Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
«Dans les quatre Conventions de Genève de 1949 relatives à la protection des victimes de la guerre, la compétence universelle est prévue pour les violations de ces Conventions qualifiées d'«infractions graves». Le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949 étend le principe de la compétence universelle aux infractions graves relatives à la conduite de toutes les infractions graves de crimes de guerre (art. 85).
D'autres instruments pertinents pour le DIH, tels que la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et son Deuxième Protocole, prévoient une obligation similaire pour les États parties de réprimer les violations graves de ces instruments sur la base du principe de la compétence universelle. Le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949 étend le principe de la compétence universelle aux infractions graves relatives à la conduite des hostilités. Il qualifie aussi toutes les infractions graves de crimes de guerre (art. 85)» ( International Committee of the Red Cross (icrc.org))
Der Spiegel» le quotidien allemand, de réputation universelle, a publié, sur son site internet, une dépêche de l'AFP faisant état de la condamnation par un tribunal allemand, et à une peine de prison à perpétuité, d'un ancien responsable gambien, accusé de «crimes contre l'Humanité.»
LE «PRINCIPE DE LA COMPETENCE JUDICIAIRE UNIVERSELLE» MIS EN OEUVRE PAR LA JUSTICE ALLEMANDE POUR LES CRIMES CONTRE L'HUMANITE
Pour éviter tout soupçon de manipulation de l'information ou d'interprétation biaisée de son continu, on a jugé utile d'en reproduire ici une traduction «verbatim» qui permettra à chaque lecteur d'en tirer la conclusion la plus objective possible :
«Le Tribunal régional supérieur de Celle a condamné à la prison à vie un ancien membre de l'escadron de l'ancien dictateur gambien Yahya Jammeh. Le tribunal a déclaré Bai L., accusé de crimes contre l'Humanité, de meurtre et de tentative de meurtre, coupable de tous les chefs d'accusation.
Bai L. est le premier ancien employé du régime de Jammeh à être jugé dans le monde entier selon le principe de la Juridiction universelle. Il permet aux États de poursuivre les pires crimes internationaux tels que le génocide, les crimes de guerre ou les crimes contre l'Humanité, même s'il n'y a aucun lien direct avec leur propre pays.»
Ainsi, cette dépêche informe-t-elle que la justice allemande a traité cette affaire en s'appuyant sur le principe de la «compétence judiciaire universelle» en matière de crimes de masse, et de génocide.
Par ce principe on entend que toute juridiction nationale qui est saisie d'une plainte contre un individu ou un groupe d'individus qui auraient commis des actes que l'on peut qualifier, sur la base de preuves matérielles et de témoignages recoupés, vérifiables et provenant de sources fiables, est tenu de recevoir la plainte et de la juger sur la base des procédures propres à son système judiciaire, et d'émettre des condamnations qui ont la force de la «chose jugée,» et doivent être exécutées par les autorités compétentes nationales.
UNE CONDAMNATION LEGALE AYANT LA «FORCE DE LA CHOSE JUGEE»
La condamnation de cet ancien responsable gambien n'a rien de fictif ou d'illégal, et les autorités allemandes sont tenues de veiller à ce que la peine prononcée soit mise à exécution par les services nationaux chargés de l'application des peines.
Il est à souligner que les victimes de ces crimes n'étaient ni des citoyens allemands, ni des administrés du gouvernement allemand, et que ces crimes se sont déroulés sur un territoire étranger, hors du continent européen, et sur lequel le gouvernement allemand n'avait et n'a aucune responsabilité légale, de quelque nature qu'elle soit.
De plus, la Gambie est un Etat indépendant, qui, sans aucun doute, possède un système judiciaire lui permettant de prendre en charge le jugement et la condamnation de son citoyen. Une procédure d'extradition aurait pu être mise en œuvre par un et l'autre des deux pays impliqués pour que la procédure judiciaire contre ce criminel soit faite dan son pays d'origine.
LA JUSTICE ALLEMANDE A LIBREMENT CHOISI DE PRENDRE EN CHARGE LE PRINCIPE DE LA «COMPETENCE JUDICIAIRE UNIVERSELLE»
La justice allemande a donc agi de manière volontariste, et en connaissance de cause, alors qu'elle aurait pu se défausser sur la Gambie, et refuser de juger le «criminel,» en décidant de l'extrader vers son pays d'origine. Elle a estimé, cependant, qu'elle avait compétence pour la poursuite de ce crime, sur la base du principe qu'un crime contre l'Humanité n'interpelle pas seulement le pays ou les autorités du pays où il a été commis, mais que sa nature est tellement horrible que n'importe quel pays a le droit de s'en saisir, de le juger et de condamner celui ou ceux qui l'ont commis.
Il s'agit ici, donc, d'un précédent d'une immense portée judiciaire, qu'a créé le tribunal allemand devant lequel l'affaire a été jugée, et qui a tranché par une peine de prison à perpétuité contre le criminel.
UNE JURISPRUDENCE QUI NE SAURAIT ETRE IGNOREE PAR LA JUSTICE ALLEMANDE
Cependant, reste à savoir si cette «jurisprudence» est de caractère strictement opportuniste, car on peut faire remarquer, sans porter atteinte à la validité de la procédure et à son importance à l'échelle universelle, que le pays en cause ne pèse pas lourd sur la scène internationale, et que, donc, les autorités judiciaires allemandes savaient, sans doute, qu'elles n'allaient pas se retrouver dans une situation de crise diplomatique complexe, et qu'elles pouvaient, sans crainte de pressions extérieures, si ce n'est de représailles, juger, en toute quiétude, ce criminel.
Mais, la jurisprudence ne peut être ignorée, et tant le jugement que la peine font précédent créant une obligation pour le système judiciaire allemand d'accepter d'entendre des affaires similaires s'étant déroulées dans d'autres pays, avec d'autres acteurs officiels et/ou représentatifs de leurs pays, qui auraient commis ou provoqué, - ou incité à- la commission de crimes contre l'Humanité, de génocide ou d'autres crimes de masse perpétrés contre leurs propres citoyens ou des minorités dont elles assurent la responsabilité.
APPLIQUER LE PRINCIPE AUX CRIMES CONTRE L'HUMANITE COMMIS PAR LES RESPONSABLES ET LES PORTE-PAROLES DE LA COLONIE DE PEUPLEMENT D'ISRAËL
Il est évident que l'on a à l'esprit non seulement les paroles, mais également les actions des leaders de la colonie de peuplement d'Israël, qui , de l'avis tant de juristes, de chefs d'Etats, d'institutions internationales, ont commis et commettent contre le peuple palestinien, et depuis 1919, des crimes que l'on peut qualifiés de crimes contre l'Humanité ou de génocide.
Ces crimes ressortissent directement du projet sioniste, et n'ont pas de lien direct et immédiat avec les évènements actuels, quelle que soit la qualification qui leur est donnée. Ce ne sont pas les «attaques terroristes,» si récentes et si brutales aient-elles été, qui auraient justifié la violence et la barbarie de la riposte allant au-delà des simples représailles militaires. Le sionisme en lui-même est une idéologie génocidaire , fondé sur le refus de reconnaissance de l'existence du peuple palestinien, et qui tente, depuis son implantation sur le territoire de la Palestine historique, de faire disparaître, par l'oppression la plus inhumaine, et par le meurtre et la destruction, ce peuple du territoire qu'il occupe depuis des millénaires. Donc, dans toute action militaire sioniste, il y a comme dessein final, exprimé de manière inambigüe, par les dirigeants de cette colonie de peuplement, l'objectif de génocide et de crime contre l'Humanité.
MEYER-HABIB : INCITATION AU GENOCIDE DU PEUPLE PALESTINIEN
D'ailleurs, un député «israélien» auprès de l'Assemblée nationale de l'ex-puissance coloniale, vient, encore une fois de rappeler le sort ultime réservé aux Palestiniens par les sionistes. Ce député, dont le nom est «Meyer-Habib,» vient de déclarer publiquement que « les Palestiniens sont un cancer.» Que fait-on du cancer ? On ne veut nullement laisser l'impression que le lecteur n'est pas capable par lui-même d'interpréter cette qualification du «député.» Un cancer, ça se combat sans pitié, jusqu'à son éradication, c'est-à-dire sa disparition complète et définitive. On est autorisé à utiliser contre lui la «chimiothérapie,» et les «radiations.» L'essentiel c'est de l'éliminer. Appliquée à un peuple, cette qualification est atroce, car elle signifie que tous les moyens, y compris les armes chimiques et l'arme nucléaire, peuvent et doivent être utilisées pour éradiquer le peuple palestinien.» On ne peut donc que qualifier la déclaration de Habib-Meyer que comme un appel au génocide de ce peuple. Cette qualification justifie une poursuite judicaire contre lui pour incitation à génocide et crime contre l'Humanité.
LE CAS ABONDAMMENT DOCUMENTE DE NETANYAHOU ET DE SES COMPLICES DANS LES CRIMES CONTRE LE PEUPLE PALESTINIEN
Netanyahou et ses acolytes sont directement responsables de l'opération de représailles contre le peuple palestinien à Gaza, opération qui n'est qu'une étape dans la liquidation de ce peuple, et dont «Amnisty international» donne un aperçu abrégé, ci-dessous :
«Jusqu'à présent, les bombardements effectués par Israël, d'une intensité et d'une ampleur de dévastation très fortes, ont provoqué un massacre et de grandes souffrances pour des millions de personnes. On recense plus de 14.000 morts, dont 5.500 enfants, à Gaza. Plus de 1.200 personnes ont été tuées lors des terribles attaques du 7 octobre menées par le Hamas et d'autres groupes armés en Israël. Israël a renforcé son siège, coupant l'approvisionnement en eau, nourriture, fournitures médicales et carburant dont la population a tant besoin, dans un acte délibéré de cruauté destiné à sanctionner collectivement la population civile de Gaza.» ( Israël/TPO. L'accord pour la libération d'otages et de prisonniers doit augurer d'autres libérations et un cessez-le-feu durable - Amnesty International)
Les chefs d'accusation portés contre Netanyahou et ses complices et comparses pour crimes de guerre, crimes contre l'Humanité et génocide, ne manquent pas de preuves. La destruction de Gaza n'est que la plus récente et la plus brutale opération, alors que la population désarmée des territoires occupées voit une exacerbation de la violence sioniste délibérée contre le peuple palestinien.
La justice allemande ne saurait fuir ses responsabilités et refuser de recevoir toute plainte portée contre les leaders de l'entité sioniste, qui ont, sans aucun doute, commis des crimes autrement plus sérieux et plus atroces que les crimes perpétrés par ce fonctionnaire gambien, car leurs crimes entrent dans le cadre d'un projet génocidaire proclamé et faisant partie du noyau de l'idéologie sioniste, et non d'une série d'actes de répression en réaction à des attaques provoquées ou non provoquées.
Ces crimes s'insèrent dans un ensemble d'actions préméditées visant à l'extermination d'un peuple. Ceci n'est pas le cas du fonctionnaire gambien et donc il y a là une preuve à décharge contre lui, en opposition aux sionistes !
ISRAËL : LE SEUL PAYS OU LES COLLABORATEURS NAZIS N'ONT PAS ETE POURSUIVIS
Israël ne peut même pas prendre l'Holocauste, pour fuir les foudres de la justice allemande, et justifier sa brutale politique contre les Palestiniens. On se doit de rappeler que c'est le seul pays au monde où les complices de cette tuerie de masse n'ont jamais été poursuivis, comme le révèle la citation suivante , extraite d'un livre publié en 1990 aux USA , et intitulé : «La fin du Sonisme et la libération du peuple juif», citation provenant d'un rabbin rescapé des camps de la mort.
«C'est là que réside le paradoxe : l'État qui se désigne comme « Israël » a dans ses livres une loi exigeant que justice soit rendue aux nazis et à leurs collaborateurs, mais pour ceux chargés de culpabilité qui se tenaient à la tête de la communauté juive pendant l'Holocauste, il n'y a pas de loi pour leur demander des comptes. Non seulement cela, mais ceux qui sont morts dans l'intervalle sont loués et vénérés, et ceux qui sont encore en vie maintiennent leurs positions respectées, tout en continuant à s'affirmer en tant que représentants du peuple juif. (p. 25)
«Interrogez les survivants des ghettos et des camps. Ils certifieront que les coups qu'ils ont reçus de la part de la jeunesse dorée' juive étaient remplis de mépris. Ils ont accompli leurs tâches avec un zèle et une cruauté bien supérieurs à ceux exigés par les Juifs. Les commandants allemands. P. 26» (REB MOSHE SCHONFELD : L'accusation des victimes de l'Holocauste)
En conclusion
Un tribunal allemand, se basant sur le principe de «la compétence judiciaire universelle,» selon lequel tout individu ayant commis des crimes particulièrement odieux, et qui peuvent être qualifiés de crimes contre l'Humanité,» ou de «génocide,» peut être poursuivi même devant une juridiction sans compétence territoriale liée directement au lieu où le crime a été perpétré.
