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Rédigé le 14/06/2023 à 20:41 | Lien permanent | Commentaires (0)
En cette année de cinquantième anniversaire de la fin d’une guerre qui vit l’Algérie accéder à l’indépendance, la diffusion d’un film documentaire (Guerre d’Algérie, la déchirure, de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, diffusé sur France 2 le dimanche 11 mars 2012 à 20h30) fait ressurgir l’une des plus grandes polémiques médiatiques qu’ait connue la France pendant la guerre d’Algérie, dans les derniers jours de l’année 1955.
La séquence incriminée montre un gendarme en train d’abattre, de sang froid et sans sommation, un civil algérien qui s’éloigne sur une route, avant de recharger son arme. Un message, posté sur un blog le 9 mars 2012, puis largement relayé auprès d’un certain nombre d’associations, qualifie ces images de « mise en scène, réalisée par la Fox Movietone et tournée le 22 août 1955 à Aïn Abid, devant une dizaine de journalistes. On voit le suspect s’éloigner. Soudain, il jette sa casquette en l’air (ce qui permet au gendarme de la prendre pour cible). Le suspect s’écroule ensuite, simulant la mort… Le gendarme G…. , qui avait accepté de tourner cette scène contre rétribution, a ensuite bénéficié d'un non-lieu devant le tribunal où il avait comparu pour faute. Tournée en 1955, ces images ont ensuite été utilisées par des cinéastes du FLN pour illustrer la répression qui a suivi les événements de Sétif, en 1945.
“Mise en scène, trucage des images” : plus de cinquante ans après, on retrouve ici la rhétorique et les arguments utilisés par le gouvernement français lors de la publication de ces images, fin 1955, images qui le plaçaient face à la révélation de la brutalité et du caractère indiscriminé de la répression militaire consécutive à l’insurrection nationaliste du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. Avant d’expliciter les conditions de production et de diffusion de ces images, puis le déroulement du scandale médiatique qu’elles ont provoqué en 1955, arrêtons-nous un instant pour les regarder vraiment.
Que s’est-il passé le 22 août 1955 à Aïn Abid ?
Le 22 août 1955, à Aïn Abid, petit village à une quarantaine de kilomètres au sud de Constantine qui venait d’être le théâtre de l’assassinat de sept de ses habitants européens par l’ALNi , ce n’est pas une mais trois exécutions sommaires qui se déroulèrent devant la caméra. Ces trois séquences différentes (deux sur une route et une autour d’une tente de nomades) ont été, parmi d’autres, tournées par le caméraman Georges Chassagne, natif d’Algérie et correspondant permanent dans ce pays pour deux firmes d’actualités : la française Gaumontiii et l’américaine Fox-Movietone.
Georges Chassagne a travaillé dans la plus grande légalité, respectant le système des autorisations alors en vigueur pour les journalistes : un laissez-passer délivré par les autorités civiles (Gouvernement général et préfets), permettant de se rendre dans des zones où l’armée opérait. Le 21 août, il a été « convié officiellement, par le gouvernement général, ainsi que cinq de ses confrères de la presse américaine et algéroise, à un voyage organisé, et sous escorte, dans le Constantinoisiv ». Le début de son reportage, tel que conservé dans les archives Pathé-Gaumont, montre qu’il a accompagné le Gouverneur général Jacques Soustelle lors de sa visite auprès des victimes européennes à l’hôpital de Constantine : c’était l’objectif de ce voyage de presse organisé. Le lendemain matin, il a profité, avec cinq autres journalistes (dont Robert Soulé, correspondant de France Soir et Jacques Alexandre, correspondant de la firme américaine d’actualités CBS News, concurrente de la Fox Movietone), d’une escorte de CRS, qui convoyait des autorités locales jusqu’à Oued Zenati, pour rejoindre la zone troublée.
