ans, son instruction est partagée entre l’école coranique de djamaâ Safir et l’école communale Mathès. En 1931, privilège suprême pour les indigènes, il obtient son certificat d’études. Son père lui répétait : « Mon fils, la liberté est en toi, ce n’est pas l’arme à feu qui fera de toi un homme libre. Ne te fies pas au drapeau, mais apprends le français, prends en le meilleur et reste toi-même. »
Adolescent, un drame touche la famille, Sa mère décède et il est recueilli par sa grand-mère maternelle. Il est subjugué par les films muets projetés au casino du cinéma La Perle. « C’est au cinéma, que nous apprîmes le mieux les leçons de la vie. » Au lycée Bugeaud, il se lie d’amitié avec Albert Camus.
Il rejoindra très jeune le monde du travail en décrochant « un job » de typographe à l’imprimerie Sebaoun, où une minerve lui broya une partie de la main droite. Le professeur qui l’opéra, féru de la nage en apnée, devint son ami et les deux hommes se retrouvaient souvent au bout du mole. L’apnée ?
C’était sa passion. « C’est dans le fond des eaux que je m’approchais le plus de mon être éternel. » Il vécut douloureusement, les massacres de mai 1945. « Face à la formidable participation des indigènes dans la guerre contre le nazisme, le colon nous récompensa par la tuerie… » Dépité, il largua les amarres et partit à Paris, où en plus de ses rencontres avec des artistes et des intellectuels de renom — « Dès mon retour à Paris, je me suis plongé dans toutes les lectures possibles et imaginables. Spinoza, Kant, Nietszche et même Bronski, alors vous vous rendez compte ! Je me suis aperçu que j’allais vers un cul de sac.
Je me suis dit : ‘’Momo, ou bien le suicide ou bien la langue de tes aïeux. » Le choix est vite fait et Momo s’attachera depuis à se rapprocher au mieux de son Créateur — il bat le record du monde de nage en apnée, effaçant Weissmuler, celui-là même qui interpréta au cinéma le personnage du fameux Tarzan. Momo joue dans Les Noces de sable, puis dans Les Puisatiers du désert et dans Pépé le Moko.
Mais c’est dans Tahya ya didou, de Mohamed Zinet qu’il crèvera l’écran, s’affirmant comme un acteur romantique doublé d’un poète foisonnant qui laissera des écrits dont Casbah lumières, où transparaît à chaque fois son amour pour les siens, pour sa ville « Mienne Casbah ». Dis-mois pourquoi ton cœur palpite la vie avec ce que je respire Et pourquoi dans ton éblouissant regard je sens le mien s’attendrir Dis-moi pourquoi l’œillet ardent ouvre ses œillades aux plaisirs coquets Et pourquoi la rose se déshabille et mêle ses pétales à la gouaille populaire Dis-moi pourquoi mienne Casbah Le géranium préfère prier sur les tombes.
Reconnaissant, il a rendu un bel hommage à Ghermoul et Hdidouche tombés au champ d’honneur « qui étaient la plus belle paire de combat que La Casbah ait donné à la postérité, comme modèles d’hommes à suivre. Effacement et modestie, confiance et sacrifice étaient leur parure de joie. » Ghermoul et Hdidouche Naceur Abdelkader, vieil ami de Momo, enseignant de français, pêcheur et qui a joué dans Tahya ya Didou, garde l’image d’un homme accompli, intègre et humble.
« On le voyait nager. La jeunesse de l’époque était sur la jetée, Mesli le peintre, Galiero, des sportifs et Momo nous subjuguait par ses exploits sous l’eau. Je l’ai connu aussi aux impôts où il travaillait après l’indépendance au boulevard Mohamed V.
Je lui rendais souvent visite avec le regretté Salah Bazi, l’un des artificiers avec Taleb Abderahamane. Je lui demandais de m’enregistrer des histoires pour les faire écouter aux élèves. Il s’y pliait de bonne grâce. Il déclamait des poèmes, des qacidate de Hadj El Anka. Sa fille était une championne d’athlétisme et devait prendre part aux Jeux méditerranéens.
Un jour, Momo se présenta aux Groupes laïques pour voir sa fille. Il portait sa tenue traditionnelle qui n’a pas eu l’heur de plaire à l’entraîneur. Vexé, Momo prit sa fille et s’en alla sans se retourner. Le 4x100, auquel sa fille devait prendre part, se trouva ainsi amputé d’une concurrente.
