Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Combien de morts faut-il au vengeur pour assouvir sa vengeance et redresser les torts de ceux qui ont assombri son sort ? 27 000 ? 270 000 ? 2 700 000 civils ?
Ils et elles ont 9 ans, 17 ans, 22 ans et 25 ans et cumulent des millions d’abonnés. Depuis le 7 octobre, ces jeunes s’emparent des réseaux sociaux pour ouvrir les dernières fenêtres sur l’enclave palestinienne.
AvecAvec plus de 18 millions d’abonnés sur Instagram, Motaz Azaiza possède davantage de followers que le président étatsunien Joe Biden. Mais le photographe gazaoui de 24 ans, propulsé reporter de guerre après le 7 octobre, a annoncé le 23 janvier dernier qu’il quittait la bande de Gaza : sa notoriété nouvelle lui ayant permis de franchir le poste-frontière de Rafah puis de prendre, pour la première fois de sa vie, un avion, à destination du Qatar.
La relève est toutefois déjà là. D’abord avec la plus jeune reporter de Gaza et probablement du monde, Lama Abu Jamous. Du haut de ses 9 ans et de ses près de 800 000 abonnés sur son compte Instagram, la toute jeune fille se présente comme « journaliste palestinienne ».
Ce n’est qu’en mai 2023 qu’elle a publié sa première photo sur le réseau social. Sont ensuivies quelques rares autres publications, où elle explique encore des choses de son âge, par exemple comment elle est surnommée « nutella » à cause de sa peau foncée et de son attirance pour cette pâte à tartiner.
Jusqu’au 9 décembre dernier où son rythme de publication devient quotidien. Après un nouveau bombardement, elle décide en effet de documenter sa vie sous les bombes. Ce jour-là, elle filme les rues de Khan Younès en disant chercher de la nourriture. Le 10 décembre, elle s’empare d’un micro siglé Al Jazeera et explique, droite dans sa salopette noire, qu’elle a décidé de couvrir la guerre. Deux jours après, on retrouve la jeune fille au débit encore enfantin expliquer qu’elle est désormais à Rafah, chez des cousins.
Jointe par Mediapart, elle explique : « J’aime le journalisme. Avant la guerre, je parlais dans une émission à la radio de l’école. Ensuite il y a eu la guerre. Le jour où la maison de ma tante a été bombardée, et qu’ils ont commencé à tuer des journalistes, j’ai décidé de filmer et raconter ce qui se passe. »
Peur des bombardements
Son père est ingénieur télécoms et sa mère femme au foyer. Elle habitait dans le centre de Gaza City mais sa famille a dû fuir les combats, d’abord à Khan Younès, chez ses grands-parents, puis à Rafah, accueillie par la famille éloignée.
« J’ai peur des sons des bombardements mais mon papa me dit qu’il ne faut pas avoir peur même si c’est proche. Il me dit que si les bombardements sont très proches, on ne sentira rien », raconte encore l’écolière, benjamine d’une famille de quatre enfants, dont la plus grande a 16 ans.
Sur son Instagram, on la voit interviewer une autre jeune femme devenue célèbre sur les réseaux sociaux par la guerre à Gaza, Bissan. Puis, le 15 décembre dernier, tendre son micro à Wael al-Dadouh, le journaliste star d’Al Jazeera à Gaza, qui a appris en direct la mort de sa femme et de ses enfants, et vient récemment de quitter l’enclave pour le Qatar. Alors qu’elle lui demande quel « message [aimerait-il faire passer] au monde », il répond : « On passe par des moments très difficiles. Le peuple palestinien paie un prix très fort. On souffre énormément avec tous les martyrs qui tombent chaque jour. Mais on va tenir. Et tant qu’il y aura des personnes comme toi, on y arrivera. »
Au fur et à mesure que les jours s’écoulent même si c’est toujours d’une toute petite voix, on sent Lama Abu Jamous prendre de l’assurance et documenter sa vie de réfugiée. Le 17 décembre, elle est à la recherche d’un peu d’eau pour sa famille. Le 19, tout en jouant avec sa poupée, elle interviewe d’autres enfants dans un camp de réfugiés en leur demandant s’ils regrettent de ne plus pouvoir aller à l’école. Deux jours après, elle montre comment se prépare un dîner dans la cour d’une école de Rafah gérée par l’UNWRA remplie à craquer de réfugiés du nord de Gaza.
Le surlendemain, elle explique qu’elle aimait aller à la mosquée al-Omari, construite il y a plus de mille quatre cents ans et détruite par un bombardement israélien le 9 décembre dernier. Le 12 janvier, elle demande à ses abonnés « d’écouter les avions passer au-dessus de nos têtes » en faisant entendre le bruit assourdissant qui l’entoure. Quelques jours plus tard, elle écrit seulement : « Où est l’humanité ? »
« Je veux être une petite journaliste. Je veux que le monde entende la voix de la Palestine. C’est pour ça que je fais des vidéos », confie-t-elle encore à Mediapart.
Abod, quant à lui, vient tout juste d’avoir 17 ans, mais sa gouaille gazaouie en a déjà fait une star, sans doute aussi parce que ses posts constituent une des rares occasions de rire ou sourire dans l’enfer apocalyptique qu’est devenue l’enclave palestinienne.
Avec près de trois millions d’abonnés sur Instagram, le jeune homme se présente depuis le début de l’offensive israélienne comme le « meilleur correspondant de guerre du monde pour l’année 2023 » et le « véritable héritier de Shireen Abu Akleh », la journaliste vedette d’Al Jazeera tuée par un sniper de l’armée israélienne au printemps 2022 alors qu’elle couvrait une incursion de cette dernière dans le camp de Jénine en Cisjordanie. Depuis qu’il a été arrêté par l’armée israélienne, déshabillé et détenu pendant une journée dans le nord de Gaza, il a ajouté une phrase à son profil : « prisonnier palestinien libéré ».
Sa première photo postée sur Instagram remonte à seulement un an, et l’adolescent n’avait quasiment rien publié avant le 8 octobre dernier. Ce jour-là, il commence une chronique où il se met en scène, un fil électrique avec une ampoule au bout en guise de faux micro, sur le balcon de l’appartement familial à Gaza City.
On le voit quasiment toujours souriant, proposant à ses abonnés « d’écouter le son des avions » qui passent au-dessus de lui ou racontant que sa mère l’a réveillé à 4 heures du matin : « Je me suis dit que la Palestine était libérée », commente-t-il.
Au début de l’offensive, culot et ironie se mêlent dans ses publications. Le 15 octobre, il explique par exemple : « Je vais vous faire une vidéo rapidement avant que la guerre terrestre ne commence. Je suis très content que cela arrive enfin, parce que ma mère n’arrête pas de me faire faire des commissions et j’en ai marre. »
Deux jours après, il plaisante sur les propos du porte-parole de la branche armée du Hamas, Abu Obeida qui vient d’annoncer que les otages seraient nourris de la même façon que les habitants de Gaza. « Pauvres otages, ils doivent avoir la bouche en feu », commente Abod, en référence à la nourriture réputée pimentée de Gaza comparée aux autres mondes palestiniens. Le 19 octobre, il partage une vidéo montrant des roquettes lancées sur Israël et on l’entend, avec ses amis, dire : « Allez, allez, tape ! tape ! » Deux jours plus tard, il filme des bâtiments détruits qu’il commente par des mots hostiles à l’Autorité palestinienne : « Avec ça, Abu Mazen doit être content. » Quelques jours plus tard, il appelle à boycotter les produits israéliens et américains.
Au fur et à mesure que le conflit avance dans le temps, et toujours avec son fil électrique surmonté d’une ampoule désormais brisée, Abod quitte de plus en plus souvent son balcon, pour raconter sa vie quotidienne, la nécessité de se lever à 5 heures du matin pour trouver à manger ou de marcher une demi-heure pour charger son téléphone.
Le 5 novembre, il est dans une rue et demande à un enfant de 5 ou 6 ans ce qu’il fera quand il sera grand. « Je vais être Hamas », répond le garçonnet. Le lendemain, il filme des gens accourus sur le site d’une maison entièrement détruite par un bombardement israélien. « Il y a quand même une différence culturelle, commente Abod. À Tel-Aviv, quand il y a des roquettes, tout le monde se dirige vers les abris. Ici, tout le monde se rapproche du lieu de l’explosion. »
À la fin du mois de novembre, on sent la lassitude le gagner et son ton se faire plus tragique. « Il faut que les Israéliens comprennent qu’on ne partira jamais d’ici. Je n’en peux plus. Qu’ils se décident : soient ils nous tuent tous, soit ils repartent. » Dans un post datant du 28 novembre, il retrouve un peu de son humour noir : « Je suis né en 2006. J’ai vécu la guerre de 2007. Celle de 2014. Celle de 2021. Maintenant celle-ci. Encore une guerre et j’entre dans le Guinness Book des records. »
Le 18 décembre, il raconte en détail son arrestation : « J’ai entendu le haut-parleur de l’armée israélienne. Je suis sorti les mains sur la tête, comme demandé. Je n’avais jamais vu un soldat israélien en vrai de toute ma vie. J’ai été retenu pendant sept heures avant qu’on me laisse partir. »
Le 1er janvier de cette année, il adresse un message plus grave que d’habitude à tous ses abonnés : « Vous êtes tous en tain de célébrer la nouvelle année. Mais nous sommes en train de mourir. Ceux qui ne sont pas morts ont perdu leur maison et leur famille. Ceux qui vivent encore ont plus de problèmes encore que ceux qui sont morts. Chaque jour est plus difficile que la veille. On meurt et personne ne nous entend mourir. »
Ton révolté et ironique
Quelques jours plus tard, on retrouve cependant son ton davantage révolté et ironique : « J’ai décidé d’appeler les associations qui militent pour le droit des animaux. Puisque tout le monde se fiche des humains palestiniens, on a peut-être encore une chance de sauver nos chats qui eux non plus n’ont pas de quoi boire ni manger. »
Alors qu’Abod s’exprime dans toutes ses publications en arabe dialectal, avec un accent de titi gazaoui, il change de registre le 14 janvier, pour les 100 jours de la guerre qui détruit Gaza et a déjà fait alors plus de 20 000 morts. C’est en arabe classique qu’il commente une vidéo d’immeubles éventrés : « Même si cela s’arrêtait maintenant, comment pourrait-on oublier cela ? »
Lama et Abod s’adressent en arabe à un public en majorité palestinien. Mais, à l’instar de Motaz Azaizi, plusieurs de celles et ceux qui se sont emparés d’Instagram comme d’un espace médiatique et politique inédit à l’occasion de la guerre à Gaza, choisissent de s’y exprimer en anglais en jugeant que leur mission consiste à informer le monde de ce qui se passe dans l’enclave palestinienne et alors que les journalistes internationaux y sont toujours interdits d’accès. Parmi ceux-là, deux voix et visages féminins se détachent.
La première, Plestia Alaqad, est issue d’une grande famille de Gaza, comme en témoignent ses publications antérieures au 7 octobre, où elle montre par exemple une photo d’une splendide bibliothèque familiale montant jusqu’au plafond. Avant la guerre, la jeune fille de 22 ans postait des photos d’elle bras nus et cheveux au vent sur la plage de Gaza ou au Roots Hotel, l’un des établissements de luxe de la corniche. Elle y décrivait ce qu’elle nommait sa « belle vie dans une jolie prison ».
À partir de 9 octobre, celle qui allait occuper un poste dans les ressources humaines, abandonne toute vie professionnelle pour se plonger dans la vie des Gazaoui·es sous les bombes. Elle troque des images où on la voyait apprêtée et maquillée pour d’autres où elle a les cheveux tirés en arrière sous un casque de protection siglé « Presse ». Alliant logique journalistique et codes d’influenceuse, elle capte l’attention au fur et à mesure que les troupes israéliennes pénètrent plus loin dans Gaza City.
De seulement quatre mille abonnés avant la guerre, elle frôle désormais les cinq millions de followers, au point de s’être attiré les foudres de certains médias israéliens l’accusant de répéter la propagande du Hamas, puis d’avoir vu son compte Instagram piraté.
Exceptionnellement, c’est en arabe qu’elle annonce avoir quitté Gaza pour l’Égypte après quarante-cinq jours de guerre, par peur que sa famille soit ciblée comme l’ont été beaucoup de journalistes depuis début octobre, et en exprimant son immense culpabilité d’être parvenue à franchir le terminal de Rafah tandis que la plupart des habitant·es de Gaza demeurent soumis au feu de l’artillerie et de l’aviation d’Israël.
