L’universitaire, l’intellectuel et militant, Hacène Hirèche, vient de nous surprendre avec bonheur avec une publication, qui est un émerveillement, Slimane Azem, Blessures et résiliences chez les éditions l’Harmatan.
Qui mieux que Hacène Hirèche pour écrire sur le légendaire Slimane Azem, ce poète, chanteur, visionnaire, génial, qui a marqué le vingtième siècle par sa verve poétique et son engagement artistique. Slimane Azem disait haut et fort ce que le peuple pensait tout bas, que ce soit sous le joug du colonialisme français ou sous la dictature de l’Algérie indépendante, luttant toute sa vie pour une Algérie plurielle, démocratique, dans sa dimension amazighe, dans sa diversité culturelle et linguistique. Son engagement lui valut de mourir en exil loin de la terre des ancêtres qu’il aimait tant.
Le livre s’ouvre sur une citation du philosophe français Jacques Derrida, « Ce qu’on ne peut pas dire, il faut surtout pas le taire, mais l’écrire ». Cette citation résonne et donne comme une tonalité au livre.
La préface de l’universitaire Mokrane Gacem, perspicace et incisive, nous plonge dans le génie littéraire de Hacène Hirèche et l’univers captivant, de son livre, Slimane Azem, Blessures et résiliences, et s’offre à l’esprit du lecteur comme une offrande bienfaitrice qui nous transporte dans l’univers créateur de Slimane Azem. Mokrane Gacem nous donne le ton et la cadence de ce livre touchant et poignant.
Dès les premières pages nous sommes transportés vers ce passé qui n’est pas si lointain, da Slimane c’était hier, c’est aujourd’hui, tant il continue de vivre dans nos cœurs, dans le cœur de cette Kabylie tant aimée. Slimane Azem a su transfigurer les affres de l’exil, les injustices subies, pour magnifier un élan poétique jamais égalé.
Des livres écrits sur Slimane Azem celui-ci semble le plus complet, le plus documenté, le plus dense aussi dans son analyse subtile qui élève sa portée, qui rend ce livre, attachant, qui nous émeut et nous transporte à travers la vie à la fois tragique, torturée et fascinante de Slimane Azem. Un livre extraordinaire et passionnant, qui nous renseigne, nous éclaire, sur les interrogations, incompréhensions, incertitudes, l’arbitraire, l’injustice et la chape de plomb qui frappèrent le poète libre. Hacène Hirèche lève le voile, grâce à une recherche minutieuse sur la vie, l’itinéraire et le parcours du poète légendaire.
La société kabyle a fait sienne le verbe libre, source d’équilibre, d’harmonie avec la terre et le ciel, Slimane Azem en était le porte-parole pendant plus d’un demi-siècle. Si, Si Mohand Ou Mhand marqua la deuxième moitié du 19ème siècle, Slimane Azem marqua lui, la deuxième moitié du 20ème siècle.
Slimane Azem comme Si Mohand Ou Mhand, est entré dans la légende de son vivant, et continue de faire rêver des générations grâce à ses compositions de génie qui demeurent intemporelles. Son œuvre rayonne au-delà des frontières, plus le temps passe plus on redécouvre la portée exceptionnelle de son génie créateur.
Ce livre de Hacène Hirèche sur le légendaire Slimane Azem, finement écrit, émouvant, captivant, est un baume pour le cœur et l’intellect.
Andrée et Jean Billard, peu après leur mariage en septembre 1957.Photo de la famille
Jean Billard, le mari d’Andrée dite "Deddie", a ouvert pour La Dépêche la correspondance entretenue avec elle pendant sa période militaire à la Guerre d’Algérie de décembre 1956 à octobre 1958.
Son père a été le premier à l’appeler Deddie. Andrée Billard, née Piot, est née le 25 octobre 1932. En février 1955 elle travaille aux PTT, elle y rencontre Jean Billard lors des Amitiés Postières à Bad Aussée en Autriche. Ils ont le béguin, et peu après dans la salle obscure d’un cinéma, …, leur idylle commence. Mais le 10 mai 1956, Jean est appelé au service militaire. Le 18 décembre il embarque pour l’Algérie, là-bas c’est la guerre. Jean a voulu partager un peu de cette période, non pas vue depuis l’Algérie, mais à partir des lettres envoyées par Deddie.
1 170 lettres échangées entre Deddie et Jean
Dès les premières lettres de Deddie surgissent le cafard, les larmes, l’attente des lettres de Jean. Celles-ci arrivent dans le désordre, des fois rien, des fois 3 ou 4 en même temps. L’inquiétude est permanente car les informations à la TSF sont en décalé par rapport aux nouvelles de Jean. Chrétiens tous deux, les doutes et la colère contre la guerre surgissent, "on ne fait pas un homme pour qu’il se batte". En avril et mai 1957, en réponse aux interrogations de Jean, elle lui donne raison de ne pas s’en prendre aux civils quand un des leurs est tué. En plus de Témoignage Chrétien et Le Monde qu’elle poste régulièrement, elle fait part des divergences d’opinions sur la guerre dans son entourage au travail ou avec les copains.
Un mariage préparé par correspondance
Deddie et Jean décident de se marier car une permission se dessine pour trois semaines en septembre. Deddie doit tout planifier et choisir, elle assure le lien entre les deux familles. Elle s’en veut de ne pas être avec Jean. De plus elle doit gérer un petit budget mais essaie de ne pas trop se plaindre vis-à-vis de ce qu’il endure. Ses rêves sont agités : départ en opération militaire, permission annulée, robe de mariée jamais prête. La permission arrive, ils se marient le 21 septembre 1957, mais dès le 7 octobre, Jean repart.
Encore une année de séparation avant le retour de Jean
La guerre se durcit et la vie à Paris est dangereuse. Deddie est anxieuse, le 27 octobre "où es-tu maintenant ?", le 17 février 1958 "je suis polarisée sur ton retour". Au travail il est interdit de parler des évènements. Ils sont syndiqués et les questions politiques, le référendum à venir, s’invitent dans leur correspondance. Grèves, fusillades, attentats terroristes, incendies émaillent son quotidien. "Je vis comme une automate", "maintenant je ne crois plus à ton retour". Et si Deddie en a "marre jusqu’au fond de moi", sa foi et l’amour restent les plus forts. Vers août un retour est envisagé pour le 15 octobre. Cette fois c’est la bonne, Jean rentre. Le 7 octobre leur vie de couple commence vraiment, elle durera 65 ans.
Décédée il y a un peu plus d’un an, Deddie aurait eu 90 ans ce 25 octobre. Un témoignage rare et intime que Jean nous livre comme un hommage à sa femme et celles qui ont tant attendu le retour du bien aimé.
Dans son nouvel essai, l’écrivain et poète Jean-Luc Yacine, veut remettre l’église au milieu du village pour évoquer le point de vue des colonisés et des autres, dont le philosophe Jean-Paul Sartre.
Jean-Luc Yacine, écrivain, essayiste.
« Jean Paul Sartre, un homme engagé pour l’indépendance de l’Algérie et contre la torture ». Voilà pour le titre de cet essai publié aux éditions Rahma. Mais pourquoi Jean-Luc Yacine a-t-il tenu à remettre les pendules à l’heure sur un sujet si lointain ?
« Jean Paul Sartre, un homme engagé pour l’indépendance de l’Algérie et contre la torture ». Voilà pour le titre de cet essai publié aux éditions Rahma. Mais pourquoi Jean-Luc Yacine a-t-il tenu à remettre les pendules à l’heure sur un sujet si lointain ?
Un polémiste qui se fend de politique et se plaît à dire que la colonisation française aura été « une bénédiction », l’a forcément fait réagir. L’histoire n’est pas si vieille, et ravive bien des douleurs : celles des colonisés algériens, spoliés de leurs terres, mal assimilés, « pacifiés » par les militaires, comme celles des appelés du contingent, noyés malgré eux dans le maquis d’où naîtra l’idée d’une Algérie indépendante. Il faut relire Jean-Paul Sartre qui ne se sera pas trompé d’histoire en dénonçant la torture. L’histoire est cruelle et Jean-Luc Yacine, sensible à « tout ce qui peut affaiblir l’humanité », offre une piqûre de rappel sur un sujet souvent survolé voire éludé chez nous. Les harkis, les pieds-noirs mélancoliques, les anciens de l’OAS, voilà des milieux où l’Algérie suscite encore bien des clivages.
« Jean-Paul Sartre, je l’ai rencontré boulevard Saint-Michel avec mon père. J’avais onze ans. Adolescent, à Verderone chez la poètesse Anne-Marie Casalis, j’ai été invité à une soirée. J’étais un jeune poète. Il y avait Piccoli, Juliette Gréco, Sartre et Simone de Beauvoir. Leur gentillesse m’a touché », dit Yacine. « J’ai lu tout Sartre, forcément ». « Aujourd’hui les Algériens évoquent la "Vraie France", celle que leurs parents ont connue ici, pas celle que leurs pères ont connue chez eux. Pourquoi ne pas être capable d’avoir une histoire commune ? » C’est l’objet de cet essai, avec lequel Yacine nous livre une synthèse de cette vérité.
« Jean-Paul Sartre, un homme engagé pour l’indépendance de l’Algérie et contre la torture » Éd. Rahma 12,90 €, 86 pages.
Notre histoire ne manque pas de dates glorieuses, de pages épiques écrites dans le sang, pour la reconquête de son indépendance nationale et l’édification d’un Etat démocratique moderne. Mais la mémoire vive de notre guerre de libération ne saurait être réduite à une simple succession de batailles, aussi glorieuses fussent-elles.
Les objectifs étaient de doter le mouvement insurrectionnel d’une direction politique en phase avec le développement de la guerre anticoloniale afin d’établir et de mettre en place les institutions quasi importantes, tels que le Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), et le Comité de Coordination et d’Exécution (CCE).
Sur le terrain militaire, la guérilla s’étend inexorablement tandis que les unités de l’armée de libération nationale infligent à l’armée coloniale françaises ses premières défaites. L’histoire retiendra une période de flottement entre 1954 et 1956, il n’y avait aucune direction politique. A la veille de ce congrès qui se déroulera le 20 août 1956, deux hommes formidables et géniaux que la Révolution va découvrir sont Abane et Ben Mhidi. Le premier réintégrera la lutte en février 1955 après avoir purgé cinq années de détention dans les prisons françaises de 1950 à 1955. Les antagonistes venant de tous bords n’ont malheureusement retenu que les deux principes posés dans cette plate-forme : la primauté du politique sur le militaire, et la primauté de l’intérieur sur l’extérieur. En définitif, le congrès de la Soummam fut l’acte fondateur de la République algérienne post-coloniale.
Qui est Abane Ramdane ?
Abane naquit le 15 juin 1920 à Azouza en Kabylie. Après des études primaires dans sa région natale, il entra au lycée de Blida où il fit la connaissance de Benyoucef Benkhedda et Saâd dahlab. Il se distinguera en qualité de major de promotion et décrochera en 1943 le baccalauréat mathématiques mention ‘très bien’ au sein de cet établissement, puis accomplira son service militaire. A l’issue de sa démobilisation, il se fera recruter comme secrétaire adjoint à la mairie de Châteaudun-du-Rhumel (Chelghoum El-Aïd), non loin de Constantine. En 1946, il adhéra au PPA dont il deviendra vite un élément actif dans la région de Sétif. Lors du démantèlement de l’OS en 1950, il fut arrêté avec 28 autres prévenus au motif d’avoir ordonné à des militants de Tazmalt d’organiser et d’instruire des groupes de combat. Abane fut condamné le 15 février 1951 à 5 ans de prison dans le nord de la France en Alsace où il passera tout son temps à la lecture. Il sera libéré en février 1955 et placé en résidence surveillée dans son village natale sur le Djurdjura.
L’installation de l’état de guerre
On verra en effet, comment sera mis en place du 20 au 27 août 1956, dans le maquis de Kabylie, un commandement suprême de la lutte de libération avec pour mission de mener une action unificatrice.
Dès son entrée en scène mars 1955, Abane se préoccupa au plus haut point de la constitution effective du FLN en tant que mouvement politique capable de prendre efficacement le relai des partis de l’époque prérévolutionnaire et de les supplanter. Pour lui, l’ALN s’étant constituée sur le terrain dès le 1er novembre 1954, à l’initiative du ‘comité des six’, avait poursuivi son développement progressif sous la houlette des chefs de zone.