Momo ne vivait que pour La Casbah, au point de nous reprocher nos départs ailleurs. Il nous traitait de « lâcheurs ». Lorsqu’il parle en pataouète, c’est un véritable délice. Il avait des principes avec lesquels il ne transigeait pas. Son ami ‘’Bebert’’ Camus, il l’a remis à sa place, lorsque ce dernier a choisi sa mère au lieu de la justice. On a joué ensemble dans Tahya ya Didou de Zinet, qui était un ami de classe.
Le film est parti de presque rien. Alger était jumelée à Sofia. Là bas, il y avait des films sur la capitale bulgare. Chez nous rien. C’est Bachir Mentouri, alors maire d’Alger, qui a eu l’idée de faire un documentaire sur El Bahdja. Le sujet a débordé et c’est devenu un film plein de poésie. » En hommage à son compagnon des bons et mauvais jours Aziz Degag a écrit une série intitulée Deux mots sur Momo.
Aziz raconte que Momo, poète torrentueux, critique avisé, intervenait souvent dans les débats à la cinémathèque d’Alger où « Boudj », maître de céans se résignait à retenir son souffle. Momo faisait exprès de provoquer. C’est pourquoi, ses emportements ne lui valurent pas que des amis. « Le lendemain, on se retrouvait au Novelty et il me sommait d’imiter toutes ses interventions de la veille. Il s’en régalait. » Degag en rit encore. C’étaient des moments d’intense émotion.
Sous des apparences de dur, il était infiniment courtois et son cœur était blanc. Après les disputes et les engueulades, il viendra vous conter mille histoires qui, bien mieux qu’un discours théorique, illustrent son parcours où il est question aussi des grands fracas de la vie qu’il tente d’atténuer en livrant des messages d’espoir.
La Casbah c’était son pouls. Il voulait la sauvegarder, mais ne voyant rien venir. Il a démissionné, la mort dans l’âme non sans se fendre de cette patriotique complainte. « S’il m’arrive d’écrire sur La Casbah de maintenant, ma plume déborderait de larmes de partout où est passé l’air du basilic et de l’œillet enrobé de jasmin où es-tu Casbah de jadis lorsque tombait le bleu du soir sur le bassin du vieux port… »
La Casbah, toujours La Casbah Marqué par La Casbah, Momo a été aussi traumatisé par les événements qui ont endeuillé notre pays dans les années 1990. Notre poète a été témoin d’un drame. Il jouait aux dominos avec Aziouez, un animateur sportif dans un café près de djamaâ Lihoud, lorsque celui-ci a été lâchement assassiné sous ses yeux. Momo en a été profondément affecté. Fin connaisseur du septième art, il montrait un sens aigu de la critique. Le cinéaste nigérien, Omarou Ganda, en prit pour son grade. Momo lui avait reproché à juste titre d’avoir utilisé un « plan » non africain dans son film.
Ganda reconnut la faute et lui fit ses plates excuses. Avec sa tenue traditionnelle, sa longue chevelure retenue par un chignon, les enfants de La Casbah, qui accouraient à sa rencontre lorsqu’il dévalait les travées de la cité, souvent un couffin à la main, le percevaient comme un personnage de contes des Mille et Une Nuits.
« Un jour, se souvient Degag, il m’avait invité chez lui dans sa demeure mauresque. Avant le patio, le petit vestibule à l’entrée est barré par un tableau de Dali, représentant le Christ en croix. Une toile que Momo gardait jalousement et qui semblait avoir pour lui une grande valeur sentimentale. « Toute une histoire ce tableau, me confia-t-il. Il m’a sauvé la vie. Un jour, les paras firent irruption dans la maison. En voyant le tableau alors que j’étais en pleine méditation, ils changèrent d’attitude et repartirent presque sur la pointe des pieds… »
Père attentif de quatre enfants, Çaliha, Doudja, Mohamed et Mansour, Momo a toujours eu un sens de l’humour forcené. Trop marginal pour entrer dans un moule, ses interventions sont toujours ponctuées par un rire énorme. Momo ? C’était un solitaire. Du haut de « sa » Casbah, il voulait communiquer avec la ville, avec des mots pleins de poésie, de sensibilité et de délicatesse. Mais il sentait que ça ne marchait pas et que les gens ne l’écoutaient pas. Dès qu’il a élevé la voix, on l’a pris pour un illuminé et on a dit qu’il était fou.
Provocateur impénitent au tempérament de feu, passionné et râleur, il avait fait de l’insoumission un acte de foi et il est mort comme il a vécu : dans la dignité et la simplicité. Adieu Momo ! El Bahdja dénaturée est orpheline. Mais qui s’en soucie ? Parcours Momo est né le 18 mars 1918 à La Casbah. Comme tous les « Yaouled », il fera ses classes dans son quartier, où il décorche son certificat d’études. Il exercera à l’imprimerie où la machine lui broyera une partie de la main. Il dénoncera avec vigueur les massacres de Mai 1945.
