L'assaillant a été interpellé [étrangement] vivant, cette fois-ci... D. R
Une contribution de Khider Mesloub – L’attaque au couteau ayant visé des enfants à Annecy en France aura réservé plusieurs surprises. Ce dramatique crime aura fait éclater bien des stéréotypes.
Premièrement, événement inédit : les victimes sont des enfants en bas âge. Deuxièmement, situation inédite : le forcené est un Syrien, mais de confession chrétienne. Troisièmement, on aura découvert qu’il avait obtenu curieusement trois avis favorables de statut de réfugié, octroyés par trois pays européens, à savoir la Suède, la Suisse et l’Italie. Quatrièmement, c’était un bon père de famille, papa d’un enfant de 3 ans. Cinquièmement, il n’avait jamais vécu les affres de la guerre en Syrie puisqu’il avait réussi à quitter son pays dès 2011.
Toute la classe politique française, tout comme la majorité des Français, était presque déçue car le suspect de l’attaque au couteau visant des jeunes enfants à Annecy est, certes, un réfugié syrien, mais chrétien.
Depuis plusieurs décennies, selon des stéréotypes bien établis en France et en Europe, un massacre commis par un Arabe est forcément l’œuvre d’un musulman. Pis. Tout attentat est forcément commis par un musulman.
Selon la définition du dictionnaire, le terme attentat signifie, entre autres, tentative criminelle contre une personne ou un groupe. Selon un préjugé bien ancré, pour la majorité des personnes européennes, notamment françaises, tout attentat est perpétré par un musulman.
De même, le terrorisme est, selon les stéréotypes racistes français, d’essence islamique. Or, le terrorisme est né en Europe, avec les narodniks russes, les anarchistes français, les Irlandais. Sans oublier les organisations terroristes sionistes européennes, notamment l’Irgun et la Haganah. Le terrorisme de l’OAS. Le terrorisme d’extrême-gauche perpétré dans les années 1970-80.
Quant aux attentats, c’est-à-dire les crimes commis contre un groupe de personnes, associés injustement aux pays musulmans, ils sont commis majoritairement dans un pays démocratique occidental, qui plus est majoritairement chrétien : les Etats-Unis. Si l’on s’en tient à la définition des dictionnaires, en effet, l’Amérique détient le record d’attentats perpétrés sur son territoire. C’est-à-dire des crimes commis contre une personne ou un groupe. Par ailleurs, ces attentats ou crimes collectifs sont commis par des Américains majoritairement blancs de confession chrétienne.
En dépit de l’application de la peine de mort, ce pays, au modèle libéral criminogène, détient le sinistre record mondial des taux d’homicides et des massacres de masse, ces fusillades qui défrayent régulièrement la chronique mondiale. Selon les statistiques publiées par la police fédérale (FBI), les Etats-Unis ont enregistré plus de 21 500 homicides en 2020, soit près de 59 par jour. Un grand nombre de ces homicides est perpétré par des enfants âgés de 10 à 19 ans. Pareillement en 2021 et 2022.
L’année dernière, en 2022, il y a eu quasiment 700 fusillades, c’est-à-dire attentats. Soit presque deux fusillades par jour. Depuis 2012, il y a eu 3 865 fusillades de masse, commises par de jeunes Américains, majoritairement blancs de confession chrétienne. En effet, ces jeunes sont souvent issus de familles «blanches» pieuses, fréquentant régulièrement l’église. Ce sont des jeunes baptisés, grands lecteurs de la Bible. Et pourtant, curieusement, on n’incrimine jamais la religion chrétienne d’être pourvoyeuse de meurtres, de massacres de masse. On attribue le crime à la folie de l’auteur de l’attentat, c’est-à-dire de la fusillade. On n’établit jamais de lien entre l’auteur de l’attentat et son appartenance religieuse chrétienne. La religion chrétienne est exemptée de toute culpabilité, de responsabilité.
Les Etats-Unis constituent, parmi les pays chrétiens «en paix», la nation où le risque de mourir d’une arme à feu ou dans une tuerie de masse est le plus élevé au monde. 25 mineurs meurent chaque semaine par balle et 91% des enfants tués dans le monde par des armes à feu le sont aux Etats-Unis.
Par ailleurs, la population carcérale des Etats-Unis est la plus importante au monde : plus de deux millions de prisonniers. La population carcérale des Etats-Unis a été multipliée par plus de quatre, de près d’un demi-million en 1980 à un pic à plus 2,3 millions.
Un récent livre de David Michael Smith, Holocaustes sans fin : mort de masse dans l’histoire de l’Empire des Etats-Unis (New York : Monthly Review Press, 2023) a estimé que l’Empire américain est responsable, ou partage la responsabilité, de près de 300 millions de morts.
David Michael Smith évalue le nombre d’autochtones décimés lors de la colonisation européenne de l’Amérique du Nord à 13 millions. Le génocide des Amérindiens a contraint les colonisateurs européens à importer des captifs d’Afrique pour les faire travailler de force sur les nouvelles terres conquises. Selon Smith, environ 25 millions d’Africains ont été initialement capturés. Plus de la moitié d’entre eux sont morts entre la capture et l’embarquement des navires négriers qui les ont amenés en Amérique du Nord. D’après Smith, plus de 20 millions d’Africains supplémentaires sont morts dans des raids d’esclaves, portant le total des morts à cause de la traite transatlantique des esclaves à 32,5 millions. Au total, il estime que 41,5 millions de personnes pourraient être mortes à cause de l’esclavage. Au lendemain des attentats du 9 septembre 2001, en représailles des millions de musulmans ont été tués, notamment en Afghanistan et en Irak.
David Michael Smith souligne que «les Etats-Unis font partie des sociétés les plus violentes de l’histoire – avec des taux d’homicides, de meurtres par la police et d’incarcération inquiétants – et sont confrontés à la menace des milices de droite et des terroristes».
Ainsi, outre les génocides des Amérindiens et des esclaves afro-américains, l’Empire américain continue à provoquer des interminables holocaustes de par le monde. A semer partout des guerres.
Pourtant, ce pays génocidaire et impérialiste, culturellement criminogène, continue à être présenté comme le modèle politique et social à suivre. Notamment par la France qui, dans le même temps, voue une haine pathologique contre les Arabes, fustige et méprise le monde musulman.
Signe des temps, sous le capitalisme décadent, de nos jours, les homicides tuent beaucoup plus de personnes que les conflits armés, selon une étude de l’ONU publiée en 2018. Près de 464 000 personnes dans le monde ont été victimes de violences meurtrières en 2017, soit plus de cinq fois le nombre de personnes tuées dans des conflits armés au cours de la même période. En particulier aux Etats-Unis, parangon de la «démocratie» et du capitalisme.
Au vrai, l’Amérique, pourtant imprégnée de religiosité chrétienne, demeure une société foncièrement criminogène et belligène, vectrice de délinquance et de crimes.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
Je souhaite à tous les blessés, par arme blanche, à Annecy, dont quatre très jeunes enfants et deux adultes le plus prompt rétablissement. Toutes mes félicitations à tous les héros du jour, dont l'un témoigne ci-dessous, mais il n'était pas seul. Je condamne tout amalgame et récupération politique et je fais confiance à la Justice pour déterminer le sort d'un individu qui nous a fait connaître des sommets d'horreur.
Michel Dandelot
Voici deux témoignages, le premier date d’hier, le second il y a plusieurs années :
Attaque au couteau à Annecy : Henri, "lehéros au sac à dos" témoigne sur BFMTV
Henri, 24 ans, a poursuivi l'assaillant de l'attaque au couteau d'Annecy qui a fait six blessés dont quatre enfants, le faisant fuir. Il témoigne de ce geste héroïque sur BFMTV ce vendredi.
