Dans le Gard, des fouilles archéologiques ont mis au jour un cimetière sauvage, contenant le corps d'une trentaine de nourrissons, près de deux anciens camp de harkis. La secrétaire d'État aux anciens combattants, Patricia Mirallès, annonce, lors d'une cérémonie vendredi, la création d'un mémorial.
Les archéologues ont pu retrouver les restes de deux enfants dans le cimetière sauvage du camp de Saint-Maurice l’Ardoise. (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO)
Il y a encore quelques mois, il n'y avait que des ronces et des petits chênes verts qui poussaient sur le sol sablonneux du camp de Saint-Maurice l’Ardoise, face au Mont-Ventoux dans le Gard, à une vingtaine de kilomètres au nord d'Avignon. Mais depuis que des fouilles archéologiques ont commencé, la parcelle a été nettoyée. Sur place, sur cinquante mètres, une trentaine de petites tombes d'enfants ont été découvertes. La plupart sont des nourrissons. Ces enfants sont morts dans les deux camps harkis situés à quelques kilomètres de ce lieu de sépulture longtemps oublié voire même caché par l'État.
C’est une nouvelle page sombre de l’histoire des harkis, ces musulmans qui ont combattu aux côtés des Français pendant la guerre d'Algérie, qui est en train de s’écrire en France. Les fouilles archéologiques ont mis au jour un petit cimetière sauvage datant des années 1960. La secrétaire d'État aux anciens combattants et à la mémoire, Patricia Mirallès s’est rendue sur place vendredi 21 avril, en compagnie des familles de Harkis.
Les archéologues ont pu retrouver les restes de deux enfants dans le cimetière sauvage du camp de Saint-Maurice l’Ardoise, dans le Gard. (BORIS LOUMAGNE / FRANCE INFO)
Les petites sépultures sont entourées d'une corde blanche, on trouve aussi des bouquets de fleurs. C'est Aïda Seifoune, 83 ans, qui s'approche lentement et difficilement des tombes. Son fils est enterré ici. De son arrivée en 1962, au camp de harkis, elle se souvient du froid cet hiver-là, de la neige et de la naissance de son enfant. "Quand le bébé est né, je l'ai emmené au médecin et il m'a dit "ça va, il va bien" mais il est mort le lendemain." Nadia ,sa fille, raconte : "quand maman a eu son bébé, elle l'a montré aux médecins. Mais mon frère Raoul est mort au petit matin dans ses bras. Elle m'a dit que les militaires avaient pris le bébé sans même lui indiquer où ils allaient l'enterrer. Et donc apparemment, aujourd'hui, on aurait découvert des ossements ici."
Les restes de deux enfants retrouvés
"Comme des chiens", juge Aïda pour qualifier la manière dont ont été traités les corps, "comme des animaux" ajoute sa fille, "sans aucune empathie, ils ont été pris et jetés à même la terre comme ça". "Ça touche et ça fait mal, rien que d'en parler, ça fait mal, témoigne Aïda, même pour maman, ça lui remonte des souffrances."
Mais paradoxalement, c'est aussi un soulagement pour certaines familles. Savoir, enfin, où sont enterrés tous ces enfants. Et cela, les familles le doivent à une personne, Nadia Ghouafria, fille de harki elle-même. Elle a découvert récemment dans les archives départementales un document qui contenait un registre d’inhumation mentionnant la présence de 31 tombes, dont 30 appartenant à des enfants, qui a permis de déclencher les fouilles et d’aboutir aujourd’hui à la découverte du lieu de la sépulture. À ce stade des recherches, les archéologues ont pu retrouver les restes de deux enfants.
Nadia Ghouafria, présidente de l’association d’enfants Harkis Soraya, au camp de harkis de Saint-Maurice l’Ardoise dans le Gard. (BORIS LOUMAGNE)
"C'est un mélange d'émotion. Je suis satisfaite mais en colère, en colère de savoir que ces défunts ont été abandonnés", explique Nadia Ghouafria. "Les enfants inhumés sur cette parcelle sont morts suite aux conditions de vie, le froid, la faim, la maladie. On a voulu cacher les conditions de vie indignes des harkis et de leurs familles", développe la fille de harki.
Quelles responsabilités ?
Les familles mettent en cause directement l'État. Un document que franceinfo a pu consulter prouve que les autorités savaient que ce cimetière sauvage et à l'abandon existait. Avant de partir à la retraite en 1979, le directeur du camp de harkis, un militaire, avait révélé, dans une lettre transmise aux services de l'État, l'existence de ce cimetière. La lettre se terminait ainsi : "Il ne faudrait pas trop ébruiter l'affaire qui risquerait d'avoir des rebondissements fâcheux."
"Personne ne se dit :"merde, allez, on va faire quelque chose. On ne va pas les laisser". Mais si, ils les ont laissé comme ça", assèneRachid Bedjghit qui cherche encore les restes de son frère.Effectivement, en 1979, rien n'a été fait. Pire, plusieurs tombes ont été vidées. Mais par qui ? L'armée ? Rachid Bedjit s'interroge : "Ils sont où les restes des sept tombes ? Parce qu'il y avait mon frère, mais il y en avait sept, pas une, sept. Ils sont où ? Qu'est-ce qu'on en a fait ? J'ai besoin de réponses. Je veux savoir ce qui s'est passé ?
Rachid Bedjghit demande aujourd'hui que les archives de l'armée soient déclassifiées pour peut-être savoir ce que sont devenus ces restes. Parce que du côté du ministère des Anciens combattants et de la Mémoire, la secrétaire d'État Patricia Mirallès l'admet : "Je n'ai pas la réponse, je le découvre. Je vous mentirais si je vous disais le contraire". Patricia Mirallès est tout de même venue dans le Gard, pour annoncer la création d'un lieu de mémoire sur l'emplacement du cimetière.
"Les familles qui souhaitent récupérer les sépultures pourront le faire" détaille la secrétaire d'État, "et pour ceux qui souhaitent que l'on fasse un mémorial avec un vrai cimetière, nous le ferons et évidemment, l'État paiera tous les frais que ça engendrera. On aura un beau cimetière à la hauteur de leurs souffrances, avec un mémorial comme ils le souhaitent." Un cimetière avec les noms des défunts. C'était une volonté des familles pour se souvenir de ces enfants qui reposaient là depuis tant d'années, sous les ronces et les petits chênes verts.
Dans le Gard, la sidération des familles de harkis après la découverte d'un cimetière d'enfants oublié - le reportage de Boris Loumagne
Dans le Gard, des enfants harkis enterrés sans sépulture digne auront enfin leur cimetière
Des gens marchent le long de piquets en bois peints en jaune pour délimiter une allée de tombes, au cimetière de fortune des enfants harkis, à Laudun-l'Ardoise, dans le Gard, le 6 avril 2023. NICOLAS TUCAT / AFP
Ils avaient été enterrés entre fin 1962 et 1964, avec la connaissance des autorités de l'époque. Des fouilles sans précédent avaient été décidées par l'État, après la révélation du cimetière en septembre 2020.
Un cimetière et un mémorial seront érigés sur le terrain militaire du Gard (Sud-Est) où des dizaines d'enfants morts dans des camps harkis ont été enterrés sans sépulture digne il y a 60 ans, a promis vendredi 21 avril le gouvernement français.
«Nous devons réparer et reconnaître le mal qui leur a été fait», a déclaré Patricia Miralles, secrétaire d'État chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, lors d'une visite sur le site de l'ancien camp de Saint-Maurice l'Ardoise, au nord de Nîmes, puis sur le terrain militaire où les tombes de 27 personnes, presque toutes des enfants voire des nourrissons, ont été mises au jour.
«Les familles pourront récupérer les corps pour les inhumer dans un autre lieu ou choisir de les conserver sur place» dans ce futur cimetière, a précisé la secrétaire d'État, en présence de familles, des autorités locales et de représentants d'associations de harkis, après que tous ont déposé des fleurs sur ces tombes de fortune délimitées par une corde blanche.
«Petit Raoul», premier enfant découvert
«On aura un beau cimetière, à la hauteur de leur souffrance, avec un mémorial, comme les familles le souhaitent», a insisté Patricia Miralles : «Le symbole, c'est peut-être d'écrire le nom du petit Raoul, le premier enfant qui a été découvert» ici et dont la maman, présente vendredi, a «elle-même occulté le fait que son nouveau-né avait été enterré là», a-t-elle poursuivi.
Français musulmans majoritairement recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), les harkis avaient été abandonnés par la France à la fin du conflit. Après avoir fui les représailles en Algérie, des dizaines de milliers d'entre eux et leurs familles avaient été parqués en France, dans des «camps de transit et de reclassement» gérés par l'armée, aux conditions de vie déplorables, marquées par une surmortalité infantile.
Des fouilles sans précédents
À Saint-Maurice l'Ardoise, l'un de ces principaux camps, des dizaines de bébés avaient ainsi été enterrés sans sépulture décente par leurs proches ou par des militaires. Dans le Gard, ce cimetière sauvage est sorti de l'oubli le 20 mars, enfin localisé par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Ces fouilles sans précédent avaient été décidées par l'État après la révélation de l'existence de ce cimetière dans une enquête de l'AFP de septembre 2020 et le travail inlassable d'associations locales.
Cette enquête sur le sort des enfants et bébés morts dans le camp de Saint-Maurice l'Ardoise, entre fin 1962 et 1964, avait notamment dévoilé un procès-verbal de gendarmerie établi en 1979 et attestant que les autorités de l'époque connaissaient l'existence de ce cimetière. Ces autorités avaient délibérément décidé de pas informer associations et familles.
Jacques Chevallier est aujourd’hui un acteur bien peu connu de l’épisode de la guerre d’Algérie, dans laquelle pourtant il a joué un rôle de premier plan, dans les arcanes du pouvoir.
Un amerloque à Alger
Jacques Chevallier nait à Bordeaux le 15 novembre 1911 dans une famille de voyageurs. En effet son père, Etienne, a grandi en Algérie dans une famille influente ayant fait fortune dans la tonnellerie. Sa mère, Corinne est d’origine bretonne mais de nationalité américaine et vit en Louisiane au moment où elle rencontre Étienne.
Lorsqu’il a 8 ans, la famille s’installe à la Nouvelle Orléans ce qui permettra à Chevallier et son frère de s’imprégner de cette culture américaine des années folles. Il maitrise alors parfaitement l’anglais. Trois ans plus tard néanmoins, la famille plie de nouveau bagage et vogue vers d’autres horizons, plus précisément vers la baie d’Alger : le patriarche étant mort, c’est à Etienne de reprendre les affaires.
Jacques Chevallier s’éprend vite de sa nouvelle vie et s’attache de plus en plus à cette ville qu’il connait par cœur. Il étudie chez les Jésuites, à quelques mètres du grand lycée d’Alger fréquenté alors par Albert Camus. Il intègre finalement la faculté de droit et effectue de brillantes études.
Jacques est un jeune homme fringant, élancé avec beaucoup d’allure et de bagout. Il épouse à 21 ans Renée, ils auront ensemble sept enfants. Ils s’installent dans la commune d’El Biar dans les hauteurs d’Alger, dans une résidence nommée El Bordj (la forteresse), que son arrière-grand-père avait achetée à la famille de Hussein Dey. Il prend poste dans l’entreprise familiale mais il s’ennuie et aspire à autre chose. Son ambition est politique, il rêve d’action et souhaite avoir un impact sur ce pays auquel il s’est attaché et où la vie est si douce.
En 1934, Chevallier, fervent catholique, adhère au mouvement de croix de feu du colonel de la Rocque. Il est séduit par l’aspect religieux du mouvement et son dynamisme : il n’y restera pas longtemps et changera totalement de vision politique. Mais le pas est fait : le voilà entré dans l’arène politique.
