Le président Abdelmadjid Tebboune clôture ce mercredi 24 mai une visite d’Etat de trois jours au Portugal entamée lundi, d’où il a lancé de nombreux messages.
Une visite à enjeux multiples dans le contexte mondial et régional actuel qui suscite des réactions hostiles au Maroc où elle est suivie avec un intérêt particulier de la part des médias.
La visite du président algérien au Portugal était peut-être prévue de longue date, mais ce n’est qu’à la dernière minute qu’elle a été annoncée.
Ces derniers mois, la presse et la communication officielle ont plutôt évoqué régulièrement les visites programmées du président à Paris et Moscou. Cette visite au Portugal était complètement inattendue pour l’opinion publique et les observateurs.
La visite traduit la nouvelle stratégie de la diplomatie algérienne, qui est de privilégier le renforcement du partenariat avec les pays qui entretiennent de bonnes relations politiques avec l’Algérie et de mettre les atouts économiques du pays au service d’une plus grande influence politique et stratégique.
Cela a été notamment le cas avec l’Italie avec laquelle il y a eu un échange de visites de haut niveau depuis 2021, une multiplication des investissements italiens en Algérie et des contrats supplémentaires de production et de fourniture de gaz.
Le niveau du partenariat économique avec l’Italie est plusieurs crans au-dessus, mais les relations politiques de l’Algérie avec le Portugal ont toujours été également bonnes.
Elles sont aussi ancrées dans l’histoire. A plusieurs reprises, le président Tebboune a rappelé le soutien de l’Algérie indépendante à l’opposition démocratique à la dictature portugaise dans les années 1960 et au début des années 1970.
Une forte délégation d’opérateurs économiques algériens a accompagné Tebboune à Lisbonne et des annonces ont été faites de part et d’autre pour un renforcement significatif du partenariat entre les deux pays.
Cette visite à Lisbonne survient dans un contexte de crise entre l’Algérie et l’Espagne, voisin immédiat du Portugal.
Si rien ne va aujourd’hui avec Madrid, c’est à cause du revirement historique du gouvernement de Pedro Sanchez sur la question du Sahara occidental en mars 2022.
L’Algérie a depuis procédé à la suspension du traité d’amitié et de bon voisinage et les échanges commerciaux hors hydrocarbures entre les deux pays. Les pertes engendrées par ces mesures pour les entreprises espagnoles sont colossales.
Visite de Tebboune au Portugal : un « cauchemar » pour le Makhzen
Lorsque les pays de la rive sud de la Méditerranée ont sollicité de l’Algérie d’augmenter ses flux de gaz, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, Alger avait clairement exprimé sa préférence pour l’Italie au détriment de l’Espagne, et c’est ce qui a été fait.
A Lisbonne, le président Tebboune et son homologue portugais Marcelo Rebelo de Sousa ont réaffirmé leur attachement au traité d’amitié qui lie les deux pays depuis 2005.
Le sens du message ne peut pas échapper à Madrid où la pression va crescendo sur le gouvernement de Pedro Sanchez pour l’amener à « réparer » les dégâts qu’il a occasionnés à la relation avec un partenaire important.
Comme lors des visites échangées avec l’Italie, les responsables algériens et portugais ont mis l’accent sur la « convergence de vues » sur les questions de politique internationale dont celle, importante pour toute la région, du Sahara occidental.
Le président de Sousa a rappelé la position « constante » de son pays qui est de soutenir « le rôle des Nations Unies et leurs résolutions vis-à-vis de la question du Sahara occidental » et d’œuvrer à « réaliser les principes de la démocratie en la matière ».
Le Portugal reste donc loin de la ligne adoptée par l’Espagne sur le Sahara occidental et qui a poussé l’Algérie à geler le traité d’amitié avec ce pays.
Si, à Madrid, cette visite du président algérien peut accroître les regrets, à Rabat, elle fait fulminer.
Elle constitue une démonstration supplémentaire des trajectoires opposées prises par l’influence algérienne et marocaine sur la scène internationale ces derniers mois, d’où toutes ces réactions hostiles qu’elle suscite dans la presse marocaine qui tente de donner une autre dimension à une vidéo montrant deux ou trois personnes en train de tenter de chahuter la visite. À Alger, on soupçonne la main du Maroc.
« Ce sont des mercenaires marocains qui ont tenté en vain de chahuter la visite du président Tebboune au Portugal. Tout s’est très bien déroulé », affirment nos sources.
Il est aussi curieux que les mêmes relais médiatiques diffusent, alors que Tebboune se trouve à Lisbonne, un faux enregistrement dans lequel des propos peu amènes sur l’Algérie sont attribués au président français Emmanuel Macron.
La parodie, de piètre qualité, sent l’amateurisme. La visite de Tebboune au Portugal a suscité en tout cas un intérêt inhabituel dans les médias marocains, et ce n’est pas sans raison.
Ces médias réputés proches du palais royal prennent la précaution de ne pas critiquer le Portugal, mais ils tentent par tous les moyens de diminuer de l’importance de la visite de Tebboune dans ce pays.
Après l’Espagne, la cible du Maroc était le Portugal, qu’il voulait voir emboîter le pas à Madrid sur la question du Sahara occidental. C’est dans cette optique que s’inscrit la visite effectuée il y a deux semaines au Portugal par le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch.
Avec l’Espagne, le Maroc a eu recours à un long chantage à la « bombe migratoire » et un marchandage sur les enclaves de Ceuta et Melilla.
Avec Lisbonne, il n’a pas autant de leviers et c’est l’Algérie qui semble avoir actionné les siens, moins bruyants, mais autrement efficaces. En somme, la diplomatie algérienne vient de réussir un coup d’éclat par cette visite de Tebboune au Portugal, qui tourne au cauchemar pour le Maroc.
Aussi présenté au Festival de Cannes, le premier long-métrage d’Elias Belkeddar avec Reda Kateb et Benoît Magimel est déjà au cinéma.
Reda Kateb et Benoît Magimel, ici dans « Omar la fraise » d’Elias Belkeddar.
CINÉMA - Omar la fraise n’est pas une nouvelle variété de gariguette, ni le petit frère d’une certaine Charlotte. Non, c’est le nom d’un long-métrage avec Reda Kateb et Benoît Magimel, le premier d’Elias Belkeddar. Et oui, le film, projeté au Festival de Cannes, est aussi drôle que le laisse à penser son titre. Il vient d’arriver sur nos écrans, ce mercredi 24 mai.
Son histoire, elle, c’est celle d’un des plus grands bandits d’Algérie, le dénommé Omar la fraise. Là-bas, tout le monde connaît son nom : c’est une vraie légende. Et alors qu’il vit de petites magouilles dans son pays d’origine, il apprend qu’il vient d’écoper de 20 ans de prison, en France. Pas question d’y remettre les pieds. Il doit se faire tout petit, rester bien au calme, à Alger, et surtout ne plus commettre la moindre infraction.
Le problème, c’est qu’Omar et son acolyte de toujours Robert (Benoît Magimel) aiment beaucoup trop faire la fête et dépenser tous leurs billets dans les soirées, la drogue et les bouteilles de champagne. Loin d’eux l’idée d’en finir avec leur vie de gangsters. Ils ont une réputation à tenir.
En particulier Omar, autour duquel gravitent les mythes les plus fous. D’où vient son nom ? Pour certains, c’est parce qu’il opère comme un dentiste. Pour d’autres, parce qu’il aurait piégé, enfant, un adulte en remplissant des fraises de fines aiguilles à coudre pour se venger d’un rappel à l’ordre en classe.
Les rumeurs qui courent à son sujet sont absurdes, bien loin de son image de truand. Elles nous font en tout cas le même effet comique que les punchlines de Reda Kateb, ses discussions surréalistes avec Benoît Magimel et leurs aventures kafkaïennes.
Découvrez ci-dessous la bande-annonce :
Mais Omar la fraise n’est pas qu’une simple com
Une « histoire de famille, de coeur et d’amitié »
Mais Omar la fraise n’est pas qu’une simple comédie. Si les bains de sang et les bastons dont regorge le long-métrage n’ont rien à envier à Quentin Tarantino, l’intrigue amoureuse avec Meriem Amiar a, elle, tout des codes d’une bonne rom com façon Coup de foudre à Notting Hill.
« C’est un premier film très personnel. Ça parle d’amitié, d’amour et d’un pays, l’Algérie », déclarait Benoît Magimel sur le plateau de Quotidien, le 16 mai. « On voit l’Algérie comme on la voit peu, comme elle a été peu filmée au cinéma ces dernières années », précise à son tour Reda Kateb - dont le père est d’origine algérienne. La jeunesse algérienne est photographiée dans le film de manière inédite, selon l’acteur. Certains lieux, aussi. Elias Belkeddar est, ici, retourné filmer dans la cité Climat de France, comme il l’avait fait pour les besoins du clip de DJ Snake, Disco Maghreb.
Omar la fraise reste, pour lui, « une histoire de famille, de cœur et d’amitié magnifique ». Un film « surprenant », ajoute-t-il. Moins étonnant qu’il soit présenté dans le cadre des Séances de minuit à Cannes, une sélection réputée pour ses films anticonformistes.
« Pour construire la démocratie, il faut que l’État restitue la parole confisquée depuis l’indépendance et que les intellectuels arrachent la liberté d’être soi-même ».
Et je te réponds :
« Pour construire la démocratie il faut savoir que la démocratie signifie la protection de l’intégrité de l’individu contre le nombre. Il faut se rappeler qu’aucun État n’a jamais accordé totale liberté d’expression aux gens. Qu’aucune armée n’a jamais protégé un peuple. Que la seule parole qui peut être prise se situe sur la place publique et dans l’espace intime des personnes. La parole indépendante ne surgit que du palais de ta bouche où elle est reine si tu lui fais entendre ton propre cœur. Maintenant, pour être toi-même, tu aimeras ta compagnie dans les moments de solitude. Alors, après avoir fait ce tour du monde tel qu’il est toujours et que tu ne peux changer, tu feras le tour de toi-même. Puis, prenant la liberté d’être libre, et recherchant l’amitié dans l’égalité entre les amis, tu parleras avec les personnes qui osent parler d’elles-mêmes avec leur langue personnelle, tu leur feras tes dons et exprimeras ta curiosité. Car, fraternels nous sommes avec le vivant lorsque nous laissons aller notre chant pour chanter, lorsque nous aimons pour aimer. Il n’existe dans la nature nulle obligation de posséder une autorisation pour pouvoir dire ce qui est propre aux humains.