Un jeune Français musulman de 15 ans sauve la vie d'un pompier pendant que son copain appelait les secours
Attaque au couteau à Annecy : Henri, "le héros au sac à dos" témoigne sur BFMTV
Henri, 24 ans, a poursuivi l'assaillant de l'attaque au couteau d'Annecy qui a fait six blessés dont quatre enfants, le faisant fuir. Il témoigne de ce geste héroïque sur BFMTV ce vendredi.
Le groupe de légende formé en 1973 par des jeunes Algériens de France a été un laboratoire sans égal où se marièrent influences rock et traditions kabyles et maghrébines. Le label Bongo Joe leur consacre une excellente compilation : Amazigh Freedom Rock.
Culte. Le mot est on ne peut plus approprié à l’évocation des Abranis, un groupe vénéré aussi bien par les chercheurs de son du monde entier que par les zélateurs prosélytes de l’identité berbère. Pour en mesurer l’impact, il suffit de se balader sur la vaste toile, où ces musiciens originaires d’Algérie sont le sujet de maintes conversations comme leurs vinyles – 45-tours ou LP – ont plus que la cote sur les réseaux de diggers. Et cela ne date pas d’hier, même si une compilation publiée sur le label suisse Bongo Joe remet une nouvelle fois les pleins phares sur ce légendaire combo. Comment expliquer un tel phénomène qui traverse les âges ? « Il y a sans doute un sentiment de nostalgie pour la nouvelle génération née en Europe, qui est curieuse de ce que nous représentons. A l’époque, nous incarnions la symbiose entre l’Europe et le monde kabyle. Nous étions au moment de l’apogée de l’ouverture culturelle qui a dominé dans le monde », analyse Shamy, cofondateur du groupe qui fêtera l’an prochain ses quatre-vingts ans.
Karim Abranis & Shamy el Baz, les deux inventeurs des Abranis
« Nous avons même été les premiers à la Sacem dans les scopitones (jukebox associant l’image au son, NDLR). Devant Johnny et Claude François ! », assure le même homme, auteur de nombreux documentaires et livres. Ce n’était pas rien pour ce groupe né dans la tête de deux jeunes Kabyles émigrés en France, où ils fréquenteront les bars kabyles qui font les chaudes nuits du nord est parisien, tout en écoutant les musiques de leur jeunesse : Elvis Presley, James Brown, Otis Redding, Duke Ellington, les Beatles, les Rolling Stones et ainsi de suite. Liste non exhaustive, dont le futur octogénaire aime préciser que Cat Stevens en était le chanteur préféré.
Des chevelus qui irritent le FLN
C’est tout autant dans une voie médiane qu’ils écrivent leurs paroles. Le propos ? « Social, philosophique, festif, sentimental, parfois rebelle et revendicatif… », souligne aujourd’hui Karim, le chanteur et principal compositeur. « Les textes étaientmoins crus que Matoub Lounès, tempère Shamy. Nous étions inspirés par les auteurs kabyle du 18ème siècle et la modernité de notre époque. » Et cette synthèse prenait la forme de métaphores et paraboles, qui évoquent à mi-mots la situation du peuple amazigh dans l’Algérie post-coloniale. Chacun néanmoins en comprendra vite la portée, à en jauger l’écho que leurs chants provoquent dans les montagnes nord-africaines. D’ailleurs, cette prévention à ne pas prendre de front le gouvernement d’Alger ne les prémunira nullement de sérieuses galères quand, partant en bagnole de Chelles en banlieue parisienne, ils débarquent en Algérie pour le premier festival de la chanson algérienne en 1973.
« Les officiels algériens avaient peur qu’on chante en français ou anglais. En fait quand on a commencé en kabyle, ils ont vite compris : au bout de trois chansons, ils ont baissé le rideau ! », se souvient mi-amusé mi-ironique Shamy à qui on enlève alors son passeport six mois durant. En clair, les autorités d’Alger mettent un sérieux coup de pression pour que le groupe chante en arabe, ce qu’il fera non sans « dérision » en composant une chanson avec trois couplets – un en arabe, un en français, un en kabyle – puis en signant la bande originale d’un film, au titre explicite (les Étrangers). « Le pouvoir arabo-baassiste considérait notre arrivée comme l’intrusion d’un parasite. Ils estimaient que notre style était un mauvais exemple pour la jeunesse. Ce qui les dérangeait le plus, c’est que les textes soient chantés en kabyle, langue méprisée et quasiment interdite », reprend Karim. « Pour le pouvoir algérien, nous étions perçus comme des décadents, porteurs des germes du capitalisme. », renchérit Shamy. Et ce fut tout naturellement la double peine pour ce groupe d’hirsutes affranchis qui menaçaient les valeurs de l’État nation en pleine édification. Le Président Boumediène ira jusqu’à réunir quatre ministres pour évoquer le problème de ce groupe qui remplit les stades en important des idéologies contraires à l’esprit du FLN.
« Nous souhaitions simplement déterrer ce que le pouvoir cherchait à enterrer », clarifie tout net Shamy, qui aime à dire que Saint Augustin était berbère, et que neuf papes furent kabyles. Toujours est-il que les Abranis vont dès lors se positionner à l’avant-garde du mouvement du renouveau culturel amazigh. « Et puis il y a eu Djamel Allam, Idir… », ajoute Shamy, énumérant les mouvements insurrectionnels liés à cette communauté : « Le printemps 80, le mouvement de 1988, 2001 et le printemps noir sur lequel j’ai réalisé un film, tous viennent de Kabylie. Et même le hirak reprend nos slogans. » On comprend alors mieux pourquoi en 1975, leur première grande tournée algérienne est frappée par une interdiction de concert en Kabylie, provoquant manifestations et affrontements avec les forces de l’ordre en place, qui se résoudra à autoriser le spectacle pour calmer les esprits. « Nos fans furent même bousculés et battus, arrêtés et maltraités, voire torturés, notamment à Sidi-Aich lors d’un gala annulé par la police à la dernière minute », précise Karim. Et d’ajouter qu’ils furent par la suite sujets de censures par la radio et télévision officielle.
Ambassadeurs de la « Rockabylie »
Tout a commencé en 1967, lorsque ces deux jeunes font le pari de créer un groupe branché rock. Le premier, Abdelkader Chemini, né en 1944 et plus connu sous le sobriquet de Shamy El Baz, est arrivé en France au début des années 1960, après avoir été torturé dans le djebel par l’armée française. Il y subira 33 opérations, portant à tout jamais les stigmates de cette guerre qui ne dit alors pas son nom, mais fera de cette résilience une nouvelle chance : il va saisir l’opportunité de reprendre ses études en autodidacte et apprendre les premiers rudiments aux claviers. « J’ai vite compris la différence entre le peuple et le pouvoir. Ce sont deux choses tellement distinctes », insiste encore en 2023 celui qui vit depuis soixante ans en France, partageant désormais son temps entre Honfleur et Paris. Quant au second et plus jeune Karim Abdenour, Sid Mohand Tahar à l’état civil, il est arrivé à treize ans en France, juste après les accords d’Evian qui scellent l’indépendance de l’Algérie. Loin de ses montagnes natales, celui qui a touché sa première guitare en débarquant sur les bords de Seine va bientôt fréquenter le Golf Drouot (club rock à Paris, NDLR), et y trouver matière à imaginer de donner du rock une version originale, « le rockabyle ». Ce sera Les Abranis, une bande de jeunes parmi tant alors que la planète bruisse en pleine effervescence hippie, une ère de révolutions fleuries en mode peace and love.