Il part à Paris au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où il fera la connaissance d’éminentes personnalités. C’est là qu’il battra le record du monde de nage en apnée. Poète, sportif, philosophe, il se mettra à écrire, chantant surtout sa Casbah bien aimée. Il jouera dans plusieurs films dont le mémorable Tahya ya didou qui fera se réputation. Momo de La Casbah dit la vérité qui dérange. On le prend alors pour un fou. Mais Momo n’est ni un apprenti sorcier ni un derviche. Sa poésie inspirée de la magie de cette Casbah millénaire, aujourd’hui plus que jamais menacée de disparition, est un appel pathétique qui n’a jamais été entendu. La Casbah n’est pas un quartier, c’est un état d’âme, une civilisation héritée du temps.
Synthèse de l'article - Equipe Algerie-Monde.com
D'apres El Watan. Par Hamid Tahri.
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Dans ma larme s’étend l’injuste addition que m’impose l’éloignement et que je règle de mes pleurs d’apatride à l’émotivité déchue. Ma larme renferme la broche kabyle de ma mère, le henné qui fleurait sa main et une pierre de ma maison criblée des traces de mes rires et de mes chroniques d’enfant cédées à la confiance close de mon pacte avec de tristes avantages. J’ai dans ma larme quelques gouttes de la pluie qui tombe sur Alger et un peu des soupirs des justes râlants sur la hampe de son drapeau brûlé. J’ouvre ma larme comme on ouvre sa valise et Alger s’ouvre devant moi à son tour tel un éventail d’expressions exquises. Beaucoup de sensations pour des yeux surets et discrets qui surgissent du passé, pellucides et muets devant la sensualité sacrée.
Alger flotte sur la mer comme un flocon de neige éternel. Qui l’imagine aux temps arabe, turc et français, la verrait à chaque fois émerger blanche et innocente des orgies des conquérants qui ont tenté de l’auréoler de couleurs sales. La blanche, car au matin céleste, elle s’ouvre discrètement dans une nudité laiteuse qui apaise les crochets de la douleur et de la faim comme l’exige le burnous blanc de nos ancêtres. Infiniment blanche parce qu’on lui succombe facilement tels des soupirants forbans dont les yeux s’ouvrent à faire ventre des contours d’une vierge aimante mais tenace à demeurer chaste indéfiniment.
Alger des crépuscules écarlates aspergés de délires célestes. Alger de ma mer bleue d’où émanent les vagues en houles halées par le vent jusqu’aux premières lueurs des aubes qui augurent quelques fois le tragique quand le crime se prépare au tournemain de la nuit aux yeux dardant. Alger, jouvencelle timide née de l’humilité des berbères Beni-Mezghena, finement ciselée de vers si précis, si simples et si limpides qu’ils éclairent les abysses terrestres et les profondeurs du ciel. Lorsque l’on arrive vers elle, par la mer ou par les routes, elle dévoile ses panneaux et fait pivoter les regards encaissant les frets poignants des départs. Elle descend de la basilique de Notre-Dame d’Afrique qui crâne sur le mont qui fait son dessus jusqu’au port où fourmillent les pas hagards des exilés aux illusions fichues.
Bonjour Miramar, bonjour Franco et Bains-romains. Bonjour Beau Fraisier, Bouzeréah, Climat de France, El Biar et les Tagarins. Bonjour boulevards des vitrines, des rencontres et du prêt-à-porter. Bonjour front de mer des randonnées nocturnes. Bonjour Hydra des dobermans et des golden boys en herbes ; bonjour le Golf, quartiers des gouvernants et des clans qui hébergent les sympathies suspectes des sacripants qui s’épuisent en activités douteuses. Bonjour Bab Ejdid, Soustara et Bab El Oued, hauts lieux des révoltés d’octobre. Je vous salue quartiers des enfants terribles, des salaires indécents et des défis où la noblesse est toujours mise à contribution. Bonjour foyers où flottent les odeurs de chez nous, les arômes de l’encens, du cumin, du poivre rouge, des merguez cuites dans de petits braseros des rues pavées. Salut à toi Casbah, aquarelle à la fois libre et complète, redoublant d’éclat sous la clameur du zénith. Citadelle indomptable du kabyle Sidi Mohamed Cherif, saint aux deux tombeaux et des artistes aux ascendants combatifs. Tes requêtes et ta précellence se livrent à l'œil de l'amoureux éprouvé comme une graine d’anis qui parfume le pain. Tu secoues de souvenirs d'émeraudes la mémoire du kabyle que je suis dont l'aïeul à probablement péri sous le fouet turc en pétrifiant le ciment ottoman. Ce n’est pas au jour levé qu’Alger fait connaissance avec le soleil, il cabote ses côtes depuis que la pierre est pierre, depuis que le jasmin est jasmin. Il ne la quitte jamais. Il la couvre de vie, d’espoir et de certitudes. Il irrigue ses toits, ses versants et ses faubourgs. Ses rayons arrosent ses jardins, ses criques et collines. Alger et le soleil, deux éléments d’un couple qui brûlent l’un pour l’autre et leur flamme incendie la charge des solitudes à la manière des vieux amants qui partagent leur idylle avec les rhapsodes qui aiment à se tenir en faction au premier rayon du soleil quand il apparaît entre les cimes des monts. Je voudrai tellement écorcher mes inquiétudes et dépouiller le silence de ce qu’il a de cruel. Je regarde venir à moi les mots ambrés de mes étreintes et je les vois séducteurs telles des ombres frémissantes d’une surprenante affection. Heureux l’errant que l’on croit fou parce qu’il n’est allé nulle part, il répercute ses blessures dans les alvéoles de la ville blanche sans craindre le murmure violent de l’oubli.