Ce jugement, dont l'exécution ressortit de l'autorités allemande chargée de l'application des peines constitue un précédent, selon le principe de la «chose jugée,» et doit être considéré comme créant jurisprudence forçant la justice allemande à se saisir de crimes de même nature commis dans d'autre pays et portés devant elle par toute instance individuelle ou collective intéressée ou concernée ;
Cette jurisprudence a été générée par la poursuite d'un officiel gambien accusé de ce type de crime ;
La justice allemande doit prouver que la poursuite de ce crime n'a rien d'opportunisme et qu'elle est disposée à en faire de même lorsque ce type de crime a été commis par des responsables d'autres pays ayant plus de poids diplomatique que la Gambie ;
La justice allemande doit accepter de traiter les plaines éventuellement portées auprès d'elle contre les crimes commis par l'entité sioniste au détriment du peuple palestinien ;
Les cas en l'espèce sont ceux de Meyer-Habib, député «français» qui appelle directement et de manière on ne peut plus claire, au génocide du peuple palestinien et de Netanyahou qui, avec l'appui et la complicité d'autres comparses, mène actuellement des opérations de meurtre de masse et de destruction contre le peuple palestinien, que ce soit à Gaza ou dans les territoires occupés, dans le cadre du projet sioniste d'extermination du peuple palestinien ;
Les sionistes ne peuvent plus arguer de l'Holocauste, pour justifier leur projet, d'autant moins qu'ils ont passé l'éponge sur les complicités juives de ce crime abject qu'ils exploitent de manière éhontée pour couvrir le génocide du peuple palestinien.
Texte (en français) et vidéo (en anglais) de la conférence du professeur Etienne Balibar sur « La Palestine, l’Ukraine et autres guerres d’extermination : le local et le global » donnée dans le cadre des conférences Bisan le 13 décembre 2023.
Résumé : La guerre en Ukraine et la guerre en Palestine ne sont certainement pas les seuls cas de guerres « chaudes » de notre présent ou passé récent, et il est vraisemblable qu’elles ne resteront pas les seules dans un avenir prévisible. Pourtant, elles nous confrontent à des interpellations tout aussi dramatiques. Et, avec toutes leurs différences que nous ne pouvons négliger, qui remontent dans chaque cas à une histoire longue, complexe, tragique, et qui font référence aux circonstances de leur début (ou nouveau début), elles soulèvent certains problèmes communs. Quelques-uns sont essentiellement liés à leurs déterminations « locales », telles que les questions hautement conflictuelles d’appropriation et d’expropriation qui régissent l’articulation de la population et du territoire et, avant tout, les questions morales et juridiques de justice qui émergent des relations de domination, d’agression, de destruction, d’extermination. D’autres impliquent une perspective « globale », que l’on peut cependant inscrire dans des cadres analytiques d’interprétation très différents : droit international et résolution des conflits, stratégies impérialistes et anti-impérialistes, politiques nationalistes de militarisation et forces cosmopolites de démilitarisation. Cette conférence n’a pas la prétention de couvrir toutes les dimensions de la situation, sans parler de proposer des « solutions » pour parvenir dans chaque cas à une « paix juste ». Je vais essayer de réfléchir à l’articulation de ces deux niveaux et soumettre à la discussion des enseignements provisoires de la comparaison. Sans jamais oublier que – en tant que citoyens du monde avec plus ou moins de liens personnels directs avec les populations et les lieux actuellement soumis à la destruction et au massacre – notre principal devoir est d’agir, pas de parler. Mais agir, où et quand c’est possible, exige aussi une réflexion commune.
Texte de l’exposé
Cher-e-s collègues, cher auditoire, j’ai accepté sans hésiter, mais avec un peu d’inquiétude, l’invitation à donner cette conférence Bisan, qui est un grand honneur pour moi. Nous sommes au milieu d’une guerre sauvage menée par l’État d’Israël contre la population de Gaza, avec des milliers d’adultes et un nombre monstrueux d’enfants déjà tués et encore plus nombreux mutilés. Deux millions de personnes sont poussées hors de leurs logements pour se retrouver à nouveau sous les bombardements sur la route ; des secteurs urbains entiers sont transformés en ruines ; écoles, hôpitaux, universités, mosquées, théâtres, bâtiments administratifs, sites archéologiques, bref une société tout entière est à jamais détruite. A l’encontre de toutes les lois de la civilisation et des conventions internationales, la fourniture de nourriture, d’eau, de carburant et d’aide médicale s’est vue interdite d’accès à la population. L’ONU met en garde contre une catastrophe humanitaire imminente de magnitude historique, si elle n’est pas déjà là. Permettez-moi alors d’être très clair. Les Palestiniens de toutes les parties du pays ou de l’étranger n’ont pas vraiment besoin de suivre une conférence sur cette situation et ses responsabilités. Ils ont aussi leurs idées, peut-être multiples, sur le dénouement qui pourrait être recherché, s’il en existe encore un – chose que nous ne devrions pas nier, même au moment le plus désespéré. Je n’ai jamais pensé que je devais parler pour les Palestiniens, encore moins à leur place. J’ai pensé que je devais leur parler à eux, avec mes propres mots et en harmonie avec d’autres intellectuels, pour exprimer notre solidarité et notre engagement à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin au massacre et aider à la libération du peuple de Palestine. Mais j’ai également pensé que je devais saisir l’occasion que m’offrait votre hospitalité pour me parler à moi-même, essayer de clarifier ce qui fait que l’épisode actuel de la « Guerre de Cent Ans sur la Palestine », comme l’a appelée l’historien Rachid Khalidi, révèle un nouveau modèle de conflits meurtriers et d’apories politiques qui affecteront la condition de toute l’humanité. C’est ce qui m’a conduit au projet hasardeux de comparer la guerre sur l’Ukraine et la guerre sur la Palestine, qui se déroulent à deux « frontières » de l’espace euro-méditerranéen et impliquent en partie les mêmes acteurs (pensez à la fourniture continue d’armes américaines aux deux endroits). Il m’a semblé que, du point de vue de ce qui se passe maintenant en Palestine, certaines des implications de la guerre russo-ukrainienne peuvent être plus clairement identifiées, et que, à la lumière de ce qui est en cours en Ukraine, on pourrait interroger de manière significative l’articulation des caractères historiques « locaux », « autochtones » et des déterminations cosmopolitiques plus « globales » dans la guerre de Palestine. Bien sûr, je suis conscient que, outre les erreurs que je ferai inévitablement, il y a ici un danger à superposer artificiellement des situations hétérogènes, qui soulèvent différents problèmes de généalogie, d’identité collective, de statut d’État, de stratégie militaire, de droits, d’effets internationaux. La singularité de chaque situation ne devrait jamais être brouillée dans un souci de généralisation. Je tâcherai de garder ce danger à l’esprit, tout en vous demandant d’accepter la comparaison en tant qu’hypothèse de travail et instrument analytique. Je pense que cela ne nous détournera pas de l’urgence qui, dans les deux cas, demande un engagement politique résolu.
En préambule, je veux justifier mon utilisation du terme « extermination » dans le titre qui a été annoncé. J’ai déjà reçu quelques questions et objections à propos de ce choix, concernant à la fois sa définition et son champ d’application. Parler d’extermination signifie que nous incluons dans la caractérisation d’une guerre ses effets destructeurs sur despopulations, qu’elles soient constituées de civils ou de soldats, ou d’un mélange des deux, et que nous écartons donc la terminologie trompeuse de « dommage collatéral ». Dans des limites données de territoire et de temps, ceci peut aller de massacres ciblés à la destruction de l’environnement avec tous ses habitants, ou la plupart d’entre eux. Que ceci ait fait oui ou non partie de leur plan (j’ai tendance à penser que ce l’était), le Hamas a commis le 7 octobre des massacres exterminateurs dans son assaut sur les kibboutz et le festival israéliens, qui semblaient répliquer les massacres perpétrés par les paramilitaires juifs sur les Palestiniens pendant la Nakba. La destruction actuelle de Gaza se fait dans des proportions complètement différentes : du jour au lendemain, s’il n’y a pas de cessez-le-feu, si les frontières restent scellées, si l’aide humanitaire reste bloquée, et si les épidémies se répandent, cela pourrait devenir l’une des pires tueries depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Les troupes russes qui ont envahi l’Ukraine ont commis des massacres dans les villages ukrainiens (comme à Butcha) et ont réduit la ville de Marioupol à un tas de ruines (exactement comme ils l’ont fait à Chechnya). Ils ont sans cesse ciblé des quartiers civils avec des missiles et des bombes. Et, bien que les chiffres exacts soient couverts par le secret militaire, il semble que la « guerre de position » prolongée, réminiscence des tranchées de la Première Guerre Mondiale, dans laquelle Ukrainiens et Russes sont maintenant coincés, équivaut à un processus mutuel d’extermination, parfois appelé « attrition » dans le jargon militaire, signifiant que l’issue sera déterminée par la capacité des deux peuples à accepter l’anéantissement de sa jeunesse. Bien sûr, ce caractère « exterminateur » n’a rien de neuf : dans le passé, il caractérisait les conflits armés qui devenaient des « guerres totales », notamment les deux Guerres mondiales (dont les chiffres restent hors d’atteinte, mais ont été proportionnellement approchés dans des conflits « locaux » tels que la guerre Iran-Irak dans les années 1980). Il a également caractérisé des guerres coloniales telles que la guerre d’Algérie menée par les Français, ou la guerre du Vietnam menée par les Américains. Nous sommes impressionnés par le « retour » de conflits de haute intensité, qui avaient été déclarés comme appartenant au passé. Et nous sommes inquiets devant le fait – sur lequel je reviendrai – que « l’Ukraine » et « la Palestine » surviennent comme des conflits sans solution diplomatique dans un avenir prévisible, laissant la porte ouverte à diverses formes d’« intensification ».
Maintenant, la discussion sur le caractère des guerres ne peut rester enfermée dans ce genre de formules descriptives, à cause des questions morales, juridiques et politiques qui y sont impliquées. Deux autres catégories plus controversées ont été invoquées qui sont largement surdéterminées : le terrorisme et le génocide. Je dois essayer de clarifier ma position sur leur utilisation légitime dans les deux cas.
En ce qui concerne le « terrorisme », la situation est compliquée par le rejet généralisé mais incohérent de l’idée qu’un mouvement ou une organisation pourraient être en même temps un mouvement de « résistance » et utiliser des méthodes « terroristes », idée qui dérive du fait que chaque État confronté à une résistance armée ou une insurrection la qualifie de terroriste afin de la délégitimer. Elle est aggravée par le fait que, depuis les attaques du 11 septembre et la « Guerre au terrorisme » qui s’en est suivie, des listes d’« organisations terroristes » ont été émises par divers pays et institutions, dont les États-Unis, l’Union Européenne, mais aussi la Russie et les Nations unies, ce qui signifie que des organisations ou des mouvements ainsi définis sont hors-la-loi et qu’on ne peut négocier avec eux (officiellement du moins). Ce sont des « ennemis absolus » qu’on ne peut que combattre et détruire. Mais c’est là une logique dans laquelle les États sont à la fois juges et parties. Je pense que nous devons repartir d’une description des actions elles mêmes, pour tenter de caractériser les forces ou les institutions qui les portent. Le Hamas est une organisation déjà ancienne de résistance du peuple palestinien, fondée sur une idéologie religieuse (comme beaucoup d’autres dans le passé ou le présent), une histoire complexe de rivalités avec d’autres, une stratégie qui oscille entre des actions violentes et non violentes, et une capacité à susciter l’adhésion de la population. Je comprends pourquoi les intellectuels palestiniens expliquent que, face à une guerre totale menée à Gaza, ils ne peuvent se dissocier du Hamas, même lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec son idéologie ou sa stratégie. Et je comprends pourquoi l’opinion publique dans le monde arabe (et au-delà) choisit d’isoler l’aspect de défi héroïque à leur puissant ennemi (même si c’est parfois au prix de la négation des faits les plus dérangeants). Néanmoins, je vois le massacre du 7 octobre qui comporte diverses atrocités perpétrées contre des civils comme une action purement terroriste (également au sens littéral du terme : destinée à répandre la terreur), qui oblige à conférer un caractère terroriste à l’organisation elle-même. Cependant, si nous regardons les actions commises depuis des décennies envers le peuple palestinien par l’État d’Israël (et, avant lui, par les milices sionistes), ou aujourd’hui en Cisjordanie par les colons aidés par l’armée, il n’y a aucune possibilité d’échapper à la conclusion qu’Israël est un État terroriste (tout comme la Russie a été un État terroriste à Chechnya, les États-Unis ont été un État terroriste en Irak, la France en Algérie et dans d’autres colonies, etc.). La symétrie ne justifie pas à mes yeux la méthode terroriste, ni ne l’empêche de faire du tort à long terme à la cause de la Résistance. Elle ne fait que fournir un contexte nécessaire à l’interprétation de ce qui s’est passé et quelle signification nous donnons à certains termes que nous utilisons.
