Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Guerre Israël-Hamas : premier jour de ramadan à Gaza sous les bombardements
Indignez-vous : le messagede Stéphane Hessel, toujours d’actualité
Stéphane Hessel : « Pour un Etat palestinien » 20 septembre 2011
La reconnaissance d'un Etat indépendant de Palestine est au cœur de l'actualité. Stéphane Hessel, résistant, diplomate, auteur du célèbre « Indignez-vous ! », prend fermement position dans cette vidéo.
Michel Dandelot
Par micheldandelot1 dans Accueil le 12 Mars 2024 à 10:03
Le président américain réprouve de plus en plus publiquement les choix du premier ministre israélien et de son armée dans la bande de Gaza. Mais si le climat se refroidit entre les États-Unis et Israël, Joe Biden n’a ni les moyens, ni l’ambition d’aller beaucoup plus loin.
C’est une réprobation de plus en plus vocale, mais corsetée par plus d’un demi-siècle de solide partenariat entre les États-Unis et Israël. Depuis plusieurs jours, Joe Biden laisse éclater au grand jour ses désaccords stratégiques avec Benyamin Netanyahou. Après des mois de soutien quasi absolu à l’offensive israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza, les signes d’agacement du président américain vont crescendo à l’adresse du premier ministre israélien : un micro baladeur le 7 mars, en marge de son discours sur l’état de l’Union, qui aurait capté un « Il faudra bien qu’il comprenne », ou un laconique « oui » en réponse à la question « Benyamin Netanyahou doit-il permettre l’acheminement de plus d’aide humanitaire ? »
Le fossé se creuse entre les deux hommes qui ne s’apprécient guère. Joe Biden n’a-t-il pas fait lanterner pendant des mois le leader israélien avant d’accepter de le rencontrer, en septembre 2023 – pour la première fois depuis sa réélection fin 2022 –, non pas à la Maison-Blanche, mais dans un hôtel new-yorkais, et avec une demi-heure de retard, en signe de réprobation face à la dérive illibérale de son gouvernement ? La semaine dernière, l’administration américaine a encore fait grincer les dents de la droite israélienne en recevant l’éternel rival de Benyamin Netanyahou et membre du cabinet de guerre, Benny Gantz, comme pour préparer l’après- « Bibi ». Et pour Netanyahou, rien ne lui serait plus profitable qu’une réélection de Donald Trump…
« Pas de ligne rouge »
Samedi 9 mars, alors que les espoirs d’obtenir une trêve avant le début du Ramadan semblaient s’être dissipés, Joe Biden a décoché une nouvelle flèche en direction de Benyamin Netanyahou. « Il fait plus de mal que de bien à Israël » à travers la guerre dans la bande de Gaza, a-t-il déclaré dans une interview à la chaîne MSNBC. Petite phrase à laquelle l’intéressé a répondu le lendemain, en faisant valoir le soutien de la population israélienne. « Je ne sais pas exactement ce que le président voulait dire, mais s’il entendait par là que je mène une politique personnelle contre le souhait de la majorité des Israéliens, et que je vais contre les intérêts d’Israël, alors il a tort sur les deux points », a estimé Benyamin Netanyahou dans une interview à Politico.
En dépit de ces réprobations plus ou moins publiques, Joe Biden jouit d’une marge de manœuvre réduite, à huit mois d’une présidentielle au cours de laquelle il joue sa réélection : s’il doit composer avec la gauche propalestinienne de la base démocrate et avec une partie de l’opinion effarées par les 31 000 morts gazaouis et le risque de famine dans l’enclave, le président n’a pas le luxe de s’aliéner un électorat américain largement pro-Israël. L’État hébreu, de son côté, sait très bien que, malgré l’appel d’une trentaine d’élus démocrates, Washington ne réduira pas l’enveloppe de son aide militaire de quelque 3,3 milliards de dollars annuels. Joe Biden l’a reconnu lui-même : tout en parlant sur MSNBC d’une possible offensive israélienne à Rafah comme d’une « ligne rouge », il s’est ravisé juste après pour dire qu’« il n’y a pas de ligne rouge où je veux arrêter totalement les livraisons d’armes ».
