Je me rappelle cette nuit d’orage Entouré de mon père et de ma mère En exil dès mon jeune âge J’ai préparé mes affaires Pour mon premier voyage M’exiler au-delà des mers Je revois d’ici mon village Et tous ceux qui me sont très chers Pour moi ce paysage Est le préféré de la Terre
L’Algérie, mon beau pays Je t’aimerai jusqu’à la mort Loin de toi, moi je vieillis Rien n’empêche que je t’adore Avec tes sites ensoleillés Tes montagnes et tes décors Jamais je ne t’oublierais Quel que soit mon triste sort
Seul, je me parle à moi-même J’ai failli à mon devoir J’ai mené une vie de bohème Et vécu dans le cauchemar Quand je chante ce poème Je retrouve tout mon espoir
L’Algérie, mon beau pays Je t’aimerais jusqu’à la mort Loin de toi, moi je vieillis Rien n’empêche que je t’adore Avec tes sites ensoleillés Tes montagnes et tes décors Jamais je ne t’oublierais Quel que soit mon triste sort
Tu es plus libre que tes geôliers. Roman de Jamila Rahal. Casbah Editions, Alger 2022. 478 pages, 1.100 dinars
Un simple roman ? Non. C'est un roman historique et non un livre d'histoire ou une autobiographie; tous les personnages sont fictifs mais... et ce, même s'ils évoluent dans un contexte historique bien déterminé, qui est celui de l'Algérie coloniale (1890-1954). La matière historique évidemment, c'est le matériau essentiel, le fil conducteur pour construire ce récit romanesque.
En fait, le volet réel consiste en des évènements très importants survenus à l'époque, comme la conscription obligatoire des musulmans en 1912, les Guerres mondiales 1ère et 2ème, avec leur sinistre épilogue du massacre des Algériens du 8 mai 45, le crash boursier de Wall Street, la montée du mouvement national avec toutes ses couleurs jusqu'à l'explosion finale du 1er Novembre 1954. Tous ces évènements ont impacté les personnages de trois familles, les Hassar, les Lassaci et les Senhadji, décrites certes avec sympathie mais tout en restant critique à l'endroit de certains comportements.
Ces familles -du moins les membres les plus impliqués dans le combat anticolonialiste- ont elles-mêmes «croisé» ou «connu», ici et là, à Tlemcen, à Nedroma, au Maroc, en France, et au «Cham» souvent lors d'exils forcés, les personnages politiques nationales de l'époque dont Messali, Abbas, Ben Badis... L'autrice précise que ce travail «colossal» et l'écriture lui ont pris trois ans dont une bonne partie a été consacrée à la recherche documentaire. On la croit à la lecture du livre.
L'Auteure : Née à Berkane (Est marocain). Etudes à Saïda et à l'université d'Oran. A touché plusieurs secteurs de la culture et de la communication : l'organisation d'événements, le journalisme, l'édition, l'écriture pour la jeunesse... Premier roman.
Extrait : «La France savait cacher ses actes les plus infâmes par des termes passe-partout» (p 346), «Il paraît que c'est pour avoir le contrôle sur les FFL que de Gaulle a décidé de les intégrer dans l'armée régulière. Contrôler, mais aussi flatter l'amour-propre des Français non ? C'est mieux pour leur ego de se dire que leurs libérateurs sont des soldats bien blancs et non des noirs et des basanés» (pp 346-347).
Avis : Un «pavé» de 478 pages et un titre qui pourraient rebuter et/ou prêter à confusion, l'ouvrage étant, surtout, chargé d'Histoire, les sagas familiales qui s'entrecroisent et se mêlent servant de «carburant».
Une formule assez nouvelle et que le public pourrait apprécier. Surtout lorsque le texte est écrit avec grâce et clarté. On sent l'amour de l'écriture et de la précision.
Citations : «Dépossédés de leur bien le plus précieux (note : la terre), ils devinrent une poussière d'individus» «(p 59), «Lorsqu'on a tout juste vingt ans et que la vie n'est encore qu'une promesse, comment consentir au don de soi si le sens des choses se perd ?» (p. 71), «Il y a eu plein de petits pas, petites demandes, petites pétitions, petites protestations... nous avons donné nos vies pour demander quoi ? Un peu de justice pour nous, un traitement, un peu moins inégalitaire, une représentation parlementaire, un peu plus conforme à la réalité démographique.
Qu'avons-nous obtenu ? Rien» (p.176), «Si l'amour et la bonté irradient de façon naturelle, la noirceur, elle reste tapie dans les recoins les plus secrets» (p 215), «Comme toujours, ce ne sont pas les héritiers qui posent problème mais ceux qui se tiennent derrière eux» (p.445).
Les Nadis de Tlemcen. Des noms et des lieux à l'aube du XXe siècle. Essai de Benali El Hassar, Anep Editions, 2019, 239 pages (dont un cahier photos de 14 pages. (non indiqué en p 4 de couverture) (Fiche de lecture
déjà publiée. Pour rappel)
C'est un peu l'histoire de Tlemcen, mais c'est aussi l'histoire de toute une région, de tout un pays à travers le mouvement des «Jeunes» politisés -à Tlemcen, peut-être bien plus qu'ailleurs- lesquels, dans leurs nombreux cercles ou nadis de la ville, porteurs d'idées neuves, épris de connaissances, au cœur de problématiques modernes, ont permis -s'opposant parfois sinon souvent aux «anciens», mais en toute démocratie- la libération de la parole.
Les « Nadis» : des refuges presque effacés de notre histoire, alors qu'ils représentent un moment clef de la politisation et de l'apport des idées nouvelles des «Jeunes».
Rien qu'à Tlemcen, il y en eut plusieurs au début du XXe siècle: du salon littéraire au nationaliste et au progressiste en passant par le néo-conservateur, l'identitaire, le communiste, le religieux conservateur, le libéral, le patriotique... retrouvés parfois dans d'autres villes du pays (exemples de Constantine, Alger...), tous encore aux noms flamboyants. Bien sûr, cela avait été facilité par l'existence d'un circuit ancestral, celui des «masriya», lieux mythiques séculaires, îlots au cœur de chaque quartier de la vieille médina où l'on se réfugiait entre soi offrant traditionnellement le cadre de rencontres où le moindre fait du jour, la moindre parole est traquée, le soir, à l'instar des autres lieux mythiques comme les «fondouks» et les petites sociétés de groupe dans les cafés.
Plusieurs fortes personnalités vont émerger, prenant une part active à la création des premières cellules de l'ENA puis du PPA, premiers frémissements du mouvement révolutionnaire. De la politique, toujours sous couvert de littérature, d'art, de sport, d'actions caritatives car, toujours sous l'œil vigilant de l'administration coloniale prête à la répression et à l'interdiction au moindre faux pas détecté. La représentation d'une véritable société civile indépendante. Tout un art perdu au début des années 60, balayé par la «pensée unique» du parti unique.
A noter que l'ouvrage met en relief l'action d'un personnage culturellement et journalistiquement flamboyant de la première moitié du XXe siècle, Benali Fekar (juriste, économiste, politologue..., bardé de diplômes), ainsi d'ailleurs que son frère Larbi (instituteur) qui créèrent à Oran (le 3 juin 1904) le premier journal Jeune Algérien, «El Misbah» (La Lanterne ou Le Flambeau), un organe de presse défendant les libertés comme un symbole de la libération des peuples. Un journal qui fut, peut-être, le premier non «officiel», non «indigénophile», non un «instrument» du pouvoir colonialiste, et surtout le premier à revendiquer le nom d' «Algériens», avec une ligne éditoriale axée sur «l'instruction, fer de lance pour la libération de l'homme algérien». Il cessera de paraître le 17 février 1905 après trente quatre numéros.
L'Auteur : Né à Tlemcen en 1946. Journaliste, ancien responsable du bureau Aps de Tlemcen. Auteur de plusieurs essais politiques et historiques. Nombreuses contributions dans la presse.
Extraits : «Le temps des «Jeunes» avait ses similitudes partout dans les milieux de la nouvelle génération post-colonisation en Egypte, en Tunisie... Les cercles faisaient partie du quotidien, des vieilles médinas. Le temps des cercles fut considéré partout comme un grand moment de résurrection dans les pays arabes sous hégémonie occidentale, c'est-à-dire interdits d'institutions représentatives permettant l'accès à la parole politique» (p.59), «La chronique des «nadis» a marqué de son sceau un stade d'évolution dans la société. Elle créa une atmosphère politique et intellectuelle donnant la chance à de nombreux talents d'émerger dans les domaines de l'art et de la littérature» (p.77), «Cette génération nouvelle, autrement formatée, qui avait l'obsession du temps, de la rigueur morale et de la rationalité, commençait à avoir un nouveau regard sur l'islam, desserrant l'étau des conformismes et réinventant l'esprit critique. Au milieu d'un puritanisme ambiant, elle était favorable à une réinterprétation des principes juridiques fondamentaux à la lumière des temps modernes» (p 95).
Avis : Un travail de recherche et d'investigation minutieux et riche qui recrée toute une atmosphère, qui redonne vie à toute une époque et qui rend justice aux efforts culturels et à l'engagement politique de toute la jeunesse d'alors. Ecriture un peu difficile, mais ne pas se décourager.
Citations : «Dominant la langue, les concepts à forte connotation idéologique : «assimilation», «émancipation» n'ont cessé de changer de sens, installés progressivement dans l'argumentation idéologico-politique coloniale. Transformés en symboles, ces thèmes ont été utilisés pour donner des habits à la colonisation» (p.9), «La mouvance des «Jeunes» dans les cercles n'était pas une force organisée, mais une sensibilité innovante, un peu révolutionnaire, par rapport à l'esprit encore trop conservateur de l'époque» (p.53), «La modernité recherchée est celle qui libère l'homme et lui donne une identité nouvelle à travers l'expression de sa dignité, son savoir, son humanité orientée vers le progrès, dans le paysage contemporain novateur» (p.154), «La religion musulmane ne s'oppose pas au progrès, le seul et unique obstacle consiste en l'ignorance profonde dans laquelle sont plongés les musulmans depuis plusieurs siècles. C'est cette ignorance qui est la source de tous leurs maux» (p 188). Benali Fekar cité, in «L'usure en droit musulman», Lyon 1908).