Drapeau bleu, Alger la blanche et toussaint rouge
Jacques Chevallier a donc fait son entrée dans l’arène politique qu’il ne quittera pas de sitôt. Il se révèle très vitre extrêmement doué, fin diplomate, chaleureux et séducteur. A 26 ans, il est élu au conseil municipal de sa ville d’El Biar, puis maire en 1941 sous le régime de Vichy. Il devient alors à 29 ans le plus jeune maire de France. C’est alors que surviennent les premières désillusions politiques. L’ambition du fringant Jacques Chevallier était en partie animée par son amour pour la vie qu’il menait à Alger et il eut tôt fait de comprendre que ce n’était pas le cas de tout le monde. Il est frappé par une pauvreté, une misère vécue par de nombreux algérois : nous sommes alors en pleine guerre.
Chevallier quitte femme et enfants et va rejoindre les alliés afin de participer à la campagne d’Italie.
Revenu victorieux à Alger, auréolé d’une gloire certaine, il ne tarde pas à croiser la route, dans la pénombre spirituelle de la messe dominicale d’un certain Général de Gaulle.
En effet il ne faut pas oublier que c’est à Alger qu’est établi le gouvernement de la France libre.
C’est par le biais de Jacques Soustelle que le général de Gaulle sollicite Chevallier pour une mission outre atlantique afin de restructurer les services secrets de la France libre.
Jacques a alors 33 ans et il est ravie de cette mission. Celui qu’on surnommait l’ « amerloque » à la faculté de droit s’acquitte de son devoir avant de revenir à El Biar.
Son retour le laisse dubitatif, il n’a pas retrouvé la ville exactement comme il l’a quitté. Entre temps il y a eu les massacres de Sétif-Guelma-Kharrata. Et malgré le calme apparent, Chevallier n’est pas dupe. Le feu couve.
Chevallier est convaincu par le colonialisme d’état et les bienfaits de la présence française en Algérie. C’est un état d’esprit qui sera amené à évoluer par la suite mais c’est sur les bases de cette conviction que Chevallier est élu député.
Il quitte rapidement son siège suite à des désaccords mais pas que : car au final, l’homme de terrain ne se sent pas à sa place dans l’ambiance feutré du Palais Bourbon
Néanmoins cet intermède confirme son ressenti : l’Algérie est au bord de l’implosion. Il faut engager de toute urgence un dialogue entre les deux camps : c’est à son sens la seule façon d’éviter le bain de sang.
Ainsi est son nouveau mantra.
Il est de retour à Alger, il écrit dans l’Echo d’Alger et attend son heure qui ne tarde pas. En 1953 il est élu maire d’Alger.
Enfin à la place où il se sent le plus épanoui et sans doute le plus heureux : il engage une grande modernisation de la ville : s’associant au fameux architecte français Fernand Pouillon il entreprend la construction de grands ensembles sur les hauteurs d’Alger : des HLM dans le but de reloger ceux qui vivent dans les bidonvilles. Jacques est ravi de ce projet. Il est régulièrement vu au volant de sa voiture afin d’aller contrôler lui-même l’avancement des travaux.
En juin 1954 il devient secrétaire d’Etat à la guerre. Il accepte immédiatement et saisit l’occasion pour faire du lobbying pour ses idées : accorder à l’Algérie une autonomie afin de s’allier à elle dans une entente réciproque. Il organisera plusieurs rencontres pour convaincre la classe politique, dont une, très particulière entre un leader nationaliste algérien et le Président du conseil Pierre Mendes France.
Mais il est déjà trop tard.
Le 1er novembre, à peine trois mois après sa nomination, c’est la Toussaint Rouge marquée par une série d’attentats revendiqués par le FLN.
Et c’est l’explosion. Rapt, attentats, ratonnades, bombes.
Chevallier obtient le portefeuille de la Défense et tente d’apaiser les esprits afin d’éviter l’escalade de la violence. Sans succès. Le gouvernement de Pierre Mendes France chute et Chevallier rentre bredouille dans une Alger à feu et à sang.
3) Echarpe tricolore et nationalité algérienne.
Il reprend son fauteuil de maire et s’escrime tant bien que mal à maintenir un dialogue entre les européens et les musulmans. Il devient alors le premier recours des algérois victimes des tortures et exécutions sommaires perpétrées par les paras du général Massu. C’est ainsi que sa fille décrira les 5-6 personnes qui tous les jours, dès 6h du matin, attendaient à la porte du Bordj une audience auprès du maire pour avoir des nouvelles des leurs disparus pendant la nuit.
C’est dans ce contexte, fin décembre 1956, que Jacques Chevallier recevra un coup de fil d’un partisan nationaliste qui lui proposera une rencontre top secrète avec un leader.
Il s’y rend sans sourciller devant le danger en espérant y trouver là le début d’un dialogue. Sans succès.
On l’appellera de ce fait le « maire des arabes ». Une réputation peu reluisante et bientôt des appels au meurtre seront proclamés contre lui lors des manifestations des européens d’Alger. Il est par ailleurs conspué aussi coté indépendantiste : bien qu’on lui reconnaisse une bonne volonté dans l’ouverture du dialogue, il est impensable pour les responsables de l’insurrection que l’homme à l’écharpe tricolore souhaite réellement une émancipation de l’Algérie du giron français.
Sa disgrâce sera totale en 1958 : alors que le général de Gaulle revient au pouvoir et se rend à Alger pour prononcer son fameux « je vous ai compris », il ignore totalement et volontairement Chevallier.
S’en est trop. Il publie un ouvrage nommé Nous, Algériens dans lequel il expose encore une fois son idée d’une Algérie fédérale et se retire.
Il se remet dans les affaires et vit alors entre Alger et Paris.
Fin de la carrière politique.
Pourtant trois ans plus tard, un étrange coup de fil ravive des souvenirs pas si lointains.
Le contexte est toujours sombre : l’OAS met l’Algérie à feu et à sang et refuse l’inéluctable.
C’est alors que le général Salan, chef de l’OAS décide de contacter l’ancien maire d’Alger afin de le rencontrer.
On peut imaginer l’inquiétude et la suspicion dans l’esprit de Chevallier.
L’ancien maire des arabes compte pas mal d’ennemis au sein de l’OAS et d’ailleurs le général Salan est en cavale. Le rencontrer le place en très mauvaise posture. Pourtant comme à Alger quelques années auparavant, il n’hésite pas à grimper dans l’auto qui le conduira dans la cache du général. Ce dernier sollicite le réseau de l’ancien maire afin de négocier en sous-main avec les chefs indépendantistes.
L’entretien ne portera pas ses fruits et Salan est arrêté quelques mois plus tard.
Son successeur, Jean Jacques Susini réitère cette demande auprès de Chevallier quelques mois après la signature des accords d’Évian : il souhaite négocier avec le nouveau leader algérien : AbdelRahman Farrès afin de conditionner l’acceptation pour l’OAS de l’indépendance à la préservation des droits des français algériens.
Chevallier, de bonne grâce, organise ces négociations qui parfois auront lieu chez lui, à El Biar, entre les deux ennemis.
Trop tard encore. Au sommet du FLN on se déchire déjà pour le pouvoir et les partisans de l’OAS n’abandonnent pas leur politique de la terre brulée.
En 1962, l’indépendance est prononcée et Chevallier demande la nationalité algérienne qu’il obtiendra.
Il consacre les dernières années de sa vie à des projets touristiques dans cette toute nouvelle Algérie, au service du développement et de la modernisation, comme durant son mandat à la mairie d’Alger.
En avril 1971 s’éteint le dernier maire d’Alger affaibli par un cancer du poumon.
Dans les ombres de sa demeure d’El Bordj, à El Biar.
Comme il l’a toujours souhaité.
Source :
Jacques Chevallier, l’homme qui voulait empecher la guerre d’Algérie – José Alain Fralon
Plusieurs récits que nous avons récoltés évoquent la torture durant la guerre d’Algérie. A l’électricité, à l’eau, sous forme de viols, de harcèlement, d’humiliations… Les tortionnaires de la guerre d’Algérie ont usé de méthodes de torture très diverses afin de traquer les « rebelles », les « terroristes », et maintenir sous le joug de la domination ceux qui réclamaient leur indépendance. En voilà une introduction vive et directe. Afin d’introduire nos prochains témoignages, qui évoquent ce sujet, Rajaa a recensé différentes méthodes de torture.
« Il est très important (…) de revenir sur ce qu’il s’est passé. Sans pour autant avoir à exercer une repentance ». Voilà les mots prononcés par François Hollande en octobre 2012, alors qu’il se tenait sur un quai de la Seine afin de commémorer la mémoire des victimes du 17 octobre 1961. Pas de « repentance ». Ces mots m’ont frappée, et alors que je cherchais à me renseigner davantage sur la façon dont la classe politique française appréhendait ces faits historiques, je me suis rendue compte que presque 60 ans après les faits, on persiste à détourner les intentions de reconnaissance, dédommagements et réconciliations entre les deux rives méditerranéennes.
Je suis de ceux qui pensent qu’il n’est pas trop tard pour revenir sur ces faits, qui ont marqué la conscience des Algériens. De générations en générations, nous visionnons les mêmes films, nous racontons les mêmes récits ; tous soulignant la violence évidente de ce passé colonial. Savoir qu’il y a moins d’un siècle, des individus étaient jetés à la Seine en public, ou d’autres électrocutés dans de sombres pièces dans les sous-sols de la Casbah, peut susciter questionnements et indignations légitimes.
Il y a trois semaines, j’ai donc entrepris quelques recherches sur le thème de la torture pendant la guerre d’Algérie. Je me suis essentiellement renseignée sur les méthodes principales qui furent employées durant cette période, et en ai répertorié huit, que j’ai organisé dans une liste non-exhaustive.
La noyade: illustrée par le tournant tragique qu’a pris la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 à Paris. Des Algériens furent jetés à la Seine, parfois attachés. On peut observer sur les images d’archives des crânes ouverts, nez ensanglantés, des personnes recroquevillées au sol, frappées par la police, sous les ordres du Préfet de police de Paris Maurice Papon. En Algérie, il y eu également des cas de noyades notamment près des rivières et zones montagneuses
Le viol: un des plus gros tabous inclus dans la torture durant la guerre d’Algérie.
A travers les archives de l’INA, je suis premièrement tombée sur le témoignage glaçant d’Henri Pouillot. Il a été appelé au combat durant la guerre d’Algérie et a pu témoigner des tortures dans l’écriture de deux livres. Aujourd’hui, il est militant anti-raciste et anti-colonialiste. Dans l’extrait d’un reportage par la chaine France 2, il revient sur ses pas en Algérie, dans la Villa Susini. Il raconte que c’était un lieu d’habitation et de regroupement des soldats français pour y habiter, se divertir, vivre, mais aussi un centre de torture et ce durant huit années consécutives. On y arrêtait sans motif des femmes algériennes, qui étaient victimes de viols. Monsieur Pouillot raconte qu’ont leur faisait faire « le tour des chambres ». Nous pouvons décortiquer l’aspect destructeur du viol en deux objectifs des soldats français lorsqu’ils le commettent. Au début de la guerre, ces hommes violaient pour « satisfaire leurs désirs sexuels ». Par la suite, le viol est devenu une réelle arme de guerre, et cela parce que si l’on considère la religion ainsi que la sacralité que l’on attribue au corps et à la sexualité des femmes dans la culture musulmane, on réalise que les violer revient littéralement à la destruction de ces femmes, et à leur exclusion sociale par la suite. En effet, lorsqu’elles étaient violées, soit elles étaient condamnées à ne jamais pouvoir se marier car plus vierges, soit elles étaient déjà mariées et se voyaient alors humiliées voire répudiées.
Certaines femmes étaient déshabillées puis placées dans des positions humiliantes jusqu’à ce qu’elles crachent les informations que cherchaient à obtenir les français (dénoncer des membres du FLN, dévoiler des secrets, cachettes, donner des noms…). Il arrivait également que les militaires s’introduisaient dans leur logis, les embarquaient et les violaient, souvent collectivement. Ces actes barbares étaient commis avec l’utilisation d’objets divers : électrodes posées sur les parties génitales féminines – voire à l’intérieur même du vagin par exemple – morceaux de bois, bouteilles.