Les Abranis donc, un nom qui ne doit rien au hasard pour cette formation du genre abrasif. « Durant des siècles, trois tribus berbères couvraient une zone qui s’étend de l’Egypte à la Mauritanie. Deux se faisaient constamment la guerre, et la troisième était considérée comme plus pacificatrice. C’était les Branis, qui agissaient comme des réconciliateurs », assure Shamy qui reconnaît dans ce choix une forme d’« allégorie quant à leurs objectifs ». D’un point de vue musical, ceux-ci consistent à formuler un trait d’union entre le folklore de leurs origines et les sonorités qui traversent de part en part le monde, une fusion qu’ils formulent dès 1973 avec le batteur Samir Chabane et le guitariste Madi Mahdi. Le 45-tours Athedjaladde, titre qui introduit la présente compilation baptisée Amazigh Freedom Rock, en fournit une bonne idée. Un sentiment de liberté formelle, dont témoigne tout autant « AyetheriAL’Afjare », autre chanson gravée en 1973 où la tonalité générale – un garage rock teinté de post-psychédélisme – n’exclut pas d’oser les rythmiques pentatoniques.
« Un laboratoire perpétuel créatif »
Tout comme l’esthétique mute au fil des années pour ces musiciens qui ajoutent en mesure des cordes et accords à leur jeu, le combo va être sujet à de nombreux changements de personnel, suite au départ dès 1975 des premiers piliers que furent Samir Chabane et Madi Mahdi. Au hasard des albums que les Abranis enregistrent, on retrouve des exilés d’Algérie comme des musiciens de la scène française, dont le bassiste Jannick Top et le batteur Dédé Ceccarelli, autant d’ajouts qui ne retranchent rien au caractère originel et original de ce groupe qui a pour socle les compositions de Shamy et Karim, « une base improvisée en yaourt d’où ressortait toutes nos références. (…)Il s’agissait d’un laboratoire perpétuel créatif. A la différence d’autres qui ont modernisé le traditionnel, à l’image de Nass El Ghiwane, ou de Vigon qui chantait en anglais. », précise Shamy, des plus érudits lorsqu’il s’agit d’évoquer la diffusion de la culture kabyle à travers les âges. « Nous avons même utilisé des instruments bretons ! Cela remonte à Hannibal. »
Le caractère précurseur et singulier des Abranis, habitués comme les tout bons au plateau du Pop Club de José Artur mais boudés par la plupart des médias mainstream – « Hormis quelques maisons de la culture, ce sont surtout des associations qui nous demandaient pour des galas de solidarité gratuitement parce qu’elles étaient elles-mêmes sans sous », rappelle Karim – s’avère à chaque seconde de cette compilation, qui puise dans leur abondante discographie consignée entre 1973 et 1983, leur âge d’or qui eut pour apogée le drôlement bien-nommé Album N°1. A partir du milieu des années 1980, si le groupe continue de tourner, en Afrique du Nord comme en Europe, ayant même Les Négresses Vertes et la Mano Negra pour premières parties en Allemagne, il n’ira plus qu’épisodiquement en studio. Il est désormais loin le temps du sombre Abranis 77, brûlot paru sur Bordj El Fen, un label algérien, tout comme le suivant. Imité Tayri en 1978, d’une tonalité autrement plus festive.
Vingt ans après leurs premiers sillons, Shamy El Baz et Karim Abdenour se rendent en studio en 1993 pour produire en Algérie sur leurs deniers un nouvel album, alors que le pays vient d’entamer la décennie noire qui va décimer toute la culture locale. Ce sera l’acte final, les deux amis de toujours – « jusqu’à aujourd’hui », assure encore Shamy – étant en désaccord. « Karim a accepté de chanter pour Alger, capitale de la culture arabe.Pas moi ! », se souvient véhément l’aîné. Et il faudra attendre plus de dix ans avant qu’une nouvelle formule du groupe réapparaisse, avec Karim, désormais retraité et installé en Algérie, mais aussi certains de ses enfants, dont Belaïd à la guitare. « Abranis est devenu un concept plus qu’un groupe figé sur quelques individus. Une bonne quarantaine de musiciens entre les guitaristes, batteurs et bassistes ont fait une apparition dans cette aventure», souligne Karim.
Après la visite de la Première ministre italienne, les défenseurs des droits humains s’inquiètent de sa connivence avec le président tunisien en matière de politique migratoire.
La Première ministre italienne Giorgia Meloni et le président tunisien Kaïs Saïed à Tunis le 6 juin 2023. (TUNISIAN PRESIDENCY VIA AFP)
Après la visite de la Première ministre italienne, les défenseurs des droits humains s’inquiètent de sa connivence avec le président tunisien en matière de politique migratoire.
« Vous dites tout haut ce que les autres pensent tout bas. » La courte phrase prononcée par le président tunisien Kaïs Saïed sur le perron du palais de Carthage lors de l’accueil de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, mardi 6 juin, a eu l’effet d’un coup de tonnerre chez les défenseurs des droits humains tunisiens. En cause, l’inquiétante complicité des deux dirigeants ultraconservateurs en matière de politique migratoire. Une politique « uniquement répressive », déplorent les associations comme Terre pour tous, qui vient en aide depuis plus de dix ans aux familles des disparus en mer.
Son président, Imed Soltani, manifestait ce même mardi à Tunis avec des militants de son ONG, pour la plupart les mères de jeunes hommes partis dans des embarcations de fortune et disparus en mer depuis. Imed Soltani dénonce les accords bilatéraux conclus entre son pays et l’Italie. Ils ont « fait de la Méditerranée un cimetière pour notre peuple », dit-il. Selon le Forum tunisien pour les Droits économiques et sociaux, au moins 534 personnes ont disparu ou perdu la vie au large des côtes tunisiennes en tentant de rejoindre l’Europe au cours des cinq premiers mois de l’année. Pour le militant, « l’accord signé avec l’Italie en 2011, renouvelé par Kaïs Saïed en 2020, visant à empêcher par la force les Tunisiens de quitter le pays, est inutile. Ce n’est pas la police qui mettra un terme à la volonté des Tunisiens de fuir ».
La dirigeante d’extrême droite italienne est venue, officiellement,promettre son soutien à la Tunisie dans les négociations que le pays mène avec le Fonds monétaire international (FMI). Mais les défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent des exigences italiennes monnayées en contrepartie en matière de lutte contre l’immigration. En mai, Rome avait déjà débloqué une enveloppe de 10 millions d’euros et livré une cinquantaine de véhicules de police afin de « lutter contre les trafiquants d’êtres humains ».
« La pire crise depuis une génération »
La situation économique tunisienne est catastrophique. L’Etat, endetté à hauteur de 80 % de son PIB, est menacé de faillite en raison de plusieurs remboursements d’emprunts qui arrivent à échéance. Chômage élevé (16,1 % au premier trimestre 2023, 40,2 % chez les 15-24 ans), accroissement des inégalités, aggravation du taux de pauvreté (un tiers de la population)… « Les Tunisiens sont confrontés à la pire crise depuis une génération », affirme l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) dans son dernier rapport.
Une crise renforcée par les incertitudes politiques depuis que le président Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021. Associées aux progrès limités en matière de réformes structurelles, elles freinent la confiance des investisseurs étrangers. Ainsi, le FMI a conditionné l’octroi d’un nouveau prêt de près de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) à des réformes économiques ainsi qu’à la levée de certaines subventions étatiques sur les produits de base. Or Kaïs Saïed, qui a affirmé ne pas vouloir se soumettre aux « diktats » de l’institution, refuse de mettre en place la moindre mesure. Il est soutenu par une partie de la population, déjà confrontée à des pénuries chroniques de produits alimentaires, qui ne supporterait pas de voir les subventions supprimées.
Face à ces difficultés, Rome, désormais premier partenaire commercial de Tunis devant Paris, offre donc son soutien. Car l’Italie redoute plus que tout autre pays européen un effondrement économique de la Tunisie, susceptible de déclencher un afflux encore plus grand de migrants sur ses côtes.
