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NIZAR QABBANI
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NIZAR QABBANI
Rédigé le 26/11/2021 à 11:03 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
De livre en livre et avec une patience indéfectible, Assia Djebar laisse parler «ces voix qui [l]'assiègent», voix de femmes de son Algérie natale retrouvées malgré la distance de l'exil, ou peut-être à cause de cet éloignement même. Voix alternées des aïeules et des adolescentes, des recluses et des militantes, des paysannes et des citadines.
La Femme sans sépulture
Assia Djebar
https://www.ledevoir.com/lire/6387/lettres-francophones-femmes-recits-de-cesaree
Avec son nouveau roman, La Femme sans sépulture, Assia Djebar rend hommage à une héroïne "à demi effacée" de la guerre d’indépendance d’Algérie.
Universitaire, cinéaste, écrivaine primée, Assia Djebar est de ces phares qui éclairent la lutte des femmes. La récipiendaire d’un doctorat honoris causa de l’Université Concordia – raison de son voyage éclair à Montréal, la semaine dernière – constate que de plus en plus de femmes prennent la plume dans son Algérie natale. Elle-même, qui a publié un premier livre en 1957, La Soif, est reconnue comme l’une des premières romancières du Maghreb.
Son nouveau roman, La Femme sans sépulture, rend hommage à une femme qui fut une pionnière à sa façon: Zoulikha, héroïne "à demi effacée" de la guerre d’indépendance. Tragique ironie: amorcé en 1981, puis abandonné, ce portrait d’une femme disparue en 1959, après son arrestation par l’armée française, fut achevé dans le nouvel appartement new-yorkais de la prof de littérature francophone. Près de tous ces corps sans nom ensevelis sous les ruines des tours jumelles. D’où le titre du roman… Assia Djebar y travaillait fébrilement le jour maudit. "C’était bizarre. Suis-je dans l’imaginaire, suis-je dans la vie réelle?" se demandait-elle.
L’auteure de Femmes d’Alger dans leur appartement (fameux recueil réédité avec une nouvelle inédite) fait plus qu’offrir un mausolée littéraire à Zoulikha, où rendre enfin hommage à sa mémoire; elle redonne vie à cette femme vibrante, amoureuse et battante, dessinée au milieu d’un concert de voix féminines. Un beau roman lyrique en forme de mosaïque, où la disparue elle-même, ses filles et celles qu’elle hante encore convoquent son souvenir. "C’est comme si Zoulikha tirait les autres femmes, qui sont traditionnelles, qui sont des bourgeoises, comme si elle les obligeait à s’impliquer, malgré la peur."
Hommage au courage des Algériennes, La Femme sans sépulture est aussi pour Djebar une façon d’écrire sur sa ville d’enfance, Césarée – où Zoulikha était une voisine de son père. L’auteure – qui avait déjà dédié un film à la combattante – s’y projette discrètement dans la peau d’une journaliste enquêtant sur la vie de la disparue. Une oeuvre de mémoire, contre l’oubli dont la "bonne société" de Césarée a recouvert son héroïne.
"C’est aussi une sorte de protestation à l’effet que tout un travail devrait être fait par des historiens – et non pas par les romanciers. Le romancier a le devoir simplement de remettre la vie dans les fantômes, de redonner la proximité dans les petits détails. Au fond, j’ai eu l’impression de m’être acquittée d’une dette affective."
Cette femme de 40 ans, qui quitte tout, dont deux jeunes enfants, pour s’engager et monter au maquis, ne correspond à l’image habituelle des combattantes de la guerre d’Algérie, qu’on imagine jeunes. Pour Assia Djebar, l’écriture de ce roman relève peut-être aussi d’un "souci de la mémoire des femmes", la société traditionnelle ne conservant pas par écrit leur histoire. À travers Zoulikha, elle montre que les Algériennes qui luttent contre l’oppression aujourd’hui ne sont pas issues de la génération spontanée…
"Les femmes sont vraiment au centre du drame qui secoue mon pays depuis 10 ans: au centre à la fois des menaces et de la résistance. Donc, je pense qu’il faut aussi s’acquitter là d’une sorte de vérité en amont, pour faire comprendre que ces femmes ne sont pas arrivées comme ça, subitement. En tournant mes films, j’ai rencontré des femmes de toutes sortes qui ont participé de façon incroyablement forte (à la guerre d’indépendance)."
Ce personnage illustre aussi la diversité de la société algérienne. "Durant ses deux premiers mariages, Zoulikha sort dans la rue librement, comme une Française. Mais au troisième, parce qu’elle arrive dans une ville où les traditions sont très fortes, ça ne la dérange pas, puisqu’elle aime son mari, de se voiler. Le voile prend alors un sens qui n’est pas le schéma qu’on lui donne ici, comme s’il y avait des vérités totales. La réalité est toujours nuancée."
Et la sanglante actualité des massacres en Algérie tend à occulter un peu l’évolution intérieure d’un pays plus complexe qu’il n’y paraît. "S’il y a la violence, c’est parce que c’est le pays dans le monde arabe où les femmes se sont le plus développées intellectuellement. Depuis 1962, c’est le pays où les femmes ont obtenu le plus de choses, grâce à l’école (25 % du budget de l’Algérie est consacré à l’éducation). Il y a des choses qui se normalisent, une modernisation de la famille qui se fait, et à côté de ça, il y a des choses vraiment régressives, un code de la famille épouvantable, si bien que beaucoup d’étudiantes ne veulent pas se marier. Alors que l’islam protège la femme dans ses droits, brusquement, ils sortent un code de la femme complètement réactionnaire. Sur les 150 000 morts, il faudra faire un jour le compte des jeunes filles qui ont été tuées simplement parce qu’elles ne voulaient pas porter le tchador…"
Assia Djebar déplore le simplisme qui gouverne notre image de l’Autre. "Le grand défaut actuellement, c’est que les problèmes de mutation en profondeur ne peuvent pas passer dans les médias visuels. Il y a une manipulation des images par leur répétition. Petit à petit, les gens des deux côtés développent des mémoires à courte vue, sur 10 ou 20 ans. Les images ont une force de présence, mais aussi de schématisation. Sous prétexte de ce qu’ils appellent la globalisation, on est revenus à une ignorance qui, à mes yeux, est aussi grande que celle de la période coloniale…"
La Femme sans sépulture
d’Assia Djebar
Albin Michel, 2002, 220 p.
Marie Labrecque
Rédigé le 19/11/2021 à 15:14 dans Guerre d'Algérie, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Je l'ai vue blanche la ville
où l'homme devient oiseau
où qu'il soit il ne perd pas la mer
et le ciel toujours à la hauteur
un coup d'ailes sur les jardins pentus
l'arche et le pont sont des corps
qui étendent des passerelles
entre les morts et les vivants
je monte et je descends
je remonte encore je vois son ombre
je la hèle la nuit sur l'autre trottoir
elle a peur dans sa rue pressant le pas
elle ne se retourne pas ses talons résonnent
et vibrent dans le silence
miroir où j'entends frémir les palmes
les arcs dansent au cœur de l'automne
sur la chaussée noire humectée de larmes
le chœur des pleureuses crie sa douleur
elles se déchirent le sein autour de la tombe
pierre blanche coffre de terre
qui enferme le corps du poète
je suis venu te célébrer un an après
ils se querellent autour de ta dépouille
les paroles rassemblent tes reste
et les emportent pour l'adhésion posthume
pour toi j'ai exhumé un vieux poète
qui chantait l'ivresse l'herbe dansait
au pied de sa tombe un cep avait crû
le poids des os avait écrasé les fruits
le sang de la vigne s'était mêlé au sang du poète
dans la coupe j'ai trempé le doigt
j'ai inventé des ablutions pour errer
dans la nuit je cours les tempes battent
derrière l'interrogation j'ai espoir
de lever un voile oh seulement un
des mille voiles qui couvrent l'énigme
le poète ancien avait dit les mots
qui t'éclairent en un petit nombre de vers
je les ai clamés devant les pleureuses
dans la blancheur où l'homme se change oiseau
survolant l'enceinte entre les coupoles
et les tombes les femmes sortent leurs bras
hors du voile l'olive entre les doigts
elles sèment des graines de chènevis
au creux du nombril entre les deux stèles
quittant le kiosque dans le jardin des morts
je marche avec mes compagnons du cru
je m'étonne de l'humanité divisée
désœuvrée dans les bas quartiers
je dis aux amis je vois en cette race
deux peuples parlant deux fonds de langues
portant deux formes de costumes
astiquant deux types de signes
où sont les passerelles comment traverser
entre les deux moitiés le gouffre béant
sera comblé par le fracas des corps
jetés selon le calcul et la cruauté
qui traquent la portée des cadavres
carcasses de fer blanc tordu
les crânes seront les pavés de vos ponts
l'autre peuple est chassé de vos cènes
le gardien de la nuit me prévient
il n'y aura pas de table commune
ne rôdez pas près de la rade
sous les arcades il y a ceux qui mordent
laissant des traces de sang en pleine joue
les deux peuples ne se parlent plus
ils n'échangent plus dans le même alphabet
chacun cache un couteau sous le manteau
les ères se succèdent les fins se suivent
les trappes s'ouvrent ils tuent la mémoire
sans avoir le temps de découvrir
qu'ils disparaissent maîtres et serfs
les pasteurs occupent la ville bâtie
par des aïeux dont les enfants étaient partis
leur don échoue sur les récifs
les formes chantent la gloire du site
les ciseaux avaient taillé dans la barrière
une tunique parée de lettres et de pierres
le linge flotte dans les fenêtres
le sang de la bête immolée est avalé
par la bonde des baignoires
les murs tremblent les ongles creusent
peintures et crépis s'effritent
le prurit atteint la chair du bâti.