Ils s’arrêtèrent à Aïn Abid, où l’armée était en train d’opérer un ratissage afin de retrouver les auteurs de la tuerie du 20 août. « Les militaires avaient demandé à tous les musulmans de se rassembler pour un contrôle d’identité. [...] Tous ceux qui ne s’étaient pas présentés aux autorités devaient être considérés comme rebelles », rapporte Robert Soulév . Les journalistes suivirent alors une patrouille formée de six à huit soldats et d’un gendarme « qui semblait conduire les opérations de nettoyagevi ». Originaire d’Aïn Abid, il était proche de la famille Mello, dont plusieurs membres avaient été tués.
Première séquence filmée : la patrouille fouille des tentes de nomades (qui campaient, l’été, à l’extérieur du village). A peine sorti de sa tente, sans arme et les bras en l’air, un Algérien est abattu d’un coup de fusil. Un militaire l’achève d’une balle de revolver dans la tête, à bout portant. La tente est ensuite démontée. Selon Georges Chassagne, on y a « d’ailleurs retrouvé des objets provenant du pillage de la maison d’un fonctionnaire des PTTvii <#sdendnote7sym> ». Un peu plus tard, « la patrouille entra dans la cour d’une ferme et demanda à un Algérien d’une soixantaine d’années si un musulman, nommément désigné, était resté à la ferme ou s’il s’était enfui ». Chassagne était resté à l’extérieur : « Il vit ressortir le gendarme, poussant un individu. Sur l’ordre du gendarme l’homme s’éloigna. Il fut abattu à quelques mètres par un coup de mousquetonviii ». Chassagne déclencha alors sa caméra, pour filmer une scène dont le déroulement lui était connu, puisqu’il en avait déjà filmé une semblable, quelques minutes plus tôt : un Algérien, vêtu d’une djellaba blanche, abattu par le même gendarme, devant une maison. Témoin de cette nouvelle exécution sommaire, Chassagne déclencha sa caméra plus rapidement et la séquence filmée est un peu plus longue (8 secondes, contre 3 pour la séquence précédente) et un peu mieux cadrée.
Des images qui font le tour du monde
Après avoir tourné quelques plans de la mosquée, qui a servi de PC aux émeutiersi , Chassagne quitta Aïn Abid en fin de matinée, pour rejoindre Constantine puis Alger. Le soir même, il transmettait ses bobines à ses employeurs. Comme la firme Gaumont, qui n’inclut pas ces images dans son journal filmé de la semaine (diffusé dans les cinémas avant le film), le bureau parisien de la Fox Movietone décida « d’exclure les séquences en cause des montages destinés à la France et à l’Europex ». A New-York, ces images furent montées, avec d’autres – en provenance, notamment, du Maroc – pour une bande d’actualités évoquant les troubles qui avaient secoué l’ensemble de l’Afrique du Nord le 20 août 1955. Ce film d’actualités fut diffusé sur les télévisions du continent américain, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Amérique latine, à quelques jours de l’ouverture de la 10e session de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, à l’ordre du jour de laquelle 15 Etats du groupe afro-asiatique avaient demandé l’inscription de la question algériennexi. Les images d’exécution étaient accompagnées du commentaire suivant : « Les victimes sont des fanatiques voués à l’assassinat. C’est une poursuite où les Français, qui ont vu des hommes, des femmes et des enfants européens dépecés sauvagement, ne peuvent prendre le temps de discuter (effet sonore sur l’image – silence au moment de l’exécution – effet sonore sur l’image). La pitié est à nouveau oubliée dans une guerre meurtrièrexi . »
Découvrant ces images à la télévision américaine, puis dans le magazine Life où cinq photogrammes issus de la bande filmée furent publiés le 5 septembre 1955xii, l’ambassadeur de France à Washington prévint immédiatement Paris, tout en l’informant que certaines avaient été utilisées par le MNA (Mouvement national algérien de Messali Hadj) dans un document adressé au gouvernement des Etats-Unis : A black paper on french repression in Algeriaxiv . Le 14 novembre, le ministère de l’Intérieur demanda au Gouvernement général de lui « adresser d’extrême urgence un projet de réfutation du livre noir » et que « ses services s’emploient à déterminer dans quelle mesure il n’y a pas trucage à l’origine des documents Fox Movietone et Lifexv ». Georges Chassagne fut alors convoqué au Gouvernement général pour authentifier ses images et confirmer le lieu et la date de la prise de vues. Dans sa note de synthèse du 23 novembre, le Gouvernement général dénonçait le film de la Fox comme un « montage truqué, dans lequel des images prises hors d’Algérie [notamment au Maroc] sont intercalées avec celles prises sur placexvi.