C’est une marâtre patrie Sa berceuse est un chant de guerre, Elle t’envoie risquer ta vie Ou pieusement au cimetière.
On t’a dit que c’est pour la France, Pour lui garder ses colonies, Ceux qui ont dit ce qu’ils en pensent Ont eu pour bagne Timfouchi !
Enfin la Quille, merci la chance, Tu revois ceux de ton pays, On te donne droit au silence : « T’es de retour, place à l’oubli ! »
Puis viendront ceux qui font l’Histoire, Ceux-là qui savent commenter Sans l’avoir vécu, tes histoires Qu’ ils n’ont d’ailleurs pas écoutées.
Pierre Mens Citoyen du Monde Ancien appelé opérationnel en Algérie en 1958-59 Témoin de la barbarie du monde en guerre et de la hautaine indifférence de ceux qui n’y allaient pas…
mercredi 6 avril 2022, par Michel Berthélémy
http://www.4acg.org/La-4acg-a-aussi-ses-poetes
.
Arrêtez
Arrêtez de célébrer des fantômes Arrêtez de célébrer des dates Arrêtez de célébrer l’histoire La jeunesse trop jeune à votre goût Insouciante et consciente Sait
Depuis le temps que vous battez le rappel Des souvenirs le Soldat Inconnu le Mausolée de X Le machin de Y le cimetière de Z Depuis le temps que vous écrivez les jours Du calendrier avec du sang coagulé Délayé Délayé par les circonstances de la Circonstance Ce sang coagulé Venin de la haine Levain du racisme Je suis né en Allemagne nazie et moi en Amérique Noir et moi en Afrique basanée et moi je suis Pied-noir et moi Juif et moi on m’appelait Bicot On en a marre de vos histoires et vos Idées Elles Rebuteraient tous les rats écumeurs de poubelles Elle N’oublie jamais la jeunesse malgré Sa grande jeunesse mais Elle a horreur des horreurs
Et les enfants d’aujourd’hui Et ceux qui naîtront demain Ne vous demandent rien Laissez-nous laissez-les vivre En paix Sur cet îlot de l’univers L’univers seule patrie
Arrêtez de célébrer des noms Arrêtez de célébrer des fantômes Arrêtez de célébrer des dates Arrêtez de célébrer l’histoire...
La fiction romanesque dans laquelle nous installe l’auteure avec une plume à la fois fiévreuse et mélodieuse, puisque les chapitres sont constamment émaillés de longs passages poétiques, décrit les rapports tumultueux d’un couple.
Ecriture de femme par excellence, entourée comme un rouleau de parchemin de fines et élégantes pensées à l’endroit de la vie et des hommes, pour lesquels elle se lie d’affection ou d’amour, le dernier roman de Nadia Sabkhi se lit comme une sonate au clair de lune dont les notes viendraient s’égrener au fil des cruels déchirements sociaux de la sanglante décennie noire sur laquelle revient en leitmotiv le roman avec une touche qui affiche sans ambages des idées féministes que l’auteure dissémine dans le texte. Les sanglots de Césarée pleurent avec l’âpre amertume du présent le passé flamboyant de la ville de Cherchell, le royaume numidien qu’avaient instauré sous son règne Juba II et sa femme Cléopâtre Séléné. Ils sont surtout un dernier rappel à la splendeur d’une histoire antique dont il ne reste que les vestiges de sculptures en marbre ou en bronze dans un musée qui témoigne aujourd’hui encore, malgré les aléas du temps, d’une époque florissante. La fiction romanesque dans laquelle nous installe l’auteure avec une plume à la fois fiévreuse et mélodieuse, puisque les chapitres sont constamment émaillés de longs passages poétiques, décrit les rapports tumultueux d’un couple. Au sortir d’un bus qui la conduit à l’université où elle suit des cours d’archéologie, Lyna fait la connaissance d’un officier militaire pas comme les autres, Racym, qui aime lire Gandhi et Omar Khayyam. Ces derniers tombent immédiatement sous le charme de la passion amoureuse et ne tardent pas à se marier six mois plus tard. Passé les temps de leur première idylle et des ébats, le couple qui pourtant s’aime d’un amour sincère commence à déchanter car l’amère réalité politique et sociale a vite fait de les rattraper. Racym, qui fait partie d’une brigade antiterroriste, considère que leur bonheur est en sursis et ne veut pas avoir d’enfant. Lui l’orphelin qui n’a jamais connu ses parents ne désire qu’une chose, c’est d’accomplir son devoir envers sa patrie au risque de briser son couple. Ce qu’il voit cependant dans l’enfer des tueries fanatiques le désole au plus haut point, il devient agnostique et il se met à boire et à fréquenter les cabarets après chaque mission périlleuse et finit par une blessure importante à la poitrine après avoir éliminé avec la troupe d’hommes qui l’accompagne un dangereux chef terroriste. Mais le personnage de Lyna, la déesse rebelle mais aussi la colombe fragile qui est la voix principale du roman, est celui qui quête l’absolue vérité de l’existence dans les méandres tragiques du présent, elle se cramponne contre vents et marées aux souvenirs de son enfance passée avec sa demi-sœur Rasha, près d’un père aimant, un musicien amoureux du malouf qui est en réalité un Juif sépharade. Pour dépasser la mésentente de son couple, elle se perd dans ses recherches archéologiques entre Alger et Cherchell, un travail qui donne finalement un sens à sa vie et accepte de voyager au Portugal pour retrouver son amour de jeunesse Tariq, avec lequel elle partage des textos enflammés de mots d’amour. Mais survient Aissam, l’enfant de cinq ans à peine que retrouve Racym comme un miraculé et seul survivant d’un massacre terroriste, et qu’il prend chez lui pour l’adopter. Le couple se retrouve à nouveau autour de l’affection qu’il prodigue tous les deux à cet enfant, ange captif dans un film d’épouvante retrouvé gisant auprès des corps inanimés de sa famille. Si l’enfant qui s’est bien intégré dans sa nouvelle famille échappe à la folie, il n’en demeure pas moins que Lyna et Racym qui s’enlise dans la dépression n’ont plus rien à partager. La noirceur du réel qui accable les hommes qui se transforment en ombres et fantômes finit par tuer pour ainsi dire les derniers sursauts d’amour du couple. Parallèlement à l’héroïne du roman gravite dans cette fiction un autre personnage féminin qui est celui de Rasha, la demi-sœur de Lyna qui obéit à une marâtre acariâtre qui la marie à un inconnu qui demande sa main. Ce dernier est obsédé par son corps et la viole puis la bat avec une sauvagerie inouïe et l’enferme à la maison. Celle qui prépare des études de droit se sauve chez ses parents et refuse de retourner avec cet homme monstrueux qui l’humilie et en fait une femme-objet. Elle est alors répudiée et finalement sauvée des griffes de son tortionnaire de mari. Les sanglots de Césarée, qui tout en faisant l’éloge de la beauté féminine qui transparaît plusieurs fois dans le texte comme celle des antilopes, comporte de beaux passages de poésie qui sont là pour éclairer la narration, comme une sorte de musique intérieure qui accompagne ces vacarmes du silence, ces sanglots pour humanité que le destin a atteint de ses cruels dards pour la sacrifier sur l’autel de la souffrance et du crime. Nadia Sabkhi nous entraîne dans des moments plus vifs que la douleur pour nous raconter une vie de femme comme un talisman caché au tréfonds de sa mémoire. Lynda Graba
Sabkhi Nadia, Les sanglots de Césarée aux éditions L. de minuit, 219 p, Alger 2012
Mon Islam, ma liberté. Essai de Kahina Bahloul. Koukou Editions, Alger 2022. 199 pages, 1500 dinars
Certes, c'est la première femme imame à diriger une mosquée en France (son premier prêche a été donné en février 2020... juste avant que le président Macron ne lâche le nouveau terme de «séparatisme»... («Encore un énième reproche qui vient rallonger les tristes qualificatifs accolés à ma religion ces dernières décennies...» (p173), mais ce n'est pas une première dans l'histoire. Dans plusieurs recueils de la tradition prophétique des hadiths, on rencontre une femme imame, Oum Waraqa. On a plusieurs imams femmes dans les pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Angleterre, Danemark, Allemagne...) mais aussi en Chine... depuis le XVIIIe siècle.
C'est la voie choisie par Kahina Bahloul. Diriger les prières et enseignante au niveau d'une mosquée n'est pas chose aisée. Peut-être même à la limite dangereuse. Au minimum, elle recueillera critiques et insultes quand ce ne sont pas des menaces. Heureusement, elle est à la hauteur de son prénom et de la maîtrise de ses classiques religieux. Avec une grande préférence pour l'œuvre d'Ibn Arabi («Al-Futûhât al-Makkiyya» et «Turjuman Al Ashwaq»), le grand mystique andalou (dont le plus célèbre et le plus fidèle interprète a été l'Emir Abdelkader et ceci transparaît dans l'universalisme et l'humanisme qui caractérisait ses écrits, sa spiritualité et son action d'homme politique). Bref, le soufisme.
Le soufisme a, globalement, une opinion favorable des autres religions en raison de chaque individu de sa vision libérale. Il accorde, en outre, une importance primordiale à l'expérience intérieure de chaque individu et privilégie une approche relativement non dogmatique de la religion musulmane.
L'Auteure : Première femme imame en France. Née d'un père algérien de Kabylie et d'une mère française, elle a grandi en Algérie au plus près de la montée de l'intégrisme islamiste (1991-2002). Spécialiste de la mystique musulmane et plus particulièrement de l'œuvre d'Ibn Arabi, elle décide de s'engager plus activement à la suite des attentats terroristes (en France) de 2015. Elle fonde en 2019 la mosquée Fatima d'inspiration soufie ouverte aux femmes... voilées ou non.
Table : Introduction/ Première partie : Le retour aux sources/ Deuxième partie : Pour une réforme aujourd'hui/Troisième partie : Pour un Islam spirituel/ Conclusion/ Notes/ Bibliographie.
