Le groupe de légende formé en 1973 par des jeunes Algériens de France a été un laboratoire sans égal où se marièrent influences rock et traditions kabyles et maghrébines. Le label Bongo Joe leur consacre une excellente compilation : Amazigh Freedom Rock.
Culte. Le mot est on ne peut plus approprié à l’évocation des Abranis, un groupe vénéré aussi bien par les chercheurs de son du monde entier que par les zélateurs prosélytes de l’identité berbère. Pour en mesurer l’impact, il suffit de se balader sur la vaste toile, où ces musiciens originaires d’Algérie sont le sujet de maintes conversations comme leurs vinyles – 45-tours ou LP – ont plus que la cote sur les réseaux de diggers. Et cela ne date pas d’hier, même si une compilation publiée sur le label suisse Bongo Joe remet une nouvelle fois les pleins phares sur ce légendaire combo. Comment expliquer un tel phénomène qui traverse les âges ? « Il y a sans doute un sentiment de nostalgie pour la nouvelle génération née en Europe, qui est curieuse de ce que nous représentons. A l’époque, nous incarnions la symbiose entre l’Europe et le monde kabyle. Nous étions au moment de l’apogée de l’ouverture culturelle qui a dominé dans le monde », analyse Shamy, cofondateur du groupe qui fêtera l’an prochain ses quatre-vingts ans.
« Nous avons même été les premiers à la Sacem dans les scopitones (jukebox associant l’image au son, NDLR). Devant Johnny et Claude François ! », assure le même homme, auteur de nombreux documentaires et livres. Ce n’était pas rien pour ce groupe né dans la tête de deux jeunes Kabyles émigrés en France, où ils fréquenteront les bars kabyles qui font les chaudes nuits du nord est parisien, tout en écoutant les musiques de leur jeunesse : Elvis Presley, James Brown, Otis Redding, Duke Ellington, les Beatles, les Rolling Stones et ainsi de suite. Liste non exhaustive, dont le futur octogénaire aime préciser que Cat Stevens en était le chanteur préféré.
Des chevelus qui irritent le FLN
C’est tout autant dans une voie médiane qu’ils écrivent leurs paroles. Le propos ? « Social, philosophique, festif, sentimental, parfois rebelle et revendicatif… », souligne aujourd’hui Karim, le chanteur et principal compositeur. « Les textes étaientmoins crus que Matoub Lounès, tempère Shamy. Nous étions inspirés par les auteurs kabyle du 18ème siècle et la modernité de notre époque. » Et cette synthèse prenait la forme de métaphores et paraboles, qui évoquent à mi-mots la situation du peuple amazigh dans l’Algérie post-coloniale. Chacun néanmoins en comprendra vite la portée, à en jauger l’écho que leurs chants provoquent dans les montagnes nord-africaines. D’ailleurs, cette prévention à ne pas prendre de front le gouvernement d’Alger ne les prémunira nullement de sérieuses galères quand, partant en bagnole de Chelles en banlieue parisienne, ils débarquent en Algérie pour le premier festival de la chanson algérienne en 1973.
« Les officiels algériens avaient peur qu’on chante en français ou anglais. En fait quand on a commencé en kabyle, ils ont vite compris : au bout de trois chansons, ils ont baissé le rideau ! », se souvient mi-amusé mi-ironique Shamy à qui on enlève alors son passeport six mois durant. En clair, les autorités d’Alger mettent un sérieux coup de pression pour que le groupe chante en arabe, ce qu’il fera non sans « dérision » en composant une chanson avec trois couplets – un en arabe, un en français, un en kabyle – puis en signant la bande originale d’un film, au titre explicite (les Étrangers). « Le pouvoir arabo-baassiste considérait notre arrivée comme l’intrusion d’un parasite. Ils estimaient que notre style était un mauvais exemple pour la jeunesse. Ce qui les dérangeait le plus, c’est que les textes soient chantés en kabyle, langue méprisée et quasiment interdite », reprend Karim. « Pour le pouvoir algérien, nous étions perçus comme des décadents, porteurs des germes du capitalisme. », renchérit Shamy. Et ce fut tout naturellement la double peine pour ce groupe d’hirsutes affranchis qui menaçaient les valeurs de l’État nation en pleine édification. Le Président Boumediène ira jusqu’à réunir quatre ministres pour évoquer le problème de ce groupe qui remplit les stades en important des idéologies contraires à l’esprit du FLN.