Le scandale médiatique en France
C’est la publication de ces cinq mêmes photogrammes dans L’Express du 29 décembre 1955 (sous le titre : « Des faits terribles qu’il faut connaître ») qui déclencha le scandale en France où ces images n’avaient pas été vues, sinon, marginalement, via l’édition internationale de Life du 3 octobre 1955.
L’Express dénonçait certes la censure dont cette bande filmée aurait été victime en France (alors qu’il s’agissait d’une décision assumée d’autocensure de la part de la Fox) mais aussi, plus largement, les méthodes de la répression française en Algérie en révélant - témoignages oraux, documents écrits et images à l’appui - un certain nombre de « faits accablants » pour l’armée et le gouvernement, à qui le quotidien demandait d’apporter des démentis. Bien que connue des services gouvernementaux, l’exécution sommaire dont ces images apportaient la preuve n’avait donné lieu à aucune enquête sérieuse et le quotidien déplorait que « rien n’ait été fait depuis ni pour sanctionner ni pour prévenir le retour de tels abus ». Alors que la France se trouvait en pleine campagne électorale pour les législatives, L’Express considérait que « seule la connaissance des faits permettra à l’opinion de manifester sa volonté politique et d’arrêter la chute, par impuissance, dans une guerre sans honneur et sans issuexv ».
La contre-attaque du gouvernement ne se fit pas attendre. Étonnamment, elle ne visa pas L’Express, qui ne fut pas saisi, mais les producteurs des images : la stratégie fut de discréditer ces images en criant au trucage et à la mise en scène pour ne pas avoir à s’expliquer sur les faits eux-mêmes. Le jour même de la publication dans L’Express, à l’issue d’une conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil, Edgar Faure reconnaissait l’exécution sommaire mais en faisait porter la responsabilité au caméraman qui avait tourné cette bande d’actualités, accusé d’avoir « soudoyé le gendarme auxiliaire afin qu’il se prête au scénarioxvii » : la mise à mort n’aurait eu lieu que pour permettre à l’opérateur de réaliser des images-choc.
Par le biais d’un communiqué officieux, diffusé par l’AFP sous la forme d’une « note émanant des milieux autorisés », le gouvernement annonçait que ce dernier serait poursuivi pour « corruption de fonctionnaire, provocation au meurtre et complicité » et qu’une action en justice serait intentée contre la firme américaine Fox Movietone, accusée d’avoir « alimenté la propagande antifrançaisexix ». Le communiqué n’hésitait pas à qualifier la réalisation de cette bande filmée d’ « opération montée », de « machination organisée par l’étranger » et de « véritable complot politique, car elle est intervenue quelques jours avant le vote de l’ONU sur l’affaire algériennex ». Dans les milieux diplomatiques, la diffusion de ces images à travers le monde était en effet perçue comme l’une des causes du vote majoritairement hostile à la France. Quant au gendarme auxiliaire, le gouvernement annonçait qu’il avait été déféré devant un tribunal militaire.
Tous les points de cette version officielle se trouvèrent démentis en quarante-huit heures, mettant le gouvernement dans une posture délicate. Pour sa défense, la Fox organisa en effet à Paris, le 31 décembre, une conférence de presse au cours de laquelle Georges Chassagne détailla les conditions dans lesquelles il avait réalisé ce filmxxi . Sa version des faits était dans le même temps corroborée par le témoignage que son collègue de France Soir Robert Soulé livrait à son journalxxi.