Dès le 1er avril1955, Abane commença à s’exprimer au nom du FLN/ALN en lançant son appel dans lequel il invitait tous les Algériens à adhérer massivement au Front.
Contrairement à Ben Bella et ses compagnons qui voulaient que le FLN reste dirigé uniquement sous la houlette des artisans du 1er Novembre. Ils reprochèrent à Abane d’avoir intégré les centralistes, les Udmistes, les Ulèmas et les communistes. Abane voyait et croyait clairement que la guerre de libération était l’œuvre de tous les Algériens, même les Français d’Algérie.
Les préparatifs du congrès et la correspondance entre Alger et le Caire
Abane entreprit de faire avec un grand esprit d’initiative, à partir du 1er avril 1955 par un travail préparatoire dont les idées directrices nous sont restituées à travers deux tracts (avril et juin 1955) ainsi que neuf correspondances adressées à la délégation extérieure entre le 20 septembre 1955 et le 14 mai 1956. Six mois après son installation à Alger, en septembre 1955, il entra en contact épistolaire avec la délégation du Caire. En effet, dans une lettre datée du 20 septembre de la même année, il écrit : « Il serait souhaitable qu’à l’avenir s’établissent entre nous une correspondance suivie.
Dorénavant, vous adresserez votre courrier à l’adresse suivante : Fredy Mezidi, 8, rue d’Argent, Bruxelles. Cette personne nous fera parvenir votre correspondance. Par le ton de cette première lettre, Abane s’imposait en qualité de chef à l’intérieur en inscrivant sa démarche dans une logique de commandement en écrivant : « Nous ne comprenons pas votre silence. Je peux vous affirmez une chose, tout le monde, en l’occurrence, les chefs des groupes armés sont tous mécontents ». Ils ne cessent de nous répéter : « si ces gens-là de la délégation du Caire sont incapables d’être utiles à la cause, qu’ils rentrent au moins mourir avec nous. Depuis dix mois, vous n’avez pas été fichus d’envoyer un seul lot d’armes et de munitions ».
Le 6 janvier 1956, Abane adresse une autre lettre au Caire disant que nous sommes en train d’élaborer une plate-forme politique. La commission est composée de Med Lebjaoui, Amar Ouzegane, A. Temam et A. Chentouf qui travaillent sous notre direction.
Nous vous informons que nous sommes déjà en liaison avec les responsables du Constantinois car nous projetons de tenir quelque part en Algérie une réunion très importante des chefs militaires des Aurès, du Constantinois, de Kabylie, de l’Algérois et de l’Oranie. Par conséquent, vous devez vous préparer à rentrer afin d’assister à ce congrès. Il rappellera que le FLN était devenu un parti intégrant non seulement tous les Algériens mais surtout tous les partis politiques.
Le FLN, n’est ni le PPA, ni le MTLD et encore moins le CRUA ». Entre temps, le 6 mai 1956, Ben M’hidi est de retour d’Egypte pour ne pas dire qu’il avait claqué la porte du Caire. Il décide de rejoindre Abane à Alger, dont le duo politique allait faire de la capitale de la colonie un puissant centre de rayonnement de l’action du FLN. Ben M’hidi, l’un des six chefs du 1er novembre, s’était tout de suite entendu avec Abane. Ils se complétaient à tel point qu’ils devinrent un duo formidable qui allait impulser un élan extraordinaire au déroulement des évènements majeurs de la guerre de libération.
Ben Bella écrira: « Nous trouvons dangereux de venir en Algérie et de traverser la moitié du territoire pour assister à ce congrès ».Le 11 juin 1956, le CCE adresse sa réponse à Ben Bella en stipulant clairement ses impressions: « non seulement vous aviez été incapables d’envoyer des armes et des munitions et d’ailleurs à cause de vous, beaucoup de régions ont arrêté de combattre par manque d’arsenal mais en plus vous trouvez que c’est dangereux de rentrer en Algérie.
Il poursuit « au fait, pourquoi vous êtes allés vous réfugier si loin que ca, au Caire ? » « Je pense que si vous étiez allés juste là à côté, à Tunis, vous auriez été à l’abri… » Silence radio de la part du Caire. .Le CCE ne manquera pas de les traiter de ‘Révolutionnaires de Palaces’. Par contre, le colonel Sadek, les surnommera ‘les Mulets du Caire’.Abane portera une légère modification en souriant, « voyons mon colonel, j’écrirai plutôt ‘Les Zèbres du Caire’, c’est plus raffiné… ».
Certes, Ben M’hidi ne manquera pas d’informer Abane qu’il était rentré plusieurs fois en conflit avec Ben Bella au Caire qui croyait être le grand Zaïm de la Révolution, mais en plus, il était devenu la marionnette du président égyptien Gamal Abdennasser et de fethy Dib responsable des Moukhabaret (Services égyptiens). Cela pouvait supposer croire que tout le courrier envoyé au Caire par l’intérieur, était d’office remis aux Egyptiens qui avaient noué de très bonnes relations avec la France depuis que celle-ci avait fait une proposition alléchante en matière d’approvisionnement en armement.
Effectivement, la France avait projeté de fournir à l’Egypte un arsenal militaire en cas de conflit avec Israël où la menace devenait imminente. Par voie de conséquence, Abane avait réalisé l’importance de ne pas divulguer trop d’informations inhérentes à la tenue du congrès, ni la date, ni le lieu ne devaient être mentionnés dans la correspondance avec la délégation extérieure. C’est justement à partir de là que les trois hommes de l’intérieur (le colonel Zighout, Abane et Ben M’hidi) prirent la décision de faire diversion en lançant de fausses informations compte tenu de l’importance de cette réunion qui allait inéluctablement réunir les principaux responsables.
Il faut rappeler toutefois que les trois hommes n’étaient pas à ce point naïf. Ils savaient pertinemment que l’Etat major de l’Armée française jubilait à l’idée de connaître la date et le lieu où devait se tenir ce fameux congrès afin de réaliser un joli coup de filet. En fait, Abane et Ben M’hidi avaient sollicité le colonel Sadek de son vrai nom Slimane Dehilès de sa grande expérience militaire durant la Seconde Guerre mondiale, de réfléchir comment orchestrer une diversion.
A l’issue de cette correspondance, le 11 juin 1956, Abane va définitivement rompre les relations avec le Caire et 10 jours plus tard, le 22 juin, il quittera Alger en compagnie de Ben Mhidi pour se rendre au PC du colonel Sadek dans la grande forêt de Zbarbar. Effectivement, les conceptions et les visions affichées de part et d’autre sur les questions de fond tels que la primauté du politique sur le militaire, la primauté de l’intérieur sur l’extérieur sans oublier l’omission des termes arabité et islamité dans les statuts de ce dit congrès, rendaient tout compromis difficile à réaliser.
Finalement, la crise de confiance entre Alger (Abane, Ben Mhidi) et le Caire (Ben Bella et les autres) était arrivée à son paroxysme. A cet égard, il semble que Abane et les responsables militaires de l’intérieur aient soupçonné l’Egypte de Gamel Abdenasser de vouloir placer, par le biais de Ben Bella, la Révolution algérienne sous tutelle égyptienne. Par conséquent, il n’hésitera pas un instant à s’en prendre à Gamel Abdenasser en adressant un message haut et fort via un tract : « la Révolution algérienne ne sera inféodée ni au Caire, ni à Moscou et encore moins à Washington ».
Une année après, Abane ne manquera pas de confier à Ferhat Abbas au Caire en 1957 concernant cette délégation en Egypte mais surtout les militaires de l’extérieur qui voulaient s’accaparer du pouvoir : « Ce sont tous des futurs dictateurs à l’image de tous les dirigeants du monde arabe. Ils s’imaginent avoir droit de vie ou de mort sur les populations qu’ils gouvernent.
Ils constitueront un danger quant à l’avenir de l’Algérie. Ils mèneront une politique personnelle contraire à l’unité nationale de la future nation algérienne. L’autorité qu’ils exercent ou qu’ils exerceront les rendent arrogants et méprisants envers leurs citoyens. De ce fait, par leur attitude, ils sont la négation de la liberté d’expression et de la démocratie que nous désirons instaurer dans cette future Algérie indépendante ».
Il poursuit : « L’Algérie n’est pas cet Orient arabe où pratiquement tous les régimes exercent un pouvoir dictatorial sans partage. Nous sauverons nos libertés contre vents et marées, même si nous devons y laisser notre peau. Il faut impérativement leur barrer le chemin au Pouvoir ». Telles étaient les consignes de Abane avant qu’il ne soit assassiné le 27 décembre 1957 au Maroc par le clan de l’extérieur.
Le départ de l’escorte pour la tenue du congrès
Le Colonel Sadek composa l’escorte d’une centaine d’hommes armés et quatre fusils mitrailleurs de protection. A l’aube du 13 juillet 1956, l’escorte démarra du PC de la wilaya 4 (l’Algérois) dans les monts forestiers de Zbarbar. Il prévoyait trois semaines de voyage pour gagner la région des Bibans à Tazmalt.
Des journées entières pour faire à pied les trois cent kilomètres à vol d’oiseau qui séparaient le PC de la wilaya 4 au point de rendez-vous avec les deux caravanes kabyle et constantinoise. Le ciel d’Algérie était sillonné par des avions de reconnaissance de type Piper C-109 de l’Armée de l’air française afin de repérer les moindres mouvements suspects qui pourraient dévoiler aux renseignements français le lieu de la tenue de ce congrès.
Le 13 juillet, près de Zbarbar, la caravane d’Alger qui comprenait le colonel Sadek, Abane, Ben M’Hidi, le colonel Ouamrane et Si Chérif le commandant Ali Mellah avec une escorte d’une centaine d’hommes armés jusqu’aux dents s’était fait accrocher par une garnison française.
Pour la première fois de leur vie, les deux chefs, Abane et Ben M’hidi allaient faire leur baptême de feu en assistant à une embuscade tenue par l’armée coloniale. Ils furent impressionnés par les échanges de tirs. Il n’y avait pas eu de casse. Le colonel Sadek se souviendra avoir dit en roulant les ‘R’ avec son accent kabyle : « On les a terrassés ces soldats de la garnison française avec un feu bien nourrit, a tel point qu’ils ont détalé comme des lièvres. Le calme revenu, il dira à Abane et Ben M’hidi : « à l’avenir, il serait préférable de vous mettre à l’abri si un autre accrochage devait survenir éventuellement ». Je suis responsable de votre acheminement sur le site du congrès ajoutera-t-il : « Il faut arriver entiers à la Soummam ! ».
Le 17 juillet, près de Bouïra, un nouvel accrochage. Le colonel Sadek dira : « Nous progressions normalement en file indienne, j’étais à l’arrière de celle-ci quand j’aperçus une drôle de pierre rectangulaire qui n’était qu’un transmetteur que j’avais connu pendant la Seconde guerre mondiale en tant que tirailleur algérien ayant débarqué à Monte Casino. Je demande aux soldats d’interpeler le colonel Ouamrane qui se trouvait en tête de file. Aussitôt arrivé, je lui montre la fameuse brique en lui disant c’est un poste émetteur appartenant sûrement à un poste militaire français qui ne devrait pas être très loin d’ici. Le colonel Ouamrane ne prenant pas très au sérieux cet engin qui jonchait le sol, ordonne à la file de poursuivre la marche.
Le colonel Sadek lui dira : « Ah bon, tu ne veux pas me croire ! », Il donnera un coup de pied à celle-ci en avertissant ses hommes de se préparer au combat. Quelques centaines de mètres parcourus, ils entendront la voix d’un soldat français avec l’accent marseillais ‘ Halte-là ‘…Aussitôt le colonel ordonne à ses soldats : « 90 ° sur la droite. Feu à volonté et tirs à feu croisé », Encore une fois dira-t-il : «On leur a donné une tannée ». Le colonel Ouamrane recevra une balle dans le mollet.
Le lendemain matin à l’aube, le convoi reprit sa progression après avoir partagé un café bien chaud avec de la galette. Deux jours plus tard, au douar Beni-Mélikèche, dans la région de Tazmalt, la caravane algéroise fit sa jonction avec celle des Kabyles : Krim Belkacem, le colonel Amirouche et Mohammedi Saïd.