« Nous souhaitions simplement déterrer ce que le pouvoir cherchait à enterrer », clarifie tout net Shamy, qui aime à dire que Saint Augustin était berbère, et que neuf papes furent kabyles. Toujours est-il que les Abranis vont dès lors se positionner à l’avant-garde du mouvement du renouveau culturel amazigh. « Et puis il y a eu Djamel Allam, Idir… », ajoute Shamy, énumérant les mouvements insurrectionnels liés à cette communauté : « Le printemps 80, le mouvement de 1988, 2001 et le printemps noir sur lequel j’ai réalisé un film, tous viennent de Kabylie. Et même le hirak reprend nos slogans. » On comprend alors mieux pourquoi en 1975, leur première grande tournée algérienne est frappée par une interdiction de concert en Kabylie, provoquant manifestations et affrontements avec les forces de l’ordre en place, qui se résoudra à autoriser le spectacle pour calmer les esprits. « Nos fans furent même bousculés et battus, arrêtés et maltraités, voire torturés, notamment à Sidi-Aich lors d’un gala annulé par la police à la dernière minute », précise Karim. Et d’ajouter qu’ils furent par la suite sujets de censures par la radio et télévision officielle.
Ambassadeurs de la « Rockabylie »
Tout a commencé en 1967, lorsque ces deux jeunes font le pari de créer un groupe branché rock. Le premier, Abdelkader Chemini, né en 1944 et plus connu sous le sobriquet de Shamy El Baz, est arrivé en France au début des années 1960, après avoir été torturé dans le djebel par l’armée française. Il y subira 33 opérations, portant à tout jamais les stigmates de cette guerre qui ne dit alors pas son nom, mais fera de cette résilience une nouvelle chance : il va saisir l’opportunité de reprendre ses études en autodidacte et apprendre les premiers rudiments aux claviers. « J’ai vite compris la différence entre le peuple et le pouvoir. Ce sont deux choses tellement distinctes », insiste encore en 2023 celui qui vit depuis soixante ans en France, partageant désormais son temps entre Honfleur et Paris. Quant au second et plus jeune Karim Abdenour, Sid Mohand Tahar à l’état civil, il est arrivé à treize ans en France, juste après les accords d’Evian qui scellent l’indépendance de l’Algérie. Loin de ses montagnes natales, celui qui a touché sa première guitare en débarquant sur les bords de Seine va bientôt fréquenter le Golf Drouot (club rock à Paris, NDLR), et y trouver matière à imaginer de donner du rock une version originale, « le rockabyle ». Ce sera Les Abranis, une bande de jeunes parmi tant alors que la planète bruisse en pleine effervescence hippie, une ère de révolutions fleuries en mode peace and love.
Les Abranis donc, un nom qui ne doit rien au hasard pour cette formation du genre abrasif. « Durant des siècles, trois tribus berbères couvraient une zone qui s’étend de l’Egypte à la Mauritanie. Deux se faisaient constamment la guerre, et la troisième était considérée comme plus pacificatrice. C’était les Branis, qui agissaient comme des réconciliateurs », assure Shamy qui reconnaît dans ce choix une forme d’« allégorie quant à leurs objectifs ». D’un point de vue musical, ceux-ci consistent à formuler un trait d’union entre le folklore de leurs origines et les sonorités qui traversent de part en part le monde, une fusion qu’ils formulent dès 1973 avec le batteur Samir Chabane et le guitariste Madi Mahdi. Le 45-tours Athedjaladde, titre qui introduit la présente compilation baptisée Amazigh Freedom Rock, en fournit une bonne idée. Un sentiment de liberté formelle, dont témoigne tout autant « AyetheriAL’Afjare », autre chanson gravée en 1973 où la tonalité générale – un garage rock teinté de post-psychédélisme – n’exclut pas d’oser les rythmiques pentatoniques.