Empêtré dans ses mensonges, le gouvernement multiplia pendant plusieurs jours les réunions de crise et les communiqués contradictoires. Contraint de reconnaître l’innocence de Chassagne, contre qui aucune poursuite n’avait été effectivement engagée, il dut lui présenter des excuses officiellesxxiii <#sdendnote23sym> , mais aussi révéler que le gendarme incriminé, loin d’avoir été inculpé par un tribunal militaire, n’avait fait l’objet que d’une mesure disciplinaire hâtive, peu de temps avant que le scandale n’éclatexxiv . Jean Daniel dénonçait alors « l’égarement d’hommes responsables qui, devant la dénonciation de leur impuissance, s’en prennent aussitôt et avec une tragique frivolité à n’importe quel bouc émissaire. Pour se disculper ils n’ont pas un seul moment hésité à mettre en cause une nation alliée, à calomnier un journaliste honnête, à falsifier des informations pour construire de prétendus démentisxxv .
Finalement, l’affaire s’éteignit à la faveur du changement de majorité : les élections du 2 janvier 1956
firent du gouvernement responsable un gouvernement sortant. Le 4 janvier, Maurice Bourgès Maunoury, ministre de l’Intérieur au moment des faits, déclara prendre « l’entière responsabilité de ce qui s’est passé » mais invoqua le souvenir de « l’atmosphère au lendemain du massacre du 20 aoûtxxvi pour relativiser la violence de ces images d’exécution. En participant à l’internationalisation du conflit, ces images ont donc servi la cause algérienne, bien que les nationalistes algériens ne soient en rien responsables de leur réalisation ni de leur diffusion. L’écho qu’elles obtinrent à travers le monde et à la tribune de l’ONU n’est peut-être pas pour rien dans la décision prise par les responsables de l’Armée de libération nationale (ALN), réunis en congrès dans la vallée de la Soummam, le 20 août 1956, tout juste un an après les événements d’Aïn Abid, de lancer une vaste campagne de publicité à l’étranger fondée sur l’image. A partir de 1956, la guerre qu’ils menaient contre les Français fut aussi une guerre diplomatique et une guerre mé
Marie Chominot.
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Rédigé le 14/06/2023 à 20:37 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le docu-fiction La Reine Cléopâtre, diffusé sur Netflix, a suscité de vives controverses dès la sortie de sa bande-annonce, à cause du choix d’une actrice africaine-américaine, Adele James, pour interpréter la célèbre reine. Des Égyptiens dénoncent une appropriation culturelle, alors que le camp adverse pointe du doigt la négrophobie.
L’actrice Adele James incarne Cléopâtre dans le docu-fiction diffusé sur Netflix.
La Reine Cléopâtre, le docu-fiction produit par Jada Pinkett Smith pour Netflix, s’insère dans la mouvance « Black Royalty » ou « Black is King » (titre d’un film musical produit par Beyoncé en 2020). Au-delà d’une récupération militante de figures historiques, c’est une volonté de construire une dignité noire, de contrer des siècles de subalternité et d’humiliation et de bien faire comprendre que l’Afrique « noire » a une histoire et des civilisations millénaires, notamment à travers la mise en scène d’une royauté noire. La figure de la royauté est une forme d’utopie décoloniale, un roi étant l’absolu opposé d’un esclave, et permet de se réapproprier une histoire décimée par la blanchité coloniale.
En effet, l’eurocentrisme, dont la fondation est le suprémacisme blanc, a inventé et reproduit l’histoire de ses dominés, principalement pour rendre « naturelle » sa domination, et donc la subalternité des colonisés. Le colonialisme européo-américain n’aurait pu exister sans l’invention de la race, la hiérarchisation raciale qui a suivi ayant permis de « naturaliser » le fait colonial. Dans sa continuation, nous vivons dans un monde où la production du savoir reste prisonnière de l’eurocentrisme de l’Histoire, bien que de plus en plus contesté. L’infériorisation de la « blackness » (que l’on peut traduire par la noirceur), développée pour les besoins de la traite transatlantique ayant permis l’essor du capitalisme et des économies du Nord, ne produit pas simplement du racisme dans sa compréhension classique. Elle influe sur la manière dont la cartographie du « continent noir » est imaginée encore aujourd’hui.