Dans la nuit du 22 juillet, les deux caravanes comptaient maintenant deux cents hommes. Lors du passage de la ligne de chemin de fer Bouïra-Bougie, les chefs F.L.N. tombèrent sur une autre embuscade de routine tendue par des rappelés. Le mulet qui transportait quelques documents inhérents au congrès de la région s’était détaché du convoi et de panique s’était rendu à une caserne coloniale à Tazmalt, apportant à domicile aux services de renseignements français l’annonce d’une conférence dès plus importantes, la date fixée au 30 juillet (la deuxième fausse information), toute la documentation nécessaire à l’établissement d’une plate-forme politico-militaire de la plus haute importance, seul le lieu de la rencontre manquait.
Mon père s’en est souvenu de son vivant bien après l’indépendance, que les documents authentiques et confidentiels qui contenaient la plate-forme étaient au nombre de 30 pages réparties à parts égales dans les deux poches intérieures de chacun des deux hommes, Abane et Ben M’hidi. Il affirmera qu’il était le seul à le savoir, car ces deux derniers lui faisaient confiance, dès lors qu’il était devenu leur conseiller militaire, mais surtout le fidèle ami de Abane.
Le 2 août 1956, les Constantinois faisaient leur jonction avec les Algérois et les Kabyles. C’était vraisemblablement pour eux, le plus beau jour depuis le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre. Ils s’étaient tous enfin rencontrés…
Les travaux commencèrent le 20 août 1956 et prirent fin le 5 septembre la plate-forme de la Soummam était fin prête et adoptée à l’unanimité et son contenu sera publié dans le journal El-Moudjahid le 1er novembre de la même année.
Les arguments avancés par les opposants de l’extérieur aux décisions du congrès de la Soummam
1-L’argument de la laïcité
La délégation du Caire, Ben Bella et ses pairs avaient reproché aux congressistes de ne pas avoir porté dans les textes de la plateforme les mentions arabité et islamité. La réponse de Abane fut la suivante : « La guerre que nous menons contre le colonialisme, n’est pas une guerre de religion mais plutôt une guerre de libération. Nous n’avons pas à mettre en avant le culte et encore moins l’identité raciale mais plutôt un projet de société démocratique et laïque qui drainera toutes les élites et les forces vives de la future nation. Ce sont les fondements propres d’un Etat démocratique.
2-L’argument à la primauté du politique sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur
L’autre argument mis en exergue par les adversaires des résolutions de la Soummam relatif à la question de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur posée comme principe devant régir les rapports du futur gouvernement. La réponse apportée par l’intérieur fut la suivante : «Dans un régime démocratique et laïque comme il est constaté dans les sociétés modernes, c’est le pouvoir politique qui commande l’institution militaire et non l’inverse qui ne serait alors qu’une dictature militaire.
Le retour du boomerang
Comment ne pas saluer aujourd’hui en ce soixante sixième anniversaire du 20 août 1956 la mémoire de ce formidable intellectuel militant que fut Abane Ramdane avec cet autre génial militant Larbi Ben M’hidi présent sur tous les plans, qui avaient réussi à faire du FLN un puissant centre de rayonnement politique et militaire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Notre guerre de libération nationale a été menée par des femmes et des hommes que l’élan libérateur portait le plus souvent à un haut niveau d’élévation morale.
Il aura fallu attendre la révolution du 22 février 2019, pour que le peuple algérien, allant à contre-courant d’élites aliénées ou clientélisées par le pouvoir depuis l’indépendance, se réapproprie le message solennel de la Soummam à travers des slogans qui ne souffrent d’aucune ambiguïté quant à la nature des contraintes qui bloquent la perspective démocratique en Algérie et les solutions que celle-ci appelle.
Les mots d’ordre les plus fréquents, les plus pérennes et surtout les plus répandus dans la rue à travers tout le territoire nationale, sont des concentrés de la plate-forme de la Soummam.
La foule ne cessera de scander haut et fort : Un Etat civil et non militaire, la République algérienne n’est pas une caserne, pour une Algérie démocratique et sociale. Tels étaient les slogans qui rythmaient les marches rassemblant les millions de citoyens qui s’étaient désormais accaparés de la rue chaque vendredi pendant plus d’une année.
Le Hirak, une révolution inédite dans le tiers-monde qui a réussi à mobiliser une année durant les citoyens dans une détermination et une solidarité sans faille et qui d’ailleurs impressionna non seulement tout le peuple algérien mais surtout la scène politique internationale. C’était un miracle dans un pays construit dans l’opacité et la violence depuis l’émergence du pole militaro-populiste qui s’était imposé au Caire en 1957 par la force et qui nous a menés à la situation politique actuelle.
L’insurrection citoyenne avait dévoilé des ressources insoupçonnées. Manifestations pacifiques, présence massive de jeunes; des femmes et des hommes revendiquant une Algérie libre et démocratique en portant le portrait de Abane et de Ben M’hidi.
Il est clair que le régime algérien a eu chaud, ce même régime qui ambitionne de noyer le récit du mouvement national dans l’arabo-islamo conservatisme issu du courant de Djemyat El-Oulémas, cette nouvelle mouvance Badissiya-novembaria fraîchement parachutée je ne sais d’où depuis la destitution du gouvernement du président Bouteflika, n’avait pas hésité d’actionner un de ses activistes baâthistes véreux à M’sila pour jeter l’opprobre sur le congrès de la Soummam dont les valeurs et les principes fondamentaux furent l’apanage et l’ossature de l’insurrection du mouvement citoyen du 22 février 2019.
Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, l’histoire du mouvement nationaliste aura retenu que le cheikh Abdelhamid Ben Badis et ses Oulémas avaient été sceptiques quant à l’émergence d’un mouvement populaire insurrectionnel car à l’époque, ils affirmaient clairement que le peuple algérien était inculte et ignorant pour se libérer du colonialisme. L’ironie du sort est que ce même Abane qui les a sauvés en les encourageant en 1955 à adhérer au Front de libération, fait l’objet d’attaques véhémentes de la part de leurs militants qui continuent de le traîner dans la boue.
En d’autres termes, Il leur avait épargné une condamnation à l’unanimité dans la postérité pour ne pas avoir voulu se joindre à la lutte. On peut clairement conclure que soixante six ans après, la vision politique prônée par le congrès du 20 août 1956 est toujours d’actualité.
I began writing this blog post looking back on all the good things about our three years in Algeria as Adam and I were minutes into our departure flight. Our plane — which, in addition to holding us and five large suitcases, also carried Gus and Boj, both of whom are really starting to showing their age — had just soared over the minaret (the tallest in Africa) of the Algiers mosque, which “opened” early in our stay, but somehow never really opened. We were leaving for America, where we haven’t really lived since we got married and moved to Yemen back in 2012. The past several difficult weeks in Algiers were still fresh in my mind: Me having a never-ending cold (allegedly not COVID, but I think it might have been, again), Adam being away in Ireland at an ultimate frisbee tournament for nearly two weeks, me packing up our beautiful Algiers house alone, finishing up work, saying goodbye to friends at nighttime parties and nursing the hangovers that resulted from those goodbyes, scrambling to throw an “Embassy Community Center Reveal” in the space I’d been designing for the past seven months. Those weeks were stressful and a little sad and culminated in several days spent with Adam in a nearly totally empty, echo-filled, filthy-from-packing house, sleeping on an embassy bed and sharing the single bath towel we’d left behind. So I was ready to get on the plane and fly on to the next part of life.
And now here I am in Princeton, New Jersey, putting final touches on this blog post in a coffee shop. An honest to goodness American coffee shop. I’m thrilled to be here and feeling like the cornucopia of American delights and conveniences are mine for the sampling. More on this soon! But for now, Algeria was a really great place to live for three years. I liked it much more more than I expected to. Here’s what I’ll miss the most:
The Grocery Shopping: Even as I fantasize about my first grocery trip back in America and what I’ll buy – Brussels sprouts, sweet potatoes, pre-washed bagged lettuce, coconut water – I know I’ll remember fondly for the rest of my life how I grocery shopped in Algeria.
Back when we arrived in 2019, how we’d feed ourselves was at first confounding. Not only were there seemingly no good restaurants, but the grocery stores appeared poorly-stocked and tiny. Our embassy organized a trip to a large grocery store and I was shocked at how big the store was in comparison to how little variety there was. There was an entire aisle of just one brand of bar soap! And the brand was ISIS. The produce section was pitiful. I had an Instagram post from July of 2019 that asked “Where are all the vegetables in Algeria?”
It took me a few weeks, but I realized all the vegetables are at Premier Mai, the huge everyday indoor/outdoor market housed in a giant Soviet-style concrete structure painted with in multi-color pastels. But for most Algiers folks, the produce is actually at the many small fruit and vegetable stores located every few blocks. And the quality is top-notch, the selection seasonal. Peach and nectarines season is resplendent, when the cherries come, boy to they come. The plump figs are a sight to behold for about three weeks. As almost everything is local, the variety is not huge but it’s sufficient for someone who loves to cook to make almost anything, or at least discover apt substitutes. (Did you know that purple cabbage, sautéd in butter and miso, finished with a little maple syrup, tastes almost exactly the same as the maple-miso Brussels sprouts I make when in the U.S.? Also: carrots, when roasted until nearly caramelized, very closely resemble a sweet potato fry in both appearance and taste). The guys at my vegetable stand came to know me well, and like me well enough, especially after I brought Adam and he spoke to them in Arabic. They were always throwing in a few treats – some plums, some oranges, some dates – probably mostly because I had to have been their best customer, regularly paying upwards of $20 for a few imported avocados.
It wasn’t long before I discovered that grocery shopping in Algeria requires about three or four stops to get all your things. My standard route was the fruit and veg stand, then to Presque Isle Poissonerie where I’d buy a few filets of cod (if they had it), tuna, shrimp, swordfish chunks, sometimes a few pre-rolled shrimp bourek that I’d fry up later. Then, to Le Fournée Gourmond, the best boulangerie in Algiers where I’d get three rustic baguettes (a paltry number compared to how many baguettes Algerians buy in one go) and sometimes a few tiny molten lava cakes. Then, to the Superette Chetaouni, which is like a much smaller and less orderly American grocery store. It’s notoriously difficult to ship things in to Algeria — there are delays and there are rules on what one can ship (for instance, it’s currently against the law for importers to import certain things that are produced in Algeria already). So, much of what one can purchase at a superette arrived in Algeria via a suitcase. It’s not uncommon for Algerians arriving from trips abroad – from France and Spain, for instance – to be waiting at the baggage claim to collect their five, six, seven suitcases, bursting at the seams, from the belt. That means you might see a product in a grocery store one week and then not again for several months, and this was all exacerbated during COVID. But it also makes shopping at the Algerian superette rather exciting as you never know what you’ll find. (I’m such an optimist, aren’t I?). A few weeks ago, there was Schwepps ginger beer with chili and lime and I snapped up up a four-pack, and sometimes there is even feta cheese. The superette is also where I made some trial-and-error discoveries like that the local brand of creme fraiche is an apt stand-in for sour cream, the Algerian Ben Amour pasta is every bit as good as the pricier Barilla, and the red wax wrapped Holland-A brick of cheddar cheese is pretty good. (And I love me some cheddar cheese).
I could write entire blog posts on grocery stores in foreign countries (and I have! Several times!) but one final grocery shopping observation: In three years in Algeria, I never once witnessed an ornery or rude encounter in the shops. I never heard anyone say “Hey, I was in line!” or yell at a shopkeeper, or complain about a product not being in stock. In fact, people are so pleasant when shopping that I often think about Americans pushing their carts through big grocery stores, stressed, or pissed off, or reacting to toddlers throwing tantrums. It’s not like that in Algeria. I don’t want to pretend it’s Pleasantville or anything. There’s very limited parking, nowhere to bag your groceries, the stores are not accessible to people with disabilities, and the overuse of plastic would astonish you. But grocery shopping in Algeria actually is quite pleasant and I’ll miss it.
