Livres
Un simple roman ? Non. C'est un roman historique et non un livre d'histoire ou une autobiographie; tous les personnages sont fictifs mais... et ce, même s'ils évoluent dans un contexte historique bien déterminé, qui est celui de l'Algérie coloniale (1890-1954). La matière historique évidemment, c'est le matériau essentiel, le fil conducteur pour construire ce récit romanesque.
En fait, le volet réel consiste en des évènements très importants survenus à l'époque, comme la conscription obligatoire des musulmans en 1912, les Guerres mondiales 1ère et 2ème, avec leur sinistre épilogue du massacre des Algériens du 8 mai 45, le crash boursier de Wall Street, la montée du mouvement national avec toutes ses couleurs jusqu'à l'explosion finale du 1er Novembre 1954. Tous ces évènements ont impacté les personnages de trois familles, les Hassar, les Lassaci et les Senhadji, décrites certes avec sympathie mais tout en restant critique à l'endroit de certains comportements.
Ces familles -du moins les membres les plus impliqués dans le combat anticolonialiste- ont elles-mêmes «croisé» ou «connu», ici et là, à Tlemcen, à Nedroma, au Maroc, en France, et au «Cham» souvent lors d'exils forcés, les personnages politiques nationales de l'époque dont Messali, Abbas, Ben Badis... L'autrice précise que ce travail «colossal» et l'écriture lui ont pris trois ans dont une bonne partie a été consacrée à la recherche documentaire. On la croit à la lecture du livre.
L'Auteure : Née à Berkane (Est marocain). Etudes à Saïda et à l'université d'Oran. A touché plusieurs secteurs de la culture et de la communication : l'organisation d'événements, le journalisme, l'édition, l'écriture pour la jeunesse... Premier roman.
Extrait : «La France savait cacher ses actes les plus infâmes par des termes passe-partout» (p 346), «Il paraît que c'est pour avoir le contrôle sur les FFL que de Gaulle a décidé de les intégrer dans l'armée régulière. Contrôler, mais aussi flatter l'amour-propre des Français non ? C'est mieux pour leur ego de se dire que leurs libérateurs sont des soldats bien blancs et non des noirs et des basanés» (pp 346-347).
Avis : Un «pavé» de 478 pages et un titre qui pourraient rebuter et/ou prêter à confusion, l'ouvrage étant, surtout, chargé d'Histoire, les sagas familiales qui s'entrecroisent et se mêlent servant de «carburant».
Une formule assez nouvelle et que le public pourrait apprécier. Surtout lorsque le texte est écrit avec grâce et clarté. On sent l'amour de l'écriture et de la précision.
Citations : «Dépossédés de leur bien le plus précieux (note : la terre), ils devinrent une poussière d'individus» «(p 59), «Lorsqu'on a tout juste vingt ans et que la vie n'est encore qu'une promesse, comment consentir au don de soi si le sens des choses se perd ?» (p. 71), «Il y a eu plein de petits pas, petites demandes, petites pétitions, petites protestations... nous avons donné nos vies pour demander quoi ? Un peu de justice pour nous, un traitement, un peu moins inégalitaire, une représentation parlementaire, un peu plus conforme à la réalité démographique.
Qu'avons-nous obtenu ? Rien» (p.176), «Si l'amour et la bonté irradient de façon naturelle, la noirceur, elle reste tapie dans les recoins les plus secrets» (p 215), «Comme toujours, ce ne sont pas les héritiers qui posent problème mais ceux qui se tiennent derrière eux» (p.445).
Les Nadis de Tlemcen. Des noms et des lieux à l'aube du XXe siècle. Essai de Benali El Hassar, Anep Editions, 2019, 239 pages (dont un cahier photos de 14 pages. (non indiqué en p 4 de couverture) (Fiche de lecture
déjà publiée. Pour rappel)
C'est un peu l'histoire de Tlemcen, mais c'est aussi l'histoire de toute une région, de tout un pays à travers le mouvement des «Jeunes» politisés -à Tlemcen, peut-être bien plus qu'ailleurs- lesquels, dans leurs nombreux cercles ou nadis de la ville, porteurs d'idées neuves, épris de connaissances, au cœur de problématiques modernes, ont permis -s'opposant parfois sinon souvent aux «anciens», mais en toute démocratie- la libération de la parole.
Les « Nadis» : des refuges presque effacés de notre histoire, alors qu'ils représentent un moment clef de la politisation et de l'apport des idées nouvelles des «Jeunes».