Quoique l’histoire l’ait faite, Alger la belle la rebelle reprend à chaque fois son bruit d’amour élevé de ses crêtes, heureuse de concéder des droits à l’expression du souffle chaud des résistants. Son souvenir crépite comme un feu dans un Karoun, il fait reculer le liquide des nuits froides et fait plier l’ennui.Préau des cultures et des inspirations, elle recueille dans son panthéon les insurgés et les intraitables ouvriers de la mémoire prompts à relever sa dignité mille fois poissée par les dealers de la chose politique.
Alger la berbère contrainte à naviguer entre le liquide de la gloire et celui du vaudevillesque. Elle n’a nul besoin des diplomates faquins rompus et corrompus, habiles mais inutiles ; elle se fout des fourbes religieux qui se font élire tribuns ; elle se fout des hâbleurs félons qui se plaisent à pester dans d’éprouvantes campagnes électorales ; elle se fout des militaires indus élus qui n’ont jamais connus ses rues secrètes et les arrière-salles des cafés banlieusards ; elle se fatigue d’être la capitale des cultures qui l’oppriment. La brise de ses poètes lui suffit, elle fait son sourire dansant qui éblouit et luit au bout de ses nuits comme une vierge aux lèvres humectées de Souak.
DJAFFAR BENMESBAH
Histoire d’Alger
L’histoire d’Alger
IV siècle av J.C, les Phéniciens établirent un comptoir sur la baie d’Alger appelé « Icosim » (l’île aux mouettes), devenu « Icosium » plus tard, sous l’empire romain et le resta en possession romaine jusqu’à l’arrivée des vandales, au milieu du V siècle. Elle fut ensuite gouvernée par les Byzantins, jusqu’à ce que les Berbères les chassent.
La véritable destinée d’Alger va commencer à s’accomplir au X quand l’Emir Bologhine Ibn Ziri décide d’en faire sa capitale et l’appelle en référence à un chapelet d’îlots qui affleuraient dans la baie « El-Djazaïr ». C’est à partir de cette période qu’Alger commencera à jouer un rôle commercial dans le pourtour méditerranéen.
En 1510, les Espagnols occupèrent l’îlot Peñón, en face du port. Les frères Barbarousses, appelés en renfort occupèrent la ville en 1516. Devenue capitale des corsaires barbaresques, Alger se déclara vassale de l’empire Ottoman et les Espagnols en furent chassés.
Juillet 1830, la ville est prise par les Français, devenue siège du gouvernement général du pays, des constructions militaires et administratives y furent édifiées. A partir de 1880, la ville prit son véritable essor.
C’est à Alger que les alliés débarquèrent le 8 novembre 1942 puis que fut crée, le 3 juin 1943, le comité français de libération nationale (CFLN). Puis connu sous le nom de comité d’Alger, celui-ci devint un an plus tard le gouvernement provisoire de la république française du Général de Gaulle.
De 1954 à 1962, la ville fut le principal centre lutte menée par le Front de Libération National (FLN) pour l’indépendance du pays. « La bataille d’Alger » en 1957, marqua en tournant de la guerre d’Algérie. En avril 1961, le putsch d’Alger constitua l’ultime tentative des généraux de l’armée française en Algérie pour empêcher l’inéluctable indépendance algérienne. Le 5 juillet 1962, Alger devint la capitale de l’Algérie indépendante.