Extraits : «L'islam aujourd'hui plus qu'à toute autre époque se caractérise par une inflation des lectures normatives centrées sur l'interdit et le permis, l'amputant ainsi de toute dimension spéculative ou mystique (p37), «Ce qui pose problème aujourd'hui, ce sont les lectures patriarcales du texte sacré, faites par des hommes ayant évolué dans des traditions misogynes où le rôle de la femme se limite à la sphère domestique (p114), «Le soufisme, courant spirituel de l'islam, a globalement une opinion favorable des autres religions en raison de sa vision libérale» (p137).
Avis : Pour un Islam moderne et libéral. Pour un Islam affranchi des peurs et des scléroses...C'est ce que l'on retrouve dans cet ouvrage franc, courageux et précis dans ses démonstrations.
Citations : «La foi ne s'hérite pas, elle s'acquiert, elle s'embrasse de plein gré, par un assentiment profond du cœur .Il n'y a rien de plus exigeant vis-à-vis de la liberté que la foi. Elle ne supporte ni contrainte ni coercition» (p10), «Sans le doute, aucun processus de recherche ne peut être entamé, que rien ne peut être désiré et découvert (...) Le doute et le questionnement suscitent, alimentent et renouvellent la foi à chaque instant, ils la gardent vivante et en mouvement» (p13), «Isoler la cause féministe des autres combats humanistes est souvent un prétexte pour les disqualifier» (p93), «Le discours des intégristes est un discours totalitaire et essentialiste. S'il y a une seule femme sorcière, elles le deviennent toutes...» (p118), «Ne demandez jamais quelle est l'origine d 'un homme, interrogez plutôt sa vie, ses actes, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est» (Emir Abdelkader cité, p 163).
Depuis deux ans, Kahina Bahloul exerce en libéral, loin des conservateurs. Elle présente aujourd'hui, dans un livre, sa vision d'un islam des lumières. Rencontre éclairée.
par
Dorothée Werner
Un père kabyle, une mère française, une grand-mère juive polonaise et un grand-père catholique : Kahina Bahloul sait mieux que personne la richesse et la complexité d'avoir des origines mêlées. Enfant choyée par sa famille paternelle en Algérie, elle fut une étudiante ivre de liberté en débarquant à Paris. Depuis deux ans, cette fine islamologue de 42 ans a choisi de devenir imame libérale. Nourrie de spiritualité, cette républicaine pourrait être l'équivalent musulman de la rabbin Delphine Horvilleur . Tout comme Kahina Bahloul n'est pas reconnue par les représentants de l'islam de France, trop conservateurs, Delphine Horvilleur ne l'est pas non plus par l'autorité juive centrale de France. Cela n'arrête pas son chemin hors norme, bien au contraire. Dans « Mon islam, ma liberté », elle en fait le récit lumineux, sans l'ombre de la moindre complaisance envers tous ceux qui instrumentalisent l'Islam pour tuer ou asservir.
ELLE. Le titre de votre livre, « Mon Islam, ma liberté », est-il une provocation ?
KAHINA BAHLOUL. Non ! La spiritualité musulmane m'a libérée intérieurement. Je déplore que la religion musulmane soit devenue très normative, avec une inflation de règles et de prescriptions au détriment de la spiritualité, qui est son essence même, comme toute religion.
ELLE. Dans les années 1990, en Algérie, vous avez vécu la décennie noire du terrorisme islamique, qui a fait des centaines de milliers de morts. À 15 ans, quelle image aviez-vous de la religion ?
K.B. J'ai vécu un basculement entre celle que j'ai connue petite, basée sur l'éthique, les valeurs humanistes universelles de générosité et de solidarité, et celle dont se revendiquaient les intégristes religieux, notamment les Frères musulmans. J'ai assisté de l'intérieur à une transformation de toute la société algérienne, dans ses mœurs et ses comportements du quotidien. C'était un basculement dans l'extrême violence, dans l'horreur. Des villages ont été exterminés en une nuit, on a découvert des charniers, des puits remplis de centaines de cadavres…
ELLE. De quoi être plutôt dégoûtée de la religion, non ?
K.B. Oui ! Par la manipulation, ces gens parviennent à établir une grande confusion, tout en jouant sur la peur et la culpabilité. Ils s'arrogent le droit de dire : « Voici le vrai islam, sinon, vous êtes de mauvais musulmans. » L'islamisme s'exerce en premier lieu contre les musulmans eux-mêmes. Pour l'adolescente que j'étais, c'était un choc très déstabilisant, un vrai désarroi. Ceux qui tuent au nom de Dieu finissent par vous convaincre que cette religion est violente par essence. J'ai mis des années avant d'y voir plus clair.
ELLE. À 24 ans, vous prenez vos distances en venant poursuivre vos études de droit à Paris…
K.B. Oui, la seule chose dont j'avais envie était de partir, d'être une femme libre. À Paris, j'ai été ravie de pouvoir aller me promener, prendre un train sans rendre de comptes. Je me suis délectée de cette liberté ! Se sentir libre de son corps, porter un short quand il fait 35 degrés, c'est génial aussi. J'ai connu une Algérie sans voile . Je n'en ai jamais porté, mais il fallait garder une certaine pudeur. Pas de minijupe, mais un maillot à la plage… Le rapport au corps de la femme était très compliqué, on passait de contradiction en contradiction.
ELLE. La mort de votre père a-t-elle été le déclic qui vous a fait redécouvrir votre religion ?
K.B. Oui. J'étais ravagée par le chagrin. Je questionnais le sens de la vie et de la mort, j'avais besoin de réponse. Je me suis intéressée au bouddhisme, à la philosophie… Pourquoi l'islam ne m'apportait-il pas de réponse ? Un jour, mon médecin, une femme chrétienne extraordinaire, m'a conseillé d'aller voir du côté du soufisme. Ce fut une révélation.
« CHAQUE FEMME DOIT POUVOIR GÉRER SON CORPS COMME ELLE EN A ENVIE »
ELLE. Comment définiriez-vous l'islam qui vous parle ?
K.B. On comprend souvent le soufisme comme une branche dissidente de l'islam, voire opposée à l'islam. En tant qu'islamologue et spécialiste de la mystique musulmane, je sais que c'est faux. Depuis le début, c'est la dimension spirituelle de l'islam, l'essence de la pensée musulmane.
ELLE. Pourquoi écrivez-vous : « J'ai du mal à me définir comme féministe » ?
K.B. Je me considère comme humaniste. Je ne comprends pas pourquoi, quand on revendique plus de justice pour les femmes, on éprouve le besoin de les faire sortir du genre humain et d'en faire une catégorie à part. Le féminisme est un humanisme inclusif : si la justice doit être rendue aux femmes, c'est au nom de leur humanité, tout simplement !
ELLE. Comment comprenez-vous le retour du voile en France, souvent volontaire de la part des jeunes filles ?
K.B. J'explique dans mon livre à quel point l'évolution de cette question est complexe. Dans les années 1990, en Algérie, les femmes se sont mises à se voiler sous l'influence des islamistes qui veulent faire croire que le voile est une obligation religieuse. Derrière cette fausse croyance, il y a une vision misogyne et exclusive de la femme. Dans ce système de domination patriarcale, elle est considérée comme un corps à maîtriser. En France, on ne peut pas séparer le retour du voile de l'influence intégriste. Mais beaucoup de celles qui décident de le porter n'adhèrent pas à cette pensée et le considèrent plutôt comme un marqueur identitaire. Des intégristes comme Tariq Ramadan ont beaucoup joué sur cette ambivalence.
ELLE. Que pensez-vous des femmes « féministes islamiques » ?
K.B. Cela me gêne. Sortir la femme musulmane des autres femmes me semble problématique. En tant que femmes, nous avons toutes les mêmes préoccupations : pouvoir sortir la nuit en sécurité, être libres de notre corps, être respectées dans notre dignité. Cette désignation est une manipulation de l'islam identitaire, radical et politique. Ses défenseurs instrumentalisent les femmes, comme si leur corps était un sujet politique à gérer collectivement, par les leaders religieux. Non. Chaque femme doit pouvoir gérer son corps comme elle a envie.
ELLE. Que signifie pour vous être imame ?
K.B. La première imame a été l'Américaine Amina Wadud en 2005, puis la Danoise Sherin Khankan… il existe deux imames en France. Ma fonction est la même que celle d'une femme rabbin ou pasteur. Dans l'islam, il n'y a pas de notion de clergé, l'imam n'a pas une fonction sacrée, il anime des cérémonies religieuses et transmet un savoir.
ELLE. Cela fait deux ans que vous célébrez les offices du vendredi, pourquoi n'avez-vous toujours pas de lieu dédié ?
K.B. C'est compliqué. J'en profite pour lancer un appel ! On a du mal à trouver des salles à louer dans Paris, nous les finançons grâce au crowdfunding. Notre problème est lié à l'organisation de l'islam de France, qui est subventionné par des pays musulmans étrangers. Or ils ont une lecture de la religion conservatrice, parfois intégriste, et ne reconnaissent pas l'imamat libéral et féminin…
ELLE. Qui vient dans vos offices ?
K.B. Des jeunes, des personnes âgées, des convertis ou non, des curieux qui ont besoin de comprendre, ou d'entendre un discours moins archaïque… Depuis la pandémie, je fais des « live » sur Facebook. Ce que j'entends le plus est : « Merci de m'avoir expliqué ma religion. »
ELLE. Vous êtes insultée et menacée par des musulmans radicaux, et vous venez de sortir un livre. Avez-vous peur ?
K.B. Parfois, j'ai peur, bien sûr. C'est normal. Mais je reste très prudente, et je passe outre. Avec la peur, on ne fait jamais rien de sa vie.
ELLE. Comprenez-vous le rejet que suscite l'islam dans une société secouée par le terrorisme ?
K.B. La France a été meurtrie, je comprends que les Français soient horrifiés et qu'une première réaction soit le rejet. Mais on ne peut pas mettre tous les musulmans dans le même sac. Je regrette que l'on s'arrête à cette idée fausse et délirante, forgée par les islamistes eux-mêmes, que l'islam est violent et meurtrier par nature. Certains polémistes médiatiques comme Éric Zemmour en font hélas leur fonds de commerce. Réduire la richesse d'une religion et d'une civilisation vieille de quatorze siècles à cette idée, sous prétexte que quelques fous ont décidé d'aller se faire exploser en criant : « Alla-hou akbar », c'est abject. Avec mon livre, j'invite les lecteurs à être plus curieux et à découvrir l'islam des Lumières malheureusement méconnu, y compris par les musulmans eux-mêmes !