Youyous: There is a joyous sound of female celebration in Algeria (and in a number of Middle Eastern countries) that I think everyone should know about. It’s called the youyou and it goes like this: Women do a continuous trilling of “you-you-you-you-you-you-you-you” often with one hand cupped on the upper part of the lips and it ends with a high-pitched “you-eeeeeeeeeeeee.” It’s dramatic and uproarious and I just have an enormous smile every time I hear it. It’s a sound of celebration and kind of a “you go girl” so it’s done during weddings, graduations, and you’d do it any time someone, often another female, is accomplishing something. At an embassy awards ceremony a few weeks ago, there were a few youyous (including one when I won an award!) Every Algerian woman is capable of a youyou that is astounding in both its range and length, but my favorite youyouer is my friend Selma. Not only is Selma a total champion of other Algerians and so she often celebrates people, sometimes by youyouing, but she’s also got a great voice and is a skilled linguist in Arabic, French, and English. I asked her to record a youyou when we were in a ravine, cliffs rising on either side, in the Algerian Sahara desert, just so I could post it on this blog, but I cannot find the audio file! I’m sorry to deprive the wider world of Selma’s youyou, but perhaps it’s for the best, because the youyou is such an organic sound of celebration that I get the feeling you’re not supposed to ask your Algerian friends to do it on cue.
I know there were at least a few youyous unleashed at this June party on our Algiers patio.
Kind, Open, Calm People: Every diplomat says the best part of wherever they’re living is “the people” but I swear I mean it about Algeria. Right away, Algerians invited us to dinner and they meant it. A few months back, I was at my desk at the embassy when security called and told me that someone was at the front with my wallet. A look in my bag confirmed I was indeed walletless. My colleague Khaled, who is a social media guru who became a beloved celebrity in Algeria, followed me outside, saying “this could be good for a reel!” A young guy had found my wallet on the ground in the nearby neighborhood of Sidi Yahia and seen my vaccination card inside, which is stamped with U.S. Embassy logo. I thanked him and Khaled made us film a little video in which he explained the situation and I said how I wasn’t surprised because this is how Algerians are. (The video went a little viral and I was thereafter often recognized as the “girl who lost her wallet.”) A real highlight of my three years was getting to sit next to a dozen Algerian colleagues (when we weren’t working from home). Their openness and generosity with in sharing with me their time, stories, opinions, and knowledge about Algeria helped so much in my understanding of and appreciation for Algeria.
This same sort of calm and generous vibe is also what makes the driving — which, to an untrained eye appears frenzied and lawless — actually quite manageable. Yes, there are packed little streets, no stop lights, signs, functional crosswalks, or written rules on the roads of Algiers. But the constant foot patrol police presence coupled with nice people makes driving if not easy, then at least a lot easier than it looks. Having to back up my car into a little nook to let other cars pass about a million times in the past three years was manageable because it was a rare day where someone made a rude or impatient gesture. You just do this time-consuming dance of shimmying your vehicle into whatever nook you can find to let a car squeak by with a neutral expression on your face and a little wave or nod to the other driver at the end. Often a pedestrian will come out and help direct the squeak-by. Each conflict-free time I did this – like five times each day – I’d think how such an interaction in the U.S. could go — drivers would probably make terrible faces, hand motions like “Go, you idiot!”, and swear a few times. Maybe even get in fights.
Most profound for me though, and probably most surprising, is how warm and open Algerians are. Algeria, especially the city of Algiers, experienced terrible violence at the hands of Islamic extremists in the 1990s, a time Algerians refer to as the Dark Decade. I’ve heard stories of a friend narrowly escaping being shot on the street. His childhood friend died. Women, intellectuals, artists were shot point-blank in the streets, one in the halls of the fine arts college. I figured that such a scary and sad past, from not too long ago, would have lingering effects of making the everyday Algerian closed, hesitant to talk to outsiders, not so willing to open up. But I’ve found the exact opposite to be true. One evening I was at a party in the home of an Algerian who owns a boutique. I’ll never forget eating Tipaza oysters in their backyard while they shared memories of going to clubs wearing whatever clothes they wanted as an act of resistance in the ’90s. Although I wasn’t cracking up along with them – I was more mouth agape, trying not to get stuck on French words I didn’t know – I recognized the way in which they told their side-splitting stories as way to process that oppressive and violent time.
I know family stories, embarrassments, achievements, fears, goals, cultural values, and more from many Algerians, and I feel so honored by that as someone who is interested in the interior lives of others and as a writer. Never before have we had so many local friends when we lived in a place: Certainly not Spain (where we never step foot in a Spanish person’s house), not Jerusalem, not Morocco. And it’s because Algerians are hospitable, generous, warm, and open. Algerian people are absolutely what I’ll miss the most about Algeria.
So those are the big three, but honorable mentions must go to our spacious, beautiful home; the excellent seafood in Algiers; the gorgeous colonial architecture of Centre Ville; the way Algiers – the White City – ascends from the Bay of Algiers; the many wonderful artists, musicians, designers, and creatives in Algeria who produce such beauty and are trying so hard to establish a thriving and professional cultural scene; the hilly little streets with dripping bougainvillea and wisteria; bathroom hoses; blue and grey stripped curtains hanging over balcony railings; Mount Chenoua rising from the Mediterranean Sea in Tipaza; crispy fried bourek; all the cats (so many cats!); handpainted tiles; the sweetness of Algerians being so close with their families (if they don’t live with their parents, they are speaking to their parents and siblings and maybe even cousins on the phone daily); the world class travel destination of Djanet; the gentle curves of the mosque domes, of the arched doorways, of the keyhole windows; monochromatic desert buildings; the languid daily calls to prayer.
Despite not living in Algeria any longer, I can’t quit it just yet. In the upcoming months, I’ll be doing blog posts on a few spots I traveled to included Constantine, the city of bridges; Ghardaia, home to an insular religious community and vintage rugs at low, low prices; Tlemcen, home to one of the world’s largest caves; and an incredible musical desert adventure of a lifetime in Taghit. And a post on how North African design has really influenced my own design aesthetic. And I’m already excited about writing Emily’s Guide to Algiers, with all my favorite shops, artisans, and things to eat. And, while I always prefer to focus on the positive, it’s also important to be to be honest and balanced, so there is a “What I Won’t Miss About Algeria” post in the works.
Sera-t-il « le plus grand général russe de tous les temps », selon le mot d’un ancien diplomate tunisien ? Le « général Hiver », avec son cortège de pluies, neiges et grands froids, aurait été par quatre fois dans l’histoire l’arme décisive de la Russie, puis de l’Union soviétique : contre les Mongols, les Suédois, les Français (sous Napoléon en 1812), et les Allemands (sous Hitler en 1941). Son rôle est discuté, mais qu’en sera-t-il cette fois, entre Russes et Ukrainiens, dans les mois qui viennent ?
Avant les glaces, la pluie est le cauchemar des militaires des deux bords : leurs engins, surtout les blindés, peuvent difficilement manœuvrer quand la « petite raspoutitsa », la « saison des mauvaises routes », se déclare à l’automne : une boue qui peut transformer les offensives ukrainiennes en calvaire : « Même avec les engins modernes du génie, c’est un phénomène compliqué à compenser », relève Thibault Fouillet, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). La « grande raspoutitsa » du printemps, à l’heure du dégel, peut être encore plus handicapante pour les manœuvres : en février et mars dernier, aux débuts de l’intervention russe, elle avait ralenti l’avancée des blindés et occasionné des pertes importantes.
En tout cas, la période sera celle d’un ralentissement général des opérations, qui ne fera les affaires ni des Ukrainiens, dont les offensives de ces dernières semaines pourraient marquer le pas, ni des Russes, contraints pour leur éventuelle retraite de miser sur les quelques axes manœuvrables mais donc facilement identifiables par l’ennemi. Entre les deux offensives de la boue, le gel, en durcissant les sols, redonnera de la mobilité aux soldats, mais compliquera la logistique, avec un surcroît de réparations, ravitaillement, chauffage…
Durant ces mois d’automne et d’hiver, l’ensemble de la population ukrainienne, visé ces deux dernières semaines par des frappes russes de missiles ou de drones dirigées contre les installations électriques ou indistinctement contre des immeubles, fera face à des difficultés d’éclairage, de communication, de chauffage, d’accès à l’eau, de ravitaillement et de transport. Le brusque changement de la stratégie russe à partir du 10 octobre — des bombardements quotidiens sur l’ensemble des villes d’Ukraine — a permis la destruction dès la première semaine de plus d’un tiers des centrales électriques du pays, avec des coupures de courant massives (1).
Coûte que coûte
Selon le responsable Europe de l’Est de la Banque mondiale, Arup Banerji, un quart de la population ukrainienne pourrait basculer dans la pauvreté d’ici la fin de l’année — une proportion qui doublerait d’ici la fin 2023 si le conflit perdure. D’après le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), l’Ukraine compte déjà sept millions de déplacés à l’intérieur du pays. Et Banerji prédit une autre vague de déplacements internes si les graves dommages au parc immobilier créés par les bombardements ne peuvent être réparés d’ici décembre ou janvier.
Faute de pouvoir inverser dans l’immédiat le rapport de force militaire, l’exécutif russe privilégie l’action psychologique et politique. Tout en ayant changé de ton ces dernières semaines, en ne cachant plus les « ratés » de « l’opération spéciale » en Ukraine et les « tensions » sur le terrain, la chaîne publique russe Rossiya 1 (« Russie 1 ») continue de laisser dire par ses débatteurs qu’il faut couper l’eau, affamer, mettre à genoux la population ukrainienne. La capacité de résilience de cette dernière sera mise à rude épreuve, alors que manqueront l’eau, les vivres, l’électricité, le carburant : jusqu’où iront l’esprit de sacrifice, le courage, l’unité — jusqu’ici spectaculaires — de la société civile ukrainienne ? Et ceux des soldats qui ont fait la preuve de leur habileté, de leur agilité, de leur adaptabilité, même s’ils ont largement profité de l’appui européen et americain ? « Pas de chauffage, pas d’électricité : nous savons faire en Ukraine, nous ferons l’effort », promet un conseiller militaire du président Zelensky.
Ces questions de résilience se posent bien sûr également du côté des militaires russes actuellement déployés en Ukraine, puis de ceux qui le seront dans les mois à venir, et de la population russe en général — en butte à la mobilisation de la jeunesse, à la fuite d’une partie des jeunes cadres, et à des restrictions économiques croissantes. Elles concernent moins le régime russe lui-même : « Les revers initiaux de l’armée russe n’ont fait que durcir la volonté du Kremlin de l’emporter coûte que coûte », écrivait l’ancien secrétaire d’État aux affaires européennes Pierre Lellouche (2).
Toujours plus
Mais elles peuvent jouer sur le moral des alliés de l’Ukraine. Le « général Hiver », sur lequel compte Vladimir Poutine, peut inciter l’opinion européenne, du fait de l’arrêt des livraisons de gaz russe, et du renchérissement général des coûts de pétrole, gaz, électricité, bois, etc., à exprimer chaque jour un peu plus sa fatigue à l’égard d’une guerre qui serait de moins en moins la sienne. Et donc à limiter l’aide en renseignements de plus en plus fournis, en entraînements de plus en plus larges, en équipements de plus en plus lourds, chers et offensifs — toujours plus ! — une aide qui place chaque jour davantage les Occidentaux dans la position de cobelligérants de fait.
Les dissonances de ces derniers jours entre États européens, à propos des stratégies d’approvisionnement en gaz et pétrole, s’ajoutant aux incertitudes politiques dans plusieurs pays phares du continent — Royaume-uni, Italie, et même France — ou aux dissensions plus anciennes (euro-hongroises, franco-britanniques, franco-allemandes, gréco-turques, etc.) montrent à quel point l’union qui paraissait de mise à l’heure de l’invasion et des premières vagues de sanctions contre la Russie, laisse maintenant place à un paysage plus contrasté.
Le régime de Moscou peut espérer que l’effet de ses propres sanctions contre les Occidentaux vienne plus rapidement à bout de leur résilience que l’effet des sanctions contre son propre pays (arrêt des livraisons de matériel sophistiqué, blocage des circuits bancaires, désinvestissement des grands groupes étrangers), alors que son isolement diplomatique est bien réel : 143 États ont adopté à l’ONU le 12 octobre une résolution condamnant l’invasion et les annexions russes (qui n’ont le soutien que de la Biélorussie, de la Syrie, de la Corée du nord et du Nicaragua). La Russie en est réduite à se reposer sur l’appui militaire de l’Iran. Et le chef de sa diplomatie, Sergueï Lavrov, affirme qu’il n’y « a aucun sens et aucune envie naturellement de garder la même présence dans les pays occidentaux », alors que « les pays du tiers-monde en Asie comme en Afrique, ont besoin au contraire d’une attention supplémentaire » (3).