Chaque année, des dizaines de milliers de Tunisiens et Subsahariens en quête d’une vie meilleure tentent la traversée, notamment vers l’île italienne de Lampedusa située à seulement une centaine de kilomètres des côtes tunisiennes. Leschiffres explosent : selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), 51 000 migrants ont gagné l’Italie par la mer depuis le 1er janvier – contre 20 000 sur la même période en 2022 –, dont plus de 26 000 au départ de la Tunisie. Or le succès électoral de Giorgia Meloni, élue à l’automne 2022, reposait notamment sur sa promesse de réduire drastiquement les arrivées à Lampedusa et en Sicile.
« Idéologie xénophobe »
Les défenseurs des droits humains s’inquiètent donc de l’influence possible de Rome sur la politique migratoire de Kaïs Saïed. Près de trente ONG tunisiennes et italiennes, dont le Forum tunisien pour les Droits économiques et sociaux et la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, ont publié un communiqué commun pour dénoncer la nouvelle entente entre les deux Etats. Les associationsrefusent une politique uniquement fondée sur des logiques sécuritaires et contestent « le traitement inhumain que les migrants, dont de nombreux Tunisiens, subissent dans les centres » de transit italiens. Elles s’inquiètent également de « l’idéologie xénophobe » qui sous-tend cette politique des deux côtés de la Méditerranée.
Car Giorgia Meloni n’est pas la seule à tenir des discours racistes. Le président tunisien a lui-même eu ces derniers mois des propos haineux envers les populations subsahariennes, évoquant des « hordes » d’immigrés clandestins dont la présence serait, selon lui, source de « violence et de crimes ». Il considère qu’il existerait une « entreprise criminelle » qui viserait à « changer la composition démographique » du pays. Des propos complotistes dignes des théoriciens européens du « grand remplacement » qui ont d’ores et déjà été suivisd’une augmentation des actes de violences envers les Subsahariens en Tunisie.
Connue pour ses déclarations parfois « irréalistes », Ibtissem Hamlaoui, fait encore parler d’elle. Non pour avoir été « élue » à la tête du Croissant rouge algérien, mais pour avoir tout bonnement accusé certaines associations (algériennes) de bénéficier d’un financement étranger.
« Certaines associations nationales bénéficient d’un financement étranger occulte dont on ignore la provenance », a-t-elle en effet laissé entendre ce jeudi, sur le plateau d’une chaîne TV privée.
Quelles sont ces associations ? Combien sont-elles ? D’où leur parvient ce financement « occulte ? Ibtissem Hamlaoui n’en dira pas plus. Pourtant, la déontologie l’exige, si ce n’est de la pure et simple « spéculation ».
Si ces affirmations s’avèrent vraies, celle qui s’est de tout temps distinguée par ses déclarations burlesques, ne servant dans la plupart des cas qu’un clan bien défini, des comptes doivent être rendus.
Ibtissem Hamlaoui, en sait quelques choses. En septembre 2021, elle n’a pas hésité à user de mots dégradants pour décrire le sélectionneur national Djamel Belmadi, qui n’avait pourtant fait que dénoncé l’état des pelouses de nos stades.
Elle est vite recadrée par des milliers d’internautes qui se sont solidarisés avec lui. « Belmadi pas touche ! », avaient-ils écrit unanimement sur les réseaux sociaux.
Quelques mois auparavant, elle se distingue par des critiques acerbes à l’adresse des « pouvoirs publics qui avaient mal géré la crise sanitaire liée au coronavirus »
« Le manque de moyens matériels dans les hôpitaux à causé un retard flagrant dans le nombre de dépistages laissant entrevoir une situation qui pourrait devenir hors de contrôle. Si le confinement total n’est pas décrété, le pays risque une catastrophe sanitaire », avait-elle notamment prédit en mars 2020.
Deux ans après, les faits sont là, pour lui rappeler qu’elle était entièrement en déphasage avec la réalité. Fruit du hasard ? Assurément pas.
La stratégie « gagnante » menée par l’Algérie pour lutter contre la propagation du Coronavirus (Covid-19), a été en effet saluée par y compris, des organismes internationaux telle que l’OMS qui s’est félicitée des « mesures prises par le gouvernement algérien pour circonscrire l’épidémie à tous les niveaux ».
Le Président Tebboune suivait en personne, heure par heure l’évolution de cette pandémie (…), à la tête d’une cellule de crise, donnait les orientations à suivre, les mesures à prendre et les adaptations à y apporter selon l’évolution des courbes de la pandémie avec comme premier et unique souci de sauver les vies.
Enfin, que dire de celle qui affirmait que les manifestants qui sortaient tous les vendredi (lors du Hirak) l’empêchaient de «faire sa sieste » ? Du délire tout simplement.
Un monument à Maurice Audinau Père Lachaise à Paris
En hommage à Maurice Audin, un cénotaphe, monument funéraire ne contenant pas le corps du défunt, a été inauguré au cimetière du Père Lachaise, à Paris le 11 juin 2019. Ce mathématicien français, partisan de l'indépendance de l'Algérie, est mort en juin 1957 alors qu'il était détenu par l'armée française. Son corps n'a jamais été retrouvé.
Le 11 juin 1957, Maurice Audin a été enlevé à son domicile à Alger par des militaires français qui le soumirent à la torture et le tuèrent. La disparition de son fils Pierre le 28 mai 2023 donne une signification particulière à l’hommage rendu cette année à Maurice, Josette et Pierre Audin. Quelques mois avant la mort de Josette Audin le 2 février 2019, le président de la République lui avait rendu visite et avait reconnu la responsabilité de l’État français dans la mort de son mari. Un rassemblement, auquel appellent de nombreuses associations dont la Ligue des droits de l’Homme, a lieu le dimanche 11 juin 2023 à 11 heures devant le cénotaphe de Maurice Audin. Pour demander que toute la lumière soit faite sur les circonstances de sa disparition ainsi que sur celle des nombreux combattants pour l’indépendance de l’Algérie et civils algériens enlevés comme lui par des militaires français.
MADAM, œuvre théâtrale hors norme, mélange le one woman show, les conférences et les tribunes. Elle a été conçue en collaboration avec six auteures, six actrices et de nombreuses chercheuses et contributrices. Les trois premiers épisodes remettent en question les oppressions liées au genre, à la race et à la classe et les trois derniers incitent à utiliser le pouvoir de l’imaginaire pour créer de nouveaux récits et agir.
« Est-ce que tu crois que je dois m’excuser quand il y a des attentats ? »
Hélène Soulié, Marine Bachelot Nguyen, Maboula Soumahoro, Marie Dilasser et al. MADAM. Manuel d’autodéfense à méditer Éditions Deuxième époque 8 juin 2023 208 pages 20 euros
Avec ce titre : MADAM, pour « Manuel d’autodéfense à méditer », Hélène Soulié annonce clairement ses intentions. Cela fait plus de quatre ans qu’elle a commencé à élaborer et mettre en scène cette fresque en six tableaux qui revisite le patrimoine féministe depuis le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Quatre ans pendant lesquels elle a parcouru l’Hexagone, de villes en villages, de bord de mer en montagne, interrogeant cette notion de féminisme et recueillant analyses et témoignages, récits de vie, se nourrissant de toutes ces rencontres plurielles, complices ou frictionnelles. Avec des autrices, des chercheuses et des comédiennes, elle a échafaudé un véritable programme politique et utopique pour en finir avec les oppressions de race, de genre ou de classe, et toutes les formes de domination.