Bisan Owda, 25 ans, est, elle, toujours à Gaza et son nombre d’abonnés sur Instagram augmente encore plus vite que son désespoir. « Appartenons-nous au monde ? Est-ce que quelqu’un nous entend ? Cour internationale de justice, es-tu certaine que ton exigence vis-à-vis d’Israël a été de stopper tout acte de génocide ? », demandait-elle dans une publication du 30 janvier dernier sur son compte suivi par plus de quatre millions de personnes.
Avant le 7 octobre, elle aussi était une inconnue, avec une présence anecdotique sur les réseaux sociaux, sur lesquels elle faisait le récit d’une de ses journées à Gaza et postait des images d’un mariage ou de ses cours de boxe. Quelques jours seulement avant le déclenchement de la guerre, on la voit à Beyrouth poster des photos d’elle à l’aéroport, agrémentées d’une musique d’Édith Piaf, « emportée par la foule ».
Le 8 octobre, le ton change subitement. Les premiers jours, elle ne poste pas de vidéos, mais seulement des messages écrits en lettres noires, affirmant notamment : « Il se passe en ce moment à Gaza des choses que vous ne verrez pas dans les journaux. »
Quelques jours après, le 12 octobre, elle publie une vidéo d’elle marchant dans la rue au milieu des destructions, puis en larmes à l’arrière d’une voiture avec pour commentaire : « J’ai perdu mes rêves, mon travail, mon matériel, ma maison. » Ce qui lui vaut des milliers de « like » mais aussi quelques commentaires du genre : « Porte un hijab et enlève to
n vernis à ongles. Tu ne veux pas mourir dans cet état. Couvre-toi. Tu es proche de rencontrer Allah. »
La jeune chef-op habitant dans le quartier chic de Rimal, à Gaza City est ensuite évacuée vers le sud. Dans l’une de ses dernières publications, on la voit, parka sur le dos et appareil photo à la main, poser au milieu de la route Salah al-Deen (Saladin) qui reliait le nord et le sud de la bande de Gaza. Et elle commente la photo avec ces mots : « C’est une honte pour toute l’humanité que la conclusion d’un cessez-le-feu prenne autant de temps et donne aux forces d’occupation le temps de tuer davantage de civils et d’enfants et de détruire des milliers de maisons et de rues ! Chaque minute qui passe pour les Palestiniens de la bande de Gaza sous ce génocide est comparable à un siècle de torture ! »
Ce n'est pas à toi que j'apprendrai que la vitesse de propagation d'un son, d'un bruit, d'une rumeur est supérieure à la vitesse de propagation de la lumière... pas besoin de voir pour croire, il suffit d'entendre une voix, plusieurs voix pour ne plus avoir ni l'envie, ni la force d'y répondre.
Le spécialiste du Proche-Orient Nathan Brown analyse, dans un entretien au « Monde », le soutien indéfectible des Etats-Unis à l’Etat hébreu depuis sa création, une relation amenée à évoluer sous la pression d’une partie de l’opinion américaine, notamment depuis la guerre à Gaza.
Nathan Brown, en 2010. STEPHAN RÖHL/WIKI COMMONS
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, les Etats-Unis sont la seule grande puissance totalement engagée aux côtés d’Israël, malgré les allégations de crimes de guerre à Gaza. Est-ce le résultat logique de la relation spéciale nouée entre les deux pays ou bien une décision personnelle de Joe Biden ?
Un peu des deux. C’est l’aboutissement d’un soutien bipartisan [démocrate et républicain] à Israël depuis la guerre des Six-Jours, en 1967 – une période qui a également façonné Joe Biden en tant qu’homme politique. Mais aujourd’hui, ce soutien ne fait plus l’unanimité au sein du Parti démocrate. C’est une politique datée.
Vis-à-vis des allégations de crimes de guerre, du recours à la Cour internationale de justice [CIJ, plus haute juridiction des Nations unies], etc., la position américaine est plutôt constante: les relations israélo-arabes en général – et israélo-palestiniennes en particulier – doivent être gérées directement par les parties concernées, ou par le biais d’une sorte de médiation conduite, en général, par les Etats-Unis. Et passer par des instances judiciaires ou multilatérales n’est pas approprié. Raison pour laquelle, au moins depuis les années Reagan [1981-1989], les Etats-Unis ont été si réticents à se référer aux conventions de Genève, aux procédures internationales visant le mur de séparation [déclaré illégal par la CIJ en 2004] – allant jusqu’à mettre leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Les Etats-Unis s’intéressaient-ils à la Palestine sous mandat britannique, avant la seconde guerre mondiale ?
Pas vraiment, ou seulement à la marge. Les Etats-Unis n’ont jamais vraiment soutenu l’empire britannique. Il existait des groupes favorables au projet sioniste en Palestine mais, même parmi les juifs américains, ce projet est resté controversé jusqu’à la déclaration d’indépendance [d’Israël], en 1948. Parmi ces derniers, beaucoup considéraient le judaïsme comme une religion, éventuellement comme une catégorie ethnique, mais pas comme une nationalité. Ils redoutaient aussi que leur propre statut soit remis en cause, aux Etats-Unis et à coup sûr en Europe.
Comment Israël est-il ensuite devenu un enjeu de la guerre froide ?
Cela n’a pas été immédiat, ni automatique. Quand le président Harry Truman [1945-1953] reconnaît l’Etat d’Israël, en 1948, il s’agit alors d’une décision personnelle qui prend de court une partie des décideurs et experts de la politique étrangère américaine. A cette époque, l’Union soviétique encourageait tout ce qui pouvait contribuer à mettre fin au mandat britannique. Il n’y avait donc pas de rivalité américano-soviétique au sujet d’Israël. Il faut attendre la crise de Suez, et l’alignement d’Israël avec les Britanniques et les Français, pour que cette rivalité se précise. Après 1955, le bloc soviétique accepte de fournir des armes à l’Egypte. A partir de ce moment, les pays arabes – ou du moins certains d’entre eux – sont davantage associés à l’URSS.
La guerre des Six-Jours a modifié la perception américaine d’Israël, devenu soudain un allié très sûr au Moyen-Orient…
La guerre de 1967 est un moment décisif. Pour la première fois, Israël apparaît dans l’imaginaire populaire américain comme David affrontant Goliath. Cette conception, qui n’est pas seulement liée à la rivalité de la guerre froide, se renforce après 1967. Le Congrès soutient davantage l’Etat hébreu, principalement sous forme d’une aide économique et militaire. Personne ne s’y oppose vraiment.
« David et Goliath », d’Andrea Vaccaro (1604-1670). LOS ANGELES COUNTY MUSEUM (M.2007.106.)/ RMN-GP
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Dans les années 1970, le mouvement national palestinien s’affirme en lançant des actions terroristes. Comment est-il perçu à Washington ?
L’émergence de groupes palestiniens perpétrant des attentats contre des civils a très certainement conduit àassocier la cause palestinienne au terrorisme, mais aussi au camp soviétique durant la guerre froide. Au même moment, des pays tels que l’Egypte, la Syrie et l’Irak s’identifient étroitement au camp de Moscou. En 1973, l’embargo pétrolier arabe est perçu comme une menace pour la sécurité nationale américaine : une ressource mondiale cruciale se transformait en instrument de chantage contre Washington. Il ne s’agissait donc pas seulement de la question d’Israël en tant qu’allié régional.
Cette même période voit se développer, en Cisjordanie, le mouvement des colons messianiques, Goush Emounim. Il n’a cessé de croître sous les gouvernements israéliens travaillistes ou de droite. A-t-il été négligé par les administrations américaines ?
Absolument. Les négociations diplomatiques seraient plus aisées aujourd’hui si les colons n’étaient pas si nombreux en Cisjordanie. Au début, ils étaient perçus comme un phénomène irritant mais limité. Bien qu’en partie soutenu par le Parti travailliste, ce mouvement a, au fil du temps, surtout été associé à la droite [israélienne]. Même si le projet des colons n’a pas suscité d’opposition aux Etats-Unis, Washington ne savait pas exactement quelle position adopter vis-à-vis des territoires occupés en 1967. L’idée d’un Etat palestinien était considérée par des responsables américains, à l’instar de Henry Kissinger [nommé conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis en 1969, puis secrétaire d’Etat en 1973], comme un potentiel levier soviétique dans la région.
Deux présidents, George Bush et Bill Clinton, ont enclenché trois cycles de négociations israélo-palestiniennes : la conférence de Madrid (1991), les accords d’Oslo (1993), puis ceux de Camp David (2000). Washington était-il un médiateur impartial ?
Non, mais je ne le qualifierais pas non plus de malhonnête. Il en a toujours été ainsi : les dirigeants américains privilégient leur relation étroite avec Israël. Ils comprennent sa politique, même quand ils ne l’apprécient pas. Les acteurs [israéliens] et leurs idéologies leur sont familiers. Ainsi, quand les Etats-Unis s’engagent dans un processus de paix, leur point de départ est : comment pouvons-nous obtenir l’adhésion des Israéliens ? Même quand ils les poussent avec un peu d’insistance, ils essaient toujours de composer avec la politique israélienne.
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En revanche, Washington ne comprend rien aux Palestiniens. Il ne voit leur politique qu’à travers le prisme des cinq ou six personnes qu’il connaît. La façon dont les Etats-Unis ont misé sur l’ancien premier ministre Salam Fayyad [2007-2013] en est un exemple. Ils avaient trouvé un Palestinien qui semblait parler leur langage et ils ont vu en lui la clé de l’avenir[jusqu’à sa démission, après des mois de conflit avec le Fatah du président Mahmoud Abbas]. Un phénomène similaire se produit actuellement. Ils constatent l’impopularité de Mahmoud Abbas. Ils se disent donc : trouvons quelqu’un de populaire, et cela tiendra lieu de « réforme palestinienne ». Ils se concentrent trop sur les individus et sont déconnectés de l’opinion publique palestinienne. Ils n’ont pas pris au sérieux la perte de légitimité de l’Autorité palestinienne, qui se poursuit depuis un quart de siècle.
Donald Trump a renversé les termes d’une paix régionale, en faisant de la normalisation arabo-israélienne la priorité au détriment de la question palestinienne. Pendant deux ans, Joe Biden a paru suivre le même chemin. Qu’est-ce que cela traduit ?
Sous l’administration Trump [2017-2021], il y avait de hauts responsables favorables à l’annexion israélienne des territoires. Pour faciliter ce projet, ils ont donc soutenu la normalisation, sans le reconnaître publiquement. Au sein de l’administration Biden, l’approche est différente. Ils disent : « La solution à deux Etats est formidable, nous la soutenons, mais elle ne se produira pas de sitôt. Si nous normalisons les relations régionales et étendons les accords d’Abraham, à commencer par l’Arabie saoudite, nous serons en mesure de revenir au problème israélo-palestinien quand les circonstances seront plus favorables. » Cette administration Biden accepte la réalité plus qu’elle n’y adhère.
Depuis le 7 octobre, les Etats-Unis sont impliqués au plus haut niveau avec les Israéliens et les Palestiniens, avec des visites dans la région, des échanges diplomatiques intenses. Mais l’approche élémentaire, consistant à rechercher la normalisation régionale comme une sorte de carotte pour obtenir des concessions israéliennes, demeure inchangée.
Il existe plusieurs organisations juives influentes aux Etats-Unis, progressistes et conservatrices. Quel a été leur poids dans le modelage de la politique américaine envers Israël ?
En réalité, certains des plus fervents partisans de la droite israélienne ne sont pas juifs. Ils sont issus des rangs républicains conservateurs, qui comptent des alliés parmi les juifs orthodoxes américains.
Les organisations juives ont évidemment joué un rôle important, par exemple en plaidant pour le déménagement de l’ambassade américaine [de Tel-Aviv] à Jérusalem. Parallèlement, l’opinion publique au sujet d’Israël a profondément changé : cette question est plus partisane et plus générationnelle. Plus vous êtes jeune et de gauche, et moins vous êtes pro-israélien. Et plus susceptible, aussi, de considérer la cause palestinienne comme une question de justice sociale. Pour la génération qui a connu 1967, Israël était « l’allié assiégé », pour reprendre le titre d’un livre fameux [Israel : The Embattled Ally, de Nadav Safran, Harvard University Press, 1978, non traduit]. C’était un petit pays courageux, plein de jugeote, qu’on avait envie d’admirer. Mais à moins d’appartenir comme moi à cette génération, plus personne ne s’en souvient.
L’idée de juifs assiégés assurant leur défense a été largement remplacée par de nouveaux concepts comme « l’Etat apartheid » ou « le colonialisme israélien ». Ces thèmes sont liés à d’autres luttes que mène la jeunesse pour la justice, englobant la race, l’ethnicité, le Sud global contre le Nord, etc.