Temps long
Depuis quelques semaines, la dynamique militaire est du côté ukrainien et les forces russes sont dans une position extrêmement délicate : « On assiste d’un côté à l’effondrement d’un système russe qui était encore sur le modèle soviétique, et de l’autre, à l’émergence d’un système agile qui s’inspire des modèles occidentaux et en partie américain », analysait le 5 octobre sur France info le général Jérôme Pellistrandi, directeur de la Revue de défense nationale. Le même invitait toutefois à la prudence : outre le rôle joué dans un sens ou l’autre par les conditions hivernales, les Russes gardent pour eux le nombre, le temps long, et la profondeur stratégique.
S’exprimant fin septembre dans le cadre des Journées stratégiques méditerranéennes à Toulon, le général français Vincent Breton, du Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations (CICDE), s’interrogeait sur les scénarios possibles à moyen terme, même s’il reconnaissait que les « pseudo-référendums » suivis d’annexions dans les régions de Kherson, Lougansk, Zaporijia, et Donetsk brouillent quelque peu les prévisions :
• Le scénario de l’enlisement : on pensait cette guerre courte, elle ne l’est pas. Avec l’hiver qui approche, on débouche sur un conflit gelé, avec des combats sporadiques (4) ; • ce peut être aussi l’adoption par Vladimir Poutine d’une feuille de route de type : « J’ai gagné mon opération spéciale, je vais maintenant consolider mes territoires annexés » ; • on ne peut exclure l’éventuel effondrement de l’un des deux belligérants, les Ukrainiens ou les Russes ; • ou même une révolution de palais à Moscou, faisant place soit à une équipe plus extrémiste que celle de M. Poutine, soit à des dirigeants cherchant à toute force une paix négociée (5) ; • on peut imaginer, dans le cadre d’une escalade mal maîtrisée, une extension du conflit à l’OTAN ; • et prévoir, de manière quasi certaine, le développement de crises périphériques ailleurs dans le monde, liées à l’inflation, aux pénuries dans l’énergie ou l’alimentaire découlant en partie de cette guerre : émeutes violentes, troubles sociaux dans les démocraties occidentales, ou sur l’arc de crise afro-méditerranéen.
Moral revigoré ?
La thèse d’un effondrement possible de l’armée russe reste discutée : certes elle a connu une suite de déconvenues, et reculé sous le coup des offensives ukrainiennes au nord-est et sud-est, depuis début septembre ; et, comme le confirment de nombreux indices, le moral des soldats russes est très bas. Mais il faudrait, pour enclencher une éventuelle débandade générale des forces expéditionnaires, qu’un objectif majeur comme Kherson — la première capitale régionale tombée aux mains des Russes au début de l’invasion — soit repris par les Ukrainiens avant l’hiver.
Sans préjuger de ce qu’il adviendra de cette région importante du sud dans les semaines à venir, la décision à la mi-octobre d’évacuer une partie de sa population — officiellement, pour permettre à l’armée russe d’organiser plus librement ses lignes de défense — est au moins le signe que les combats autour de cette ville seront une étape-clé du conflit. Les unités russes déployées dans cette région passaient pour être de meilleure qualité que les unités disposées plus au nord, selon Tornas Ries, de l’École supérieure de défense nationale de Stockholm, cité par l’Express.. Mais, selon d’autres sources, ces unités auraient été remplacées par une partie des recrues récentes –- signe peut-être que l’état-major russe ne souhaite pas « sacrifier » ses meilleures troupes dans un combat qui serait perdu d’avance.
En tout cas, le contingent expéditionnaire russe est en attente de nouveaux renforts dans les semaines ou mois à venir, suite aux campagnes de mobilisation lancées en septembre en Russie, et auprès de certains de ses obligés d’Asie centrale. En outre, l’efficacité des vagues quotidiennes de frappes de missiles et de drones ces dernières semaines sur des dizaines de villes, dans la foulée du renouvellement du commandement de « l’opération spéciale » (6), a sans doute revigoré le moral des militaires russes.
Sans la Crimée
L’effondrement d’une armée ukrainienne au bout de ses réserves, usée par ces huit premiers mois de guerre, manquant de combattants et de munitions, sur fond de pays exsangue, avec des réseaux de communication, transports, et ravitaillement désorganisés, certaines villes entièrement détruites, une agriculture dévastée, une population survivant difficilement, etc., est une hypothèse encore moins vraisemblable : outre le patriotisme, la rusticité, mais aussi l’inventivité des forces ukrainiennes, il est vraisemblable que leurs « parrains » américains et européens feraient tout pour leur éviter de perdre pied, en tout cas à court et moyen terme.
Il en est de même pour ce qui serait l’hypothèse ou le scénario d’une franche escalade : Poutine jouerait ainsi le tout pour le tout, décréterait la mobilisation générale quoi qu’il en coûte (impopularité, fuite de cadres, comme déjà on l’a vu avec la mobilisation partielle lancée en septembre), et déciderait de frapper fort et encore plus indistinctement, voire d’utiliser des armes nucléaires « de théâtre », pour obtenir un retournement rapide et décisif du rapport de forces.
Dans ce dernier cas, le retentissement serait énorme. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a prévenu — en marge d’une réunion le 13 octobre dernier des ministres de la défense de l’organisation — que l’utilisation d’armes nucléaires changerait fondamentalement la nature du conflit, et appellerait une vive réaction de l’Alliance. Il n’a pas manqué de signaler que le groupe des plans nucléaires de l’OTAN (auquel ne participe pas la France, au titre de l’autonomie de sa propre force de dissuasion) a tenu récemment une de ses réunions périodiques.
Plus probable, dans le cas où Kiev garderait l’initiative stratégique, serait le scénario d’une reconquête progressive par l’Ukraine du terrain perdu depuis février dernier, avec l’objectif d’une « victoire » l’an prochain : d’abord jusqu’au fleuve Dniepr, puis la région de Zaporijia, etc., mais sans toucher à la Crimée, que Poutine ne lâchera pas, comme le soutiennent la plupart des observateurs. La condition serait qu’Européens et Américains continuent de s’impliquer, et même accentuent leur effort, au risque de frôler les « lignes rouges » édictées par les Russes. Pour Moscou, dans ce cas, ce serait un double échec : un coup nul sur le plan territorial, et des coûts économiques et politiques colossaux.
Stratégie du chaos
Sur un mode plus soft, on pourrait se retrouver avec des positions qui se figent, des belligérants au bout de leur potentiel : le « général Hiver », le conflit gelé, d’éventuels pourparlers, et une lassitude générale — y compris et surtout celle des amis de la cause ukrainienne, qui pousseraient à un arrangement — voire à la mise à l’écart du bouillant « serviteur du peuple ». Avant d’en arriver là, un Poutine affaibli, à la tête d’un régime déconsidéré, pourrait se contenter d’un scénario de pourrissement : pas seulement une politique de soumission de l’Ukraine, mais une destruction méthodique de ses infrastructures, et en Europe une « stratégie du chaos » : la « guerre du gaz » ; la dénonciation de l’Occident, promu en grand méchant loup ; la « guerre informationnelle », etc.
Rien ne dit que Vladimir Poutine a renoncé à ses buts de guerre initiaux : mettre fin au « génocide » contre les populations russophones-philes ; « dénazifier » un régime jugé complaisant avec les ultranationalistes. Un récit qui « parlait à l’opinion russe », explique Céline Marangé, , de l’Institut de recherche de l’école militaire (IRSEM), participant aux Journées stratégiques méditerranéennes. Et qui avait l’avantage de renvoyer aux envoyeurs Occidentaux leur antienne sur la « responsabilité de protéger » (7).
Liste d’erreurs
Et « Après l’Ukraine ? », s’interrogeaient les participants aux Rencontres stratégiques de la Méditerranée (8) qui ont fait le compte de la série impressionnante d’erreurs d’appréciation commises notamment par l’exécutif russe durant ces premiers huit mois de guerre :
• on croyait d’abord cette guerre improbable, parce que non gagnable. Et pourtant, la Russie s’est engagée, a surestimé ses propres forces, la faiblesse ukrainienne, le manque de réaction occidentale, etc. ; • la guerre reste un affrontement des forces morales et des volontés : à ce jeu-là, c’est l’Ukraine qui gagne, en matière de cohésion, de mobilisation, d’unité ; • les forces morales des soldats russes ont été rongées par le mensonge systémique, l’absence de préparation psychologique, et le non-sens de cette guerre : une « opération spéciale » d’abord présentée comme une promenade de santé, ensuite des recrutements grassement payés ou plus ou moins forcés (jusqu’au sein des minorités ethniques, dans les prisons…), le recours aux miliciens de Wagner ou aux spadassins du tchétchène Kadyrov — pour ne rien dire des défaillances logistiques constatées tout au long de cette intervention ; • en face, les Ukrainiens qui ont fait corps, une armée qui a surpris par son agilité, son inventivité, sa capacité à se décentraliser, et qui semble avoir la confiance de l’opinion (9) ; • un président, Volodymyr Zelensky, resté sur place, à la tête d’institutions qui ne se sont pas effondrées, d’un État qui fonctionne, d’une administration territoriale, d’un effort de guerre soutenu par les municipalités.
Zelinsky superstar
Il faut ajouter à ce tableau une stratégie de « com » très efficace de Kiev, développée avec l’appui de cabinets occidentaux spécialisés, qui cible à la fois la population ukrainienne, les publics occidentaux, l’opinion russe, les dirigeants du monde entier, alors qu’à Moscou, on a recouru — au moins jusqu’à la fin septembre — aux mensonges outranciers, ou aux menaces pour faire peur (le recours aux armes nucléaires). Également : • une armée russe prise à contre-pied : beaucoup de pertes dans le commandement ; la difficulté à intégrer, armer, entraîner les centaines de milliers de mobilisés ; le départ à l’étranger de centaines de milliers de jeunes, pour y échapper ; • des annexions précipitées de régions réputées prorusses à l’est et au sud, alors même que l’armée russe devait abandonner certaines de ses positions ; • l’allié Alexandre Loukachenko, président de Biélorussie pas si coopératif que souhaité par Moscou ; l’Occident plus uni que prévu (avec huit trains de sanctions, un flot de matériel et d’assistance technique, etc.).
Dans un bunker
L’escalade russo-ukrainienne, dans laquelle sont embarqués depuis le début les Américains et Européens au service de leur allié de Kiev, remet au premier plan le débat sur les risques de la cobelligérance. L’engagement de l’Union européenne (UE) en tant qu’institution, a été confirmé ces derniers jours : au titre de la Facilité pour la paix — un fonds qui jusqu’ici avait surtout bénéficié à l’Union africaine ainsi qu’à des États du continent noir — une nouvelle tranche de 500 millions d’euros a été débloquée en marge d’un conseil des ministres des affaires étrangères réunis à Luxembourg le 17 octobre dernier, qui a également approuvé le cadre de la nouvelle mission de formation des forces armées ukrainiennes, l’EUMAM Ukraine, comme le relève B2, le site bruxellois indépendant qui suit jour après jour l’actualité diplomatique et sécuritaire européenne.
Bien que l’Ukraine ne soit pas encore membre de l’Union, son ministre des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, est intervenu à cette réunion depuis un bunker où il s’était réfugié, alors que son quartier à Kiev faisait l’objet d’attaques de drones : « C’est la première fois qu’on parlait avec un ministre réfugié dans un bunker », a raconté Josep Borrell, le haut représentant pour la politique étrangère de l’UE, pour qui « Poutine perd politiquement et moralement ».
L’OTAN, dont les ministres de la défense étaient réunis quelques jours plus tôt à Bruxelles, n’est pas directement engagée, avait rappelé son secrétaire général Jens Stoltenberg. Mais celui-ci a dénoncé à nouveau la « guerre d’agression sauvage » de la Russie, qui compense ses échecs sur le terrain militaire en recourant à une « rhétorique nucléaire irresponsable » (« reckless »), et à des frappes indiscriminées contre des civils et des infrastructures critiques. Ce qui, selon lui, constitue un tournant dans cette guerre.