Un argumentaire sinueux qui illustre la position d’équilibriste dans laquelle se trouvent les États-Unis et Joe Biden, « partisan à vie d’Israël » : tancer l’État hébreu, l’appeler à un « cessez-le-feu immédiat » tout en l’armant. Faute d’autres leviers de pression pour qu’Israël laisse passer davantage de vivres par voie terrestre, Washington enchaîne les largages d’aide humanitaire quotidiens mais largement insuffisants sur Gaza et a envoyé un navire militaire avec le matériel nécessaire à la construction d’une jetée qui pourrait prendre jusqu’à soixante jours. À l’occasion du Ramadan, Joe Biden a transmis un message de solidarité, dans lequel il affirme que, pendant ce mois sacré, « la souffrance du peuple palestinien sera au premier plan pour beaucoup. Elle l’est pour moi. »
Alors que la guerre contre Gaza a débouché sur une escalade verbale entre Ankara et Tel-Aviv, les relations entre Israël et la Turquie ont tout de même survécu, tant les liens et les convergences entre les deux pays restent fortes.
Alors que la guerre contre Gaza a débouché sur une escalade verbale entre Ankara et Tel-Aviv, les relations entre Israël et la Turquie ont tout de même survécu, tant les liens et les convergences entre les deux pays restent fortes.
La première réaction de la Turquie au déclenchement de la guerre de Gaza a surpris par sa prudence, comme d’ailleurs celle qu’elle avait eue après l’invasion de l’Ukraine avait étonné par son légalisme, insistant sur le respect de la souveraineté de Kiev. Dans les deux cas, Ankara, qui entretient des relations fortes et suivies avec les deux belligérants, a ostensiblement offert sa médiation, déjà antérieurement proposée. Dans les deux cas aussi, l’ambivalence qu’on décèle dans cette attitude initiale n’est pas le seul résultat de la conjoncture. Elle renvoie à la nature profonde de la diplomatie de ce pays souvent contraint à de grands écarts périlleux au cours de son histoire.
Le 7 octobre 2023, lorsque le Hamas lance son attaque inattendue, la Turquie et Israël sont en pleine réconciliation après plus d’une décennie de relations inégales ayant parfois frisé la rupture, avant d’entrer dans de laborieuses périodes de restauration. La capacité à gérer cette inconstance est le premier phénomène qui surprend. Elle découle de multiples convergences politiques, stratégiques et surtout économiques. Quel est l’avenir de cette relation complexe dans la nouvelle donne établie par le retour de la centralité du conflit israélo-palestinien au Proche-Orient ?
La Turquie ayant été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1949, peu après la création de celui-ci, ces deux États sont de vieux partenaires qui se connaissent bien. En dépit de quelques accrochages feutrés provoqués par les conflits israélo-arabes pendant la guerre froide, leurs relations mutuelles sont au beau fixe après la fin du monde bipolaire, et l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) au début du millénaire ne paraît pas devoir remettre en cause cette entente cordiale. En 2008, Ankara accueille même des négociations officieuses visant à permettre à Israël et au régime syrien de normaliser leurs relations, négociations qui n’aboutiront pas.
RAPPROCHEMENT AVEC LE HAMAS
Ce n’est pas tant la question palestinienne que la situation nouvelle, nouée avec l’arrivée au pouvoir du Hamas dans la bande Gaza après les élections de 2006, qui est à l’origine de la brouille turco-israélienne qui commence à partir de 2009. Lorsqu’Israël lance sa première campagne de bombardements massifs sur l’enclave palestinienne avec l’opération « Plomb durci », Ankara ne tarde pas à réagir. Lors d’un mémorable panel au Forum de Davos de janvier 2009, Recep Tayyip Erdoğan apostrophe sans ménagement le président israélien Shimon Pérès.
Cependant, en 2013, de façon totalement inédite, Benyamin Nétanyahou accepte de présenter à Erdoğan les excuses que celui-ci exige pour restaurer les relations. Mais l’initiative est compromise en 2014 par une nouvelle campagne de frappes sur Gaza, « Bordures protectrices », que le leader de l’AKP dénonce, en accusant Israël d’avoir « surpassé Hitler dans la barbarie »1. Si bien que ce n’est qu’en 2016, après l’indemnisation des familles des victimes de la flottille, que les relations diplomatiques sont restaurées au plus haut niveau par un échange d’ambassadeurs. L’accalmie sera de courte durée.