« Un laboratoire perpétuel créatif »
Tout comme l’esthétique mute au fil des années pour ces musiciens qui ajoutent en mesure des cordes et accords à leur jeu, le combo va être sujet à de nombreux changements de personnel, suite au départ dès 1975 des premiers piliers que furent Samir Chabane et Madi Mahdi. Au hasard des albums que les Abranis enregistrent, on retrouve des exilés d’Algérie comme des musiciens de la scène française, dont le bassiste Jannick Top et le batteur Dédé Ceccarelli, autant d’ajouts qui ne retranchent rien au caractère originel et original de ce groupe qui a pour socle les compositions de Shamy et Karim, « une base improvisée en yaourt d’où ressortait toutes nos références. (…)Il s’agissait d’un laboratoire perpétuel créatif. A la différence d’autres qui ont modernisé le traditionnel, à l’image de Nass El Ghiwane, ou de Vigon qui chantait en anglais. », précise Shamy, des plus érudits lorsqu’il s’agit d’évoquer la diffusion de la culture kabyle à travers les âges. « Nous avons même utilisé des instruments bretons ! Cela remonte à Hannibal. »
Le caractère précurseur et singulier des Abranis, habitués comme les tout bons au plateau du Pop Club de José Artur mais boudés par la plupart des médias mainstream – « Hormis quelques maisons de la culture, ce sont surtout des associations qui nous demandaient pour des galas de solidarité gratuitement parce qu’elles étaient elles-mêmes sans sous », rappelle Karim – s’avère à chaque seconde de cette compilation, qui puise dans leur abondante discographie consignée entre 1973 et 1983, leur âge d’or qui eut pour apogée le drôlement bien-nommé Album N°1. A partir du milieu des années 1980, si le groupe continue de tourner, en Afrique du Nord comme en Europe, ayant même Les Négresses Vertes et la Mano Negra pour premières parties en Allemagne, il n’ira plus qu’épisodiquement en studio. Il est désormais loin le temps du sombre Abranis 77, brûlot paru sur Bordj El Fen, un label algérien, tout comme le suivant. Imité Tayri en 1978, d’une tonalité autrement plus festive.
Vingt ans après leurs premiers sillons, Shamy El Baz et Karim Abdenour se rendent en studio en 1993 pour produire en Algérie sur leurs deniers un nouvel album, alors que le pays vient d’entamer la décennie noire qui va décimer toute la culture locale. Ce sera l’acte final, les deux amis de toujours – « jusqu’à aujourd’hui », assure encore Shamy – étant en désaccord. « Karim a accepté de chanter pour Alger, capitale de la culture arabe.Pas moi ! », se souvient véhément l’aîné. Et il faudra attendre plus de dix ans avant qu’une nouvelle formule du groupe réapparaisse, avec Karim, désormais retraité et installé en Algérie, mais aussi certains de ses enfants, dont Belaïd à la guitare. « Abranis est devenu un concept plus qu’un groupe figé sur quelques individus. Une bonne quarantaine de musiciens entre les guitaristes, batteurs et bassistes ont fait une apparition dans cette aventure», souligne Karim.
Le groupe de légende formé en 1973 par des jeunes Algériens de France a été un laboratoire sans égal où se marièrent influences rock et traditions kabyles et maghrébines. Le label Bongo Joe leur consacre une excellente compilation : Amazigh Freedom Rock.
Culte. Le mot est on ne peut plus approprié à l’évocation des Abranis, un groupe vénéré aussi bien par les chercheurs de son du monde entier que par les zélateurs prosélytes de l’identité berbère. Pour en mesurer l’impact, il suffit de se balader sur la vaste toile, où ces musiciens originaires d’Algérie sont le sujet de maintes conversations comme leurs vinyles – 45-tours ou LP – ont plus que la cote sur les réseaux de diggers. Et cela ne date pas d’hier, même si une compilation publiée sur le label suisse Bongo Joe remet une nouvelle fois les pleins phares sur ce légendaire combo. Comment expliquer un tel phénomène qui traverse les âges ? « Il y a sans doute un sentiment de nostalgie pour la nouvelle génération née en Europe, qui est curieuse de ce que nous représentons. A l’époque, nous incarnions la symbiose entre l’Europe et le monde kabyle. Nous étions au moment de l’apogée de l’ouverture culturelle qui a dominé dans le monde », analyse Shamy, cofondateur du groupe qui fêtera l’an prochain ses quatre-vingts ans.
« Nous avons même été les premiers à la Sacem dans les scopitones (jukebox associant l’image au son, NDLR). Devant Johnny et Claude François ! », assure le même homme, auteur de nombreux documentaires et livres. Ce n’était pas rien pour ce groupe né dans la tête de deux jeunes Kabyles émigrés en France, où ils fréquenteront les bars kabyles qui font les chaudes nuits du nord est parisien, tout en écoutant les musiques de leur jeunesse : Elvis Presley, James Brown, Otis Redding, Duke Ellington, les Beatles, les Rolling Stones et ainsi de suite. Liste non exhaustive, dont le futur octogénaire aime préciser que Cat Stevens en était le chanteur préféré.