L’Alliance, dont les principaux États-membres sont largement engagés dans l’assistance à l’armée ukrainienne, veut lui fournir à court terme des centaines d’équipements antidrones ; et l’aider, à plus long terme, à passer de ses équipements de l’ère soviétique à des matériels plus modernes… aux standards de l’OTAN.
Adam and I talked this week about how every Foreign Service Officer posted abroad is having a not normal tour and will forever look back at this time as say “Oh, that was my corona tour” as an excuse for why she didn’t see much of France/Kazakhstan/Nicaragua/Senegal, or wherever the posting is. No exception here in Algeria, only as you might gather by reading this blog, we can still get around, honestly more than most people are getting around in the U.S. Florida being the exception (oh, Florida, you’re always the exception). Over the course of the past year, sometimes restaurants have been open. Sometimes we went on walking tours in Algiers. Sometimes we went to museums, sometimes we went to beaches. But what we didn’t do – not since the epic weekend in the desert – was go to another city in the enormous country of Algeria. The airlines are sort of reopen, so we’re planning on taking advantage of our remaining year-and-a-half and seeing cities you might have heard of like Oran and Constantine, and also more of the Sahara Desert, inchallah, as they say. With the new variants of COVID-19 and still no vaccine for us, we’ll see how much travel we actually get to do.
But this blog post is to say we did get out recently for a weekend trip, to nearby Tipaza. Tipaza is the next state (called wilayas here) over from Algiers. It’s just an hour drive to reach some pretty roman ruins overlooking the Mediterranean, a mausoleum that looks like a rounded pyramid (which is reportedly the final resting place of Mark Antony and Cleopatra’s only daughter) and some nice beaches. Oh, and a little strip of rug, art, and antique shops with a few restaurants tucked in, like the excellent Romana, where we recently ordered fried calamari, thinking it was going to be the classic Italian-American version with a red sauce dipper, but instead got a sauteed, buttery, garlicky concoction that was a hundred times better. But the must-visit restaurant in Tipaza the the exemplary Le Dauphin, a grilled fish joint serving up super fresh prawns, swordfish and more. This is the place where I forsake my decades of pure vegetarianism and officially took the briny plunge into the world of pescatarianism. We had been to Tipaza a few times before, once on an embassy trip and another time with a group of friends. Here’s some pics from those 2019 and 2020 visits.
In mid-February, our Dutch friends (the fellow diplomats who are the life of the party, and the inspiration for our Sifnos vacation) planned a weekend at the Corne d’Or, a small resort in Tipaza that is rumored to have once been a Club Med, although I couldn’t find any confirmation of that. Corne d’Or’s lodgings are whitewashed concrete rounded buildings with Majorelle blue doors and lots of canary-yellow plastic furniture, courtesy of Algeria’s beloved soda pop, Hamoud.
Now, I’m not going to lie. We can’t exactly just get in our cars and cruise down the coast for a getaway. Us diplomats are required to file beaucoup paperwork to even do a little trip to the next state, and then we follow a police convoy. I’m sure some people would like flying through Algiers’ rush hour traffic tailing a police escort but I find it quite scary and was happy to have Adam drive while I mostly shut my eyes until we got on the highway a little outside of Algiers. First stop in Tipaza: the delicious Le Dauphin for a big fish dinner with lots of mostly European diplomat friends, old and new. Next up, we checked in to our room, which was basic but clean and not too tiny.
The next morning started what was really probably the nicest and most fun day I’ve had during my time in Algeria. A morning workout overlooking the Med, Adam and I renting a kayak from a little scuba/kayak/SUP shop on the hotel grounds, sitting on the beach (Adam uncharacteristically plunged in the rather freezing water. (I am still not supposed to be swimming or bathing after my surgery five weeks ago). And then a late afternoon BBQ. I had brought a couple of salads that I put out, others brought noshes and meat to grill, and our Norwegian friend went to the pier to buy loads of shrimp, sea bream, and baracuda and handed them to me to cook. I told him that, as a new fish eater, I’ve still only cooked fish maybe 10 times, but alas, I was appointed the fish grill master. As I was stuffing lemon slices and garlic into the body cavities of the fish, rubbing them down with salt and pepper, our Algerian friend told me that I’d changed his mind about Americans and food. “You’re making that like an Algerian!” he said. Previously, he had thought Americans were only interested in Big Macs and bags of chips, but I showed him Americans can cook. Lol, I’ve encountered this view a few times in Algeria, and I blame it on the proliferation of American fast food chains in many parts of the world. Although here in Algiers, the only American fast food is a newly-opened Pizza Hut. I consider it my food diplomacy mission to show the world that American food is so varied it almost defies explanation, and that it’s a wonderful cuisine, and that most of the Americans I know are interested in food. Also: What a sumptuous sensation to be sitting on the beach, peeling shrimp and washing it down with cold white wine, in the middle of February. Let us recall that a few weeks back, I was cross-country skiing in snowy Michigan.
We moved our diplomat party away from the family-friendly beach (we were getting looks, but people seemed more amused than annoyed with our loud, grilling presence) and went to a hotel room patio and someone pulled out a toddler-sized speaker and turned on the tunes. This is around the time when I came up with what I thought was a brilliant idea for our multi-national group: We should all pick a song that represents our country and then sing and dance to it for everyone. Adam and I would go first. I thought it would be reeeeeal funny to select the raunchiest song of the year (decade?) and act like it was a song that truly represented America and as we started dancing to that song for a crowd of people, most of whom we didn’t really know all that well, and I regretted my decision immediately and even more so the next day when I saw video of this crime against dancing/America/diplomacy. But the game went on to include a sexy salsa number from our Colombian friends, a Latvian ballad; a Spanish song performed by a family of five; an unclassified dance-along to the Macarena, some Journey, and the night ended with the Norwegian leading a Johnny Cash singalong on his guitar.
The next day. Well, the next day I didn’t feel so great, if you can imagine that. Adam and I forced a little walk, but couldn’t bring ourselves to do much else. After a stroll through the Tipaza shops, taking note that we really need to bring enough cash (credit cardless economy that this is) to buy an oil painting, because the variety and quality is really, really good, and buying a lumbar pillow made of an Algerian kilim, eating lunch at Romana (that calamari!), we were back on the road for the relatively short and easy drive back to Algiers.
I highly recommend Tipaza as a day trip, or as an overnight trip. It was great to see something new, and to have a little too much fun.
Le court-métrage "Les Larmes de la Seine" dissèque la répression policière sanglante de la manifestation d'Algériens en octobre 1961, qui a fait des dizaines, voire des centaines de morts.
Le film d'animation français "Les Larmes de la Seine" qui raconte l'histoire du massacre de manifestants algériens commis par la police à Paris, sous l'autorité du préfet Maurice Papon, le 17 octobre 1961, a été récompensé jeudi lors de la cérémonie des Oscars étudiants à Los Angeles.
Une "tragédie (...) longtemps tue, déniée ou occultée", avait estimé l'an dernier le président Emmanuel Macron, en reconnaissant des "crimes (...) inexcusables pour la République".
"Un événement trop méconnu en France"
Le film a raflé une médaille de bronze lors de la cérémonie. "Nous avons voulu faire ce film pour mettre la lumière sur un événement bien trop méconnu en France, alors qu'il fait partie de notre histoire", ont expliqué les réalisateurs, Yanis Belaid, Eliott Benard et Nicolas Mayeur, trois étudiants de l'école Pôle 3D de Roubaix. "Nous serions heureux que cela donne envie aux gens d'en découvrir davantage, et de montrer notre façon de voir l'avenir sans oublier ce qui s'est passé", ont-ils ajouté en recevant leur prix.
Le 17 octobre 1961, quelque 30 000 Algériens avaient manifesté pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qui leur était imposé, à l'appel du Front de libération nationale (FLN) qui réclamait l'indépendance de l'Algérie.
À l'occasion du 60e anniversaire du massacre l'an dernier, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois que "près de 12.000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine". Le bilan officiel ne dénombrait jusqu'à présent que trois victimes. Leur nombre est estimé par les historiens à au moins plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines.
Des anciens lauréats prestigieux
Les Oscars étudiants sont très suivis à Hollywood. Parmi les anciens lauréats figurent Spike Lee, Pete Docter (créateur de Monstres & Cie et Là-haut), Robert Zemeckis (réalisateur de Retour vers le futur), et Cary Fukunaga (réalisateur de Mourir peut attendre).
Les médailles d'or ont été décernées jeudi à des films traitant de sujets aussi variés que les voyages dans l'espace (Almost Home), les rêves lucides (Against Reality) et l'enlèvement d'un enfant (Found). Sur une note plus légère, An Ostrich Told Me the World Is Fake and I Think I Believe It a remporté le premier prix de l'animation.
Le souvenir du massacre des Algériens de 1961 à Paris, primé aux Oscars étudiants
«Nous avons voulu faire ce film pour mettre la lumière sur un événement bien trop méconnu en France, alors qu'il fait partie de notre histoire», ont expliqué les réalisateurs, Yanis Belaid, Eliott Benard et Nicolas Mayeur, trois étudiants de l'école Pôle 3D de Roubaix. Unifrance
Le court-métrage français dissèque la répression policière de la manifestation d'Algériens du 17 octobre 1961, qui a fait au moins une centaine de morts, sous l'autorité du préfet Maurice Papon.
Le film a raflé une médaille de bronze lors de la cérémonie. «Nous avons voulu faire ce film pour mettre la lumière sur un événement bien trop méconnu en France, alors qu'il fait partie de notre histoire», ont expliqué les réalisateurs, Yanis Belaid, Eliott Benard et Nicolas Mayeur, trois étudiants de l'école Pôle 3D de Roubaix. «Nous serions heureux que cela donne envie aux gens d'en découvrir davantage, et de montrer notre façon de voir l'avenir sans oublier ce qui s'est passé», ont-ils ajouté en recevant leur prix.
Le 17 octobre 1961, quelque 30.000 Algériens avaient manifesté pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qui leur était imposé, à l'appel du Front de libération nationale (FLN) qui réclamait l'indépendance de l'Algérie. À l'occasion du 60e anniversaire du massacre l'an dernier, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois que «près de 12.000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine». Le bilan officiel ne dénombrait jusqu'à présent que trois victimes. Leur nombre est estimé par les historiens à au moins plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines.
Les Oscars étudiants sont très suivis à Hollywood. Parmi les anciens lauréats figurent Spike Lee, Pete Docter (créateur de Monstres & Cie et Là-haut), Robert Zemeckis (réalisateur de Retour vers le futur), et Cary Fukunaga (réalisateur de Mourir peut attendre). Les médailles d'or ont été décernées jeudi à des films traitant de sujets aussi variés que les voyages dans l'espace (Almost Home), les rêves lucides (Against Reality) et l'enlèvement d'un enfant (Found). Sur une note plus légère, An Ostrich Told Me the World Is Fake and I Think I Believe It a remporté le premier prix de l'animation. La cérémonie des Oscars aura lieu le 12 mars.
Les restes de trois supplétifs de l’armée française ont été inhumés à Alger avec ceux de résistants à la conquête, dans le carré des martyrs.
Des soldats montent la garde à côté des cercueils censés renfermer les restes de 24 résistants algériens décapités pendant l’occupation française, au palais de la culture Moufdi-Zakaria, à Alger, en 2020. BILLAL BENSALEM / NURPHOTO VIA AFP
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Les autorités algériennes ont-elles en connaissance de cause inhumé trois « traîtres » dans le carré des martyrs à Alger ? Le 3 juillet 2020, après plusieurs années de pression, l’Algérie rapatrie depuis Paris, à bord d’un avion militaire, 24 crânes censés appartenir à des résistants décapités lors de la conquête française au XIXe siècle. Ces restes humains ont été entreposés, durant des décennies, au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
La cérémonie, en présence du président Abdelmadjid Tebboune et de Saïd Chengriha, le chef d’état-major de l’armée, se veut alors un moment fort d’unité nationale, solennel, et une belle victoire sur l’ancien occupant. Car la France et l’Algérie sont en pleine crise diplomatique et cette restitution sonne comme un triomphe pour un pouvoir qui puise sa légitimité dans la guerre de libération (1954-1962).