Rien qu'à Tlemcen, il y en eut plusieurs au début du XXe siècle: du salon littéraire au nationaliste et au progressiste en passant par le néo-conservateur, l'identitaire, le communiste, le religieux conservateur, le libéral, le patriotique... retrouvés parfois dans d'autres villes du pays (exemples de Constantine, Alger...), tous encore aux noms flamboyants. Bien sûr, cela avait été facilité par l'existence d'un circuit ancestral, celui des «masriya», lieux mythiques séculaires, îlots au cœur de chaque quartier de la vieille médina où l'on se réfugiait entre soi offrant traditionnellement le cadre de rencontres où le moindre fait du jour, la moindre parole est traquée, le soir, à l'instar des autres lieux mythiques comme les «fondouks» et les petites sociétés de groupe dans les cafés.
Plusieurs fortes personnalités vont émerger, prenant une part active à la création des premières cellules de l'ENA puis du PPA, premiers frémissements du mouvement révolutionnaire. De la politique, toujours sous couvert de littérature, d'art, de sport, d'actions caritatives car, toujours sous l'œil vigilant de l'administration coloniale prête à la répression et à l'interdiction au moindre faux pas détecté. La représentation d'une véritable société civile indépendante. Tout un art perdu au début des années 60, balayé par la «pensée unique» du parti unique.
A noter que l'ouvrage met en relief l'action d'un personnage culturellement et journalistiquement flamboyant de la première moitié du XXe siècle, Benali Fekar (juriste, économiste, politologue..., bardé de diplômes), ainsi d'ailleurs que son frère Larbi (instituteur) qui créèrent à Oran (le 3 juin 1904) le premier journal Jeune Algérien, «El Misbah» (La Lanterne ou Le Flambeau), un organe de presse défendant les libertés comme un symbole de la libération des peuples. Un journal qui fut, peut-être, le premier non «officiel», non «indigénophile», non un «instrument» du pouvoir colonialiste, et surtout le premier à revendiquer le nom d' «Algériens», avec une ligne éditoriale axée sur «l'instruction, fer de lance pour la libération de l'homme algérien». Il cessera de paraître le 17 février 1905 après trente quatre numéros.
L'Auteur : Né à Tlemcen en 1946. Journaliste, ancien responsable du bureau Aps de Tlemcen. Auteur de plusieurs essais politiques et historiques. Nombreuses contributions dans la presse.
Extraits : «Le temps des «Jeunes» avait ses similitudes partout dans les milieux de la nouvelle génération post-colonisation en Egypte, en Tunisie... Les cercles faisaient partie du quotidien, des vieilles médinas. Le temps des cercles fut considéré partout comme un grand moment de résurrection dans les pays arabes sous hégémonie occidentale, c'est-à-dire interdits d'institutions représentatives permettant l'accès à la parole politique» (p.59), «La chronique des «nadis» a marqué de son sceau un stade d'évolution dans la société. Elle créa une atmosphère politique et intellectuelle donnant la chance à de nombreux talents d'émerger dans les domaines de l'art et de la littérature» (p.77), «Cette génération nouvelle, autrement formatée, qui avait l'obsession du temps, de la rigueur morale et de la rationalité, commençait à avoir un nouveau regard sur l'islam, desserrant l'étau des conformismes et réinventant l'esprit critique. Au milieu d'un puritanisme ambiant, elle était favorable à une réinterprétation des principes juridiques fondamentaux à la lumière des temps modernes» (p 95).
Avis : Un travail de recherche et d'investigation minutieux et riche qui recrée toute une atmosphère, qui redonne vie à toute une époque et qui rend justice aux efforts culturels et à l'engagement politique de toute la jeunesse d'alors. Ecriture un peu difficile, mais ne pas se décourager.
Citations : «Dominant la langue, les concepts à forte connotation idéologique : «assimilation», «émancipation» n'ont cessé de changer de sens, installés progressivement dans l'argumentation idéologico-politique coloniale. Transformés en symboles, ces thèmes ont été utilisés pour donner des habits à la colonisation» (p.9), «La mouvance des «Jeunes» dans les cercles n'était pas une force organisée, mais une sensibilité innovante, un peu révolutionnaire, par rapport à l'esprit encore trop conservateur de l'époque» (p.53), «La modernité recherchée est celle qui libère l'homme et lui donne une identité nouvelle à travers l'expression de sa dignité, son savoir, son humanité orientée vers le progrès, dans le paysage contemporain novateur» (p.154), «La religion musulmane ne s'oppose pas au progrès, le seul et unique obstacle consiste en l'ignorance profonde dans laquelle sont plongés les musulmans depuis plusieurs siècles. C'est cette ignorance qui est la source de tous leurs maux» (p 188). Benali Fekar cité, in «L'usure en droit musulman», Lyon 1908).