En 2019, la grande marche du retour des Gazaouis, qui se traduit par une répression sévère et un très grand nombre victimes palestiniennes, provoque à nouveau un affrontement verbal entre le président turc et le chef du gouvernement israélien. Une nouvelle dégradation du niveau des relations diplomatiques s’ensuit, et il faudra attendre 2022 et la visite en Turquie du président israélien Isaac Herzog, pour les voir échanger à nouveau des ambassadeurs, dans un contexte où Ankara tente d’aplanir ses différends avec le monde arabe (Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite…), et où celui-ci semble être entré dans une phase de convergence globale avec Israël, après les accords d’Abraham.
Plus que l’inconstance, ce qui frappe au-delà de cette brouille durable est finalement la résilience qui a sauvegardé la relation entre les deux protagonistes. Car, ni l’arraisonnement d’un navire humanitaire, ni les frappes de plus en plus intensives sur Gaza, ni les tensions verbales très dures de dirigeant à dirigeant, ni les répressions sanglantes de manifestations palestiniennes n’ont eu raison des liens fragiles entre les deux puissances régionales.
LA PLACE DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE
Pour comprendre comment les relations turco-israéliennes ont pu survivre et régulièrement renaitre, il est important d’identifier ce qui contribue à les structurer durablement. La solidité des liens économiques constitue le premier axe de cette continuité. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler qu’au cours des années conflictuelles que nous venons d’évoquer, la Turquie a triplé ses exportations en direction d’Israël, ces dernières passant de 2,3 milliards de dollars en 2011 à 7,03 milliards de dollars en 2022. Assurant 5,2 % de ses importations, la Turquie est ainsi le cinquième fournisseur d’Israël, et son septième client pour 2,2 % de ses exportations, représentant un montant de 2,5 milliards de dollars annuellement. Ces flux commerciaux concernent des domaines essentiels. Au premier rang des importations israéliennes en provenance de Turquie on trouve l’acier, le fer, le textile, les véhicules automobiles, le ciment, sans oublier le pétrole azerbaïdjanais qui transite via le Caucase et l’Anatolie orientale par l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et le port de Ceyhan, couvrant 40 % des approvisionnements annuels en brut d’Israël. Le groupe turc Zorlu fournit en outre 7 % de l’électricité consommée par Israël. Pour sa part, ce dernier exporte surtout vers la Turquie des produits chimiques et des articles de haute technologie. Ces exportations ont joué un rôle non négligeable dans la modernisation de la production industrielle turque au cours des dernières années, notamment dans le domaine de la défense.
La mémoire constitue un autre élément des relations entre les deux pays qui aide à surmonter les caprices du cours de leurs relations mutuelles. Les juifs ont été l’un des « millet »2 de l’Empire ottoman qui a accueilli, notamment dans ses villes portuaires emblématiques (Salonique, Istanbul, Izmir…), les sépharades chassés d’Espagne au XVe siècle. En dépit de la situation inégale qui a été la leur depuis les débuts de la République, ce dont témoignent différents épisodes d’antisémitisme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, ils restent l’une des dernières communautés juives du monde musulman, dans un pays qui ne les renie pas, comme l’a montré encore récemment le succès de la série turque Kulüp, basée sur une observation fidèle de leurs spécificités linguistiques et culturelles. Ce passé et cette atmosphère a contribué à l’afflux de touristes israéliens en Turquie qui, en dépit des crises successives, sont finalement venus et revenus dans ce pays où ils étaient l’une des premières populations de visiteurs étrangers avant octobre 2023.
INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
Enfin, quelle que soit la conflictualité ambiante de leurs liens, il ne faut pas sous-estimer l’importance des intérêts stratégiques communs aux deux pays. La Turquie, qui reste un allié des Occidentaux du fait de son appartenance à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), abrite des bases importantes : commandement des forces terrestres alliées du flanc sud de l’Alliance à Izmir, radar de défense antimissile balistique de Kürecik principalement tourné contre l’Iran, aéroport d’Incirlik qui accueille le cas échéant des avions livrant du matériel militaire à Israël. En février 2024, Ankara a rejoint le bouclier antimissile européen European Sky Shield Initiative (ESSI), qui repose sur une initiative lancée par l’Allemagne en 2023, et qui est soutenu par 17 pays. Or, ce projet boudé par la France, utilisera entre autres le missile israélien à longue portée Arrow 3.