migrants des plateaux ils sont nombreux
dans la ville qui tourne le dos à la mer
en ouest je parviens à une gare d’Orient
serait-ce Taormina ou Tolède
au lieu de monter la ville descend
la mer est la dernière marche
à tous les degrés de l'échelle
je rencontre la fin des tribus
les pasteurs sont des lances mobiles
foule solitaire patiente austère
il s'en dégage un silence de cauchemar
les pas sont bus par le goudron
sous la halle le marché est maigre
je n'ai pu tirer le fil de l'enfance
les emblèmes des colons bâtisseurs
recensent une abondance désormais
couverte par une nappe de naphte
le cavalier enturbanné brandit le sabre
dont l'ombre coupe les seins de la République
devant l'opéra hanté par les fantômes
et la synagogue prédestinée à être mosquée
coup d'ailes et je renoue avec l'oiseau
de la première ville je frôle le bleu
de la mer avant de revenir sur terre
et survoler la caserne où siégea la légion
recevant à ses vingt ans un sage allemand
qui avait décrit le bordel et ses fugues
apprenti infini qui parfait la vie
je traverse le spectre de mon initiateur
vers l'exil du nord il me révéla
que le midi est déserté des dieux
c'est un orphelin sans patrie
qui mettait son cœur à sauver les siens
dans le mystère de la pauvreté
il leur donnait place dans le pays
prolongé par le vaste désert
je lui offre le partage
et je répare son ignorance
lui montrant la ville que porte le soufi
comme Le Grec porte Tolède
une ville qu'avivent les mots du poète
qui y dort depuis mille ans
un voyageur anglais dit dans le texte
qu'elle n'est pas la dernière venue
je la visite avec le spectre de mon aîné
à côté d'un lac vide derrière le barrage
la cascade est sans remous ni chute d'eau
le froid n'a pas fixé la poussière
j'ai restauré la saison avec les mots
de mille ans qui irriguent les rues
ces mots je les avais clamés
à la mémoire de l'ami poète
mots ramassés sur la hauteur blanche
face à la ville blessée saignée
détruite conservant des pierres
arrachées à l'ancien labyrinthe
palpitant grâce aux mots
qui brûlent la bouche de l'illustre mort
et qu'entendent les patios rescapés
la nuit le silence l'errance la question
l'ivresse l’es seulement tels sont les mots
de la veille vestiges millénaires
perlant sur la peau de la gazelle
nourrice du poète qui les proférait
toutes les nuits dans la caverne
il allait à sa mamelle étancher sa soif
après un jour studieux en ville
un soir elle s'est détournée de lui
elle l'a même chargé de ses cornes frêles
comme par distraction il avait gardé
en poche les pièces d'une offrande
alors gazelle le bouda l'agressa
elle ne lui avait pas tendu le pis
avant qu'il eût jeté l'obole
au-delà du porche après les marches
un patio parfait m'offre une page bleue
j'y appose des lettres vertes qui m'ouvrent
une salle blanche portant une robe
aux franges violines leur dentelle m'égare
une toile d'araignée avale les cinq horloges
de carton les barres de néon les lustres toc
les exaltés qui en tirent fierté
sont les malades du siècle
courroux et rire secoueraient le dieu
au nom duquel ils jugent et tuent
il les expulserait du temple
dont ils ont usurpé la régence
et les enfermerait dans des garages
ou dans des halls de gare
clos sur leur malsaine odeur
affublés d'insignes origines
des cohortes d'orphelins sortent
de tous les pores de cette terre
il me serait pénible de trancher tes bouts
en coupant les lignes qui tailladent ta peau
pays qu'une de tes langues étrangères
nomme les îles archipel de comptoirs
endigue tes vagues recense tes fossiles
élargis l'intervalle contre tes haltes
dans tes césures accueille tous les tien
accorde-leur la sérénité du dehors
alors ils retrouveront l'innocence
entre fils et filles entre pères et mères
ils entendront la musique du monde.
Abdelwahab MEDDEB
Rédigé le 19/11/2021 à 04:42 dans Algérie, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
POSTED BY EMI CHERCHELL
https://eor-cherchell.blogspot.com/
http://bibliamat.com/images/CHERCHELL.htm
Rédigé le 06/11/2021 à 16:25 dans Guerre d'Algérie, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Cependant que les flots exhalent leurs soupirs,
Sur les fûts brisés zigzaguent les hirondelles;
Le terrain caillouteux resplendit d'asphodèles
Qui naissent au printemps vierges de souvenirs.
Pénétrant de leur or les vagues de saphir,
Les rayons moribonds du soleil étincellent
Je rêve. Expire au loin le chant des tourterelles
Où suis-je ? A Tipaza ? Dans le pays d'Ophir ?
Le soir tombe. La nuit voilera les ruines
Mais surgit Séléné, riche en clartés divines
Bientôt donc renaîtront tous les dieux disparus,
Et le pas souverain des légions romaines,
Et, proches de la mer où chantent les sirènes,
L'ombre de Jean Grenier et l'ombre de Camus.
Jean Bogliolo
Professeur de lettres classiques au Lycée Gautier
(Jean Bogliolo écrivait Tipasa avec un Z. C'était toléré.)
Un autre poème, de Jean-Claude Xuereb :
Longtemps il écouta aux portes du silence
Les grincements du temps en bruits venus d’ailleurs
Il scruta le regard aveugle de la nuit
Au rêve égaré d’une criblure d’étoiles
Il avait depuis toujours pris rendez-vous
Aux rives du néant où bat l’éternité
Ne le pleurons pas son destin s’est accompli.
Jean-Claude Xuereb est intervenu aux Journées « Albert Camus et René Char : en commune présence », et « Audisio, Camus, Roblès, frères de soleil : leurs combats ».
Je lis à présent ces lignes qui semblent être extraites d'un magazine pour une invitation au voyage alors que je les ai trouvées au début de Noces suivi de L'été. Elles ne sont pas signées. « Tipasa, c'est à 69 kilomètres d'Alger. Une cité romaine dont ne subsistent que des vestiges envahis par la végétation des absinthes, des géraniums et des griffes-de-sorcière. Imaginez des ruines à pic sur une falaise que vient battre une eau claire, brasillant sous l’éclatante lumière méditerranéenne. Tel est le site magnifique où Albert Camus a célébré dans sa vingtième année ses "noces" avec la nature. »
Je sais bien qu'un jour j'y retournerai et que je chercherai ce que Camus n'a pas trouvé. Je serai poussé par l'esprit de tous ceux qui ne sont plus parmi nous. Je foulerai le sable de la plage de Matarès où Albert Camus allait se baigner en compagnie de José Lenzini et du sculpteur José Bénisti. Matarès où nous allions nous aussi, l'été.
A Tipasa, devant les ruines romaines, je rêvais de visiter Rome que je connais aujourd'hui et que j'aime. Envie soudaine de citer Montherlant :"Ce qui est terrible, c'est tout ce que le désir, en se retirant, fait s'écrouler. Des hommes, des pays, des arts, des civilisations, passés et présents, rentrent dans l'ombre, comme un paysage quand le soleil se cache."
Depuis que nous sommes partis, nous, les Européens et les Arabes, le soleil s'est caché. Par bonheur, le paysage de Tipasa ne s'est pas voilé complètement dans notre mémoire.
J'ai commencé à collectionner des photos de Tipasa depuis longtemps. Longtemps ? Je ne sais plus. Je cherchais des poèmes et j'essayais d'écrire quelques strophes à la gloire de Tipasa. Je faisais des vers comme on dit dans le bon peuple.
Mais toujours mécontent, je pestais contre mes courtes compositions et je murmurais qu'il y manquait la petite musique que j'entendais par exemple chez Paul Valéry.
Isabelle-Fleur me reprocha un jour de faire une fixation sur une musique abstraite :
-Si ta musique ne vient pas du premier coup, elle ne viendra jamais. Il vaut mieux que tu ranges tes stylos et tes cahiers. Et puis elle s'est installée au piano :
-Tu veux entendre la musique de Tipasa ? Moi, je sais, je sens. Ecoute !
Ses doigts ont balayé le clavier pour une improvisation et une sorte de poème symphonique est monté, qui a pris tout de suite la direction de mon cœur. La musique avait parfois des accents arabes, des accents à peine suggérés et je découvrais des côtés brillants qui indiquaient le soleil en été et à d'autres moments la mer qui avançait sans avancer. Et puis, j'ai senti un coup de vent comme dans Les jardins sous la pluie de Debussy. La musique s'est assombrie et j'ai deviné un petit orage qui déchirait le ciel. Dans le passage calmé j’ai goûté la poésie des gouttes d'eau. J'ai pensé bêtement que Camus était dans le piano. Ravissement.
C'était sublime parce qu'il y avait comme une petite musique dans la musique. Une petite musique qui semblait se superposer à la ligne principale. Je lisais Camus en transparence. Alors je l'ai suppliée de prendre un papier à musique, un crayon et d'écrire ces pages merveilleuses. Elle a haussé les épaules et a continué à jouer, à jouer . . .
J'ai crié que toutes ces notes, ces noires, ces blanches, ces croches, ces accords et la clef de sol et la clef de fa, que tout ce fatras allait lui glisser entre les doigts et qu'il n'en resterait rien. Il fallait protéger ou bien préparer une bande et enregistrer. Elle a dit que la musique, elle ne la portait pas au bout de ses doigts mais dans son cœur. Elle m'a regardé et elle a posé sa main droite sur son cœur : « Ma musique, elle vient de là ! ». Oui mais je me demandais comment elle avait pu s'imprégner de mon Tipasa au point de le faire passer dans la
http://tipasa.eu/z_tipasa/apres_camus.html
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Rédigé le 05/11/2021 à 17:31 dans Poésie/Littérature, Wilaya de Tipaza | Lien permanent | Commentaires (0)
Abdelouahid Bennani, poète marocain
HONTE A VOUS POÈTES!
Que le souffle de la mort
Hante vos nuits et vos jours
Que le paroxysme de la peur
Habite toutes vos demeures
Sionistes, racistes, fascistes
Tueurs, prédateurs, exterminateurs.
Israël sème la mort
Il a les mains sales
Israël se sent fort
De son piédestal
Il tue des enfants
A peine naissants
Il les tue sous vos yeux
O peuples peureux
Peuples du monde
Qui dormez sous vos toits
A l’abri des bombes et du froid
Peuples de la honte
Qui mangez qui buvez
Qui dansez qui couvez
Vos petits coeurs
Alors qu’ailleurs
Des centaines des milliers
D’enfants de bébés
Mordent la terre
Où on les enterre.
Honte à vous poètes
Qui n’écrivez que d’amour
Comme si le monde etait en fête
Semé de roses et de fleurs.
Imaginez que cet enfant
Ou ce bébé qui rend l’âme
Soit votre propre enfant
Resteriez-vous aussi calmes ?
L’histoire a ceci de beau :
Elle se répète malgré tout.
Hier c’était les Abares
Aujourd’hui, les Arabes
La suite est à deviner
Pas besoin d’être un génie.
***
Je suis arabe et c'est mon crime,
Aux yeux du monde qui me réprime.
Je suis la mort, le terroriste,
Le kamikaze et l'intégriste.
Je suis le feu, je suis le fer,
Je suis le garde des enfers.
Je suis arabe et c'est mon crime,
Aux yeux du monde qui me réprime.
L'histoire du monde, vous l'avez faite,
De vos victoires, de vos défaites.
Assujetti le monde arabe,
Pillé, violé, tué vos klebs.
Je suis arabe et c'est mon crime,
Aux yeux du monde qui me réprime.
Chez vous la paix, chez nous la guerre
Chez nous on pille toutes les terres
Chez nous la vie ne vaut pas moins
Que celle d'un vilain chien du coin.
Je suis arabe et c'est mon crime,
Aux yeux du monde qui me réprime.