Pierre Marcel MONTMORY
KATEB YACINE
- poète -
« Ce qui tue certains écrivains, chez nous, c’est qu’ils se font une idée aristocratique de ce qu’ils sont. Ils croient être des gens à part, qui vivent dans une tour d’ivoire ou en solitaires incompris, ou qui sont faits pour vivre dans une société qui les comprend, protégés par des mécènes et entourés d’une cour.
Ce n’est pas possible, surtout à notre époque.
Le monde entier est en révolution. Même un sourd ou un aveugle est obligé de le comprendre.
Ce n’est pas possible d’en rester là. Beaucoup ici l’ont compris, je crois, depuis notre révolution. Ce peuple qui passe devant eux tous les jours et qu’ils ne remarquent même pas, c’est ce peuple qui l’a faite, la révolution. Ils ont tendance à l’oublier en permanence.
Or ce peuple parle, ce peuple lit, ce peuple fait des trouvailles chaque jour et c’est lui qui fait la langue. Il faut revenir à une conception vivante de la culture. Le peuple est une force.
Venir au peuple, ce n’est pas descendre, c’est monter. »
Kateb Yacine
Il y a trente ans disparaissait celui qui a révélé le potentiel littéraire algérien au monde et renouvelé le théâtre populaire, s’adressant aux Algériens sans distinction d’âge ni de niveau d`instruction. Le romancier, dramaturge et metteur en scène Kateb Yacine s’est éteint un 28 octobre 1989 à l’âge de soixante ans.
Né en 1929 à Constantine, Kateb Yacine aura laissé une œuvre littéraire universelle, « Nedjma », publié en 1956 aux éditions françaises « Le seuil ». Ce roman qui va se propager en fragments sur toute l’œuvre théâtrale de son auteur, a fait l’objet de nombreuses thèses universitaires en Algérie et en France, jusqu’aux États-Unis et le Japon, entre autres.
C’est à la prison de Sétif, où il s’est retrouvé après les manifestations du 8 mai 1945, que le jeune Kateb Yacine a découvert l`oppression, la mort, le vrai visage de la colonisation et surtout son peuple, comme il le confiera lui-même.
Suite à cette expérience, traumatisante pour un adolescent de 16 ans, Kateb entame en 1946 l’écriture de son premier recueil de poésie « Soliloques ». « J’ai commencé à comprendre les gens qui étaient avec moi, les gens du peuple (…). Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux », écrira-t-il en préface.
Au lendemain de l’indépendance, Kateb Yacine se tourne vers le théâtre populaire, soucieux de s’adresser au peuple dans sa langue. « L`homme aux sandales de caoutchouc » est jouée, pour la première en 1971, au Théâtre national d`Alger. La pièce est le fruit d’une collaboration entre l’auteur, l’homme de théâtre Mustapha Kateb, et la troupe du « Théâtre de la mer » dirigée par Kaddour Naïmi.
Cette expérience donnera ensuite naissance à l’Action culturelle des travailleurs (Act).
Sous la direction de Kateb Yacine, la troupe sillonnera pendant près de dix ans villages et places publiques dans la région de Bel Abbas où elle a élu domicile pour faire découvrir le théâtre à ceux qui n`y ont pas accès: « On ne choisit pas son arme. La nôtre, c’est le théâtre », disait-il pour souligner son engagement politique et social.
Durant toute cette période, Kateb Yacine n’aura de cesse de modifier ses œuvres, jouant avec les personnages, pour mieux coller à l`actualité et aux préoccupations populaires.
Définitivement focalisé sur l’écriture dramaturgique, traduite vers l’arabe dialectal, ainsi que la mise en scène, Kateb Yacine produira « La guerre de deux mille ans », une œuvre universelle, inspirée du théâtre grec et qui a valu à la troupe une tournée de trois ans en France.
« A cette époque, Kateb était la coqueluche à Paris, ses pièces se jouant à guichet fermé tous les soirs », se souvient encore un des comédiens de l’Act, Ahcen Assous.
Selon le comédien, cette pièce évolutive « pouvait se jouer plusieurs jours de suite (…) et s’arrêter sur différentes stations importantes de l’histoire de l’humanité ».
En 1986, Kateb Yacine approche son idéal d’œuvre historique universelle en écrivant un extrait de pièce sur Nelson Mandela, puis « Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Manceau ». Cette dernière était une commande française pour marquer la célébration du bicentenaire de la révolution française.
Se réapproprier Kateb Yacine
Au théâtre comme dans la littérature et la poésie, l’œuvre de Kateb Yacine est « faite pour que la jeune génération se l’approprie, la revisite et la retravaille », estime l’historien de l’art et romancier Benamar Mediene, auteur de « Kateb Yacine, le cœur entre les dents ».
En fait, le dramaturge est « réfractaire » à la sacralisation de son œuvre, appuie ce compagnon de langue date de l’écrivain.
Depuis la disparition de Kateb Yacine, son œuvre dramaturgique n’a jamais cessé d’alimenter les planches algériennes. Des pièces ont été traduites vers Tamazight et l’Arabe littéraire, d’autres ont été montées en fragments, alors que sa touche en matière de mise en scène garde toute sa fraîcheur.
Cependant, en dehors de « Le cadavre encerclé » ou de « Les ancêtres redoublent de férocité », de nombreuses autres œuvres restent encore méconnues du public et rares encore sont les troupes qui consentent à s’attaquer à un texte de Kateb Yacine.
Au-delà de la recherche universitaire, le roman « Nedjma » a été adapté au théâtre par le metteur en scène et comédien Ahmed Benaïssa qui souhaitait « désacralisé ce roman, réputé inaccessible », alors qu’un collectif d’artistes, étudiants et universitaire ont entamé la traduction du roman vers l’arabe dialectal et son enregistrement en livre audio.
L’auteur de « Nedjma » a également laissé des interviews et des écrits où il expose sa vision de l’Algérie. Une Algérie progressiste qu’il a toujours souhaitée « défendre contre toutes les formes d’intégrisme », ainsi qu’il le soulignait dans sa dernière apparition dans les média à l’été 1989.
Une foule immense d’hommes et de femmes de tous âges a accompagné la dépouille de Kateb Yacine au cimetière d’El Alia d’Alger où il repose.
Scène de la pièce la Kahena aux Bouffes du Nord à Paris en 1974. Photo : Youcef Ait Mouloud
Témoignage par Youcef Aït Mouloud en hommage à Kateb Yacine, alias Si Amar.
La rencontre avec Kateb Yacine
J’ai rencontré Kateb Yacine par l’intermédiaire d’Abdela Bouzida en 1970, il venait de débarquer d’exil. Il avait conçu le projet de faire pénétrer le théâtre chez les travailleurs et les paysans. Il voulait un vrai théâtre qui s’adressait aux Algériens, avec la langue de tous les jours, de nos mères et de l’Algérie profonde, l’arabe dialectal et le tamazight. Grâce au concours d’Ali Zamoum, qui l’a mis en contact avec la jeune troupe de théâtre de la Mer, qui activait au sein de la formation professionnelle.
C’est ainsi qu’il m’a proposé de rejoindre l’équipe, afin de suivre le travail de création et traduire le texte en kabyle, celui qui allait devenir plus tard la célèbre pièce « Mohamed prends ta valise », ainsi que la version kabyle montée avec un groupe d’étudiants à Ben Aknoun pour la première fois dans l’histoire du théâtre amazigh ayant reçu le premier prix au festival universitaire de Carthage.
Mon premier contact a eu lieu à Kouba, au local du théâtre de la Mer. Au début, j’étais intimidé avant de le rencontrer, je m’attendais à voir un écrivain genre académique tel que représenté par les médias français.
A mon étonnement, je n’ai pas reconnu Kateb Yacine devant le groupe tellement il était effacé : ça aurait pu être, un maçon, un plombier ou un éboueur, avec sa tenue de bleu de Chine et ses sandales ; mais pas un personnage de renommée universelle.
Kateb Yacine et le problème identitaire
Ma première question fut la suivante et la dernière : L’Algérie est-elle arabe, son peuple alors ? On fait comme si l’histoire de l’Algérie s’arrêtait à l’arrivée des arabes. On fait comme si l’Algérie était à perpétuité arabe et musulmane. Or, cela est très grave, car avant de dire l’Algérie arabe, on a dit l’Algérie française aussi : or, il faut voir l’Algérie tout court.
Cette Algérie ne peut renoncer ni à sa langue, ni à son histoire. Elle ne peut s’accommoder du scandale qu’on connait beaucoup plus dans notre pays Jeanne d’arc que la Kahina. Il est temps que ceci cesse.
La Kahina pose donc beaucoup de problèmes, celui de la langue, de l’histoire, de la nation, de la femme…Nous avons posé ces problèmes et les hostilités ont commencé sous forme d’émissions radio, d’ailleurs lamentables.
Des émissions de théâtre qui essayaient de prendre à contre-pied ce que nous faisions et qui tentaient de présenter la Kahina sous la forme d’une espèce de sorcière, de meurtrière, d’ignorante, de monstre… Les choses ne sont pas claires, il ne faut pas que les Algériens soient séparés par de faux problèmes. Certains pensent que nous sommes anti-arabes. C’est un mythe. Ce terme lui-même a été tellement galvaudé qu’il recouvre des conceptions devenues douteuses.
Pendant trois heures, j’ai eu droit à un cours magistral sur l’histoire du Maghreb des peuples, et sur Ibn Khaldoum qu’il regrette qu’il ne soit pas étudié à l’école et à l’université, une façon à lui de tirer la sonnette d’alarme, pour que l’Algérie retrouve son algérianité, et éviter aux générations futures de ne pas avoir de repères de leur identité.
Je dirais revisiter Kateb Yacine est une urgence, et en particulier ses œuvres, et serait un salut pour l’avenir du théâtre, de la littérature et de la culture algérienne en général.
Ce n’est pas les textes de Kateb Yacine qui sont complexes, c’est l’Algérie elle-même qui l’est, depuis l’antiquité à nos jours. C’est cet amalgame de civilisations, qui a fécondé cette lucidité insaisissable qu’on retrouve dans le génie du peuple.