La boîte noire de l'Islam. Le sacré et la discorde contemporaine. Essai de Amin Zaoui. Tafat Editions, Alger 2018, 500 dinars, 155 pages. (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
Pas si drôle que ça, le titre de l'essai. Tragique même. Car un avion qui a perdu sa «boîte noire» est un appareil qui, de toute évidence, s'est écrasé, emportant avec lui, dans un «autre monde» la quasi-totalité, sinon la totalité de ses passagers.
Mais que s'est-il donc passé ? Depuis quelques siècles, en matière de religion en général et d'Islam en particulier, chacun y est allé de son approche, de ses analyses, de ses observations, de ses critiques... et, depuis quelques décennies, la cogitation n'a fait que croître.
Un phénomène naturel ! La disparition des colonialismes classiques alors bien visibles, l'apparition de substituts moins présents mais plus pernicieux comme la mondialisation, la globalisation... et, surtout, l'«invasion» des nouvelles technologies de la communication qui a entraîné de nouvelles formes de vie culturelle et cultuelle... Elles ont donc relancé les débats... puis des ««conflits» que l'on croyait oubliés ou à jamais enterrés, d'où de nouvelles interrogations et d'autres recherches, analyses et propositions. Des plus sérieuses aux plus farfelues. Des plus compréhensives aux plus intolérantes. Des plus pacifiques aux plus belliqueuses.
L'auteur, qui n'en est pas à sa première incursion en la matière, a emprunté (plutôt, a continué) une voie qui est, peut-être, la plus simple et la plus porteuse d'espoir d'un «vivre ensemble» selon sa foi, dans le respect de la loi... et surtout dans la tolérance et l'amour du prochain. Pour le plus grand bien-être de la collectivité.
Il n'y va pas par quatre chemins (et ce qui est le plus pédagogique quand on vise le plus large public) pour se (nous) sortir de la «boîte noire»: ne plus vivre en otage d'un côté par la chariâa et de l'autre par les ulémas de cette chariâa.
Pour lui, la chariâa islamique n'est autre que des interprétations temporelles (d'ailleurs contestées et sources de conflits et de différends, pour la plupart sanglants) des textes sacrés, des lectures controversées réalisées par des êtres humains. Des «Ulémas» (traduits par «Savants» bien qu'ils n'aient rien inventé, «moulins de la rhétorique»... ce qui a amené une historienne, je crois, à utiliser le mot de «Sachants»), certes... mais qui «avec le temps qui passe et l'ignorance qui s'installe» se sont métamorphosés en gourous.
Ajoutez-y les intrigues pour la subordination de la chariâa à la politique et aux politiciens au pouvoir (ou à sa prise) et l'on commencera à déchiffrer -difficilement et à v(n)os risques et périls- la «boîte noire».
Au total, plus d'une cinquantaine d'articles et autant de sujets. Des chroniques sociétales et cultuelles ? Des articles critiques ? Plus que ça. Des pensées (des «dits») raisonnées qui prennent leur source dans une vaste culture religieuse et une observation multi-directionnelle des terrains.
Quelques exemples: Le racisme («l'homme noir dans l'imaginaire musulman»), la «boîte noire de l'Islam» (une personne... Abou Hourayra), l'athéisme, le terrorisme, les musulmans, leur Livre et les livres, les imams, l'amour, le fatalisme (au pays d'inch'Allah»), le voile islamique, l'islamisation en Kabylie, les juifs maghrébins, le juste milieu, La Mecque, Le halal et le haram, le citoyen et le croyant, le corps féminin, l'école coranique, la poupée Barbie, patrie et religion, l'humiliation des femmes berbères... par un calife omeyade, la colonisation turco-ottomane (1515-1830), la haine (structurée et graduée... contre la femme, contre le juif, contre l'Occident, la laïcité, l'athée, le communiste, les droits de l'homme, le temps)...
L'Auteur : Né en novembre 1956 à Bab El Assa (Msirda/Tlemcen). Etudes primaires au Maroc, Lycée à Tlemcen, Université d'Oran, Docteur d'Etat à Damas, Enseignant de littérature puis Directeur du Palais des Arts et de la Culture d'Oran et de 2003 à 2008, Directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie (un «Âge d'or» selon moi, mais vite étouffé)... Écrivain bilingue (arabe et français), auteur de plusieurs ouvrages (des romans, des essais, un beau livre...) dont certains traduits dans plus d'une dizaine de langues... chroniqueur de presse...
Extraits : «L'époque des lumières de Tolède musulmane fut un exemple du «vivre ensemble». Dans cette ville, plutôt cette principauté, vivaient en harmonie les juifs, les chrétiens, les musulmans et non-croyants, faisant de leur cité un espace de respect et d'échange. Et cette vie en commun, avec sa diversité religieuse et culturelle, a engendré un mode de vie exceptionnel et harmonieux dans l'histoire de l'Andalousie musulmane» (p 21), «Critiquer l'islam radical, en Europe, cela signifie que vous êtes automatiquement taxés d'islamophobe... Critiquer l'islam radical en terre d'Islam, dans le monde arabo-musulman, cela signifie que vous êtes un aliéné» (p 22), «L'Algérie a vécu deux épreuves historiques consécutives : le mal de la colonisation orientale et celui de la colonisation occidentale. Notre peuple a goûté aux deux recettes !! Shawarma et Omelette !» (p 139), «Sans la réconciliation avec notre patrimoine local et universel de rationalité, le fanatique prendra le dessus par rapport à la critique, le féqih vaincra le philosophe, le charlatan battra le scientifique, l'hypocrisie voilera la sincérité » (p 144).
Avis : Un livre pamphlet écrit rageusement par un intellectuel vrai, bien ancré dans le réel... par un homme fidèle à son engagement et un auteur fidèle à son style. Avec une plaidoirie solidement argumentée et courageuse en faveur des valeurs de la citoyenneté («la religion commune dans une société moderne»)... avant tout... «la patrie étant plus vaste que la religion».
Sur le plan de la forme, beaucoup de coquilles. Dommage ! Ce qui est certainement dû à une certaine précipitation dans l'édition... et les auteurs devraient automatiquement et sans complexe s'astreindre (ou demander) l'épreuve des corrections avant tout B.a.t et impression.
Citations : «L'athéisme est le miroir fidèle de la foi. Il n'y a pas de foi sans la présence de l'athéisme. Une présence chez l'individu ou dans le collectif. L'athéisme n'est pas l'équivalent de l'égarement ou de l'erreur. Il est l'image humaine d'un état de questionnement éternel» (p 19), «Dans la religion des salafistes, on parle beaucoup de sexe, mais rien sur l'amour» (p 44) , «Dieu n'habite pas La Mecque ; il habite les cœurs pleins d'amour et d'adoration» (p 73), «Lire, c'est chercher à multiplier sa vie individuelle par le nombre de livres lus» (p 77), «Dans le monde arabo-musulman, la seule guerre qui, depuis quinze siècles, arrive à faire rassembler tout le monde, c'est celle déclenchée contre la femme» (p 93), «Notre société a perdu l'islam en adoptant l'islamisme» (p 124), «Si l'Histoire est un rouleau compresseur, les intellectuels sont les faiseurs de cette Histoire. Par la raison, par la lumière, par la science, ils font bouger les lignes de l'interdit, reculer la zone de l'ignorance et de la peur et élargir le champ de la liberté de pensée» (p 129), «La société arabo-musulmane vomit tout respect à la notion du temps. Elle n'a aucune estimation, aucune considération pour le temps, parce que le temps est lié au travail, parce que le travail est lié au capital, parce que le capital est l'image du juif et de l'Occident athée...» (p 152).
Amin Zaoui : «Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique»
Posté le 02.08.2018
Dans cet entretien, Amin Zaoui revient sur son essai «La Boîte noire de l’islam», paru récemment aux éditions Tafat, dans lequel il aborde la question très actuelle du sacré. Dans ses textes, il défend des thèmes chers à son cœur, notamment la liberté et le vivre-ensemble.
Reporters : Vous avez publié chez Tafat un nouveau recueil de chroniques intitulé «La Boîte noire de l’Islam» orienté vers les questions liées au sacré. Cela est-il en lien avec l’actualité de l’Algérie et du monde ou les raisons sont ailleurs ?
Amin Zaoui : Avant de le publier sous forme de chroniques, «La boîte noire de l’Islam» fut d’abord un avant-projet de livre. En le publiant, en partie, sous forme de chroniques, je voulais le faire connaître auprès de mes lecteurs «journalistiques» avant de le faire sortir en volume livre/librairie, aux éditions Tafat. Le sacré est une problématique qui me hante, sur le plan philosophique comme sur le plan littéraire romanesque. Le charlatanisme religieux et politique, profitant de la naïveté des citoyens, exploite le sacré pour faire passer ses messages et atteindre ses abjects objectifs. Dans une société où la culture de la raison est absente ou agonisante, où la pluralité culturelle et religieuse sont bafouées, le charlatan devient un intellectuel et le charlatanisme une religion. Le mal de cette société vient de cette exploitation du sacré par les hypocrites religieux et politistes. Et c’est le rôle des écrivains et des intellectuels éclairés de s’attaquer à ce commerce religieux illicite. Je suis convaincu que notre problème, en Algérie, n’est pas économique, mais plutôt civilisationnel et culturel. La religion est utilisée comme moyen pour éloigner le citoyen de sa réalité. La religion est la drogue la plus efficace pour endormir une société.
La charia serait, selon vous, cette «boîte noire de l’islam» qui l’aurait «vidé de sa spiritualité et de son ouverture», pourquoi ?