Les intitulés de chaque pièce, qui dure autour d’une heure, et entremêlent fiction et réalité, sont en eux aussi éloquents, percutants et malicieux : « Est-ce que tu crois que je dois m’excuser quand il y a des attentats ? », « Faire le mur — ou comment faire le mur sans passer la nuit au poste ? », « Scoreuses — parce que tu ne peux que perdre si tu n’as rien à gagner », « Je préfère être une cyborg qu’une déesse », « Ça ne passe pas », « Et j’ai suivi le vent »…
ISLAMOPHOBIE ET REJET DES MIGRANTS
Pour Orient XXI, les plus intéressants sont les épisodes « #1 — Est-ce que tu crois que je dois m’excuser quand il y a des attentats ? » et « #5 — Ça ne passe pas » qui sont d’ailleurs joués par la même actrice, Lenka Luptakova, et renforcent ce sentiment. Le premier épisode aborde en effet frontalement l’islamophobie et veut faire entendre la parole de celles que l’on n’entend jamais : les femmes voilées. C’est donc une jeune femme, vêtue d’un jean et le visage cerclé d’un foulard rouge, qui raconte sobrement son choix de vie et de liberté, celui de ses compagnes de toutes conditions sociales, et le prix qu’elles paient pour cela. Il n’est pas sûr que sa présence sobre mais puissante fasse bouger les lignes et saisir un propos qu’on ne veut pas entendre aujourd’hui. Hélène Soulié avait d’ailleurs été dépassée par le niveau d’hostilité qu’avait déclenché ce premier épisode, présenté au festival d’Avignon en 2021 et dont elle n’avait pas anticipé la violence… Des réactions éclairées ensuite avec finesse et humour par Maboula Soumahoro, spécialiste en études postcoloniales.
Dans l’épisode #5, Lenka Luptakova, après ce premier récit immobile, donne toute la puissance d’un jeu fiévreux, corps et voix. Il rend vibrant le texte, remarquable, de Claudine Galéa sur les migrations. La scénographie prend le parti de ne pas montrer l’une de ces plages terrifiantes où échouent les réfugié·es, mais la rive d’en face où les touristes se font bronzer, indifférent·es à cette tragédie qui fait de la Méditerranée un cimetière. Les mots de l’autrice tailladent alors notre imaginaire plus sûrement que n’importe quelle image. Puis deux jeunes femmes marins, Claire et Marie Faggianelli, témoignent de leur action quotidienne auprès de cette population d’hommes, de femmes, enfants et nouveau-nés, décrivant leur colère et leur impuissance dans une rage qui nous étreint, avec une détermination à ne pas se soumettre à des règles, des délimitations, des frontières, qui nous interpelle.
« FAIRE SOCIÉTÉ AUTREMENT »
Une sorte de carnet de route intellectuel et militant, avec ses questionnements sur le genre, les identités, le capitalisme, le devenir humain, l’utopie qu’elle partage avec ses interlocutrices et avec le public. Dans une adresse collective : « Que faire pour changer ce monde ? »
S’il n’est pas facile de programmer l’intégrale des pièces, plutôt présentées en un ou deux épisodes, il arrive que des directeurs de lieux — souvent plutôt des directrices — l’assument, ce qui était le cas en avril au Théâtre Molière de Sète, à l’initiative de Sandrine Mini. C’est alors un geste artistique et politique puissant et passionnant qui va mettre à jour les différences de réception des un·es et des autres selon le thème abordé.
Conçus en collaboration avec six autrices (Marine Bachelot Nguyen, Marie Dilasser, Mariette Navarro, Solenn Denis, Claudine Galea, Magali Mougel), six actrices (Lenka Luptakova, Christine Braconnier, Lymia Vitte, Morgane Peters, Claire Engel, Marion Coutarel), et des chercheuses (dont Maboula Soumahoro, Rachele Borghi, Éliane Viennot et Delphine Gardey, présentes sur scène), les formes en sont à la fois variées et en résonance. Les trois premiers volets cherchent à ébranler des préjugés et, après une première partie interprétée par une comédienne, mettent en regard une chercheuse qui approfondit le thème, Hélène Soulié intervenant, un peu comme le Candide de Voltaire, pour creuser ces préjugés. Les trois derniers sont pour elle une invitation à « hacker le réel », à « formuler des récits neufs », « faire émerger de nouveaux imaginaires », plus joués, et sans controverse. Mais tous se veulent « des récits trouble-fêtes qui dérangent l’ordre des choses et les hiérarchies de la parole ».
Au final, Hélène Soulié remporte haut la main son invitation « à faire société autrement, et à inventer de nouvelles réalités ».
Hélène Soulié dirige la Compagnie Exit depuis 2008, et associe des comédien·nes, dramaturges et chercheur·es à son travail. On aime aussi la définition de cette compagnie :
EXIT : Voyants qui dans la nuit des théâtres signalent la sortie de secours. Ou didascalie qui indique que le personnage sort. EXIT : Sortir. Créer un hors cadre. Sortir de notre façon de concevoir le monde. Savoir se remettre en question. Se déplacer. Se rencontrer. Se mélanger. Questionner ce qui fait notre présent commun. S’enrichir mutuellement. Inventer une façon de faire théâtre ensemble. Créer des espaces d’exploration de soi. Des autres. Du monde. De la langue. Avec urgence. Avec exigence. Créer des mises en relation multiples. Décoloniser et décloisonner les imaginaires. Faire advenir de nouveaux récits. Il n’y a pas une personne plus importante qu’une autre. Il n’y a pas de spectacle plus important qu’un autre. Il n’y a pas de spectateur·trices plus important·es que d’autres. Il y a le théâtre. Engagé par essence. Dans la vie. Dans la cité. Et notre nécessité
"Omar la fraise" est un film ambitieux certainement, peut-être pas tout à fait abouti mais porteur d’une étrange et sulfureuse fascination. Notre critique.
Le premier long d’Elias Belkeddar est avant tout une émouvante déclaration d’amour à l’Algérie, et à sa capitale plus particulièrement. Jamais en effet cette ville n’aura autant mérité que dans ce film le nom d’Alger la blanche.
Adroitement, le réalisateur fait glisser sa caméra des toits aveuglants de la ville à l’azur de la Méditerranée. C’est aussi une manière de filmer la mer comme une frontière, voire un obstacle… De fait le scénario nous présente un duo de bras cassés assez hauts en couleurs. Il y a Omar (Reda Kateb comme à son habitude impérial de sensibilité), c’est pour lui que la Méditerranée est une frontière à ne plus franchir.
Gangster parisien, il a fui l’Hexagone afin d’échapper à la prison. La justice vient d’ailleurs de le condamner par contumace à 20 ans. Roger (Benoît Magimel), son frère d’embrouilles multiples et d’amitié indéfectible, l’a suivi. C’est son ange gardien car si Omar se fait pincer par la police algérienne, c’est le gnouf direct.
Malgré la luxueuse villa qui les abrite, même si la piscine est à sec, il faut bien vivre et montrer que l’on se met dans le droit chemin. Un ami lui trouve un poste à la sécurité d’une biscuiterie industrielle tenue par Samia (Meriem Amiar, la révélation du film, lumineuse, envoûtante).
Tout cela sert de décorum à un autre film, celui qui parle de la nostalgie pour Omar d’un pays qui l’a vu naître, la France, d’un autre dans lequel plonge ses racines, l’Algérie, de cette incapacité pour lui de s’approprier ses origines séculaires. Elias Belkeddar, au travers de lumières littéralement somptueuses, nous trace le portrait de personnages divers.
Les frérots, égarés dans leur vie, les jeunes Algériens déjà perdus dans leur avenir, Samia, volontaire et engagée dans des perspectives plus constructives, tout cela dans une conjugaison habile de comique irrésistible et… de violence insoutenable. Ainsi est la vision du réalisateur.
Un film ambitieux certainement, peut-être pas tout à fait abouti mais porteur d’une étrange et sulfureuse fascination.
En Tunisie, le tournage d'un biopic sur Frantz Fanon, écrivain et psychiatre engagé contre la colonisation française en Algérie, a pris fin en mai 2023. Le film, qui est la première œuvre non documentaire sur ce militant antiraciste, se penche sur son apport à la psychiatrie dans les années 1950. Il avait dénoncé le traitement psychiatrique et les techniques de désaliénation pendant la période coloniale et avait longuement milité pour l'indépendance de l'Algérie.