Certains estiment même que ces viols étaient institutionnalisés. En effet, on a connaissance de certaines opérations de viols nommées « viol à 4 »: pendant les évacuations de villages et fouilles de maisons, 2 militaires étaient chargés de monter la garde à l’extérieur, un troisième était chargé de tenir les vieux sur le côté, et le quatrième du viol. Cela se déroulait sous les yeux de toutes les familles, enfants compris. Ces quatre militaires interchangeaient les rôles, on appelait cela « le viol tournant ».
Finalement, j’ai réussi à écouter des témoignages de victimes de viols qui ont difficilement accepter d’en parler : Annick Castel-Pailler, femme de communiste français violée par un parachutiste français dans cette Villa Susini, et Louisette Ighilahriz, militante nationaliste algérienne qui a saisi plusieurs fois la justice française pour dénoncer la torture.
Leur point commun : deux femmes totalement bouleversées qui racontent ces tragédies avec une émotivité qui traduit toute la difficulté à oublier et tourner la page à ce propos. Ce sont des femmes qui ont résidé ou résident aujourd’hui en France, mais en Algérie il est quasiment impossible de retrouver des témoignages. Le tabou à ce sujet, mêlé au sentiment de honte que peut ressentir la victime, est un véritable dégât en Algérie. Jusque aujourd’hui la parole peine à se libérer.
Concernant les femmes algériennes, nous pouvons également citer les cérémonies de dévoilement où on les déshabillait. Les célèbres photos de Marc Garanger témoignent du traumatisme, que l’on peut lire sur le visage de ces femmes.
L’électricité / La gégène: sur les parties du corps les plus sensibles (organes génitaux très souvent), on place des électrodes reliées à une génératrice que le tortionnaire actionne à la manivelle. Il est récurrent d’apercevoir des scènes de torture à l’électricité dans les films sur la guerre d’Algérie, car il s’agissait du moyen de torture le plus répandu. Il y a des scènes typiques où les tortionnaires allument leurs postes de musique avec beaucoup de son pour couvrir les cris de l’Algérien qui subit la torture. Il y a aussi d’autres scènes où on plaçait les pieds du torturé dans une bassine d’eau pour l‘électrocuter plus fort et violemment.
La pendaison:la victime est suspendue en l’air par les poignets jusqu’à ce que ses épaules et omoplates se disloquent
La baignoire: asphyxie temporaire de la victime maintenue la tête sous l’eau. Cela se faisait dans des puits, dans les grands trous où l’on stocke l’eau dans les sous-sols, où encore dans l’endroit où les animaux s’abreuvent.
Le tuyau d’eau: on déverse de l’eau par un tuyau enfoncé dans la bouche de la victime jusqu’à suffocation.
Cuve à vin: des suspects sont enfermés dans des cuves à vin désaffectées, et finissent par mourir étouffés.
Les mutilations: ventre bourré de paille ou de cailloux, sexe dans la bouche, ongles arrachés : ce sont plutôt des pratiques exercées sur le terrain de la guerre, sur des cadavres de personnes mortes au combat. Le fait de salir un corps inanimé faisait figure d’humiliation pour la famille du défunt qui souvent, ne pouvait plus aller chercher le corps et serait abattue de voir un cadavre.
Qui étaient les tortionnaires ?
L’épisode extrêmement violent de la Bataille d’Alger marqua le début de l’usage de la torture de manière décomplexée. A partir de 1957, ce sont les Détachements Opérationnels de Protection (DOP) qui sont les acteurs essentiels de ces tortures. Celle-ci était utilisée de manière quasi systématique par ces services dans le cadre de renseignements. Mais elle était aussi très réfléchie. De nombreux témoignages de personnes ayant subi diverses méthodes de torture affirment qu’ils réalisaient leurs aveux plus rapidement face à la douleur atroce et insupportable qui leur était infligée.
D’abord interrogés, les suspects étaient ensuite soumis à des tortionnaires. Toutefois, plusieurs récits confirment que la torture n’était pas seulement utilisée dans le cadre de la recherche de renseignements. Par son témoignage, Henri Alleg décrit dans son livre « La Question » que la torture était même assumée fièrement, utilisée de manière régulière, presque systématique pour tout résistant au maintien de la colonisation.
Ainsi, les fellaghas (combattants nationalistes algériens), étaient les premières victimes de ces tortures. Mais n’étaient pas épargnés les femmes, les enfants, les civils suspectés de soutenir le mouvement d’indépendance. En témoignent Louisa Ighilahriz ou encore Annick Castel Pailler (les deux témoignent de viols dans la vidéo au-dessus). En témoigne Stanislas Hutin, ancien appelé en Algérie qui a photographié le jeune Boutoute le lendemain d’une nuit de torture sur cet enfant de 14 ans. Il en fait le récit dans ce podcast. En témoigne aussi Mohamed Garne, reconnu pour la première fois par la justice française comme victime de guerre, étant né d’un viol collectif. N’étaient pas épargnés non plus les sympathisants français ou étrangers à l’indépendance. En témoigne par exemple la disparition de Maurice Audin et la reconnaissance par le Président Emmanuel Macron de la responsabilité de l’Etat français dans la mort de cet ancien militant indépendantiste.
Bien sûr, une guerre implique toujours au moins deux acteurs opposés. Le Front de Libération Nationale a eu recours également à la terreur et à la torture pour parvenir à l’indépendance du pays. Des cadavres étaient retrouvés au coin des rues, on mutilait certaines parties du visage (nez/lèvres/oreilles) et on massacrait des harkis (ceux qui luttaient avec la France). La guerre d’Algérie se distingue donc largement par sa dimension de violence décomplexée. Les témoignages que nous recueillons encore de nos jours, font signifier le résultat des non-dits à propos de ces pratiques, les tabous et les volontés de tourner la page sans revenir sur les faits.
Il est ainsi important de continuer à se renseigner, à discuter, à écouter et écrire cette guerre sous toutes ces approches : des plus glorieuses aux plus honteuses. Il n’y aura jamais assez d’ouvrages, d’articles, de films et reportages pour retracer le vécu de certaines personnes détruites par ces crimes. Cette époque reste encore récente sur la frise chronologique de l’histoire de France et d’Algérie. Si la parole se délie chez nos politiciens français qui consacrent un petit mot pour la communauté algérienne chaque 17 octobre qui passe, on est encore loin du devoir de mémoire et de reconnaissance.
Pouvons-nous toujours vanter les mérites des progrès apportés par l’humain ? Durant la guerre d’Algérie, la “gégène” était le nom donné au générateur électrique utilisé pour la torture sur les résistants algériens. Georges Garié en condamne l’usage à travers son poème “Progrès”.
Entre 1956 et 1957, Georges Garié est appelé en Algérie, dans le cadre de son service militaire en Kabylie. Un demi-siècle plus tard, il écrit des poèmes qui lui servent de thérapie et de support afin de témoigner auprès des plus jeunes de sa région : l’Occitanie. Afin de transmettre au mieux ses écritures et, par là, ses mémoires, nous avons décidé de réciter et d’illustrer ses poèmes afin d’obtenir un rendu vidéo. Après le premier poème “Le sang de la Toussaint”, le poème “Progrès” condamne ceux qui ont fait usage de la “gégène”, torture à l’électricité lors des interrogatoires des “fellaghas” (nom donné aux résistants algériens).
Figure emblématique de la torture en Algérie, Fatna dresse aujourd’hui le portrait de Marcel Bigeard. Portrait d’un personnage aux deux visages : côté face, le héros national plusieurs fois décoré en France, côté pile, le tortionnaire meurtrier froid en Algérie.
Initialement, cet article devait concerner l’étude de la pratique de la torture en Algérie en particulier. Il ne m’a pas fallu longtemps avant de rencontrer le nom de Bigeard notamment dans les archives et mémoires algériennes. Je ne tarderai pas à comprendre, au fil de mon étude, que j’avais affaire à un personnage pétri de contradictions, tantôt héroïque tantôt machiavélique selon que le récit venait du côté français et algérien, jusqu’au point de me demander si on parlait toujours du même homme.
Cet effet schizophrène arrive souvent lorsque l’on évoque la Guerre d’Algérie : une guerre où les mémoires sont parfois, si ce n’est souvent, antagonistes ou à moitié assumées. Portrait d’un personnage aux deux visages. Côté face, le héros national français plusieurs fois décoré, côté pile, le tortionnaire meurtrier froid en Algérie.
Une carrière militaire très chargée
Marcel Bigeard est un « héros national » français ayant combattu pendant trois guerres : la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre d’Indochine, et la Guerre d’Algérie. Né en 1916 à Toul (Meurthe-et-Moselle), il commence à travailler dès l’âge de 15 ans en tant qu’employé de banque à la Société Générale. Bientôt, la Seconde Guerre Mondiale éclate et il est amené à rejoindre l’armée pour défendre le pays face à l’envahisseur. Fait prisonnier par les Allemands, il parvient à s’échapper avant de rejoindre les forces françaises libres au Sénégal, puis en Afrique du Nord (Maroc et Algérie). C’est en 1944 qu’il retourne, parachuté, en France où il rejoint la Résistance.
Dès la fin de la guerre, il s’engage dans un autre conflit à l’autre bout du monde, en Indochine. C’est à cette occasion qu’il se spécialise de manière formelle dans le parachutisme militaire. En 1954, il participe à la bataille de Diên Biên Phu, un échec à l’issu duquel il est fait prisonnier par le Viêt-Minh. Après sa captivité de trois mois, il rentre en France mais reprend très vite du service, cette fois-ci en Algérie. 1955 : Marcel Bigeard arrive en Algérie avec son régiment de parachutistes coloniaux et participe à la bataille d’Alger en 1957 sous le Général Massu avec pour but de démanteler le FLN, ayant perpétré des attentats à la bombe contre les Européens. Après la Guerre, il assumera d’autres rôles tels que député et Secrétaire d’Etat à la défense sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.
Marcel Bigeard (à droite, fumant une cigarette)
Un héros national en France
Par l’étude des mémoires françaises, j’entends traiter de la vision majoritaire du personnage de Bigeard qui existe en France ; une vision institutionnelle que l’on retrouve dans les discours politiques, dans les médias mais aussi dans la culture populaire. Bien qu’il y ait un élan de remise en question de cette vision de nos jours, elle ne cesse d’exister. Le général Bigeard reste aujourd’hui l’un des officiers les plus décorés en France, parmi les décorations qu’il a reçues, on peut notamment citer : Grande Croix de la Légion d’honneur, Croix de guerre de 39-45, des TOE (Théâtres d’Opérations Extérieures) et de la Valeur Militaire, Médaille de la Résistance, Distinguished Service Order (Grande Bretagne), American Legion (Etats-Unis), Grand officier des Ordres du Mérite sénégalais, malgache, togolais et comorien, Grand Officier (Arabie Saoudite).
Marcel Bigeard est un héros de la nation. Certains n’hésitent pas à le comparer à Achilles devant les murailles de Troie. L’épopée du général fascine. Il passe de média en média, répond aux invitations des journalistes, se met à écrire des livres qui rencontrent un franc succès en France. La figure du personnage est elle-même emblématique, tout le monde retient l’image de la « Casquette Bigeard » en référence à la façon dont Bigeard portait ses casquettes.
En 2010, le géant meurt dans sa ville natale de Toul. Deux ans après, en 2012, ses cendres sont finalement transférées au Mémorial des Guerres d’Indochine de Fréjus (certains avaient même évoquer la possibilité de les transférer au Panthéon). Pendant la cérémonie, de nombreuses personnalités viennent rendre hommage au défunt dont Jean Yves Le Drian (ministre sociale de la défense) et même Valéry Giscard d’Estaing. D’autres personnalités se sont exprimées après la mort de Bigeard. Le Président français Nicolas Sarkozy avait exprimé une « profonde tristesse » à l’annonce de la mort de ce géant qui était « la figure héroïque du combattant ». La ministre Nadine Morano s’était aussi attristée face à la nouvelle : « La France a perdu un grand serviteur, la Lorraine une de ses grandes figures historiques ».