Il y a quelque chose de sacré, un lien ombilical, qui lie et divise le peuple algérien, sans vraiment le diviser. C’est cette équation qui fait que cette diversité pose un problème, alors qu’en réalité, ce n’est qu’un écran de fumé qui faut franchir pour être soit même, un Algérien tout simplement. C’est dans la simplicité de la vie et la limpidité de la nature que navigue Kateb
La fameuse équation on la trouve dans « Nedjma » dont la structure est basée sur la notion de temps-espace. Un aller-retour continuel : midi c’est minuit, minuit c’est midi. Le problème à résoudre pour Kateb Yacine est : comment classer les différents chapitres ? Où est le début et où est la fin ?
La solution était finalement dans le cadran de la montre. Voyager dans le temps et revenir à la même heure, l’éternel ressac de la mer.
Tout Algérien peut comprendre « Nedjma », s’il parle la langue de sa mère.
Ce sont les Français qui ont mystifié l’œuvre à travers des symboles car ils n’ont rien compris à l’Algérie : un tabou à casser pour les générations à venir.
Il nous parlait souvent de Faulkner, d’Ibn Khaldoum, de Joyce, d’Hemingway, de Si Mohand Ou Mhand qu’il comparait à Rimbaud ; de Jean Marie Serrault qui lui a fait découvrir le théâtre ; de ses compagnons d’exil : Issiakhem, Mohamed Zinet et Moh Saïd Ziad qui étaient d’ailleurs nos amis ; de Taous Amrouche ; de Jacqueline Arnaud, amie sincère qui le vénérait et venait souvent de Paris lui rendre visite.
Il nous parlait aussi de ses déboires sous le régime de Ben Bella et de la nomenklatura du pouvoir.
Son génie et sa force de caractère, il les puisait des contacts permanents avec l’Algérie profonde. Il aimait sentir l’odeur de la sueur de l’ouvrier et du paysan. Cette odeur le maintenait proche de la vérité et de la misère des gens.
Il détestait les mondanités, les salons feutrés, les intellectuels de salons, les faux douctours de la télévision. Il n’avait pas de temps à perdre avec la racaille éparpillée dans le système.
Il détestait également l’égocentrisme et le narcissisme ; le monde de la bourgeoisie lui donnait la nausée.
Dans la rue, il rasait les trottoirs ; il se faisait tout petit et s’abaissait au niveau du peuple dont il avait un profond respect. Il préférait l’écouter et lui poser des questions afin de comprendre ses souffrances et épouser sa douleur.
Le véritable écrivain est le peuple, il suffit de l’écouter et lui prêter sa plume.
Il disait que pour construire la démocratie, il fallait que l’Etat restitue la parole confisquée depuis l’indépendance et que les intellectuels arrachent la liberté d’être soi-même.
La révolution, il en a fait un devoir et une religion. La douleur des opprimés le hante et le ronge à chaque instant de sa vie. Sa vraie famille, sa tribu, était sa troupe dont les membres sont venus des quatre coins d’Algérie. C’était sa raison de vivre depuis son retour d’exil.
Décès et enterrement
Une année avant sa mort, on s’est revu au théâtre de Bel Abbès, on venait de commencer les répétitions de « La poudre d’intelligence », tout en lui expliquant, les raisons et le choix du décor, ainsi que les différentes phases de la mise en scène.
La seule intervention qu’il a faite, c’est d’intégrer une scène de 20mn qui ne figurait pas dans le texte officiel « La démystification des idoles ou la mise à nu du pouvoir ». Scène qui a été censurée dans la version filmée et diffusée par l’ENTV, seule pièce filmée du répertoire de la troupe, grâce aux évènements du 5 octobre 1988. Rien ne présageait qu’il était atteint d’une maladie incurable, et condamné à une mort certaine ; aucun signe ne trahissait sa force de caractère et sa douleur qu’il assumait avec dignité.
Le 29 octobre dans l’après-midi, ma femme m’a informé qu’Ali Zamoum a téléphoné pour nous informer du décès de Yacine à l’hôpital de Grenoble et il devait être rapatrié le lendemain, ainsi que la dépouille de son cousin Mustapha, le frère de Nedjma.
Deux jours avant son enterrement, des milliers de gens sont venus lui rendre un dernier hommage au centre familial de Ben Aknoun, sa dépouille est exposée au restaurant du centre, puis dans son humble bicoque d’une pièce-cuisine, pour sa famille, ses amis et ses compagnons de lutte.
Le 31 octobre, l’imam El Ghazali, sortit une fatwa de son génie enturbanné, que cette « lucidité » ne pouvait être enterrée en Algérie, terre d’Islam, sans que le pouvoir ne réagisse à ce dépassement inqualifiable. Le comble de l’ironie a atteint son paroxysme : au lieu d’un message de condoléances de la présidence de la république, ce fut une invitation du président Chadli Ben Djedid sollicitant la présence de Yacine aux festivités du 1er Novembre.
Kateb a préféré commémorer le 1er Novembre à sa manière au cimetière d’El Alia, avec les martyrs de la Révolution trahie.
Les Frères monuments, étaient présents, protocole oblige, se tenant à l’écart du peuple pour s’assurer que le spécimen algérien est bel et bien sous terre.
Des chants berbères et l’Internationale, entonnés par la foule à la gueule des barbes flen et cacique du pouvoir qui ont préféré par sécurité se placer à l’entrée du cimetière. Pour la première fois, le 1er Novembre a été fêté à sa juste valeur, les martyrs étaient de la fête grâce à l’un des leurs.
Plusieurs années après sa mort, sa tombe est restée un amas de terre anonyme. Il a fallu que les compagnons de Nedjma, chômeurs en majorité, se mobilisent pour ériger enfin une tombe plus ou moins décente, que les autorités ont voulu effacer de la mémoire collective. Hélas pour elles! Les étoiles ne s’éteignent jamais.
Frantz Fanon, un psychiatre français originaire de la Martinique vient d’être nommé chef de service à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie. Ses méthodes contrastent avec celles des autres médecins dans un contexte de colonisation.
Le rôle de Josie Fanon, la femme de Frantz Fanon, est confié à la talentueuse actrice Belge Déborah François, César du meilleur espoir féminin 2009, qui apportera une sensibilité et une profondeur émotionnelle au personnage.
Les interprètes principaux dans ce biopic au cœur de la guerre d’Algérie où se livre un combat au nom de l’Humanité, sont : Stanislas Merhar, Mehdi Senoussi, Olivier Gourmet, Arthur Dupont, Salomé Partouche, Nicolas Buchoux, Salem Kali et sfaya m’barki. Il y a également une large partie du casting qui est tunisien, un choix qui confirme la volonté d’être au plus près des récits d’ailleurs. Il s’agit notamment de Khaled Brahmi, de Giancarlo Gustella, de Jamal Madani, de Abdelkader Dridi, Moncef Ajengui.
Corse et Algérie, mémoires en partage suivies de Carnets algériens (1975-2020), est le nouveau livre de Jean-Pierre Castellani, paru chez Scudo Edition le 2 avril 2023. Dans ce texte à la première personne, l’auteur nous plonge dans un récit au souffle autobiographique, de la Corse à l’Algérie, de l’enfance à la maturité, des villages insulaires au soleil méditerranéen…
Qu’advient-il lorsqu’on naît à Ajaccio, de père et mère corses, qu’on grandit à lger où l’on passe ses vingt-deux premières années, pour se retrouver à Tours et à Paris où s’échafaude une carrière universitaire et se bâtit un destin ? C’est cette triple appartenance — Corse, Algérie, France —, disons même ces trois identités, auxquelles s’ajoute un attachement sentimental et culturel à l’Espagne, que l’on découvre dans les pages du livre de Jean-Pierre Castellani. Un livre qu’on lit en partageant l’émotion de son auteur, qu’on soit corse, algérien ou « français de France » — comme aime à dire Leïla Sebbar, qui en signe, en grande empathie, la préface. Un ouvrage qu’on pourrait qualifier de testamentaire et qui vient couronner la riche bibliographie de cet universitaire et brillant hispaniste, par ailleurs vice-président de la Société internationale d’études yourcenariennes. On retiendra parmi ses œuvres Goodbye Rabelais ! Figures libres & Yourcenar, Almodóvar et Umbral (éditions Samuel Tastet, 2006), Portraits de Corse, figures emblématiques de la Corse d’aujourd’hui (éditions Colonna, 2016) ou Une enfance corse (avec Leïla
Sebbar, Bleu Autour, 2010).
Jean-Pierre Castellani
Mais, primordialement, hommage est rendu aux siens, et ce livre est dédié à Jean-Mathieu et Julie, ses parents corses, instituteurs exemplaires — Hussards noirs de la République, comme on les surnommait pour leur dévouement militant à l’instruction publique — pour qui il consacre un magnifique chapitre sur sa Corse natale et ce village de montagne aux maisons grises qui fut celui de ses vacances et qui représente, certes, son ancrage ancestral :
« LA CORSE A TOUJOURS REPRÉSENTÉ, À MES YEUX, LE TERRITOIRE BÉNI DE L’ENFANCE, DES VACANCES AU VILLAGE, DE L’INSOUCIANCE, MAIS AUSSI UN DÉNI DE L’HISTOIRE DANS LA MESURE OÙ LES CORSES TROUVAIENT AILLEURS LES VOIES DE LEUR DESTIN. »
Tout est dit en cette phrase lapidaire, et l’auteur ne manque pas d’aborder le mouvement Riacquistu, qui signifie « la réappropriation de tout ce qui s’était perdu avec le temps », tout comme il évoque le destin singulier de Pasquale Paoli, le père de la patrie, U Babbu di a Patria, ce qui l’amènera à cette conclusion, englobant tout à la fois la Corse et l’Algérie : « Toute utopie est donc vouée à l’impasse », ce qui ne l’empêche pas de formuler ce vœu pieux : « Il faut toujours essayer de retrouver ce que l’on croit avoir perdu… il faut toujours partir à la recherche de ses utopies perdues… »
Ajaccio, ville natale de l’auteur
Et c’est la raison d’être de ce livre où Castellani traite, pour l’essentiel, de l’Algérie, le pays de sa jeunesse. Fidèle en cela à la leçon de Marguerite Yourcenar, autrice vénérée à l’égal de Cervantès et d’Albert Camus, ses dieux tutélaires, et qui, comme eux, lui apprend à voir le monde et guide son regard : « La vie est atroce : nous savons cela. Mais précisément parce que j’attends peu de chose de la condition humaine, les périodes de bonheur, les progrès partiels, les efforts de recommencement et de continuité me semblent autant de prodiges qui compensent presque l’immense masse de maux, des échecs, de l’incurie et de l’erreur. »
Le voilà donc ce jeune homme qui, alors que la terreur s’est abattue sur Alger et que des bombes explosent aux portes mêmes des Facultés — à l’Otomatic, au Milk Bar, au Coq Hardi et, plus haut, au Casino de la Corniche —, massacrant ou mutilant la jeunesse, se range aux côtés d’Albert Camus l’humaniste qui viendra à Alger plaider pour la trêve de l’ignoble engrenage attentats-répression, et pour une solution de partage qui réparerait l’injustice et satisferait à la justice. Et là, parmi ses condisciples exaltés prêts à en découdre et à s’armer de violence à l’encontre de celui qui représente alors la plus grande voix de l’Algérie et de la France mêlées, Jean-Pierre Castellani se dresse et hurle : « On ne touche pas Camus ! », désarmant les factieux. Plus tard, il reconnaîtra en la voix algérienne de l’autrice francophone Maïssa Bey, elle qui voulait avoir « les yeux de Camus », le son même de l’humanisme et de la grandeur de l’auteur de L’Étranger : « Tous les textes de Maïssa Bey sont traversés du même amour et de la même passion de l’Algérie que ceux de Camus. »
Vue d’Alger
Et l’hommage qu’il rendra à cette romancière, bientôt relayée par Kaouther Adimi, jeune autrice inspirée de Nos richesses, est aussi témoignage amoureux et passionnel envers la terre de son enfance dont les écrivains, finalement, se hissent très au-dessus de l’Histoire et de ses médiocres cahots ou ses sanglantes erreurs.