***
CRI DE GUERRE
Un cri du désert s'en va en espace
Déchirer le silence
Réveiller les martiens
Déranger les âmes
S'étouffer dans les cratères.
Un cri rouillé, un cri d'angoisse
S'en va très loin
Sur la mer rame
Et vole dans les airs.
Un cri de silence
Qu'une âme brisée lance
Une alarme
D'un conflit qui s'entame.
Tous se mettent sur pied de guerre:
Les poissons s'arment de crabes
Les oiseaux lancent des bombes
Les serpents, ventre à terre
Armés de lance poison
Détruisent les maisons
Rôtissent les hommes
Tout ce qui se consomme.
Cri de guerre, cri lent
Le seul cri qui s'entend.
***
Au carrefour des vices
L'oubli règne sur la ville
J'oublie mon corps
L'espoir s'éfrite
La vie se meurt
Et au carrefour de ses vices
Les hommes se résignent
Blancs
rouges
noirs
jaunes
Traînent le vide
Dans leurs coeurs.
Vie imbécile
Ville dépeuplée
Poupée gonflable
Vide de sens
Embrasse ma tombe
De tes sales lèvres.
Biographie:
Abdelouahid Bennani est né à Tanger, au Maroc en 1958. Après des études primaires et secondaires à Tanger, sa ville natale, il est affecté à la province d'Errachidia après sa sortie du centre pédagogique régional à l'âge de 24 ans comme professeur collégien en 1982. Ce fut la période la plus dure dans sa vie d'enseignant et de poète. Une période qui marquera aussi ses écrits poétiques qu'il publiera vingt-quatre ans plus tard dans son recueil Air Aphone en 2006.
Rédigé le 05/11/2021 à 09:37 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Que Camus ait marqué de son empreinte la littérature algérienne malgré l’agacement, pour ne pas dire l’exaspération que font toujours naître certaines pages, nul, désormais, ne songerait à le nier, maintenant que se sont – presque – apaisées les passions et que l’indulgence remplace, en partie, notre intransigeance des débuts. Pour n’être pas toujours aussi profonde que chez R. Mimouni qui trouve chez Camus le soubassement d’une réflexion marquée par le pessimisme lié à la certitude de la défaite devant le mal, cette influence ne s’en manifeste pas moins chez nombre d’écrivains, trace masquée dans telle œuvre dialoguant presque malgré elle avec celle de Camus ou assumée dans telle autre, allusions en forme de clin d’œil à Tipasa dont le nom est attaché, au moins pour deux générations d’Algériens, à celui de Camus, même dans des romans peu élaborés où la référence aux ruines et à la mer fonctionne comme gage de littérarité ou encore jeu intertextuel comme en cette nouvelle de Kamel Yanat1, dédiée à Albert Camus et dont le début – « To day I killed Jane. Unless it was Yesterday. I don’t remember exactly »–, malgré la langue utilisée, est un calque transparent du début de L’Étranger.
1Pour montrer quelles multiples formes peut revêtir cette influence, nous avons choisi deux auteurs bien différents : le premier, Mouloud Mammeri, appartient à la génération fondatrice du roman algérien et son œuvre, close par la mort, est toute de classicisme ; la deuxième, Maïssa Bey, entamait avec la publication en 1996 de son premier roman, Au commencement était la mer2, une œuvre forte, dérangeante et, en bien des points, lumineuse.
2Sans doute d’ailleurs, est-ce cette caractéristique qui marque le lien le plus évident avec l’œuvre de Camus, même si le dernier roman, Cette fille-là3, attentif à sonder la violence multiple du vécu des femmes, s’attarde moins aux couleurs du monde, notant ça et là la brûlure du soleil.
3Les traces camusiennes que l’on peut retrouver chez l’un et l’autre sont différentes, comme l’est le rapport à Camus. En effet, si chez M. Bey, à l’intérieur de l’œuvre comme à sa périphérie, le nom de Camus revient à plusieurs reprises, il y a, au contraire, comme une réticence de Mammeri à le nommer : ainsi, dans l’entretien qu’il accorde à Tahar Djaout en 1987, il parle d’ » un écrivain d’envergure internationale et né en Algérie »4 ; de même, au cours des rencontres qui font la matière de l’ouvrage édité par Paul Siblot, Vie culturelle à Alger, 1900 -19505 et auxquelles participait M. Mammeri, ce dernier ne nomme pas davantage Camus, figure marquante de l’époque, contrairement à Kateb qui. au cours de ces mêmes journées, laisse – violemment parfois – éclater l’exaspération que lui ont causée les silences de Camus et se dit « douloureusement frappé » par sa déclaration sur l’Algérie après la remise du prix Nobel.
4Mammeri lui, souligne à plusieurs reprises combien il était « en dehors » (p. 48-51) de cette vie culturelle d’Alger et quand Daniel Maximin remarque qu’il a été « solitaire », comme les écrivains algériens de cette époque, le fait lui semble avoir été un garant d’authenticité : « ça veut dire, explique-t-il, que (les) auteurs n’avaient pas besoin d’avoir un projet littéraire artificiel de création de ceci ou de cela « (p. 127). Et quand il rappelle qu’il eut comme professeur de philosophie Jean Grenier qui lui proposa d’écrire pour une revue lancée alors au Maroc6, il ne parle pas de Camus, élève lui aussi de Grenier, comme on le sait.
5Au contraire, aussi bien dans le premier roman de Maïssa Bey que dans Nouvelles d’Algérie7, la référence à Camus est explicite. Nadia, l’héroïne de Au commencement était la mer8, a mis au mur de sa chambre une photo de Camus qui sera détruite dans le saccage de cette chambre par le frère. Dans la troisième des Nouvelles d’Algérie, « Un jour de Juin », un long passage (p. 46-47) renvoie à L’Étranger ; le texte est le soliloque d’un jeune homme qui, tout en marchant dans la rue, par « une journée de juin, chargée de soleil et de douceur « (p. 43), s’invente une autre journée, éliminant ou retenant tel « ingrédient » ou tel autre ; ainsi :
La douceur, on oublie. On oublie aussi la mer... La vraie, avec le sable doré.... Trop loin. Et puis, ça donne des idées, des envies... le soleil, au moins, on peut faire avec... (p. 46)
6C’est d’ailleurs le soleil qui va servir à convoquer en texte le souvenir de L’Étranger :
Tiens, ça me rappelle l’autre, Meursault, mer et soleil comme disait la prof de français, l’histoire du type qui tue un Arabe, un jour, sur une plage (p. 46).
7Le jeune homme évoque cette « histoire « et la commente. On retiendra deux éléments de ce commentaire : d’abord que cet adolescent des années 90, pris dans la tourmente de la violence, est suffisamment impressionné par ce texte pour le considérer comme « peut-être... la seule chose qui (lui) reste du (lycée) » ; ensuite, que ce qu’il en retient gravite, évidemment, autour de la scène du meurtre, envisagée sous un angle politique :
Meursault quand il tire sur l’Arabe, avec un A majuscule, comme si c’était son nom, il dit que c’est le soleil. (p. 46)
8La distance première s’atténue ensuite, l’explication tenue pour absurde semble applicable au présent :
Le soleil qui donne la rage, la haine aussi, l’envie de tuer. C’est peut-être ça l’explication, encore aujourd’hui, (p. 46-47)
9Le texte épouse le questionnement du jeune homme sur le sens des événements, sur les pulsions de meurtre qui « montent « parfois et rejette finalement l’hypothèse du soleil assassin : « ... les gars d’ici, ils ne mettent pas ça sur le compte du soleil ».
10Le cheminement est intéressant à observer : il révèle chez le personnage une connaissance du texte-source, une interrogation sur la validité de l’explication proposée puis un rejet. Ni adhésion, ni refus systématique ; le texte de Camus est en même temps proche et mis à distance.
11Transparente aussi, la référence à Camus dans une nouvelle parue en 1998 et intitulée « Sur une virgule «9. La narratrice, une jeune Algérienne d’aujourd’hui, lit le journal oublié au moment de son départ, en 1962, par une jeune Française d’Algérie qui habitait alors le même appartement et qu’elle essaie d’imaginer, rêvant de ce que fut sa vie et enviant cette histoire d’amour qui constitue l’essentiel du journal. Sans doute n’est-ce pas un hasard si la jeune Française s’appelle Marie, que l’évocation des lieux – Belcourt, Le Ruisseau, la rue de Lyon, le Jardin d’Essai, l’Allée des Mûriers – dessine une géographie semblable à celle de Camus lui-même et de certains de ses personnages. Deux Alger se superposent dans ce texte à deux voix, celui d’hier et celui d’aujourd’hui. Rien ne semble plus pareil mais les deux personnages, à une génération de distance, se heurtent à la violence ; pour Camus, on le sait, s’il y a l’Histoire, il y a aussi « la beauté du monde « ; elle est aussi essentielle chez Maïssa Bey : au-delà de tous les bouleversements qui affectent son pays, la jeune narratrice, prise dans une autre tourmente constate que « dans la chaleur de l’été, les nuits exaltent toujours l’odeur irréductible du chèvrefeuille et du jasmin » (p. 219).
12Un très beau texte de Maïssa Bey, « Femmes au bord de la vie »10, nous éclaire sur son rapport à Camus et met en évidence ce qui nourrit – du moins en partie – sa propre création. Texte d’émotion et d’une sympathie qui ne naît pas seulement de l’appartenance à une même terre, même si cette origine partagée sert à mieux comprendre11 et si elle explique une même relation au monde extérieur, une même admiration devant sa splendeur dont elle s’étonne qu’elle ne vacille pas devant l’horreur. D’avoir su dire ce contraste entre la beauté du monde et sa « tendre indifférence », « alors même », écrit-elle, « que nous sommes confrontés au tragique, à l’absurde, à l’étrangeté d’une existence dont bien souvent nous avons du mal à saisir le sens », est sans doute l’une des choses qui la touchent le plus profondément chez Camus dont la frappe également l’étonnante relation qu’il tisse avec une mère murée dans son silence et avec laquelle la communication semble impossible.