Un tortionnaire froid en Algérie
En Algérie, le nom du Général Bigeard n’a pas le même écho qu’en métropole. Alors qu’on a un héros d’un côté, on a un tortionnaire et un meurtrier de l’autre. Quand on lui parlait de l’emploi de la torture, Bigeard ne niait pas son existence, il affirmait juste ne jamais l’avoir personnellement utilisée pour soutirer des informations, et considérait aussi que la torture était un « mal nécessaire » pour lequel il ne faut pas se repentir. « Je n’y participais pas. Je n’aimais pas ça. Pour moi, la gégène était le dernier truc à utiliser », (2007 La Liberté). « Je ne regrette rien ! Nous avons fait face à une situation impossible. » « Mes prisonniers étaient vivants quand ils quittaient mon quartier général. Et j’ai toujours trouvé dégueulasse de les tuer. Mais c’était la guerre et on devait trouver les bombes qui tuaient des civils ». « Était-il facile de ne rien faire quand on avait vu des femmes et des enfants les membres arrachés par l’explosion d’une bombe ? ». Avant d’ajouter parfois : « M’emmerdez pas avec ça, on en parle toute la journée, ça suffit ».
D’autres collègues de Bigeard sont passés aux confessions en France, comme le général Paul Aussaresses en 2001, qui avait les mêmes positions que Bigeard sur la question mais qui avait aussi avoué avoir personnellement conduit 24 exécutions sommaires dont celle par pendaison de Ben M’Hidi un des fondateurs du FLN. En France, c’est un choc, la version officielle affirmait pourtant que Ben M’Hidi s’était suicidé. Ce dernier aurait refusé de parler sous la torture amenant les officiers à en faire un exemple.
Le général Massu, lui aussi, passera aux aveux dénonçant directement Bigeard d’avoir utilisé la torture en Algérie.« La première fois que j’ai vu une gégène, j’étais seulement, en 1955-1956, inspecteur des troupes d’Afrique du Nord… J’ai vu chez Bigeard employer la gégène, je suis tombé de mon haut et j’ai dit : “Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Qu’est-ce que vous faites avec ce malheureux type ?” Il m’a dit : “C’est la seule façon que nous avions en Extrême-Orient, en Indochine, nous avons d’ailleurs appris ce procédé là-bas, et nous l’employons ici”. » Chez les civils algériens, les dénonciations sont aussi présentes. Louisette Ighilahriz, militante nationaliste algérienne, a subi la torture dans les locaux de la 10e division parachutiste du général Massu. Dans ses récits, elle identifie Bigeard comme un de ses tortionnaires. « Lorsque Massu ne venait pas, un autre gradé, grand et mince, portant un béret vert, le remplaçait. C’était Bigeard » « Chez nous, le nom de Marcel Bigeard est synonyme de mort et de torture ». « Il est entre les mains de Dieu devant lequel il doit répondre de ses actes. J’espère qu’il aura le châtiment qu’il mérite ».
Alors que les mémoires françaises s’attachent aux « Casquettes Bigeard », le terme qui revient en Algérie est celui des « Crevettes Bigeard ». Il s’agit d’une expression employée pour la première fois en public par Paul Teitgen pendant une interview avec le général Massu. Durant la guerre, beaucoup de personnes ont été reportées disparues, on parlait d’« évaporation ». La technique d’exécution sommaire des Crevettes Bigeard consistait alors à fixer les pieds du « condamné » vivant ou mort dans du béton et le jeter d’un hélicoptère à des centaines de mètres d’altitude en pleine mer. Cette technique avait pour but d’éviter que l’on retrouve les corps de ces disparus dont le poids les engloutissait au fond de l’eau. Bigeard n’est pas le seul à avoir usé de cette technique, la complicité d’autres militaires et officiers supérieurs comme Aussaresses est fort probable.
Paul Teitgen parle des « Bigeard Shrimp » (Crevettes Bigeard)
Illustration de ce à quoi ressemble une Crevette Bigeard. Source internet
Sources :
Marcel Bigeard : « Torture ? Evitez ce mot là ! », Pascal Riché, Nouvel Obs
Pour Bigeard, la torture en Algérie était un « mal nécessaire », Le Parisien, 28/06/2010
Le général Bigeard et la torture : « Ne m’emmerdez pas avec ça », François Krug, Noubel Obs, 10/11/2016
En Indochine, en Algérie, il n’y a pas eu qu’un seul Bigeard, Alain Ruscio, Humanité, 20/11/2012
Dans L’art français de la guerre qui lui a valu le prix Goncourt, Alexis Jenni écrit : « Je voudrais élever une statue. Une statue de bronze par exemple car elles sont solides et on reconnaît les traits du visage. »
Et il poursuit : « Cette statue serait celle d’un petit homme sans grâce physique qui porterait un costume démodé et d’énormes lunettes qui déforment son visage ; on le montrerait tenir une feuille et un stylo, tendre le stylo pour que l’on signe la feuille comme les sondeurs dans la rue, ou les militants qui veulent remplir leur pétition. Il ne paie pas de mine, son acte est modeste, mais je voudrais élever une statue à Paul Teitgen. » (Alexis Jenni, L’art français de la guerre) [1]
“Bigeard shrimp” (crevettes Bigeard) : Paul Teitgen rappelle le nom donné aux cadavres jetés à la mer par les autorités.
Paul Teitgen (1919-1991), résistant, torturé puis déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, fut secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé de la police, d’août 1956 à septembre 1957.
En 1957, les parachutistes avaient tous les pouvoirs à Alger. Refusant de cautionner et de couvrir des crimes commis par des militaires français, Paul Teitgen obtint que les parachutistes signent avec lui, pour chacun des hommes qu’ils arrêtaient, une assignation à résidence, dont il gardait copie.
Un colonel venait lui faire ses comptes. Quand il avait détaillé les relâchés, les internés, les évadés, Paul Teitgen pointait la différence entre ces chiffres-là et la liste nominative qu’il consultait en même temps. « Et ceux-là ? », demandait-il en donnant des noms ; et le colonel lui répondait « Eh bien ceux-là, ils ont disparu, voilà tout ».
Pierre Vidal-Naquet avec qui il s’était lié d’amitié écrivit à son propos en 2002 : « Quand il découvrit que les supplices infligés aux Algériens rappelaient de fort près ceux que pratiquaient la Gestapo et ses complices français, il s’indigna et démissionna, demeurant cependant à Alger pour occuper une direction au gouvernement général. [2] »
Le 29 mars 1957, Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie du 9 février 1956 au 14 mai 1958, reçut de Paul Teitgen la lettre suivante, datée du 24 mars 1957 [3].
Monsieur le ministre,
Le 20 août 1956, vous m’avez fait l’honneur d’agréer ma nomination au poste de secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé plus spécialement de la police générale.
Depuis cette date, je me suis efforcé avec conviction, et à mon poste, de vous servir – et quelquefois de vous défendre – c’est-à-dire de servir, avec la République, l’avenir de l’Algérie française.
Depuis trois mois, avec la même conviction, et sans m’être jamais offert la liberté, vis-à-vis de qui que ce soit d’irresponsable, de faire connaître mes appréhensions ou mes indignations, je me suis efforcé dans la limite de mes fonctions, et par-delà l’action policière nouvelle menée par l’armée, de conserver – chaque fois que cela a été possible – ce que je crois être encore et malgré tout indispensable et seul efficace à long terme : le respect de la personne humaine.
J’ai aujourd’hui la ferme conviction d’avoir échoué et j’ai acquis l’intime certitude que depuis trois mois nous sommes engagés non pas dans l’illégalité – ce qui, dans le combat mené actuellement, est sans importance – mais dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre.
Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si, au cours de visites récentes effectuées aux centres d’hébergement de Paul-Cazelles et de Beni-Messous, je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou, des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo de Nancy.
Or ces deux centres d’hébergement, installés, à sa demande, par l’autorité militaire d’Alger, sont essentiellement pourvus par elle. Les assignés qui y sont conduits ont d’abord été interrogés dans les quartiers militaires après une arrestation dont l’autorité civile, qui est celle de l’État, n’est jamais informée. C’est ensuite, et souvent après quelques semaines de détention et d’interrogatoires sans contrôle, que les individus sont dirigés par l’autorité militaire au centre de Beni-Messous et de là, sans assignation préalable et par convoi de cent cinquante à deux cents, au centre de Paul-Cazelles.
J’ai, pour mon compte personnel et sans chercher à échapper à cette responsabilité, accepté de signer et de revêtir de mon nom jusqu’à ce jour près de deux mille arrêtés d’assignation à résidence dans ces centres, arrêtés qui ne faisaient que régulariser une situation de fait. Je ne pouvais croire, ce faisant, que je régulariserais indirectement des interrogatoires indignes dont, au préalable, certains assignés avaient été les victimes.
Si je n’ignorais pas qu’au cours de certains interrogatoires des individus étaient morts sous la torture, j’ignorais cependant qu’à la villa Sesini, par exemple, ces interrogatoires scandaleux étaient menés, au nom de mon pays et de son armée, par le soldat de 1ère classe F..., sujet allemand engagé dans le 1er R.E.P., et que celui-ci osait avouer aux détenus qu’il se vengeait ainsi de la victoire de la France en 1945.
Rien de tout cela, bien sûr, ne condamne l’armée française, non plus que la lutte impitoyable qui doit être menée par elle dans ce pays, et qui devait l’être à Alger plus spécialement contre la rébellion, l’assassinat, le terrorisme et leurs complices de tous ordres.
Mais tout cela condamne la confusion des pouvoirs et l’arbitraire qui en découle. Ce n’est plus tel ou tel responsable connu qui mène les interrogatoires, ce sont des unités militaires. Les suspects ne sont plus retenus dans les enceintes de la justice civile ou militaire, ni même dans les lieux connus de l’autorité administrative. Ils sont partout et nulle part. Dans ce système, la justice – même la plus expéditive – perd ne serait-ce que l’exemplarité de ses décisions. Par ces méthodes improvisées et incontrôlées, l’arbitraire trouve toutes les justifications. La France risque, au surplus, de perdre son âme dans l’équivoque.
Je n’ai jamais eu le cynisme et je n’ai plus la force d’admettre ce qu’il est convenu d’appeler des « bavures », surtout lorsque ces bavures ne sont que le résultat d’un système dans lequel l’anonymat est seul responsable.
C’est parce que je crois encore que dans sa lutte la France peut être violente sans être injuste ou arbitrairement homicide, c’est parce que je crois encore aux lois de la guerre et à l’honneur de l’armée française que je ne crois pas au bénéfice à attendre de la torture ou simplement de témoins humiliés dans l’ombre.
Sur quelque 257 000 déportés, nous ne sommes, plus que 11 000 vivants. Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, me demander de ne pas me souvenir de ce pour quoi tant ne sont pas revenus et de ce pour quoi les survivants, dont mon père et moi-même doivent encore porter témoignage.
Vous ne pouvez pas me le demander parce que telle est votre conviction et celle du gouvernement de mon pays.
C’est bien, au demeurant, ce qui m’autorise à vous adresser personnellement cette lettre, dont il va sans dire qu’il n’est pas dans mes intentions de me servir d’une quelconque manière. Dans l’affirmation de ma conviction comme de ma tristesse, je conserve le souci de ne pas indirectement justifier les partisans de l’abandon et les lâches qui ne se complaisent que dans la découverte de nos erreurs pour se sauver eux-mêmes de la peur. J’aimerais, en revanche, être assuré que vous voudrez bien, à titre personnel, prendre en considération le témoignage d’un des fonctionnaires installés en Algérie par votre confiance et qui trahirait cette confiance, s’il ne vous disait pas ce qu’il a vu et ce que personne n’est en droit de contester, s’il n’est allé lui-même vérifier.