Pour progresser et vivre librement dans la dignité, il fallait pour les hérauts de la nouvelle jeunesse en priorité, libérer la parole celle-ci restée confinée aux frontières d’une marge opérationnelle, très réduite, sur tous les sujets : les droits, les libertés, l’instruction… éléments clés du progrès. Ainsi, dans sa dynamique, il lui fallait commencer par faire le choix celui de créer ses propres espaces de débats et d’identification et de liberté en mode in associations libres, cercles ou ‘’Nadis’’ sous l’influence des courants modernistes en agitation notamment en Turquie. Associés à différents courants idéologiques, ils étaient devenus les lieux de cristallisation de la parole et des premières expériences politiques. Partout les Jeunes d’où le paradigme ‘’Jeunes–Turcs’’ partageaient la même vision du monde.
Ces espaces d’émergence ou ‘’Nadis’’ , ont, au tournant du XXe siècle, laborieusement réussi à changer la société inventant une forme particulière de démocratie, une histoire qui aurait pu se continer. Ils furent créés sur une base politique et culturelle au moment où les élites qui, avec un certain esprit cartésien, commençaient à se poser des questions sur leur isolement. Les Jeunes ne pouvaient continuer longtemps à se satisfaire de leur rôle passif. De ce fait, ils commençaient à faire évoluer, d’un certain point de vue, l’activité du circuit ancestral des ‘’Masriyate’’ , ses îlots au cœur de chaque quartier de la vieille médina ou l’on s’y réfugiait entre soi offrant traditionnellement le cadre de rencontres où le moindre fait du jour, la moindre parole est traquée, le soir, à l’instar de ces autres lieux mythiques : les ‘’fondouks’’ et les petites sociétés de groupe dans les cafés. Ces cercles du temps vont alors abriter, au départ, la naissance de nombreux cercles ou ''Nadis'' où sont forgées les nouvelles convictions de la jeunesse. Ils ont servi d’espaces à la montée des ‘’Jeunes’’, acteurs de la nouvelle mutation entrés en scène, s’imposant comme des modèles dans le contexte particulier de l’époque. Ils y vont également fleurir dans d’autres villes devenant un fait de société. C’est dans cet esprit que vont alors se multiplier ces ‘’safe spaces community’’, indéfectibles creusets des élites, animés par des personnalités de la scène culturelle, dont le relais joua un rôle décisif dans la conscientisation et à la propagation du nationalisme avec des voix qui s’élevèrent dans les milieux citadins. Leur rôle reflète la place qu’ils ont occupée dans le pays au champ du combat politique et culturel. Le crédo des ‘’ Nadis’’ ou cercles du temps où les jeunes prenaient leurs quartiers. Ces lieux qui allaient faire bouger les lignes du statu quo vont susciter de rapprochements et par là aussi, des vocations. En offrant aux jeunes un contexte de rencontres où ils pouvaient ensemble œuvrer à imaginer des choix politiques. Ils ont, au début du XXe siècle, bouleversé la vie culturelle et politique à Tlemcen. Cet élan fut à l’origine d’une véritable petite révolution soufflant un nouvel esprit. Impliquant de nouveaux comportements il fut, ainsi, au fur et à mesure des engagements, à l’origine de nouvelles formes de pensées dont celles inclinant vers la gauche progressiste acceptant les idées laïques qui ont commencé à prendre place à l’intérieur de la société. Ces lieux ont pendant, la durée marquant le nationalisme, symbolisé ce lien avec le combat permanent qui a conduit à, l’indépendance. La pensée progressiste anti impérialiste caractéristique d’une modernité a fait fortement impact vers les années ‘’30’’ à Tlemcen et cela, dans le milieu des jeunes intellectuels avec des figures de proue telles Mohamed Badsi militant communiste et nationaliste fondateur , en 1928, à Tlemcen de l’association ‘’Les amis de l’U.R.S.S’’ qui a structuré la gauche en éclosion particpant aux côtés de Amar Ouzegane secrétaire du parti communiste en Algérie ainsi que d’autres délégués militants dont Sid Ahmed el Yebdri, aux travaux du congrès constitutif du parti communiste , les 16 et 17 octobre 1936, à Alger . Voir plus tard encore toute l’équipée des jeunes politiquement motivés et qui , engagés dans ses rangs, vont faire leus premières passes politiques : Mustapha Yellès Chaouche, Abderrahmane Bouchama , Abdelkader (Djilali) El hassar … de la première génération suivie par des jeunes au profil d’intellectuels , instituteurs ou professeurs laïcs , dont Mohamed Dib , Abdelkader Guerroudj , Ghani Mered, Sid Ahmed Triqui, Djelloul Yellès, le martyr Inal Sid Ahmed…infuencés par la révolution soviétique d’octobre 1917 et constituant un front du progrès mobilisant les Jeunes qui avança spectaculairement dans cette cité . L’écrivain Mohamed Dib a gardé vivace le souvenir de son militantisme de gauche au sein du parti avec Mohamed Badsi qu’il cite dans l’univers de sa trilogie , ‘’La grande maison ‘’.