Tout au long de ce livre, que ce soit dans la première partie ou dans les « Cahiers algériens » qui le complètent, nous ne cessons avec le scribe de parcourir la ville aimée. Depuis les hauteurs de la ville où il habitait jusqu’à ce port et sa darse populeuse : là, les cinémas dont Jean-Pierre, vingt ans après, est capable encore de dresser la longue liste (de trente et quarante salles obscures), les salles de spectacle dont ce Majestic aux 4000 places où triomphait sur le ring Marcel Cerdan, l’idole des jeunes sportifs, et où se produisit, à ses débuts, Jacques Brel. Et puis la piscine du RUA, le Racing Universitaire d’Alger, le club d’Albert Camus (qui jouait gardien de but), le sien aussi. Et ces immeubles haussmanniens qui bordent la plus belle baie de la Méditerranée. Et la mystérieuse Casbah aux rues déglinguées. Les retours après l’Indépendance sont exaltants, certes, mais aussi souvent douloureux tant tout est pareil et tellement différent, à l’exception de ce ficus dans la cour de l’école Volta, de somptueuse architecture — « la luxueuse Villa Saulière » —, où l’enfant qui reste en lui fait éclater en larmes l’adulte advenu : « En 2006, mon retour dans la c
Jardin d’essai du Hamma
Mosquée Ketchaoua
Grande Poste
Jardin d’essai du Hamma
Corse Algérie jean-pierre castellani
Mais l’Algérie d’après l’Indépendance connaît bien des convulsions qu’il n’entend pas occulter, à commencer par la guerre civile des années 90 qui entraîna un autre exode, de tant de jeunes Algériens prometteurs qui surent retrouver en France leurs aînés exilés, qu’on appelait, non sans mépris, des « pieds noirs » (que le maire de Marseille en 1962, voulait rejeter à la mer !). Castellani porte comme une épine au cœur l’affectation, après l’Indépendance, de son glorieux père, instituteur modèle, dans l’académie de Lille, et on en a connu bien d’autres que l’on entendait envoyer le plus au nord possible de l’hexagone, en pensant ainsi les humilier ou les punir, mais de quelle faute ? Celle d’avoir servi comme nuls autres, la langue et la culture française ? « Quand mon père »rentra’’ en 1962, il perdit son école plus que l’Algérie. Il refusa une affectation à… Lille, qu’il interpréta à juste titre comme une humiliation de la part d’un État bien ingrat. »
Mais, pour la bonne bouche, on retiendra cette phrase qui résume ce séjour « en Alger » (comme on disait alors) :
« MES SOUVENIRS D’ALGER SONT ESSENTIELLEMENT LIÉS À DES IMPRESSIONS SENSUELLES, COMME CELLE DE LA LUMIÈRE AVEUGLANTE DE LA BAIE D’ALGER, LA VISION ENCHANTERESSE DE LA VILLE BLANCHE, UN MÉLANGE ENIVRANT D’AFRIQUE ET D’OCCIDENT ».
Mais qu’est-ce qui n’a pas marché, qui a foiré dans cette coexistence des deux communautés — qui, rappelons-le, siégeaient dans deux collèges différents à l’Assemblée Algérienne : les Européens, comme on disait, ayant seuls le pouvoir de décision quand les Indigènes, ainsi appelés, n’avaient que celui d’être consultés —, et pourquoi ce qui a pu se produire aux Amériques, un éventuel melting-pot, n’a-t-il jamais affleuré l’Algérie française ?
Castellani, fort judicieusement, montre du doigt l’échec du métissage. Chacun restait sous sa tente, et même au sein de ce qu’on appelait les Provinces de France, on voyait, par exemple, les Catalans se marier entre eux, et aussi les Corses, certes, et même les Poitevins. Chaque année se célébrait, dans la salle Pierre Bordes que Castellani revisite saisi d’émotion, la fête de ces communautés coloniales et chacune avait à cœur d’affirmer sa personnalité : ici l’on dansait la sardane, là se produisaient les Bretons avec leur chapeau rond, ici on dégustait le broyé du Poitou, là on chantait les Allobroges. Et Castellani, remontant au plus haut de la colonisation conclut, en amer regret : « À partir de ce moment, deux peuples vont vivre et cohabiter, l’un à côté de l’autre… Deux civilisations radicalement différentes se développent. Il n’y eut pas de génocide comme en Amérique Latine, mais l’on ne vit pas non plus l’apparition d’un nouveau peuple métissé. C’est peut-être là que naît le problème algérien, qui ne se résolut que dans la victoire de l’un sur l’autre. »
Au terme de cette attachante lecture, de cette réflexion si pleine de justesse et de profondeur, qui éclaire, bien plus que tant de livres d’histoire, le véritable visage de l’Algérie et l’ampleur de la déchirure, le chroniqueur qui partage avec l’auteur pareille éducation et même patrie éclatée, ne peut que répéter cette phrase corse emblématique qu’une lointaine promise de son pays natal lui adressa le jour précédant la chute, et alors que les fruits ne purent passer la promesse des fleurs, pour toutes ces raisons admirablement mises au jour par Jean-Pierre Castellani : ti tengu caru… Je t’aime, et le rideau tomba.
Jean-Pierre Castellani, Corse et Algérie, mémoires en partage. Suivies de Carnets algériens (1975-2020). Préface de Leïla Sebbar. Scudo Édition, 2023, 220p., 20 €
Au cours de l’élaboration de cette contribution, nous avons vérifié combien est ardue, dans ce cas de figure, la tâche de l’exercice historique qui consiste à mettre en relief le parcours aux multiples facettes qu’est celui de Bachir Hadj Ali : l’idéal communiste, les idées révolutionnaires, la lutte anticoloniale, les visions de progrès, la poésie et la valorisation du patrimoine culturel national.
Le déficit de documents historiques est la source de cette difficulté. Très rare, en effet, sont les historiens qui ont consacrés leurs travaux de recherches au cheminement politique du Parti communiste algérien(PCA) et à l’apport singulier du Parti d’avant-garde socialiste (PAGS) dans la construction de la conscience politique et sociale de l’Algérie postindépendance, autant dans les idées progressistes que dans le patriotisme économique.
Pour comprendre la trajectoire politique et le sens de l’engagement patriotique de B. Hadj Ali, il est nécessaire, d’abord, de le situer dans son contexte historique, c’est-à-dire dans la montée du mouvement anticolonial et national algérien dans toutes ses dimensions et ses composantes, ensuite, maitriser les principes marxiste-léniniste, et enfin mettre en exergue sa conception internationale du combat contre l’impérialisme et le colonialisme. Il considère, en effet, que les problèmes et les crises vécues par le monde du capital naissent en son sein et sont le résultat logique des contradictions antagoniques internes de la vielle société.
L’histoire du mouvement national et sa culture doivent être étudiés autrement que par une analyse monolithique ou cloisonnement réducteurs en éléments totalement distincts. Nous devons mettre en avant ce mode de pensée, qui définit l’individu par la nation, laquelle doit elle-même son existence et autorité à une tradition de lutte supposée ininterrompue, interdépendante et transnationale.
L’écriture de l’histoire demeure souvent inachevée et est soumise à des évolutions nécessaires due à des éclairages nouveaux. Elle doit représenter un cadre toujours ouvert à des recherches complémentaires et qui doivent rester acquis une fois pour toutes sur le double plan de la vérité historique et de l’analyse des événements.
En raison des difficultés financières que connait sa famille venant d’Azeffoun, B. Hadj Ali abandonne ses études et intègre les services techniques des PTT. C’est au début de sa vie professionnelle, au contact des communistes et du syndicat CGT qu’il découvre la littérature marxiste-léniniste et aiguise sa conception nationale du patriotisme en fréquentant les dockers, les traminots et les autres corporations.
A la deuxième guerre mondiale, à l’instar de beaucoup d’algériens de sa génération, il est mobilisé par l’administration coloniale pour combattre le nazisme sur le terrain militaire. Tout le long du combat qu’il mène contre le projet d’hitlerisation du monde, son éveil entre en interaction avec le contexte international qui se caractérise par la montée en puissance d’une alliance mondiale contre la « suprématie raciale » incarnée par le III Reich. Il prend, ainsi, connaissance dans ces conditions historiques de l’importance primordiale de la jonction du national et de l’international. Il est démobilisé à l’issue de cette guerre à la fois héroïque, atroce et couteuse. Par son engagement militaire, il contribue à la libération de l’Europe des griffes hégémoniques du nazisme.
C’est dans la dynamique de la victoire contre ce dernier que B. Hadj Ali s’engage véritablement dans l’action politique partisane en intégrant les rangs du Parti communiste algérien. Pour lui, cet évènement fondateur doit naturellement déboucher sur l’indépendance du pays. Il s’agit bien d’une libération planétaire et par-dessus tout, il est aussi dans le tumulte de la seconde guerre mondiale pour défendre la liberté et l’honneur de la France.