J’ai, en tout état de cause, monsieur le ministre, perdu la confiance dans les moyens qui me sont actuellement impartis pour occuper honnêtement le poste que vous m’aviez assigné. Je vous demande, en conséquence, de bien vouloir prier M. le ministre de l’Intérieur de m’appeler rapidement à d’autres fonctions.
Je vous demande enfin, monsieur le ministre, d’agréer cette lettre comme l’hommage le plus sincère de mon très profond et fidèle respect.
Robert Lacoste demanda à Paul Teitgen de rester à son poste et de tenir secrète sa lettre de démission. Celui-ci céda mais il devait démissionner de ses fonctions quelques mois plus tard.
Il en était alors à plus de 3 000 disparitions, estimation confirmée pour l’essentiel par le colonel (maintenant général) Paul Aussaresses dans un entretien avec Florence Beaugé, en novembre 2000.
Paul Teitgen par Marie Bellando-Mitjans
[1] Source de la photo de Paul Teitgen : http://www.darrelplant.com/blog_ite....
[2] Vidal-Naquet, préface de la réédition en 2002 de La raison d’Etat (Ed. de Minuit)
[3] Source : Yves Courrière, La guerre d’Algérie. Le temps des léopards, éd. Fayard, 1969, pages 515 - 517
Isabelle Eberhardt est une figure oubliée du XXe siècle. Connue par ses contemporains pour ses voyages, son indépendance et son amour pour l’Algerie, alors en pleine campagne de pacification, elle aura vécu une vie à la fois fantasque et pleine de spiritualité. Nouha se propose aujourd’hui de te faire découvrir cette aventurière d’un autre temps .
Sur les dunes du Sahara, dans l’étendue gigantesque du sable de l’Erg, un cavalier galope.
Son burnous en laine s’éparpille dans le vent et tranche dans le ciel pur bleu indigo du sud Algérien.
Le vent brûlant fouette le visage de Si Mahmoud, à demi emmitouflé par un chèche, il se stabilise sur sa monture, le fidèle Souf, en serrant ses bottes rouges autour de ses flancs.
Il laisse son regard profond errer sur l’immensité désertique et s’en imprègne. Il est vrai que celui qu’on nomme le Rimbaud des sables est connu pour trouver dans les étendues du désert sablonneux l’inspiration et la spiritualité.
Qui aurait pu imaginer à cet instant que la route de ce cavalier mystérieux eût été si longue ? Qui aurait pu penser seulement à l’incroyable épopée traversée par Si Mahmoud, de l’aristocratie russe, en passant par les hauteurs de Genève avant de se poser sur le sable chaud du désert algérien ?
Qui aurait pu imaginer toutes les vies qu’a vécues Si Mahmoud, à peine âgé de 27 ans ?
Permettez-moi de vous raconter aujourd’hui l’histoire de Si Mahmoud, l’une des plus grandes aventurières du XXe siècle, j’ai nommé Isabelle Eberhardt, qui des années avant nous s’est éprise des terres d’Algérie.
A- Isabelle la rêveuse
Isabelle voit le jour à Genève, en Suisse, le 17 février 1877. Elle est la fille illégitime de Natalia, une femme sublime issue de cette aristocratie russe un peu fantasque et d’un amant. C’est ainsi que la jeune Isabelle évolue dans une bulle bien loin de son futur monde, mais déjà hors norme en soi.
Elle reçoit de son précepteur Trophimowsky – son probable père, une éducation d’une qualité exceptionnelle, ce qui est très rare pour l’époque qui plus est pour une jeune femme.
Trophimowsky est un ancien paysan russe récemment affranchi, un autodidacte aux idées et principes éducatifs originaux : son objectif avoué est d’élever Isabelle et ses frères pour faire d’eux les hommes libres et autonomes de demain. C’est ainsi qu’Isabelle passe les premières années de sa vie dans l’ignorance totale de la différence entre les deux sexes (une éducation qui la suivra toute sa vie de jeune femme) : ainsi dans sa bouche et dans ses écrits le « je » peut à la fois être masculin ou féminin en fonction des circonstances et de l’interlocuteur.
Elle étudie les lettres, l’histoire, le latin, le grec, le français, le russe, l’arabe et le turc : une éducation polyglotte avant-gardiste
Mais bien que la vie de la jeune Isabelle soit remplie par le savoir et l’amour inconditionnel de sa famille, elle reste enclavée dans cette propriété comme dans une prison dorée. Elle s’en évade vite pour aller à la découverte de la ville. Le Genève de l’époque est une ville parfaitement étonnante. On y trouve déjà l’une des seules universités d’Europe occidentale à accueillir aussi bien les femmes que les étrangers.
Isabelle s’y retrouve vite déguisée en matelots pour se faufiler dans la foule, à la recherche de l’expérience que son savoir théorique riche ne lui apporte pas. Les cheveux coupés à la garçonne et le tempérament vif, elle s’adonne à de ses escapades en ville où elle y rencontre une société cosmopolite, des anarchistes russes, des jeunes turcs et surtout elle y rencontre le goût de l’aventure qui ne la quittera plus dorénavant.
B- Isabelle, l’aventure et l’orient.
Augustin est le frère favori d’Isabelle : avec lui elle entretient une relation fusionnelle et très forte, à la limite du tendancieux.
Ensemble ils lisent les plus grands auteurs : Zola, Baudelaire, Dostoïevski et écrivent à quatre mains des histoires fabuleuses.
Augustin lui confie un jour qu’il s’en ira du foyer et qu’il ira en Algérie : il lui parle des déserts de sables semblables à des mers d’or : la graine est plantée.
Isabelle cultivera alors le désir irrépressible d’aller voir ce pays tellement extraordinaire dépeint par son frère. Elle entretient son désir par des lectures orientalistes avec les œuvres de Pierre Lotti et se sent bientôt comme appartenir à cette terre d’orient, terre d’Islam. Bientôt ses écrits et ses pérégrinations oniriques prennent pour décor l’Orient.
La fin du XIXe siècle en Europe est une époque charnière qui interroge énormément. On s’affranchit du divin et l’on entre dans l’ère industrielle et bientôt capitaliste. Face à cela, l’on fantasme un Orient et un Islam glorieux : les courageux guerriers, l’héroïsme et la spiritualité.
Isabelle baigne dans cet orientalisme et critique l’entreprise français en Algérie dans ces fictions ou elle décrit les massacres commis au nom de la colonisation et les décombres fumantes d’une terre qu’elle appelle Dar el islam (la maison de l’Islam). Nous sommes à l’époque de la période de pacification de l’entreprise coloniale : la France cherche à tout prix à asseoir son emprise sur l’Algérie et cela coûte que coûte, souvent aux prix de spoliation et massacre de masse pour mettre enfin en joug l’Algérie.
Elle s’indigne, bouillonne et ne tient plus, elle ira elle-même en Algérie.
En mai de l’année 1897, alors qu’elle n’a que 20 ans, elle aperçoit enfin les côtes de la ville de Bône (aujourd’hui Annaba). C’est la révélation, enfin elle touche à son but et va à la rencontre des musulmans elle écrira « je ne connais pas un seul français(…) ce qui m’écœure ici c’est la conduite des européens envers les arabes : un peuple que j’aime et qui, inshaAllah sera mon peuple », un discours plein de détermination et très étonnant pour une femme de son âge et de sa condition.
Elle prend ses quartiers avec sa mère et son précepteur près d’une Zaouia, lieu mystique où se tiennent des assises soufies qu’elle fréquente avec beaucoup d’assiduité.
Elle adhère cet été là à l’islam, elle qui a été élevée dans l’athéisme le plus pur, elle dira à ce sujet « je n’attribue au fond de mon âme le peu de bonheur qui m’ait échu sur la terre qu’ à la clémence d’Allah. J’attribue ma venue en pays musulman à la volonté auguste de Dieu qui a voulu me sauver un jour des ténèbres de l’ignorance ». Sa mère la soutient et la suit dans sa conversion.
Il est important à ce stade de l’histoire de préciser que les contacts qu’Isabelle entretient dans la Zaouïa et dans la ville de Bône en général, sont fait sous une apparence masculine. Elle porte toujours les cheveux courts et se drape du traditionnel manteau en laine à capuche pointue: le burnous.
Cette période de bonheur total ne devait pourtant pas durer. Natalia meurt six mois après leur arrivée et Isabelle, dévastée de chagrin, se retrouve sous la responsabilité de son précepteur qui décide de la ramener à Genève. Elle vit son départ comme un arrachement et dès son arrivée en Suisse, elle n’a plus qu’une obsession : retourner en Algérie.
C – Isabelle et Si Mahmoud
Son rêve se réalise quelques mois plus tard, elle profite des obsèques de son précepteur pour filer à l’anglaise et rejoindre l’Algérie. Mais cette fois tout est bien différent. Elle est seule sans soutien, sans finance et sans plan préétabli. Ceci ne semble pas constituer un obstacle pour Isabelle. Elle souhaite vivre et adhérer pleinement à l’aventure orientale. Elle devient alors Si Mahmoud et vit en nomade entre Batna, Beni Mzab et El Oued. Tantôt chevauchant seule, tantôt parcourant le désert à dos de dromadaire, dans une caravane.
On pourrait penser que la jeune femme de par son mode de vie et ses choix originaux recherchait le scandale et la polémique : en réalité, c’est tout le contraire, elle est comme un caméléon qui s’efforce de se fondre dans la foule et adopte pour cela le profil le plus typique.
Cela ne fonctionne pas du tout : elle est perçue par certains algériens comme une espionne au service du côlon : ce qui n’est pas tout à fait faux : Isabelle n’est pas foncièrement contre la colonisation, bien qu’elle réprouve les massacres et l’asservissement, elle rêve d’une alliance de l’Europe humaniste et progressiste et d’un Maghreb mystique et plein de ferveur d’égal à égal. Un rêve tout à fait dans sa vision orientaliste qu’elle a nourrit depuis la Suisse.
D’ailleurs sa présence parmi les arabes est aussi perçue comme indésirable d’un point de vue français : elle est vue comme une agitatrice russe anarchiste, qui pourrait mettre en péril la campagne de pacification.
Cependant elle n’adopte pas de position militante et vit comme une nomade arabe à la quête d’une inspiration pour ses écrit : elle écrira « le vagabondage c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté »
Elle est saisie d’émotions et de révélations mystiques dans le désert algérien qui la bouleversent profondément : « Il est des heures à part, des instants privilégiés où certaines contrées nous révèlent dans une intuition subite leur âme, ainsi ma première arrivée à el Oued il y a deux ans fut pour moi une révélation complète et définitive de ce pays âpre et splendide qui est le Souf : sa beauté particulière, son immense tristesse aussi. C’était l’heure élue, l’heure merveilleuse au pays d’Afrique, quand le grand soleil de feu va disparaître enfin laissant reposer la Terre dans l’ombre bleue de la nuit »
Elle tombe éperdument amoureuse d’un homme, Slimane, fils d’une ligue lignée de héros musulmans qu’elle ne souhaite plus quitter. Et alors que leur mariage dérange autant du point de vue algérien que français, elle l’épouse vite.
En plus de l’écriture, Isabelle pratique la fantasia. Elle reste attirée par la marginalité, s’adonnant au soufisme qui est un mysticisme rattaché à une philosophie issue de l’islam mais en dehors des normes.