M'Hamed Yazid et Frantz Fanon (à droite) représentent le FLN (Front de Libération nationale) et l'Algérie en guerre d'indépendance à la conférence Pan Africaine au Palais de la Culture de Léopoldville, le 27 août 1960, au Congo ex-belge, qui vient de conquérir son indépendance. (Photo by UPI / AFP)AFP
Lorsqu’Alexandre Bouyer, comédien français d’origine camerounaise a lu pour la première fois le scénario du film Fanon, co-écrit par le réalisateur Jean-Claude Barny, il a découvert avec surprise cet essayiste et psychiatre engagé. « Je ne connaissais pas Frantz Fanon, explique-t-il. J’ai connu Frantz Fanon grâce à Jean-Claude et c’est vrai que quand j’ai lu ce scénario, j’ai été frappé. J’ai eu honte – je le dis – de me dire que je ne connaissais pas cette personne. Puis j’ai lu ses œuvres et là ça m’a encore plus touché et c’est aussi ça qui m’a motivé et j’ai dit "Allez, on va y aller, on va incarner ce personnage, on va le défendre et on va raconter son histoire" ».
« On a vraiment été cherché son humanité, sa pensée humaine, sa force de travail »
Né en Martinique en 1925 et mort à 36 ans d’une leucémie foudroyante, Frantz Fanon a marqué la pensée antiraciste, les études postcoloniales mais aussi la psychiatrie. Une partie de sa vie parfois marginalisée par la postérité.
Pour le réalisateur Jean-Claude Barny, il fallait aussi montrer l’homme derrière l’œuvre et le militantisme : « On a vraiment été cherché sur des choses qui n’existaient pas : son humanité, sa pensée humaine, sa force de travail et aussi sa sociologie. C’était pour moi la base de travail pour écrire ce scénario. »
La Tunisie a servi de décor principal pour le film à la fois pour reconstituer les scènes en milieu hospitalier en Algérie, mais aussi parce que Frantz Fanon a vécu et travaillé dans le pays. Il est mort le 6 décembre 1961, un an avant l’indépendance de l’Algérie.
«On a assisté à une relecture de Fanon dans le monde universitaire de langue anglaise»
Si le biopic sur Frantz Fanon remettra peut-être l'auteur dans la lumière pour le grand public, sa pensée n'a jamais cessé d'influencer les milieux universitaires. C'est d'abord aux États-Unis et en anglais qu'elle connaît un grand succès, notamment grâce au développement des études post-coloniales. Avant que Frantz Fanon ne soit redécouvert en langue française au tournant des années 2000. Ces aller-retours entre deux visions de la question coloniale font de son œuvre un outil indispensable et très contemporain, selon Nadia Yala Kisukidi, romancière et maîtresse de conférences en philosophie à l’Université Paris 8 : « On a assisté à une relecture de Fanon, non pas dans les espaces de langue française ou francophones, mais dans le monde universitaire de langue anglaise, à l'occasion, essentiellement, de l'éclosion du courant des études post-coloniales. Et à l’occasion des années 2000, on va assister à des colloques, à des réflexions qui vont commencer à réagir et à repenser l'œuvre de Fanon dans un champ cette fois plutôt français et francophone - je dirais - où son œuvre n'avait pas forcément fait l'objet d'autant d’études que dans les espaces anglophones. Donc, il y a tous ces allers-retours, qui sont extrêmement intéressants à penser, c'est-à-dire d'une œuvre qui a eu plusieurs vies, plusieurs types de réception dans des langues différentes et dans des espaces différents, à la fois académiques et également politiques. »
PAvec notre correspondante à Tunis, Lilia Blaiseublié le :
Il est de bon ton, chez les islamos et les Gauchos de nous seriner que la colonisation française aurait “pillé” (sic) l’Algérie.
Des études historiques ont déjà démoli cette imposture.
On sait les travaux pionniers de Jacques Marseille, historien communiste, qui voulait établir scientifiquement cette thèse islamo-gauchiste du “pillage” de l’Algérie par la France.
Et qui plus il progressait dans ses recherches, plus il constatait que son postulat de départ était entièrement faux.
On sait aussi les travaux, allant dans le même sens, de Daniel Lefeuvre :
Analyses très souvent reprises par Bernard Lugan:
Un livre, plus récent, de David Todd confirme les études précédentes : “Un empire de velours, l’impérialisme informel français au XIXème siècle”.
Le livre ne porte que sur la première moitié du temps de la colonisation en Algérie, mais une étude sur la moitié suivante ne ferait que renforcer la conclusion que l’Algérie a été un boulet économique pour la France.
Le fait que ce livre soit publié aus éditions “la Découverte”, maison qui a succédé aux éditions “Maspero”, éditeur d’extrême-gauche dans les années 60-70 et pourfendeur du colonialisme n’est pas sans une certaine saveur…
Pour préciser ce point, je rappellerai que “La Découverte” est l’éditeur de Plenel, c’est dire !!
Je reprends donc les analyses de David Todd dans son chapitre II , “Algérie, l’échec d’une colonisation informelle”.
Premier point :
Les recettes coloniales (1850-1899) de l’Algérie française n’ont jamais dépassé 40% des dépenses que les Français ont consenti pour l’Algérie
Deuxième point :
La colonisation humaine en Algérie est restée toujours extrêmement faible.
Contrairement aux colonies anglaises (Australie, Nouvelle-Zélande) où un politique de substitution -extermination de population a été pratiquée, ce n’est pas le cas en Algérie où le pourcentage d’Européens est resté constamment faible.
Troisième point :
Le projet colonial initial de transformer l’Algérie en exportatrice de produits tropicaux ne s’est pas réalisé : le pourcentage d’agriculteurs parmi les colons étant très faible.
Dans l’autre sens aussi, le projet est un flop.
La part des exportations vers l’Algérie rapportée aux exportations totales de la France s’établit rapidement à moins de 5%…
Le type de produits importé d’Algérie fut aussi très “décevant” (sic).
La grande part (31%) est celle de “produit et dépouilles d’animaux” !
Plus tard (1890) , l’Algérie française cartonnera dans la production vinicole mais si l’on se souvient que la colonisation avait pour but de fournir à la France des produits qu’elle ne pouvait pas produire elle-même, on mesurera l’absurdité de cette politique économique venant concurrencer le vin français !
David Todd conclut :
“L’Algérie fut un échec de l’impérialisme informel.“.
Aussi la France resta plus en retrait en Tunisie et au Maroc. “Le modèle algérien d’assimilation administratif (étant) si coûteux et si difficile à mettre en oeuvre”.
Oui la France n’a pas pillé l’Algérie, elle s’y est bien ruinée !
Le pays connaît une saison intense de feux de forêts. Selon le gouvernement fédéral, 2 214 incendies ont consumé environ 3,3 millions d’hectares ces dernières semaines. Au total, 120 000 personnes ont déjà été forcées de quitter leur domicile et 26 200 autres sont en cours d’évacuation.
A Montréal, au Québec, la fumée des incendies qui ravagent le Canada depuis début mai, vue depuis les hauteurs du parc du Mont-Royal, le 5 juin 2023. ANDREJ IVANOV / AFP
Au tour du Québec de connaître sa saison en enfer. Après l’Alberta dans l’ouest du pays début mai, la Nouvelle-Ecosse dans l’est, la semaine du 27 mai, la Belle Province est à son tour ravagée par les incendies, depuis le 29 mai. Au plus fort de la crise, le 5 juin, la Société de protection des forêts contre le feu (Sopfeu) dénombrait 160 foyers actifs sur le territoire québécois, dont 90 % étaient jugés « hors de contrôle ».
à quelque 900 kilomètres à l’est de Montréal, et en Abitibi-Témiscamingue, dans le nord-ouest de la province, que les brasiers sont les plus intenses. Des dizaines de municipalités ont déclaré l’état d’urgence sur leurs communes et pris des ordres d’évacuation, mardi soir encore. Et, en quelques jours, près de 10 000 personnes ont dû quitter, temporairement, leur logement.