Les 24 « icônes de la résistance populaire », comme les décrit alors l’agence de presse officielle APS, sont exposées, le lendemain, au Palais de la culture pour permettre au peuple de leur rendre un ultime hommage. Parmi ces « héros », l’APS cite les noms de « six chefs de la résistance populaire ». Le 5 juillet, jour de la fête d’indépendance, ces crânes sont enterrés dans le carré des martyrs du cimetière d’El-Alia. Le panthéon de la nation algérienne.
Controverse sur l’origine des crânes
Ce qu’on ignore encore, c’est que trois d’entre eux sont des supplétifs locaux de l’armée française : deux tirailleurs et un zouave. Selon Michel Guiraud, ancien directeur des collections au MNHN (de 2004 à 2021), les dépôts ont été étudiés par un comité d’experts algéro-français missionné par les deux Etats. « Nous avons identifié avec nos collègues algériens tous ces restes, tous ceux dont nous sommes certains de l’identité et des parcours individuels », explique au Monde l’ancien responsable du muséum, qui a coprésidé cette commission.
Ces trois crânes ont donc été inhumés en compagnie de résistants morts lors de la conquête, durant laquelle des centaines de milliers d’habitants ont perdu la vie. Ils pourraient reposer aux côtés de certaines de leurs victimes. Une image difficilement concevable au regard de la sensibilité de l’opinion algérienne sur la question de la colonisation. Comment cette situation a-t-elle été rendue possible ?
La controverse commence le 16 septembre : le site Algérie patriotique publie un article qui affirme que plusieurs crânes n’appartiennent pas à des résistants. Le journal en ligne cite Ali Belkadi, un historien et anthropologue algérien, qui assure : « Deux tirailleurs, mercenaires indigènes opposés au mouvement national, morts les armes à la main pour la France, ont été enterrés […] parmi nos braves, héros martyrs de la résistance. »
A l’appui de sa démonstration, un document estampillé au nom du MNHN identifie les deux « tirailleurs au service de la France » et un « soldat aux zouaves, fils d’un Arabe et d’une négresse », aux côtés de victimes du siège de Zaatcha, où des centaines de civils ont été massacrés en novembre 1849 par les troupes du général Emile Herbillon. Le muséum, qui a refusé d’authentifier ce document, ne nie pas les informations qu’il contient.
Rapatrier les dépouilles de « résistants »
Ignorée par la presse locale, cette révélation interroge : proche du général Khaled Nezzar, ancien homme fort du régime dans les années 1990, Algérie patriotique est surtout coutumier des « scoops » renvoyant à des règlements de compte entre clans du pouvoir. La thèse d’une volonté de déstabiliser Abdelmadjid Tebboune et Saïd Chengriha et de dynamiter le réchauffement entre la France et l’Algérie n’est pas à exclure. Pourquoi avoir choisi ce canal pour dénoncer ce qui peut s’apparenter à un scandale d’Etat ? M. Belkadi n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde. Un mois après la publication d’Algérie patriotique, le New York Times confirme les informations du média algérien et relance la polémique.
Ali Belkadi n’est pas n’importe qui : c’est lui qui, en 2011, découvre les crânes de ces victimes au cours de ses recherches à Paris dans les collections du Musée de l’homme, dépendant du MNHN. C’est lui encore qui a été à l’initiative d’une campagne alertant les autorités algériennes pour exiger de la France leur restitution.
Il faut attendre le 6 décembre 2017 pour que ce dossier avance. Le président Emmanuel Macron se rend pour la première fois en Algérie depuis son élection et se dit « prêt » à restituer les crânes pour « ravive[r] la relation avec le travail mémorial entre nos deux pays ». Les autorités algériennes saisissent la perche et réclament officiellement leur restitution le 5 janvier 2018. La demande d’Alger est alors sans équivoque : il s’agit de rapatrier les dépouilles de « résistants ».
En septembre 2018, le comité franco-algérien est mis en place. « C’était un travail de scientifiques sur l’ensemble des restes qui se trouvaient dans nos collections, souligne Michel Guiraud. Il nous fallait identifier des personnes et leur parcours de vie. Pour y arriver, nous avons effectué des prélèvements d’ADN, de tissus et un travail d’archives. » L’ancien directeur des collections du muséum tient à préciser qu’il a, très vite, demandé si le mandat de la commission était de ne retrouver que des résistants. « Lors de la première réunion, j’ai fait préciser : est-ce à nous, comité scientifique, de décider qui est résistant ou pas ? Ou bien est-ce une étude générale ? En fin de compte, il y a eu une extension de notre mandat qui n’a pas été rendu publique. Il fallait trouver les restes d’Algériens du XIXe siècle, les identifier et les documenter. Nous n’avions pas à les qualifier de résistants ou pas. Que ce soit clair », pointe-t-il.
L’Algérie au courant de l’identité des crânes litigieux
Après plus d’une douzaine de réunions, Michel Guiraud atteste de la « compétence » et du « sérieux » de ses collègues algériens qui « ont contribué à ce travail pour déterminer ce qui était restituable ». « Nous n’avons restitué que ce que le gouvernement algérien voulait qu’on lui restitue : les restes d’origine algérienne avec leur documentation », assure-t-il. En juillet 2021, un rapport final a été validé par les scientifiques français et algériens mais celui-ci n’a jamais été officiellement remis aux gouvernements des deux pays.
Ce travail a permis d’identifier 26 crânes ; 24 ont été remis à l’Algérie le 3 juillet 2020. Faute d’une loi-cadre de restitution des restes humains, ils demeurent propriété inaliénable et imprescriptible de la France. Même enterrés à Alger, ils sont officiellement mis en dépôt pour cinq ans.
Et les deux crânes restants ? Comme l’avait raconté Le Monde, le 28 juin 2021, une réception officielle a été organisée au Musée de l’hommeà Paris pour les remettre aux représentants de l’Etat algérien. Mais contre toute attente, les Algériens ne sont pas venus les récupérer… Et n’ont jamais donné d’explications.
On ignore pourquoi tous ces crânes ont été présentés par les gouvernements algérien et français comme ceux de résistants uniquement. « Nous avons partagé les informations avec les Algériens ; ce travail commun s’est bien passé et nous en sommes très fiers. Nous avons répondu au mandat que les politiques nous ont fixé », clame M. Guiraud. Les Algériens étaient-ils au courant de l’identité des trois crânes litigieux ? « Bien sûr, c’est dans le rapport qui n’a pas été rendu public, il y a l’ensemble de la documentation, avec des photos. Nous n’avons conservé que ceux dont on a été certains de l’identité, il n’y a pas d’anonyme », ajoute l’ancien coprésident.
Pourquoi les autorités algériennes ont-elles choisi d’inhumer des crânes qui ne sont pas ceux de résistants dans un haut lieu symbolique ? Pourquoi ne pas les avoir écartés ? Négligence ? Précipitation ? Le conseiller à la mémoire du président Tebboune, Abdelmadjid Chikhi, n’a pas répondu à nos sollicitations. Le Quai d’Orsay n’a pas, lui non plus, donné suite à la demande du Monde de lire le rapport de la commission franco-algérienne.
Les travailleurs immigrés et les Japonais convertis à l’islam grossissent les rangs de la petite mais importante communauté musulmane du Japon.
Le nombre de mosquées au Japon est passé de 4 dans les années 1980 à 110 aujourd’hui, selon un expert de l’islam nippon (AFP)
Il n’y avait « pratiquement aucun Arabe dans le pays », résume Mohamed Shokeir en se remémorant la première fois où il s’est rendu au Japon, en 1981, pour rendre visite à sa sœur, mariée à un Japonais.
Elle l’avait rencontré alors qu’elle étudiait le japonais à l’université du Caire. Son futur époux, arabisant et musulman converti, étudiait à l’université al-Azhar. Après son union, le couple avait déménagé à Tokyo.
La visite de Mohamed Shokeir allait devenir le premier acte d’un voyage qui définirait sa vie ; un voyage qui a fait naître en lui une passion du pays et de ses habitants.
« C’était fascinant, je suis tombé amoureux. Les gens, leur attitude, leur comportement, à quel point tout était efficace », raconte-t-il.
« Et le tout entouré d’un certain mystère, car je ne comprenais pas la langue. »
Azza (à droite), la sœur de Mohamed Shokeir (en jaune), lui a donné envie de s’installer au Japon, où il a rencontré sa femme Yoko, vue à ses côtés sur cette photo de 1984 (Mohamed Shokeir)
Lors de sa troisième visite dans le pays en 1983, Mohamed, qui travaille alors comme steward, décide de rester et trouve un logement près de sa sœur à Fujimidai, au nord-est de Tokyo. Il s’inscrit à un cours de japonais le jour et travaille pour une agence de traduction de manuels d’instructions pour appareils électriques japonais l’après-midi.
La même année, un soir, il rencontre sa future épouse, Yoko, dans un train de Tokyo, à l’heure de pointe.
« J’avais pris le train dans la mauvaise direction, je n’étais dans le pays que depuis quelques mois et mon japonais n’était alors pas très bon. J’ai demandé à la fille qui se trouvait près de moi comment me rendre à mon arrêt. Elle m’a dit dans un bon anglais comment arriver là où je devais être. »
Impressionné par ses compétences linguistiques et désireux de se faire plus d’amis japonais, Mohamed demande le numéro de Yoko. « Elle n’avait pas de stylo, et moi non plus, mais un autre passager a entendu notre conversation et a offert son stylo, et j’ai pu noter son numéro. » Elle deviendra sa femme cinq ans plus tard.
À la rencontre de l’artiste gazaoui devenu roi des origamis
Yoko explique que si sa famille proche ne s’est pas opposée au mariage, certains parents plus éloignés ne l’ont pas accepté.
« Mon mari et moi étions en couple depuis quelques années avant de nous marier, alors ma mère, qui m’a élevée seule après la mort accidentelle de mon père quand j’étais enfant, et ma sœur cadette ne s’y sont pas opposées », indique-t-elle.
« Elles ont respecté mes convictions. Mais mes deux tantes se sont opposées au mariage, et je n’ai plus eu de contacts avec elles depuis. »
Yoko a étudié l’arabe et l’islam puis s’est convertie à la religion avant son mariage en 1988. Elle a apporté une série de changements à son mode de vie, remplaçant par exemple le porc par du poulet dans les gyozas (raviolis japonais) qu’elle cuisinait.
En s’installant au Japon, Mohamed Shokeir, aujourd’hui âgé de 63 ans, a intégré l’une des plus petites populations musulmanes au monde par rapport à la population générale.
Le couple célèbre le diplôme obtenu par Mohamed en 1991. Yoko a quant à elle obtenu un diplôme d’enseignement du japonais à la Goldsmith University de Londres en 1997 (Mohamed Shokeir)
Selon le professeur émérite Hirofumi Tanada, expert japonais de l’islam, l’archipel comptait entre 110 000 et 120 000 musulmans en 2010, mais en une décennie, ce nombre a quasiment doublé avec environ 230 000 individus aujourd’hui.
Quelque 183 000 d’entre eux ne sont pas japonais, originaires principalement d’Indonésie, du Pakistan et du Bangladesh – les musulmans arabes représentent environ 6 000 personnes. Les autres, environ 46 000 âmes, sont des musulmans japonais.
Malgré cette augmentation spectaculaire du nombre de personnes de confession musulmane, ces dernières ne représentent toujours qu’une infime proportion de la population totale du Japon, avec ses plus de 126 millions d’habitants, adeptes pour la plupart du shintoïsme ou du bouddhisme.
Alors que le taux de natalité du Japon est en baisse, que la population vieillit et que la main-d’œuvre immigrée ne cesse d’augmenter, la croissance lente mais régulière du nombre de musulmans dans le pays pourrait aider à résoudre certains des problèmes associés à ces tendances.
Au Japon, la plupart des travailleurs immigrés proviennent de pays voisins, tels que la Chine, le Vietnam ou le Cambodge, mais leur présence n’a pas contribué à enrayer significativement les effets du vieillissement de la population.
Migrations et conversions
Selon le professeur Tanada, plusieurs facteurs expliquent l’augmentation du nombre de musulmans dans le pays.