Le 5 octobre 1988, Alger s’enflamme, des manifestations réclamant plus de démocratie. Le 23 février 1989, nouvelle constitution qui consacre le multipartisme entraîna la création plus de cinquante partis politiques.
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Une passionnante enquête familiale menée par la journaliste du "Nouvel Observateur", sur son oncle, né Fernand Doukhan, fils de Saül, "premier homme de la famille à naître français, premier à ne pas porter un prénom hébraïque, et premier à devenir instituteur et non colporteur ou matelassier".
Moins connu que son cousin d'Amérique, cet oncle-là est à la fois plus proche et plus énigmatique. Il a mille ans d'histoire - juif berbère dont les ancêtres ont connu la régence turque - et une nationalité chaotique : indigène sous l'empire colonial français, citoyen de la République après le décret Crémieux de 1870.
Mais quand, en plus, le tonton est un anarchiste patenté, membre du Mouvement libertaire nord-africain, et indépendantiste engagé, il devient le genre de parent que les familles évoquent avec force soupirs, ou pas du tout. Car, comme le rappelle l'auteure, dans l'Algérie d'hier, "il n'y a pas pire espèce qu'un pied-noir anticolonialiste".
Ainsi commence une passionnante enquête familiale menée par Nathalie Funès, journaliste du Nouvel Observateur, sur son oncle, né Fernand Doukhan, fils de Saül, "premier homme de la famille à naître français, premier à ne pas porter un prénom hébraïque, et premier à devenir instituteur et non colporteur ou matelassier". C'est une vie qui refuse de se livrer, des souvenirs qu'il faut arracher.
Oncle Fernand n'a laissé ni descendance ni journal intime, seulement quelques vieux papiers. Les indices sont donc récoltés avec soin : ici, la tombe abîmée de l'ancien cimetière Saint-Eugène à Alger, aujourd'hui Bologhine, au nord du quartier de Bab El-Oued ; là un vieux registre des anciens élèves normaliens de Bouzaréa, qui signifie en arabe "celui qui sème les grains", sur les hauteurs d'Alger, ou bien le bureau, en France, des victimes des conflits contemporains.
Trous de l'histoire
A 26 ans, incorporé dans le 9e régiment des Zouaves, le régiment d'Alger - celui qui, après la guerre, participera au conflit indochinois, aux premières opérations de police en Kabylie, puis à la lutte contre le terrorisme dans la Casbah -, Fernand Doukhan traverse, pour la première fois, la Méditerranée.
Il est fait prisonnier en Picardie, puis transféré dans un stalag du IIIe Reich. "Fernand a dû remercier ses parents de ne pas l'avoir appelé Isaac, écrit sa nièce, qui a épluché les documents. A la mention "nom du père", il est marqué Raoul Dunkhan. Pas Saül. Juste deux lettres et un tréma de différence".
Il y a aussi quelques extraits des cartons d'archives du Centre des archives d'outre-mer d'Aix-en-Provence... On y trouve la trace de l'oncle, correspondant zélé à Alger du Libertaire, parallèlement à son métier d'instituteur, arrêté en janvier 1957, puis interné dans le camp de Lodi, une ancienne colonie de la Compagnie des chemins de fer algériens, transformée en prison pour Français indépendantistes, communistes, syndicalistes, grévistes. L'avocat de Fernand Iveton, seul Français guillotiné de la guerre d'Algérie, y séjournera deux ans. Encore des pièces du puzzle rassemblées.
Et quand les trous de l'histoire ne peuvent plus être comblés, il reste Internet, "la nouvelle patrie des rapatriés d'Algérie", comme l'écrit joliment l'auteure. "Le jour, la nuit, jusqu'au petit matin, ils se réunissent sur les sites de leur ville, de leur quartier, de leur cité, de leur rue d'avant. Ils échangent leurs photos, leurs souvenirs. (...) Ils tentent de laisser sur Internet les traces d'un monde qui n'existe plus que dans leur tête." Il suffit de lancer le nom de l'instituteur Doukhan.
Quelques-uns de ses anciens élèves fréquentent l'endroit, qui se souviennent d'un homme austère. Fernand Doukhan finit par être expulsé d'Algérie, le 8 avril 1958. Il n'y retournera jamais.
Il meurt, à Montpellier en 1996, toujours membre du Parti des travailleurs. Non sans avoir fait lire à sa nièce, à l'âge de 10 ans, La Mère, de Maxime Gorki.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/26/mon-oncle-d-algerie-de-nathalie-funes_1431361_3260.html#L3bZPk52Gz9qOh5d.99
DOUKHAN Fernand
Né le 29 mars 1913 à Alger (Algérie), mort le 14 mai 1996 à Montpellier (Hérault) ; instituteur : anticolonialiste et syndicaliste, communiste libertaire puis trotskiste.