En mai 1945, les marches pacifiques revendiquant l’auto-détermination algérienne ont été réprimées dans le sang et les larmes, se distinguant foncièrement par une répression brutale et une violence inouïe, notamment à Sétif, Guelma et Kherrata où plusieurs milliers d’Algériens ont été sauvagement assassinés par les colons et l’armée française. Cette brutalité coloniale a eu des conséquences positives sur le contenu de son engagement révolutionnaire, a gagné en évolution politique et a accéléré, irrémédiablement le processus de l’algérianisation du PCA, jusque là, en majorité européens dans les instances dirigeantes.
La fondation du Parti communiste algérien en 1936 ne peut être réduite à la seule volonté d’une poignée de personnes européennes se réclamant du communisme, même si l’évolution géopolitique qu’a été le mouvement communiste international à travers le Parti communiste français(PCF) a été déterminante. Il a été, avant tout, l’expression et le prolongement des actions de masse dans toute l’Algérie et la résultante de l’engagement exceptionnel à la base de la population laborieuse musulmane exploitée par l’ordre colonial dans les usines, les mines et dans les domaines agricoles. Il s’était distingué essentiellement par son enracinement à la fois social, national et organique dans le prolétariat autochtone.
Bachir Hadj Ali est très actif politiquement et contribue à l’éveil social, culturel et idéologique de la société algérienne. Il participe avec son parti au processus historique de la jonction du social au politique dans les conditions de l’aggravation de l’arbitraire colonial. Les moments forts de cette lutte sont l’encadrement du PCA des travailleurs dans les usines, les chantiers et les mines dans les démarches et les structures syndicales et associatives. Avec le soutien des travailleurs, le parti renforce la lutte de classe et aiguise la contradiction entre le travail et le capital.
Au début des années cinquante, il devient l’un des dirigeants politiques les plus dynamiques du parti et le plus exposé aux foudres de la france coloniale. Il dénonce publiquement l’arrestation des membres de l’Organisation spéciale (OS) et organise des rassemblements de soutien en 1952, devant la prison de Serkadji. Il est poursuivi à plusieurs reprises par les autorités françaises et est condamné par contumace à deux ans de prison à la veille de la guerre de libération qui le contraint à la clandestinité.
A l’insurrection armée déclenchée par le FLN/ALN, dès le 2 Novembre 1954 et dans les limites d’une déclaration politique légale, le PCA apporte son soutien au FLN en mettant en avant les aspirations nationales légitimes des Algériens, dénonçant la répression coloniale et appelant à la libération de tous les progressistes, démocrates et militants syndicaux arbitrairement arrêtés.
On a beaucoup épilogué sur cette déclaration du Bureau politique du PCA qui a été souvent dénaturée et soumise à des mutilations et manipulations très graves de la part de certains historiens qui colportent l’idée que le parti aurait condamné l’insurrection nationale, en l’assimilant à une « entreprise aventuriste et provocatrice irresponsable », pendant que d’autres, la confondent sciemment avec celle du Parti communiste français (PCF) en date du 8 Novembre 1954. De telles falsifications, de la part d’universitaires et d’historiens présentés comme éminents sont à mettre au compte de l’anticommunisme qui a pour objectif de jeter la suspicion sur le PCA et son apport dans la guerre de libération nationale.
Le FLN, n’ayant pas répondu aux avances insistantes des communistes, à partir du premier semestre de l’année 1955, et conformément à une résolution politique prise par le comité central, le PCA créa sa propre organisation militaire intitulée « les Combattants de la libération », connu aussi sous le nom « Maquis Rouge ». Ses unités de combattants indépendantistes étaient particulièrement opérationnelles et actives dans la Mitidja, l’Algérois, Cherchell, Ténès et l’Ouarsenis. L’opération la plus spectaculaire, qui a eu aussitôt un impact considérable et qui a permis de nouer les véritables contacts avec le FLN, a été menée par le militant communiste algérien Henri Maillot. Avec un groupe de combattants de la libération(CDL), il s’était emparé d’un camion d’armement des troupes coloniales au profit de la résistance indépendantiste algérienne, dont une partie a été affectée aux maquis de l’ALN avant l’accord FLN-PCA.
Dans le Nord constantinois et à l’issue de l’offensive du 20 Août 1955, initié par Zighout Youcef, Plusieurs exemplaires du journal «Liberté », l’organe central du le PCA et d’autres documents de propagande ont été trouvés sur les corps de plusieurs victimes algériennes massacrées par l’armée française à El Halia. En effet, un énorme travail de sensibilisation du parti a été effectué dans l’encadrement offensif de la paysannerie porté ainsi à participer directement à des attaques organisées contre les postes militaire. Par ailleurs, et dans les Aurès, la structuration militaire en cours a été avortée par les cadres dirigeants du FLN/ALN de cette zone qui ont ordonné l’exécution de Laid Lamrani, le représentant communiste.
L’organisateur du congrès de la Soummam, Abane Ramdane, dès qu’il a pris le commandement du FLN dans l’Algérois et au nom de l’unité de l’action, a entrepris des consultations avec l’ensemble de la classe politique. Il considère en effet que la libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous les Algériens, et non pas celle d’une fraction d’un peuple quelle que soit son importance.
Les négociations ont abouti sur le ralliement des partis, la dissolution de leurs structures politiques et leurs intégrations individuelles dans les rangs du FLN/ALN. Seul le PCA, représenté par son premier secrétaire B. Hadj Ali et secondé par S. Hadjrès, avait refusé de se dissoudre, considérant que l’unité d’action et la mobilisation politique gagneraient plutôt à réaliser la cohésion dans des formes de coordination plus souples et plus rassembleuses en maintenant l’autonomie de chaque parti. Une manière de préserver des possibilités les plus larges et les plus diversifiées d’action en direction des masses et de l’opinion publique internationale dans l’intérêt d’une cause nationale unique : l’indépendance algérienne.
Après d’âpres et longues négociations, finalement un compromis est trouvé : il y aura centralisation militaire, les CDL intégreront le FLN/ALN et relèveront de ces derniers. Ils n’auront plus de liens organiques avec le PCA durant toute la période de la lutte armée de libération nationale, sans pour autant renier leurs convictions. Cependant, le PCA maintiendra son existence en tant qu’organisation politique autonome. Dans une lettre en date du 12 juillet 1956, à la direction du FLN, le PCA précise le contenu de cet accord, tout en exposant les motivations des communistes quant à la décision de ne pas dissoudre leur parti.
A l’issue du congrès de la Soummam et dans une résolution politique intitulée « le communisme absent », la direction nationale du FLN/ALN a condamné le PCA et l’a exclu des instances dirigeantes suprême de la révolution (CCE et CNRA). Le parti a fait l’objet de virulentes et violentes attaques, lui déniant ainsi son apport dans le processus de la formation de la conscience nationale et l’affirmation de l’identité algérienne, particulièrement dans le milieu ouvrier et la paternité des journées d’action et des grèves nationales initiées par des organisations syndicales qui lui sont inféodées avant qu’Abane ne s’affirme dans capitale au nom du FLN.
En outre, son rôle déterminant dans le massif de l’Ouarsenis en combattant notamment les milices de Bachagha Boualem, le chef de la tribu des Béni Boudouane, qui a implanté des contre-maquis au profit de la France coloniale, profitant d’absence d’une ossature politico-militaire couvrant l’Algérie et permettant de coordonner l’action avant que le FLN ne s’impose au cours de l’année 1957.
La résistance du PCA à l’hégémonie du FLN incarné par R. Abane, puis l’approche internationale du parti dans le combat contre l’impérialisme, et enfin, Amar Ouzeggane qui fut un des plus actifs concepteurs des textes de la Soummam et qui a été exclu du parti communiste en 1948 à cause de la déviation de la ligne politique, à l’issue de la répression sanglante de mai 1945 peuvent constituer, entre autres, les motivations d’une telle condamnation.
A cela s’ajoute les vicissitudes de l’approvisionnement en armes, géré par la délégation extérieure. Sur le plan international, dés 1956, Ramdane Abane cherchait des appuis logistiques des pays socialistes. Il écrivait aux représentants du FLN se trouvant au Caire: « … si les communistes veulent nous fournir des armes, il est dans nos intentions d’accepter le Parti communiste algérien au sein du FLN si les communistes sont en mesure de nous armer…». Cependant, force est de constater qu’à la tenue du congrès de la Soummam, le soutien militaire était du coté Egyptien, pendant que les appuis diplomatiques se manifestaient plutôt de l’occident : l’UGTA venait d’être admise à la CISL, une organisation syndicale internationale liée aux objectifs et activités de l’OTAN dans la guerre froide.
Le parti fut interdit en septembre 1955, ainsi que le journal Alger républicain et toutes les corporations qui lui étaient inféodées. Des travaux historiques indiquent que 21 des 40 membres du Comité central du PCA, ont été emprisonnés durant la guerre de libération. Pendant que sur 8 membres du Comité central qui ont rejoint l’ALN, 4 sont morts au combat, et que parmi les officiers et les commissaires politiques de l’ALN, il y avait 39 membres du PCA. Sans compter de nombreux communistes, militants de base peu connus, qui ont pour la plupart rejoint l’ALN sans passer par les CDL.
Le combat du PCA fut d’abord une lutte de classe, et ce n’est que plus tard, qu’à partir de 1946 que sa vision politique prit un caractère plus radical. Il passe de l’intransigeance de classe à l’intransigeance politique et de l’intransigeance politique au soulèvement armé à partir de 1955. Il a milité avec passion et conviction à l’union des toutes les forces nationales dans un Front national démocratique algérien (FNDA), avec comme objectif, l’indépendance à terme de l’Algérie.
Dans cette tribune, ressusciter des faits historiques avérés et des positions politiques longtemps ensevelies à cause d’une approche souvent monolithique de l’histoire du mouvement national, ce n’est pas occulter le rôle d’avant-garde de l’Etoile nord-africaine, puis du PPA/MTLD dans la dynamique indépendantiste algérienne. En outre, il ne s’agit pas de contester le rôle pionnier et dirigeant du FLN/ALN dans l’insurrection de Novembre ou nier le retard qui caractérisait l’UDMA, le PCA et les Ouléma quant à la question nationale.