Dans «La boîte noire de l’Islam», j’ai imaginé l’islam comme un avion qui a chuté dans les eaux profondes d’un océan, un vieil avion de quinze siècles sans pilote! Et afin de comprendre les conséquences de ce crash, j’ai ouvert la boîte noire que j’ai trouvée dans les textes religieux et dans l’histoire de ces textes. J’ai lu, j’ai essayé de décoder le message qui explique cette chute catastrophique. Ainsi, j’ai essayé d’interpeller le pourquoi de «la haine islamique envers la femme», le pourquoi de «la violence islamique», le pourquoi de ce «sang islamique», le pourquoi de «la phobie de l’autre»… Effectivement, la charia est un ensemble de textes politiques avec une rhétorique religieuse. La charia est une explication politique saisonnière dont le but est de jeter la société musulmane dans une prison au nom des lois islamiques bien sélectionnées. Chaque calife avait son mufti qui est une sorte du ministère de la propagande religieuse. Chaque calife avait son Coran, parce que le Coran, sur le plan social, est une interprétation politique, juridique et sociétale! C’est les califes omeyyades qui ont débuté cette tradition, non recommandée par le prophète, afin de mettre une interprétation bien définie pour le texte sacré, le Coran, et mettre en avant des hadiths falsifiés ou pas fiables pour justifier leur pouvoir sur la société musulmane et justifier leur mainmise sur la religion. Et depuis, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, chaque calife, président, roi ou roitelet a fait de l’islam un costume sur-mesure !
Pour quelles raisons, selon vous, les idées les plus radicales et les pensées les plus dogmatiques trouvent un écho auprès d’un nombre important de personnes ?
Aux yeux des pouvoirs politiques, la religion n’a jamais constitué un but en lui-même, elle n’est qu’un moyen fort pour gouverner, pour régner. Celui qui détient les mosquées déteint le pouvoir. Ce ne sont pas les universités qui forgent le pouvoir ou détrônent celui qui le détient. D’abord, le discours extrémiste islamiste est un discours populiste, accessible et piégeur. Il ressemble au discours fasciste. Il rêve d’une oumma et un califat islamique sans frontières. Une oumma sur toute la planète, où ne vivent que les musulmans. Les autres n’ont pas droit d’y vivre parce que l’islam, aux yeux des extrémistes religieux, est la dernière religion révélée ; la seule religion vraie et absolue. Les autres sont falsifiées et n’ont pas le droit d’exister. Leur existence est contre Allah. Cette idéologie hégémonique a trouvé une terre fertile pour germer ses grains empoisonnés. Une société sans culture de liberté, sans culture de la rationalité. Une population qui vit sans rêve. Des générations suicidaires. Et parce que l’idéologie religieuse islamiste extrémiste use d’un discours coléreux, elle a trouvé et facilement sa place et son impact sur ces générations égarées. Cette idéologie néo-fasciste est opérante parce qu’elle présente le passé historique des musulmans comme un temps paradisiaque, angélique, ce qui est complètement faux. L’Histoire des musulmans est une Histoire pleine de sang et de violence, cela perdure depuis la mort du Prophète. Les guerres entre les compagnons du Prophète nous montrent l’image de cette violence et de cette soif du pouvoir au nom de la religion ! Cette idéologie extrémiste religieuse néo-fasciste fait rêver les jeunes en détresse de mettre la main sur les richesses de l’Occident athée, prendre en butin de guerre les femmes, l’agent et la technologie!
Et les intellectuels «éclairés» dans tout cela ? Sont-ils démissionnaires ?
Nos intellectuels éclairés sont démissionnaires ou loin de la réalité. Ils vivent dans un silence complice. Dans chaque intellectuel éclairé sommeille un féqih ! Ce féqih se réveille dès qu’on touche à la religion ! Il n’existe plus ou peu d’intellectuels, à l’image de Mouloud Mammeri, de Jean Sénac ou de Kateb Yacine… Des intellectuels de réflexion, mais aussi de terrain. Nos intellectuels éclairés sont paresseux et fainéants surtout les arabisants. Ils ne participent pas dans le débat ou peu, et avec hésitation et confusion.
Vous le dîtes dans votre note introductive de «La boîte Noire de l’Islam» et vous le rappelez dans vos chroniques : le citoyen passe avant le croyant. Comment l’être selon vous?
Sur le plan institutionnel, nous sommes dans un Etat basé sur le droit civil, un Etat séculier, mais, en réalité, nous vivons dans un Etat pris en otage par une société religieuse. Le poids de la religion se sent partout. La société est régentée par le religieux. Il y a une énorme régression dans la liberté individuelle. Notre société est devenue un «ensemble d’êtres humains», un nombre de «gens qui se ressemblent». La société s’est transformée en un espace de clonage intellectuel. L’intellectuel de service politique, professionnel ou de nourriture ! Usant du même discours religieux, imprégnés par le même discours religieux, les citoyens, plutôt les individus, sont devenus identiques, le médecin comme le forgeron, l’universitaire à l’image de l’épicier. Face à cette uniformisation idéologique, la société est gangrénée par l’hypocrisie religieuse, intellectuelle, politique et morale. Le chaos dans l’échelle des valeurs. La patrie est un espace pour la diversité, pour la différence. Elle est capable, et elle est créée pour abriter les religions et les langues et les cultures de ses citoyens. Et c’est à l’Etat de droit de garantir cette pluralité en cultivant la culture de la citoyenneté au lieu d’encourager la culture de la foi. La foi, c’est un acte personnel. Un contrat entre créature et créateur ! La foi, dans notre société, est devenue un acte politique. Il faut que l’Etat, garant de la cité, veille au respect de la différence comme principe fondamental de la citoyenneté.
Vous avez titré cette note introductive «Islam(s) ou le non-dit !», est-ce une manière de souligner les différentes interprétations de cette religion ?
• L’Islam a une multitude de visages, selon les interprétations faites au texte fondamental de cette religion qui est le Coran. Les musulmans prient d’abord leur calife avant de prier Dieu. C’est le Calife qui est l’ombre de Dieu sur terre. Et chaque Calife a ses féqihs qui produisent des lectures des textes religieux à sa taille, sur commande. Donc le nombre d’Islams est au nombre des califes. Il y a l’islam de Daesh, celui du wahhabisme, celui du chiisme, celui des Mozabites, celui des Maghrébins, et chacun de ces islams a enfanté d’autres islams. Et chaque islam voit en lui la vérité divine absolue et en même temps considère que l’autre est un islam égaré et faux. Et par conséquent, il faut lui déclarer la guerre. Et c’est cela la réalité de l’islam politique dans le monde arabo-musulman.
Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui en Algérie un véritable débat sur la question de l’islam ou vous vous sentez un peu seul ?
Je pense que la question de la religion et celle de la religiosité sont des phénomènes d’absurdité démesurée dans notre société. Si on n’arrive pas à établir un Etat séculier qui respecte la citoyenneté, on n’arrivera jamais à accéder à la modernité et à la liberté. Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique. Il nous faut un statut clair qui définit le rôle des mosquées. Il faut revoir le statut des écoles coraniques qui sont des bombes à retardement.
Dans quel état d’esprit vous écrivez vos chroniques ?
J’écris mes chroniques quand je me sens interpellé. Mon entourage universitaire et intellectuel, dans son côté fanatique, m’interpelle. Je suis un citoyen qui fait le marché et respecte la file d’attente devant la boulangerie ou devant l’agence de voyage, donc ce quotidien m’interpelle. La société algérienne est une mine de sujets qui nous interpellent, sur le plan religieux, sur le plan politique, sur le plan intellectuel, sur le plan universitaire, artistique… Je n’aime pas écrire en colère. Je préfère l’humour pour dénoncer. L’humour est plus fort que la colère. Je suis choqué par l’absence de la raison dans notre société prise en otage par le religieux et le fanatisme.
Pensez-vous traduire ce livre ?
J’ai déjà signé un contrat pour une traduction en allemand, il sortira aux éditions Sujet Verlag.
Cette question ne concerne pas votre livre directement, mais elle rejoint cet idéal de liberté que vous défendez : vous avez signé une tribune il y a quelques jours dans «Al-Arab» sur la liberté de création dans le Monde arabe. Vous y évoquiez les voix qui s’élèvent pour confiner les auteurs dans des cases, ce qui ne concorde par avec la réalité puisqu’il y a toujours des interconnexions et des liens entre les genres littéraires.
Dans la culture et la littérature arabes, le religieux a affecté la création. Ainsi dans la pensée littéraire arabe dominante, il est interdit ou mal vu celui qui mélange les genres littéraires, ou celui qui écrit dans plusieurs genres littéraires. Cette pensée littéraire conservatrice hisse des barrières entre les genres littéraires. Et cette situation bloque ou handicape la liberté de l’imaginaire dans l’écriture littéraire. Ces derniers temps, les critiques et les journalistes littéraires arabes parlent beaucoup de ce qu’ils appellent «l’exode littéraire des poètes vers le roman» tout en condamnant cet acte. La littérature, le texte littéraire, est libre dans sa forme et dans son style. La liberté est le sens et l’essence du beau. Il n’y a pas de frontières entre le roman et la poésie. Dans chaque texte narratif, il y a une poétisation et il y a du poétique, et dans chaque texte poétique il y a de la narration. La faiblesse des textes littéraires arabes réside, en partie, dans cette mentalité conservatrice moraliste qui règne et oriente inconsciemment le créateur dans son atelier.
"Nous ne savons plus regarder la Terre Mère. Nos ancêtres avaient sanctuarisé cette terre réellement mère et sacrée. C’est fini : aujourd’hui, cette terre n’est plus qu’un sol, elle est réduite à une opportunité d’argent pour ceux qui l’exploitent. (...) La perversité du système forme une boucle, une folie dont on ne parvient pas à se défaire.
Le problème de l’être humain, c’est qu’il s’est autoproclamé le meilleur, le patron de l’humanité et de la planète. Or, faut-il rappeler d’une part qu’il n’est qu’une des centaines de millions d’espèces, et que la durée de son existence, rapportée à celle de la Terre, ne dépasse pas les deux minutes ? La vie a préexisté avant l’humain, sous des formes absolument incroyables, et voilà qu’il s’érige en Roi de droit divin. Inouï. Insupportable. Et suicidaire.
Indispensable instrument de travail que cet atlas aux 135 cartes commentées et accompagnées d’illustrations, commis par Karim Chaïbi, un chercheur spécialiste de la Sétif romaine et de la guerre d’indépendance.