L’Afrique telle que nous la vivons est le produit d’une partition coloniale en trois parties, conceptualisée par le philosophe allemand Friedrich Hegel : une Afrique « européenne », celle du Nord, une Égypte « asiatique », et la « véritable » Afrique, celle que l’on nomme aujourd’hui subsaharienne mais qui, à l’époque coloniale, se nommait simplement « Afrique noire ». Pour Hegel, cette dernière est « une terre anhistorique et non développée, encore imprégnée de l’esprit de la nature ». Une traduction quotidienne de cette cartographie radicalisée du continent est la pratique consistant à nommer « Africain » un Subsaharien en Afrique du Nord. Cette tendance à ne pas se penser africain, et à assimiler l’africanité au fait d’être noir, nourrit la négrophobie arabo-africaine.
La campagne lancée contre le documentaire en Égypte s’est d’ailleurs largement focalisée sur la « pureté » de l’ADN égyptien et sa dissociation de l’ADN « africain ». Ainsi, un communiqué du ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités daté du 27 avril dénonce les traits « africains » d’une Cléopâtre censée avoir « la peau claire » et argue l’assimilation historique de tout « trait étranger » aux Égyptiens. Le mythe d’une nation (racialement) homogène cimenté par les constructions nationales postindépendance rejoint ainsi un déni d’africanité, cette identité étant toujours perçue comme rattachée à une Afrique noire primitive et en marge de la modernité.
Ironiquement, la négrophobie en Afrique du Nord se fonde sur le déni de toute origine noire à la région, déni affectant notamment l’écriture de l’histoire africaine par des africanistes occidentaux ayant intériorisé la partition hégélienne du continent et opérant une analogie numérique entre la traite transatlantique et la traite transsaharienne, comme Humphrey Fisher, Ralph Austen, John Hunwick et Philip Curtin. Selon cette vision, les Noirs africains en Afrique du Nord ne peuvent être que des descendants d’esclaves formant une sorte de « diaspora africaine en Afrique ». L’éminent universitaire kényan Ali Mazrui prévenait pourtant que considérer que « rien n’est africain à moins qu’il soit noir, c’était justement tomber dans le sophisme de l’homme blanc »1.
Face à cela, la théorie de l’afrocentrisme fait d’une Égypte « noire » la pierre angulaire de sa rhétorique. Dans le monde francophone, la théorie d’une Égypte négro-africaine, berceau des civilisations subsahariennes, fut lancée par le penseur sénégalais Cheikh Anta Diop. Elle est emblématique de la disjonction du continent africain au lendemain de l’espoir suscité par les indépendances et l’espace permis pour la circulation de figures et théories de la libération radicale du Sud, notamment avec le séjour de nombre d’intellectuels afro-américains au Caire au début des années 1960, et la « Mecque révolutionnaire » que fut Alger pour plusieurs mouvements radicaux, dont les Black Panthers.
C’est d’ailleurs l’argument d’une « réappropriation imminente » d’une Afrique du Nord « colonisée » que l’on pensait propre aux « guerres culturelles » (cultural wars) américaines qui a nourri en février-mars 2023 la psychose à l’encontre des migrants subsahariens en Tunisie, instrumentalisée par un groupuscule fasciste qui a eu l’oreille du pouvoir. Partout, on pouvait entendre un racisme des plus abjects justifié par un prétendu plan de colonisation du Maghreb par les migrants subsahariens.