Peut-être la question du génocide est-elle plus compliquée, mais elle n’est pas moins essentielle pour notre évaluation de la situation à laquelle nous faisons face. Tout d’abord, nous devons avoir à l’esprit à quel point l’histoire tragique des deux régions et des deux conflits est hantée par le souvenir des plus grands génocides du XXème siècle, les modèles qu’ils ont créés pour l’évaluation de l’extrême violence et la fonction qu’ils ont acquise pour cimenter les identités collectives des « survivants » : l’Holocauste des Juifs européens perpétré par l’Allemagne nazie dans toute l’Europe avec l’aide d’autres régimes fascistes, et la famine mortelle programmée de millions de paysans soviétiques, dont la plupart étaient ukrainiens, ciblés aussi à cause de leur nationalité, connue aujourd’hui sous le nom d’Holodomor. Ces mémoires sont instrumentalisées en Israël et, de façon différente, en Ukraine, mais ce sont de véritables traumatismes transmis de génération en génération, générant des affects contradictoires qui vont de l’angoisse de la répétition à la projection de l’image des anciens bourreaux sur les ennemis actuels. C’est un processus qui comporte des résultats ambivalents sur lesquels il faut enquêter à l’aide de notions psychanalytiques telles que la pulsion de mort, et le transfert du traumatisme des victimes sur leurs propres victimes (Edward Saïd a autrefois écrit que le sort tragique des Palestiniens, c’est d’être devenus les victimes des victimes). Mais si nous nous concentrons sur nos deux champs de bataille, il semble se dégager une nette dissymétrie. La propagande russe a prétendu que l’Ukraine était en train de pratiquer un « génocide » dans la région orientale principalement habitée par des Russophones (le Donbass). Et de nombreux Ukrainiens ont tendance à décrire les intentions de l’invasion russe comme une continuation de l’Holodomor. Dans le premier cas, la catégorie est clairement non pertinente (même si des violences systématiques ont été commises) ; dans le deuxième cas, le terme correct serait plutôt ethnocide, parce que le discours russe comporte une négation de l’idée d’une nation ukrainienne en tant qu’entité indépendante, et la possibilité pour un peuple ukrainien d’exister historiquement avec son gouvernement autonome et sa culture, bien que certains crimes de guerre (tels que l’enlèvement et l’adoption forcée d’enfants) soient à la limite des marques juridiques du génocide. Inversement, la catégorie de génocide, ou d’extermination avec une dimension génocidaire, semble appropriée pour décrire la catastrophe qui prend place à Gaza, et sa signification pour la survie du peuple palestinien. Cela ne devrait pas être une surprise qu’il soit utilisé, non seulement par les Palestiniens qui appellent à l’aide et aux sanctions, mais par d’estimés universitaires, des porte-parole autorisés d’organisations humanitaires et d’agences des Nations unies. Je pense que l’invocation exceptionnelle du Secrétaire Général Gutierres de l’article 99 de la Charte de l’ONU le 6 décembre peut elle aussi être interprétée dans ce sens. Parmi les comparaisons qui viennent à l’esprit, il y a les massacres génocidaires perpétrés en 1995 par les forces serbes contre les musulmans en Bosnie. Le cœur du problème est bien sûr de savoir si la combinaison de meurtres de masse et de déportations qui a maintenant affecté Gaza quoique criminel du point de vue du droit international devrait être considérée comme un effet secondaire du projet d’« éradication » du Hamas, comme prétendu par le gouvernement israélien, ou si elle constitue le véritable objectif de la totalité de l’opération militaire. Il existe de nombreuses preuves pour étayer la seconde proposition, émanant non seulement des déclarations des dirigeants israéliens qui ont promis une « deuxième Nakba » (qui ne peut être accomplie que par des moyens exterminateurs) et qui ont déshumanisé la totalité de la population de la Bande de Gaza, mais par la combinaison des éliminations à Gaza avec une brutale intensification des assassinats, des expulsions et des persécutions en Cisjordanie et à Jérusalem. Ce sont des éléments complémentaires d’une politique dont le but n’est plus simplement la discrimination de la population arabe de Palestine (pour laquelle la catégorie apartheid s’est avérée adéquate), mais finalement la création d’un territoire « purement juif » « du Fleuve à la Mer », rêve de longue haleine de l’extrémisme sioniste « messianique » maintenant au pouvoir. Le 7 octobre n’a fait que fournir la fenêtre d’opportunité, mais a aussi permis de gagner le soutien de la population israélienne ou son acquiescement passif, écrasant les oppositions.
Je veux maintenant aller plus loin dans la comparaison, grâce à deux étapes successives. La première essaiera d’articuler les questions de droit et de justice avec l’histoire spécifique de chaque guerre, qui est la base sur laquelle nous devons nous appuyer afin de prendre parti dans le conflit, chose que nous ne pouvons éviter à moins de devenir complices de crimes historiques. La seconde essaiera de trouver les « alliances » et les « solidarités » sur lesquelles les protagonistes s’appuient dans le cadre d’une géométrie de l’impérialisme qui pourrait expliquer les situations antithétiques dans lesquelles se trouvent les principales « victimes » des guerres, à savoir le peuple ukrainien et le peuple palestinien, par rapport aux divisions géopolitiques des luttes contemporaines pour l’hégémonie. Ainsi, d’une certaine façon, j’essaie d’examiner la dynamique des guerres intérieurement et extérieurement.
Permettez moi de commencer avec les questions de droits et de justice. Comme point de départ, nous pouvons considérer la notion de juste guerre, qui est notoirement contestée. Chaque belligérant prétend toujours être justifié, soit juridiquement, soit par quelque intérêt « supérieur ». Les pacifistes ou les défenseurs de la non-violence ont toujours évidemment rejeté cette notion : aucune guerre ne peut être « juste », même si on nous y oblige, et l’impératif de la non-violence devrait imposer des limites éthiques absolues à tout projet de résistance à un ordre oppressif, une violation de ses « vie, liberté et patrimoine » (dans la fameuse définition de Locke de l’individualité, que l’on peut étendre des individus à la collectivité). Je ne m’embarquerai pas dans une discussion des principes, mais j’adopterai le point de vue du droit international tel qu’il a été codifié dans la Charte des Nations unies (1945) : les seules guerres justes sont les guerres défensives, menées en réaction à une attaque ou une agression. Il s’agit donc d’un concept absolument dissymétrique : la guerre ne peut être « juste » des deux côtés (quoiqu’elle puisse être éventuellement injuste des deux côtés). Voilà où commencent en fait les difficultés, parce que la codification ne faisait exclusivement référence qu’à la « défense » d’États, ou d’entités politiques que l’on peut assimiler à des États. Ceci laisse entièrement pendante la question des guerres de libération, ou guerres menées par des peuples, communautés ou groupes opprimés qui ne sont pas organisés (ni reconnus internationalement) en tant qu’États, ou cela pourrait même suggérer que les guerres de ce genre sont par définition illégitimes ou « injustes ». C’est bien sûr ce que l’histoire consécutive à la décolonisation a entièrement remanié. Ce qu’elles nous enseignent, c’est que nous pouvons considérer comme une juste guerre un combat dans lequel une communauté avec un sentiment d’identité collective (chose qu’il n’est pas toujours facile de déterminer) historiquement attachée à un territoire (encore une notion complexe, du point de vue de l’« exclusivité » et des « frontières ») exprime et défend un droit à l’autodétermination et à l’auto-préservation qui est dénié ou menacé par une puissance étrangère (généralement appelée un empire). Cela s’applique, avec des nuances significatives, aux deux guerres, la guerre en Ukraine et la guerre en Palestine.
Le cas ukrainien pourrait sembler très simple, parce qu’on ne peut raisonnablement nier qu’en février 2022, l’État russe (qui se donne le nom de « fédération ») a envahi le territoire d’une République indépendante, dont il avait reconnu l’intégrité et la souveraineté après la dissolution de l’Union soviétique. La continuité de la guerre cruelle menée depuis sur le territoire ukrainien dérive de cette agression initiale et y a ajouté (dans la conduite de la guerre) d’autres dimensions criminelles (qui devraient logiquement être portées devant la Cour pénale internationale). Ce qui rend cependant les choses plus compliquées est le fait qu’un conflit plus « limité » avait été mené depuis 2014 dans la « région frontalière » du Donbass entre les séparatistes locaux et le gouvernement central de l’Ukraine, combinant des raisons linguistiques, sociales et idéologiques, un conflit que le gouvernement russe a présenté comme une guerre civile et dans lequel il est intervenu par des fournitures militaires et de prétendus « volontaires » du côté de ses « frères ». Cela a été le tout début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, conduisant à une militarisation croissante des deux côtés, particulièrement après l’annexion par la Russie de la région contestée de Crimée, faisant légalement partie de l’Ukraine mais largement habitée par des russophones supposés pencher du côté de la Russie. L’annexion a coïncidé avec la « révolution démocratique » en Ukraine (l’Euromaïdan) qui a conduit à éliminer du pouvoir quelques « oligarques » ayant des liens forts avec le régime du président Poutine, et qui a initié une procédure de négociations en vue de l’intégration dans l’Union européenne et dans l’OTAN, en opposition directe aux intérêts « géopolitiques » de la Fédération russe. Pour résumer, nous pourrions dire que l’invasion russe de 2022 était basée sur un double motif. C’était une guerre impérialiste, essayant de rebâtir l’Empire qui avait été formé au cours des siècles sous le régime tsariste et sanctifié par la mission messianique de la « Sainte Russie », ensuite sécularisé et étendu par Staline sous le nom de communisme, maintenant ressuscité à l’aide d’une idéologie nationaliste virulente qui oppose une « Grande Russie » ou « Eurasie » traditionnelle idéalisée à l’Occident démocratique « dégénéré ». Et c’était une guerre politique préventive, qui cherchait à écraser l’orientation libérale-démocratique de l’Etat ukrainien avant qu’il ne puisse devenir un modèle pour les réformistes en Russie même, qui auraient profité des solidarités entre les différents régimes « post-soviétiques » pour défier le pouvoir combiné des oligarques économiques et de l’État autoritaire (Poutine lui-même ayant bénéficié de la corruption et hérité de la tradition de la police secrète qui contrôlait l’Union soviétique sous Staline et après lui). Pour les Ukrainiens cette double guerre crée une unique menace existentielle. Leur réaction patriotique, cependant, renforcée par la guerre mais aussi soumise à ses vicissitudes sur le long terme, est enracinée dans la complexité énorme d’un sentiment « national » qui a continuellement enchevêtré des moments de lutte indépendantiste et des moments d’intégration dans des constitutions impériales ou fédérales (ou quasi-fédérales, comme nous pourrions étiqueter les politiques des nationalités dans la première période, « léniniste », de l’Union soviétique). Dans une terminologie significative (quoique non exclusive), ils présentent leur résistance actuelle comme une guerre d’indépendance reportée qui est combinée avec un processus de décolonisation culturelle. C’est une formulation intéressante, parce qu’elle attire notre attention sur le fait que le colonialisme a été aussi intra-européen, dans le cadre de différents « États impériaux », la Russie (prolongée par l’Union soviétique après la contre-révolution stalinienne) n’étant que l’un d’eux, avec des caractéristiques spéciales (une double expansion et soumission des peuples envers l’Occident et envers l’Orient). En ce sens, la grande question en jeu dans la guerre actuelle en Ukraine et dans les évolutions des deux nationalismes qu’elle dresse l’une contre l’autre, comme je l’ai traité ailleurs, est une nouvelle phase dans la longue « guerre civile européenne » et une expérience décisive dans la gouvernance de la complexe composition « ethnique » interne de l’Europe.
Retournons maintenant au cas de la Palestine et de sa guerre prolongée avec Israël – une guerre civile aussi dans un sens spécifique, puisque la population et l’État d’Israël, quoique nés d’un processus typique de colonisation inspiré par l’idéologie sioniste, ont depuis longtemps cessé de former un corps extérieur ou étranger dans l’espace de la « Palestine historique » qu’ils réclament de manière exclusive pour eux-mêmes, mais qu’ils partagent par force avec les Palestiniens. C’est encore plus le cas depuis qu’Israël, étendant continûment le processus de colonisation, a créé un unique espace politique (ce qu’Adi Ophir et Ariella Azoulay ont appelé la « Condition à un État ») où il est la seule autorité souveraine, y exerçant une domination directe ou indirecte, à l’exception paradoxale de Gaza, qui est (ou plutôt était, avant son annihilation en cours) en même temps une enclave gouvernée indépendamment et une institution pénitentiaire totalement contrôlée et punie en permanence pour ses actes de résistance, qu’ils soient violents ou non-violents.