Isoler l’Algérie dans une approche exclusivement nationaliste serait négliger les ensembles maghrébin, méditerranéen, saharien, africain, mais aussi les apports orientaux et occidentaux contenus dans ce guide.
Dans une lumineuse préface Jacques Frémeaux rappelle combien l’espace et le temps, c’est-à-dire l’histoire et la géographie, permettent de situer les événements marquants de l’histoire et du devenir de la nation algérienne. Et ce, du paléolithique aux conséquences du Hirak et de la pandémie. Et de poser, évidemment, la question de l’unité de cette longue histoire. C’est dire l’actualité de cette recherche essentielle à partir d’une interrogation sur l’unification du Maghreb central avant l’occupation ottomane. En fait, souligne Jacques Frémeaux, l’histoire algérienne progresse par ruptures, sur le substrat d’un vieux fond ethnique et religieux.
L’étude de Karim Chaïbi débouche aussi, à travers toutes les couches de l’histoire algérienne, sur le rapprochement des mémoires. En bref, sur l’humus à nul autre pareil de l’Algérie, cet ouvrage synthétique, si bien écrit, enrichit l’avenir par la richesse d’un passé à nul autre pareil.
En tenant compte de tous les Atlas disponibles, depuis celui de Ptolémée ou ceux des cartographes arabes et ottomans, cette cartographie historique s’articule en onze chapitres. La genèse du territoire fait notamment référence à l’apport phénicien plaqué sur le substrat berbère, dont Utique et un port environ tous les 40 kms de côte, témoins des liens des souverains massyles avec Carthage. Le riche chapitre consacré à la civilisation romano-africaine n’oublie ni Massinissa, ni Jugurtha en montrant comment l’Afrique devient une terre d’enjeux, autant politiques qu’économiques, pour le pouvoir romain. On suit César face à Pompée, puis la vassalisation des derniers souverains locaux, dont le savant Juba II.
L’Africanova, grenier à blé de Rome, produit aussi vin et huile et attire des colons romains qui sont souvent des vétérans des légions, dont la célèbre IIIe Legio Augusta qui, depuis Lambèse, ceinture l’Aurès (fondation de Timgad sous Trajan) et contrôle les pistes caravanières. C’est l’âge d’or de l’Algérie sous la Pax romana, malgré la révolte des Bavares matée par Hadrien dans le centre et l’Est.
Les empereurs multiplient les fondations de cités comme Sétif ou Djamila (en tout 500 cités de 5 000 à 10 000 habitants, administrées par des magistrats élus, symboles de « l’intégration » par la naturalisation des Maures et des Numides).
Les cartes sont d’une grande utilité pour comprendre, après l’apogée au début du IIIe siècle, les soubresauts de l’Algérie romaine au temps de la christianisation et des révoltes berbères.
A juste titre, l’auteur rappelle l’antériorité de la diaspora juive en Algérie et la richesse de l’église que Dioclétien n’arrive pas à contrôler. Les donatistes finissent d’ailleurs par s’armer et, au IVe siècle, coupent l’approvisionnement de Rome en blé. Saint Augustin n’est pas oublié, jusqu’à sa mort en 430 dans Hippone assiégée par les Vandales.
Ces derniers ne contrôlent qu’une partie Nord et Est de l’Afrique romaine, laissant subsister des royaumes romano-berbères qui résistent, sous Justinien et le général Solomon, à une tentative de reconquête byzantine.
Mieux connue, la deuxième partie consacrée à la civilisation arabo-musulmane est tout aussi bien illustrée. Il est toutefois dommage que la grande figure de la Kahina n’ait pas été évoquée car, de 670 à 698, la résistance des royaumes berbères à l’invasion arabo-syro-libyenne fut acharnée. Parmi les rubriques originales, les chemins du prédicateur chiite Abu Abdullah originaire de Syrie (fin IXe siècle), la révolte d’Abu Yazid liée à la doctrine kharidjite finalement vaincue par une armée fatimide vers 960, tandis que, neuf ans plus tard, une armée « algérienne » (les Kotama et des Ziride de l’Ouest) fonde Le Caire.
Des photos complètent cartes et commentaires, dont celle de la page 77 d’un des plus vieux minarets d’Algérie. A noter l’itinéraire algérien du grand Ibn Khaldoun qui eut le courage de rencontrer Tamerlan.
La troisième partie concerne l’Empire ottoman et le pachalik d’Alger. Un souffle braudélien anime les rubriques consacrées à la Méditerranée en 1492, les conquêtes des Espagnols et des Ottomans de 1509 à Barberousse en 1534, et Alger et la Méditerranée au XVIe siècle (1541 et non 1571, bataille d’Alger contre Charles-Quint). La description de l’Algérie ottomane du XVIIe au début du XIXe siècle tient compte des relations internationales et de la pression européenne cherchant à annihiler les forces « barbaresques » par le blocus maritime. L’auteur rappelle le nombre des révoltes tribales en Kabylie entre 1810 et 1824, ce qui remet en cause l’idée d’une unité algérienne sous l’égide de la Sublime Porte et relance l’interminable débat sur l’antériorité de la nation algérienne.
La quatrième partie reprend en les illustrant nombre de travaux fondamentaux sur la conquête française, la colonisation et l’acculturation. La difficile conquête est bien soulignée (dont les expéditions contre la Constantine d’Ahmed Bey et la Kabylie). Une des cartes les plus novatrices évoque les campagnes de 1871 à la suite de la Grande révolte, régions de Miliana et Ouargla entre autres. Un texte précieux concerne la diaspora des prisonniers algériens dans le monde (Guyane, Nouvelle-Calédonie et Obock entre 1852 et 1953).
Les quatre parties suivantes tiennent compte des travaux les plus récents pour illustrer fort à propos la période allant de 1914 à 1962, de la montée du nationalisme algérien à l’exil des Français d’Algérie et des harkis.
A retenir : l’offensive des troupes algériennes en Alsace et Allemagne en mars-avril 1945, la carte et le texte sur les « exécutions sommaires préventives à Guelma » en mai-juin 1945, l’ALN à son apogée en 1957, le texte relatif à tous les centres de rétention, y compris les sinistres 47 DOP, mais aussi la clarté de la carte du plan Challe, les sites français du Sahara et le plan de Paris lors de la « ratonnade » du 17 octobre 1961.
L’auteur fait preuve d’une courageuse sérénité dans les deux dernières parties consacrées aux trente ans de reconstruction autoritaire suivant la liesse de l’indépendance algérienne, puis les années de sang de 1991 à 1999 avant l’ère Bouteflika précédant le Hirak.
Les cartes des années Ben Bella comportent les attaques de l’ALN contre les groupes politiques dissidents et la « guerre des sables » de 1963. La carte des années Boumediene contient les phases du projet de « barrage vert » (Nord Sahara, hauts plateaux) illustrée par des timbres d’époque. Le précis des années Chadli évoque la montée du FIS et les premiers maquis islamistes depuis 1985 (dont la région de Larbaâ et le MIA ou Mouvement islamique armée).
La carte « guerre civile et massacres (1996-2001) » rappelle que pour la seconde fois de son histoire au XXe siècle l’Algérie a connu des flux migratoires à l’intérieur de ses frontières et vers la Tunisie.
L’analyse du l’ère du clan Bouteflika contient les principales opérations militaires de 2001 à 2006 (Ouest, Kabylie et Sud-Est du pays), des divers trafics (drogues et cigarettes), des flux migratoires transsahariens et des ressources en hydrocarbures et minerais.
En bref, ce guide précieux est un des plus importants ouvrages jamais consacrés à l’Algérie.
Jean-Charles Jauffret
27/04/2022
Karim Chaïbi¸ Atlas historique de l’Algérie, préface de Jacques Frémeaux, Nouveau Monde Editions, février 2022, 414 p., 27,90 euros.
J'avais déjà lu et apprécié son ouvrage sur Camus (voir plus bas) mais je ne l'ai vraiment découverte qu'à la sortie, d'abord en France, de son ouvrage «Maison Atlas» lorsque, reçue sur le plateau d'Arte : «28 minutes», elle avait d'emblée -face à une question insidieuse- mis les «points sur les i»- prenant la défense de la lutte de libération nationale et de l'image de l'Algérie contemporaine. Américaine de nationalité, maîtrisant parfaitement la langue française, elle avait découvert, lors de son (ses) séjour(s) en Algérie, les «restes» bien ancrés de familles de confession israélite, tout particulièrement ceux dont les origines berbères remontent à des siècles; familles ou personnes totalement intégrées -chacune à sa manière, avec ses héros de la Révolution et/ou ses citoyens anonymes, et ce, sans ostentation- dans la société algérienne nouvelle.
L'histoire ? Années 90. Bordeaux (France). Deux jeunes étudiants se rencontrent et entament une relation amoureuse. Emily est une Américaine, juive de confession. Daniel Atlas est un Français («de passeport») mais se réclame algérien (sa famille, demeurée en Algérie après l'indépendance, «vit en Algérie depuis mille ans»), juif du côté du père, politiquement libéral et partisan de la cause indépendantiste (la mère étant catholique).
Années 90. La décennie noire. Le père Atlas commerçant influent, respecté et populaire, est assassiné par les terroristes islamistes. Daniel, le fils, revient à Alger pour soutenir sa mère et, surtout pour essayer de comprendre le pourquoi du comment. Il ne tarde pas à s'engager dans la clandestinité, les rangs de la police chargée du contre-terrorisme, laissant sans nouvelles Emily enceinte. De guerre lasse, sans nouvelles, elle regagnera (après un bref voyage en Algérie à la recherche de son aimé) l'Amérique donnant naissance à une fille, Becca, qui, elle-même, va rechercher ce père tant entouré de mystère et résidant dans un pays qui est vu d'Amérique et à travers «la Bataille d'Alger» et les généalogies publiées sur Internet, encore plus mystérieux... Une fin heureuse qui va réconcilier tout le monde ! Il était temps.