https://www.vitaminedz.com/fr/Algerie/les-cercles-ou-nadis-lieux-224807-Photos-13-249-1.html
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Rédigé par : Ben | 13/05/2022 à 17:15
AMILA RAHAL, AUTRICE DE “TU ES PLUS LIBRE QUE TES GEÔLIERS”
“L’Histoire est le fil conducteur de ce récit romanesque”
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HANA MENASRIA
Publié 28 Mars 2022 à 09:21
© D.R
Ancienne journaliste et éditrice à Oran, Jamila Rahal est également organisatrice d’événements littéraires et autrice de livres de jeunesse. “Tu es plus libre que tes geôliers” (éditions Casbah) est son premier roman. Rencontrée au 25e Sila, elle évoque sa passion pour l’histoire et sa reconversion en romancière.
Liberté : Vous venez de signer votre premier roman historique. Comment est né ce projet ?
Jamila Rahal : Tu es plus libre que tes geôliers est mon premier roman, et il a mûri durant un certain temps avant son écriture et sa publication. Quand je suis arrivée à ce stade de ma vie où celle de mes enfants s’est détachée un peu de la mienne, j’ai retrouvé du temps pour moi et cela m’a permis de me consacrer réellement à l’écriture. C’est un roman historique et non un livre d’histoire ni une autobiographie ; tous les personnages sont fictifs, et ce, même s’ils évoluent dans un contexte historique bien déterminé, qui est celui de l’Algérie coloniale (1890-1954). La matière historique évidemment, c’est le matériau essentiel, le fil conducteur pour construire ce récit romanesque. En fait, le volet réel consiste en des évènements très importants survenus à l’époque, comme la conscription obligatoire des musulmans en 1912, les Guerres mondiales 1re et 2e, avec leur sinistre épilogue du massacre du 8 mai 45, le crash boursier de Wall Street, la montée du mouvement national avec toutes ses couleurs jusqu’à l’explosion finale du 1er Novembre 1954. Tous ces évènements ont impacté mes personnages d’une manière ou d’une autre.
Pour son écriture, avez-vous réalisé des recherches approfondies ?
J’ai eu la chance d’avoir un papa féru d’histoire. Depuis mon plus jeune âge, j’ai pris l’habitude d’être entourée de livres d’histoire ; j’étais attirée par mon père durant sa lecture, avant d’être attirée par la lecture du livre. Quand mon père lisait, il avait des expressions sur le visage ; il avait une lecture qui s’apparentait au spectacle et cela m’a toujours fascinée. Quand, j’ai eu du temps pour moi, je me suis dit alors : “J’ai la prédisposition, la patience et l’envie pour le faire”. Mais malgré ma passion pour l’histoire, je ne suis pas une experte ; alors j’ai réalisé en amont un travail colossal et l’écriture m’a pris trois ans. Durant ces trois années, une bonne partie a été consacrée à la recherche. J’ai lu certains livres brièvement, d’autres d’une manière plus approfondie et quelques-uns pour retrouver les différentes ambiances du passé, par exemple les chansons, les plats ou les restaurants fréquentés, les films, la mode vestimentaire… J’ai effectué ces recherches afin de donner plus de chair et de profondeur possible à mes personnages, et ce, pour mieux les camper. J’ai aussi fouillé mes mémoires, dans les bas-de-pages, les adages sont traduits en arabe.
Ma mère parlait comme si elle déclamait un poème, elle est très imprégnée de sa ville, Tlemcen. À cet effet, pour donner plus de chair à mes personnages, ils parlent comme ma mère ! D’ailleurs, toutes les parties intimistes du livre, à l’exemple de disputes entre belles-mères ou belles-filles, je les pense en arabe dialectal pour les traduire en français, contrairement à la partie historique, qui est pensée en français.
C’était très important pour moi de le traduire à ma manière ! Je suis issue d’une famille de tradition orale, donc j’ai essayé de retranscrire cette oralité le mieux possible.
Du livre jeunesse au roman… quelle voie pensez-vous poursuivre ?
Comme expliqué, je viens d’une famille de tradition orale, j’ai commencé avec mes enfants en leur racontant des histoires de mon invention. Je m’amusais à lire les émotions sur leur visage comme la tristesse, la joie, le soulagement… Je me suis mise alors à l’écriture de ces histoires.
Aujourd’hui, je continue à écrire des livres jeunesse, mais personnalisés pour mes petits-enfants, d’ailleurs, c’est ce que je leur offre pour leurs anniversaires. Et l’écriture jeunesse reste attacher à mon côté maman et mamie. Mais ma reconversion c’est le roman, c’est ce que j’ai envie de faire.
Entretien réalisé par : Hana Menasria
https://www.liberte-algerie.com/culture/l-histoire-est-le-fil-conducteur-de-ce-recit-romanesque-375576
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Rédigé par : Ben | 13/05/2022 à 17:03