En tant qu’il est question de deux peuples en compétition pour disposer du même territoire, la longue guerre en Palestine oppose formellement des affirmations de droit, ou simplement des « droits », chacun d’eux cherchant à établir sa légitimité par une combinaison de narratifs historiques et d’actions stratégiques. La légitimité d’Israël, qui est effective en termes de cohésion politique et de reconnaissance extérieure, repose sur trois « sources » ou « fondements » dont la combinaison s’est avérée extrêmement puissante. La première est imaginaire, c’est la conviction sioniste (et avant le sionisme, la vieille conviction juive) que les juifs d’aujourd’hui, partout dans le monde, sont les « descendants » d’un peuple qui aurait été expulsé de la Terre sainte après la destruction du Temple de Jérusalem, et qui a toujours rêvé de retourner « chez lui ». La deuxième est le fait crucial qu’après la partition décidée par les Nations unies en 1947 et la victoire de l’armée juive sur les Palestiniens et les États arabes en 1948, l’État d’Israël a été reconnu internationalement par tous les « camps » (à l’exception des États arabes, qui néanmoins coopèrent de plus en plus avec lui économiquement), et est devenu un membre à part entière de la « communauté internationale » des États-nations. Et la troisième, qui n’est pas juridique, mais morale et aussi politique, dérive du fait qu’Israël s’est conçu et est apparu comme un lieu de refuge, un sanctuaire pour les survivants de l’Holocauste et d’autres juifs persécutés dans le monde, qui n’ont « aucun État à eux ». Laissant de côté la fondation imaginaire dans les « origines » du peuple juif, je voudrais me concentrer sur les deux autres sources et sur leur évolution historique. Bien sûr je dois mettre entre parenthèses beaucoup d’épisodes importants et de détails qui nécessiteraient des restrictions, mais je voudrais vous soumettre l’analyse suivante : bien que fermement enracinée dans ses sources juridiques et morales, la légitimité d’Israël (ou son « droit » à gouverner le territoire palestinien et et à le renommer) a toujours été conditionnelle. Elle pourrait se justifier sur le long terme uniquement à la condition d’être acceptée par les Palestiniens eux-mêmes : une condition évidemment très difficile, sinon impossible, à réaliser (ou seulement au prix d’une invention politique extraordinaire), et qui en fait n’a jamais été remplie. Non seulement elle n’a pas été remplie, mais elle a été consciemment et systématiquement détruite dans sa possibilité même. Au cours du temps, Israël a détruit sa propre légitimité. Le résultat est un renversement de la situation initiale, une radicale délégitimation d’Israël comme État « décent », quelque chose qui peut rendre joyeux ses ennemis, mais doit probablement avoir des conséquences dramatiques, parce que cela poussera de plus en plus Israël à affirmer une légitimité inconditionnelle, ou le droit de « se défendre » quel qu’en soit le prix contre tout adversaire ou critique, ce qui est ce que nous observons aujourd’hui.
Mais soyons un peu plus précis. La légitimité juridique d’Israël repose sur des déclarations et des actes internationaux, mais elle ne peut qu’être contestée, parce que sa base territoriale vient de la colonisation, à la fois dans le sens de l’immigration dans le pays (« colonies de peuplement ») d’étrangers d’origines et de trajectoires variées ; et dans le sens plus conflictuel de l’accaparement des terres (Landnahme) prises à la population autochtone par diverses procédures de dépossession, qui en fin de compte impliquent toujours de la force. Contrairement à la formule tristement célèbre de Golda Meir, la Palestine n’était pas et n’est pas « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Légitimer la colonisation est un énorme paradoxe (encore plus à l’âge de la « décolonisation »), mais si cela peut être imaginé, comme une façon de passer de la partition à une transaction ou partage (répartition, cohabitation) et du partage à la reconnaissance, ou égale dignité, cela exigerait un changement révolutionnaire dramatique moral et politique. Israël ne s’est jamais engagé dans cette voie : non seulement il n’a jamais reconnu que son appropriation du territoire sur lequel établir un « État juif » était « opposable » ou contestable à bon droit, mais il s’est étendu dans chaque partie de la Palestine que la guerre lui permettait de contrôler (ou il a mené des « guerres préventives » pour permettre cette expansion), officialisant finalement l’objectif de la domination juive sur la totalité de la Palestine « du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée] », qui avait été proclamée par ses propres extrémistes. Avec l’aide de puissants sponsors à l’étranger, il a pu contredire de manière flagrante le droit international en mettant en place la colonisation de la Cisjordanie et Jérusalem-Est. En ce qui concerne la légitimité morale d’Israël, reposant sur la mission d’offrir un sanctuaire aux victimes et aux survivants de l’Holocauste, ou un endroit où ils pourraient être libérés de leur apatridie et réclamer ce qu’Hannah Arendt a appelé « le droit à avoir des droits », elle était aussi immédiatement contestable au sens où elle a sauvé des masses de réfugiés au prix d’en créer des masses d’autres, violemment expulsés, terrorisés et à qui on dénie le droit au retour. Encore une fois, elle ne serait justifiée qu’à la condition paradoxale de juifs assujettissant leur propre citoyenneté (ou leur appartenance politique) à la création de la citoyenneté des autres, qui ne peut être concédée de manière paternaliste, mais devrait être reconnue comme leur propre initiative, et à qui on devrait accorder ses conditions institutionnelles, que ce soit sous la forme d’une « solution à deux États » ou à « un État » avec de multiples modalités d’appartenance. « L’égalité ou rien », est le titre célèbre qu’Edward Said a donné à l’un de ses recueils d’essais politiques, après Oslo. Non seulement Israël n’a autorisé aucun processus d’égalisation à commencer, mais il a fait exactement le contraire : instituant la discrimination et un harcèlement continu des Palestiniens, même quand ceux-ci avaient officiellement la citoyenneté israélienne, ce qui a conduit à la création d’un État d’apartheid sur l’ensemble du territoire. La notion de sanctuaire a été renversée en ce qui a été à bon droit appelé une « ethnocratie », où les juifs de n’importe où peuvent venir pour se voir comme un peuple privilégié ou « supérieur ». A cela nous pouvons ajouter la déplorable transformation de l’Holocauste, d’un symbole d’inhumanité enseignant des leçons de moralité politique à tout individu et à tout peuple en un instrument « privatisé » de domination et d’auto-justification. Cela engendre une autre forme dévastatrice de délégitimation.
Maintenant le question devient : est-ce que la délégitimation croissante de l’État d’Israël (dont nous allons observer des développements rapides dans le sillage de la guerre actuelle), implique une légitimité croissante pour les droits du peuple palestinien, ou une plus grande justification de leur propre affirmation de droits ? Cela est l’enjeu majeur pour anticiper un renversement de tendance, un résultat positif de la confrontation en cours, aussi improbable que cela puisse apparaître au milieu des destructions et de l’incapacité apparente (ou de la mauvaise volonté) des forces externes médiatrices à retarder la catastrophe. Il me semble cependant que la réponse ne peut que rester ambivalente : c’est oui et non. La réponse est « oui certes », parce que les Palestiniens n’ont aucun besoin d’être « reconnus » ou « justifiés » pour leur droit à habiter et travailler sur la terre où leurs ancêtres ont vécu pendant des générations. La question est pratique, ce n’est pas une question de conditionnalité « normative ». Et, du point de vue pratique, on peut dire que, alors que l’État d’Israël et la majorité de sa population n’admettent même pas qu’il existe quoi que ce soit comme un peuple de Palestine, avec une identité nationale enracinée dans le passé et formant un horizon d’attentes pour le futur, la situation évolue rapidement du côté de l’opinion publique dans le monde en général, ce qui est une condition cruciale pour la constitution légale de la Palestine comme « sujet politique » à un niveau international, par exemple sous la forme d’une acceptation complète de l’État palestinien par les Nations unies (même si c’est un État palestinien en exil). Ce qui pendant longtemps a été proclamé par les peuples et – plus ou moins sincèrement – par les gouvernements dans les États arabes et islamiques, la « Gauche mondiale » incluant des citoyens anti-impérialistes dans le « Nord », qui a vu la Palestine comme le dernier grand cas d’émancipation contre le principe colonial après la fin du système d’apartheid en Afrique du sud, devient une conviction très largement partagée qui transgresse les barrières de la civilisation et tend à l’universalisation. Mais peut-être que la réponse est aussi « Non », parce que les obstacles se sont accumulés devant la constitution du peuple palestinien en tant que sujet politique autonome, agent effectif de sa propre émancipation. La guerre telle qu’elle se déroule maintenant augmentera certainement les sentiments de solidarité à l’intérieur du peuple, mais pas nécessairement sa capacité politique à agir comme un sujet. Bien sûr cette incapacité a été l’objectif permanent d’Israël, elle a été brutalement ou insidieusement imposée de l’extérieur, par la répression (particulièrement l’emprisonnement systématique des dirigeants nationaux) et par la corruption, mais elle s’est aussi développée de l’intérieur. Ce qui a été admirable (et politiquement significatif) dans l’histoire du peuple palestinien depuis la Naqba et dans toutes les vicissitudes du conflit, avant et après 67, avant et après Oslo, à travers les intifadas, a été la conservation de l’unité morale et de l’esprit de résistance parmi les fractions dispersées du peuple palestiniens, à l’extérieur et à l’intérieur d’Israël comme circonscription juridique. Mais ce qui est devenu de plus en plus problématique (malgré quelques tentatives remarquables pour renverser le cours des choses, comme le « document du prisonnier » en 2006), c’est l’unité politique des organisations et des personnes qui représentent le peuple comme une force affirmant sa place dans l’histoire et lui donnent une voix publique. Avec la quasi-complète subordination de l’Autorité palestinienne aux injonctions de l’État d’Israël, et le choix du Hamas d’utiliser périodiquement des méthodes terroristes qui créent dans la population autant d’anxiété et de répulsion que d’émulation et d’encouragement, la dissociation interne semble plus insurmontable que jamais. Au moins en l’observant depuis ma position extérieure, raison pour laquelle je soumets ces réflexions avec une extrême modestie et de manière hypothétique. Demandant en particulier si et comment « des tierces parties » pourraient émerger pour surmonter la fracture et comment.
Une dernière observation vient à l’esprit lorsqu’on confronte les deux cas que nous discutons : l’Ukraine et la Palestine, du point de vue de leur place dans une discussion sur la justice : non seulement la justice qui fait référence à une position dans la guerre, d’un côté ou de l’autre du fossé entre agresseur et victime, ou oppresseur et résistant, mais la justice qui peut acquérir une résonance universelle, la justice qui confère une dimension universaliste à l’affirmation de droits que certains acteurs incarnent dans la guerre (pas tous, évidemment). Une similitude frappante entre la cause ukrainienne et la cause palestinienne qui crée une convergence virtuelle entre elles vient précisément du fait qu’elles apparaissent comme des incarnations de principes universels d’auto-détermination et de résistance à l’oppression, raison pour laquelle, dans différentes parties du monde, il y a aujourd’hui des militants qui font des efforts importants pour soutenir simultanément et articuler les deux causes. Cependant, cela reste limité pratiquement parce qu’elles sont aussi perçues comme inséparables d’alliances géopolitiques antithétiques et de « camps » impliqués dans une autre sorte de « guerre », parfois décrite comme la « nouvelle guerre froide », dont elles ne formeraient que des aspects partiels, des « moments » locaux, ou dans laquelle elles seraient inévitablement absorbées. Paradoxalement, à cause de la tension qui déchire le champ cosmopolitique entre un point de vue des valeurs universelles et une logique du global et des relations globales de forces, les affinités entre les « justes causes » des peuples affirmant leur droit à l’auto-détermination ne sont pas facilement perçues, ou sont même déniées par leurs supporters. Pour cette raison, brièvement (bien trop rapidement, en fait), je veux consacrer quelques considérations finales aux dimensions globales des deux guerres, que je résumerai sous le nom de « géométrie de l’impérialisme », emprunté à l’économiste et théoricien politique défunt Giovanni Arrighi, une des figures fondatrices de l’« alter-mondialisation ».