Par ailleurs, les deux États entretiennent une conflictualité durable avec la Syrie. À la suite d’une série d’interventions militaires conduites depuis 2016, Ankara a pris le contrôle de bandes transfrontalières du territoire syrien qu’elle administre et équipe depuis, même si elle dit n’avoir pas de prétentions irrédentistes et vouloir surtout y prévenir la présence des milices kurdes Unités de protection du peuple (YPG), liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Quant à Israël, dans le contexte des conflits en cours, son armée frappe régulièrement les positions du régime syrien et de ses alliés (le Hezbollah libanais) dans la région le cas échéant, avec l’aval de la Russie.
Bien que des désaccords notables aient été exprimés par les responsables des deux pays à propos de leur engagement respectif dans le Caucase, une convergence stratégique a pu aussi s’observer en 2020, lors de la seconde guerre du Haut-Karabakh, où l’un et l’autre ont apporté un soutien militaire précieux à l’Azerbaïdjan, et lui ont finalement permis de reprendre le contrôle de l’enclave arménienne.
L’OMBRE DE LA PALESTINE
En dépit de ces flux de convergence, il est vrai que les rapports entre les deux pays ont été régulièrement affectés depuis une quinzaine d’années par leurs désaccords permanents à propos de la question palestinienne, et plus particulièrement de la situation prévalant à Gaza. À l’issue de l’arraisonnement du Mavi Marmara en juin 2010, Ankara a gelé 16 accords d’armement avec Israël. Une décision qui doit également être perçue comme la consécration de la puissance militaire turque découlant de cette coopération, illustrée par la mise sur pied d’un système de structuration des industries de défense turques, nourrie par l’exemple israélien, ou par la production d’armements sophistiqués comme les drones, fournis à l’origine par Israël.
Plus récemment, en janvier 2024, la Turquie a exclu Israël de la liste des pays cibles pour ses exportations. Cette décision empêchera les entreprises turques de bénéficier d’aides publiques pour exporter vers ce pays. Elle montre la marge de manœuvre dont dispose désormais la Turquie au sein d’un foisonnant marché à l’exportation, mais ne remet pas profondément en cause les rapports commerciaux bilatéraux. Fin janvier 2024, les statistiques du ministère turc des transports montraient que plus de 700 navires turcs avaient rallié des ports israéliens depuis le 7 octobre 2023, soit une moyenne de 8 navires par jour. Les cargaisons transportées concernent des produits essentiels (acier, pétrole, textile…) pour la machine de guerre israélienne, et impliquent des entreprises souvent proches des cercles du pouvoir en Turquie, « mettant en évidence, selon le journaliste turc indépendant Metin Cihan3, l’hypocrisie et le double discours des dirigeants ».
Le durcissement de la position turque après le début de l’attaque israélienne contre Gaza et les nombreuses victimes civiles palestiniennes qui l’ont accompagnée, a permis au régime de rester en phase avec l’émotion ressentie par la population turque. Cela est d’autant plus important pour l’AKP que doivent se tenir, le 31 mars 2024, des élections municipales, à l’occasion desquelles Erdoğan espère reconquérir les villes symboliques d’Ankara et d’Istanbul, perdues en 2019. Il est pourtant peu probable que cette rigidification se traduise par une remise en cause des liens économiques existant entre les deux pays, voire par une rupture officielle des relations diplomatiques. S’appuyant sur cette expérience de gestion de crise, acquise au cours des deux dernières décennies, Ankara tentera plutôt de contenir le développement de ses rapports commerciaux avec Israël, en cherchant à le compenser par la relance amorcée de ses relations avec les pays du Golfe (Arabie saoudite et Émirats notamment), ainsi qu’avec l’Égypte.