Il s’agit, en revanche, de restituer à la mémoire nationale, l’apport des différents courants politiques qui ont stimulé les luttes populaires autour d’objectifs même partiels et limités de cette démocratisation multiforme en contribuant à forger la résistance, l’unité et la conscience patriotique de notre peuple et à faire murir les conditions de l’insurrection de Novembre 1954.
Bachir Hadj Ali échappe à la répression et à l’arrestation. Dans la clandestinité et sur le sol national, il poursuit le combat anticolonial jusqu’à la libération. Depuis ses caches, il ne cesse de soutenir l’essence populaire de Novembre en diffusant la presse clandestine du PCA et écrit des poèmes en hommage au peuple algérien en célébrant notamment le 11 décembre 1960.
Dans une lettre en date du 15 juillet 1959, adressée au Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), B. Hadj Ali au nom du PCA fait état des discriminations à l’égard des combattants communistes au sein de l’ALN, qu’en cantonnent à des taches inferieures ou particulièrement risqués. Il écrit : « …d’en finir avec la discrimination dont sont frappés les communistes algériens au sein de l’ALN et de les rétablir dans leurs droits, comme les autres patriotes…. ». En effet, l’exemple d’Ahmed Inal, militant communiste devenu lieutenant de l’ALN en Oranie qui a été brulé vif par l’armée française, sciemment exposé au risque d’être pris témoigne l’anticommunisme de certains cadres de l’ALN.
Ayant conquis l’indépendance nationale, le manque de vision d’ensemble et combiné aux divergences idéologiques et à son corollaire, la lutte pour le leadership aura raison de la démocratie parlementaire portée par le GPRA. La question du pouvoir est au cœur d’affrontements et de confrontations violentes.
Le Parti communiste algérien renoue avec l’activité politique avant qu’il ne soit à nouveau interdit par A. Ben Bella en novembre 1962. B. Hadj Ali se tourne vers l’art et la culture. Avec Jean Sénac, Mouloud Mammeri et Mourad Bourboune, il fonde l’Union des écrivains algériens avant de démissionner à l’issue de son instrumentalisation politique.
Putsch et tortures
Après la prise du pouvoir par Houari Boumediene le 19 juin 1965, le PCA, s’oppose ouvertement et le qualifie de coup d’Etat orchestré au profit des forces impérialistes. Au nom du parti, Bachir Hadj Ali, S. Hadjerès et d’autres cadres fondent avec Hocine Zehouane et M. Harbi, les représentants de la gauche du FLN l’Organisation de la résistance populaire(ORP). B. Hadj Ali est arrêté en septembre 1965 et est soumis, deux mois durant, à des tortures insoutenables. Dans le livre l’Arbitraire, il décrit dans les détails les tortures subies et dépeint ses tortionnaires. Il sortira amoindri physiquement avec des graves séquelles.
Jusqu’à sa disparation le 8 mai 1991, son épouse, Lucette Safia Hadj Ali, lui manifeste un soutien indéfectible dans le travail de la reconstruction psychologique faisant face à cette entreprise de déshumanisation par laquelle ses bourreaux ont tenté vainement de briser sa résistance et le faire renoncer à ses convictions politiques.
L’enfant de la Casbah savait que dans les moments de lutte pour la conquête du pouvoir, la férocité du système à toujours atteint son paroxysme. Réfutant la posture victimaire et ne cédant ni à la haine ni à la vengeance, B. Hadj Ali s’élève et affirme sa stature d’homme d’Etat. En effet, pour lui, le patriotisme et l’amour de l’Algérie sont inséparables, indissociablement liés et le soutien aux luttes démocratiques nationales renforce la propre lutte du peuple algérien. Du fond de sa cellule, il prend rendez-vous avec l’honneur, l’amour et le pardon. Dans sa poésie, il n’ ya point d’hostilité, tout est bienveillance, cohérence et assurance. Il dénonce la torture et fait le serment de pardonner à ses bourreaux.
Je jure sur les nuits dénaturées de septembre
Je jure sur les larmes et la voix du la suppliciée
Je jure sur la langue sanguinolente de Hocine
Je jure sue les cataclysmes psalmodiés par Yacine
Je jure sur les corps tailladés et les ceurs en sanglots
Je jure sur découragement parcellisé des héros
Je jure sur la fierté qui survit au carnage
Je jure sur le silence vital et la peur de mourir
Je jure sur les regrets sincères de deux qui ont parlé
Je jure sur les âmes mortes après trahison
Je jure sur le verbe sale des bourreaux bien élevés
Je jure sur le dégout des lâchetés petites bourgeoises
Je jure sur l’angoisse démultipliée des épouses
Que nous bannirons la torture
Et que les tortionnaires ne seront pas torturés.
Il participe depuis la prison à la création du Parti d’avant garde socialiste (PAGS). Il est maintenu en détention jusqu’à 1968, assigné à résidence à Saida puis Ain Sefra et est interdit de séjours dans les grands centres urbains jusqu’à 1974.
Après avoir qualifié de coup d’Etat impérialiste le renversement de Ben Bella en 1965, et à l’issue de la nationalisation des mines et des banques en 1966 par le régime de H. Boumediene, le parti rectifie progressivement sa ligne politique. En 1969, il proclame une résolution politico-idéologique qui est axée sur la révolution nationale démocratique et la réalisation des taches de l’édification nationale générales dans la perspective du socialisme. Le parti s’engage dans le soutien des orientations patriotiques du régime, et B. Hadj Ali appuie le principe de la centralisation des ressorts de l’économie pour jeter les bases de l’industrialisation en apportant particulièrement son concours aux mesures d’intérêt national visant l’intégration du système productif, les qualifiant ainsi, de processus irréversible dans la révolution socialiste naissante de l’insurrection de Novembre. Sa préoccupation majeure est de savoir quelle sera l’Algérie d’après-guerre, quels seront le visage et les positions du socialisme dans l’arène nationale.
« Soutien critique » du PAGS
Le PAGS adopte la ligne politique du « soutien critique », qui consiste à soutenir une dynamique qui manifeste sa volonté et sa résolution de mettre en œuvre les transformations venues à maturité et qui met au cœur de sa politique les intérêts radicaux des travailleurs et les idéaux de la justice sociale. Elle vise à accélérer les taches de l’édification nationale dans le développement socio-économique de la société algérienne.
Cette stratégie politique ne signifie pas le ralliement des communistes au régime. Ils appuient avant tout, les orientations anti-impérialistes et progressistes. Il ne s’agit pas pour le parti d’accorder une confiance inconditionnelle à des pratiques politiques ou à un homme d’Etat quel qu’il soit. Il apprécie toute politique avant tout dans les actes. C’est dans cet esprit que le PAGS a apporté un soutien à la ligne générale qu’appliquait et défendait le président H. Boumediène, malgré les critiques qu’il exprimait sur certains problèmes importants ou secondaires.
Selon B. Hadj Ali, les mutations sociales en cours doivent modifier les conditions de l’évolution sociale ultérieure issues des structures coloniales et féodales. Notre indépendance impose à la société Algérienne des nouvelles exigences et de nouveaux facteurs économiques, politiques et culturels qui doivent entrer en action. La meilleure façon de continuer le 1er Novembre, c’est d’apporter des solutions justes aux problèmes nouveaux, de réaliser les objectifs de dignité, de démocratie, de progrès social, de sécurité et de paix dans notre pays pour lesquels tant d’Algériens se sont sacrifiés. Dans ces conditions historiques, selon lui, une tache s’impose avec force : il s’agit de mettre d’abord un terme à l’analphabétisme, l’ignorance, la sous-alimentation chronique et de la famine, la terrible mortalité infantile et les épidémies qui frappent des centaines de milliers d’Algériens.
Au plan culturel, il considère que l’hégémonie impérialiste a apporté aussi à notre peuple un appauvrissement de sa culture nationale et un dépérissement des valeurs culturelles créées au cours des siècles. On ne peut pas ne pas penser aux conséquences morales et psychologiques qu’aura à long terme la pratique impérialiste dans la sphère de la culture algérienne sous la pression de la stratégie de l’effacement. Il conçoit, ainsi la culture nationale comme une forteresse protectrice contre la domination culturelle colonialiste seule détentrice du pouvoir politique et des richesses nationales. La sauver, la protéger de la dépravation bourgeoise et du vandalisme de la colonisation du peuplement européen, c’est là une question que pose fondamentalement et à la laquelle il se penche dans ses travaux de recherches culturelles.
Il se distingue en effet, par ses recherches sur le patrimoine musical algérien, particulièrement le chaabi et le Malouf. Ce faisant, il souligne que la santé culturelle d’une nation se mesure aux degrés de la création et de l’innovation de ses enfants : aux livres, films, spectacles, tableaux et œuvres musicales de talent, originaux, indispensables à la société et capables d’enrichir la vie intellectuelle et culturelle du peuple. Selon lui, rien n’élève plus l’homme que les connaissances et la culture.
L’indépendance nationale doit enfanter un nouveau mode de vie en rupture avec l’ordre colonial, fondé sur les principes de la justice socialiste permettant ainsi au peuple algérien d’avancer dans la voie de l’épanouissement harmonieux des richesses intellectuelles, culturelles et morales. Selon Bachir Hadj Ali, le communisme et le socialisme, c’est la possibilité réelle offerte au peuple algérien de vivre dans la dignité, l’humanisme authentique et le triomphe des idées de progrès.
L’alternative véritable pour le Parti d’avant-garde Socialiste est celle du front de toutes les forces anti-impérialistes où quelle se trouvent et dans les formes appropriées à tous les niveaux et y compris au sein du Front de libération nationale (FLN), en s’appuyant sur ses forces révolutionnaires. Mais la rénovation démocratique de ce dernier ne pourra se faire que dans les cas d’une conquête des masses laborieuses et de leurs forces d’avant-garde, en alliance avec toutes les autres forces patriotiques. Ainsi, le parti a appelé toutes les forces de progrès à être attentives et présentes pour exercer une influence bénéfique dans les nombreuses luttes qui s’engagent autour des intérêts de la population laborieuse.
Voilà pourquoi, le parti a longtemps continuer à œuvrer à une telle ouverture dans le cadre du système institutionnel de l’époque. Il considérait en effet, que les problèmes des formes d’existence et d’activité des instruments révolutionnaires dans notre pays, partis et front qui ont surgi au cours des luttes de libération ou après l’indépendance à toujours dépendu et sera tranché à l’avenir par le degré et la force des liens avec les masses laborieuses que les forces patriotiques et de progrès, dont celles du PAGS, parviendront ou non à élargir et consolider. Ce succès, bien entendu, ne dépendait pas seulement du parti, mais aussi, en grande partie de véritables intentions du régime en place.