La première chose qui, je voudrais insister sur ce point, ne doit jamais être oubliée, est le fait que l’essence d’une cause politique ne réside jamais dans son association avec des oppositions globales entre forces géopolitiques qui sont enracinées dans des intérêts économiques et des antagonismes idéologiques « systémiques ». Croire le contraire est un héritage négatif du « campisme », la logique politique héritée des fractures de la guerre froide, sur laquelle je reviendrai. C’est pourquoi il est crucial de reconstruire l’histoire spécifique de chaque guerre, de chaque peuple, de chaque territoire, dans ses propres termes locaux, et de décrire les modalités dans lesquelles une guerre s’est développée à partir de conditions et de choix qui ont été faits par leurs propres acteurs : Russes, Ukrainiens, Israéliens juifs et Arabes palestiniens, avec leur divisions internes et leur histoire complète. L’évaluation de la justice ne dérive pas du fait que l’Ukraine s’unisse au « monde libre » ou « au monde des démocraties » contre une coalition de régimes autoritaires, ou du fait que le combat palestinien pour la dignité et l’indépendance forme une partie du combat mondial « anti-hégémonique », qui défie maintenant la domination planétaire des USA. D’un autre côté, cependant, il n’existe pas d’action et de transformation isolées de quelque peuple que ce soit dans le monde, aujourd’hui moins que jamais. C’est clairement vrai pour tous les acteurs des guerres dont nous parlons, bien qu’avec des différences radicales. Contrairement à ce que la coalition occidentale soutenant l’Ukraine a annoncé et a voulu croire, la guerre n’a pas isolé la Russie économiquement, diplomatiquement, ni même militairement : elle a plutôt créé la possibilité d’un nouveau système d’alliances autour d’elle, qui est peut-être fragile, mais pas arbitraire. Et bien qu’il puisse apparaître que le peuple palestinien est tragiquement isolé dans l’environnement géopolitique, à cause du refus des puissances américaine et européenne d’imposer des obligations à Israël, qu’ils « compensent » par de l’aide humanitaire, donc en « subventionnant » en un sens la colonisation, mais aussi parce que le soutien officiel des États arabes s’est révélé la plupart du temps essentiellement instrumentalisant et intéressé, le fait est aussi, comme je l’ai indiqué un peu plus tôt, que la cause palestinienne occupe une place centrale dans les mouvements populaires d’émancipation qui défient régulièrement l’ordre établi. Et les Palestiniens eux-mêmes font partie d’un large système de solidarités « de la diaspora ». Cependant il me semble que la question la plus intéressante et la plus difficile concerne les relations contradictoires des deux causes que j’ai essayé de comparer avec les forces et les politiques de l’impérialisme américain, un impérialisme qui n’est peut-être plus sans rival dans le monde, mais qui exerce encore une hégémonie militaire et financière dont l’issue des guerres dépendra complètement. Une formulation simplifiée mais éloquente du paradoxe serait la suivante : les bombes qui détruisent les maisons et tuent les gens à Gaza sont fournies quotidiennement par les USA, exactement de la même façon que l’imposition d’un cessez-le-feu réclamé par les Nations unies est bloquée par le veto des Etats-Unis, qui a immédiatement déclaré un « soutien inconditionnel » au « droit à l’auto-défense » d’Israël après le 7 octobre. Sur le front est-européen, il devient de plus en plus visible que, si les soldats qui meurent en combattant les troupes russes (qui meurent elles aussi) sont Ukrainiens (avec quelques volontaires étrangers), les armes sont maintenant européennes et surtout américaines : cesser ou même limiter leur fourniture (ce qui dépend de continuités politiques aléatoires) impliquerait presque immédiatement une défaite du peuple ukrainien et une destruction ou un démembrement de son pays, dont ils défendent l’intégrité. Le soutien des États-Unis à la guerre israélienne est en continuité avec une dépendance de son existence et une politique de subvention américaine qui a été si importante pendant des décennies que, à un certain point, Israël pourrait être décrit comme un État membre « externalisé » de la Fédération, bien que jouissant de la capacité d’imposer ses propres priorités sur sa métropole. Alors que le soutien des États-Unis et de l’Europe à l’indépendance ukrainienne ou à sa « décolonisation » est l’aboutissement des mesures stratégiques qui ont suivi l’écroulement de l’Union soviétique et du « camp » socialiste, d’où la transformation de la fracture globale entre les puissances capitaliste et socialiste en une nouvelle lutte pour l’hégémonie parmi des États « néo-impérialistes » de forces inégales et dotés de régimes politiques intérieurs variés. La conclusion à tirer est que les guerres actuelles d’extermination prennent effectivement place dans une « géométrie impérialiste », mais elles ne doivent pas être jugées selon la vieille syntaxe « des camps », qu’elle soit formulée dans les termes d’un conflit entre les « démocraties » et les « États totalitaires », ou d’un conflit entre l’« impérialisme occidental » (sous hégémonie américaine, organisée par l’OTAN) et les « peuples émergents » avec une base tricontinentale. Nous devons inventer une compréhension cosmopolitique du monde pour orienter nos solidarités avec les combats des peuples qui luttent pour leur liberté et afin qu’ils naviguent entre leurs alliances et leurs ennemis.
Etienne Balibar (professeur émérite à l’université Paris-Ouest Nanterre)
Cycle de Conférences Bisan, 13 décembre 2023 https://aurdip.org/la-palestine-lukraine-et-autres-guerres-dextermination-le-local-et-le-mondial/
Un manifestant porte une image du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et du président américain Joe Biden peinte en rouge pour imiter le sang, lors d’une marche de soutien à la population de la bande de Gaza, à Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 26 octobre 2023
Zain Jaafar/AF
Sous les yeux d'une opinion mondiale impuissante, à la veille de 2024 et ses élans collectifs de souhaits de bonne année, le peuple palestinien subit les pires atrocités de la guerre. On ne parle pas seulement du massacre par l'armée israélienne, sans distinction d'âge, de milliers de victimes civiles, du rasage par les missiles de centaines d'habitations, de dizaines de milliers de personnes déplacées fuyant l'enfer, sans trouver nulle part où se mettre à l'abri. Mais où fuir ? D'un enfer à un autre ?
Aujourd'hui, à la veille de la nouvelle année, le peuple palestinien est menacé par la famine. Ce n'est pas facile à prononcer, mais c'est la très dure réalité d'un peuple que plus personne ne semble avoir les capacités d'aider, du moins dans sa subsistance. Quatre ménages sur cinq dans le nord de Ghaza et la moitié des ménages déplacés dans le sud passent des jours et des nuits sans manger, a alerté, samedi dernier, le chef de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Des convois d'aides humanitaires ont bien été envoyés par plusieurs pays pour les populations palestiniennes, mais l'entité sioniste ne laisse passer que quelques chargements qui ne peuvent pas satisfaire aux nombreux besoins des populations qui en sont arrivées à vendre leurs biens contre de la nourriture, selon les déclarations de M. Tedros Adhanom Ghebreyesus. Est-ce que les Palestiniens vont finir l'année et entamer celle qui vient, le ventre creux?
C'est l'amère et douloureuse question qu'on se pose, à l'ombre d'un Conseil de sécurité qui est arrivé difficilement à voter, vendredi 22 décembre, une résolution appelant à des mesures d'urgence afin de permettre un acheminement direct et « à grande échelle » vers Ghaza. La résolution appelle à « prendre des mesures urgentes pour permettre un acheminement immédiat, élargi, sûr et sans entrave de l'aide humanitaire, et pour créer les conditions nécessaires à une cessation durable des hostilités », mais cet appel est pour qui, pour quelle partie ? Sans la nommer, donc, c'est Israël qui est visé par cet appel du Conseil de sécurité. Pour la première fois depuis l'éclatement de la guerre, les Etats-Unis, qui se sont abstenus lors du vote de la résolution en question (adoptée par 13 voix pour et 2 abstentions), n'ont pas usé de leur Veto, consentant à demi-mot à ce que l'aide humanitaire parvienne aux populations « en urgence et à grande échelle ».
Reste à savoir si les Américains, et cette résolution du Conseil de sécurité, parviendront à convaincre leur allié sioniste de laisser passer les convois humanitaires bloqués au passage de Rafah ? Pour précision, le Conseil de sécurité n'est pas arrivé à voter une résolution pour l'arrêt des attaques israéliennes. Bonne année Ghaza !
L’oliveraie était verte, autrefois. Était… Et le ciel, Une forêt bleue… Était, mon amour. Qu’est-ce qui l’a ainsi changée ce soir ?
* * *
Ils ont stoppé le camion des ouvriers à un tournant. Calmes, Ils nous ont placé face à l’est… Calmes.
* * *
Mon coeur était un oiseau bleu, autrefois… Ô nid de mon amour. Et tes mouchoirs étaient chez moi, blancs. Étaient, mon amour. Qu’est-ce qui les a souillés ce soir ? Je ne sais, mon amour !
Ils ont stoppé le camion des ouvriers au milieu du chemin. Calmes, Ils nous ont placés face à l’est… Calmes.
* * *
Je te donnerai tout. L’ombre et la lumière, L’anneau des noces et tout ce que tu désires, Un jardin d’oliviers et de figuiers, Et la nuit, je te rendrai visite, comme à l’accoutumée. J’entrerai, en rêve, par la fenêtre… et je te lancerai une fleur de sambac. Et ne m’en veux pas si j’ai quelque retard. C’est qu’ils m’auront arrêté.
L’oliveraie était toujours verte. Était, mon amour. Cinquante victimes L’ont changée en bassin rouge au couchant… Cinquante victimes, Mon amour… Ne m’en veux pas… Ils m’ont tué… Tué Et tué…
Extrait de:
La terre nous est étroite et autres poèmes (1966 - 1999), Gallimard, Poésie, 2000 (Traduction d'Abdellatif Laâbi)
En Cisjordanie occupée, les attaques de colons contre des Palestiniens se multiplient ainsi que les raids israéliens contre des localités arabes. Selon une récente enquête, le soutien au mouvement islamiste a considérablement augmenté.
JénineJénine (Cisjordanie occupée).– De la boue, des morceaux de bitume arrachés, des fils électriques qui pendent… Dans le nord de la Cisjordanie occupée, les abords du camp de Jénine ressemblent à un champ de bataille.
Partout, des impacts de balles. Impossible de savoir de quand ils datent. Cela fait plus de vingt ans que les murs sont les témoins de violents combats. Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, les raids israéliens meurtriers se multiplient dans ce camp de réfugiés où s’entassent 18 000 personnes.
Le dernier, mi-décembre, a duré trois jours. Douze Palestiniens ont été tués et plusieurs dizaines d’autres arrêtés. Dans un communiqué, l’armée israélienne assure que cette incursion a permis la saisie d’armes et d’explosifs. Cette fois encore, les bulldozers israéliens ont détruit plusieurs rues. À chaque incursion, ces engins gigantesques écrasent les voitures sur leur passage et détruisent également les tuyaux de distribution d’eau et le système d’évacuation des eaux usées. « À croire qu’ils font également la guerre aux égouts ! », ironise un habitant.
Dans ce dédale de ruelles, un jeune combattant hâte le pas. Casquette noire vissée sur la tête, il parle peu. « Falloujah », c’est le surnom donné par les habitants à ce quartier, fief des groupes armés, en référence à la ville irakienne, théâtre d’affrontements particulièrement violents ces dernières années.
Les combattants du Hamas, du Djihad islamique palestinien et d’autres brigades locales vivent ici. Pour y pénétrer, il faut impérativement être accompagné. Plus que jamais, l’étranger est vu comme une potentielle menace. L’armée israélienne mène des raids meurtriers presque tous les jours dans ce labyrinthe.
Au fur et à mesure des années et des guerres, il est devenu le symbole de la lutte contre l’occupation. Dans certaines ruelles, de gigantesques bâches ont été tendues entre les maisons. Un ciel de toile noire qui permet aux groupes armés de se déplacer en échappant à la surveillance des drones israéliens.
« Il ne faut pas rester là, l’un des nôtres se cache ici », ordonne le combattant qui nous sert de guide. En quelques secondes, tout le monde remonte dans la voiture. Assis à l’arrière, le jeune Palestinien finit par lâcher quelques phrases. Arrêté par l’armée israélienne à 17 ans, il a été libéré l’été dernier après deux années en prison.
Sans emploi, privé d’éducation, il erre dans ce camp insalubre dont il n’a pas le droit de sortir. Jénine est devenu sa nouvelle cellule. Il a choisi de prendre les armes.
Sur son portable, il nous montre des images de lui tirant en l’air avec un fusil M4. Sur son écran cassé, les vidéos de propagande des groupes armés palestiniens défilent. «Tout le monde les regarde, ici », se réjouit le combattant. Sur les murs de « Falloujah », les portraits des « martyrs » sont partout. Tous sont morts lors d’affrontements avec des soldats israéliens. Tous sont jeunes, très jeunes parfois. Tous sont devenus des héros pour le quartier.
Au détour d’une rue apparaissent les décombres de plusieurs maisons. Fin novembre, elles ont été en partie détruites au cours d’un raid israélien qui a duré plus de seize heures. Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien. Seulement deux canapés, recouvert de poussière, dont on devine encore leurs couleurs. Vert pour l’un, marron pour l’autre.
« C’est là que Mohamed Zubeidi a été tué », lâche notre jeune guide. Sur un mur qui tient à peine debout, une grande photo de celui qui est désormais « martyr » a été accrochée. À ses côtés, Hussam Hanoun, un membre du Hamas, lui aussi tué ce jour-là. Mohamed Zubeidi avait 27 ans, il était combattant pour le Djihad islamique palestinien.
Dans la maison familiale des Zubeidi défilent chaque jour des proches, des voisins venus présenter leurs condoléances. Un portrait du défunt est posé sur une table.
« Voilà Mohamed. Il a été tué le 29 novembre. Ce logo sur le côté, c’est celui de la compagnie d’électricité pour laquelle il travaillait », explique fièrement Jamal, le père. Assis sur un tabouret en plastique, le vieil homme enchaîne les cigarettes et les cafés.