Ce personnage fantasque fait parler de lui dans les plus haute strate de la hiérarchie militaire française et ne laisse pas de marbre un certain maréchal Lyautey
D – Isabelle et le maréchal
Bien qu’il y ait dans la vision des rapports France-Algérie d’Isabelle une certaine convergence avec celle prônée par le maréchal Lyautey, c’est surtout son côté « électron libre » qui attire l’attention du Monsieur-Afrique du Nord de l’époque : il dira d’elle « je l’aimais pour ce qu’elle était et ce qu’elle n’était pas »
Au début du XXe siècle, Lyautey est mandaté au pied levé par le gouverneur d’Algérie pour mener à bien la pacification du territoire. Il prône publiquement une volonté politique d’éviter les bains de sang ce qui n’est pas vu en odeur de sainteté par les européens en Algérie qui craignent un soulèvement des arabes. Il est seul et isolé lorsqu’il rencontre Isabelle. Il dira d’elle « personne ne comprenait l’Afrique comme elle » et voit en elle un puit de connaissance à exploiter, lui qui manque cruellement de temps.
E – Isabelle l’étoile filante
En octobre 1904, Isabelle s’installe dans l’extrême sud algérien, à Ain Sefra. Depuis quelque temps, elle se consacre à l’écriture d’un roman.
C’est alors qu’une crue subite déferle sur la ville, l’eau s’immisce dans les maisons et alors qu’Isabelle tente de sauver son manuscrit, elle est emprisonnée par les eaux grouillantes et la demeure s’effondre sur elle. Elle meurt noyée à 27 ans.
Pendant six jours, Lyautey fera chercher son corps et le précieux manuscrit pour lequel elle a donné sa vie. Il sera retrouvé dans une pochette maculée de boue mais on y distingue le titre « Dans l’ombre chaude de l’Islam » et c’est un texte empreint de beauté, de spiritualité et de liberté que nous laisse Isabelle.
Aujourd’hui, sa tombe est protégée par les habitants de la ville de Ain Sefra et est visitée régulièrement par ceux dont le cœur est épris d’aventure et de liberté.
Son écriture est sans pareille : elle impulse une envie de vivre et de vivre sans limite, une envie de voyage et de liberté. Isabelle n’a pas son pareil pour insuffler une audace, une soif d’espace et de paysage et une curiosité sans limite.
Je vous laisse avec quelques lignes de sa main, comme une prédiction de ce que sera sa mort tragique à 27 ans, ultime épisode d’une vie qui telle une comète, a traversé le ciel algérien d’une traînée magnifique et glorieuse :
« J’étais couchée sur de longues herbes aquatiques molles et enveloppantes comme des chevelures, une eau fraîche coulait le long de mon corps et je m’abandonnais voluptueusement à la caresse humide. Je m’abandonnais aux visions nombreuses, aux extases lentes. Il y avait là d’immenses étangs glauques sous des dattiers gracieux. La coulaient d’innombrables ruisseaux clairs de toutes parts, des puits grinçaient répandant aux alentours des trésors de vie et de fécondité.
El Gusto est un film documentaire réalisé par Safinez Bousbia en 2011 et raconte l’histoire de musiciens Musulmans et Juifs algériens, qui se retrouvent près de cinquante ans après la guerre pour rejouer leur musique héritée du grand El Anka : le chaabi. C’est la recommandation de la semaine de Récits d’Algérie, par Baya.
Cela fait un bon petit bout de temps que l’envie de vous peindre la toile de ce film vagabonde dans mon esprit. Cette errance n’a su trouver l’écho des mots, tant elle a à exprimer. Aujourd’hui l’errance a su trouver son chemin, celui d’El Gusto, celui d’un film qui expose les souvenirs de ces hommes, enfouis depuis des années et qui passent tels des étoiles filantes dans le ciel qu’est leur mémoire.
« El Gusto » vient de l’espagnol et est rentré dans le dialecte algérois pour signifier à la fois la bonne humeur ou encore « good-mood ». Alors aujourd’hui, l’écriture de cet article, à l’image de ce film, je dirais que djatni 3la el Gusto – je suis dans l’esprit d’écrire cet article.
Qu’est-ce que le chaabi ?
Il m’est impensable de vous parler de ce documentaire sans revenir aux racines du chaâbi. En 1492, lorsque l’Espagne a expulsé les Musulmans et les Juifs séfarades de ses territoires, les sons de l’Andalousie sont venus s’implanter en Afrique du Nord. En Algérie, la musique arabo-andalouse a continué d’évoluer selon les régions, en absorbant diverses influences. On a par exemple le Malouf à Constantine, le Gharnati à Tlemcen, la Sanâa d’Alger…
Cependant le public de la musique arabo-andalouse demeure restreint et est majoritairement composé de la classe bourgeoise, aisée, dominante. Au cours de la première moitié du XXe siècle, alors que la bourgeoisie s’abreuvait de qasidates (poèmes) andalouses à l’opéra, les quartiers populaires de la Casbah eux donnaient naissance au Châabi. On doit cet héritage à l’Hadj M’hamed El Anka, élève du cheikh Nador. Le mot chaâbi fait référence à ses origines folkloriques, qui signifie « du peuple » ou « populaire », en arabe. A cette époque ce n‘était pas encore une musique nommée ou institutionalisée.
Contrairement à la musique arabo-andalouse qui est très codifiée, le chaabi lui est une musique beaucoup plus libre qui laisse énormément de place à l’improvisation. C’est pourquoi il est aussi appelé le « blues de la casbah ». Comme le disait Mohammed Ferkioui dans le documentaire El Gusto : « On prend le mandole, une guitare et on commence à bricoler ». Ça a l’air si simple, n’est-pas ? Ainsi, bien que rejeté par les puristes, il n’a pas tardé à devenir la voix et l’âme de la ville d’Alger, marqueur de son identité musicale.
Le Châabi prend principalement racine dans la musique classique andalouse, mais il incorpore également les répertoires poétiques du melhun, des madih religieux et des chants berbères. Il est à l’image de la ville et de son métissage séculaire. La mise en œuvre diversifiée des instruments (darbouka, violons, mandole, oud, guitare, banjo, piano etc…) produit une harmonie auditive tout à fait fascinante. Son rythme lent en introduction (istikhbar) s’accélère jusqu’à prendre un élan étonnamment puissant selon des rythmes spécifiques comme le berwali.
Dans une ville aux mains des Français depuis 1830, le chaabi était la musique des cafés maures, des coiffeurs de la médina, des dockers du port de pêche et des maisons closes, le chaabi chantait la vie et les déboires du peuple. Ces lieux deviennent dans l’entre-deux-guerres, les seuls rares espaces d’expression musicale.
Enfin en 1955, El-Anka fait son entrée au Conservatoire municipal d’Alger en qualité de professeur chargé de l’enseignement du chaabi. Beaucoup des protagonistes de ce documentaire faisaient partie de ses élèves, dont Mohamed Ferkioui, celui avec qui tout a débuté…
Bref synopsis du documentaire
L’histoire du documentaire El Gusto commence par une rencontre tout à fait fortuite. Safinez Bousbia , une architecte d’origine algérienne de 22 ans vivant en Irlande, en marchant à travers la Casbah, est tombée sur une petite boutique artisanale où M. Ferkioui fabriquait et peignait des miroirs en bois. De fil en aiguille elle finit par l’interroger sur les photographies de musiciens, épinglées à un miroir, en noir et blanc, fanées par le temps qui les avait consumées. Au cours des heures qui ont suivi, M. Ferkioui a raconté comment il avait autrefois fait partie d’un célèbre conservatoire chaabi et d’une troupe musicale dans les années 1950.
Mme Bousbia a donc décidé de réunir ces musiciens dont les histoires imbriquées créent une mosaïque de plusieurs années de l’histoire algérienne. Les trouver était la partie la plus ardue. Le processus a duré plus de deux ans. Monsieur Ferkioui avait du mal à se souvenir des noms ; le conservatoire de musique d’Alger où il avait étudié était fermé depuis longtemps. Elle a donc traqué les registres d’enregistrement du conservatoire et fait du porte-à-porte à la recherche des musiciens. Elle en a retrouvé plus de deux douzaines en Algérie et en France.
A travers des témoignages et des extraits d’archives, El Gusto raconte les retrouvailles de ces musiciens autour de leur passion commune pour le chaabi cette musique qui « faisait oublier la misère, la faim et la soif ». Plongés dans la splendeur d’Alger, survolant les ruelles tourbillonnantes de la Casbah, le documentaire met en lumière l’histoire de ces hommes, Juifs et Musulmans, qui ont longtemps coexisté et que le contexte de lutte contre l’occupation coloniale a séparé ensuite.
De prime abord, le montage et la qualité du documentaire paraissent tout à fait communs, mais les sublimes prises de vue, les travellings qui survolent Alger et les sons familiers qui l’animent ont de quoi nous faire chavirer. Par ailleurs, au-delà de l’émotion, et bien que le film n’ait pas de prétention politique, il offre une tribune aux intervenants. Les artistes algériens expriment leur colère quant au manque de considération et de couverture sociale qui donnent à l’artiste algérien, un statut éminemment précaire.
Le chaabi comme instrument de lutte anticoloniale
En novembre 1954, au lendemain du déclenchement de la guerre de libération, Alger assise sous un ciel grisâtre teinté de rouge, voyait ses orchestres s’éteindre peu à peu en solidarité avec le FLN (Front de Libération Nationale). Pour les membres Juifs et Musulmans de la troupe, le début de la guerre aura marqué le début de la fin de leur groupe musical chaâbi. D’une part, pour les musiciens juifs, ce sont les vagues de l’exil qui les emporteront, bien loin de leur ville natale, loin de leur quotidien, loin de leur musique, loin du chaâbi. Pour certains ce fut l’unique alternative. Monsieur Luc Cherki, guitariste, nous raconte que « Étant juif et faisant de la musique arabe, on m’a dit qu’on était en guerre, qu’il ne fallait plus que je chante en arabe. Mais je ne pouvais pas. », alors, nous dit-il « J’ai fait ma valise et je suis parti d’Alger, laissant derrière moi avec regret ma famille et mes amis… ». D’autre part, le documentaire, au travers des récits, témoigne de l’engagement des artistes musulmans algériens en faveur de l’indépendance du pays. On peut citer Monsieur Berkani qui a passé quatre années de vie en prison où il a été torturé pour ses activités politiques. Il raconte qu’il jouait de la musique pour « remonter le moral» des prisonniers.
Le chaabi a aussi été un réel outil de lutte contre l’occupation. Les chanteurs, comme nous l’explique le joueur de mandole Rabah Bernaoui, par leur statut d’artiste, s’introduisaient dans les galas pour faire passer des messages. Aussi, les soirées chaabi permettaient de couvrir les réunions du FLN. Les paroles des musiques chaabi étaient aussi vectrices de messages codés. D’ailleurs, el Anka dans sa chanson « Achki fi Khnata », livre un hymne à l’indépendance à mots couverts en langue vernaculaire, « khnata » signifiant ici indépendance.
Dans El Gusto, les différents portraits expriment en filigranes une certaine mélancolie et une amertume pour un passé qui n’est plus. La cohabitation fraternelle des enfants de la Casbah s’est complètement brisée, mise à mal par la colonisation. En accordant la nationalité française aux quelques 35 000 « Israélites indigènes » tout en maintenant les populations musulmanes à un statut subalterne d’ « indigène », le décret Crémieux de 1870 marquera, via cette inégalité de traitement, le début de la fracture entre les deux communautés. Les Juifs sont alors assimilés aux colons pieds-noirs, au travers de diverses politiques de francisation telles que l’école ou encore l’armée obligatoire.
L’histoire des Juifs algériens est une histoire complexe, sur laquelle ont travaillé des chercheurs comme l’historien Pierre-Jean Le Foll-Luciani, dont les travaux portent sur les “trajectoires dissidentes” de Juifs engagés dans la guerre anticoloniale. Elle est faite à la fois de résistance face à l’oppresseur colonial mais aussi de capitulation et d’allégeance au régime colonial. Le film s’est focalisé sur des vécus humains, des témoignages précieux, mais qui auraient pu être davantage enrichis en évoquant peut-être un peu plus en profondeur ce contexte.