Israël est le plus grand bénéficiaire de l’aide américaine (158 milliards de dollars depuis 1948). Depuis longtemps, il y a des appels de la gauche pour geler cette aide, notamment le volet militaire, au nom des violations massives des droits palestiniens. Comment ce débat évolue-t-il ?
Si Israël continue d’être dominé par la droite, Joe Biden pourrait être le dernier président démocrate pro-israélien. Cela aura des effets majeurs. Tout présidentdémocrate devra se préoccuper de l’opinion de sa base électorale. Non seulement une partie de celle-ci se retourne contre Israël, mais la guerre à Gaza amplifie l’importance de cet enjeu. Les gens se sentent de plus en plus concernés. Le risque pour le Parti démocrate n’est pas que ces derniers se mettent à voter pour Trump, mais qu’ils restent à la maison le jour de l’élection.
Propos recueillis par Piotr Smolar (Washington, correspondant)
Publié aujourd’hui à 16h00https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/03/joe-biden-pourrait-etre-le-dernier-president-pro-israelien-issu-du-parti-democrate_6214597_3210.html.
Des tirs d’artillerie ont visé, hier, l’hôpital Nasser de Khan Younès, le plus grand du sud du territoire. Des milliers de civils y sont réfugiés, tout comme dans l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien, Al Amal, près duquel le personnel a signalé des combats tandis que la nourriture manquait.
Les mois passent et les bombardements contre les civils de Ghaza se poursuivent devant nos yeux sidérés. La Bande de Ghaza, victime de bombardements incessants, barbares et indiscriminés, est aujourd’hui «inhabitable», selon le Bureau des droits de l’homme des Nations unies.
Le nombre d’observateurs sur le terrain diminue, la grande partie des journalistes, témoins encombrants, étant morts ou partis. Le ministère palestinien de la Santé a déjà recensé plus de 26 700 morts et 65 000 blessés depuis le début de la guerre.
Khan Younès, dans le sud de Ghaza, est désormais le théâtre de combats meurtriers entre le Hamas et l’armée israélienne, forçant les habitants à fuir et mettant en danger les hôpitaux. Alors que les pays médiateurs tentent de parvenir à une nouvelle trêve, des frappes nourries et des tirs de chars continuent de viser cette ville largement détruite.
Les Etats-Unis, l’Egypte et le Qatar travaillent en coulisses pour persuader Israël et le Hamas de s’engager dans une nouvelle trêve. Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, en exil au Qatar, est attendu au Caire pour des discussions sur un projet de trêve.
Cependant, le Hamas exige un cessez-le-feu total en préalable à tout accord, notamment sur la libération des otages israéliens, tandis qu’Israël refuse tout arrêt des combats tant que «le Hamas n’est pas éliminé».
La délégation du Hamas doit rencontrer «des responsables du renseignement égyptien», a déclaré à l’AFP un responsable du mouvement à Ghaza, pour discuter d’une proposition formulée lors d’une récente réunion à Paris entre le directeur de la CIA, William Burns, et des responsables égyptiens, israéliens et qataris.
De mardi à mercredi, plus 150 Palestiniens sont tombés en martyrs et 313 personnes ont été blessées, selon l’agence Wafa. Hier matin, des tirs d’artillerie ont visé l’hôpital Nasser de Khan Younès, le plus grand du sud du territoire. Des milliers de civils y sont réfugiés tout comme dans l’hôpital du Croissant-Rouge palestinien, Al Amal, près duquel le personnel a signalé des combats tandis que la nourriture manquait.
Cadavres dépouillés de leurs organes
L’aviation de l’occupation a par ailleurs lancé des raids aériens sur le camp de Nuseirat, au centre de la Bande de Ghaza, sur la zone nord de la ville de Beit Lahia au nord de la bande de Ghaza et sur la zone orientale de Khan Younès, dans le nord et le sud de la Bande de Ghaza, explique Wafa, selon laquelle les forces d’occupation israéliennes ont tiré des obus au hasard sur des maisons dans la région d’Al Sina’a, à l’ouest de la ville de Ghaza.
Ajoutant à la détresse, les opérations d’aide aux civils de l’Unrwa sont menacées après que 12 des 30 000 employés régionaux de l’agence ont été accusés par Israël – sans preuve aucune – d’implication dans l’attaque du 7 octobre. Treize pays ont suspendu leurs financements à cette agence, mettant en danger le système humanitaire à Ghaza.
Cela aurait des conséquences catastrophiques pour la Bande de Ghaza, ont mis en garde des chefs de plusieurs organisations de l’ONU. Ces accusations surviennent après une décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de «génocide» et de prendre des mesures immédiates pour l’aide humanitaire à Ghaza.
La situation humanitaire se détériore rapidement. Ces derniers jours, des précipitations abondantes ont causé des dommages aux structures fragiles des camps temporaires des déplacés. La guerre a également placé la population au bord de la famine, selon le Programme alimentaire mondial.
Les experts convergent tous vers la même conclusion, affirmant n’avoir jamais été témoins d’une guerre d’une telle intensité au cours de leur carrière.
Christina Wille, directrice d’Insecurity Insight, une association basée en Suisse qui analyse l’impact de la violence sur la population civile en termes de sécurité alimentaire, de santé et d’éducation, explique : «Toutes les infrastructures essentielles sont touchées, rendant la vie extrêmement difficile, voire impossible dans certaines parties de Ghaza.
Dans certains quartiers, même si vous trouvez de la nourriture, vous ne pourrez pas la faire cuire, car il n’y a pas d’eau.» Les enterrements des défunts se déroulent dans des conditions insoutenables. Mardi, un camion a transporté 80 cadavres à l’hôpital Najjar de Rafah avant d’être enterrés dans un charnier de la ville via le poste-frontière de Kerem Shalom, en provenance d’Israël.
Selon les forces d’occupation, ces corps avaient été collectés pour être examinés en Israël, puis ramenés à Ghaza après confirmation qu’ils n’étaient pas des otages israéliens. Dans les faits, et selon des témoins sur place, les cadavres auraient été dépouillés de leurs organes.
Pour se défaire du Nazisme le monde a offert la Palestine à Israël Pour parfaire le sionisme le monde permet à Israël de s’offrir Gaza En reconnaissant de facto que la distinction de l’un ne peut avoir lieu sans l’extinction de l’autre Pauvre Palestine !
À mesure que les Israéliens basculent à droite, les Juifs américains s’ancrent à gauche. Résultat : le lobby pro-israélien aux États-Unis s’appuie désormais davantage sur les chrétiens fondamentalistes que sur les juifs. Mais la guerre de Gaza a également percuté l’université américaine quand certains de ses bailleurs de fonds ont décidé de sanctionner les établissements trop critiques du gouvernement israélien.
Cinq semaines après l’attaque meurtrière du Hamas, le 7 octobre 2023, une foule d’environ 290 000 personnes, Juifs américains pour la plupart, se rassemblait à Washington pour réaffirmer son soutien à Israël, exiger la libération des otages retenus à Gaza et dénoncer l’antisémitisme. Ce fut sans doute la manifestation pro-israélienne la plus massive de l’histoire des États-Unis. D’un point de vue strictement politique, ce fut aussi la moins nécessaire, le gouvernement de M. Joseph Biden ayant déjà, sans la moindre ambiguïté possible, fait sienne chacune de ces trois positions.
Cette mobilisation jurait avec les quelque deux mille manifestants réunis « en solidarité avec le peuple juif » au début de la guerre précédente entre Israël et le Hamas, en mai 2021. Il y a trois ans, la plupart des organisations juives progressistes et « pro-paix » avaient boycotté l’initiative, reprochant à ses organisateurs d’assimiler toute critique du sionisme à de l’antisémitisme. Le 14 novembre dernier, elles sont venues en masse, après avoir toutefois appelé M. Biden à faire pression sur le gouvernement de M. Benyamin Netanyahou pour que cessent les massacres de civils palestiniens. Les dirigeants des deux partis représentés au Congrès étaient également présents, le soutien à Israël ayant cette capacité miraculeuse à fédérer partisans de M. Biden et supporteurs de M. Donald Trump.
Parmi les Juifs présents ce jour-là, nombreux s’émurent sans doute de voir le prédicateur évangélique John Hagee parader au milieu des invités. Chef du groupe Christians United for Israel (« Chrétiens unis pour Israël »), M. Hagee considère par exemple que le « chasseur » Adolf Hitler a été envoyé par Dieu afin de punir les Juifs pour leur refus de se plier aux promesses du « livre de la Révélation », et que leur retour en Terre sainte doit servir à déclencher l’Apocalypse. Œcuménique, la bannière pro-israélienne s’étend ainsi jusqu’aux antisémites les plus fanatiques (1).
Lorsque Anthony Jones (« Van Jones »), le commentateur noir et « progressiste » de Cable News Network (CNN), tente à la tribune un exercice d’équilibre — « Je prie pour la paix. Qu’il n’y ait plus de roquettes depuis Gaza. Et plus de bombes non plus sur la population de Gaza » —, il reçoit en retour une volée de « bouh » et de « pas de cessez-le-feu ! ». Pendant ce temps, des petites contre-manifestations se forment en marge de l’événement, sous l’égide des groupes juifs « dissidents » Jewish Voice for Peace (« La Voix juive pour la paix ») et IfNotNow (« Si ce n’est maintenant »). Lesquels s’étaient massivement mobilisés au cours des semaines précédentes contre les bombardements sur l’enclave palestinienne. Aux côtés d’autres collectifs, palestiniens ou non, ils avaient manifesté à maintes reprises, paralysé la circulation et occupé des gares dans plusieurs grandes villes du pays — et même le Capitole —, en réclamant la fin des livraisons d’armes à Israël et en sommant M. Biden d’user de son pouvoir pour faire immédiatement cesser le massacre.
Moins nombreux que les manifestants pro-israéliens du 14 novembre, les contre-manifestants n’en étaient pas moins de meilleurs représentants de la population américaine dans son ensemble, majoritairement opposée à la guerre contre Gaza. Selon un sondage réalisé avant même que le bilan des victimes palestiniennes ne perce le seuil des dix mille, 66 % des électeurs américains disaient approuver « totalement » ou « à peu près » la proposition d’un cessez-le-feu immédiat. Un nombre significatif de Juifs y étaient également favorables, surtout parmi les moins de 24 ans, de plus en plus sensibles au sort et aux droits des Palestiniens, alors qu’en Israël la même tranche d’âge a basculé très largement dans le sens inverse.
À chacun des cinq derniers scrutins nationaux, les électeurs israéliens n’ont eu de cesse d’embrasser l’autoritarisme, la théocratie et l’annexion rampante de la Cisjordanie. Dans le même temps, les dirigeants d’extrême droite s’affranchissaient un à un de tous les liens, politiques et psychologiques, qui les reliaient aux Juifs américains, en courtisant désormais ouvertement les sionistes évangéliques, qui déterminent les positions du Parti républicain sur ces questions. Selon Gary Rosenblatt, ancien rédacteur en chef du New York Jewish Week, M. Netanyahou admet en privé que « tant qu’il a le soutien en Amérique des chrétiens évangéliques, qui excèdent largement en nombre les juifs, et plus encore les juifs orthodoxes, tout va bien pour lui ». L’apparatchik néoconservateur Elliott Abrams (2) le rappelle, « les évangéliques dans ce pays sont vingt à trente fois plus nombreux que les juifs ». Le groupe de lobbying American Israel Public Affairs Committee (Aipac) est donc devenu plus droitier à mesure qu’il devenait moins « juif ».
Si l’attaque du Hamas et la réaction israélienne n’ont pas substantiellement modifié les positions politiques des Juifs américains, elles ont en revanche exacerbé leurs divergences. Dans une lettre ouverte demandant au président Biden de soutenir un cessez-le-feu immédiat, plus de cinq cents employés de quelque cent quarante organisations juives américaines ont notamment déclaré : « Nous savons qu’il n’y a pas de solution militaire à cette crise. Nous savons qu’Israéliens et Palestiniens sont là pour rester, et que ni la sécurité des Juifs ni la libération des Palestiniens ne peuvent se réaliser si l’on oppose l’une à l’autre (3). » Onze sénateurs démocrates ont par ailleurs signé une lettre exhortant M. Biden à admettre que « la souffrance croissante et prolongée à Gaza est non seulement intolérable pour les civils palestiniens, mais dommageable aussi à la sécurité des civils israéliens par l’aggravation des tensions existantes et l’affaiblissement des alliances régionales (4) ». Ils enjoignent à la Maison Blanche en outre d’intervenir auprès d’Israël pour lui arracher des concessions, une demande qui aurait été inimaginable dans la vie politique américaine dix ans plus tôt.