Le PAGS se distingue par une analyse globale et pénètre profondément la dialectique des événements, leur logique objective et fait ressortir les conclusions correctes qui reflètent l’évolution de l’époque en mettant en exergue les visions qui s’affrontent dans le cadre du système et dans la société algérienne.
Le système abrite et arbitre les groupes de contradictions par sa position vis-à-vis des problèmes qui surgissent que par son aptitude à les appréhender et à les régler. La genèse de ces contradictions remontent au mouvement national et dont les différences fondamentales sont apparues à la fois dans le projet politique national et dans l’appréciation de la perspective sociale et économique algérienne.
Le socialisme incarné par le régime de H. Boumediene a démontré la possibilité de résoudre les problèmes sociaux sur une base fondamentalement nouvelle, à savoir, la base collectiviste, a mené le pays vers un niveau de développement plus élevé et a donné aux travailleurs une vie digne et assurée. Cette stratégie a perfectionné constamment les rapports sociaux et a multiplié méthodiquement les acquis. Elle a contribué activement au progrès social et est devenue une puissante force matérielle et morale permettant l’ascension sociale aux plus démunis en montrant les possibilités qui s’ouvrent au peuple algérien.
Il faut rappeler par ailleurs que les chemins n’ont pas été réguliers ou aisés. La nouveauté même des tâches sociales, l’incessante pression psychologique, politique, économique de l’impérialisme, la nécessité de déployer d’énormes efforts pour la défense nationale, tout cela ne pouvait pas ne pas se répercuter sur le cours des événements, leur caractère, et des transformations socio-économiques. Tout cela ne s’est pas passé sans erreurs politiques et sans écarts subjectivistes de toute sorte. Mais telle est la construction d’un Etat, elle se manifeste toujours dans la diversité des contradictions.
Avec l’avènement de B. Chadli, les promoteurs du libéralisme ont démantelé l’appareil productif national, permettant ainsi au capital de passer à la contre-offensive et de retirer aux travailleurs une grande partie de leurs conquêtes sociales. Ils ont renversé la tendance d’évolution engagée depuis les années soixante, patriotique dans sa ligne générale. Selon plusieurs indices de niveau de vie, les travailleurs se sont retrouvés rejetés de nombreuses années en arrière et le chômage a atteint le chiffre record de tout l’après-guerre.
Par ce glissement à droite, les milieux dirigeants n’ont pas compris que cette orientation politico-économique portait en germe des explosions sociales, la déstabilisation politique, et que les conséquences d’un pareil virage sur le pays sont difficilement prévisibles.
En effet, force est de reconnaitre que la république opportuniste a cédé aux caprices des islamistes. Et c’est précisément autour des questions du contenu réel des projets de société que se déploiera, autant qu’on puisse juger, la lutte principale au cours des années 90 et qui implosera incontestablement le Parti d’avant-garde socialiste (PAGS).
Bachir Hadj Ali est un patriote qui chérissait profondément son pays et un internationaliste authentique, un communiste convaincu, engagé et désintéressé. Un cadre dynamique dévoué à la cause de la classe ouvrière, la paysannerie, les femmes, les syndicats, les jeunes et les collectifs des travailleurs. Il œuvre et soutient les mesures visant à approfondir les acquis du peuple algérien et le caractère démocratique du régime socialiste. La démocratie socialiste, selon lui, c’est l’air sain et pur où l’organisme social peut vivre en toute plénitude et dans lequel le développement accéléré de la société trouve sa place de tous ses aspects et manifestations.
Son œuvre resurgira sans doute dans une Algérie moderne et retrouvera même une surprenante noblesse d’esprit. Elle deviendra une source d’inspiration de beaucoup de militants et cadres politique progressistes.
L’histoire retiendra que Bachir Hadj Ali, toute sa vie durant, a agi dans l’intérêt de la patrie socialiste et aux noms des grands idéaux, auxquels il s’est consacré sans réserve en étant aux avant-postes de la lutte menée pour appliquer sa ligne politique révolutionnaire.
Cette histoire qui ne lui a pas imparti d’autres destinées se doit encore de lui rendre l’hommage mérité et au parti qui l’a formé : le Parti communiste algérien(PCA).
La réalité est que « l’indépendance » et le communisme étaient tous deux voués à l’échec dès le départ en Algérie. L’indépendance parce que le système de production était aux mains du pouvoir colonial tandis que les masses autochtones étaient dans une majorité écrasante formée de paysans pauvres dans les campagnes et de lumpen-prolétariat dans les villes. Un système de production ce n’est pas seulement des machines et des matières premières, ça inclut aussi la matière grise et une idéologie qui va avec, c’est à dire des travailleurs avec les connaissances et l’attitude (discipline) qu’il faut pour faire marcher le système de production. Tout ça ne se crée pas par la volonté d’un petit groupe, si encore ce petit groupe au pouvoir avait cette volonté en Algérie. Quand les colons sont partis, ils ont laissé quelques moyens de production, pas beaucoup, une certaine infrastructure – largement insuffisante de toute façon, et tout le reste non materiél est parti avec eux. Le pays a hérité de peu de moyens mais d’une population aux besoins soudain devenus énormes. Le pétrole n’a fait qu’empirer les choses en reléguant le rôle du travail à l’arrière-plan et engendrant la corruption. Quant au communisme, c’est de la blague de croire qu’on peut l’instaurer dans un pays sous-développé. Pour l’Algérie, il aurait été plus facile (ou moins inconcevable) en tant que partie/colonie d’une France devenue communiste. L’URSS, la Chine, la Corée du Nord, et l’Europe de l’Est ont démontré l’impossibilité de créer le communisme en dehors d’un pays hautement industrialisé. On ne met pas la charrue avant les bœufs, on ne partage pas un gâteau avant de l’avoir fait. On ne partage pas des richesses avant qu’elles existent. Promettre à des paysans que s’ils travaillent dur et obéissent aux « chefs », dans quelques années ils construiront un pays riche dans lequel chacun aura sa part de tout c’est ne pas connaître la réalité du terrain, c’est ne rien savoir de la nature du paysan, ni de la nature humaine. On peut convaincre une petite partie de la population, mais pas l’écrasante majorité. Une vision du communisme endehors d’un pays déjà muni d’un système de production performant et d’une population politisée ne peut être que de l’utopie. C’est un communisme utopique, qui repose sur les bonnes intentions, qui elles, n’existent que si le ventre est plein.
Le taux d’avancement du projet du transfert hydrique du barrage Kef Eddir est actuellement estimé à 51% - Photo : D. R
Cet ouvrage hydraulique dispose d’une capacité théorique estimée à 125 millions de mètres cubes d’eau.
L’entrée en service du barrage Kef Eddir de Damous, à l’extrême-ouest de Tipasa, interviendra «progressivement» au cours de l’été prochain, a appris samedi l’APS auprès des services de la wilaya. «Le taux d’avancement du projet du transfert hydrique du barrage Kef Eddir est actuellement estimé à 51%, et son exploitation interviendra progressivement à partir de l’été prochain pour profiter dans une première étape aux communes de Beni Milek et Damous», a ajouté la même source. La deuxième étape d’exploitation des eaux de ce barrage, sur lequel de grands espoirs sont fondés pour mettre fin au manque accusé en matière d’alimentation en eau potable (AEP) et des eaux d’irrigation, profitera aux communes d’El Arhat, Gouraya et Messelmoune.
Quant à la troisième étape, lancée en réalisation en juillet 2021, elle concerne les communes de Hadjret Ennous, Aghbal, Sidi Ghilés, Sidi Semiane et Cherchell, en plus du renforcement de l’AEP dans la commune de Tipasa. Ces prévisions d’exploitation ont été énoncées suite à une visite d’inspection du wali de Tipasa, durant laquelle il s’est enquis des travaux du projet du transfert hydrique du barrage Kef Eddir, dans le cadre du suivi périodique des projets structurants et vitaux, notamment ceux visant l’alimentation des citoyens en eau potable. Le barrage Kef Eddir disposera d’une capacité théorique estimée à 125 millions de mètres cubes d’eau.
Un projet d’envergure
A noter que la production d’eau potable est actuellement estimée à 180 000 m3/ jour, dans la wilaya de Tipasa, un volume jugé «insuffisant» pour couvrir la totalité des besoins de la population locale, notamment en raison du manque des précipitations pluviales. Les communes de la wilaya sont actuellement alimentées avec une moyenne fluctuant entre une fois par jour à une fois tous les quatre jours, un fait dénotant l’«extrême importance» du projet de Kef Eddir, pour faire face à ce stress hydrique, selon les estimations de la direction locale de Ressources en eau.
Une fois ce transfert hydrique opérationnel, il assurera un volume annuel global de 21 millions de mètres cubes d’eau au profit des communes de Damous, Beni Milek, El Arhat, Gouraya, Aghbal, Messelmoune, HadjretEnnous, Sidi Semiane, Cherchell et Sidi Moussa, en plus d’un volume de 8613 m3/jour, pour une population globale de 45 897 âmes, au niveau de 58 zones d’ombre, selon la fiche technique du projet. Ce projet «d’envergure» englobe la réalisation de 110 kilomètres linéaires de canalisations, 14 stations de pompage et 13 réservoirs d’une capacité de 140 000 m3, outre une station de traitement des eaux d’une capacité de production de 210 000 m3/jour.
Ces installations et équipements devraient être réceptionnées en trois étapes, permettant chacune la production et le transfert de 70 000 m3 d’eau/jour pour assurer l’approvisionnement des citoyens en eau potable, selon un communiqué émis précédemment par le ministère de tutelle. Ce projet est doté d’un caractère «régional et stratégique indéniable», vu qu’il permettra, également, l’alimentation en eau potable de communes d’Aïn Defla et de Chlef (Ain Goussine, Brira et Beni Haoua), parallèlement à l’exploitation d’un volume d’eau considérable pour l’irrigation de terres agricoles au niveau de ces trois wilayas.
Pour « Chronique des années de braise », le réalisateur algérien obtenait la récompense suprême du Festival de Cannes. Le Tunisien Férid Boughedir, lui-même cinéaste, s’en réjouissait, à l’époque, dans JA.