L'Auteure : Phd en littérature française de l'Université de Yale (Etats-Unis), enseignante, écrivaine et chercheuse. Des travaux portant sur l'autobiographie, les mémoires, la théorie de la traduction, la littérature de langue française du XXe siècle. Plusieurs publications dont «Trois Américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis», en 2012 (Gallimard). A séjourné en Algérie (Alger, Oran...) en mai 2018 afin de présenter son ouvrage et d'en débattre avec le public.
Extraits : «En Algérie, les indigènes sont des «sujets» dépourvus de droits civiques; faire passer cette société coloniale pour une émanation de la France de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, relève de la fable cynique» (p. 69) «Après l'octroi de la citoyenneté aux juifs, en 1870, le colonisateur continue de diviser la population : les musulmans en sont les grands perdants, Juifs et Européens étant unis dans une alliance artificielle» (p. 69), «Je crois que la scène la plus marquante dans «La Bataille d'Alger», c'est celle où l'on voit Ben M'hidi sur la terrasse de la maison de la Casbah. Le vrai héros tragique du film, c'était lui» (p. 311).
Avis : Un «récit-roman» émouvant, qui se lit d'un trait afin d'arriver très vite au dénouement. Une histoire romancée mais en bonne partie réelle car, semble-t-il basée sur une recherche in situ sur le destin de la communauté juive algéro-berbère et les destinées de ses membres avec, pour beaucoup d'entre eux, une «algérianité» incontestable.
Citations : «L'Algérie méritait bien sa réputation : un asile de fous à ciel ouvert (note : lors de la décennie noire» (p. 167), «Les Juifs d'Algérie, même absents, hantaient le pays précisément parce qu'ils étaient des Juifs arabes» (p. 293), «Commencer une révolution n'est pas facile, la continuer plus difficile, la gagner encore plus, mais ce n'est qu'après notre victoire que commenceront les vraies difficultés» (p. 311), «Selon tous les livres d'histoire qu'elle avait pu lire sur le sujet, les injustices étaient devenues si criantes en 1945 que la révolution apparaissait comme la seule solution possible. Et la révolution n'admettait pas les demi-mesures» (p. 314), «Notre langue, c'est un mélange d'arabe, de berbère, de turc, d'espagnol et de français... Alors, on aime jouer avec les mots (p. 353)».
Les Juifs d'Algérie... 2.000 ans d'existence. Essaide Aïssa Chenouf, Editions El Maârifa, Alger 2004, 206 pages, 380 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits)
Plus de 2.000 ans d'existence. C'est le temps passé par les Juifs au Maghreb. Une présence soutenue en Afrique du Nord. Depuis les destructions du Temple, dit-on, renforcée par une deuxième vague arrivée après 1492, suite à l'édit espagnol les expulsant d'Andalousie.
Une terre qui leur a tout donné, à laquelle ils ont beaucoup apporté et que certains ont abandonnée avec regrets. Beaucoup ont participé activement à la lutte pour l'Indépendance du pays après avoir activé dans les organisations syndicales, entre autres. Certains, peut-être plus en grand nombre, sont, aussi, restés se moulant à la société «en une sorte de groupes sociaux discrets».
Les Algériens savent qu'ils existent, savent qu'ils sont Algériens, savent qu'ils connaissent tout de l'Algérie, mais «l'Algérie ne connaît rien d'eux ». On salue la mémoire de Roger Hanin (Lévy), ce grand acteur de cinéma natif de la Basse Casbah, aujourd'hui enterré à Bologhine auprès de son père, on voue aux gémonies (pour ses positions politiques à l'endroit d'Israël) Enrico Macias (Ghrenassia), un natif de Constantine, gendre de Cheikh Raymond, un maître du malouf constantinois, tout en fredonnant ses chansons, nos anciens se remémorent avec nostalgie Reinette l'Oranaise (Sultana Daoud), la native de Tiaret, décédée en novembre 1998..., c'est tout.
1813 : 3.105 Juifs à Constantine, 1.508 à Tlemcen; 1838 : 6.065 Juifs à Alger, 5.637 à Oran; 1851 : 21.000 Juifs recensés sur l'ensemble du territoire algérien administré par la France; 1881 : 35.663; 1901 : 57. 132; 1931 : 110.127; 1941 : 111.021 Juifs français et 6.625 Juifs étrangers (une stagnation en raison d'une migration vers la France dès le début du XXe siècle et, surtout, un départ vers le Maroc, plus accueillant que l'Algérie pétainiste). 1962, à la veille de l'Indépendance, environ 150.000 âmes. Octobre 1962 : 25.000 dont 6.000 à Alger. Aujourd'hui, peut-être quelques dizaines ? En tout cas, bien peu. Ou, presque rien. Rien ne sert de chiffrer une communauté qui, bien souvent, s'est algérianisée presque totalement, sans cependant, pour la plupart, et c'est tout à leur honneur, renier son origine ou sa foi et, surtout, son amour profond, réel, pour un pays à nul autre pareil (...)
L'Auteur : Journaliste professionnel, il a fait ses premières classes au quotidien El Moudjahid. Collaborateur de plusieurs autres titres de la presse privée...
En quête de l'Etranger. Essai de Alice Kaplan (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Patrick Hersant). Barzakh Editions, Alger 2018 (en anglais), Presses universitaires de Chicago, 2016 et Gallimard, 2016, 1.000 dinars, 332 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits )
Journaliste, militant, écrivain, homme de théâtre, amant, brièvement époux, fils de sa mère, enfant de son quartier miséreux : à vingt-cinq ans, Camus a déjà tenu bien des rôles. Pas une seule fois «le même visage pour deux êtres». Tout le problème est là, affirme l'auteure. C'est ce qui rend difficile les recherches, impossible des conclusions et délicate la description. De Camus, mais aussi et surtout des personnages du roman en question.
Le livre aura connu le succès. A 2011, il s'est déjà vendu à 10,3 millions d'exemplaires rien que pour les seules éditions françaises, talonnant ainsi «le Petit prince». Soixante traductions en d'autres langues, dont deux en arabe, au Liban et en Egypte. Le livre transformé en chanson, en film. Et les œuvres qui lui sont consacrées se comptent par dizaines, connaissent (à l'exemple de celle d'Edward Saïd, qui en fait une lecture plus politique -celle d'un monde colonial brutal- que philosophique, écartant toute lecture «existentialiste» celle de Kamel Daoud), elles aussi, le succès. Garanti !
Aujourd'hui encore, «l'Etranger» reste à déchiffrer, chacun y allant de son interprétation. La littéraire, la politique, la sociale, la philosophique, et même les (re) lectures mutltipliées ne résoudront pas le problème. Cela est, sans doute, très lié à la personnalité même de son auteur, lui-même un homme assez «compliqué». En fait, simplement un «artisan de la littérature» qui a «foi dans les vertus du remaniement» et qui, à l'inverse de Sartre, a plus de talent que de génie (ils sont qualifiés, les deux, d' «ennemis intimes» : Camus avait soutenu, dans un article, que Sartre est plus un philosophe qu'un romancier et Sartre avait déclaré que Camus est bien meilleur romancier qu'il n'est philosophe...). Le démarrage est difficile. Il a beau ciseler des phrases splendides, le roman ne parvient pas à se modeler. Il travaille à partir de souvenirs d'enfance et de jeunesse, de lectures passées, de spectacles vus, de petits bouts de papier, de rencontres, d'autres manuscrits, d'images et de pensées couchées sur le papier... Il travaille, en fait, et c'est ce que fait ressortir l'auteure de l'essai (qui a entrepris, en «détective manquée»), une longue enquête sur le terrain à Alger et à Oran), comme le «grand-reporter de presse» et le correspondant judiciaire qu'il a été à ses débuts. A l'écoute de son ressenti, de son environnement et des réalités sociétales, tout particulièrement les conflits latents ou révélés entre les communautés européennes (surtout la classe ouvrière des Européens d'Alger, les «petits blancs d'Algérie») et «arabe». Avec un peu, un tout petit peu d'aversion pour la violence coloniale.
Heureusement, l'effort apporte toujours un gain quel qu'il soit. Et, peu à peu, «L'Etranger» va devenir un roman écrit... «sans le savoir», un livre «trouvé en lui» sur le cadavre d'un autre projet, abandonné en cours de route, au stade de manuscrit, «La Mort heureuse» et en passant par un essai sur l'absurde, «Le mythe de Sisyphe». L'idée d'une œuvre de fiction qui se trouverait à l'intérieur du créateur, attendant d'être découverte, est un «élément clé du credo moderniste, en général, et de la poétique de Camus, en particulier. Proust décrit cette même idée dans «Le Temps retrouvé».
«L'Etranger» est terminé le 1er mai 1940 «au sortir d'une nuit blanche». Le manuscrit ne parvient chez un imprimeur que le 1er avril 1942. Le 21 avril, il est édité et diffusé à 4.400 exemplaires (collection Blanche, classique de la NRF/Gallimard). Dès novembre, il est épuisé. D'autres tirages... Et en 1957, le prix Nobel de littérature pour l'auteur du roman «le plus célèbre».
L'Auteure : Voir plus haut
Avis : Sacré Camus, il n'arrête pas (comme son roman), sinon de passionner, du moins d'attirer. Une analyse fouillée et de grande qualité et une autre théorie (celle-ci, à mon avis, «anecdotique» et littéraire, s'intéressant bien plus à la vie européenne de l'époque, à Alger, Oran et Paris, qu'au contexte colonial, encore que, peut-être, A. Camus n'avait pas osé dépasser la «ligne rouge» permise par sa communauté «pied-noir») sur la question. Il est vrai que l'«on ne fait pas la même lecture de «L'Etranger» selon que l'on est Américain, Français ou Algérien» (K. Daoud) ou selon que l'on est étudiant, enseignant, écrivain, critique, historien... ou... A lire et, surtout, ne vous découragez pas devant la masse de détails.