Parmi elles, les 1 500 habitants de la communauté innu de Mani-utenam, installée près de Sept-Iles, la principale ville de la Côte-Nord, sommés d’évacuer les lieux le 2 juin dans l’après-midi, le feu se rapprochant dangereusement de leur localité. « On ne sentait rien, le vent poussait la fumée vers le nord, raconte un résident, Albert Volland, mais quand on a entendu à la radio qu’il fallait tout quitter sans paniquer, on a ramassé nos affaires les plus importantes, nos papiers, et nous avons pris la route. » Vers une auberge à quelques kilomètres de là pour sa famille et lui, tandis que d’autres habitants partaient en bus se mettre à l’abri dans la communauté innu amie de Pessamit, à 300 kilomètres de distance. Quatre jours plus tard, le 6 juin, l’ordre d’évacuation a été levé. « La pluie est enfin là, elle tombe, et elle tombe fort », se réjouissait Albert Volland en retrouvant son domicile, intact. En Abitibi, en revanche, les services météorologiques ne prévoient pas de précipitations dans les jours à venir, en dehors de quelques brefs orages, avec risques de foudre à la clé.
Qualité de l’air altérée
Au total, 220 000 hectares sont déjà partis en fumée sur le territoire québécois ; à la même date, sur la dernière décennie, la Sopfeu rapportait en moyenne moins de 250 hectares brûlés. Les 480 pompiers québécois déployés, appuyés par 150 soldats des forces armées canadiennes, reconnaissent ne pas pouvoir faire face à tous les brasiers. Le 4 juin, Emmanuel Macron a annoncé l’envoi d’une centaine de pompiers français. « Le Canada fait face à de terribles incendies. La France est solidaire (…). Amis canadiens, les renforts arrivent », a écrit le chef de l’Etat sur Twitter. « Merci cousins ! », lui a immédiatement répondu le premier ministre québécois François Legault. Mais en attendant l’arrivée des renforts prévue mercredi, les autorités ont dû se fixer des priorités : « Protéger les vies humaines avant tout, assurer ensuite la sécurité des infrastructures stratégiques, comme celles d’Hydro-Québec » (société publique d’hydroélectricité), et en dernier lieu, tenter de sauver la forêt quand cela est possible.
Depuis le début de la semaine, les fumées s’échappant de ces immenses brasiers altèrent la qualité de l’air de toute la province, de l’Ontario voisin, et s’étendent jusqu’au nord des Etats-Unis. La capitale fédérale, Ottawa, est plongée dans un nuage orange, Montréal dans un brouillard jaunâtre à l’odeur de brûlé. Dans les rues de la métropole québécoise, des cyclistes arborent de nouveau un masque sanitaire pour tenter de se protéger de la fine poussière qui se dépose et s’insinue partout.
« On vit une situation jamais vue, sinon hors du commun. On n’a jamais eu autant de feux aussi tôt dans la saison. Ce n’est pas juste une problématique pour le Québec, c’est aussi pour l’ensemble canadien. D’habitude, l’Ouest brûle, le Québec ne brûle pas et on se partage les effectifs, mais là, ça brûle partout », a répété, désemparé, le ministre québécois de la sécurité publique, François Bonnardel. Le 6 juin, le Canada brûlait en effet encore d’un océan à l’autre, avec 413 feux toujours actifs, dont 249 « hors de contrôle ». Sur les treize provinces et territoires que compte le pays, seuls l’Île-du-Prince-Edouard, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nunavut ont, jusque-là, été épargnés.
« Une nouvelle réalité »
Ce combat à mener sur tous les fronts rend particulièrement difficile l’organisation des secours, d’autant que la bataille s’annonce longue. « La saison des feux de forêt risque d’être particulièrement intense tout au long de l’été », a prévenu, lundi, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, après avoir fait le point avec des experts d’Environnement Canada sur l’évolution prévisible des incendies. Le chef du gouvernement a d’ailleurs affirmé travailler à un « plan B », au cas où les ressources humaines pour lutter contre les feux viendraient à manquer. Actuellement, sur les 3 000 pompiers s’acharnant à combattre les flammes à travers le pays, près d’un millier vient de l’étranger, notamment des Etats-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud et du Costa Rica.
« Jamais vu », « exceptionnel », « hors norme » : chacun use des mêmes mots pour qualifier l’intensité et la précocité de cette saison des feux, mais le ministre fédéral des ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a choisi d’être plus incisif. « Nous vivons dans une nouvelle réalité, une réalité dans laquelle nous devons écouter attentivement ce que la science nous dit », a-t-il déclaré, faisant référence au dérèglement climatique qui touche l’ensemble du monde et rend le Canada particulièrement vulnérable. Les conditions plus chaudes et plus sèches à venir vont allonger la saison propice aux incendies dans la forêt boréale canadienne, préviennent les experts.
Interrogé sur la part qu’il entend prendre dans la lutte contre le réchauffement climatique, Justin Trudeau a tenu à réaffirmer que son plan pour le climat, visant notamment à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2030, était « parmi les plus ambitieux » de la planète. Et ce malgré l’approbation que son gouvernement (libéral) continue de donner à certains projets d’extraction d’énergies fossiles, comme le feu vert accordé en avril 2022 à Bay du Nord, un mégaprojet de soixante puits d’extraction pétrolière au large de Terre-Neuve. Les conservateurs, eux, restent les plus ardents défenseurs de l’industrie pétrolière et gazière du pays. Le Canada brûle de toute part, mais, imperturbables, ils ont profité d’une séance à la Chambre des communes en début de semaine pour réclamer de nouveau l’abolition de la taxe sur le carbone instaurée en 2019 sur l’ensemble du territoire canadien et destinée à limiter les émissions de CO2.
Incendies ravageurs au Québec : des milliers de personnes évacuées
Au Québec, les incendies ne laissent aucun répit aux pompiers qui doivent lutter sur plusieurs fronts dans le nord de cette province. Plus de 11 000 personnes ont dû quitter leur résidence car les incendies menacent les localités où elles vivent.
Dans l’une d’elles, Normetal, située à sept heures de route de Montréal, le feu s’est même approché à 500 mètres des habitations. Rencontre avec des évacués qui ont trouvé refuge à 300 kilomètres de chez eux.
Les habitants de Chibougameau, une ville de 7 000 habitants, ont trouvé refuge au lac Saint-Jean, plus exactement à Roberval, qui les a très bien accueillis. Toute la journée de mercredi 7 juin, des gens sont venus proposer une chambre, une caravane, des maisons même, à celles et à ceux qui ont dû quitter très rapidement leur résidence. À tel point que les lits de camp installés dans un centre sportif ne servent presque pas puisque la plupart du monde est hébergé chez des particuliers.
« On a mis en place notre plan d’urgence, ici à Roberval, avec notre cellule de crise, explique Serge Bergeron, le maire de la ville. Et là, il a fallu trouver les lits, il a fallu trouver tous les produits sanitaires, il a fallu trouver les collations pour faire manger les gens. Les gens ont été très collaborateurs, parce que le supermarché IGA, à titre d’exemple, a, lui, envoyé quelqu’un après les heures d’ouverture pour nous fournir des jus, du pain… Les gens se présentaient ici parce qu’ils entendaient la nouvelle aux médias, les gens de Roberval venaient proposer leur aide : « Je veux donner quelques heures », « Comment je peux aider ? », « Est-ce que je peux accueillir quelqu’un chez moi, j’ai une chambre de libre », et tout ça. Et on a relocalisé des familles chez des gens, dans des résidences de Roberval, ce qui a permis ici de libérer plusieurs lits, mais aussi, et comme premier objectif, de mettre ces gens-là dans des conditions beaucoup plus confortables que de dormir sur un lit de camp comme celui qu’on a, avec une simple couverture et un petit oreiller. »
Les nouvelles de la progression de cet incendie sont plutôt encourageantes, car il avance moins vite que prévu. Sur place, les pompiers ont érigé un coupe-feu long de plusieurs kilomètres, une sorte de tranchée, pour éviter que les flammes n’atteignent les maisons et une usine de construction de bois où se trouvent notamment des citernes de mazout.