Orchestrer une seconde « nakba »
De son côté, sans toutefois appeler à un cessez-le-feu, M. Bernie Sanders, n’a pas ménagé ses attaques contre le « gouvernement d’extrême droite de Netanyahou », jugeant que sa « guerre presque totale contre le peuple palestinien [était] moralement inacceptable et en violation des lois internationales ». Et il a réclamé que l’aide américaine à Israël (3,8 milliards de dollars par an) soit dorénavant conditionnée au droit des Gazaouis à retourner dans leurs foyers, à la fin des violences perpétrées par les colons de Cisjordanie, au gel de la politique d’expansion des colonies et à une reprise des discussions de paix en vue d’une solution à deux États (5).
Paradoxalement, plus on compte d’élus démocrates qui relaient les positions propalestiniennes de leurs électeurs, plus M. Biden s’acharne à faire cause commune avec le premier ministre israélien. En dehors de quelques groupes marginaux, qui qualifient de « propagande sioniste » les crimes perpétrés le 7 octobre par le Hamas, personne aux États-Unis ne conteste le droit d’Israël à y riposter militairement. Même si le ciblage de la population civile de Gaza et la destruction quasi totale de ses infrastructures laissent présager des formes de résistance plus radicales et déterminées encore dans les années qui viennent.
Le président américain paraît cependant surestimer l’influence qu’il peut exercer sur M. Netanyahou, qui confiait en 2001 à un groupe de colons de Cisjordanie : « L’Amérique est une chose qu’on peut facilement faire bouger dans la bonne direction… Ils ne nous embêteront pas (6). » Avec le soutien de ses ministres les plus extrémistes et de ses supporteurs chauffés à blanc, le chef du gouvernement israélien a infligé camouflet sur camouflet à son allié américain, sans faire aucunement mystère de son intention d’orchestrer une seconde nakba, consistant à forcer les Palestiniens de Gaza à émigrer en Égypte et ailleurs. Il prévoit de conditionner l’arrêt des combats à la réalisation de trois objectifs : « Détruire le Hamas, démilitariser Gaza et déradicaliser la société palestinienne. »
M. Biden, en faisant cavalier seul, fragilise par ailleurs ses chances de réélection en novembre prochain. Si la politique pro-israélienne du président mécontente la plupart des sympathisants démocrates, c’est surtout chez les plus jeunes que la désaffection gagne du terrain : 70 % des électeurs âgés de moins de 24 ans seraient opposés à l’alliance Biden-Netanyahou. Nombre d’Américains d’origine arabe ont également annoncé qu’ils s’abstiendraient de voter pour M. Biden cette fois-ci, sans ignorer pour autant que les républicains embrassent la cause israélienne avec plus de passion encore que les démocrates.
Plusieurs motifs expliquent que M. Biden ait pris un risque politique aussi lourd. Son amour d’Israël et du récit sioniste n’est plus à démontrer. Au cours de sa campagne présidentielle de 2020, lorsque ses rivaux de gauche, M. Sanders et Mme Elizabeth Warren, refusèrent d’apparaître devant l’Aipac et appelèrent à une mise sous conditions des aides à Israël — une position soutenue à l’époque par une majorité de Juifs américains —, M. Biden pourfendit une prise de position « absolument scandaleuse ». Comme vice-président de M. Barack Obama, il se vanta un jour devant un public juif : « J’ai reçu plus d’argent de l’Aipac que certains d’entre vous. »
Le président américain estime qu’entre États-Unis et Israël la soudure ne doit pas laisser passer la lumière du jour. À plusieurs reprises il est intervenu dans la politique étrangère du président Obama pour adoucir les frictions causées par la répugnance d’Israël à tout effort de paix avec les Palestiniens (7). Il pense qu’il peut ainsi contenir les élans les plus agressifs de M. Netanyahou : plan d’annexion de la Cisjordanie, tentation d’attaquer le Hezbollah au Liban.
Il tient également compte du pouvoir indéniable qu’exercent les organisations juives conservatrices américaines, qui s’emploient à sanctionner tout élu tenté de s’écarter des exigences de l’orthodoxie pro-israélienne. En 2009, aux débuts de sa présidence, lorsque M. Obama, encore très populaire, voulut relancer les discussions de paix en demandant à Israël de geler l’expansion de ses colonies en Cisjordanie, l’Aipac riposta par une lettre signée par 329 membres de la Chambre des représentants (sur 435) qui sommait le président de présenter sa requête aux Israéliens « en privé »… M. Obama avoue avoir rapidement compris que la moindre brouille avec Israël « se payait d’un prix politique dans [son] pays sans équivalent lorsqu’[il] avait affaire au Royaume-Uni, à l’Allemagne, à la France, au Japon, au Canada ou à aucun autre de [ses] plus proches alliés ».
Aujourd’hui, en déconnexion complète avec l’orientation démocrate de 70 % des Juifs américains, les organisations pro-israéliennes lèvent des millions de dollars auprès de donateurs conservateurs afin de soutenir des candidats qui marchent dans les clous de M. Trump lors des primaires républicaines et de battre les candidats progressistes jugés insuffisamment loyaux à la cause israélienne lors des primaires démocrates. Le comité d’action électoral de l’Aipac, l’United Democracy Project, a ainsi dépensé près de 36 millions de dollars en 2022 pour faire mordre la poussière aux quatre élues nationales les plus connues de l’aile gauche du Parti démocrate et sensibles à la cause palestinienne, Mmes Rashida Tlaib, Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez et Ayanna Pressley. En vain, mais la tentative sera répétée cette année. Il est également question d’une levée de fonds de 100 millions de dollars afin que les démocrates ne dévient pas de leur soutien sans faille à Israël et au Likoud, le parti de M. Netanyahou. En l’absence d’un candidat acceptable, l’Aipac le recrute lui-même. Deux habitants de l’agglomération de Detroit ont ainsi raconté avoir reçu une offre de 20 millions de dollars en échange de leur candidature contre Mme Tlaib, seule élue palestino-américaine du Congrès, exclue de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants par ses collègues pour avoir défendu les droits des Palestiniens (8).
Le débat sur les relations israélo-américaines est par ailleurs indissociable de ce qui apparaît comme une hausse alarmante de l’antisémitisme et de la volonté de certains groupes juifs, emmenés par la Ligue anti-diffamation (ADL), d’y assimiler l’anti- sionisme, y compris quand des Juifs eux-mêmes s’en réclament. Or presque toutes les violences antisémites recensées aux États-Unis émanent de l’extrême droite. Les données recueillies par l’ADL elle-même indiquent qu’en 2022 chaque meurtre commis par haine des Juifs avait eu pour auteur un extrémiste de droite (9). Ceux qui scandaient à Charlottesville en 2017 « les Juifs ne nous remplaceront pas » étaient des néonazis, et l’auteur de la tuerie à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh, en Pennsylvanie (onze morts), était un suprémaciste blanc. Le jour même de la condamnation en justice du tireur de Pittsburgh, un autre extrémiste de droite était arrêté pour avoir planifié une attaque contre une synagogue dans le Michigan. Mais, pour combattre un nationalisme blanc en plein essor, la gauche est divisée — non pas tant sur le soutien aux Palestiniens, devenu un principe largement acquis, que sur la manière de l’affirmer.
L’attaque meurtrière du Hamas a exacerbé ces désaccords et rendu plus coûteuses les prises de position hostiles à Israël. À Hollywood, des acteurs propalestiniens ont perdu leurs agents, et des agents propalestiniens ont perdu leurs clients. À New York, le propriétaire du magazine d’art Artforum, M. Jay Penske, héritier milliardaire d’une société de transport routier, a congédié son rédacteur en chef après que celui-ci eut diffusé une lettre ouverte « en solidarité avec le peuple palestinien ». Toujours à New York, l’équipe chargée du département de littérature au centre culturel 92nd Street Y — une institution qui se définit elle-même comme sioniste — a démissionné en bloc pour protester contre les pressions internes visant à faire annuler une conférence du romancier d’origine vietnamienne Viet Thanh Nguyen, coupable d’avoir signé un texte dans la London Review of Books accusant Israël d’avoir « délibérément tué des civils » et appelant à un cessez-le-feu immédiat (10).
Les campus, cibles des censeurs
Toutefois les batailles les plus intenses relatives à Israël — aussi bien avant qu’après le 7 octobre — se concentrent dans les universités les mieux cotées du pays. M. Natan Sharansky, un ancien dissident soviétique devenu une figure politique israélienne très marquée à droite, n’a suscité aucun tollé dans les grands médias américains lorsqu’il a déclaré : « Il y a un autre front dans cette guerre qui ne se situe pas dans les tunnels de Gaza ou sur les collines de Galilée, mais à Harvard, Yale, Penn et Columbia. » Il est vrai que les journalistes des médias dominants sont eux-mêmes aux petits soins pour ces établissements prestigieux dont ils sont souvent issus et où la communauté juive est notoirement surreprésentée.
Au cœur de la controverse, il y a le fait qu’à l’heure actuelle les universités américaines — souvent influencées par le livre d’Edward W. Saïd intitulé L’Orientalisme — enseignent une histoire d’Israël moins manichéenne que celle délivrée par le passé, au risque de heurter certains étudiants, et plus encore leurs parents. C’est pourquoi les campus de l’élite sont scrutés comme le lait sur le feu par ceux des Juifs qui s’inquiètent du changement de perception d’Israël dans les milieux universitaires et les cercles de gauche. Presque tous les jeunes Juifs des classes moyennes supérieures suivent des études, mais nombre d’entre eux ont été instruits aux réalités israéliennes dans une bulle idéologique. Une fois à l’université, ils découvrent un univers parallèle dans lequel Israël est défini comme l’oppresseur et les Palestiniens comme les victimes. Il en résulte une dissonance cognitive pouvant conduire à la panique. Leurs parents se montrent souvent plus alarmés encore en voyant les centaines de milliers de dollars qu’ils ont déboursés en frais de scolarité aboutir à ce résultat : l’enfant qui rentre à la maison avec des arguments critiques certes fondés, mais personnellement (et douloureusement) offensants. Le choc est à la mesure du rôle joué par le soutien à Israël dans la définition de l’identité séculaire des Juifs américains.
Dans le même temps, les organisations juives conservatrices cherchent à imposer le postulat que « l’antisionisme est un antisémitisme, point barre », selon l’expression du directeur de l’ADL, M. Jonathan Greenblatt, pour qui l’expression « Palestine libre » serait également antisémite. Cette offensive vise particulièrement les universités, où les voix propalestiniennes se font entendre chez les enseignants comme chez les étudiants. Les tentatives de l’ADL et d’autres organisations droitières d’entraver la liberté d’expression sur les campus trouvent un large écho dans les médias, au premier rang desquels Fox News et le New York Post, propriétés du groupe Murdoch, mais aussi sur les grandes chaînes d’information moins marquées à droite. Ces mêmes groupes incitent par ailleurs les donateurs privés à mettre sous pression les établissements jugés trop insolents envers Israël, en menaçant de leur couper les subsides.
Le milliardaire Marc Rowan, patron du fonds d’investissement Apollo Global Management, préside également l’organisation United Jewish Appeal (« Appel unifié des Juifs ») de New York et compte parmi les principaux donateurs de l’ADL. Il siège par ailleurs au Conseil consultatif de Wharton, l’école de commerce associée à l’université de Pennsylvanie. Avant même le 7 octobre, il a orchestré une campagne pour écarter sa présidente, Mme Elizabeth Magill.
M. Rowan était mécontent que l’uni- versité de Pennsylvanie ait autorisé sur son campus un festival littéraire intitulé « La Palestine écrit », en mémoire de la défunte poétesse Salma Khadra Jayyusi. L’événement eut lieu le 22 septembre dernier. M. Rowan, comme l’a rapporté le magazine The American Prospect, accusa les organisateurs d’avoir « fait l’apologie du nettoyage ethnique », défendu le recours à la violence et prononcé des « appels à la haine contre les Juifs », sans apporter le moindre élément de preuve à l’appui de ses accusations. Et pour cause : il s’agissait d’un festival littéraire, non d’une réunion politique, encore moins d’une émeute antisémite. Mme Magill publia néanmoins une déclaration condamnant « avec force et sans ambiguïté » l’antisémitisme, tout en réitérant l’engagement de son établissement en faveur du « libre-échange des idées », du dialogue avec les étudiants juifs et de la sécurité de leurs organisations, et en promettant de faire mieux encore à l’avenir.