Des chevelus qui irritent le FLN
C’est tout autant dans une voie médiane qu’ils écrivent leurs paroles. Le propos ? « Social, philosophique, festif, sentimental, parfois rebelle et revendicatif… », souligne aujourd’hui Karim, le chanteur et principal compositeur. « Les textes étaientmoins crus que Matoub Lounès, tempère Shamy. Nous étions inspirés par les auteurs kabyle du 18ème siècle et la modernité de notre époque. » Et cette synthèse prenait la forme de métaphores et paraboles, qui évoquent à mi-mots la situation du peuple amazigh dans l’Algérie post-coloniale. Chacun néanmoins en comprendra vite la portée, à en jauger l’écho que leurs chants provoquent dans les montagnes nord-africaines. D’ailleurs, cette prévention à ne pas prendre de front le gouvernement d’Alger ne les prémunira nullement de sérieuses galères quand, partant en bagnole de Chelles en banlieue parisienne, ils débarquent en Algérie pour le premier festival de la chanson algérienne en 1973.
« Les officiels algériens avaient peur qu’on chante en français ou anglais. En fait quand on a commencé en kabyle, ils ont vite compris : au bout de trois chansons, ils ont baissé le rideau ! », se souvient mi-amusé mi-ironique Shamy à qui on enlève alors son passeport six mois durant. En clair, les autorités d’Alger mettent un sérieux coup de pression pour que le groupe chante en arabe, ce qu’il fera non sans « dérision » en composant une chanson avec trois couplets – un en arabe, un en français, un en kabyle – puis en signant la bande originale d’un film, au titre explicite (les Étrangers). « Le pouvoir arabo-baassiste considérait notre arrivée comme l’intrusion d’un parasite. Ils estimaient que notre style était un mauvais exemple pour la jeunesse. Ce qui les dérangeait le plus, c’est que les textes soient chantés en kabyle, langue méprisée et quasiment interdite », reprend Karim. « Pour le pouvoir algérien, nous étions perçus comme des décadents, porteurs des germes du capitalisme. », renchérit Shamy. Et ce fut tout naturellement la double peine pour ce groupe d’hirsutes affranchis qui menaçaient les valeurs de l’État nation en pleine édification. Le Président Boumediène ira jusqu’à réunir quatre ministres pour évoquer le problème de ce groupe qui remplit les stades en important des idéologies contraires à l’esprit du FLN.
« Nous souhaitions simplement déterrer ce que le pouvoir cherchait à enterrer », clarifie tout net Shamy, qui aime à dire que Saint Augustin était berbère, et que neuf papes furent kabyles. Toujours est-il que les Abranis vont dès lors se positionner à l’avant-garde du mouvement du renouveau culturel amazigh. « Et puis il y a eu Djamel Allam, Idir… », ajoute Shamy, énumérant les mouvements insurrectionnels liés à cette communauté : « Le printemps 80, le mouvement de 1988, 2001 et le printemps noir sur lequel j’ai réalisé un film, tous viennent de Kabylie. Et même le hirak reprend nos slogans. » On comprend alors mieux pourquoi en 1975, leur première grande tournée algérienne est frappée par une interdiction de concert en Kabylie, provoquant manifestations et affrontements avec les forces de l’ordre en place, qui se résoudra à autoriser le spectacle pour calmer les esprits. « Nos fans furent même bousculés et battus, arrêtés et maltraités, voire torturés, notamment à Sidi-Aich lors d’un gala annulé par la police à la dernière minute », précise Karim. Et d’ajouter qu’ils furent par la suite sujets de censures par la radio et télévision officielle.
Ambassadeurs de la « Rockabylie »
Tout a commencé en 1967, lorsque ces deux jeunes font le pari de créer un groupe branché rock. Le premier, Abdelkader Chemini, né en 1944 et plus connu sous le sobriquet de Shamy El Baz, est arrivé en France au début des années 1960, après avoir été torturé dans le djebel par l’armée française. Il y subira 33 opérations, portant à tout jamais les stigmates de cette guerre qui ne dit alors pas son nom, mais fera de cette résilience une nouvelle chance : il va saisir l’opportunité de reprendre ses études en autodidacte et apprendre les premiers rudiments aux claviers. « J’ai vite compris la différence entre le peuple et le pouvoir. Ce sont deux choses tellement distinctes », insiste encore en 2023 celui qui vit depuis soixante ans en France, partageant désormais son temps entre Honfleur et Paris. Quant au second et plus jeune Karim Abdenour, Sid Mohand Tahar à l’état civil, il est arrivé à treize ans en France, juste après les accords d’Evian qui scellent l’indépendance de l’Algérie. Loin de ses montagnes natales, celui qui a touché sa première guitare en débarquant sur les bords de Seine va bientôt fréquenter le Golf Drouot (club rock à Paris, NDLR), et y trouver matière à imaginer de donner du rock une version originale, « le rockabyle ». Ce sera Les Abranis, une bande de jeunes parmi tant alors que la planète bruisse en pleine effervescence hippie, une ère de révolutions fleuries en mode peace and love.