13Ces deux éléments si présents dans l’œuvre de Camus et qu’elle commente dans la réflexion qu’elle nous livre en réponse à la question – « Camus, c’est quoi pour vous ? »– que posait à un certain nombre de personnes Christiane Chaulet-Achour, se retrouvent dans sa propre production. Le monde qu’elle décrit est très souvent lumineux, dans La Mer, en particulier ; des mots-clés mettent en place un univers marqué, comme si souvent chez le Camus des premiers essais, par la lumière, la clarté, l’éclat du soleil, l’intensité du bleu de la mer et du ciel qui parfois se confondent12. Jusqu’à l’excès, parfois. Comme chez Camus lui-même dont beaucoup d’images, comme celle de la campagne « noire de soleil «13, montrent que la lumière est à la fois, comme l’écrit R. Quillot, « profusion et aridité, promesse de vie et signe de mort, chaleur vivifiante et cruelle brûlure »14. Chez Maïssa Bey, le lexique si représentatif du paysage méditerranéen, au centre des textes, si positif en lui-même, peut être transformé par une modalisation négative qui en souligne l’ambivalence : la lumière du soleil peut être « trop vive », la clarté, « insoutenable », le soleil « trop chaud ». Cette ambivalence installe le contraste : d’un côté, un bonheur pur, physique, presque palpable, un hymne au soleil et à la mer rendu par la description des vacances sur cette plage où la brûlure du soleil est « désirée « (p. 23), celle du sable « bienfaisante « (p. 41), où le personnage sans cesse s’émerveille de la « perfection absolue « (p. 12) du ciel, de ces journées « transparentes « (p. 13), « inondées de lumière » (p. 57), « du jour naissant comme au commencement du monde « (p. 8)15 ; de l’autre, un monde transformé par le malaise d’un personnage ou la négativité de tel autre : ainsi, à Alger, la vie en été, dans l’ennui des cités, s’étire sous un soleil « inutile » (p. 53) qui « désespérément » s’attarde sur la ville, sous un ciel « insupportablement bleu » (p. 14) ; de même, Djamel le frère, hostile, se dresse devant sa sœur, encore tout illuminée par sa promenade matinale sur la plage, dans une lumière « blême » (p. 9)16 ; dans la lumière est « froide » (p. 50), indice du refus qu’on lui opposera ; c’est maison familiale où le jeune homme qu’elle aime conduit Nadia, la aussi « dans la lumière froide du petit matin » (p. 118) que la jeune fille reçoit la première pierre lancée par son frère, prélude à la mise à mort.
14L’ombre elle-même, si précieuse dans un monde souvent écrasé de lumière, est tantôt positive, tantôt négative. Djamel « enlisé » (p. 31) dans ses certitudes et son refus de la vie, quand les autres, ses jeunes frère et sœur, en particulier, emplissent « leurs yeux, leurs mains, leur vie, de sable, d’eau et de lumière » (p. 27), est une « ombre furtive » (p. 12), alors que du temps de leur tendresse partagée, l’ombre de leur chambre leur était « propice » (p. 46)17.
15Dans le studio où Nadia rencontre Karim, la fenêtre close, la lumière éteinte installent une pénombre qui signale les limites de cet amour ; loin d’être la pénombre heureuse et fraîche de l’été, la semi-obscurité de la chambre se fait hostile et, quand le jeune homme annonce à Nadia que sa famille ne veut pas d’elle, sert de cadre à la destruction d’un amour né dans la lumière et l’éclat de l’été sur la plage.
16Mais l’ombre, c’est aussi le clair-obscur, cet entre-deux du patio, lui-même passage entre dedans et dehors, entre le clos et l’ouvert, moment fugace, à cette heure qui « n’ (est) plus le jour et pas encore la nuit », comme l’écrit Camus18, sensible aux jeux de l’ombre et de la lumière19, à ces moments intermédiaires où décroît la chaleur, où s’apaise la brûlure des jours avant la nuit presque toujours étoilée en ces rivages et à la beauté de laquelle se laissent prendre les personnages. Le ciel « criblé » (p. 39) ou « éclaboussé d’étoiles » (p. 116)20, offre son « immensité sombre, insondable » (p. 39) et l’on pense au bouleversement de « la femme adultère » devant la beauté déchirante de la nuit.
17Multiple, la splendeur du monde est celle du jour et de son aveuglante clarté et celle de « l’ombre douce »21 et tendre de la nuit. Sur tous les modes, s’inscrivant dans la lignée de l’aîné, l’écriture de M. Bey joue sur ces deux faces du monde, « soleil et ombre »22, envers et endroit : « toute vie, écrit Morvan Lebesque23, – les pierres tombales l’enseignent – est “col sol levante, col sol cadente”... soleil levant, soleil couchant ».
18Seule la mer, chez l’un comme chez l’autre, échappe à l’ambivalence ; chez l’un comme chez l’autre, elle est le lieu du bonheur :
Grande mer, toujours labourée, toujours vierge, ma religion avec la nuit ! Elle nous lave et nous rassasie dans ses sillons stériles, elle nous libère et nous tient debout.
écrit Camus dans La Mer au plus près.24 Opposée, chez Maïssa, à la clôture des villes, à la poussière et à leur grisaille (cf. p. 64), elle a une fonction salvatrice, purificatrice : le spectacle qu’elle offre « lave » les yeux. Dans le désastre que met en scène le roman, seule la beauté de la mer ne s’altère pas : lieu où la jeune fille rencontre l’amour, où les corps se découvrent dans un décor somptueux, marqué en filigrane par la présence de Camus convoquée par la description de ce qui ressemble à la route de Tipasa avec des « criques violentes et sauvages » (p. 64), la « clairière embuée de lumière et de chaleur » en contrebas de laquelle « des pins détachent leur silhouette frémissante sur le bleu extrême de la mer », « le crissement des aiguilles de pin » (p. 65). Après le saccage de l’amour, elle reste ce lieu préservé vers lequel Nadia éprouve toujours le besoin d’aller.
19Si l’influence camusienne se manifeste de façon frappante dans le rapport entretenu par le roman de Maïssa Bey avec la lumière et la capacité de l’écriture à en rendre les multiples jeux comme dans le rapport heureux du personnage central à la mer, elle se manifeste également dans la peinture qui est faite du personnage de la mère.
20La relation de Camus à sa mère, « l’étrange indifférence »25 de celle-ci redite sous diverses formules26, est connue. Dans « Femmes au bord de la vie », l’auteur commente longuement cette relation, l’amour et la tendresse si difficiles à dire et s’attarde sur ce personnage ; à la suite de Camus, elle la décrit :
- 27 Art. cit., p. 238.
Elle est assise à son balcon. Les mains posées sur les genoux. Silencieuse, comme figée dans l’attente, murée dans un indéchiffrable silence27.
21Elle établit ensuite une relation avec les personnages féminins de Camus, la mère de Rieux, Janine, « la mère et l’épouse, toutes deux confrontées à l’impossibilité de s’exprimer ou d’expliquer aux êtres les plus proches la vérité de leur être »28, approchant au plus près les personnages et trouvant, comme spontanément, des formules camusiennes pour en parler : ainsi, Janine, sur la terrasse est « offerte à la nuit et au vent. À l’insupportable beauté du monde »29.
22À ces Femmes au bord de la vie, on pourrait ajouter la mère de Nadia dans le roman de M. Bey, dont la vie s’use dans « l’épuisant ballet chaque jour recommencé » (p. 24) des taches ménagères et qui se comporte dans la maison du bord de mer comme dans la triste cité d’Alger, investissant la cuisine où s’élabore cette nourriture qui est sa façon de manifester l’amour qu’elle porte à ses enfants30 mais « qu’elle ne sait pas dire », (p. 40)31. Le texte insiste sur cette impossibilité à communiquer qui caractérise, ici encore, la relation entre les enfants et « une mère qui ne les écoute pas, qui ne les écoute plus «, incapable de voir quelle tourmente emporte son fils, quelle souffrance déchire sa fille révoltée par le « mensonge « que représente « l’amour d’une mère qui ne voit ni n’entend les cris [...] » (p. 117), une mère qu’on n’appelle plus au secours. Il n’est pas jusqu’à cette image de la mère s’oubliant pour une fois, à rêver, comme prise par le charme de la petite maison de la plage, « assise sur le carrelage frais du patio « (p. 18) qui n’évoque l’autre mère, assise, elle sur une chaise et, libérée des tâches domestiques, « les yeux dans le vague, (se perdant) dans la poursuite éperdue d’une rainure de parquet »32. Et le commentaire de la voix narratrice – « Patience inaltérable de ces femmes qui ne peuvent qu’attendre « (id.) – rattache le personnage du roman à ceux de Camus dont M. Bey souligne dans Femmes au bord de la vie, « la patiente résignation « ajoutant qu’elles « ne prennent de la vie que ce qu’elle veut bien leur donner, quelques miettes de bonheur « . Jeu d’écho remarquable entre la fiction, les textes qui la nourrissent et le commentaire qui l’éclaire.
23La pensée de Camus se profile derrière le personnage de Nadia et son désir éperdu de bonheur et de liberté : « Elle a dix-huit ans [...] et elle veut vivre » (p. 13)33. Cette quête entravée débouche sur la révolte qui lui fait braver les interdits mis en place comme autant de barrières par une société frileuse, attentive surtout à empêcher l’envol des femmes contre lesquelles s’exerce une violence multiforme. Elle va jusqu’au bout d’un amour combattu par l’éducation qu’elle a reçue, les conventions sociales au poids écrasant, en un défi qui lui fait transgresser les tabous majeurs de la société dans laquelle elle vit. Elle est ainsi un personnage « qui dit non « aux contraintes imbéciles et avance vers une liberté et une lucidité de plus en plus grandes quand son frère dérive loin de sa famille, « de plus en plus seul, de plus en plus loin » (p. 31), nourri de prêches aux « paroles de haine et de violence » (p. 45).
24Quand la quête de l’une est celle d’un bonheur à la mesure des êtres, où la communion avec le monde tient une place essentielle, l’autre, porté par un « désir sauvage de justice » comme l’écrivait Camus à propos de Spartacus34 et enfermé dans ses certitudes que n’ébranle même pas la perspective de la mort ou du meurtre, se trouve désormais
tourné définitivement, exclusivement vers ce que d’aucuns lui ont dit être la seule vérité, la seule justice, même si c’est de cette justice que doivent mourir des hommes innocents, (p. 31)
25On peut penser à ce à quoi se heurtait Camus, au problème posé par des « massacres justifiés par l’amour de l’homme ou le goût de la surhumanité »35.
26La révolte, dans La Mer, s’exerce contre la négation de la vie, le fanatique refus du bonheur qu’affichent de nouveaux inquisiteurs, obsédés par le rêve d’un monde à la « pureté terrifiante » (p. 71). Elle mène au défi qui fait de Nadia un personnage tragique dans la mesure où, comme l’écrit R. Quillot à propos de Caligula « le héros tragique tel que le conçoivent (les) modernes [...] subit moins le destin qu’il ne le provoque »36 ; c’est bien ce que fait Nadia quand, en toute lucidité, elle provoque la mort en affrontant son frère, se révélant, comme Sisyphe, « supérieur(e) à son destin », mourant, comme elle a vécu, en pleine conscience, choisissant sa mort dans un dernier acte de liberté.