Les pressions se poursuivirent cependant, autant de la part de politiques que d’anciens étudiants et de donateurs. Après le 7 octobre, elles allèrent crescendo. Mme Magill fut l’une des trois présidentes d’université, aux côtés de Mme Claudine Gay (Harvard) et de Mme Sally Kornbluth (Massachusetts Institute of Technology, MIT), auditionnées par le Congrès pour leur supposé laxisme envers des propos ou des actes antisémites. Elles s’en défendirent, non sans maladresse, donnant des réponses étroitement juridiques à des questions délibérément conçues pour attiser l’indignation des supporteurs d’Israël. Mme Magill démissionna le 10 décembre, ce qui encouragea la Chambre des représentants, à majorité républicaine, à proposer une résolution réclamant la tête des deux autres présidentes. Sous le choc, le monde universitaire ne sut comment faire face à la démonstration de force des parlementaires et des bailleurs de fonds. « Des milliardaires non élus et dépourvus de toute qualification dans ce domaine cherchent à contrôler des décisions académiques qui ont vocation à rester de la compétence exclusive de l’université, afin que la recherche et l’enseignement préservent leur légitimité et leur autonomie face aux intérêts privés et partisans », protesta le comité exécutif Penn de l’Association américaine des professeurs d’université.
Toutes les universités de haut rang connaissent des histoires similaires. À Harvard, un milliardaire du nom de Bill Ackman a dressé une liste de « personnes à ne pas recruter », où figurent les membres des trente-quatre organisations étudiantes signataires d’une lettre accusant Israël d’être « entièrement responsable des violences qui font rage aujourd’hui (11) ». Un camion envoyé par un groupe d’extrême droite apparut ensuite dans les rues de Cambridge, équipé d’un panneau d’affichage numérique où défilaient les noms et les visages des étudiants recensés comme les « principaux antisémites de Harvard ». Un autre groupe pro- israélien mit en li- gne les noms de militants propalestiniens avec ce message : « Il est de votre devoir de vous assurer que les radicaux d’aujourd’hui ne seront pas les employés de demain. »
Depuis, M. Ackman a lancé une autre campagne pour contraindre au départ la présidente de Harvard, Mme Gay, première femme noire jamais nommée à la tête d’une université de l’Ivy League. Une nouvelle fois, on ne lui reprocha pas d’avoir refusé de condamner le Hamas ou l’antisémitisme, mais de les avoir condamnés d’une façon jugée inadéquate par M. Ackman et ses collègues. À son tour elle dut quitter son poste le 2 janvier au prétexte officiel qu’elle s’était rendue coupable de plagiat.
Pourtant, bien qu’Israël et la Palestine soient au cœur d’une lutte acharnée sur de nombreux campus américains, personne ou presque dans la communauté universitaire n’accrédite la thèse d’une flambée d’antisémitisme chez les étudiants. En 2017, quatre chercheurs de l’université Brandeis ont conduit une étude à ce sujet sur quatre campus de renom, au terme de laquelle ils ont conclu : « Les étudiants juifs sont rarement exposés à de l’antisémitisme sur leurs lieux d’études. (…) Ils ne pensent pas que leur campus est hostile aux Juifs. (…) Une majorité d’entre eux récuse l’idée d’un environnement qui serait hostile à Israël (12). » Les chercheurs associés au programme d’études juives à l’université Stanford ont abouti à une conclusion similaire après avoir observé la vie estudiantine sur cinq campus californiens. Les étudiants juifs interrogés témoignaient d’« un faible niveau d’antisémitisme » et se sentaient « à l’aise en tant que Juifs » sur leurs campus respectifs (13).
Des incidents déplorables, il y en a eu, indéniablement, et des deux côtés. Des étudiants, musulmans comme juifs, ont été pris à partie. Mais nombre d’universités — dont Harvard, l’université de Pennsylvanie, Stanford et l’université de New York — ont cru bon de réagir à ces tensions en créant des commissions d’études sur l’antisémitisme pour satisfaire leurs bailleurs de fonds, le cas échéant en écartant leurs propres chercheurs (14). Des projections du documentaire Israelism, une approche critique du sionisme réalisée par deux cinéastes juifs, ont été annulées dans de nombreuses universités, souvent à la dernière minute, alors que le public était déjà présent dans la salle. Plus grave, trois étudiants palestiniens repérables à leurs keffiehs furent la cible de coups de feu fin novembre dans le Vermont (15).
Un nouveau maccarthysme
Dans ce contexte, l’activisme agressif du groupe Students for Justice in Palestine (« Étudiants pour la justice en Palestine », SJP) pose un défi supplémentaire à certains administrateurs d’université. Ses militants ne répugnent pas aux attaques personnelles et à la surenchère. Dans les instructions écrites que leur donne le SJP figure notamment un passage assimilant l’attaque du 7 octobre à une « victoire historique » et une liste d’actions à mener pour permettre à « notre peuple d’actualiser la révolution ». Certaines antennes du SJP sont allées jusqu’à diffuser des images de parapentistes, en référence aux combattants du Hamas venus depuis les airs le 7 octobre pour massacrer les civils israéliens rassemblés à un festival de musique près de la frontière de Gaza. En conséquence de quoi le SJP a été suspendu à l’université George Washington, à Brandeis et à Columbia (laquelle a également décidé l’exclusion du bureau local du groupe Jewish Voice for Peace). En Floride, le gouverneur ultraconservateur Ronald DeSantis a donné l’ordre aux universités de « désactiver » les antennes du SJP, en prétextant que celles-ci fourniraient un « soutien matériel » à des groupes « terroristes » — une allégation ridicule et pourtant entérinée par M. Greenblatt (16).
Le Congrès en redemande, et la Maison Blanche ne rechigne pas à le satisfaire, en annonçant par exemple qu’elle mobilisera les ministères de l’éducation, de la justice et de l’intérieur afin de protéger les Juifs sur les campus contre ce qu’elle appelle une « combinaison extrêmement inquiétante de sentiments et d’actions hideux (17) ».
Un tel environnement politique s’apparente au maccarthysme. Aux États-Unis comme au Proche-Orient, le seul pouvoir politique concédé aux Palestiniens ou à ceux qui défendent leurs droits consiste à rappeler leur existence : refuser de garder le silence, saboter les tentatives de rendre l’oppression exercée par Israël inaudible aux oreilles du monde. C’est précisément ce que le Hamas avait comme objectif lorsque ses hommes ont massacré plus de huit cents civils israéliens et enlevé des centaines d’autres. Tragiquement pour tous les concernés, au premier chef les Palestiniens eux-mêmes, l’assaut meurtrier du 7 octobre a rendu plus incertaine que jamais la perspective de les voir un jour contrôler leur destin.
Depuis le 7 octobre, plus de 5 350 enfants auraient péri dans les bombardements de l’armée israélienne sur la bande de Gaza. Les jeunes survivants, eux, affrontent les pénuries et le traumatisme d’avoir vu leur famille décimée. Des journalistes palestiniens sont allés à leur rencontre. Nourhan, Muhammad et Ahmed sont adolescents. Ils n'ont connu que la guerre depuis leur naissance. Ils nous disent leur souffrance, mais aussi leur volonté de s’imaginer un autre destin.
Plus de cent jours de guerre menée par Israël contre la population de la bande de Gaza. Plus de 26 000 tués et des dizaines de milliers de blessés. Des chiffres qui ne prennent pas en compte toutes les personnes disparues, vraisemblablement mortes sous les décombres des immeubles. Dans ce contexte terrible de bombardements et de destruction, les enfants sont particulièrement touchés. À ce jour, plus de 5 350 seraient morts et 8 663 blessés, selon l’Unicef.
Comme le rappelle Jonathan Crickx, responsable de la communication de l’agence onusienne en Palestine, il n’existe aucun endroit dans la bande de Gaza qui peut être considéré comme sécurisé. Du nord au sud, ce ne sont que ruine et désolation. Sur les réseaux sociaux, malgré les coupures régulières par Israël des moyens de communication, les vidéos sont terribles. Des enfants en pleurs, d’autres couchés sur des lits d’hôpital, d’autres encore morts dans les bras de leurs parents. Des images d’autant plus insoutenables que la situation empire chaque jour un peu plus. La nourriture manque, l’eau se fait rare. À tel point que ce même responsable de l’Unicef estime que « Gaza est devenue un cimetière pour enfants ».
Le gouvernement israélien, dirigé par la droite et l’extrême droite, reste sourd aux appels à un cessez-le-feu. En poursuivant cette guerre, il tue le peuple palestinien à petit feu et menace la vie des otages israéliens retenus à Gaza. L’Afrique du Sud a saisi la Cour internationale de justice pour exiger la suspension des opérations militaires.
Pendant ce temps, des centaines d’enfants vont continuer de périr. Et ceux qui sont vivants resteront marqués à jamais. Cette jeunesse endeuillée, des journalistes palestiniens, dont une centaine d’entre eux ont été tués depuis le début du conflit, sont allés la rencontrer pour l’Humanité Magazine. Nous publions trois de ces portraits. Trois regards de jeunes ados qui nous parlent de leur vie d’avant, de leur peur actuelle, mais aussi de leurs rêves et de leurs espoirs. Tous disent leur volonté de rentrer dans leur maison, de ne plus vivre sous des tentes où il fait froid, de retourner à l’école. Des enfants grandis trop vite, coincés dans des combats sous les tirs de missiles, et dont le destin est entre les mains des grandes puissances.
Nouhran, 13 ans : « Je ne me souviens pas d’une année sans avoir vécu de bombardements »
« Je voudrais être poétesse plus tard », explique Nourhan Mohammed Maarouf, 13 ans. En attendant, elle voudrait seulement revoir sa grand-mère, dont elle
« Je voudrais être poétesse plus tard », explique Nourhan Mohammed Maarouf, 13 ans. En attendant, elle voudrait seulement revoir sa grand-mère, dont elle n’a pas de nouvelles.
Nourhan Mohammed Maarouf est une jeune fille de 13 ans. Elle vivait jusque-là avec sa famille, son père, sa mère, ses trois sœurs et son jeune frère, dans une belle maison à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza. Il y avait même un jardin, dans lequel ils avaient l’habitude de jouer après l’école. Nourhan est une collégienne qui aime exprimer ses émotions à travers l’écriture. Des vers libres où elle parle de sa famille et de son pays. « Je voudrais être poétesse plus tard », ne craint-elle pas de dire. Lorsqu’on l’interroge sur ses rêves, Nourhan répond qu’elle a prévu, dès son plus jeune âge, d’être l’enfant distinguée de sa génération afin d’aimer la vie comme n’importe qui. En plus de la poésie, la jeune fille aime dessiner. Tout s’est effondré le 7 octobre.
« Nous avons traversé de nombreuses guerres. Je ne me souviens pas d’une année où nous n’avons pas vécu des bombardements », souligne-t-elle simplement avec une incroyable maturité. « C’est devenu une chose routinière pour les enfants que nous sommes et même pour les bébés. Mais cette guerre est différente. Nous l’avons compris dès le premier jour. Les bruits étaient plus effrayants et les destructions encore plus intenses que par le passé. Tout est visé, tout. Cette guerre n’épargne rien, ni personne. »
Nourhan et sa famille, en raison de leur proximité avec la frontière israélienne, ont été parmi les premières à être déplacées. Pas une fois, pas deux fois, mais en permanence. Elle raconte que, dès les premiers jours de la guerre, ils ont été forcés de partir pour la maison de son grand-père, dans un camp de réfugiés. « Nous pensions être à l’abri car c’est un lieu où vivent les civils. Mais après quelques jours, il n’était plus possible de rester tant les bombardements se répétaient. »
« Nous vivons dans la souffrance. La mort est partout. Il n’y a pas d’endroit sûr, ni de maison, ni d’école. »
Nourhan Mohammed Maarouf
Les voilà repartis sur les routes peu sûres, jusqu’à l’école Al-Fakhoura. Mais au bout de deux jours, l’école étant ciblée, il a fallu évacuer pour rejoindre un autre établissement, où des centaines de personnes s’étaient déjà réfugiées. Là encore, l’insécurité étant totale, Nourhan et sa famille se sont dirigées vers le sud, à l’ouest du gouvernorat de Khan Younès. Elles ont finalement trouvé une tente qui ne dépasse pas 12 mètres carrés. « Nous vivons dans la souffrance. La mort est partout. Il n’y a pas d’endroit sûr, ni de maison, ni d’école. »
Nourhan se souvient de ces moments, le soir, où, avec ses parents, ses sœurs et son frère, ils se réunissaient devant le poste de télévision pour regarder des films et des séries. « Après que nous ayons fait nos devoirs, bien sûr », se souvient-elle avec émotion. « On voyait des acteurs dans des scènes de guerre, mais jamais je n’aurais imaginé vivre moi-même des scènes semblables. »
Elle parle alors de cet exode qu’elle subit depuis plus de trois mois, des horreurs vues sur la route et comment elle protégeait ses petites sœurs pour que leur regard ne se pose pas sur les cadavres qui jonchaient le sol. Elle trouve les mots, comme une adulte qu’elle devient trop vite à cause de la guerre, pour dire le manque de lait et de couches pour les petits, la peur de voir leur père partir pour trouver de l’eau ou du pain sans savoir s’il va revenir. Et elle retrouve son ton d’enfant et se met à pleurer en balbutiant : « Nous avons une vie misérable. » Nourhan, comme tout enfant de son âge, souhaite être heureuse. Elle veut que la guerre se termine et pouvoir retrouver sa grand-mère, dont elle n’a plus de nouvelles.