Fernand Doukhan est né, avenue Durando, dans le quartier algérois de Bab-el-Oued, au sein d’une famille pauvre, d’origine juive berbère. Son nom provenait sans doute du mot arabe, Dukhân, qui signifie tabac. Son père travaillait comme peintre en bâtiment. Ses deux grands-pères étaient de simples journaliers. Comme beaucoup d’enfants des milieux modestes, qui enregistraient de bons résultats scolaires, il fut orienté vers des études d’instituteur. Parce qu’il avait obtenu plus de 120 points au brevet d’études, il fut admis au concours de l’École normale de la Bouzaréah, sur les hauteurs d’Alger, en 1930. Il y croisa notamment l’écrivain Mouloud Feraoun, fils d’un fellah très pauvre, qui devait être assassiné par l’OAS en mars 1962. C’est aussi sur les bancs de l’École normale qu’il s’imprégna des valeurs de la laïcité et a acquis la conviction de la profonde injustice de la société coloniale. Peu de temps avant son arrivée, il était encore de coutume de séparer les musulmans et les européens, qui passaient pourtant le même concours d’entrée, dans les salles de cours, au réfectoire et au dortoir. Cette ségrégation l’avait indigné.
Fernand Doukhan venait tout juste de commencer à militer au sein du groupe local de la Solidarité internationale antifasciste (SIA), quand la France déclara la guerre à l’Allemagne, en septembre 1939. Célibataire et sans enfants, il fut parmi les premiers à recevoir son ordre de mobilisation. Affecté au 9e Régiment des zouaves, le « Régiment d’Alger », il fut fait prisonnier à Crépy-en-Valois (Oise) en juin 1940, et passa toute la durée de la guerre en captivité, en Allemagne, derrière les barbelés du stalag IID, à Stargard, puis de ceux du stalag VC, à Wildberg (Offenburg). Il fut libéré par les Alliés le 20 avril 1945.
À son retour, Fernand Doukhan fut nommé instituteur à l’école Lazerges, dans le quartier Nelson, à Alger. Il recommença également à militer. À partir de 1948, il fut membre du groupe d’Alger de la Fédération anarchiste (FA), et intégra la commission d’éducation de la FA. Les groupes anarchistes d’Afrique du Nord s’étaient en effet constitué, le 2 septembre 1947, en union régionale, devenant la 13e Région de la Fédération anarchiste.
La police et les renseignements généraux l’avaient inscrit sur une liste de militants à surveiller. Il fut interpellé, un soir de l’été 1949, alors qu’il était en train de coller des affiches qui commémoraient l’insurrection espagnole du 19 juillet 1936, suite au coup d’État militaire de Franco, boulevard Baudin, dans le quartier de l’Agha, à Alger. Il passa quelques heures au commissariat avant d’être libéré.
À l’été 1949 il participa au camping libertaire de l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. À l’époque, la 13e Région de la FA décida de prendre son autonomie sous le nom de Mouvement libertaire nord-africain (MLNA). Les autorités coloniales légalisèrent le MLNA le 31 mars 1950 (acte numéroté 4189), et Fernand Doukhan écrivit à la Commission de relations internationales anarchistes (CRIA) pour demander l’affiliation directe de la nouvelle organisation. Doukhan devint secrétaire du MLNA en 1954.
Quand l’insurrection algérienne éclata, le 1er novembre de cette année-là, Georges Fontenis*, à la tête de la Fédération communiste libertaire (FCL), nouveau nom de la FA, chargea Fernand Doukhan et Léandre Valéro*, d’entrer en contact avec les responsables locaux du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), devenu ensuite le Mouvement national algérien (MNA), dirigé par Messali Hadj* et qui était alors la principale organisation indépendantiste.
Le MLNA ne fit pas seulement l’intermédiaire entre la FCL et le MNA. Il lui apporta également une aide logistique directe : fourniture de tracts, de matériel, de brassards, de « planques », organisation des déplacements des militants, des réunions clandestines, etc. Le local du MLNA, avenue de la Marne, à Alger, intitulé officiellement Cercle d’études culturel, social et artistique, et qui disposait d’une machine ronéo, était utilisé pour imprimer des tracts indépendantistes. La villa Vogt, dans le quartier des Sources, sur les hauteurs d’Alger, où Léandre Valéro*, sa femme et ses fils, s’étaient installés, servait de boîte à lettres. L’appartement de la rue du Roussillon, à Bab-el-Oued, où habitait Doukhan, accueillait les réunions et hébergeait les militants de passage.