Finalement, après un long périple, la troupe finit par se reformer à Marseille et se produire à guichet fermé sur de nombreuses scènes à travers la France et le monde, mais pas en Algérie malheureusement. El Gusto, cet enivrant orchestre d’envergure, a su transposer la joie et la bonne humeur dans ses musiques, ses reprises de classiques du chaabi algérien comme « Ya rayeh », « Chehilet Laâyani » ou encore une chanson que j’adore : « Haramtou bik nouaâssi ».
Figure incontournable de la résistance algérienne, le colonel Amirouche a marqué le combat pour l’indépendance. Il est aujourd’hui symbole de liberté, Mélissa en dresse le portrait.
Amirouche naît en 1926 à Tassaft Ouguemoun, dans la wilaya de Tizi Ouzou. A la suite de la mort de son père, sa mère prend la décision de retourner vivre dans le village de son enfance, Ighlis Bwammas, avec ses deux enfants. Issu d’une famille très pauvre et orphelin de père, il passe son enfance dans la servitude, proposant son aide à des familles plus aisées en échange de vivres. Comme beaucoup d’orphelins, Amirouche semblait destiné à ce statut d’asservissement qu’on appelle “acrik” en berbère. Mais alors qu’il n’est encore qu’un jeune adolescent, il réussit à se faire scolariser. Son passage à l’école changera la donne. Il y apprendra à lire et à écrire, et développera alors des capacités intellectuelles remarquablement vives. Il acquerra également des connaissances décisives pour le futur moudjahid qui s’ignore.
Avant de s’engager dans la politique, Amirouche est artisan. Après son mariage, son oncle l’aidera à monter un petit commerce de bijoux dans lequel il vendra des colliers, bracelets et bagues. Un an auparavant, le statut de 1947 était passé et devait maintenant être appliqué. Ce statut devait permettre entre autre la création d’une Assemblée Algérienne et la proclamation d’une “égalité effective de tous les citoyens”. Alors que cette loi devait apaiser les tensions, elle a été mal accueillie par les Français d’Algérie. Pour contrer cela, les dirigeants européens décident de faire dépendre la proclamation de “l’égalité entre tous les citoyens” d’un vote de l’Assemblée algérienne et de frauder les votes pour que cette loi ne soit pas appliquée. En 1948, les élections sont bel et bien truquées. Ce jour d’élection pour l’Assemblée algérienne laisse une sensation d’humiliation chez beaucoup d’Algériens, et fait plonger dans l’action révolutionnaire beaucoup d’hommes face à cette injustice : Amirouche en fait partie.
Amirouche quitte son village pour Alger, et rejoint l’OS (Organisation spéciale), le bras armé clandestin du MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). Malheureusement, l’OS subit une très forte répression de l’armée française et cette dernière est démantelée en 1950. Amirouche est incarcéré peu de temps après. Il est ensuite libéré sous condition : il est interdit de séjour à Alger. Malgré l’interdiction, il se rend régulièrement à la capitale de manière clandestine pour garder contact avec le réseau résistant qui commence à s’établir. Il milite ensuite quelques années en France, avant de retourner en Algérie.
Un combattant respecté du FLN
1955, nous sommes alors en Kabylie. Le groupe du FLN basé sur place connaît une période difficile : leur chef, Amar Ait Chikh, vient d’être assassiné par une unité militaire française. Ce sont des combattants découragés et un maquis bien affaibli que trouve Amirouche lorsqu’il décide de rejoindre le FLN cette année-là. On supposerait que ce dernier fut démoralisé par cette ambiance atterrée, mais il n’en est rien… Amirouche fait preuve d’un leadership poignant. Il réorganise les troupes avec l’aplomb d’un chef, alors qu’il vient à peine de rejoindre le maquis. Amirouche exerce une telle autorité sur les maquisards qu’ils lui demandent eux-mêmes de récupérer la place de leur chef. Amirouche accepte.
Krim Belkacem, chef de la Wilaya III, est sceptique à l’idée de voir un jeune prendre un commandement militaire sans avoir été nommé par la hiérarchie. Il propose alors à Amirouche un rendez-vous seul à seul dans les montagnes du Djurdjura. Pour Krim Belkacem, le simple fait d’arriver à temps à ce rendez-vous situé au sommet des montagnes ardues de Kabylie constitue déjà un test physique et mental, censé prouver les qualités d’obéissance et de “coureur de djebels” du jeune chef. A la grande surprise de Krim Belkacem, Amirouche n’arrive pas à l’heure mais avec quatre heures d’avance. Le chef Belkacem reconnaît alors à son cadet des qualités physiques exceptionnelles, et un caractère décidé, infatigable et dur. Krim Belkacem n’en était pas au bout de ses surprises, car Amirouche lui présente un ensemble de rapport rédigé avec soin, d’une remarquable précision. Ainsi la défense d’Amirouche fut tellement solide que son arrivée au pouvoir finit par réjouir le chef de la Wilaya III.
Le travail d’Amirouche fut alors d’une efficacité saisissante. En quelques mois, il se glisse au rang de principal adjoint de Krim Belkacem, soit second de la wilaya III. Le 20 août 1956, Krim Belkacem lui confie la grande responsabilité d’assurer la sécurité de l’historique Congrès de la Soummam. Une mission qui n’est pas des moindres car ce congrès clandestin constitue la structure de la révolution algérienne et regroupe dans un petit périmètre les principaux acteurs de la résistance.
Krim Belkacem pouvait se féliciter du flair qu’il eut six mois plus tôt en pariant sur le jeune Amirouche qui dut devenir bien vite son meilleur lieutenant. En effet, les volontaires affluaient massivement au maquis d’Amirouche tant celui-ci avait bonne réputation. Abane Ramdane lui-même, l’architecte de la révolution, désigne le maquis d’Amirouche de “maquis modèle”. Amirouche était surnommé “le loup de l’Akfadou” ou parfois même “Amirouche le terrible”. Il était autoritaire, dur, psychorigide, parfois même brutal et mettait en place une réelle politique de guerre psychologique. Malgré son tempérament intraitable, Amirouche était extrêmement respecté. Il était aussi dur pour lui-même que pour les autres, et partageait entièrement la vie des autres combattants, des missions les plus glorieuses aux corvées les plus ingrates. Durant l’été 1957, Amirouche est nommé colonel de la Wilaya III.
Cette réputation qui semblait faire l’unanimité ne dure malheureusement pas longtemps. Très vite, les avis se polarisent autour du colonel Amirouche. Il est génie militaire pour les uns et meurtrier craint par les autres, une opération ne tardera pas à jeter le trouble : il s’agit de la “bleuite”.
Un chef mis à mal par les services secrets français
La bleuite (1958-1959) est une opération d’infiltration montée de toute pièce au sein même du FLN, finement dirigée par les services secrets français. L’objectif est simple et monstrueusement efficace : il s’agissait de faire croire qu’il existe un complot contre-révolutionnaire au sein même du FLN, et que certains membres travailleraient en réalité pour l’armée française. Cette opération d’infiltration est réussie car bien vite Amirouche est persuadé de l’existence de taupes parmi les siens.
Il accorde son soutien total à Ahcène Mahiouz (surnommé Hacène la torture) dans la mise en place d’un système de purge infernal visant à éliminer toutes celles et ceux qui pourraient être des “traîtres”. Les arrestations massives, aveux forcés, tortures, dénonciations calomnieuses, liquidations, plongent les rangs du FLN et la Wilaya III dans la méfiance. Durant cette épuration massive, 2 à 6 mille membres du FLN perdront la vie, dont la majorité étaient des intellectuels, étudiants, collégiens, médecins et enseignants.
Cette opération fut plus sanglante que les combats eux-mêmes et conduira beaucoup de militants à se rallier à l’armée française pour se protéger des soupçons de trahison. Amirouche, complètement aveuglé par la peur du complot persiste et prévient également les chefs des autres Wilaya dans une circulaire : “J’ai découvert des complots dans ma zone, mais il y a des ramifications dans toutes les wilayas. Il faut prendre des mesures et vous amputer de tous ces membres gangrenés, sans quoi, nous crèverons !”
Plus tard, Amirouche reconnaîtra que 20% des exécutés étaient innocents, et que le piège vicieux des services secrets français les a fait commettre une erreur. Cependant, Amirouche place pour objectif ultime la libération du peuple algérien, peu importe le prix. « La révolution ne commet pas d’injustices, elle fait des erreurs. Pour éliminer la gangrène, il faut couper jusqu’à la chair fraîche. En tuant les deux tiers des Algériens, ce serait un beau résultat si l’on savait que l’autre tiers vivrait libre.
Le 6 mars 1959, Amirouche se lance dans un voyage d’Akfadou à Tunis, pour rencontrer le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). La durée du voyage est indéterminée. Amirouche étant l’un des plus grands ennemis de l’armée française, chaque seconde de ce voyage est d’un danger imminent. Il est accompagné de Si El Haouès (chef de la wilaya VI), du Commandant Amor Driss et de 40 djounouds (combattants de l’Armée de Libération Nationale). Mais alors qu’Amirouche approche de la frontière tunisienne, il est trahi. Un informateur, encore inconnu à l’heure d’aujourd’hui, transmet sa trajectoire et les horaires exactes du voyage aux français. Le 28 mars 1959, l’armée française l’attend au tournant. Au sud de la ville de Boussada, le Colonel Ducasse tend à Amirouche et ses combattants une embuscade. Pas moins de 2 500 soldats français attendent les 40 djounouds. Le combat est sanglant, violent et inégal. Au décompte, on retrouve 5 prisonniers et 35 morts algériens. Parmi les cadavres se trouvent celui de Amirouche et de Si El Haouès. Leur mort est un grand événement pour l’armée française et en l’espace de quelques minutes, leurs cadavres sont entourés de journalistes, photographes et militaires qui se hâtent de photographier l’événement.
(archive de l’INA, vidéo de la mort de Amirouche – attention : son cadavre est filmé).
Les corps des deux hommes sont embaumés et récupérés par l’armée française. Cette dernière fera imprimer des milliers de tracts libérés dans toutes les wilaya par avion avec le message suivant: « Le chef de la wilaya III, Amirouche, le chef de la wilaya VI, Si El Haouès, sont morts. Quittez ceux qui vous conduisent à une mort inutile et absurde. Ralliez-vous ! Vous retrouverez la paix ! »
Pendant des années, les dépouilles de Amirouche ont été gardées secrètement dans une caserne à Alger, sous l’ancien président Houari Boumediène. Si ce mystère autour des dépouilles avait été si bien gardé, c’était aussi car Amirouche était un personnage controversé. Le fils d’Amirouche dénonce cela publiquement le mercredi 18 juillet 2012 sur la chaîne de télévision Ennahar TV. Son acharnement et la place importante qu’a occupé son père dans la révolution ont encouragé le Président Chadli à ouvrir une enquête en 1981. Cette investigation a porté ses fruits puisque les corps des deux chefs sont retrouvés et ont finalement été enterrés au cimetière d’El Alia en 1983.
Amirouche, bien que loin de faire l’unanimité, sera enfin commémoré en Algérie comme l’une des plus grandes figures de la guerre d’Indépendance, comme un symbole de liberté, figure mythique de combativité, de courage et de rigueur. Une statue est érigée en son honneur dans le Djurdjura à Aïn El Hammam, en Kabylie. Le légendaire chanteur et poète engagé Matoub Lounès lui dédie une chanson à titre posthume. L’un des chants emblématiques du hirak, la révolte populaire algérienne qui a commencé en 2019, évoque également Amirouche. On y entend les manifestants chanter en darija dans les rues : « Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière. Nous demandons, nous demandons, nous demandons la Liberté. »
Entendez-vous dans les montagnes… est un roman écrit par Maïssa Bey paru en 2002, qui parle de l’histoire de son père, ancien moudjahid pendant la guerre de libération et de la décennie noire, deux périodes traumatiques dans la mémoire collective algérienne. C’est la recommandation de la semaine, par Amina.