Muhammad, 13 ans : « Parmi les morts, j’ai aperçuma mère »
Après avoir perdu sa mère à l’hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza, Mohammed Al Yazji, 13 ans, a fait la route seul avec ses jeunes sœurs – la plus jeune n’a qu’un mois – jusqu’à Rafah.
Quel romancier oserait imaginer une telle histoire. L’histoire de Muhammad Al Yaziji, 13 ans. Jusqu’au 7 octobre, il vivait avec ses parents à Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza. Une maison modeste mais, comme il l’assure, il s’y sentait « au chaud et aimé tout le temps ». Son père travaillait sur des chantiers et sa mère s’occupait de la maison. Lui allait au collège tous les matins, comme les autres gamins de son quartier. « Les cours, c’était bien, mais ce que je préférais, c’était jouer au football. » Mais la guerre menée par Israël a changé le cours de sa vie.
Soumise à de rudes bombardements, une bonne partie de la population de Beit Hanoun a dû quitter les lieux. Muhammad et sa famille se sont retrouvés dans l’enceinte de l’hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza. Des milliers de personnes étaient entassées là, tentant de s’organiser. Lui et ses sœurs se sont retrouvés sous une tente. « On entendait les chars israéliens sans savoir exactement où ils étaient », se souvient-il.
Sa mère est alors partie pour tenter de faire venir les grands-parents. Et son père n’était pas là. Quelques heures plus tard, de nombreux cadavres sont arrivés à l’hôpital. « Parmi les morts, j’ai aperçu ma mère. Je ne voulais pas y croire. Je me suis mis à crier et à pleurer. Je voulais voir mon père, lui dire ce qui venait de se passer, mais je n’arrivais pas à le trouver. Ma mère qui nous aimait tant était morte. Elle est partie, nous ne la reverrons jamais. Pourquoi devons-nous vivre une telle chose ? » Plein de douleur, de chagrin et de peur, Muhammad s’est demandé ce que lui et ses sœurs – la plus jeune n’a qu’un mois – allaient devenir.
« Sur la route, c’était l’horreur, on entendait les bombardements, des bruits de mitrailleuses. Et nous étions seuls. »
Muhammad Al Yaziji
Autour de l’hôpital Al-Shifa, la mort rôdait. Ils sont alors partis vers le sud de la bande de Gaza. « Sur la route, c’était l’horreur, on entendait les bombardements, des bruits de mitrailleuses. Et nous étions seuls. » Les communications étant coupées, Muhammad était dans l’incapacité de retrouver son père. « Nous sommes arrivés à Rafah seuls », explique-t-il les yeux cernés, le regard dans le vague, comme hagard.
Lorsque nous l’avons rencontré, il tentait d’abriter ses sœurs dans une tente déchirée, forcé à 13 ans de prendre soin d’elles et de se comporter en chef de famille. Tous les jours, il se rend au marché, va trouver les voisins pour dégotter un peu de nourriture. « Surtout du lait pour la plus petite. »
Muhammad veut croire que la guerre se terminera bientôt et qu’il pourra retrouver son père. « J’espère que notre avenir, le mien, celui de mes sœurs et de toute ma famille, sera meilleur que ce que nous vivons actuellement », murmure-t-il en esquissant un sourire, le premier que nous voyons pendant toute la rencontre. « Je veux retourner dans ma maison. Je voudrais retrouver ma mère, être dans ses bras pour qu’elle me rassure. L’école aussi me manque. Vous croyez que je vais retrouver ma vie d’avant ? », demande-t-il, sans y croire lui-même.
Ahmed, 15 ans : « Il y a tellement de blessés qui devraient pouvoir sortir »
Mohammed Abou Daqa, 15 ans, n’est pas encore sorti d’affaires. Blessé, il a été opéré, il faudrait qu’il puisse sortir de la bande de Gaza pour subir une nouvelle opération à l’étranger.
Quand Ahmed est né, la bande de Gaza se trouvait déjà sous le blocus imposé par Israël. À 15 ans, il n’a connu que ce climat de danger permanent et les guerres. Et pourtant, il a continué à cultiver ses rêves et ses ambitions. C’est décidé : il veut être médecin, comme ses parents. « Pour avoir la capacité de soulager la souffrance des gens. ».
Ahmed est plein de vie, même sur son lit d’hôpital où il se trouve depuis des semaines, depuis qu’il a été blessé au pied lors d’un bombardement. Il se trouvait sur un marché avec sa mère lorsque les obus ont commencé à siffler autour d’eux. « Une ambulance est arrivée et je me suis retrouvé à l’hôpital. J’avais très mal au pied. C’est mon père qui m’a opéré. On m’a mis une plaque. » Il n’est pas sorti d’affaires.
Pour être complètement soigné, il faudrait qu’il puisse quitter le territoire palestinien et subir une nouvelle opération à l’étranger car le matériel disponible n’est pas adéquat. « Et puis, il y a tellement de blessés qui devraient pouvoir sortir », fait-il remarquer avec courage.
« On s’entasse dans des salles de classe et il faut faire la queue pour se laver, quand il y a de l’eau. »
Mohammed Abou Daqa
Il vient du village d’Abasan, au sud de la bande de Gaza, près de Khan Younès. Mais, très vite, il a fallu fuir la maison, trop exposée aux bombardements. Il s’est alors retrouvé dans une école de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, près de l’hôpital Nasser où travaillent ses parents. « J’ai dû quitter ma grande et belle maison avec une façade décorée et un jardin rempli de fleurs et d’arbres fruitiers », soupire-t-il. « Maintenant, on s’entasse dans des salles de classe et il faut faire la queue pour se laver, quand il y a de l’eau. »
Ahmed ne veut pas se laisser abattre. Alors il se raccroche à ses rêves, il repense à ce qu’il faisait avant cette « maudite guerre ». Utilisant les réseaux sociaux, il s’est lié d’amitié avec des jeunes de son âge de nombreux pays, a publié des vidéos en anglais et en arabe « pour sensibiliser et présenter la cause palestinienne ».
Il a, d’ailleurs, eu la chance de quitter quelque temps la bande de Gaza et de témoigner de sa vie de jeune Palestinien, notamment à New York. Aujourd’hui, il veut encore croire à un avenir de paix pour pouvoir voyager, découvrir le monde, aller et venir comme bon lui semble, « pas en étant soumis à la pression
permanente de l’armée israélienne, aux bombardements et à la mort ».
SOURCE : « Parmi les morts, j'ai aperçu ma mère » : à Gaza, la vie des enfants brisée par la guerre - L'Humanité (humanite.fr)
Par micheldandelot1 dans Accueil le 2 Février 2024 à 10:09
Presque quatre mois après le début d’un assaut tous azimuts qui s’est peu à peu transformé en guerre génocidaire, l’échec militaire de l’État hébreu est flagrant, incapable d’accomplir aucun des objectifs annoncés. Une impasse qui nourrit l’impopularité croissante du premier ministre Benyamin Nétanyahou et suscite la fronde au sein de son cabinet de guerre.
Photo distribuée par l’armée israélienne le 31 janvier 2024, montrant ses troupes opérant dans la bande de Gaza.
AFP
Les premières fractures apparaissent au grand jour en Israël, non seulement sur la manière dont son offensive est menée à Gaza, mais aussi sur la nécessité de la poursuivre. Elles se manifestent jusqu’à l’intérieur du cabinet de guerre mis en place par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. De notoriété publique, l’ambiance en son sein est glaciale. La principale dissension porte sur le sort des otages civils et des soldats détenus par le Hamas depuis le 7 octobre à Gaza. Elle oppose Nétanyahou et ses soutiens à deux ex-chefs d’Etat-major, Benny Gantz et Gadi Eisenkot. Pour les premiers, la « libération des otages » ne peut advenir qu’une fois la « victoire » assurée, c’est-à-dire l’« éradication » du Hamas. Pour les seconds, comme l’a déclaré Eisenkot sur la chaîne de télévision numéro 12, aucune victoire n’est envisageable sans une libération préalable des otages. Traduction : sans passer par une négociation avec le Hamas qui, pour les restituer, exige un cessez-le-feu durable et la libération de tous les Palestiniens détenus en Israël – ce que Nétanyahou récuse.
Le 18 janvier, en conférence de presse, le général Eisenkot a déjà « reconnu que les dirigeants israéliens ne disent pas toute la vérité sur la guerre. Il a refusé de répondre à une question quant à sa confiance en Nétanyahou et promu le sujet d’une rapide libération des otages, même si le prix est élevé. Enfin, il a proposé [la tenue] d’élections dans quelques mois »1. En d’autres termes, une stratégie inverse à celle prônée par Nétanyahou, avec en prime son éviction de la scène politique une fois la guerre terminée. On comprend que l’ambiance soit frisquette. Le thermomètre est encore descendu de plusieurs degrés le 22 janvier, après la mort de 21 soldats israéliens (tous des réservistes entre 25 et 40 ans) dans une attaque à la roquette de miliciens du Hamas. Survenue après trois mois et demi d’une guerre où Israël dispose d’un avantage militaire démesuré, cette attaque dans le camp de réfugiés palestiniens de Maghazi, à 600 mètres seulement de la frontière israélienne, a accentué le sentiment d’échec qui domine les Juifs israéliens depuis le 7 octobre, malgré les communiqués de victoire quotidiens de l’armée. Elle a également ramené à la lumière une question récurrente en dépit des réticences : cette guerre est-elle « ingagnable » ?
AUCUN OBJECTIF ATTEINT
Brusquement, quelques données sont venues battre en brèche l’idée jusque-là largement dominante en Israël d’en finir une fois pour toutes avec le Hamas. Comment se fait-il qu’après plus de trois mois de bombardements aériens inouïs sur Gaza qui ont fait jusque-là près de 27 000 morts, le déplacement de près de 2 millions de personnes, une destruction tout aussi gigantesque des infrastructures et de l’habitat des Gazaouis, le Hamas soit encore en mesure de porter des coups aussi durs ? Des langues se délient.
On apprend que le « plan » initial de l’armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de la bande (Gaza city, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Le délai est dépassé d’un mois et l’objectif n’est pas atteint. On apprend aussi que le réseau de tunnels des forces armées du Hamas était beaucoup plus étendu qu’on ne le croyait, et que s’en emparer via des opérations terrestres provoquerait beaucoup plus de victimes que prévu. Surtout, le Wall Street Journal révèle que seuls 20 % des tunnels auraient été détruits en plus de trois mois.
Autre révélation : pour des motifs économiques, l’armée doit se défaire d’une partie importante de ses réservistes engagés à Gaza. Enfin, 117 jours après le carnage dans les kibboutz, le chef politique du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, et les deux chefs de sa branche armée, Mohammed Deif et Marwan Issa, sont toujours introuvables.
DÉNONCER LES « CAPITULARDS » ET LES « ENNEMIS DU PEUPLE »
Le paradoxe est que celui qui mène la bataille pour sortir rapidement de la guerre et éviter un enlisement, en négociant une restitution des otages civils et des soldats israéliens captifs, soit précisément celui qui a « inventé » la doctrine militaire ayant conduit Israël aux crimes terribles commis à Gaza. Gadi Eisenkot est en effet l’ex-chef d’Etat-major qui a conçu la doctrine Dahiya2 selon laquelle, dans les « guerres asymétriques » entre un État et un ennemi non-étatique, le seul moyen de vaincre consiste à imposer aux populations civiles qui abritent les « terroristes » le pire sort possible. Cette vision a été officiellement insérée en 2008 dans l’arsenal stratégique de l’armée israélienne.
Est-ce parce qu’il vient de perdre un fils de 25 ans et un neveu qui en avait 23, tous deux engagés à Gaza ? Toujours est-il que le général Eisenkot appelle aujourd’hui à négocier a minima une trêve avec le Hamas. Soudain, Chuck Freilich, un ancien numéro deux du Conseil de sécurité israélien, baisse la garde : « Il ne semble pas, déclare-t-il, que nous soyons en état d’atteindre nos objectifs »3. Expert du King’s College de Londres, Andreas Krieg estime qu’Israël est militairement « dans une impasse »4.