27La relation que tisse l’ouvre de Mammeri avec celle de Camus est différente de celle de M. Bey, même si en certains points les textes se rencontrent ; ainsi, par exemple, chez l’un comme chez l’autre, une maison qui rappelle « la maison devant le monde « que Camus, dans La Mort heureuse décrit » tout entière ouverte sur le paysage [...] comme une nacelle suspendue dans le soleil éclatant au-dessus de la danse colorée du monde « La petite maison blanche au bout de la plage est au-dessus de la mer et l’appartement de Mourad dans La Traversée37 a un balcon qui domine la mer. Chez M. Bey, cette maison-bateau est un havre, lieu privilégié qui permet le contact avec la mer qui apaise et fait oublier ce que la ville charrie d’ennui et de malheur, d’où la jeune fille contemple le spectacle multiple du jour se levant ou se couchant, respire la « fraîcheur du large », ses « senteurs vives et salées ». Là, plus qu’ailleurs, se noue une relation étroite avec une nature dont tous les textes soulignent qu’elle est exceptionnelle.
28L’appartement de Mourad n’est pas vraiment décrit : c’est son environnement qui se trouve évoqué, la vue du balcon, au début du roman, l’immeuble et les voisins de palier, à la fin. C’est dans l’évocation de cet environnement qu’apparaît de façon très nette le lien avec Camus. La vue du balcon, c’est essentiellement la mer qui fait dévier la description vers la réflexion philosophique, dont la « soie froissée » éveille en Mourad le sentiment de la futilité des choses et l’assurance que seule compte l’harmonie avec la nature :
La chose importante, c’est [...] de se lever le matin accordé au monde et de se dire : ce n’est pas la mort qui m’attend, (p. 20)
29L’accent camusien de la formule « accordé au monde »38 que l’on trouvait déjà sous cette même forme dans l’avant-propos de Camus à l’ouvrage de Louis Guilloux, La Maison du peuple39, n’est pas accidentel, la suite des réflexions suscitées par la contemplation de la mer s’inscrivant dans la ligne de la pensée de Camus, comme le montre cette phrase :
- 40 Mourad vient d’avoir une discussion avec deux jeunes Canadiens, venus en Algérie par convi (...)
Aux prisons dans les glaces40, aux enlisements lents dans les sables surchauffés, la mer apportait le contrepoint, le contrepoids de la mobilité et de la délivrance (p. 21).
30L’équilibre de cette construction en chiasme : / prisons – enlisements / / mobilité – délivrance /, le balancement entre glaces et sables élargissant la portée de la constatation : « la mer apportait le contrepoint... « en en faisant une donnée universelle non liée à un espace précis, donnent à la phrase une portée humaniste qui n’est pas sans rappeler Camus tant par le désir d’universalisme accentué par les réflexions du personnage abolissant un peu plus loin la distinction entre les espaces : – « ce désert de glaces [...] chez nous c’est les sables, mais quoi ? Trente au-dessous ou quarante-quatre à l’ombre, où est la différence ? »41 – que par le refuge qu’offre la contemplation de la nature, de la mer en particulier. On sait l’importance que revêt pour Camus un lieu comme le balcon dont on a pu montrer42 comment il s’opposait à la cave, par exemple, comme l’ouvert au clos, la lumière à l’ombre ; il est aussi ce lieu à partir duquel le monde s’offre aux sens, à la vue certes, mais aussi l’ouïe43. Mourad à son balcon retrouve l’attitude de personnages camusiens, contemplant d’un lieu élevé l’immensité du désert comme « la femme adultère « ou celle de la mer : « un balcon naturel, à cinq ou six cents mètres au-dessus d’une mer encore visible et baignée de lumière, était, déclare Clamence44, l’endroit où je respirais le mieux, surtout si j’étais seul, bien au-dessus des fourmis humaines ».
31Cette « parenté » avec Camus se retrouve à la fin du roman dans l’évocation des voisins de palier de Mourad45 ; une voisine, Malika, est « vendeuse au Monoprix de Belcourt «, Pérez « un retraité des Ponts et Chaussées « vit » seul avec ses chats « comme Salamano avec son chien aussi calamiteux46 que celui du mendiant installé en toute saison au pied de l’immeuble de Mourad ; l’allusion à Belcourt, les noms mêmes avec leurs consonances espagnoles, celui de Pérez mais aussi celui de Pablo, le chien du mendiant, la promiscuité qui fait que, les bruits traversant les cloisons, Mourad entend aussi bien les « cris de plaisir » de Malika et de son amant que les sanglots de la vieille femme pleurant la mort de Pérez comme Meursault entendait aussi bien « la Mauresque » crier que Salamano pleurer la disparition de son chien47, tous ces éléments installent une atmosphère qui rappellent celle de L’Étranger .
32La marque de Camus ne se manifeste pas seulement dans la mise en place d’un décor ou d’une ambiance mais aussi, à un niveau plus profond, celui de la pensée, comme le montre, en particulier, l’apologue écrit après le départ des deux jeunes indépendantistes québécois qui, déçus par la réalité qu’ils découvrent, s’apprêtent à partir pour Cuba, où suggère le texte, les attend la même désillusion, comme si les deux prestigieuses révolutions, une fois passé l’enthousiasme de la victoire, ne pouvaient répondre aux espoirs qu’elles avaient suscités. L’article de Mourad, intitulé, lui aussi, « La traversée du désert » joue un rôle important dans le roman car il en programme en quelque sorte la lecture, affichant dès le titre, le pessimisme qui y est à l’œuvre. De nombreux indices font de cette traversée du désert par une caravane en avant de laquelle marchent des héros, la transposition transparente de la marche d’un pays, l’Algérie, vers l’indépendance, l’oasis dans l’apologue. Dans cette marche vers l’oasis, les héros se définissent essentiellement par la place qu’ils occupent dans l’espace et par leur solitude, s’opposant par une série de traits sémantiques – jeunes, solitaires, exaltés, rêveurs – au reste de la caravane, « troupeau agglutiné » ; l’opposition fortement marquée entre les héros et le troupeau fait de cette traversée l’affaire d’un petit nombre. Ici est exalté l’héroïsme d’une minorité pour qui l’oasis ne constitue pas la fin du parcours dont le but n’est jamais précisé et l’objectif, jamais atteint. La valorisation des héros, des révoltés dirons-nous, pour utiliser le vocabulaire de Camus, n’est pas séparable de leur incapacité à vivre de la vie de tous, qui, loin d’être perçue comme un manque, les auréole du prestige de ceux qui ont accepté de faire, comme les justes de Camus, l’offrande de leur propre vie :
Le destin des héros est de mourir jeunes et seuls... (ils) sautent d’un coup dans la mort, ils y explosent comme des météores dévoyés.
33La marginalisation des héros, c’est-à-dire ceux grâce auxquels la caravane peut arriver jusqu’à l’oasis, est totale, une fois le but atteint. Loin de participer à l’étape suivante, ils s’en détournent, les autres, du reste, veillant à écarter ces rêveurs encombrants, la révolution semblant donner raison à Camus en se retournant contre le révolté. Mourad, qui a participé à la lutte pour l’indépendance, veut quitter le pays48 comme les héros de son récit veulent quitter l’oasis où ils ont mené les autres : pour lui comme pour eux, il n’y a pas de port possible, surtout s’il signifie « l’installation » dans un système révolutionnaire perçu comme une déviation, une perversion du grand rêve du révolté, Mammeri rejoignant ainsi Camus dans l’exaltation de la révolte et la méfiance vis-à-vis d’une révolution condamnée à se dégrader, comme l’exprime si souvent Camus, en particulier dans L’Homme révolté et contre laquelle le révolté finit par se dresser.
34La méfiance qui se manifeste dans l’apologue de La Traversée, était déjà présente dans L’Opium et le bâton, pourtant écrit en pleine euphorie révolutionnaire, où on pouvait lire cette réflexion :
La révolution produit les traîtres comme le pommier produit les pommes. Quand les gouvernants n’auront plus de pain à donner au peuple, il lui jetteront des traîtres à la pelle pour assouvir sa faim [...]
réflexion intervenant dans l’épisode d’Itto que F. Desplanques invite à lire aussi « comme une mise en garde contre le mythe des lendemains qui chantent »49.
35On note également un lien avec la pensée de Camus dans cette dénonciation présente aussi, on l’a vu, chez M. Bey, d’un désir de pureté effrayant qui mène au refus de la vie et du simple bonheur des hommes : ainsi, Boualem, le fanatique de La Traversée,
s’adonnait à la vertu férocement. Il la voulait implacable, goulue jusqu’au sang, celui des autres, mais aussi, s’il le fallait, le sien. Il haïssait la vie... (p. 28)
prêt à « tuer et [...] mourir pour produire l’être que nous ne sommes pas «, comme l’écrit Camus dans L’Homme révolté.
36Sur d’autres points, au contraire, s’affirment des oppositions, le texte de Mammeri répondant à celui de Camus en en prenant le contre-pied. Deux exemples nous ont semblé, à cet égard, significatifs.
37Le premier est celui du rapport à la mer, différent chez les deux écrivains, bien que Mammeri ait été, lui aussi sensible à sa beauté comme le marquent certaines pages et que ses personnages trouvent parfois l’apaisement dans sa contemplation. On ne reviendra pas sur la relation à la mer de Camus dont José Lenzini écrit qu’il « ne peut se passionner que pour les cités maritimes «, ajoutant qu’il » n’est pas ce que l’on appelle en Algérie un homme “de l’intérieur” »50. Dans La Traversée, la transformation du désert dont rêve le sous-préfet pour lequel la seule référence reste le Nord – « bientôt, peut-il dire à un groupe de journalistes, vous serez à Djanet comme dans n’importe quelle ville du Nord »– est considérée comme une grave dégradation pour Mourad. En se dressant contre cette valorisation du Nord au détriment du Sud qui s’exprime par la voix du sous-préfet, voix officielle s’il en est, le texte remet en question la primauté de la mer vers laquelle toute la civilisation méditerranéenne s’est tournée, alors que pour Mammeri, c’est au Sahara, au-delà de l’antique « limes », qu’est « L’Afrique profonde » dont la bordure maritime lui apparaît comme « une frange étroite [...] la plus extérieure ». S’y « accrochaient les comptoirs puniques, romains, grecs ou turcs, qui suçaient la substance du pays vrai »51 ; par ailleurs, ce Sud considéré comme « le pays vrai » a été pour les travailleurs numides, « une patrie, celle du dernier recours contre l’asservissement »52. Ainsi se met en place, par le biais du désert, ce que J-C. Vatin appelle « un contre-mythe méditerranéen » élaboré par des écrivains réagissant, écrit-il, « contre les tentatives coloniales de résurrection de l’Afrique latine, d’une civilisation par trop axée sur la mer bordière », et s’insurgeant aussi, ajoute-t-il « contre un Maghreb orienté vers ses seules façades maritimes »53. Il est vrai – et c’est un des nombreux constats d’échecs établis par le texte – que le désert, sous les coups d’une modernité venue du Nord et considérée comme destructrice, ne remplit plus, dans le texte, le rôle de défense contre l’asservissement qu’il a pu jouer. Mammeri, sensible à sa beauté et à l’impact profond que peut exercer sur les êtres tout séjour en ces lieux, est surtout attaché à montrer que là survit à grand peine une civilisation fort ancienne et d’autant plus précieuse qu’elle est menacée et que si l’on n’y prend garde, c’est toute son âme qui se trouvera pervertie. Quand Camus écrit, une trentaine d’années plus tôt, aucune menace de cet ordre ne semblait encore imaginable : au cœur de « La femme adultère » dont l’héroïne, dans un moment d’intense exaltation découvre sa bouleversante beauté et, un instant, communie profondément avec lui, le désert est, comme pour le personnage de « L’Hôte », royaume « promis » et inaccessible où l’homme se découvre seul. Mourad également fera au désert l’expérience de la solitude.