Le mois de mars 2022 marquait le soixantième anniversaire des Accords d’Évian. Signés en 1962 entre le Gouvernement Provisoire de la République algérienne et le Gouvernement français, ils mettent fin à la guerre d’Algérie. Des amnisties (1) sont alors votées : « portant amnistie des infractions commises au titre de l’insurrection algérienne ». Ces dernières protègent l’armée française de conséquences juridiques de tous leurs crimes, et particulièrement la torture, commis pendant la guerre de libération algérienne. C’est seulement en 2012, pendant le mandat du Président français François Hollande, lors d’une visite officielle à Alger, que sont politiquement reconnues les souffrances vécues par les Algériens.
Dans Entendez-vous dans les montagnes, Maïssa Bey, à travers une fiction narrative en période de guerre civile algérienne, nous conte l’histoire vraie de son père fellagha. Elle y dénonce l’abominable sort qu’il subit : enseignant et révolutionnaire algérien, il est tué sous la torture française en 1957. Sa plume nous rappelle, comme un coup de poignard, la tranchante réalité de la Guerre d’indépendance : « Toute petite déjà, elle essayait de donner un visage aux hommes qui avaient torturé puis achevé son père avant de le jeter dans une fosse commune. […] Ce ne pouvait être que des monstres… »
La domination et les atroces crimes perpétrés par l’armée française sont analogiquement renvoyés aux monstruosités faites lors de la décennie noire. Une guerre civile, profondément marquante pour l’Algérie indépendante, qui est vivement dénoncée et critiquée à travers les yeux d’une jeune femme algérienne. Les femmes, alors objet de risques et oppressions multiples dans cette société en guerre : « Elle ne veut plus subir le choc des exécutions quotidiennes, des massacres et des récits de massacres, des paysages défigurés par la terreur, des innombrables processions funèbres, des hurlements des mères…les regards menaçants…»
Le personnage principal, une Algérienne exilée en France à cause de la guerre civile, est rejointe dans son voyage ferroviaire par un ancien appelé de la guerre d’Algérie puis une petite fille de pieds-noirs. Elle se confronte, malgré elle, aux récits mémoriaux ainsi qu’aux préjugés de ces deux interlocuteurs liés intimement à l’histoire de la Guerre de libération algérienne.
A travers ce décor narratif historiquement improbable, Maïssa Bey analyse, déconstruit et critique certains discours sur la Guerre d’indépendance. Tout en incriminant fermement les méthodes et violences françaises perpétrées durant cette période mais également pendant la colonisation : « Quel beau pays ! […] Bien sûr, les jours sont toujours baignés de soleil, mais les nuits sont hantées […], les portes sont fermées, verrouillées sur le silence hébété, […] un silence chargé d’une angoisse démesurée qui démultiplie les échos des cris et des appels restés sans réponses. »
Le silence, les amnisties, les traumatismes, les mémoires, l’exil et le racisme sont des thèmes centraux au récit. Plus que jamais d’actualité, ces sujets ne cessent d’être au cœur des réminiscences mémorielles dans nos sociétés. Maïssa Bey nous offre, ainsi, une admirable et poignante œuvre engagée à la mémoire de son père.
(1) Acte législatif qui annule officiellement les conséquences pénales et supprime les condamnations.
Dans le cadre des commémorations de la Toussaint Rouge, Maïssa revient sur cet événement démiurge de l’indépendance algérienne dont la teneur est connue de tous. Plutôt que de traiter de la nature du sujet, il s’agit ici de comprendre la manière dont l’événement est rapidement après 1962 instrumentalisé par les pouvoirs de deux manières différentes.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une vague d’attentats vient se briser sur le territoire algérien, alors administré par la France depuis 124 ans. Son auteur, le FLN, par ses actions, déclare ouvertement la guerre à la France, signant par la même occasion son acte de naissance aux yeux du monde. La Toussaint Rouge est alors une date symbolique puissante qui participe chaque année au souvenir de la lutte, mais surtout à la fierté d’un peuple qui a combattu pour sa liberté. Au lendemain de l’indépendance, deux postures commémoratives distinctes sont adoptées par les architectes de la politique algérienne : Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene.
Ben Bella : communion émotionnelle et rayonnement international
Le 1er novembre 1963, l’Algérie célèbre le neuvième anniversaire du début de la guerre ; en somme, un acte symbolique fort, parfaitement saisi par les caméras des chaînes d’informations britanniques.
Cette courte vidéo sortie le 2 novembre 1963 dépeint les célébrations populaires et gouvernementales chantant la révolution algérienne et la liberté des peuples. Les foules, femmes enfants, vieillards, s’amoncèlent dans les gradins pour s’asseoir et écouter le président Ben Bella prononcer son discours. Ils sont près de 500 000 à assister aux festivités. Au-dessus de leur tête flottent des drapeaux de pays frères : le Libéria, la Syrie, mais surtout l’Algérie. L’étoile et le croissant se montrent omniprésents dans la rhétorique révolutionnaire algérienne. L’indépendance et la lutte du peuple doivent être célébrées en grandes pompes.
Rapidement, le président se montre à l’écran. Sur l’estrade, s’adressant aux Algériens et aux nations sœurs, mais aussi au monde, on devine les mots d’espoir et de liberté se former. A travers de grands gestes et des paroles savamment choisies, il se met en scène comme un leader charismatique capable de fédérer l’effervescence révolutionnaire. Il devient ainsi le catalyseur de l’émotion de la foule. L’objectif est clair : la construction national et internationale de l’Algérie. Le contexte appuie cette volonté : en plein conflit avec le Maroc pour le contrôle du Sahara (la Guerre des Sables), l’Algérie cherche à rappeler les symboles qui font sa force et sa prééminence sur la zone géographique. La rhétorique émotionnelle est alors mise au service du rayonnement à toutes les échelles, les caméras se chargeant de la retransmission au-delà des frontières. Sur place, des dignitaires étrangers assistent aux célébrations. Deux officiers chinois venus représenter Mao Tse-Tung scrutent de leur regard la scène qui se déroule sous leurs yeux.
Puis de nouveau, la foule, protagoniste de cet événement. Cette fois-ci, des hommes, assis sur d’autres gradins de fortune pour tenter d’apercevoir le leader algérien.
L’image conclusif de cette journée de célébration est particulièrement éloquente : des enfants endimanchés brandissent le drapeau syrien. La force narrative de cette image d’enfants jouant avec un drapeau, en surface innocente, est frappante : l’objectif de Ben Bella est rempli, la communion émotionnelle est formée.
Boumediene : démonstration de force et maintien de l’ordre
Quatre ans plus tard, Boumediene remplace Ben Bella en tant que président algérien à la suite du coup d’État de 1965. Sa posture diffère radicalement de celle de son prédécesseur, en témoigne le choix esthétique, politique et symbolique de la parade commémorant la Toussaint Rouge en 1967.
L’ordre transparaît dans les images saisies par les chaînes d’information britanniques. Le contexte de cette célébration diffère également radicalement de son prédécesseur, justifiant ce renversement de style. L’Algérie est frappée par des manifestations et soulèvements de sa jeunesse, tandis que Boumediene, dont la prise de pouvoir rappelle l’ascendance des forces militaires sur le civil, tente de réformer le secteur industriel et agricole. Le mandat de Boumediene appelle alors à un recentrement de la focale algérienne sur l’échelle nationale, là où Ben Bella préférait mettre en avant l’échelle internationale. Cela se traduit par la nature des défilés sur l’esplanade portuaire. Sous l’œil de Boumediene, ce sont des scouts, garçons et filles, et écoliers, qui ouvrent la marche au son de la fanfare militaire, traduisant l’implication et l’ordre de la jeunesse algérienne. La foule curieuse, se distingue également de celle présente à la commémoration de Ben Bella quelques années plus tôt, la frontière métallique de la barrière venant scinder la population du défilé. Elle respecte alors un certain ordre.
Suivent le contingent militaire, les forces terrestres et maritimes, mais aussi des cavaliers pour une fantasia modérée et contrôlée. Enfin, les véhicules et chars d’assaut viennent compléter la démonstration de force orchestrée par le pouvoir militaire. La dernière image est elle aussi éloquente : la caméra saisit les missiles fièrement présentés. L’Algérie souhaite se mettre en scène ici comme une nation moderne et puissante sur un modèle qui se veut alors plus occidental.
Les images présentent deux manières de commémorer la Toussaint Rouge totalement différentes, traduisant deux perspectives divergentes : une première vision propose une Algérie ouverte au monde en tant que leader d’une communauté émotionnelle galvanisée par la révolution. Une seconde vision propose une Algérie concentrée avant tout sur son nationalisme en route vers une modernité dont la primauté revient au militaire. Les commémorations sont alors une des clefs de compréhension des politiques menées par les gouvernements post-indépendance.
"Meursault contre-enquête" de Kamel Daoud est un roman puissant et subversif qui revisite l'un des classiques de la littérature française, "L'étranger" d'Albert Camus, du point de vue d'un personnage secondaire. Daoud choisit de donner la parole au frère de l'Arabe anonyme dont Meursault a tué sans raison apparente dans le roman de Camus. Ce personnage sans nom, qui est souvent réduit à une simple "victime" dans "L'étranger", devient ainsi le protagoniste d'une histoire qui écume les traces de l'oppression coloniale et de la violence structurelle qui a marqué l'Algérie pendant des décennies.
Le roman de Daoud est une méditation profonde sur la justice et la vérité, ainsi que sur le pouvoir de la narration elle-même. À travers les yeux du frère de l'Arabe, on découvre une Algérie en proie à des bouleversements politiques, sociaux et culturels, et on assiste à la lente prise de conscience de ce personnage complexe et fascinant qui cherche à comprendre les raisons de la mort de son frère. Le roman nous plonge dans un mélange habile de genres, passant du polar à la philosophie, de l'histoire à la poésie, pour nous offrir une réflexion profonde et complexe sur la nature de la justice et de la vérité.
"Meursault contre-enquête" est un roman qui ne laisse personne indifférent. Il est à la fois une critique acerbe de l'héritage colonial français en Algérie et une réflexion sur la condition humaine, la justice et la vérité. Avec sa prose poétique et son regard perspicace sur les événements historiques, Kamel Daoud a créé un roman d'une grande beauté et d'une grande profondeur, qui restera sans aucun doute dans les mémoires comme l'un des grands classiques de la littérature contemporaine.
En somme, "Meursault contre-enquête" est une œuvre littéraire inoubliable qui explore des thèmes profonds et universels tels que la justice, la vérité, la culpabilité et la rédemption à travers une enquête fascinante et une narration poétique et poignant. Ce roman est une invitation à réfléchir sur les enjeux de l'histoire, de la société et de la condition humaine, tout en nous offrant une réécriture audacieuse et innovante d'un des romans les plus célèbres de la littérature française.
Albert Camus : "Je ne connais qu'un devoir, c'est celui d'aimer"
Camus nous raconte la méchanceté du quotidien, l’ambivalence du soleil, la tendre indifférence du monde et la folie des hommes sacrifiant sur l’étal de leurs certitudes celui qui, parce qu’il ne sait pas mentir ni pleurer, ne leur ressemble pas. Relire Camus en ces temps troublés.
Aujourd'hui presque unanimement considéré comme un des grands hommes de la Nation, Albert Camus fut pourtant beaucoup décrié et critiqué par le passé. Camus n'a pas toujours été légitime en son temps. Libertaire refusant les extrémismes, défenseur de la classe laborieuse refusant le stalinisme. Réformiste contre le statu quo. Il faut aussi rappeler le contexte dans lequel s'inscrit la pensée de Camus : celui de la résistance, puis de l'épuration, du début de la consommation de masse, de la guerre d'Algérie, et de la fascination de beaucoup d'intellectuels français pour le système soviétique.
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