Dans la pièce où il reçoit ont été accrochés une dizaine d’autres portraits d’hommes de la famille tués par l’armée israélienne. Une seule femme. « Elle a été abattue alors qu’elle traversait un checkpoint, lors de la première Intifada », raconte-t-il.
Neuf « martyrs » d’une même famille en trois décennies. « Pour la Palestine, rien n’est jamais trop, répète Jamal. C’est pour notre liberté. On fera tout pour arriver à libérer notre terre. Nous, on voudrait vivre comme tous les peuples du monde. Mais nous sommes obligés de prendre les armes. On ne nous a pas laissé le choix. » Plus de deux semaines après la mort de Mohamed, l’armée israélienne n’a toujours pas rendu le corps à son père, Jamal.
Un jeune garçon entre dans la pièce. Sur un téléphone, il joue à un jeu de course de voiture. Il a 12 ans. «Lui aussi il va devenir combattant et mourir en martyr,affirme son grand-père, Jamal. Nous lui avons donné le prénom de l’un de ses oncles, tué au combat. » Un autre enfant de 5 ans s’approche. Il porte un survêtement Nike bleu et pour lui aussi son aïeul promet un avenir fait de violences et d’armes.
Scène de liesse
Fin novembre, en Cisjordanie occupée, dans le cadre de l’accord conclu entre Israël et le Hamas, 240 détenus palestiniens ont pu sortir de prison, en majorité des femmes et des hommes âgés de moins de 19 ans, en échange d’otages kidnappés le 7 octobre. Des libérations accompagnées d’immenses scènes de liesse à Ramallah, Naplouse, Beitunia …
Dans la foule, des cris, des pleurs et partout des drapeaux des mouvements palestiniens. Verts pour le Hamas, noirs pour le Djihad islamique. Le 25 novembre 2023, sur les épaules d’un ami, Wael Bilal Mashy agite la bannière du Hamas. Ce jour-là, à Al-Bireh, près de Ramallah, des centaines de personnes sont venues pour acclamer cet ancien détenu, devenu lui aussi un héros. Le jeune homme crie « On dit oui à la résistance : que Dieu la protège ! C’est ainsi que nous voulons que les hommes soient ! Longue vie à la résistance, longue vie à ceux qui l’ont soutenue ! Longue vie aux brigades Ezzedine Al-Qassam. » Ce sont ces brigades, aile militaire du Hamas, qui étaient à la tête de l’attaque du 7 octobre sur Israël.
Selon une enquête d’opinion publiée le 13 décembre, le soutien au Hamas en Cisjordanie occupée a considérablement augmenté. 72 % des Palestiniens interrogés par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, principal institut de sondage palestinien, estiment que la décision du mouvement islamiste de lancer une attaque terrestre sur le sud d’Israël était appropriée.
85 % des personnes interrogées soutiennent l’action du Hamas depuis le début de la guerre contre Israël. Elles sont 10 % seulement à apporter le même soutien à l’Autorité palestinienne, et seulement 7 % à être encore derrière Mahmoud Abbas, au pouvoir depuis dix-huit ans.
Agé de 87 ans, l’actuel président de la Cisjordanie occupée semble donc avoir perdu le peu de légitimité qu’il lui restait. Le 19 octobre dernier, des centaines de Palestiniens sont descendus dans les rues de Ramallah en soutien à la bande de Gaza, mais aussi pour réclamer son départ.
Ce jour-là, quelques jeunes arborent déjà des bandeaux aux couleurs du Hamas. Parmi eux, Yazan, 19 ans. Pendant plusieurs heures, il va défier les soldats israéliens posté au checkpoint de Qalandia. « Nous n’avons peur de personne. Nous avons Dieu et le Hamas. Je les remercie de nous soutenir »,se vante le jeune palestinien avant de faire tourner agilement au dessus de sa tête son lance-pierre.
« L’ampleur des crimes israéliens et les discours de leurs responsables amènent ces jeunes à percevoir la lutte armée comme la seule voie possible », explique Johann Soufi, avocat spécialisé en droit international. « Le sentiment d’abandon de la “communauté internationale”, qui n’a pas la volonté ou la capacité d’imposer un cessez-le-feu, les conforte. C’est terrifiant, car nous allons assister dans les prochaines années à l’émergence d’une nouvelle génération, probablement bien plus violente et radicalisée que la précédente. Le Hamas ne sera pas vaincu par les armes, prévient le juriste. Pour chaque combattant tué à Gaza, deux ou trois rejoindront leurs rangs en Cisjordanie, à Gaza et dans les camps de réfugiés des pays limitrophes. C’est un cercle vicieux. »
Une violence sans fin
Depuis le 7 octobre, 310 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie occupée, selon le ministère de la santé palestinien. Plus que jamais, Ramallah, Naplouse, Jénine, Hébron vivent sous la pression de l’armée israélienne qui multiplie les arrestations. Près de 4 000, selon l’Autorité palestinienne et plusieurs ONG qui dénoncent également « des perquisitions et harcèlements massifs, des passages à tabac [...] en plus des sabotages et des destructions généralisés des maisons et de la confiscation de véhicules ». Pression également des colons les plus radicaux qui attaquent les fermiers dans leurs champs d’oliviers, les bédouins aux portes du désert.
Dans le salon de sa maison près de Bethléem, Ahmed − son prénom a été changé − offre le thé à ses invités. « J’ai mis de la sauge. Elle vient de mon jardin. Buvez, c’est délicieux. » L’homme aime parler de la Palestine. Cette terre à laquelle il est si attaché. Sa petite-fille ne le lâche pas, elle a recouvert ses cheveux d’un keffieh noir et blanc, symbole de la résistance palestinienne.
Dans la cuisine, le son de la télévision est poussé à fond. Abou Obeida fait ce jour-là un discours. Le porte-parole militaire du Hamas. « Il n’a pas parlé depuis longtemps, souligne Ahmed. Cette résistance par les armes est le résultat de ce qu’ils ont créé. Si je viens, que je prends votre maison, que je frappe votre femme, vous allez réagir comment ? On a le droit de vivre comme vous. Je vous assure, on a perdu espoir. Il n’y a jamais de justice pour nous. Regardez ce qui se passe à Gaza ! Même votre président Macron cède à la pression d’Israël et des États-Unis. »
Issa, le fils d’Ahmed, entre dans la pièce. Un petit garçon qui marche à peine s’accroche à l’un de ses doigts pour ne pas tomber. « J’espère que mon petit-fils connaîtra un meilleur avenir, sans occupation », soupire le grand-père. Certaines voix palestiniennes s’élèvent encore aujourd’hui pour prôner la paix. Elles sont rares et peu audibles mais elles existent. Ibrahim Enbawi, 55 ans, fait partie de ces pacifistes. Il y a plusieurs années, son frère et son oncle ont été tués par l’armée israélienne. Aujourd’hui, il vit dans le camp de réfugiés de Chouafat, près de Jérusalem.
C’est là qu’il nous donne rendez-vous. Passer les checkpoints pour aller jusqu’à Jérusalem-Est, partie occupée, lui prendrait trop de temps. « En 1985, je suis sorti de prison un an après mon arrestation par les autorités israéliennes. J’ai réalisé à ce moment-là que la violence n’était pas une solution pour régler tout cela. Le plus important pour moi, ce n’est pas de convaincre les gens, c’est surtout de les pousser à réfléchir. Je leur pose des éléments sur la table, ensuite c’est à eux de choisir. »
Avant l’attaque du 7 octobre, le Palestinien enchaînait les conférences avec des Israéliens, pacifistes comme lui, tous membres d’une même association qui milite pour le dialogue. Les prochains rendez-vous dans les universités et les écoles ont été annulés après l’attaque du Hamas.
« On a encore un long chemin à parcourir. On partage l’eau, l’oxygène, la lumière, le vent et la terre. Ce n’est pas facile mais sans la paix, il va y avoir d’autres guerres et d’autres morts. Le problème, c’est que la culture de la paix n’intéresse personne ici. Regardez, il faut qu’il y ait beaucoup de sang comme le 7 octobre pour que les médias du monde entier s'intéressent un peu à ce que vivent les Palestiniens de Cisjordanie. » Au fur et à mesure de notre entretien, Ibrahim Enbawi le concède : « Tant que l’occupation israélienne se poursuit, cette spirale de violence ne s’arrêtera jamais. »
C’est cette même occupation qui a interdit à la famille Al-Maghrabi de célébrer la libération de Hamza, leur fils de 17 ans. Les consignes de la police israélienne étaient strictes : pas de scènes de liesse ni de musique dans le secteur de Jérusalem-Est.
À l’abri des regards, derrière les volets clos, proches et voisins se succèdent dans leur maison, sur les hauteurs de Sur Baher. Ils sont venus saluer le jeune homme, libéré dans le cadre de l’accord conclu entre Israël et le Hamas.
Il était emprisonné depuis le mois de février, accusé d’avoir lancé un cocktail Molotov sur un poste de police israélien. Condamné à trente-deux mois de détention, il aurait dû être libéré en 2026.
Rawad, son père, serre la main de chaque invité, l’un après l’autre. Charismatique, physique imposant, son regard tranche avec son sourire franc. « J’essaye, en tant que père de famille, de le protéger un maximum, confie le Palestinien. Je l’empêche de sortir pour éviter qu’il se retrouve face à des policiers israéliens, ou contrôlé par l’armée à un checkpoint, parce que s’ils regardent sa carte d'identité, ils sauront qu’il a été libéré en échange d’otages et ils vont peut-être l’humilier ou même l’arrêter à nouveau. »
Depuis sa libération, Hamza reste chez lui. Il n’a pas pu retourner à l’école. L’accès à son lycée lui a été interdit. Une nouvelle prison physique et mentale. « Grâce à Dieu j’ai retrouvé ma famille. Je suis content, bien sûr. Mais j’aimerais pouvoir poursuivre mes études »,raconte l’adolescent au visage fin.
Les vidéos filmées et diffusées par des soldats israéliens montrant des personnes arrêtées par l’armée israélienne dans le nord de la bande de Gaza suscitent l’indignation quant au traitement réservé aux prisonniers palestiniens. Des témoignages d’hommes libérés renforcent l’inquiétude.
UnUn soldat ne devrait pas filmer ça. Et encore moins le diffuser. Les téléphones portables alliés aux réseaux sociaux font plus de mal à une armée qu’un rapport d’une organisation de défense des droits humains. Parce qu’elles sont vues, postées et repostées.
Depuis le 7 décembre, des photos et des vidéos circulent sur la toile. On y voit des prisonniers palestiniens dans des postures humiliantes. Des files d’hommes menottés et aveuglés. Sur l’une d’elle, le premier, en tête de colonne, est affublé d’un drapeau israélien, une musique moqueuse accompagnant les images.
Dans une autre, des hommes marchent, vêtus uniquement de sous-vêtements, les mains entravées, des soldats autour et derrière eux, des ruines d’immeubles en arrière-plan. Un de ceux qui filment fredonne en hébreu quelques paroles d’un chant de la Pâque juive, célébrant la libération des esclaves juifs par Pharaon et leur départ d’Égypte. Un autre, plus prosaïque, lance en arabe « allez, allez », avant un « fils de pute » en hébreu.
Le droit international humanitaire, tel qu’écrit par les juristes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), proscrit l’exposition à la curiosité publique et les traitements dégradants de ceux qui ne se battent pas et de ceux qui ont déposé les armes. Ces interdictions s’imposent aussi dans le cas de conflits non internationaux, comme celui de la bande de Gaza actuellement.
D’autres vidéos et photos ont été publiées par des journaux et télévisions israéliennes. Elles n’ont pas été fournies directement par l’armée israélienne. Mais la censure militaire s’imposant aux médias, il est difficile d’imaginer que les publications n’aient pas été approuvées par l’armée.
Elles montrent encore des prisonniers à genoux, têtes baissées, dans ce qui semble être une carrière de sable, alignés devant un fossé. Ou bien entassés à l’arrière d’un camion. Ou encore alignés en rang, assis par terre. La constante est l’absence de vêtements, hormis les slips, les mains attachées, les yeux bandés.
Sollicitée, l’armée israélienne répond qu’il est « souvent nécessaire que les personnes soupçonnées de terrorisme remettent leurs vêtements pour qu’ils puissent être fouillés et pour s’assurer qu’ils ne cachent pas de gilets explosifs ou d’autres armes ».
La méthode n’est pas nouvelle. Contraindre les hommes à se dévêtir est devenu habituel lors de la deuxième Intifada (2000-2005), non seulement pendant les arrestations, mais aux barrages militaires, par crainte d’attentats suicide. Les menottes, le bandeau sur les yeux, sont également dans la norme. Il est inédit, cependant, de voir la diffusion, à cette échelle, de tels clichés.