« Il y a une croissance des migrations. Les immigrés musulmans de ces pays sont venus au Japon pour travailler, étudier et y sont restés. Les conversions à l’islam ont augmenté parce que de nombreux musulmans se sont mariés avec des Japonais, et [les] Japonais se sont convertis au moment du mariage. »
Il existe également des exemples du contraire : des Japonais ramenant leurs partenaires musulmans au pays pour s’y installer.
Omneya al-Adeeli, 27 ans, est l’une de ces nouvelles venues. Elle a déménagé au Japon juste avant le début de la pandémie de coronavirus en novembre 2019, après avoir épousé son mari japonais, Shotaro Ono, qui s’est converti à l’islam à l’époque du mariage.
Ils se sont rencontrés alors qu’il visitait Naplouse, en Cisjordanie occupée, où la jeune femme possédait et gérait un petit restaurant coréen et japonais appelé KimPal.
« J’ai toujours été fascinée par la culture japonaise. Quand j’étais plus jeune, je regardais des dessins animés japonais et c’est grâce à ça que j’ai appris mes premiers mots de japonais. J’ai ensuite suivi un cours de culture japonaise à l’université al-Najah de Naplouse. » La jeune femme a également un diplôme d’anglais de l’Université ouverte d’al-Quds.
« Être consciente de la culture japonaise est différent de la vivre, mais j’ai envie de l’adopter et de m’immerger davantage dans ma vie d’ici », confie la jeune femme.
Omneya al-Adeeli aime explorer le Japon avec son mari Shotaro One (avec l’aimable autorisation d’Omneya al-Adeeli)
Travaillant maintenant comme auteure en langue arabe pour une entreprise de tourisme à Tokyo, Omneya se dit enthousiasmée par les opportunités qu’offre son nouveau pays.
« J’aime la liberté ici, qui fait défaut en Palestine. Je peux me déplacer où je veux sans être arrêtée par des check-points. J’aime aussi le respect entre les gens, le sentiment d’égalité. »
Selon Hirofumi Tanada, auteur du livre Mosques in Japan: The Communal Activities of Muslims Living in Japan (« mosquées au Japon : les activités communautaires des musulmans vivant au Japon »), l’archipel connaîtra une augmentation du nombre de musulmans de deuxième et troisième générations nés de ceux qui se sont « installés et ont fondé une famille » dans le pays.
« Ces musulmans vont être des "musulmans hybrides" qui seront exposés à des origines culturelles diverses. Ils pourraient être essentiels pour aider à établir des ponts entre la communauté locale et la communauté musulmane. »
D’après lui, le Japon abrite désormais 110 mosquées contre 4 dans les années 80.
Il ne faut toutefois pas confondre croissance et intégration, prévient le spécialiste. La plupart des Japonais ne sont pas conscients de cette croissance constante et les communautés existent en tant que « sociétés parallèles sans interaction », précise-t-il.
« Il existe des stéréotypes négatifs sur les musulmans au Japon, tout comme il y en a en Europe. La couverture médiatique d’attentats terroristes commis par des terroristes musulmans et d’autres couvertures médiatiques négatives de l’islam ont créé cela », explique-t-il.
« Bien qu’il ne soit pas facile de changer nos idées fausses et nos stéréotypes sur la communauté musulmane tels que peints par les médias, j’espère que les gens commenceront à s’y intéresser et à visiter les mosquées qui sont ouvertes au grand public. »
Tanada pense que le Japon doit s’adapter à cette évolution démographique et œuvrer à une « coexistence multiculturelle » ; il insiste notamment sur la nécessité d’un plus nombre d’interactions entre les cultures.
Le professeur Hirofumi Tanada a travaillé sur des projets de recherche en Égypte dans les années 1990. Vu ci-dessus dans un salon de coiffure au Caire (avec son aimable autorisation)
Marliza Madung, 30 ans, partage cette opinion. La jeune Malaisienne a déménagé dans la ville de Kōbe, à l’ouest d’Osaka, en 2011, après avoir remporté une bourse de son gouvernement pour aller étudier la biotechnologie à l’université d’Osaka.
Originaire de Sabah, dans la région de Bornéo, Marliza est convaincue que la coexistence est l’essence d’une société harmonieuse.
Marliza a étudié le japonais dans le cadre d’un cours intensif de deux ans avant de s’installer dans le pays. Son intérêt pour la culture japonaise s’est depuis élargi et inclut désormais des sujets aussi nuancés que le protocole lié à la présentation et réception de cartes de visite ou la rédaction d’e-mails.
« J’ai montré à mon patron que je pouvais m’adapter à la manière de travailler des Japonais en communiquant et en écrivant en japonais, en apprenant leurs manières de faire au travail, d’une extrême politesse, et pour prouver que malgré les différences culturelles, je pouvais toujours apprendre et m’adapter correctement », raconte-t-elle. « En retour, mon patron me donne toujours du temps pour mes prières et me laisse poser des vacances pendant la fête musulmane de l’Aïd. »
Pétrole et technologies de pointe
La ville d’adoption de Madung, Kōbe, abrite également la première mosquée du Japon, construite en 1935. La plus grande mosquée du pays, connue sous le nom de Tokyo Camii, a été construite trois ans plus tard, en 1938, par les Turcs-Tatars, puis rénovée et inaugurée en 2000.
La principale mosquée de Tokyo peut accueillir jusqu’à 1 200 fidèles pour les prières du vendredi (crédit : Creative Commons)
À la chute de l’Empire ottoman, les Turcs ont parcouru l’Asie en tant que voyageurs et commerçants à la recherche d’une vie meilleure, explique Mohamed Shokeir. « Les immigrés turcs ont été les premiers du monde musulman à s’installer au Japon. Ce n’était pas si terrible économiquement à l’époque, surtout après la Seconde Guerre mondiale, les gens avaient du mal à joindre les deux bouts. »
Mais au fur et à mesure que les communautés s’installaient dans le pays, travaillant principalement dans le commerce, les services ou l’industrie, la communauté musulmane a commencé à se développer.
Shokeir, qui écrit pour The Arab, un digest trimestriel sur les relations arabo-nippones, explique que les liens entre le Japon et le monde arabe étaient « très superficiels » jusqu’aux crises pétrolières de 1973 et 1979. Ce n’est qu’à ce moment-là que de nombreux Japonais ont commencé à prêter attention au Moyen-Orient.
« 85 % du pétrole [du Japon] est importé des pays du Golfe, alors quand les Saoudiens ont ouvert l’Institut arabe islamique à Tokyo, beaucoup de Japonais l’ont fréquenté pour étudier l’arabe, cela devenait populaire. Ils voulaient savoir qui étaient ces gens à qui nous achetions notre énergie. »
Parmi les pays arabes, l’Arabie saoudite a la relation la plus établie avec le Japon. La Japan Foundation, un programme d’échange culturel créé en 1972, a commencé à coparrainer des étudiants dans des instituts techniques « de pointe » en Arabie saoudite, explique Shokeir, qui est également rédacteur de langue arabe à l’Université de Georgetown, au Qatar.
« Les autres co-sponsors étaient le gouvernement saoudien et les grandes industries techniques et automobiles alors en plein essor au Japon, comme Panasonic, Sony et Toyota. Les diplômés de ces instituts exceptionnels débutaient ensuite directement des carrières d’ingénieur », souligne-t-il.
Une société « idéale »
Alors qu’il ne parlait pas japonais et qu’il connaissait peu la culture du pays quand il s’y est rendu pour la première fois, aujourd’hui, 40 ans plus tard, Shokeir maîtrise la langue couramment.
Ses compétences linguistiques – sa maîtrise de l’arabe et de l’anglais – et son travail acharné lui ont ouvert des portes, le conduisant d’abord à un poste à l’ambassade d’Oman à Tokyo, en tant qu’agent de recherche, puis auprès du principal réseau d’information japonais, NHK, où il a travaillé comme producteur d’informations. Il a ensuite rejoint la BBC Arabic à Londres, puis, en 2006, a déménagé au Qatar pour rejoindre Al Jazeera English.
Shokeir et Yoko ont deux enfants, Hamzah et Hanah, à droite sur la photo (avec l’aimable autorisation de Mohamed Shokeir)
« Le Japon est une société méritocratique où travailler dur porte ses fruits. Il n’y a pas de manifestation extérieure de racisme envers les musulmans ou les Arabes, bien que dans les films japonais, l’Arabe soit souvent présenté comme ‘’le gars riche’’, une sorte de gros dépensier généreux mais très superficiel et naïf. »
D’après son expérience, « les Japonais ne sont pas impolis par nature [mais] certains ont leur propre mentalité raciste, se considérant au sommet de la pyramide en Asie, comme le font les Britanniques en Europe ».
« Vous devez vous rappeler que les Japonais ont colonisé la Chine, la Malaisie, les Philippines, qui étaient toutes des colonies japonaises autrefois. Mais contrairement aux colonisateurs occidentaux, ils ne font pas preuve de racisme. »
Sushi halal
Signe que le pays s’adapte à la croissance du tourisme musulman et de sa propre communauté musulmane, il existe désormais au Japon près de 800 restaurants halal servant des plats contenant de la viande certifiée halal et n’offrant ni porc ni alcool.
Mohamed Shokeir se souvient que le seul endroit où il pouvait trouver de la viande halal au début des années 80 était chez un boucher pakistanais de Tokyo qui en vendait une quantité limitée à la communauté musulmane.
« D’autres personnes achetaient leur propre bétail et faisaient leurs propres sacrifices en privé, puis en vendaient à d’autres musulmans soit à la mosquée, soit sur commande.
« Il y avait une poignée de restaurants arabes à l’époque, mais aucun d’entre eux ne disait servir de la viande halal. Je m’en tenais donc principalement aux fruits de mer, ce qui était facile, et j’évitais les produits à base de porc. »
Lui et d’autres membres de la communauté qui savaient comment s’écrivait le mot porc (« bantu ») en kanjis (idéogrammes) ont imprimé les signes et les ont fait circuler au sein de la communauté, afin que d’autres puissent éviter de consommer des plats contenant cet ingrédient populaire de la cuisine japonaise.
« Le Japon a vraiment parcouru un long chemin depuis, il s’est développé et s’est adapté aux communautés qui y vivent. Cela me fait envisager l’idée d’y retourner pour la retraite. »
Selon Marliza Madung, les établissements adaptés aux musulmans sont plus nombreux aujourd’hui qu’il y a dix ans (avec son aimable autorisation)
Marliza Madung est du même avis. Elle a remarqué la croissance rapide des établissements répondant aux besoins des musulmans au cours des dix dernières années.
« Le gouvernement japonais et même le secteur privé ont fait beaucoup d’efforts pour accueillir les musulmans au Japon. Quand je suis arrivée il y a dix ans, j’étais inquiète car il n’y avait qu’une poignée de restaurants halal, mais maintenant, ce type de nourriture est facile à trouver, même dans les supermarchés traditionnels comme Gyomu Supa, où vous pouvez désormais acheter des produits halal. »
Toutefois, si elle apprécie la « sécurité et les avantages » qu’offre le Japon, elle n’a pas l’intention de s’y installer. « Je n’épouserai un Japonais que s’il est prêt à retourner vivre en Malaisie avec moi », dit-elle.
Similitudes et différences
Le mariage interculturel de Mohamed Shokeir, qui dure depuis 33 ans, est une réussite. Cela est en partie dû, selon lui, aux similitudes – qu’il faut rechercher – entre les cultures arabe et japonaise. « Je dirais que les principales sont la valeur de la famille et le respect des aînés. »
Il a toutefois remarqué une différence entre les cultures au début de son mariage, lorsque le couple a invité des amis à dîner.
« Au Japon, les gens n’invitent pas souvent les autres chez eux car les maisons sont plutôt petites, mais nous l’avons fait, Yoko a préparé de la nourriture et les invités ont tout mangé.
« Quand ils sont partis, je me suis senti un peu gêné et j’ai dit à ma femme que nous n’avions pas assez à manger et que les gens avaient faim, car dans notre culture, nous avons l’habitude d’offrir des repas copieux. Elle m’a répondu : "Je pense qu’ils ont aimé la nourriture et qu’ils ont tout mangé."
« Nous avons parfois des points de vue différents sur les mêmes événements, et peut-être même des priorités différentes, mais avec des compromis et en faisant preuve de compréhension, nous avons fait en sorte que cela fonctionne. »
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