Fernand Doukhan signait de son nom ses articles dans Le Libertaire. Il y défendait les thèses indépendantistes, comme « La faune colonialiste de l’Assemblée algérienne » (6 janvier 1955), « De la nomination de Soustelle aux interpellations sur l’Afrique du Nord : règlement de comptes » ((3 février 1955) ou encore « D’Alger : solidarité néo-colonialiste » (24 février 1955). Dès le 11 novembre 1954, dix jours après le début de l’insurrection, il dénonçait, dans un article intitulé, « Mauvaise foi et colonialisme éclairé », ces « légionnaires, gardes mobiles, CRS et autres gendarmes en mal d’expéditions punitives depuis l’armistice en Indochine » et « leur sens élevé de la justice, eux qui ratissent, violent, tuent, sous les ordres de puissants qui veulent continuer à s’enrichir colossalement sur la misère des fellahs, ouvriers agricoles, mineurs, dockers… » Le terrorisme, concluait-il, n’est que la conséquence de « l’expropriation, de la surexploitation, de la répression, des massacres, des hécatombes, de l’analphabétisme, de l’étouffement de la personnalité de l’Algérie ». Il condamnait aussi, dans un autre article, « les aveux extorqués sous la torture » et « l’immense camp de concentration qu’est devenu l’Algérie ».
Le 28 janvier 1957, Fernand Doukhan décida de faire grève à l’appel du FLN, du MNA et du Parti communiste algérien (PCA) dissout en septembre 1955, afin de peser sur le débat prévu à l’ONU sur la question algérienne. Il fut arrêté par les parachutistes à son domicile, rue du Roussillon, conduit et interrogé au centre de tri et de transit (CTT) de Ben Aknoun, puis « assigné à résidence surveillé », au camp de Lodi, à une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Alger, près de Médéa. Ce camp d’internement, une ancienne colonie de vacances des Chemins de fer algériens, emprisonnait les pieds-noirs suspectés d’être trop proches des milieux indépendantistes, sans inculpation, sans jugement, sans condamnation, sur simple arrêté préfectoral. Beaucoup de membres du PCA y étaient enfermés cette année-là, notamment Henri Alleg*, ancien directeur d’Alger républicain et auteur de La Question et Albert Smadja, l’avocat de Fernand Yveton, le seul européen guillotiné de la guerre d’Algérie pour avoir tenté, en vain, de faire exploser une bombe contre l’usine à gaz d’Alger.
Fernand Doukhan fut libéré le 30 mars 1958, un an et deux mois après son arrestation, et expulsé d’Algérie. Il eut une semaine pour quitter le pays où il était né, avec deux policiers qui ne le quittèrent pas d’une semelle, jusqu’à ce qu’il ait pris le bateau pour Marseille. À son arrivée en France, il fut hébergé, à Montpellier, par Marcel Valière*, un des dirigeants historiques de la tendance École émancipée du Syndicat national des instituteurs (SNI), dont il était également adhérant et dont il devint le trésorier pour le département de l’Hérault.
Douhkan fut nommé, à l’automne 1958, à l’école primaire de garçons Docteur-Calmette, au Plan-des-Quatre-Seigneurs, à Montpellier, puis épousa Marguerite Hoarau, secrétaire à la faculté des sciences de Montpellier, d’origine réunionnaise, et dont il n’eut jamais d’enfants.
En 1981, juste avant l’élection de François Mitterrand, à la présidence de la République, alors qu’il s’était détourné de l’anarchisme, il rejoignit le Parti communiste internationaliste (PCI), alors la principale formation trotskiste, dirigée par Pierre Lambert, qui devint en 1991 le Parti des travailleurs.
Doukhan mourut des suites d’un accident de voiture à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Une BMW avait grillé un stop et percuté de plein fouet sa Renault Clio. Il avait encore manifesté, quelques mois auparavant, en décembre 1995, pour protester contre le plan de réforme de la Sécurité sociale d’Alain Juppé, le Premier ministre de l’époque. Ses douze volumes originaux de Léon Trotsky, offerts par Marcel Valière*, furent légués, après sa mort, à la bibliothèque du Centre d’études et de recherches sur les mouvements trotskiste et révolutionnaires internationaux (Cermtri), rue des Petites-Écuries, à Paris.
Tout a été écrit sur cette drôle et terrible guerre. Il est trop tard pour exprimer des regrets. Il nous est impossible de revenir en arrière. Inutile de sortir nos croix et nos bannières Nos décorations et nos valeurs militaires.