L’humiliation est une constante du sort des prisonniers palestiniens
« J’ai été arrêté cinq fois pendant la première Intifada [1987-1993 – ndlr], se souvient Raji Sourani, avocat, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR) basé dans la bande de Gaza. À chaque fois j’ai été aveuglé par un bandeau, menotté, battu, humilié. En tant qu’avocat, je défends le droit des prisonniers depuis des décennies. Mais cette fois, même moi, avec mon expérience, je suis effaré. Jamais je n’aurais pensé que ça puisse prendre une telle ampleur. »
Plusieurs médias israéliens avancent que ces hommes sont des membres du Hamas qui se sont rendus dans des zones que l’armée israélienne décrit comme des places fortes du mouvement islamique, comme Jabalia ou Khan Younès.
Premières vérifications des activistes et des organisations de défense des droits humains, et premiers démentis : le travail de géolocalisation démontre que les vidéos dont il est question prouvent qu’elles ont été prises dans un autre quartier du nord de la bande de Gaza. « Dès que nous avons vu les vidéos, nous avons fait deux choses. Nous avons vérifié qu’elles montraient des événements qui s’étaient réellement produits et nous avons géolocalisé les lieux, près d’une école à Beit Lahia », raconte Budour Hassan, chercheuse à l’ONG Amnesty International.
Il s’agit d’un de ces établissements scolaires gérés par l’UNRWA, l’agence onusienne d’assistance aux réfugiés palestiniens, où des milliers de familles sont allées chercher un refuge précaire. Certains hommes ont été contraints, sous la menace, d’en sortir et ont été arrêtés.
Démentie aussi, l’allégation les présentant comme des membres du mouvement islamique. « Nous avons pu identifier certaines personnes et nous avons été également contactés par des gens nous disant : “Cette personne est un civil, cette personne est un journaliste, nous connaissons cette personne du quartier : et non seulement il n’est pas du Hamas, mais il critique le Hamas” », affirme Budour Hassan. « On ne peut pas vraiment identifier tous ceux qui sont sur les photos car l’image n’est pas très claire. Nous avons cependant identifié des personnes âgées et des enfants de moins de 16 ans », ajoute la chercheuse.
Très rapidement après l’apparition des images, un journal basé à Londres, Al-Araby Al-Jedid, reconnaît le chef de son bureau à Gaza, Dia al-Kahlout, et le fait savoir. Le PCHR de Raji Sourani identifie, lui, un de ses collaborateurs, avocat et chercheur.
Ce dernier a témoigné, une fois libéré, des circonstances de son arrestation : « L’armée israélienne a exigé par haut-parleur que les habitants sortent des immeubles et des écoles, femmes d’un côté et hommes de l’autre, relate Raji Sourani, qui a recueilli ses propos. Les femmes ont dû enlever leur voile, les hommes se déshabiller entièrement, à l’exception de leur sous-vêtement. Les soldats étaient très nerveux, ils les ont battus, leur ont craché dessus, puis les ont emmenés à un endroit où étaient déjà rassemblés des centaines de prisonniers. »
Dans un communiqué publié mercredi 20 décembre, Amnesty International rappelle ces faits et cingle : « Ces hommes ont été dépouillés de leur dignité et déshumanisés en violation du droit international. Rien ne peut justifier que l’on se moque des détenus ou qu’on les humilie délibérément. Le droit des détenus à n’être pas torturés ou traités de manière inhumaine ou dégradante est absolu et s’applique à toutes les personnes, qu’elles participent ou non aux hostilités. La torture, les traitements inhumains, les disparitions forcées et les atteintes à la dignité de la personne commis dans des situations de conflit armé et d’occupation sont des crimes de guerre ; lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque systématique ou généralisée contre des civils, ils constituent des crimes contre l’humanité. »
La méthode est donc de ratisser large, pour avoir la chance d’attraper quelques poissons. Le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari, l’assume en commentant les images apparues le 7 décembre : « Jabalia et Shejaia sont des centres de gravité, ce sont aussi des camps de réfugiés pour terroristes, et nous les combattons […] Quiconque reste dans ces zones, sort ou rentre de tunnels ou de maisons, nous enquêtons et vérifions qui, parmi eux, est connecté au Hamas, et qui ne l’est pas, en arrêtant tout le monde et en les interrogeant. »
L’armée ne communique pas sur les lieux de détention, ni sur les méthodes d’interrogatoire. Par e-mail, elle se contente de répondre : « Dans le cadre de l’activité des FDI [Forces de défense d’Israël – ndlr] dans la zone de combat, des individus soupçonnés d’être impliqués dans des activités terroristes sont détenus et interrogés. Les personnes dont il s’avère qu’elles ne participent pas à des activités terroristes sont libérées. Les personnes détenues sont traitées conformément au droit international. »
Des récits de torture sur des civils
Douter du storytelling de l’armée israélienne est légitime. Des témoignages des hommes libérés ainsi que des enquêtes publiées le 18 décembre par l’organisation basée à Genève Euro-Med Human Rights Monitor et le quotidien israélien Haaretz font état de mauvais traitements et tortures. Plusieurs sont morts en détention mais « les circonstances du décès ne sont pas claires », écrit Haaretz.
« Nous n’avons aucune idée du nombre de personnes arrêtées, ni de leur sort, hormis pour celles qui ont été libérées, reprend Raji Sourani. Notre avocat correspondant en Israël a contacté le service des prisons. Il lui a répondu qu’il n’avait rien à voir avec les prisonniers de Gaza. Ça signifie que ces prisonniers sont hors du circuit légal. » De fait, une loi permet de sortir les suspects considérés comme « combattants illégaux » du statut de prisonniers de guerre. Votée en 2002 et peu invoquée depuis, elle est susceptible de s’appliquer aux combattants de la bande de Gaza et du Liban.
Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, qui a tué environ 1 200 personnes, principalement des civils, d’autres mesures d’exception ont été adoptées, qui étendent la durée de détention sans présentation à un juge jusqu’à 45 jours, et sans pouvoir faire appel à un avocat jusqu’à 80 jours.
Tous les hommes relâchés par l’armée israélienne, et donc convaincus de n’avoir aucun lien avec le Hamas ou un autre groupe armé, font état de faim et de soif, de mauvais traitements et de tortures pendant des jours entiers. Les menottes très serrées portées pendant des jours leur ont laissé de profondes coupures au niveau des poignets.
« Ils [les soldats israéliens – ndlr] m’ont cassé des morceaux de verre sur la tête », dit l’un d’eux, interrogé par la télévision Al-Ghad dans la bande de Gaza. Le petit groupe dont il fait partie est visiblement éprouvé. « J’ai subi l’électricité », ajoute un deuxième. « Ils nous traitaient de terroristes, de Hamas », complète-t-il.
Des exécutions sommaires ?
Un groupe d’hommes et d’adolescents relâchés a été rencontré par l’agence de presse Sawa, qui dépend de Press House Palestine, organisation de défense de l’indépendance de la presse. Ossama Odeh, un habitant du quartier de Zeitoun dans la ville de Gaza, raconte qu’après avoir rassemblé les hommes, l’armée israélienne a emmené un petit groupe d’une vingtaine de jeunes gens : « L’armée a commencé de jeter les jeunes hommes dans les basses terres et le bulldozer a commencé de leur jeter du sable jusqu’à ce qu’ils soient enterrés vivants. »
Il n'existe pas de relation entre États similaire à celle qui lie l'entité sioniste aux États-Unis d'Amérique, elle est unique. Cette relation semble être si solide que son tissu s'étend et repose sur des liens d'interdépendance couvrant divers domaines de la politique, la sécurité, l'économie, les sciences, la technologie, la culture, et même dans le domaine de la formation historique (l'expérience de la colonisation et la tentative d'élimination des peuples autochtones).
L'ironie de cette relation réside dans le fait que l'entité sioniste semble réellement être un fardeau pour les États-Unis, sur les plans politique, économique et sécuritaire, compte tenu de la position des États-Unis et de leur crédibilité dans le monde. En même temps, l'entité comme Etat est considérée comme un gain net, bénéficiant de la garantie de la sécurité des États-Unis et de sa suprématie stratégique dans les domaines militaire, économique et technologique.
L'ironie se manifeste également dans le fait que l'on parle d'un État très petit, éloigné des États-Unis, dont la population ne dépasse pas quelques millions, avec un produit intérieur brut dépassé par beaucoup de pays. En revanche, les États-Unis sont une grande puissance en termes de géographie, de population, d'économie et de technologie, avec un produit national brut parmi les plus élevés du monde.
Une autre ironie réside dans le fait que les intérêts des États-Unis dans le monde arabe sont plus importants que leurs intérêts dans et avec cet Etat source de conflit, soulignons que le monde arabe avec une population avoisinant les 300 millions de personnes et des ressources pétrolières cruciales pour l'économie mondiale, et occupant une position stratégique dans les relations internationales.
Ce qui attire l'attention, c'est que malgré les avantages en faveur du monde arabe et non cette entité, les États-Unis insistent sur le soutien absolu de cet Etat, sans aucune considération pour les intérêts et les droits des Arabes.
Plus déconcertant encore est que l'entité sioniste, dans ses tentatives d'imposer ses politiques et priorités au Moyen-Orient, va jusqu'à défier les intérêts et les priorités des États-Unis, comme nous l'avons vu sous les administrations Bush père, Clinton et Obama, en s'opposant à faciliter la politique américaine au Moyen-Orient, même pour un gel temporaire de la colonisation ou l'arrêt du changement démographique à Jérusalem, en échange d'énormes concessions politiques, économiques et sécuritaires !
L'explication de la relation particulière qui justifie la résistance «d'Israël» à l'administration américaine peut être attribuée aux facteurs suivants :
1. La tentative «d'Israël» de s'aligner sur les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient, en particulier pendant la guerre froide dans les années 1950 et 1980. Cette relation repose donc sur un héritage historique solide de relations, d'intérêts et de visions communes.
2. La présence d'un puissant lobby juif influent dans la société américaine et au sein des centres de décision facilite les politiques sionistes et défend ses intérêts, alors qu'il y a une absence d'un lobby arabe actif et unifié, surtout avec la fragmentation du régime arabe et la dispersion de ses volontés et intérêts.
3. Le sionisme tire son influence de la perspective des élites puissantes aux États-Unis qui considèrent «qu'Israël» fait partie du système de civilisation occidentale, le voyant comme une oasis de démocratie et de modernité dans la région. Selon le slogan, «il n'y a rien de plus occidental que l'Occident lui-même». Cette conviction a été ébranlée après la révélation de la nature raciste et coloniale des sionistes.
4. La nature du système politique américain, qui repose sur plusieurs cercles, en particulier le fait que la pression pour orienter la politique étrangère américaine ne se limite pas à la relation avec le président ou son administration, mais englobe l'influence sur les cercles des électeurs, le Congrès, les médias, les grandes entreprises, les universités et les lobbys.
5. La dispersion et la faiblesse de la volonté et la défaillance de l'administration politique dans le monde arabe, malgré la multitude d'Arabes et de pays et de leurs richesses pétrolières.
6. Il existe un aspect culturel et religieux entre les deux parties qui trouve son existence dans le courant du protestantisme chrétien, répandu dans la société américaine. Ce courant considère la création d'Israël comme un signe parmi les «signes» de la «fin des temps». Par conséquent, ce courant soutient l'existence d'Israël pour diverses raisons.
7. Il y a une sorte de similitude entre l'émergence d'Israël et l'émergence des États-Unis, qui ont également émergé par le biais de l'immigration, de la colonisation et de la force, contre les peuples autochtones de leurs terres d'origine.
Ainsi, en raison de ces facteurs, Israël bénéficie de privilèges qui lui permettent d'opérer au sein de la société américaine et de la politique américaine. Cela explique sa capacité à résister à l'opposition qu'elle soit républicaine ou celle des démocrates, et à s'opposer aux orientations ou de l'influence de n'importe quel courant. Les sionistes opèrent au cœur de la politique américaine, en plaçant leurs priorités au cœur de la stratégie américaine au Moyen-Orient, se considérant comme les seuls alliés stables et fiables des États-Unis dans la région.
Il est important de noter qu'il ne faut pas parier sur le fait qu'un événement particulier avec tel ou tel président américain puisse ébranler la position privilégiée de l'Etat sioniste aux États-Unis. Cela est dû aux liens étroits entre les deux parties, aux relations historiques et distinctives qui les lient, et au fait que la politique fonctionne de manière institutionnelle, basée sur des intérêts et des visions stratégiques plutôt que sur des considérations temporaires ou personnelles.
D'autre part, il est important de souligner qu'une nouvelle vision commence à s'imposer aux États-Unis sur les dessous de la relation avec Israël, marquant le début d'un processus de remise en question de la relation commune, en particulier au sein du public démocrate, des étudiants et de la nouvelle génération. Son développement nécessite une présence arabe plus forte, plus puissante et plus efficace. Ainsi, si l'entité sioniste sans les États-Unis n'est pas une question immédiate, elle n'est pas non plus une question impossible à l'avenir, à la lumière des évolutions internationales et régionales, et à la lumière de la révélation d'Israël en tant qu'entité d'occupation, raciste et fondamentaliste pure et dure, contrairement à ce que les normalisateurs essayent de faire comprendre à leurs peuples. En conclusion, sans une mobilisation palestinienne commune et arabe appropriée, aucun changement significatif ne peut être exploité aux États-Unis ou ailleurs.