Citations : «Pour qui aime la littérature, les livres sont des êtres vivants : les livres ont une vie propre. Ils s'éveillent à la vie à mesure qu'on les lit, et restent vivants longtemps après qu'on en a refermé la dernière page» (p. 8), «Aucun auteur, aussi puissant et influent soit-il, n'est en mesure de contrôler le destin de son œuvre. Le moment vient toujours où le roman, échappant à son emprise, poursuit seul sa route vers l'inconnu» (p. 11), «Réduire un homme à un simple qualificatif ethnique lui permet de signifier le racisme sans avoir à l'expliquer» (p. 59), «Nous sommes tous des condamnés à mort, mais certains de nous ont plus de temps que d'autres» (p. 115), «La publication d'un livre s'accompagne presque toujours, chez l'écrivain, d'une sensation de dépossession ; l'ouvrage imprimé lui vaut une dépression post-natale. Il pleure sa propre mort, la mort de l'auteur, premier moteur de son livre» (p. 163), «Un roman peut exister sans avoir rien à prouver» (J-P Sartre, commentant «L'Etranger», p. 179), «Mentir, ce n'est pas seulement dire ce qui n'est pas, c'est aussi accepter de dire plus qu'on ne sait, la plupart du temps pour se conformer à la société « (A. Camus commentant, pour E. Roblès, le personnage de Meursault, p. 219).
C’est une vague de peur qui sévit actuellement au sein de la bande de Généraux algériens, de voir la France donner le feu vert pour la publication du livre ‘’Le printemps de la Terreur en Algérie’’, conçu par les médias et les politiques algériens et étrangers comme le scandale du siècle. Ce livre explosif qui doit, selon le site algérien ‘’Alger times’’, agacer au plus haut sommet de l’État, tarde à voir le jour, face à l’indécision des autorités françaises quant à sa publication. La liberté d’expression n’est un bien précieux pour la France que s’il n’affecte pas ses intérêts interétatiques.
Le livre tel le héros des grands scandales, a réussi à déjouer et à ridiculiser l’appareil militaro-policier algérien en opposant des documents précieux constitués d’accords, de correspondances et de transferts financiers secrets entre le régime militaire algérien et les mouvements terroristes, précise-t-on de même source.
Il évoque le terrorisme en Algérie dans son double aspect, celui du terrorisme international proprement dit, et celui créé, financé et supervisé par les généraux algériens, en vue de détourner l’attention sur le pillage des richesses du pays.
Les documents ‘’top secret’’ que l’auteur s’est procurés de quelques chefs militaires faisant partie du cercle très restreint de l’état-major, qui avaient fui l’Algérie, révèlent au grand jour l’implication effective et sans équivoque, des généraux algériens dans le massacre de près de 200.000 Algérien civils durant la décennie noire en Algérie.
Il dévoile, par ailleurs, avec un souci de détails impressionnant, le mystère qui a entouré la mort de l’ancien commandant en chef de l’armée algérienne Ahmed Gaïd Saleh et le lien de cette affaire avec les trois généraux sanglants actuels Saïd Chengriha, Khalid Nizar et Tawfik Mediene.
Le livre qui marie savamment la chronique, le pamphlet et le récit foudroyant, met à nu l’implication de l’actuel commandant de l’armée algérienne Saïd Chengriha dans la mise en scène de la mort d’Ahmed Gaïd Saleh. C’est l’une des preuves de la dangereuse relation tripartite entre le Polisario, le terroriste Abou Al-Walid Al-Sahraoui (né à Laâyoune) et les dirigeants du Hezbollah chiite iranien, rapporte Alger Times. Le livre permet finalement de classer les camps de Tindouf en terreau fertile pour l’élevage et la prolifération de djihadistes dans le désert et le littoral.
L’auteur s’attarde sur les liens très étroits entre la direction du Polisario et le terrorisme dans la région du Sahel. Des liens qui ont mis à nu les basses manœuvres du gouvernement algérien qui est passée d’un Etat militaire à un Etat policier.
Il s’indigne également de la situation inquiétante de l’Algérie marquée par des féroces et interminables luttes de pouvoir qui font que le pays traverse aujourd’hui sous l’ère tebbounienne, un moment particulièrement chargé de doutes et d’incertitudes. L’Algérie actuelle souffre, selon l’auteur, de plusieurs maux, dont la perte de la morale collective, la violence, l’institutionnalisation de la corruption, et l’émiettement des pôles au sommet de la hiérarchie de l’Etat.
Surfant entre des faits marquants et l’avenir incertain des Algériens, l’auteur, un talentueux observateur de la société algérienne, dévoile la vie désespérée des Algériens et tire à boulets rouges sur le système, seul responsable, à ses yeux de ‘’l’humiliation nationale’’.
En effet les Algériens aspirent, dans leur grande majorité, à un changement radical du système. Avec les mêmes appels qui reviennent comme un leitmotiv, ils crient leur ras-le-bol du système ‘’liberticide’’.
L'écrivain Boualem Sansal a reçu, ce samedi 23 avril à Perpignan, le prix Méditerranée de littérature 2022 en présence d’écrivains et de représentants du monde de l’édition. Il est récompensé pour son dernier roman, Abraham ou la cinquième alliance, une métaphore de la Genèse, pleine d’enseignements sur la période contemporaine. En 1916, alors que la guerre fait rage en Europe, Abraham est conduit pas son père, un patriarche chaldéen, à conduire son peuple vers la Terre promise sur fond d’effondrement des grands empires.
Lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015 pour 2084 : la fin du monde, Boualem Sansal, romancier et essayiste qui écrit en français, met ici à profit sa connaissance profonde des religions monothéistes pour parler de l’homme contemporain. Né à Alger en 1949, il est reconnu pour ses écrits sans concession et son hostilité aux religions en général et à l’islam en particulier. Il est l'auteur de dix romans, de huit recueils de nouvelles, de sept essais et de nombreux autres livres.
Depuis longtemps, son discours sur l’islam tranche avec l’irénisme ambiant en France. Lorsque, le 8 septembre 2015, un journaliste de France Inter lui demande si l’islam est compatible avec la démocratie, cet écrivain courageux ne joue pas avec les mots. « Pour moi, il est tout à fait incompatible, répond-il. Il faut [pour qu’il le devienne, NDLR] une révolution intellectuelle qui mènerait les musulmans à séparer dans leur tête la religion et la cité, il faut passer par là. Tant que l’islam restera ce qui configure l’identité musulmane, c’est impossible. On ne peut pas fonctionner sous l’égide de deux lois contradictoires, précise-t-il, la loi des hommes et la loi de Dieu. Elles seront en confrontation de manière permanente. » Sur tous les sujets sociétaux, « c’est toujours l’islam qui l’emportera », prévient-il.
Inlassablement, Sansal dénonce la « soumission » de l’Europe à l’islam et l’illusion des Européens qui pensent pouvoir « digérer » cette religion. Une religion que ces mêmes Européens connaissent mal et qui n’a rien d’un christianisme d’Orient, explique-t-il. Elle est d’une essence différente, montre Sansal, elle ne cède jamais, ne se dissout pas. Souriant, posé, drôle, la voix douce, cet érudit tente depuis des années de secouer le monde occidental. En vain.
« Abraham ou la cinquième Alliance », par Boualem Sansal
Traversant le Moyen-Orient du XXe siècle, des nomades bibliques suivent le même itinéraire que leurs aînés d’il y a 4 000 ans, menés par un Abraham contemporain qui annonce une nouvelle alliance.
1916 : une tribu fragile quitte la Chaldée. Les accords Sykes-Picot dépècent l’ancien Empire ottoman au profit de la France et de l’Angleterre. En ce XXe siècle, le Moyen-Orient est encore aux prises avec la violence. Les fils de Terah savent qu’ils doivent écrire l’histoire, celle qui sauvera le monde : « Nous nous mouvions à l’intérieur de la Genèse, pas seulement pour la vivre en accomplissant en actes ses récits mais pour la récrire. La révélation est un phénomène itératif, c’est notre tour de l’actualiser. »
L’histoire se répète. Et l’histoire d’Abraham est vieille comme le monde des religions. Il faut pourtant refaire le chemin, garder la trace : « Les temps actuels l’exigent, voilà longtemps, trop longtemps que l’humanité n’a pas eu de prophètes pour la sermonner et la remettre sur le chemin de la vérité et de la paix. » De Babylone à Hébron, en passant par Harran ou Sichem, le hasard et la destinée retracent l’itinéraire du premier Abraham.
La tribu s’identifie à l’histoire inaugurale, se projette comme un nouvel accomplissement de la promesse, répondant à un nouvel appel : « Nous sommes probablement les seuls hommes à ne vivre que pour chercher Dieu et témoigner de Lui. » Ils traversent le temps et les frontières, dans ce « Moyen-Orient qui, jusque-là, est le seul endroit sur terre où le Dieu unique aime à se manifester aux hommes ». À eux revient la nouvelle alliance, après celles scellées par Abraham, Moïse, Jésus et Mohammed.
L’histoire d’une errance vers Canaan
Le récit des tribulations est ponctué des palabres à la nuit tombée, quand la politique dispute l’avenir à l’Écriture : « Nous vivons dans ce texte depuis notre naissance. » Et encore : « Ce qui est écrit doit arriver. » Mais un autre rétorque : « Je n’ai toujours pas compris notre acharnement à vouloir suivre la Genèse à la lettre, je ne crois pas qu’elle nous oblige tant que ça.»
Les hommes du clan s’accrochent à leur mission divine : « La nouveauté n’est pas la rupture avec l’ancien, elle en est la suite, une étape nouvelle sur le chemin de la perfection. (…) Parler de rupture veut dire que Dieu tâtonne dans la réalisation de Son plan et se trompe à chaque fois… » Riches des millénaires passés, ils errent pendant des années vers Canaan, dans le tumulte de cette terre déchirée. « Nous sommes des rêveurs libres, des fous ivres de sagesse, des fantômes revenus à la vie, nous osons rêver d’un monde parfait et d’un dieu qui veut le bonheur des hommes. »
En racontant la Genèse transposée dans ce XXe siècle chaotique, Boualem Sansal retrace l’éternelle quête spirituelle de l’humanité en dialogue avec Dieu silencieux. Profonde méditation sur le devenir de l’Alliance, le roman montre les croyants pétris de doutes et d’audaces, vivant les Écritures pour mieux restaurer une espérance enfouie. Brossant les violences religieuses et les dérives sectaires dans ses précédents livres, ce sont les hommes de paix que l’écrivain restaure ici, dans leur quête maladroite, fervente, peut-être utopique, toujours renouvelée.
Les commentaires récents