Honte sur nous qui nous sommes laissés faire, Pour partir défendre une terre qui n’était pas la nôtre Mais celle de ces jeunes algériens nos frères. Honneur à ceux qui ont payé de leur vie, au contraire, Honneur à leur courage et à leur détermination Pour faire reconnaître l’Algérie aux Algériens.
Honte aux politiques, honte aux colonisateurs Qui ont exploité ces hommes et ces femmes. La colère n’est pas bonne conseillère… Pourtant sourde en moi cette révolte Contenue depuis tant d’années. Honte sur moi qui n’a su que me taire. Honte sur cette France que j’aime tant Incapable de trouver une solution pacifique A une situation intolérable, inacceptable !
Pourquoi tout ce gâchis, ces traumatismes ? Messieurs qu’on nomme grands Pourquoi m’avoir envoyé alors que j’avais vingt ans Faire cette guerre inutile ou j’ai découvert la haine. Cette guerre que je n’aurais jamais du faire. Installés dans votre confort et vos idéologies Vous êtes resté stoïques et avez offert des médailles A mes copains qui sont morts pour rien. Inutile de leur élever des stèles et des monuments. Ils devraient être là, vivants tout simplement !
A quoi bon ces commémorations ? A quoi bon tous ces flons flons ? A quoi bon ces palmes et ces drapeaux ? Sans doute ne pas oublier… mais trouver une paix durable et La sagesse qui conduit deux peuples à s’entraider Se respecter dans leurs différences, s’entr’aimer, Afin que plus jamais nous n’ayons à revivre çà !!! L’amour est l’avenir de l’homme…
Milopoète Juillet 2012
Quand les hommes vivront d’amour (paroles et musique de Raymond Lévesque :
Quand les hommes vivront d’amour Il n’y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours Mais nous, nous serons morts mon frère
Quand les hommes vivront d’amour Ce sera la paix sur la Terre Les soldats seront troubadours Mais nous, nous serons morts mon frère
Dans la grande chaîne de la vie Où il fallait que nous passions Où il fallait que nous soyons Nous aurons eu la mauvaise partie
Quand les hommes vivront d’amour Il n’y aura plus de misère Peut-être songeront-ils un jour A nous qui serons morts mon frère
Mais quand les hommes vivront d’amour Qu’il n’y aura plus de misère Peut-être songeront-ils un jour A nous qui serons morts mon frère
Nous qui aurons aux mauvais jours Dans la haine et puis dans la guerre Cherché la paix, cherché l’amour Qu’ils connaîtront alors mon frère
Dans la grand’ chaîne de la vie Pour qu’il y ait un meilleur temps Il faut toujours quelques perdants De la sagesse ici-bas c’est le prix
Quand les hommes vivront d’amour Il n’y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours Mais nous, nous serons morts mon frère
Quand les hommes vivront d’amour Ce sera la paix sur la terre Les soldats seront troubadours Mais nous, nous serons morts mon frère
Au début de l’année 1956, le chansonnier québécois Raymond Lévesque, toujours à Paris, s’intéresse de près à la guerre d’Algérie qui fait alors rage depuis un peu plus d’une année. Sa voix portera très loin, puisque la chanson qu’il composera, pour dénoncer la souffrance des Algériens deviendra possiblement la chanson québécoise la plus connue de toute la francophonie : « Quand les hommes vivront d’amour / il n’y aura plus de misères ». Aujourd’hui, seuls « les Québécois plus âgés ont encore le souvenir que la chanson de Raymond Lévesque a été écrite pour dénoncer « la souffrance d’un peuple ».
Un autre Lévesque, René, qui fondera plus tard le Parti québécois, est alors journaliste. Il anime Point de mire, une émission d’information politiquement engagée, à la télévision de Radio-Canada. Le décor : une carte géographique, qui indique aux Québécois où se trouve la contrée lointaine. René Lévesque consacre son émission du 10 février 1957 au conflit qui déchire l’Algérie. Il définit ce qu’est une « colonie d’implantation » et fait le parallèle avec le Québec. « La colonie d’implantation, c’est un peu ce qu’était la Nouvelle-France, c’est-à-dire celle où on envoie des citoyens, les fils du pays, s’installer. » Il explique les enjeux de la colonisation et ses implications humaines. Surtout, il explique que bien des colons français sont en Algérie pour des raisons autres qu’économiques. « Ceux-là, ils ont une seule supériorité dans la vie, comme les petits Blancs dans le sud des États-Unis : c’est d’être quand même, malgré leur malheur, supérieurs aux musulmans et aux Arabes ». Pour eux, explique Lévesque, « l’idée d’égalité [entre Français et Algériens] serait de leur enlever la seule supériorité qui leur reste ».
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