Ce sentiment de l’échec, si peu familier, si insupportable pour une grande partie des Juifs israéliens, a aussi des conséquences internes. Les membres de l’extrême droite coloniale, alliés de Nétanyahou, se raidissent. Jusqu’ici, c’était les partisans d’une négociation avec le Hamas qu’ils dénonçaient comme des « capitulards ». Désormais, les familles de soldats morts à Gaza qui se joignent aux manifestants pour négocier une sortie de crise font eux aussi office d’« ennemis du peuple ». Les directives du gouvernement sont de « réprimer d’une main de fer » les voix israéliennes qui s’élèvent contre cette guerre. Celles-ci restent marginales, mais leurs manifestations vont croissant, tout comme croît la désillusion dans l’opinion publique.
« LE ROI D’ISRAËL » VEUT GAGNER DU TEMPS
Nétanyahou tente de rétablir son autorité en jouant sur le temps. Jusqu’ici, il n’y parvient pas. La presse fait état de contestation au sein de son gouvernement. Haaretz cite les confidences (anonymes) d’un de ses membres.
Cette guerre n’a ni objectif ni avenir, ce n’est qu’un moyen pour Nétanyahou de repousser le moment de s’attaquer à la question de sa responsabilité. (…) Dans chaque réunion (gouvernementale), il répète que la guerre va durer longtemps. Je pense qu’il sait lui-même que la probabilité est faible qu’il parvienne à atteindre ses objectifs. Il cherche juste à gagner du temps. […] Quant à abattre le Hamas, les succès réalisés au nord de la bande de Gaza sont déjà en train de s’éroder.
La guerre n’est pas encore finie que, sans attendre les commissions d’enquête qui suivront et le mettront forcément en position difficile, le « roi d’Israël » du dernier quart de siècle réunirait seulement 16 % des électeurs autour de son nom, selon un récent sondage. Quant à son parti, le Likoud qui jouit d’une majorité relative au parlement avec 32 sièges sur 120, il tomberait à 16 seulement si des élections avaient lieu demain. La seule stratégie de Nétanyahou, estime Mairav Zonszein, analyste israélienne de l’International Crisis Group, c’est « la guerre sans fin »5. Mais cette stratégie bénéficie davantage à la droite coloniale radicale, plus conséquente que lui sur ce plan. Résultat : Nétanyahou apparait prisonnier de ses alliés, et mu davantage par ses intérêts personnels que par le bien public.
Pour Nétanyahou, la menace tient d’abord dans la possibilité d’un « lâchage » par Joe Biden. Ce risque-là paraît peu crédible, si l’on se fie à l’attitude du président américain depuis le début de cette guerre. Mais la position de ce dernier s’érode de jour en jour dans son propre camp. Le 18 janvier, 60 élus démocrates – soit un tiers de leurs représentants à la Chambre - se déclaraient dans une lettre au secrétaire d’État Antony Blinken « très préoccupés par la rhétorique extrémiste de certains responsables israéliens », en particulier leurs appels à l’épuration ethnique des Gazaouis. Jamais pétition anti-israélienne n’a réuni un tel nombre d’élus au parti démocrate, historiquement favorable à Tel Aviv. De plus, la réaction du premier ministre israélien à l’appel public du président états-unien d’ouvrir la voie vers un État palestinien une fois la guerre terminée a rendu furieux les membres démocrates du Congrès. « Jamais, avait répondu le premier ministre israélien, je ne ferai de compromis sur le contrôle total de la sécurité entre le Jourdain et la mer. »
Le 19 juillet, un sondage montrait que les trois-quarts des démocrates âgés entre 18 et 29 ans étaient hostiles au soutien inconditionnel de la Maison Blanche à Israël. Bref, si l’on n’entrevoit pas encore de fossé entre Israël et les États-Unis, la faille s’approfondit au sein du parti présidentiel, et Biden a besoin d’un succès politique spectaculaire pour être réélu. Une rumeur tenace aux États-Unis veut que le président Biden ait soutenu la guerre israélienne telle qu’elle a été menée précisément dans l’idée de parvenir, après son achèvement, à un accord politique entre Israéliens et Palestiniens pouvant mener à la « solution à deux États ». Y croira qui veut. En attendant, une cour californienne a jugé recevable une plainte déposée par le Centre pour les droits constitutionnels, une importante association juridique américaine qui accuse Joe Biden, son secrétaire d’État Antony Blinken et son secrétaire à la défense Lloyd Austin de « complicité de génocide ».
UNE COUR « PARTIALE » ET « ANTISÉMITE »
Mais le choc le plus important en Israël est celui qui a suivi, le 26 janvier, l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant la plainte de l’Afrique du Sud qualifiant de « génocide » la guerre menée à Gaza par Israël. Quoique la Cour n’ait pas exigé l’arrêt des combats, ce que Nétanyahou a immédiatement utilisé pour clamer victoire, le verdict n’a été perçu comme un succès par personne d’autre en Israël. Ceux qui ont fait l’effort de lire la décision ont compris que la cessation des combats de facto s’y inscrivait en creux. Comme l’a dit Naledi Pandor, le ministre sud-africain des affaires étrangères : « Comment fournir de l’aide et de l’eau sans cessez-le-feu ? Si vous lisez la décision de la Cour, elle signifie qu’un cessez-le-feu doit être prononcé ». Sans surprise, l’extrême droite mais aussi nombre d’autres commentateurs ont immédiatement vilipendé une cour « partiale », décrétée « antisémite ».
Surtout, en exigeant de l’État juif de « tout faire pour prévenir un génocide », la Cour suggère soit qu’un début d’action en ce sens est déjà enclenché, soit qu’un génocide à venir est une réalité potentielle. Son argument le plus fort sur l’intentionnalité d’un génocide consiste en une longue liste de propos tenus publiquement par divers dirigeants israéliens, politiques ou militaires, qui profèrent des souhaits ou des intentions sans conteste génocidaires. Le lendemain de l’adoption de l’ordonnance, un porte-parole a déclaré que « l’armée israélienne, après l’arrêt de la CIJ, allait renforcer la surveillance des vidéos et des publications dans lesquels on entend des appels à l’établissement de colonies dans la bande de Gaza, et des propos incitant à la violence contre les Palestiniens ».
Mais le 29 janvier, la droite israélienne organisait dans une salle de 3000 places à Jérusalem une « Conférence pour la victoire d’Israël ». C’était clairement une réponse à l’ordonnance de la CIJ. Le « transfert » des Palestiniens hors Gaza en a été le thème principal. Un avocat, Aviad Visoli, a plaidé qu’ « une Nakba 2 est entièrement justifiée par les lois de la guerre ». Père d’un soldat détenu par le Hamas, le colon Eliahou Libman a lancé : « Ceux qui ne sont pas tués doivent être expulsés, il n’y a pas d’innocents ». Plus modéré, le ministre de la police, Itamar Ben Gvir a prôné une « émigration volontaire » des Gazaouis. Quinze membres de l’actuel gouvernement Nétanyahou issus de l’extrême-droite, du Likoud et même – une nouveauté – au parti religieux orthodoxe Unité de la Torah étaient à la tribune.
Diable ! Si on ne peut plus maintenant montrer sa joie en chantant et en dansant sur les gravats des maisons et au milieu des corps déchiquetés et enfouis des civils palestiniens, que les officiers de cette même armée avaient présentés comme autant d’« animaux humains », c’est à ne plus rien y comprendre, s’interroge le brave petit soldat israélien jusqu’ici convaincu d’être dans son bon droit.
A la fin 2021, après une pandémie qui a surpris le monde, le « Jour d'après » a été le jour de la veille. Ce fut difficile mais gérable. Ce fut même l'occasion pour la science et la technologie occidentale, c'est-à-dire américaine, de faire la démonstration de sa créative réactivité.(1)
Les oiseaux de mauvais augure attendront pour proclamer le déclin de l'Occident. Tout semblait aller pour le mieux. Il devait en être bientôt fini de la Russie de Poutine. Cahin-caha, les Israéliens continuaient de tisser et d'approfondir des liens avec leurs « amis » arabes. Le « problème palestinien » disparaissait peu à peu de l'actualité.
Hélas, les projets solitaires coïncident rarement avec le monde. Le réel existe parce qu'il résiste aux calculs et la seule loi de l'histoire, rappelait Max Gallo, c'est la surprise.
Ce serait un truisme que de regarder le conflit entre la Russie et l'Ukraine comme la manifestation d'un conflit mondialisé impliquant une infinité de théâtres d'opérations en mer de Chine, au Sahel africain, en Amérique Latine et évidemment aussi au Proche-Orient.
C'en est un autre que de rapprocher les événements du 07 octobre 2023 et ceux du 22 février 2022.
Dans les deux cas les Russes et les Palestiniens étaient poussés dans leurs derniers retranchements. Fin 2021 l'affaire semblait bien ficelée.
- En Ukraine, bien avant le coup de force de Maïdan (février 2014) les Etats-Unis avaient préparé les Ukrainiens à la guerre et contraints leurs adversaires à l'intervention militaire en élargissant sans cesse l'espace de l'OTAN.
Ce n'est pas la première fois que Washington a recours à ce genre de procédé un peu partout dans le monde.2 A savoir gagner une bataille sans avoir à la livrer.
Ils ne s'en cachent d'ailleurs pas et réaffirment régulièrement leur véritable objectif. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN en visite à Washington le confirme ce lundi 29 janvier lors d'une réunion avec le chef du Pentagone, Lloyd Austin. « Notre soutien [à l'Ukraine] n'est pas de la charité ; c'est un investissement pour notre propre sécurité. » (Le Monde, mardi 30 janvier 2024).
- Les Palestiniens subissent une insupportable oppression, exercée à la fois par l'Etat sioniste et par les colons qui jouissent d'une totale impunité.
* L'autorité palestinienne en Cisjordanie est bafouée, dégradée, isolée, réduite en ses prérogatives et en ses décisions précisément pour éroder sa représentativité locale et internationale.
* La « bande » de Ghaza est devenue une vaste prison à ciel ouvert, privée des ressources et denrées essentielles, soumise à un impitoyable embargo et au bon vouloir de geôliers indifférents. Des populations miséreuses entassées en un réduit inhumain. On est très loin des Accords d'Oslo et même du respect élémentaire des Institutions internationales qu'Israël et ses alliés bafouent régulièrement depuis des décennies.
Les Palestiniens n'avaient le choix qu'entre deux destins tragiques :
* soit mourir à petits feux avec la bénédiction de leurs frères arabes qui signent des accords (diplomatiques, économiques, touristiques...) de plus en plus publics et officiels avec un Etat qui n'est plus « hébreux » mais ouvertement, publiquement, exclusivement juif.
* soit mourir debout, les armes à la main, bousculant les légendes d'invincibilité factices d'une machine de guerre et d'un Etat sous perfusion occidentale. Avec le 07 octobre, la Palestine a montré qu'elle est toujours là. Tant pis pour ceux qui croyaient facilement la solder en pertes et profits dans d'obscures tractations « abrahamiques ». Cette opération va avoir des conséquences variables et, dans une certaine mesure surprenantes.
La violence de la réaction des Israéliens est proportionnelle à leur désappointement. Les autres parties contractuelles rasent les murs. Emirs, rois, sultans et autres agioteurs de droits divins font comme s'ils n'étaient pas là et font le gros dos. Jamais, ils n'avaient imaginé les Palestiniens capables d'audace et de courage.
La rue arabe exulte et les régimes fragiles redoutent des ruptures imprévisibles. Qui avait pu imaginer que le suicide par le feu d'un vendeur à la sauvette tunisien allait entraîner en 2011 la chute de Ben Ali et, par ricochet, celle H. Moubarak en Egypte ? La guerre a servi nombre de dirigeants par le passé dans les pays où la démocratie est travestie par d'habiles communicateurs.3 Aujourd'hui, la survie politique de Netanyahu est intimement associée à la guerre. Il a sans doute résisté à la forte envie d'embrasser les leaders de Hamas et de leur envoyer un mot de gratitude.
L'opération menée le 07 octobre lui a offert en effet sur un plateau l'occasion de se maintenir au pouvoir, de consolider le mouvement sioniste radical au sein de son gouvernement, de mobiliser les foules autour d'une utopie mortifère, d'étouffer l'opposition et d'échapper à la justice (au demeurant très accommodante de son pays).
Les Palestiniens, ainsi que nous le notions plus haut, n'avaient aucun autre choix.