Si les choses s’améliorent depuis peu dans l’est du Québec, car la pluie tombe depuis quelques jours, les feux se font beaucoup plus menaçants dans la région de l’Abitibi, au nord de Montréal. Le temps reste très sec dans cette zone, et les arbres résineux brûlent comme des fétus de paille.
Le Premier ministre québécois François Legault reconnaît que les effectifs ne sont pas suffisants pour combattre les 160 incendies qui sévissent actuellement. Les efforts des pompiers se concentrent sur les plus grosses localités. D’autant plus qu’il faut accorder un peu de repos aux pilotes des avions-citernes qui arrosent le brasier et aux appareils.
Heureusement, des pompiers américains arrivent sur le terrain. Une centaine de pompiers français sont aussi attendus aujourd’hui. Un coup de main très apprécié dans ce combat qui ne laisse aucun répit à celles et à ceux qui voient des centaines de milliers d’hectares partir en fumée.
Le changement climatique frappe de plein fouet le Canada, qui se réchauffe deux fois plus vite que l’ensemble du monde
Des chercheurs alertent le gouvernement sur l’urgence de mettre en place une stratégie d’adaptation ambitieuse.
Vancouver sous un épais nuage de fumée en raison de feux de forêt, le 20 octobre 2022. DARRYL DYCK / AP
LETTRE DE MONTRÉAL
Connu pour ses paysages grandioses, de la majestueuse chaîne des montagnes Rocheuses en Colombie-Britannique à la quiétude des cinq cent mille lacs émaillant les forêts québécoises, le Canada est souvent associé à ce que la nature peut offrir de beauté immuable et éternelle. Des images « instagrammables » qui attirent des touristes du monde entier, mais qui obèrent une réalité plus sombre : sa situation septentrionale place le pays en première ligne face aux changements climatiques. Le Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que l’ensemble du monde, et même jusqu’à plus de trois fois plus vite pour le territoire arctique, au nord.
En l’espace de quelques saisons seulement, des événements climatiques extrêmes ont montré la vulnérabilité du pays. Submersion des côtes des provinces de l’Atlantique causée par le passage de la tempête post-tropicale Fiona, le 24 septembre, dôme de chaleur avec des records à plus de 47 °C à Vancouver, lors de l’été 2021, suivi d’incendies dévastateurs, puis, quelques mois plus tard, d’inondations hors normes dans le sud de la Colombie-Britannique. A chaque « catastrophe », le gouvernement fédéral comme les autorités provinciales se sont fendus d’aides financières d’urgence.
Or, la multiplication de ces aides promet d’être, dans les années à venir, un tonneau des Danaïdes. Quelques semaines avant la COP27, en cours à Charm El-Cheikh (Egypte) et où n’a pas prévu de se rendre le premier ministre canadien, Justin Trudeau, l’Institut climatique du Canada, organisme indépendant, a rendu un rapport évaluant ce que les changements climatiques coûtaient à l’économie du pays et au portefeuille de ses habitants, et ce qu’il pourrait leur en coûter demain si aucune politique « d’adaptation proactive » n’était menée.
Un coût financier extrêmement élevé
Intitulée « Limiter les dégâts » (« Damage Control »), l’étude détaille la facture des dommages causés par ces changements climatiques en s’appuyant sur plusieurs hypothèses de réduction (ou non) des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial dans les prochaines années. Quel que soit le scénario retenu, « le Canada n’en sort jamais gagnant », assène Dave Sawyer, économiste en chef à l’institut.
Les dommages climatiques amputent déjà la richesse nationale, affirment les auteurs de l’étude. Pour preuve, parmi d’autres, l’incendie historique qui a ravagé la ville pétrolière de Fort McMurray, en Alberta, en 2016, a coûté 4 milliards de dollars (2,92 milliards d’euros) de dégâts directs, auxquels il a fallu ajouter 7 milliards supplémentaires pour prendre en compte les dommages causés à l’environnement et aux ressources naturelles, la perte de production de l’industrie pétrogazière de la ville ou encore les recettes fiscales perdues. Dès 2025, les dommages climatiques devraient coûter 25 milliards de dollars au Canada, soit la moitié des fruits de la croissance attendue du PIB ; à la fin du siècle, ce sont 865 milliards de dollars qui pourraient annuellement venir grever les finances publiques.
Les auteurs détaillent « l’effet domino » des menaces pesant sur la prospérité du pays : perte de productivité des travailleurs liée à la chaleur, morts prématurées en hausse, incidence sur la quantité de main-d’œuvre disponible, réduction de la compétitivité, baisse des exportations et accroissement des importations, hausse des coûts et montée des prix…
Toutes les provinces ne seront pas affectées économiquement de façon égale : les communautés et les infrastructures du nord du Canada seront les plus touchées en raison des effets de la fonte du permafrost, quand le Québec sera sans doute plus épargné, le réchauffement climatique lui fournissant, à terme, plus d’eau pour ses barrages hydroélectriques.
« Tueurs d’emplois »
Mais, à l’échelle du pays, l’alourdissement global de la facture mettra les autorités publiques au pied du mur : soit elles augmenteront les impôts, soit elles renonceront à certains services publics faute de ressources suffisantes, avec une dégradation prévisible du système de santé, déjà mis à rude épreuve par l’actuelle pénurie de personnels soignants.
Le tableau des effets macroéconomiques de ces dommages climatiques est sombre, l’avenir individuel des Canadiens, plus encore : le ralentissement de la croissance et la hausse de la fiscalité pourraient faire perdre à chaque citoyen près de 720 dollars de revenus par an dès 2025, et jusqu’à 2 300 dollars d’ici à 2050, tandis que les ménages les plus modestes, moins bien logés et professionnellement plus précaires, seront les premières victimes.
Car il ne faut pas s’y tromper, insistent les auteurs du rapport, « les changements climatiques sont des tueurs d’emplois ». Usant de la parabole de la « vitre cassée », ils expliquent que l’idée selon laquelle l’activité économique visant à réparer ce qui a été endommagé a des vertus, en dynamisant notamment le secteur de la construction, est une illusion. Elle s’accompagne d’un « coût d’opportunité » : l’argent dépensé ne servant pas à créer de nouvelles richesses ou à faire émerger de nouveaux potentiels productifs, les ménages en sont réduits à payer les innombrables « vitres cassées ».
Ce tableau très noir pourrait reprendre quelques couleurs si une « politique d’adaptation » – une action en amont plutôt qu’une réaction a posteriori – était vigoureusement mise en place, plaide l’Institut climatique du Canada. Les chercheurs avancent quelques pistes : assurer la protection des côtes pour limiter leur érosion avant de subir de nouvelles submersions, utiliser des matériaux adaptés au réchauffement climatique pour la réfection des routes, installer des capteurs de température pour isoler les segments les plus vulnérables du réseau ferré ou encore procéder à l’installation de dispositifs d’ombrage pour les usines afin de réduire la perte de productivité des travailleurs. Chaque dollar investi aujourd’hui aurait un rendement de 13 à 15 dollars pour l’économie globale du pays, assurent-ils. Etant entendu que le Canada devra, en parallèle, participer à l’effort mondial de réduction des gaz à effet de serre, sans quoi c’est le scénario le plus catastrophiste qui adviendra.
Les auteurs de « Damage Control » espèrent que leur rapport nourrira les ambitions de la « stratégie nationale d’adaptation du Canada » que le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à finaliser d’ici à la fin de l’année. Un premier plan bien tardif, alors que la France s’est dotée d’une telle stratégie, dès 2006, et l’Union européenne, dès 2013.
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