Le dépassement de l’échéance électorale du printemps devrait permettre à Erdoğan de renouer avec une posture plus diplomatique, usant de l’argument de servir la cause palestinienne aux côtés d’autres puissances régionales très investies depuis le début de la crise (Qatar, Égypte, Émirats arabes unis…). Une telle attitude ne serait finalement pas si éloignée du ressenti de l’opinion publique, elle aussi ambivalente, qui restait initialement prudente face à un engagement trop franc de la Turquie et ne souscrivait pas majoritairement à l’idée d’une rupture des relations commerciales. Il est ainsi probable que le régime s’appuiera sur une somme d’intérêts et de sentiments contradictoires pour sauvegarder la relation ambiguë entretenue avec Israël depuis longtemps.
JEAN MARCOU
Professeur à Sciences Po Grenoble (Université Grenoble Alpes), chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes…
« Ahlan wa sahlan » : C’est le nom d’un café du commerce situé au cœur de Gaza et dont le nom est à lui seul une prémonition. Je traduis : il signifie : Bienvenue à celui auquel on ouvre toutes les portes pour lui faciliter l’accès. Sens de l’accueil dont l’Orient a le secret.
Si on le contextualise, on dira que c’est un message non codé adressé par le Hamas au Tsahal, pour lui dire : Jusqu’ici Israël, ton horreur était latente, cachée, sophistiquée… mais là je te mets au défi de l’étaler au grand jour et de montrer jusqu’à quel point tu es plus horrible que l’horreur, plus terrible que la terreur, plus furieux que le Führer. « Ahlan wa sahlan » montre nous Israël qui est le vrai monstre ?
Le 4 mars, l’ONU a publié un rapport sur les viols et agressions sexuelles commises le 7 octobre contre des Israéliennes. Si ce texte a rencontré un vaste écho médiatique, il n’en va pas de même pour un autre rapport des Nations unies qui concerne cette fois le traitement des Palestiniennes, en particulier les viols et les agressions sexuelles subies depuis le début de la guerre contre Gaza.
Huit expertes de l’ONU1 ont sonné l’alarme le 19 février. Dans un communiqué, elles expriment leurs « plus vives inquiétudes » à propos des informations obtenues de « différentes sources ». Elles dénoncent des exécutions sommaires, des viols, des agressions sexuelles, des passages à tabac et des humiliations sur les femmes et les jeunes filles palestiniennes de Gaza, comme de Cisjordanie. Elles évoquent « des allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains », dont les femmes et les filles palestiniennes « sont et continuent d’être victimes »2.
Selon les témoignages, les informations et les images qu’elles ont pu recouper, des femmes et des filles « auraient été exécutées arbitrairement à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants ».« Nous sommes choquées par les informations faisant état du ciblage délibéré et de l’exécution extrajudiciaire de femmes et d’enfants palestiniens dans des lieux où ils ont cherché refuge ou alors qu’ils fuyaient »3, parfois en tenant, bien en évidence, des tissus blancs, en signe de paix. Une vidéo diffusée par Middle East Eye4 et ayant beaucoup circulé montre notamment une grand-mère palestinienne abattue par les forces israéliennes dans les rues du centre de la ville de Gaza, le 12 novembre, alors qu’elle et d’autres personnes tentaient d’évacuer la zone. Au moment de son exécution, cette femme, nommée Hala Khreis, tenait par la main son petit-fils qui brandissait un drapeau blanc.
Des centaines de femmes seraient également détenues arbitrairement depuis le 7 octobre, selon les expertes onusiennes. Parmi elles, on compte des militantes des droits humains, des journalistes et des travailleuses humanitaires. En tout, « 200 femmes et jeunes filles de Gaza, 147 femmes et 245 enfants de Cisjordanie », sont actuellement détenus par Israël, selon Reem Alsalem, rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes auprès de l’ONU. Elle évoque des personnes « littéralement enlevées » de leurs maisons et qui vivent des circonstances de détention « atroces ». Nombre d’entre elles auraient été soumises à des « traitements inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments », détaille encore le communiqué de l’ONU. Des témoignages rapportent notamment que des femmes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage sous la pluie et dans le froid, sans nourriture.