38Le deuxième exemple nous est donné dans Le Sommeil du juste54 où l’on trouve, sur un mode opposé, une réponse à un passage connu du « Minotaure »55. L’un et l’autre évoquent la « parade »56 à laquelle se livre, en fin de journée, une certaine jeunesse d’Oran chez Camus, d’Alger chez Mammeri. Même insouciance un peu vaine, même désir de paraître, même élégance tapageuse ; un même détail aussi saisi par les deux, les souliers à « triple semelle « dont Camus souligne que les plaisirs essentiels de la jeunesse oranaise consiste à « les faire cirer » puis à les « promener [...] sur le boulevard ». (p. 86)
39Mais ce qui était indulgence amusée, ironie chez l’un, devient chez l’autre exaspération hautaine :
C’était l’heure où des jeunes gens, montés sur des souliers à triples semelles, traînaient sur un trottoir encombré leurs costumes de riches, le vide de leurs yeux, cet accent algérien d’une agaçante vulgarité. Ils semblaient étonnés que le pavé ne fût pas plus ravi de les porter.
40L’humour de Camus existe d’autant moins chez Mammeri que le spectacle est vu par les yeux d’Arezki qui vient des quartiers « arabes » (comme dirait Camus) et se trouve brutalement plongé dans un autre univers57, ayant franchi une frontière immatérielle mais bien réelle entre deux mondes séparés par « la distance interstellaire du colonialisme ».
41Dans son Albert Camus, Alger, Christiane Chaulet-Achour signale l’inspiration par l’univers camusien du Sommeil du Juste et que « le long monologue d’Arezki a bien des parentés avec celui de Meursault »58, en particulier le réquisitoire contre la société et l’indifférence des deux personnages à leur sort. En effet, on retrouve dans les deux textes une même distance vis-à-vis de ce qui se passe, la même distraction, le même détachement59, et l’impression, comme l’écrit Camus60, qu’« on n’est jamais condamné pour le crime qu’on croit »61.
42Ajoutons la qualification d’ » étranger » attribué à plusieurs reprises à Arezki, le sentiment qu’il éprouve de l’absurdité du monde62 et l’accent camusien de certaines phrases comme celle où il note comme « il est difficile de mourir au monde «, envers d’autres termes, « accordé », « accord », si fréquemment utilisés par Camus qu’ils apparaissent comme des mots-clés, repris aussi bien par Mammeri que par Maïssa Bey. Comment, par ailleurs ne pas penser, devant l’échec de Mourad s’évertuant, par son retour au village, à retrouver sa jeunesse et à faire revivre le passé, au constat établi par Camus dans Retour à Tipasa63 :
Certes, c’est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu’on a aimé ou dont on a fortement joui à vingt ?
43On peut aussi être frappé par le retour à diverses reprises aussi bien dans La Traversée que dans L’Opium et le bâton, de l’image de l’île dont on sait quelle place elle occupe dans l’œuvre de Camus. Rencontres fortuites, bagage commun à deux hommes formés à une même école, intertextualités plus ou moins conscientes ? Quoiqu’il en soit, l’œuvre de Mammeri dialogue avec celle de celui qui fut à peine son aîné, en portant la trace ou s’en démarquant parfois, autre façon de dialoguer avec elle.
44Nous avons essayé de montrer que la présence de Camus se faisait sentir dans des œuvres et chez des auteurs très différents. Chacun des deux écrivains choisis parmi d’autres dont l’analyse aurait encore montré un rapport différent à l’œuvre de Camus, puise chez lui ce qui correspond à sa propre sensibilité, à sa vision du monde et des êtres.
45Fortement marquée par les circonstances, les conditions historiques dans lesquelles elle s’écrit, l’œuvre de M. Bey n’en rejoint pas moins les grands thèmes comme le défi, la révolte, le bonheur dont s’est nourrie la pensée de Camus. La tourmente dans laquelle elle s’écrit et l’extrême lucidité qui s’y manifeste, si elles dressent le personnage contre les abstractions meurtrières, l’effrayant désir de pureté et d’ » authenticité «, ne le rendent pas pour autant aveugle à la beauté du monde dont témoigne son émotion devant « l’immense [...] l’incroyable beauté d’une terre chaque jour un peu plus ravagée par la folie des hommes » (p. 71) et que l’écriture, lumineuse, « solaire », réussit souvent à rendre, le tragique lui-même, comme dans la Grèce chère à Camus, ne se séparant pas de l’éclat éblouissant de la lumière méditerranéenne.
46Désenchantée, l’œuvre de Mammeri trouve chez Camus ce qui alimente son pessimisme, cette certitude que la révolte, aussi exaltante soit-elle, laisse fatalement la place à un « monde balisé, fiché, piégé aux carrefours, avec des gendarmes pour contrôler », au « temps des lois, du bakchich »64. Il partage aussi avec son contemporain la lucidité, l’ironie sensibles dans les œuvres et une grande probité intellectuelle qu’on doit leur reconnaître même si l’on ne partage pas tous leurs points de vue. Cependant nous avons cru déceler chez Mammeri une certaine réticence vis-à-vis de Camus qu’il partage avec un certain nombre d’écrivains algériens, Kateb, en particulier mais aussi Bourboune qui le définit65 comme « un très grand écrivain français, empêtré dans ses contradictions, souffrant et avançant sur un chemin de ronces » et conclut un article qu’il lui consacre par ces mots : « sans rancune et sans amertume, il est, pour nous, devenu l’Étranger ». De même pour Mammeri et « bien qu’au départ Camus ait été favorable au peuple algérien, il est tout de même un écrivain français » comme il le déclare dans une conférence prononcée devant des étudiants en 1978, à propos de l’émergence de la « grande » littérature en Algérie ; dans l’entretien qu’il a avec T. Djaout, il estime que c’est faire un « mauvais procès « à Camus que de lui reprocher « de n’avoir introduit d’Algérien qu’une fois dans son œuvre et sous l’espèce d’un étrange et dangereux manieur de couteau »66, car il ne pouvait en être autrement, les deux communautés étant alors « parfaitement étrangères l’une à l’autre ». Il rejoint ainsi le point de vue de Memmi, constatant lui aussi que les écrivains français du Maghreb ne pouvaient décrire ceux qu’ils ne connaissaient pas : « Un fossé profond a toujours séparé les groupes humains qui vivaient en Afrique du Nord », écrit-il, ajoutant : « Comment ne pas reconnaître que les hommes sur cette terre merveilleuse, qu’ils adoraient d’un même cœur [...] étaient profondément divisés par les mœurs, les coutumes, l’histoire et la politique »67 ?
47Au terme de ce parcours sans doute trop rapide, on peut constater au moins deux choses, l’une est que la réticence que l’on peut dire idéologique vis-à-vis d’un écrivain dont l’appartenance à la même terre ne fait pas forcément un « frère », quand Camus écrivant à A. Kessous ou à Kateb, mettait en avant cette « ressemblance »68, n’empêche pas son influence de s’exercer à différents niveaux.
48L’autre est cette évolution des écrivains algériens dans leur rapport à Camus qui se pose en termes de générations : l’exemple de M. Bey montre que ceux qui écrivent aujourd’hui ont un rapport dépassionné qui leur permet de rendre à Camus une algérianité qui lui fut souvent refusée et de se réapproprier sans complexe une œuvre se nourrissant du même humus que la leur. On est alors aussi loin de l’admiration exaltée d’une D. Debèche faisant de lui le « guide, maître et sauveur « grâce auquel « nous avons pris tout droit le chemin illuminé de la résurrection et de l’espoir »69 que du refus intransigeant de ceux qui, ne faisant pas la distinction entre l’écrivain et l’homme, l’ont rejeté pour ses silences d’autant moins acceptables pour eux que furent grandes leur attente et leur déception : après avoir témoigné avec courage de la misère en Kabylie, « n’aurait-il pas dû, écrit Bourboune, élever sa grande voix pour attester ce qu’il y avait de juste dans (la) révolte » d’« hommes broyés et humiliés » ?
49La passion a longtemps été au cœur de cette relation étonnante : elle « pointe l’importance de la référence, écrit C. Achour70, toujours ambivalente, jamais reçue avec indifférence « aujourd’hui encore, Camus occupe une place à part en Algérie que n’occupent, malgré leur talent, ni Roblès, ni Audisio, ni Roy ; il n’a échappé à aucun des procès qui pouvaient lui être faits et il reste celui dont l’influence, déclarée ou non, est la plus évidente : et l’on peut considérer que l’affirmation de J. Roy71 : « il n’est aucun des écrivains de là-bas, même parmi ceux qui le renient, qui ne lui doive rien » est en grande partie fondée.
Université d’Alger
https://books.openedition.org/apu/2521?lang=fr
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Rédigé le 03/11/2021 à 13:00 dans Camus, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Arrêtez
Arrêtez
Arrêtez de célébrer les massacres
Arrêtez de célébrer des noms
Arrêtez de célébrer des fantômes
Arrêtez de célébrer des dates
Arrêtez de célébrer l’histoire
La jeunesse trop jeune à votre goût
Insouciante et consciente
Sait
Depuis le temps que vous battez le rappel
Des souvenirs le Soldat Inconnu le Mausolée de X
Le machin de Y le cimetière de Z
Depuis le temps que vous écrivez les jours
Du calendrier avec du sang coagulé
Délayé
Délayé par les circonstances de la Circonstance
Ce sang coagulé
Venin de la haine
Levain du racisme
Je suis né en Allemagne nazie et moi en Amérique
Noir et moi en Afrique basanée et moi je suis
Pied-noir et moi Juif et moi on m’appelait Bicot
On en a marre de vos histoires et vos Idées
Elles
Rebuteraient tous les rats écumeurs de poubelles
Elle
N’oublie jamais la jeunesse malgré
Sa grande jeunesse mais
Elle a horreur des horreurs
Et les enfants d’aujourd’hui
Et ceux qui naîtront demain
Ne vous demandent rien
Laissez-nous laissez-les vivre
En paix
Sur cet îlot de l’univers
L’univers seule patrie
Arrêtez de célébrer des noms
Arrêtez de célébrer des fantômes
Arrêtez de célébrer des dates
Arrêtez de célébrer l’histoire
La jeunesse trop jeune à votre goût
Insouciante et consciente
Sait
.