Les Abranis donc, un nom qui ne doit rien au hasard pour cette formation du genre abrasif. « Durant des siècles, trois tribus berbères couvraient une zone qui s’étend de l’Egypte à la Mauritanie. Deux se faisaient constamment la guerre, et la troisième était considérée comme plus pacificatrice. C’était les Branis, qui agissaient comme des réconciliateurs », assure Shamy qui reconnaît dans ce choix une forme d’« allégorie quant à leurs objectifs ». D’un point de vue musical, ceux-ci consistent à formuler un trait d’union entre le folklore de leurs origines et les sonorités qui traversent de part en part le monde, une fusion qu’ils formulent dès 1973 avec le batteur Samir Chabane et le guitariste Madi Mahdi. Le 45-tours Athedjaladde, titre qui introduit la présente compilation baptisée Amazigh Freedom Rock, en fournit une bonne idée. Un sentiment de liberté formelle, dont témoigne tout autant « AyetheriAL’Afjare », autre chanson gravée en 1973 où la tonalité générale – un garage rock teinté de post-psychédélisme – n’exclut pas d’oser les rythmiques pentatoniques.
« Un laboratoire perpétuel créatif »
Tout comme l’esthétique mute au fil des années pour ces musiciens qui ajoutent en mesure des cordes et accords à leur jeu, le combo va être sujet à de nombreux changements de personnel, suite au départ dès 1975 des premiers piliers que furent Samir Chabane et Madi Mahdi. Au hasard des albums que les Abranis enregistrent, on retrouve des exilés d’Algérie comme des musiciens de la scène française, dont le bassiste Jannick Top et le batteur Dédé Ceccarelli, autant d’ajouts qui ne retranchent rien au caractère originel et original de ce groupe qui a pour socle les compositions de Shamy et Karim, « une base improvisée en yaourt d’où ressortait toutes nos références. (…)Il s’agissait d’un laboratoire perpétuel créatif. A la différence d’autres qui ont modernisé le traditionnel, à l’image de Nass El Ghiwane, ou de Vigon qui chantait en anglais. », précise Shamy, des plus érudits lorsqu’il s’agit d’évoquer la diffusion de la culture kabyle à travers les âges. « Nous avons même utilisé des instruments bretons ! Cela remonte à Hannibal. »
Le caractère précurseur et singulier des Abranis, habitués comme les tout bons au plateau du Pop Club de José Artur mais boudés par la plupart des médias mainstream – « Hormis quelques maisons de la culture, ce sont surtout des associations qui nous demandaient pour des galas de solidarité gratuitement parce qu’elles étaient elles-mêmes sans sous », rappelle Karim – s’avère à chaque seconde de cette compilation, qui puise dans leur abondante discographie consignée entre 1973 et 1983, leur âge d’or qui eut pour apogée le drôlement bien-nommé Album N°1. A partir du milieu des années 1980, si le groupe continue de tourner, en Afrique du Nord comme en Europe, ayant même Les Négresses Vertes et la Mano Negra pour premières parties en Allemagne, il n’ira plus qu’épisodiquement en studio. Il est désormais loin le temps du sombre Abranis 77, brûlot paru sur Bordj El Fen, un label algérien, tout comme le suivant. Imité Tayri en 1978, d’une tonalité autrement plus festive.
Vingt ans après leurs premiers sillons, Shamy El Baz et Karim Abdenour se rendent en studio en 1993 pour produire en Algérie sur leurs deniers un nouvel album, alors que le pays vient d’entamer la décennie noire qui va décimer toute la culture locale. Ce sera l’acte final, les deux amis de toujours – « jusqu’à aujourd’hui », assure encore Shamy – étant en désaccord. « Karim a accepté de chanter pour Alger, capitale de la culture arabe.Pas moi ! », se souvient véhément l’aîné. Et il faudra attendre plus de dix ans avant qu’une nouvelle formule du groupe réapparaisse, avec Karim, désormais retraité et installé en Algérie, mais aussi certains de ses enfants, dont Belaïd à la guitare. « Abranis est devenu un concept plus qu’un groupe figé sur quelques individus. Une bonne quarantaine de musiciens entre les guitaristes, batteurs et bassistes ont fait une apparition dans cette aventure», souligne Karim.
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