VIOLS ET AGRESSIONS SEXUELLES
Viennent ensuite les violences sexuelles. « Nous sommes particulièrement bouleversées par les informations selon lesquelles les femmes et les filles palestiniennes détenues ont également été soumises à de multiples formes d’agression sexuelle, comme le fait d’être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l’armée israélienne. Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées et d’autres auraient été menacées de viol et de violence sexuelle », alertent les expertes. Ces Palestiniennes seraient « sévèrement battues, humiliées, privées d’assistance médicale, dénudées puis prises en photos dans des situations dégradantes. Ces images sont ensuite partagées par les soldats », selon Reem Alsalem. « Des rapports inquiétants font état d’au moins un bébé de sexe féminin transféré de force par l’armée israélienne en Israël, et d’enfants séparés de leurs parents, dont on ne sait pas où ils se trouvent », dénonce le communiqué.
Tous ces faits présumés ayant été perpétrés « par l’armée israélienne ou des forces affiliées » (police, personnel de prison, etc.). Le groupe d’expertes exige une enquête israélienne ainsi qu’une enquête indépendante, impartiale, rapide, approfondie et efficace sur ces allégations dans laquelle Israël coopère. « Pris dans leur ensemble, ces actes présumés peuvent constituer de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, et équivalent à des crimes graves au regard du droit pénal international qui pourraient être poursuivis en vertu du Statut de Rome », préviennent-elles. « Les responsables de ces crimes présumés doivent répondre de leurs actes et les victimes et leurs familles ont droit à une réparation et à une justice complètes », ajoutent-elles.
Dans une interview à UN News5, Reem Alsalem déplore le mépris des autorités israéliennes face aux alertes.
Nous n’avons reçu aucune réponse, ce qui est malheureusement la norme de la part du gouvernement israélien qui ne s’engage pas de manière constructive avec les procédures spéciales ou les experts indépendants.
Elle précise ensuite que « la détention arbitraire de femmes et de filles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza n’est pas nouvelle ».
Ces allégations ont été fermement rejetées par la mission israélienne de l’ONU qui affirme qu’aucune plainte n’a été reçue par les autorités israéliennes et dénigre sur X un « groupe de soi-disant expertes de l’ONU ».« Il est clair que les cosignataires ne sont pas motivées par la vérité mais par leur haine envers Israël et son peuple », peut-on lire.
Pourtant un rapport de 41 pages de l’ONG israélienne Physicians for Human Rights Israel (PHRI), daté de février et intitulé « Violation systématique des droits de l’homme : les conditions d’incarcération des Palestiniens depuis le 7 octobre »6 corrobore les dénonciations de l’ONU. On peut y lire de nombreux témoignages décrivant des « traitements dégradants et des abus graves », y compris des cas non isolés de harcèlements et d’agressions sexuelles, de violence, de torture et d’humiliation. Selon PHRI, le nombre de Palestiniens détenus par le service pénitentiaire israélien (Israel Prison Service) est passé d’environ 5 500 avant le 7 octobre à près de 9 000 en janvier 2024, dont des dizaines de mineurs et de femmes. Près d’un tiers des personnes détenues sont placées en détention administrative sans inculpation ni procès : une prise d’otage, en somme. Le rapport de l’ONG confirme que l’armée israélienne a arrêté des centaines d’habitants de Gaza sans fournir aucune information, même quatre mois plus tard, sur leur bien-être, leur lieu de détention et leurs conditions d’incarcération.
EMBRASSER LE DRAPEAU ISRAÉLIEN
Dans le rapport de l’ONG israélienne PHRI, des témoignages de Palestiniens attestent notamment que des gardes de l’Israel Prison Service (IPS) les ont forcés à embrasser le drapeau israélien et que ceux qui ont refusé ont été violemment agressés. C’est le cas de Nabila, dont le témoignage a été diffusé par Al-Jazeera7. Cette femme qui a passé 47 jours en détention arbitraire qualifie son expérience d’« effroyable ». Elle a été enlevée le 24 décembre 2023 dans une école de l’UNRWA de la ville de Gaza où elle avait trouvé refuge. Les femmes ont été emmenées dans une mosquée pour être fouillées à plusieurs reprises et interrogées sous la menace d’armes, si violemment qu’elle affirme avoir pensé qu’elles allaient être exécutées. Elles ont ensuite été détenues dans le froid dans des conditions équivalentes à de la torture.