Je n’aime pas la poésie
:-)
Voici un peu notre histoire
On nous tua
Longtemps, à chaque fois
Tous nos ancêtres saignent et attendent au bout de nos langues
Tous avaient une pierre tombale entre les dents, même avant les dents
Et tous ont, à peine, touché terre après la naissance
Avant de rebondir vers un ciel et un oubli
A peine l’âge d’un nuage
Qui donne et s’en va
Puis on se tua les uns les autres
Car on était un pays libre
Libre de nous entretuer
On a donc rejoué aux morts et aux survivants
Comme à chaque fois
Nous avions un drapeau mais pas de but
Il y a eu brusquement trop de Dieux et trop de prophètes
Et donc beaucoup de fins de mondes et de jugements derniers.
Puis on s’assit et on tua le temps
Le temps n’a pas de cadavre
Nous sommes ses cadavres
Quand on le tue, c’est nous qui pourrissons
Nous sommes passés du djoundi au bandit
Du colonel à l’Emir
De l’Emir au cheikh
Puis du cheikh au muezzin
Vin
Pain
Chaloupes ou la mort
Chacun a creusé un trou
L’un pour retrouver son ancêtre
L’autre pour déboucher dans le paradis
L’autre pour ressortir, de nuit, en Espagne
L’autre pour trouver de l’argent ou l’enfouir
L’un pour enterrer les femmes
L’autre pour trouer la terre et l’envoyer au fond des eaux
Le pays est vaste mais dès qu’on voyage
On sait qu’il est étroit
Pourquoi ?
Parce que personne n’y vit
Personne n’y meurt
On est tous ensemble, depuis trois mille ans, assis au même endroit
On est enfermé
Le reste du monde on l’appelle «El kharedj»
C’est à dire l’Extérieur
Car nous sommes enfermés
On est passé de la Révolution à la distribution
Puis à la prière
Puis au sachet
Puis à la lapidation
Puis à la lâcheté, la peur, la servilité, l’indignité
Nous sommes à «l’Intérieur» mais chacun à l’intérieur de lui-même
Le pays est la tête de chacun et
La tête de chacun est posée sur une étagère ou un tapis
On n’a plus d’ombre dans ce pays, ni de poids, ni de mesures
Il y a bien un drapeau et une histoire mais
Il n’y a plus de vent pour les faire bouger
Il n’y a plus de sol
La terre est une poignée et l’hymne du barbelé
Il y a encore le souvenir des armes
Mais c’est pour se suicider ou s’entretuer
Il y a la mer
Mais personne n’a de corps et les femmes n’ont plus
de visages ni de cheveux
Nous sommes descendus des maquis pour remonter dans des minarets
Et on a laissé nos enfants jouer dans un terrain vague
Si vague qu’ils finissent par ne plus venir au monde
Seulement, au ciel, l’enjamber
Je n’aime pas la poésie
Car elle ne meurt pas
Et moi si.
par Kamel DAOUD
2021 - 11 - 04
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5269352
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Rédigé le 02/11/2021 à 20:18 dans Guerre d'Algérie, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
La parole de ceux qui ont vécu ces évènements se faisant désormais rare, il est devenu nécessaire de réaliser ce devoir de mémoire. Pour certains ce sont nos parents, nos grand-parents, nos tantes, nos oncles…Nous côtoyons ces générations, et il est désormais temps de rendre hommage à leur vécu, en faisant sortir leurs récits des foyers. C’est vouloir dire enfin ce passé commun issu de la présence française en Algérie et, surtout, c’est vouloir transmettre la mémoire de nos aînés.
Farah
Une guerre, des mémoires
Entre 1956 et 1957, Georges Garié est appelé en Algérie, dans le cadre de son service militaire en Kabylie. Un demi-siècle plus tard, il écrit des poèmes qui lui servent de thérapie et de support afin de témoigner auprès des plus jeunes de sa région : l’Occitanie. Afin de transmettre au mieux ses écritures et, par là, ses mémoires, nous avons décidé de réciter et d’illustrer ses poèmes afin d’obtenir un rendu vidéo. Après le premier poème “Le sang de la Toussaint”, le poème “Progrès” condamne ceux qui ont fait usage de la “gégène”, torture à l’électricité lors des interrogatoires des “fellaghas” (nom donné aux résistants algériens).
Donner une seconde vie au poème “Corvée de Bois” de l’ancien appelé Georges Garié, afin de dénoncer l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie.
L’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie fut un sujet tabou pendant longtemps. On a essayé de l’occulter, de l’oublier. Les récits témoignant des méthodes de torture dont a fait usage l’armée française pour maintenir le contrôle du mouvement d’indépendance algérien ont été censurés dans leur majorité. Au premier abord, il semblait que l’horreur dont a fait preuve l’armée française en Algérie était motivée par des fins informatives. En témoigne par exemple l’usage de la « gégène » pour obtenir des noms, des indications afin de démanteler les réseaux de résistants algériens et abattre tout mouvement indépendantiste.
Pourtant, une méthode de torture secrète, occultée, ne semble pas trouver d’autre raison que celle de la barbarie humaine. C’est la méthode de la « corvée de bois ». Une méthode d’exécution sommaire par laquelle les soldats de l’armée française faisaient mine de libérer des prisonniers, avant de les exécuter. Le prisonnier se voyait rendre sa fausse liberté. Liberté, car il lui était permis de s’échapper. Fausse, car cela n’avait que pour conséquence sa mort : « Parmi les méthodes, il en était une, secrète, inavouée, mais en réalité assez connue pour terroriser l’adversaire, « la corvée de bois ». L’armée française l’a pratiquée en notre nom à tous, au nom de la République. On a vu des unités régulières, des sections, emmener en pleine campagne un groupe de « prisonniers de guerre » ou de simples « suspects » pour effectuer une corvée de bois, et là, faire mine de leur rendre la liberté, de les laisser partir, et puis de les abattre – comme les lapins de la Règle du jeu, de Renoir – ou, dans d’autres cas de figure, de leur faire creuser leur tombe avant de les achever, ou de leur tirer dessus parce qu’« ils tentaient de fuir ». [Jean Sprecher – à contre-courant – 2000]
Entre 1956 et 1957, Georges Garié est appelé en Algérie, dans le cadre de son service militaire en Kabylie. Un demi-siècle plus tard, il écrit des poèmes qui lui servent de thérapie et de support afin de témoigner auprès des plus jeunes de sa région : l’Occitanie. Afin de transmettre au mieux ses écritures et, par là, ses mémoires, nous avons décidé de réciter et d’illustrer ce troisième poème afin d’avoir ce rendu vidéo, et lui donner ainsi une seconde vie.
https://recitsdalgerie.com/corvee-de-bois-un-poeme-de-georges-garie/
Arrêtez
Arrêtez
Arrêtez de célébrer des fantômes
Arrêtez de célébrer des dates
Arrêtez de célébrer l’histoire
La jeunesse trop jeune à votre goût
Insouciante et consciente
Sait
Depuis le temps que vous battez le rappel
Des souvenirs le Soldat Inconnu le Mausolée de X
Le machin de Y le cimetière de Z
Depuis le temps que vous écrivez les jours
Du calendrier avec du sang coagulé
Délayé
Délayé par les circonstances de la Circonstance
Ce sang coagulé
Venin de la haine
Levain du racisme
Je suis né en Allemagne nazie et moi en Amérique
Noir et moi en Afrique basanée et moi je suis
Pied-noir et moi Juif et moi on m’appelait Bicot
On en a marre de vos histoires et vos Idées
Elles
Rebuteraient tous les rats écumeurs de poubelles
Elle
N’oublie jamais la jeunesse malgré
Sa grande jeunesse mais
Elle a horreur des horreurs
Et les enfants d’aujourd’hui
Et ceux qui naîtront demain
Ne vous demandent rien
Laissez-nous laissez-les vivre
En paix
Sur cet îlot de l’univers
L’univers seule patrie
Arrêtez de célébrer des noms
Arrêtez de célébrer des fantômes
Arrêtez de célébrer des dates
Arrêtez de célébrer l’histoire...
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Rédigé le 02/11/2021 à 20:01 dans Culture, Guerre d'Algérie, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Un ncien d'Algérie, a souhaité que la chanson ci-dessous soit diffusée dans notre Blog, c'est avec plaisir que nous l'insérons.
L'ALGERIE
Sur l'air de Fais du feu dans la cheminée je reviens chez nous
Refrain : Algérie, pays de Soleil, nous n'oublions pas
Ceux qui sous le bleu de ton ciel sont tombés là-bas.
Quand le bateau quittait Marseille
Longeant l'îlot du château d'If
Rassemblés sous le chaud soleil
Tous sur le pont restaient pensifs
Ils partaient pour une aventure
Un autre monde, une autre terre
Présentaient tant d'incertitudes
De l'autre côté de la mer.
Débarqué sur le sol d'Afrique
Chacun rejoint son unité
Il faut faire oeuvre pacifique
Maintenir l'ordre, le restaurer
Sur la frontière Tunisienne
Dans les Aurès, comme à Alger
Jusqu'aux oasis sahariennes
Dans le Djebel, dans l'Oranais.
Pour pacifier le territoire
Ils partent en opérations
Le fellagha dans la nuit noire
Sème la peur, la désolation
Le feu nourri d'une fusillade
Stoppe soudain la progression
Le convoi tombe en embuscade
Des deux côtés, des jeunes mourront.
Sur le bateau qui rentre en France
On dit adieu à l'Algérie
Remerciant Dieu d'avoir la chance
De revenir dans son pays
Quand Notre Dame de la Garde
Se montre enfin à l'horizon
C'est la joie et parfois les larmes
On rentre enfin à la maison.
Cette chanson a été composée par L'Abbé Guy Herbreteau, prêtre de Vendée.
https://www.dailymotion.com/video/xoj8kz
ALGÉRIE.
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Une guerre sans front
La vraie guerre quand même
Par des héros sans nom,
A l’âge des « je t’aime ».
Ils ont dormi longtemps, ces maux de l’Algérie,
Comme un bruit défendu, un flot que l’on charrie.
Nous étions jeunes alors, nous étions au printemps.
Notre automne est venu : de parler il est temps.
Un siècle avait coulé où nous étions les maîtres,
Ce jour de la Toussaint vint secouer nos êtres.
O le déchirement du bateau qui partait !