AURIMAGES-LORENZO DE SIMONE /AURIMAGE- YOHAV LEMMER /AFP-ALAIN KELER /MYOP-ANADOLU VIA AFP-CHINE NOUVELLE /SIPA)
Le terrible conflit israélo-palestinien, qui s’est de nouveau embrasé cet automne, s’enracine très profondément dans une histoire violente, complexe et fascinante de près de trois mille ans. Du roi David aux accords d’Abraham et des croisades à la création de l’Etat d’Israël, la voici racontée en 33 dates clés, à retrouver à la une de « l’Obs » ce jeudi et jusqu’à la fin de l’année sur notre site.
On me pardonnera une remarque qui paraîtra décalée par rapport à la gravité des événements. Quand a été connu l’atroce massacre de masse commis le 7 octobre par le Hamas, une de mes premières pensées a été la suivante : « Heureusement que Jean Daniel n’a pas vu ça… » Nos plus anciens lecteurs connaissent l’importance de la question israélo-palestinienne dans notre magazine. Personne n’a oublié l’énergie que son fondateur mettait à faire advenir une paix juste et respectueuse de chacun. Il l’a raconté souvent, il en portait l’espoir dans sa chair même.
Edito | Israël-Palestine, un conflit au miroir de l’histoireNé d’une famille juive, il fut bouleversé, comme tant de juifs de par le monde, par le « miracle » de la création d’Israël, ce petit pays qui paraissait capable de mettre fin à la malédiction multimillénaire de l’errance et de la persécution.
Fils de l’Algérie, homme de gauche, anticolonialiste passionné, il savait aussi que rien ne serait possible sans faire une place au peuple arabe. Les plus anciens de la rédaction – dont je suis – se souviennent de son émotion lors des accords d’Oslo en 1993, et de la célèbre poignée de main entre le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et son vieil ennemi palestinien Yasser Arafat. Le rêve d’une vie était réalisé !
Un demi-siècle d’éclats de lumière et de longs tunnels de désespoir
Dans quel abîme de désespoir l’aurait plongé, trente ans plus tard, l’explosion de ce rêve dans un nouveau bain de sang et de haine ? Nous venons de feuilleter les innombrables couvertures que notre journal, depuis sa création en 1964, a consacrées au Proche-Orient. 1965 : « Quelle solution pour Israël ? » 1967 : « La guerre ! » Un an plus tard, l’espoir déjà : « Juifs et Arabes, vers la paix ? » Et ainsi de suite, jusqu’à nos jours. La guerre, la paix, la paix, la guerre.
Plus d’un demi-siècle d’éclats de lumière suivis de longs tunnels de désespoir. Chaque fois, une même ligne : rejet absolu des extrémistes racistes et meurtriers, d’où qu’ils viennent ; appui à ceux qui cherchent à concilier deux légitimités et à apaiser deux souffrances. Jean Daniel est mort en 2020. Son cap est toujours le nôtre. « L’Obs » n’a aucune complaisance envers les atrocités commises par le Hamas sur des civils innocents. Il sait aussi que le cycle infernal de violences que cette action a relancé – les bombardements sans discrimination tuant d’autres innocents – ne sera clos que lorsqu’on aura permis à deux peuples de coexister dans la sécurité et la dignité.
Pour le redire ici, il faut une fois encore en passer par l’histoire. Elle seule peut permettre de démêler l’écheveau complexe où nous sommes aujourd’hui. Elle ressemble, comme si souvent, à un interminable champ de bataille, mais a l’avantage de rappeler des faits et aide à nous extraire des messianismes exaltés qui, de part et d’autre, brouillent le jugement. La grande règle est d’accepter de lire l’histoire sans bandeau sur un œil, et de saisir qu’elle est d’autant plus riche et passionnante qu’elle est double.
Songez aux premières analogies venues du côté israélien pour décrire l’horreur du 7 octobre : un « pogrom », une barbarie « nazie ». D’éminents spécialistes de ces périodes ont depuis mis en garde contre des équivalences forcément trompeuses : les actes du Hamas relèvent du crime de masse, mais on ne peut les comparer avec d’autres abominations relevant d’un contexte différent. Quelle importance ?
Palestine : ces terres ont-elles été accaparées ?
L’imaginaire évoqué est présent dans les têtes des défenseurs d’Israël depuis sa naissance même. Le but de l’Etat rêvé par les pères du sionisme n’était-il pas de mettre fin à des siècles de persécutions, qui ont commencé avec l’antijudaïsme médiéval, redoublé à la fin du XIXᵉ siècle dans l’Empire tsariste, et culminé avec la machine de mort nazie ?
La découverte d’Auschwitz a été un choc et le motif principal qui a poussé l’Organisation des Nations unies, en 1947, à accorder aux juifs le droit de constituer un Etat. Israël devait être à jamais le havre où ils seraient à l’abri du retour de l’horreur. C’est l’argument de l’« Etat refuge ». Il est juste et reste, à raison, porté par la communauté internationale.
Chacun doit aussi avoir à l’esprit que les Arabes ont perçu ce même argument comme une injustice. En quoi était-ce à eux de payer les conséquences d’un crime commis en Europe dont ils n’ont été en rien responsables ?
De ce côté de la Méditerranée, la création d’Israël appartenait à une autre histoire : elle semblait l’ultime épisode d’un autre traumatisme, dont eux-mêmes ont souffert et commençaient alors à sortir, celui de la colonisation. Un Occidental voit les premiers sionistes débarquant en Palestine comme des victimes de l’antisémitisme à qui il faut donner un foyer. Un Arabe, comme les cousins des Européens d’Algérie venus les déposséder de leurs terres.
Ces terres ont-elles été accaparées ? Autre vaste question. Dès sa conception, le nom même de « sionisme » porte l’idée non pas d’« installation » à Sion – c’est-à-dire Jérusalem – mais de « retour ». C’est essentiel. Les juifs ne peuvent considérer comme une colonisation leur arrivée en Palestine, puisqu’ils la pensent comme le retour à la patrie lointaine dont ils ont été chassés, après une ultime révolte perdue contre les occupants romains, autour du Iᵉʳ siècle de notre ère.
Accords d’Oslo : chacune des deux parties reconnaît enfin le droit de l’autre à exister
Mais comment oublier que d’autres populations ont vécu aussi sur cette terre, avant ou à l’époque de la Judée – dont les Philistins, d’où vient le nom de Palestiniens, sont les plus connus –, et d’autres encore pendant des siècles après ? Faut-il les rayer de la carte ? Ce serait d’autant plus immoral et fou que la plupart de ces populations, devenues au cours des siècles chrétiennes et musulmanes, appartiennent à des religions issues spirituellement du judaïsme, qui s’enracinent dans la même histoire et placent au centre de leur vénération cette même Jérusalem qui n’appartient pas à une religion, mais à trois
On voit beaucoup, depuis le 7 octobre, refleurir sur les réseaux sociaux un argument qui se veut sans appel : alors que les Juifs de l’Antiquité possédaient un Etat, la Palestine, après la destruction de celui-ci, n’en a jamais été un. C’est factuellement exact.
En dix-huit siècles, la région est restée une province régentée par des empires successifs (romain, byzantin, arabe, ottoman, puis britannique). Et alors ? En quoi n’avoir pas eu d’Etat annulerait-il le droit pour un peuple d’en former un ? Ceux qui professent une telle ineptie ont-ils ouvert un livre d’histoire ? Ni l’Italie ni l’Allemagne n’ont jamais été des Etats avant que leurs populations, au XIXᵉ siècle, se forment une conscience nationale qui a abouti, après des décennies de combat, à la formation des deux pays que nous connaissons. La conscience nationale palestinienne existe. Elle trouvera tôt ou tard son expression politique.
Après des décennies de déni réciproque, on a cru, avec les accords d’Oslo, cette lancinante question enfin réglée. Chacune des deux parties reconnaît enfin le droit de l’autre à exister.
Qui sera capable de relancer la machine d’espoir ?
Cette mécanique s’est vite brisée. Les responsables du désastre sont connus. Les fous de Dieu du Hamas, qui n’ont jamais cessé leurs actions violentes, en portent une part énorme. Doivent-ils nous faire oublier d’autres fous de Dieu, dont certains sont ministres du gouvernement israélien, qui, en poussant à la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem au nom d’un messianisme délirant, ont réussi à tuer dans l’œuf toute possibilité de créer un Etat palestinien véritable ? Qui sera capable de relancer la machine d’espoir ? Le panorama n’incite pas à l’optimisme.
Après le cauchemar du 7 octobre, suivi des bombardements sur Gaza, trop de souffrance, trop de haine se sont accumulées ici et là pour espérer que de nouveaux Rabin et Arafat, si tant est qu’il en existe encore, réussissent à se faire entendre de populations traumatisées. Dès lors, il faut espérer qu’une pression extérieure brise cette spirale du pire. D’où peut-elle venir ? On pense aux Etats-Unis, éternel gendarme de la région. Certes, la première puissance mondiale, soutien trop inconditionnel de l’Etat hébreu, est souvent apparue comme partiale. On ne peut oublier qu’elle fut aussi faiseuse de paix, en parrainant celle avec l’Egypte (1979), puis avec la Jordanie (1994) comme avec les Palestiniens lors des fameux accords d’Oslo.
Cet article fait partie d’un dossier sur l’histoire d’Israël et de la Palestine en 32 dates, depuis -1000 et le réel ou mystique royaume de David et Salomon jusqu’aux 7 octobre 2023 et les attaques terroristes du Hamas, en passant par la révolte des Juifs contre les Romains en 70, la prise de Jérusalem par les Anglais en 1917, l’intifada de 1936, la création de l’Etat d’Israël en 1948 suivie de l’exil de 700 000 Palestiniens, l’assassinat d’Abdallah Ier de Jordanie en 1951 et celui d’Yitzak Rabin en 1995…
Les mêmes ont hélas été incapables de les rendre viables. Obama a tenu en 2009, au Caire, un discours qui a suscité d’immenses espoirs. Il n’a été suivi d’aucun effet. Ensuite est venu Trump, affligeant d’inculture historique, et entraîné par une force redoutable : les Eglises évangéliques, d’autres fous de Dieu poussant à un soutien fanatique d’Israël au nom d’un messianisme dont on découvrira plus loin les détails effrayants.
Parallèlement, le même Trump a tenté une politique de deal, de normalisations bilatérales entre Tel-Aviv et divers Etats arabes qui eurent bien soin de mettre sous le tapis la « question palestinienne ». Celle-ci vient de se rappeler au monde de la façon la plus épouvantable. En lançant enfin quelques vagues condamnations à l’encontre de « colons extrémistes », Joe Biden semble se souvenir que les Palestiniens existent. Comment leur donnera-t-il une occasion d’espérer ? Pour l’instant, on l’ignore.
Faut-il donc compter sur l’Europe, et particulièrement sur la France ? Notre pays aussi semble terriblement fracturé. On a beaucoup critiqué la dérive sectaire de Jean-Luc Mélenchon et d’une partie de l’extrême gauche, empêtrés dans des considérations sémantiques pour refuser de qualifier de terroristes des actes de terreur. On a eu raison
On s’étonne qu’il n’y ait pas eu autant de critiques pour dénoncer la dérive d’une partie de la droite – la majorité des Républicains – et de l’extrême droite, qui s’est engouffrée tête baissée dans un soutien à la droite nationaliste israélienne et essaie d’importer le récit qu’elle met en place : il ne s’agit plus de défendre le droit de deux peuples à vivre côte à côte, mais de tout miser sur un seul, Israël, désormais présenté comme un avant-poste de la civilisation occidentale, luttant contre des barbares assimilés aux islamistes de Daech.
Ce raisonnement est inacceptable moralement. Que le Hamas ait une parenté idéologique avec les fanatiques de l’ex-prétendu « califat » est clair. Oser instrumentaliser ce fait pour dénier à tous les Palestiniens le droit à vivre en paix sur leur terre est honteux.
Par ailleurs, l’idée même de faire de l’Etat hébreu une sorte de citadelle occidentale hors d’Occident est une folie qui finira par une tragédie. Faut-il rappeler les cas historiques auxquels elle renvoie ? L’Afrique du Sud de l’apartheid, la Rhodésie, les Etats francs des croisades. Tous ont été balayés par l’histoire.
On le répète. Tous ces extrémistes, qu’ils soient d’extrême gauche ou de la droite dérivant vers l’extrême droite, sont des incendiaires qui conduisent au pire et affaiblissent la seule solution raisonnable, celle qu’implique la longue histoire que nous vous racontons ici, celle qui, à ce jour, reste portée par la France : deux peuples, une terre, et le droit pour chacun d’y vivre en sécurité et en paix.
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