L'objectif sioniste est clair : après avoir déclaré constitutionnellement l'Etat d'Israël, pays réservé exclusivement aux Juifs (sans qu'aucune conscience dans le monde ne se lève pour crier à l'abomination)4, les plus « radicaux » veulent achever la colonisation entamée en 1948 et faire disparaître d'une manière ou d'une autre une population palestinienne qui n'aurait pas vocation à habiter en Eretz Israël. Il y a tant de pays arabes voisins où elle trouverait un accueil naturel.5
Les lobbys sionistes américains ont immédiatement embrayé avec les deux « flottes US » (la Vème et la VIème) qui tiennent la région en tenailles. Portes avions, munitions, informations, image de puissances étaient là pour avertir que personne ne viendrait en aide au Ghazaouis sans coups férir.
Iran, Hezbollah, Syrie... ont reçu le message. Mais la palette des coups tordus est vaste.
Le 07 octobre est à multiples détentes. Cela commence par les attaques houthis à partir du Yémen qui vont avec des moyens limités troubler le commerce Asie-Europe, un axe majeur des échanges internationaux. L'attaque dimanche 28 janvier d'une base militaire américaine en Jordanie à la frontière avec l'Irak et la Syrie qui a fait trois morts et des dizaines de blessés parmi les soldats américains, perturbe les calculs de nombreux acteurs des confrontations en cours.
La cohorte des perdants
Zelensky en perdition
L'assistance occidentale à l'Ukraine n'est pas un appoint mineur. Elle représente une condition d'existence. Sans l'aide américaine, l'Ukraine de Zelensky n'existe plus. Le combat de son pays perdrait sa légitime résistance à une agression extérieure et ne serait plus que ce qu'il est : une guerre par délégation dont l'objectif et les enjeux dépassent très largement la défense de l'Ukraine. Ils dépassent aussi les Européens qui font figure ici de preneurs d'ordres.
La fourniture d'armes occidentales de plus en plus coûteuses, nombreuses et puissantes, réclamées de manière incessante à grands cris : Himars, missiles à longue portée (type ATACSMS, « scalps » ou « Storm Shadow »), chars lourds de combat (Leopard, Challenger, Abrams)... n'a pas cessé. La Pologne et la Roumanie y jouent un rôle essentiel. On peut y ajouter des aides plus discrètes mais tout aussi efficaces : la conduite des opérations militaires sur le terrain par exemple via les informations par satellites (publiques et privées) et par de nombreux autres canaux et, sur le terrain, des techniciens expérimentés pour assister les servants ukrainiens et se prémunir contre le trafic d'armes dans un pays connu pour l'avoir élevé au rang de culture nationale.
La destruction et la neutralisation de ces armes expliquent pour une large part l'échec de la « contre-offensive » ukrainienne reconnu comme tel dès l'automne 2023. L'ouverture du front palestinien n'est pas faite pour arranger ses affaires. Une guerre généralisée au Proche-Orient, c'est moins d'armes et de munitions pour l'Ukraine et surtout un affaiblissement médiatique pour une cause qui a déjà beaucoup perdu de sa popularité en Occident. Moins de journalistes, moins de temps d'antenne, moins d'images de l'Ukraine sur tous les écrans et les unes, signifie une catastrophique baisse d'audience pour un président, saltimbanque professionnel, qui organise la guerre de son pays comme un spectacle quotidien. V. Zelensky est aux abois.
Dès le Sommet de l'OTAN à Vilnius, à la mi-juillet, il est mis hors champ. Son aura est ternie. Il n'est plus reçu que dans des enceintes discrètes. Fini les grandes pompes, les grands discours... égards et cérémonies... piédestal d'où il admonestait avec autorité institutions internationales, chefs d'Etat, chefs d'entreprises...
J. Biden n'a le choix qu'entre de mauvaises solutions
Les mésententes dans l'Union Européenne désunie Europe et aux Etats-Unis où les supporters de D. Trump ont le vent électoral en poupe et bloquent au Congrès le paquet d'aide que J. Biden a prévu pour Kiev, réduisent les moyens militaires, mais aussi économiques de l'Ukraine.
L'Europe est la cinquième roue de la charrue. Un vaste marché ouvert aux quatre vents, un bric-à-brac à la Prévert, qui ne possède ni défense, ni diplomatie, ni volonté politique commune pour s'en doter. Lorsque Washington déclenche une opération militaire quelque part dans le monde, il est rare qu'il en informe ses « alliés » (sauf en cas de besoin) alors que ce sont souvent les Européens qui essuient les plâtres.
« Frappez l'Iran maintenant. Frappez fort », a lancé le sénateur républicain Lindsey Graham pour enfoncer la Maison Blanche dans un choix impossible au lendemain de l'attaque du 28 janvier.
La campagne électorale du candidat démocrate se trouve coincée entre le déclenchement d'un conflit immaîtrisable que personne ne veut et l'image d'un « vieillard sénile » incapable de prendre des « décisions courageuses », nécessaires au prestige et à la défense de son pays.
Pourtant, il ne peut pas intervenir, d'autant moins que, jusqu'à lors, aucune preuve n'implique l'Iran dans l'attaque de la base américaine.
Il ne peut pas non plus ne pas intervenir à moins de renoncer à sa réélection.
Bien sûr, J. Biden pourra doser et trouver une cible « consensuelle » qui conviendrait à tous sans conséquences périlleuses pour la paix du monde. Mais ce choix sera difficile. Comment, par exemple, convaincre l'Iran de consentir sagement à un bombardement pour une action militaire dont elle ne reconnaît pas la responsabilité ?
Tous les cow-boys du Congrès, y compris dans son camp, sont sur le pied de guerre. Ils se sont coiffés de leur stetson et armés de leurs Walker Colt ou de leurs Smith&Wesson comme à la belle époque. Quel que soit le choix de J Biden, D. Trump se frotte les mains et pourra commencer à préparer son second mandat.
Une conflagration proche-orientale généralisée, c'est-à-dire impossible à maîtriser, ouvrira une boîte de Pandore et fera exploser le prix des hydrocarbures et des marchandises transitant par l'Océan Indien, la mer Rouge et le Canal de Suez.
Cela ferait plaisir aux producteurs américaines de gaz et de pétrole de schistes qui font fortune depuis l'embargo sur les hydrocarbures russes et l'accroissement des importations européennes de produits américains. Mais cela aura des conséquences fâcheuses : augmentation mécanique des recettes russes avec le contournement par l'Arctique du trafic marchand asiatique et notamment chinois. C'est plus court, moins cher et sécurisé. Le réchauffement climatique n'a pas que des inconvénients.
Le plus préoccupant est la relance de l'inflation alors que les marchés attendent avec impatience depuis plusieurs mois la baisse des taux d'intérêt attendue. Cela n'est favorable ni à l'investissement, ni à la consommation, ni à l'emploi ni à la croissance.
On aura beau le cacher l'économie européenne, contrairement à l'américaine, souffre des sanctions infligées à la Russie et de l'ouverture des frontières de l'Union aux produits ukrainiens.
Les marchands, les intermédiaires et les spéculateurs y trouvent leur compte. Mais ni les producteurs (notamment les agriculteurs) ni les consommateurs n'y retrouvent les leurs.
Les manifestations se succèdent en Europe, les régimes politiques basculent les uns après les autres en faveur de partis « populistes », nationalistes anti-européens. Les préoccupations locales économiques et sociales dominent des débats de plus en plus politiques.
Elargir l'espace de l'OTAN, étouffer à petits feux la Russie de Poutine et produire un collapsus similaire à celui qui mit fin à l'URSS, est loin de se réaliser. L'idée du « poison lent » qui finira par produire ses effets est-ce plus qu'un mythe. La Russie s'est préparée à ce conflit et à ses différentes dimensions. Se serait-elle trompée ? Peut-être.
En attendant, c'est la défense ukrainienne qui menace de flancher. Des pertes humaines et matériels considérables minent l'effort de guerre et le moral de l'« arrière ».
Les aides promises sont bloquées aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis.
Le conflit a vidé les stocks des arsenaux des pays « alliés ». Gagner du temps pour donner à l'Ukraine les moyens de reprendre son combat dans de meilleures conditions dans quelques mois, entreprendre une « économie de guerre » généralisée relève plus de la rhétorique que de la réalité, malgré la pression des « complexes » militaro-industriels qui ont jusque-là largement profité du conflit.
La popularité de la cause ukrainienne est au plus bas à l'intérieur et à l'extérieur. Militairement, politiquement, économiquement, financièrement on atteint des limites.
A près de 30 000 morts et des dizaines de milliers de blessés, et bientôt quatre mois de massacres, médiatiquement plus ou moins escamotés grâce aux réseaux sous contrôle en Europe et en Amérique du nord, l'armée israélienne ne parvient pas venir à bout d'une résistance palestinienne à espérance de vie bien supérieure aux conflits antérieurs (guerre des six jours en juin 1967, guerre d'octobre 1973, confrontation avec Hezbollah en 2006).
Contrairement à ce qui est répété sur les réseaux mondiaux, il ne s'agit pas d'une guerre entre armées conventionnelles. L'Afrique du sud a déposé une plainte pour un génocide systématiquement entrepris condamné par la Cour Internationale de Justice le 26 janvier.
Le mot « génocide » a été euphémisé mais « Israël » et « génocide » ont été étroitement associés comme cause et effet.
On peut défaire une armée mais pas un peuple sous le regard d'un monde instantanément médiatisé. Les Israéliens pourront détruire Ghaza, tuer des dizaines de milliers de Palestiniens et quelques uns de leurs dirigeants. Cela ne suffira pas à effacer la Palestine et sa cause.
En quelques semaines, Israël a perdu un crédit considérable qui pourra même affecter l'histoire de ce qu'il prétend incarner. La forfanterie militaire produit des réputations surfaites et une sécurité factice. Israël n'est après tout que la partie apparente d'un iceberg mondial qui le porte à bout de bras. En sera-t-il toujours ainsi pour l'éternité ?
Pancho, Le Monde, V. 05 juin 1987
Non seulement les conflits ne se résorbent pas mais ils s'aggravent, se multiplient un peu partout dans le monde.
Outre l'Ukraine et la Palestine, l'enfer menace d'ouvrir des succursales à Taiwan, dans les Balkans, entre le Pakistan et une Inde théocratique qui a oublié les principes fondateurs qui ont présidé à sa naissance, entre le Pakistan et l'Iran, entre les deux Corées, entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie... Chacun de ces conflits pourrait représenter la mèche qui mettra le feu à une conflagration qu'il sera peut-être impossible de juguler.
Les Nations Unies sont aujourd'hui aussi inaptes et obsolètes que la Société des Nations l'avait été en 1920 à traiter de la guerre et de la paix.6 Le monde d'aujourd'hui n'a plus rien à avoir avec celui de 1945. Il serait temps d'en prendre acte.
A l'évidence, si l'humanité survit à ces crises, la première tâche des nations sera de fonder impérativement un nouveau système de régulation des conflits internationaux et une meilleure administration de la création, de la répartition des richesses et de la préservation de la biosphère terrestre, support essentiel de la vie sur la planète.
Notes
1- Même si Pfizer doit son vaccin à un laboratoire germano-turc (BioNTech). C'est l'Europe qui crée mais c'est l'Amérique qui en universalise les bienfaits (moyennant de très convenables rétributions, cela va de soi).
2- Zbigniew Brzeziñski, conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis Jimmy Carter l'a reconnu publiquement en janvier 1998 : les Etats-Unis sont intervenus en Afghanistan avant même l'entrée des troupes soviétiques en 1979. « Cette opé ration secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège afghan. (...) Nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du Vietnam » écrivait-il à J. Carter.
3- Aussitôt la paix venue W. Churchill, opportuniste roué, a épuisé le carburant qui le maintenait au 10 Downing Street A son retour aux affaires en 1951, il n'avait plus la magie qui avait séduit les Londoniens sous les bombes.
4- Il serait injuste et malhonnête de ne pas faire référence aux nombreuses manifestations anti-israéliennes dans le monde et aux protestations de nombreuses personnalités en Occident et en Israël en soutien à la Palestine. Lire par exemple « Ami-es israélien-nes, voilà pourquoi je soutiens les Palestinien-nes » (https://www.contretemps.eu, 17 octobre 2023) de Ilan Pappe.
5- C'est pourquoi les Israéliens ne parlent jamais de « Palestiniens » mais d'« Arabes ». La guerre est aussi dans le lexique.
6- Il n'est pas suffisamment rappelé que le Sénat américain avait voté contre la SdN et que les Etats-Unis avaient refusé d'en être membres, alors que le projet avait été proposé et défendu par le président Wilson.
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