Nous avons gelé, nous avions les pieds et les mains attachés, les yeux bandés et nous devions rester agenouillées […] Les soldats israéliens nous hurlaient dessus et nous frappaient à chaque fois que nous levions la tête ou prononcions un mot.
Nabila a ensuite été conduite au nord d’Israël, dans la prison de Damon, avec une centaine de Palestiniennes parmi lesquelles des femmes de Cisjordanie. Battue à plusieurs reprises, elle est arrivée à la prison le visage plein d’hématomes. Une fois au centre de détention, les choses ne se sont pas arrangées pour les otages palestiniennes. Lors de l’examen médical, il a été ordonné à Nabila d’embrasser le drapeau israélien. « Quand j’ai refusé, un soldat m’a attrapée par les cheveux et m’a cognée la tête contre le mur », raconte-t-elle.
L’ONG israélienne affirme que des avocats ont présenté des plaintes de violence aux tribunaux militaires. Les juges ont pu voir les signes d’abus sur les corps des détenus mais « à part prendre note des préoccupations et informer l’IPS, les juges n’ont pas ordonné de mesures pour prévenir la violence et protéger les droits des personnes détenues », précise l’ONG israélienne. Pourtant, « des preuves poignantes de violence et d’abus assimilables à de la torture ont été portées à l’attention de la Cour suprême par PHRI et d’autres [...] Cependant, cela n’a pas suscité de réaction substantielle de la part de la Cour », regrette encore l’organisation.
L’un des témoignages rapporté par PHRI fait état d’agressions sexuelles qui se sont produites le 15 octobre, lorsque des forces spéciales sont entrées dans les cellules de la prison de Ktzi’ot (au sud-ouest de Bersabée), et ont tout saccagé tout en insultant les détenus par des injures sexuelles explicites comme « vous êtes des putes »,« nous allons tous vous baiser »,« nous allons baiser vos sœurs et vos femmes »,« nous allons pisser sur votre matelas ».« Les gardiens ont aligné les individus nus les uns contre les autres et ont inséré un dispositif de fouille en aluminium dans leurs fesses. Dans un cas, le garde a introduit une carte dans les fesses d’une personne. Cela s’est déroulé devant les autres détenus et devant les autres gardes qui ont exprimé leur joie », est-il rapporté. Il n’est toutefois pas précisé si ce témoignage concerne des hommes ou des femmes.
SOUS-VÊTEMENTS FÉMININS ET INCONSCIENT COLONIAL
Les soldats israéliens se sont illustrés sur les réseaux sociaux posant avec des objets et des sous-vêtements féminins appartenant aux femmes palestiniennes dont ils ont pillé les maisons. Des images qui ont fait le tour du monde et provoqué l’indignation générale. Violation de l’intimité, dévoilement du corps, viol des femmes colonisées : la domination sexuelle a toujours été une arme majeure caractéristique des empires coloniaux. « Prendre le contrôle d’un territoire, la violence politique et militaire ne suffit pas. Il faut aussi s’approprier les corps, en particulier ceux des femmes, la colonisation étant par définition une entreprise masculine », explique l’historienne Christelle Taraud, codirectrice de l’ouvrage collectif Sexualités, identités & corps colonisés (CNRS éditions, 2019).
Les Palestiniennes payent un très lourd tribut au génocide en cours à Gaza. L’ONU évalue à 9 000 le nombre de femmes tuées depuis le 7 octobre 2023. Celles qui survivent ont souvent perdu leurs enfants, leur mari et des dizaines de membres de leur famille. Il faut évoquer la condition des femmes enceintes qui étaient plus de 50 000 au moment du déclenchement des hostilités et qui accouchent, depuis, sans anesthésie et, le plus souvent, sans assistance médicale. De nombreux nouveau-nés sont morts d’hypothermie au bout de quelques jours. Les femmes dénutries ont du mal à allaiter et le lait infantile est une denrée rare. Les chiffres évoluent chaque jour cependant au 5 mars, au moins 16 enfants et bébés sont morts de malnutrition et déshydratation8 à Gaza en raison du siège total et du blocage de l’aide humanitaire par Israël.
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