Par Férid Boughedir
Le réalisateur algérien Mohamed Lakhdar Hamina (3e en partant de la gauche), l’acteur grec Yorgo Voyagis (2e à dr.) et l’actrice marocaine Leïla Shenna (3e à dr.) se rendent à la
projection de « Chronique des années de braise », au Festival de Cannes, le 14 mai 1975.
Bien peu de cinématographies nationales peuvent se vanter d’avoir produit, au cours de ces dix dernières années, des cinéastes qui soient, au sens poétique du terme, d’authentiques visionnaires. L’Algérie en possède un depuis peu, et d’envergure. Mohamed Lakhdar Hamina, dont le film Chronique des années de braisea représenté l’Algérie au festival de Cannes, se classe d’emblée aux côtés des maîtres du grand spectacle, sécrétant leur propre univers, que sont le Fellini de Roma, ou le Tarkovski d’Andreï Roublev. Chronique des années de braise réussit en effet cette ambivalence, rare au cinéma, d’être un film historique relatant la naissance d’une nation et de tout un peuple en même temps qu’un film d’auteur, marqué de bout en bout par la forte personnalité de son metteur en scène, dont il demeure inséparable.
L’embrasement de la révolution
Le film, c’est l’histoire de l’Algérie sous la colonisation française (lorsque la braise couvait sous la cendre) et l’histoire du cheminement qui a conduit le peuple algérien à l’embrasement de la révolution de novembre 1954. Ce cheminement, c’est aussi celui que poursuit le personnage principal, Ahmed, un simple paysan qui passe de la misère à la prise de conscience, et de la prise de conscience à la révolte. Quittant son village à cause de la sécheresse, il affronte la ville, où il découvre la condition de prolétaire et l’injustice des colons.
Voyant sa famille décimée par le typhus, il retourne au village et fait sauter un barrage pour que les terres soient de nouveau irriguées. Capturé, il est enrôlé de force dans l’armée française et envoyé au front. C’est la Seconde Guerre mondiale, et des Algériens espèrent la victoire de Hitler (qu’ils surnomment El Hadj) qui viendra les débarrasser des Français. Ahmed, lui, pressent que ce sera kif-kif : Hitler, la France, les Américains… La fin de la guerre voit la défaite des Allemands et les revendications du peuple algérien sont noyées dans le sang lors des massacres de Sétif.
Décoré et écœuré, Ahmed assiste à la mascarade des élections où se présentent les bachaghas algériens, valets du colonialisme. Une tentative de candidature nationaliste algérienne ayant été, elle aussi, noyée dans le sang, Ahmed et ses amis n’ont plus le choix : abandonnant définitivement les mirages du « légalisme », ils passent au maquis. C’est l’explosion de novembre 1954. Ahmed se fait tuer dans un accrochage, mais son fils, qui représente l’Algérie de demain, continuera la lutte.
Les bachaghas, valets du colonialisme
Politiquement, le film va assez loin. Refusant le manichéisme qui opposerait les bons Algériens aux méchants Français, il insiste au contraire sur le rôle des bachaghas. Rappelant qu’aucun colonialisme ne peut durer s’il ne s’appuie sur des intermédiaires locaux et démontrant ainsi que les Algériens étaient colonisés et opprimés, aussi, par d’autres Algériens, le film, loin de finir dans l’exaltation facile de l’héroïsme passé, débouche au contraire sur l’époque actuelle et sur la lutte des classes, prélude à la révolution agraire… Le film ne ménage pas non plus les hommes de religion, jugés trop fatalistes (« Allah a dit : “N’oublie pas ta part dans ce monde !” », réplique le héros à l’imam qui prêche la résignation), ou aux nationalistes à l’ancienne mode qui ne croient qu’à la puissance de leur verbe.
Esthétiquement, ce film est remarquable. Retrouvant et amplifiant le style épique, les images superbes et le souffle généreux du Vent des Aurès, Lakhdar Hamina révèle un sens de la mise en scène et une maîtrise des moyens humains et matériels utilisés que lui envieraient bien des « professionnels » du cinéma à grand spectacle dans le monde. Plus encore que dans ses films précédents, le style de Lakhdar Hamina se caractérise ici par la sobriété voulue : pas de « coquetteries » formelles, pas d’esthétisme, pas de mélodrame, mais l’émotion contenue jusqu’à la dignité. La dignité, obsession de ce cinéaste qui, dans tous ses films, crie au respect de l’homme spolié. Le montage même suit ces principes en coupant très vite une scène avant qu’elle ne devienne complaisante. Avec, parfois, des éclairs romantiques, irréalistes et fantastiques, excessifs et inspirés, dont on trouvait déjà la trace dans Décembre.
En revanche, c’est peut-être au niveau de la construction que Chronique des années de braise montre des imperfections. Le film, qui durait quatre heures et demie, a été ramené à trois heures, et cela n’a pas été sans nuire à son équilibre. Tel quel, il semble souvent prendre toutes les directions à la fois dans la première partie. C’est alors seulement que le rythme s’installe et que le récit cesse d’être décoratif. On pourrait également reprocher au film, muni de héros assez monolithiques, de ne pas adopter le style de psychologie en profondeur et d’adopter le style « images d’Épinal » propre à l’épopée et au récit populaire. Mais là, il semble qu’il s’agisse davantage d’un choix conscient.
Ahmed, symbole de la dignité nationale qui refuse de plier même aux heures les plus sombres de l’oppression, n’est pas, en effet, le héros du film. Le véritable héros est un personnage marginal, Miloud, le demi-fou du village (interprété par Lakhdar Hamina lui-même), qui, dans l’univers du mensonge colonial (où l’on va jusqu’à faire chanter aux Algériens l’éloge du maréchal Pétain), est le seul à oser dire la vérité. Apparaissant comme un contrepoint au récit, servant de mauvaise conscience à tous les protagonistes, ce personnage hausse le film au-delà de l’anecdote historique et le fixe à un autre niveau, moins fugitif : celui de la fable ou du conte traditionnel. Là est sans doute la véritable dimension de l’œuvre.
Longue chaîne de récits
En effet, Chronique des années de braise n’est pas un film uniquement politique, c’est-à-dire circonstanciel. Il a une autre ambition, que j’appellerai culturelle. Redonner au peuple l’image de son passé nié et oblitéré, le faire renouer avec sa continuité historique, et ce à travers les formes de récit et de sensibilité qui le concernent, est plus essentiel actuellement que n’importe quel discours politique, aussi vital que l’air qu’il respire. Il faut féliciter l’Algérie, l’un des rares pays du Tiers monde qui aient compris l’importance de l’enjeu culturel dont découle tout le reste, et qui n’hésitent pas à y engager les importants moyens financiers nécessaires. C’est pourquoi il serait vain de juger le film comme une simple reconstitution documentaire et de le critiquer au nom de l’exactitude et de la vraisemblance des détails. Autant vouloir faire jouer à un sonnet poétique le rôle d’un strict communiqué de presse…
Or, tout, dans le film de Lakhdar Hamina, ton des acteurs, style épique des images, recours au symbole, indique qu’on est au-delà du simple réalisme et que l’on est déjà au niveau du conte. Dans la longue chaîne de récits tissée de toute éternité par la culture populaire et brisée par la nuit coloniale, ce film tente de combler désespérément le maillon qui manque… Il y a, entre Lakhdar Hamina et son pays, on le sent à travers tous ses films, une véritable passion, d’où sont exclus les intermédiaires.
Sabre au clair
Par ce dernier film, il tente la folle entreprise de prendre l’Algérie à bras-le-corps, et de la présenter telle qu’il la voit, lui, à travers ses paysages et son histoire. Mais, ce faisant, il garde la tête froide : l’une des plus belles scènes du film montre la charge des cavaliers algériens à la solde des bachaghas contre la foule, qu’ils attaquent sabre au clair. Et c’est là qu’éclate pleinement le talent du metteur en scène : là où quiconque aurait mis des sons haletants et pleins de violence pour faire « participer » le spectateur à la manière des westerns, la musique, au contraire, reste sereine et limpide, comme pour dire : « Oui, des Algériens massacrent leurs frères, mais c’est déjà de la légende. Ce n’est rien, c’est l’histoire qui passe. » Le maillon retrouvé, la chaîne reconstituée.
La réalité est que « l’indépendance » et le communisme étaient tous deux voués à l’échec dès le départ en Algérie. L’indépendance parce que le système de production était aux mains du pouvoir colonial tandis que les masses autochtones étaient dans une majorité écrasante formée de paysans pauvres dans les campagnes et de lumpen-prolétariat dans les villes. Un système de production ce n’est pas seulement des machines et des matières premières, ça inclut aussi la matière grise et une idéologie qui va avec, c’est à dire des travailleurs avec les connaissances et l’attitude (discipline) qu’il faut pour faire marcher le système de production. Tout ça ne se crée pas par la volonté d’un petit groupe, si encore ce petit groupe au pouvoir avait cette volonté en Algérie. Quand les colons sont partis, ils ont laissé quelques moyens de production, pas beaucoup, une certaine infrastructure – largement insuffisante de toute façon, et tout le reste non materiél est parti avec eux. Le pays a hérité de peu de moyens mais d’une population aux besoins soudain devenus énormes. Le pétrole n’a fait qu’empirer les choses en reléguant le rôle du travail à l’arrière-plan et engendrant la corruption.
Quant au communisme, c’est de la blague de croire qu’on peut l’instaurer dans un pays sous-développé. Pour l’Algérie, il aurait été plus facile (ou moins inconcevable) en tant que partie/colonie d’une France devenue communiste. L’URSS, la Chine, la Corée du Nord, et l’Europe de l’Est ont démontré l’impossibilité de créer le communisme en dehors d’un pays hautement industrialisé. On ne met pas la charrue avant les bœufs, on ne partage pas un gâteau avant de l’avoir fait. On ne partage pas des richesses avant qu’elles existent. Promettre à des paysans que s’ils travaillent dur et obéissent aux « chefs », dans quelques années ils construiront un pays riche dans lequel chacun aura sa part de tout c’est ne pas connaître la réalité du terrain, c’est ne rien savoir de la nature du paysan, ni de la nature humaine. On peut convaincre une petite partie de la population, mais pas l’écrasante majorité. Une vision du communisme endehors d’un pays déjà muni d’un système de production performant et d’une population politisée ne peut être que de l’utopie. C’est un communisme utopique, qui repose sur les bonnes intentions, qui elles, n’existent que si le ventre est plein.