Entre le ciel et l’eau l’inconnu s’apprêtait.
Au-delà des ses peurs chacun a trouvé place
Et les coeurs ont battu et vieilli les audaces.
Le premier blessé, le sang qu’on a frôlé,
Les retours de nos morts, les cris des rappelés !
Si l’on fait le bon cidre en broyant tant de pommes,
Quel fut le résultat... en broyant tous ces hommes ?
Les rires ou colères ont-ils vu augmenter,
Avec notre amitié, la part d’humanité ?
Tandis que cheminaient nos consciences et l’Histoire,
Dans la brume de guerre, s’emplissaient nos mémoires.
Puis nous avons connu, au milieu des périls,
Le non des transistors aux félons de l’Avril.
Vint un signe de l’eau : Evian, pour le silence,
Pour des soupirs de mère et le retour en France.
Certains ont cru ce jour aube de libertés
mais il menait encor à d’autres cruautés.
Autre guerre sans front
Mais la guerre quand même -
par des ombres sans nom
A l’âge des « je t’aime ».
.
.
Maxime Becque, (2 000) Ancien d’Algérie
.
.
.
Le printemps
vient de s’annoncer
Avec sa végétation verdoyante
Ils (les colonialistes) ont la voie libre à nos approvisionnements
Pour nous permettre de vivre à l’aise
L’appât de De Gaulle ne nous attire plus
Eisenhower en personne, ne peut nous convaincre
Nous approchons de la saison d’été,
Saison de sécheresse
L’affaire des « bleus) est annoncée,
Nos tombes sont toutes préparées.
En fait, il s’agit d’un complot,
Auquel même des chefs ont pris part
Nous y voilà ! c’est déjà l’Automne
La force de De Gaulle s’est mise en branle
Croyant (De Gaulle) Nous réduire par la force,
Eisenhower, s’est interposé
Au Sahara (désert), le pétrole a jailli
L’Amérique le convoite
L’hiver s’installe avec sa vigueur
Pénombre et étoiles se confondent
Que de forces (armées) ! Ils ont déversé sur nous
Y compris des paras (parachutistes)
Ils exterminent nos animaux domestiques
Au mousqueton et au garant (fusil)
Notre emblème national se hissera
Jamais, il ne se sera mis en berne
Il se pavanera à Alger, la capitale
Il gravira nos montagnes
Par le mérite de nos martyrs, il réapparaitra
Grace aussi aux larmes de nos veuves
.
Si Hadj Mohand Aini né en 1918
.
.
Nuit algérienne
.
La guerre faisait rage en terre algérienne,
Le djebel hostile dressait ses cimes nues,
La lune dans le ciel immobile et sereine,
Eclairait le désert de sa lumière crue,
Que coiffaient çà et là quelques rares palmiers,
Les armes des soldats, vigilance opportune,
Rappelaient les dangers à ne pas oublier !
Soudain la palmeraie, oasis de quiétude,
Résonna sèchement de rafales multiples,
d’une soirée troublée véritable prélude,
Des rebelles hardis nous avaient pris pour cible !
L’ambiance changea presque instantanément,
Les balles à présent sifflaient à nos oreilles,
Subirions-nous l’assaut qui semblait imminent,
Que chacun redoutait après des nuits de veille ?
L’alerte fut rapide et la réponse franche,
Des éclairs maintenant jaillissaient du fortin,
Semant la confusion, là-bas, entre les branches,
Et peut être la Mort, nous le saurions demain ?
Le ciel s’illumina de fusées éclairantes,
Causant à l’ennemi un désarroi certain ;
Elles montraient pour moi lenteur désespérante,
Avant de disparaître, ailleurs, dans le lointain !
Pour un temps plus de tirs, plus de coups menaçants,
Un silence imprévu autant qu’inexplicable,
Questionnement soudain, sans réponse, agaçant
Ennemis disparus ou desseins insondables ?
Pas plus tôt le fortin plongé dans la pénombre,
Un feu nourri reprit presque immédiatement,
Des rebelles tapis nous ignorions le nombre,
Nos soldats faisaient front très courageusement !
Je connus un moment de rare indécision,
Mesurant d’un seul coup dangers environnants,
Dans mon esprit troublé désordre et confusion,
Quand le présent requiert des ordres pertinents !
Fallait-il regagner les postes de combat,
Entourant la mechta pour plus de protection,
Ou rester dans nos murs, impérieux débat,
Subir possible assaut, lourde interrogation ?
Mon adjoint, vieux briscard rescapé d’Indochine,
Me tira, Dieu merci, de ce grand embarras ;
Nous resterions sur place et sans courber l’échine,
Ensemble et bien groupés poursuivrions le combat !
Quand le silence vint après de longs échanges,
Quand le désert reprit son aspect fascinant,
Mes hommes dont je veux chanter haut les louanges,
Retrouvèrent sang froid et calme impressionnant !
Seul je m’interrogeai sur la folie des hommes,
Sur la Guerre stupide et sur tous ses méfaits,
Elle qui de malheurs n’est jamais économe,
Aurai-je assez de voix pour mieux la dénoncer ?
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Sous-lieutenant Durando René ;
Aïn Bou Zenad, le 30 septembre 1960.
.
Mon Lt,
.
Pourquoi voyons-nous tant d’injustices et misères ?
Sur tous les continents des gens souffrent sur terre.
Chacun trouve mille raisons d’avoir raison
Car l’humain n’aime pas se remettre en question.
Sa fierté accepte mal les remises en cause
Malgré son savoir et les moyens dont il dispose.
Tares et mille boulets le freinent en son essor
Depuis la nuit des temps, il est frêle et se croit si fort !
.
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Fellagha mon frère,
Fellagha, mon frère, je te reverrai toujours
Dans la faible clarté du petit jour !
S'annonçait un beau jour d'hiver
Près du village de Zérizer.
C'était, si ma mémoire ne flanche,
Au lieu-dit de la « ferme blanche ».
Ô Fellagha, mon frère, je te revois tous les jours
Dans la faible lueur du petit jour !
Les chasseurs de Morritz t'ont tiré hors de la Jeep
Où tu gisais, mains liées dans le dos
Et le nez contre les rangers des soldats.
A quoi pensais-tu, pendant cet ultime voyage ?
A tes soeurs, à tes frères, à tes parents,
A ton épouse, à tes enfants
Restés seuls là - bas dans la mechta ?
Pensais-tu à tes compagnons d'infortune
Aux vies sauvées par ton mutisme,
Ou bien priais-tu, Allah ton Dieu ?
Un des soldats t'a bousculé jusqu'au milieu de la cour.
Le P.M a aussitôt craché sa salve mortelle.
Tu t'es affaissé sans un cri.
Dans un gourbi proche, des enfants,
Dérangés dans leur sommeil, se mettent à pleurer.
Une à une les étoiles s'éteignent
Dans le ciel sans nuage
La journée sera belle !
Ô Fellagha, mon frère, je te reverrai toujours
Gisant au milieu de la cour
Dans la faible clarté du petit jour.
A. Roulet, appelé du contingent.
.
extrait de « La vie de soldats bretons dans la guerre d'Algérie »
La guerre d'Algérie
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois, ta guerre.
Elle revenait te hanter souvent, les longs soirs d'hiver.
Je sens encore le parfum des orangers, la chaleur du désert,
Mais aussi les horreurs qui t'ont fait oublier tes prières.
J'étais enfant et j'écoutais tes récits, sagement,
Ils m'ont fait comprendre combien l'homme est un tyran,
M'ont donnés des frissons avant que j'ais l'âge de raison.
Les tortures, les gamelles, tirailleurs marocains, rations.
Tes mots raisonnent encore en moi, et j'ai vu ton regard,
Cent fois, mille fois tes yeux étaient repartis là-bas, hagard.
Des scènes indescriptibles, le goût de la mort te poursuivra
A jamais. Dépression post-algérie, les soldats ne parlent pas de ça.
Tu étais beau jeune homme et la vie devant toi, pleine de promesse,
Mais cette guerre t'a maudit, fait tourner la tête, rempli d'ivresse.
Je me demande parfois pourquoi les chants arabes me plaisent tant,
Quelques mots me reviennent aux senteurs des parfums d'orient.
Tu m'a si bien dépeint ce pays aux accents de velours,
Que tu as embrassé de tes bras de vingt ans avec amour
Après une longue traversée un cargo vous déversant
Ondée de jeune recrue à ces nouveaux vents grisants.
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois ta guerre.
Je n'ai d'elle que quelques photos et des récits les longs soirs d'hiver,
Où je t'écoutais sagement avec mon regard d'enfant, innocent.
Tes récits de l'enfer où tu t'en es sorti, psychologiquement, survivant.
.
.
.
Le combat algérien,
.
.
Alors vint une grande saison de l'Histoire
Portant dans ses flancs une cargaison d'enfants indomptés
qui parlèrent un nouveau langage
et le tonnerre d'une fureur sacrée
On ne nous trahira plus,
on ne nous mentira plus,
on ne nous fera pas prendre des vessies peintes
de bleu,de blanc et de rouge
pour les lanternes de la Liberté :
Nous voulons habiter notre nom
vivre ou mourir sur notre terre mère.
Nous ne voulons pas d'une patrie marâtre
et des riches reliefs de ses festins.
Nous voulons la patrie de nos Pères
la langue de nos Pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes.
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent,sans mémoire et sans avenir
Ici et maintenant
nous voulons vivre
libres à jamais sous le soleil,dans le vent
la pluie ou la neige,
au sein de notre patrie:l'ALGERIE.
.
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Jean El Mouhouv AMROUCHE,
née le 7 février 1906 à IGHIL ALI (Petite Kabylie), décédé le 16 avril 1962
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SERMENT
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Je jure sur la raison de ma fille attachée
hurlant au passage des avions
Je jure sur la patience de ma mère
Dans l' attente de son enfant perdu dans l' exode
Je jure sur la bonté d Ali Boumendjel
Et le front large de Maurice Audin
Mes frères mes espoirs brisés en plein élan
Je jure sur les rêves généreux de ben M' Hidi et d' Inal
Je jure sur le silence des villages surpris
Ensevelis à l' aube sans larmes sans prières
Je jure sur les horizons élargis de mes rivages
A mesure que la plaie s' approfondit hérissée de larmes
Je jure sur la sagesse des moudjahidines maîtres de la nuit
Je jure sur la certitude du jour happé par
la nuit transfigurée par l' aurore,
Je jure sur les vagues déchaînées de mes tourments
Je jure sur la colère qui ,embellit nos femmes
Je jure sur la haine et la foi qui entretiennent la flamme
Que nous n' avons pas de haine contre le peuple français.
,
,
Bachir HADJ ALI
ALGER le 15 décembre 1960.
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Rédigé le 27/10/2021 à 14:40 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
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