Or l’afrocentrisme doit tout d’abord être compris comme une réaction à la rhétorique coloniale selon laquelle l’Afrique subsaharienne ne possédait pas d’histoire avant sa colonisation par l’Europe, et que toute trace de civilisation lui serait forcément exogène, lui venant d’Orient, des Berbères, des Arabes ou de l’Europe. C’est donc un mouvement qui vise à retourner le stigmate et à écrire l’Histoire du point de vue de l’Afrique, qui ici se confond souvent avec le point de vue afro-américain sur l’Afrique, l’afrocentrisme étant né de la réflexion d’intellectuels afro-américains à partir du contexte racial états-unien.
Notre manière de penser la race, et donc le racisme, reste intrinsèquement liée à la sémantique et au vécu des afrodescendants de la traite transatlantique. Depuis l’avènement des études postcoloniales et décoloniales, des chercheurs du Sud évoluant au sein d’universités nord-américaines comme Hassan Mohamed, Ali Mazrui, ou plus récemment Abdelmajid Hannoum et Hisham Aïdi, ont mis en garde contre une lecture « américanisée » de la traite arabo-berbère et contre la partition racialisée de l’Afrique. Ils prônent la nécessité de situer la race dans la modernité occidentale.
Pourtant, pour ce qui est de « désaméricaniser » la race, le pari est loin d’être gagné : d’abord parce que la traite transatlantique a été déterminante pour l’expansion du capitalisme, du racisme et de la mise en équivalence de la figure du « noir » avec celle de l’esclave ; ensuite parce que les afrodescendants aux États-Unis ont joué un rôle fondateur dans la formation et l’expansion de l’idéologie panafricaniste ; enfin, parce que les États-Unis exercent une hégémonie culturelle sur le monde qui permet aux représentations et aux enjeux nés en leur sein de s’exporter et de devenir hégémoniques, notamment à travers les médias de masse et les productions académiques.
Ces représentations qui promeuvent la dignité noire doivent être encouragées et célébrées. Elles sont salvatrices pour nos subjectivités postcoloniales et permettent de nous imaginer au-delà du regard du colonisateur. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue la question du pouvoir. Une réappropriation de l’Histoire ne doit pas se faire aux dépens d’une autre communauté de destin, elle aussi dominée.
La Reine Cléopâtre s’ouvre sur les mots d’une professeure d’études africaines : « Ma grand-mère m’a dit : “Peu importe ce qu’ils t’enseignent à l’école, Cléopâtre était noire”. » Dans le documentaire, ce n’est pas seulement Cléopâtre qui est représentée comme noire, mais l’Égypte entière, rappelant l’imaginaire d’une Égypte berceau des civilisations négro-africaines. Cette représentation serait peut-être passée inaperçue si le documentaire n’était pas produit par Netflix, et donc accessible au plus grand nombre.
Ces dernières années, les structures néolibérales telles que les plateformes de streaming ont eu massivement recours au tokénisme, pratique consistant à (sur)représenter des minorités raciales, de genre et sexuelles, afin de se targuer d’inclusivité et d’invisibiliser la violence structurelle à laquelle ces minorités font face. Depuis l’assassinat de George Floyd en mai 2020 et l’émergence du mouvement Black Lives Matter, une contre-révolution s’est mise en place afin de pacifier un mouvement questionnant le racisme structurel aux États-Unis et dans le monde. La volonté d’une plateforme comme Netflix de produire un documentaire tel que celui réalisé par Jada Pinkett Smith doit être comprise dans ce contexte.
Cela dit, ce n’est pas tellement l’Amérique blanche qui est ici attaquée, mais un autre groupe dominé : les Arabes, et plus particulièrement les Égyptiens, qui ont dénoncé un « blackwashing »2 et qui se voient confisquer une représentativité pour la deuxième fois : une actrice américaine blanche – Elizabeth Taylor – avait interprété Cléopâtre en 1963 dans le film de Joseph Mankiewicz, et c’est aujourd’hui une actrice noire-américaine – Adele James – qui l’interprète à son tour. L’intervention de l’humoriste en exil Bassem Youssef dans un talk-show diffusé aux États-Unis concernant la polémique est en ce sens révélatrice d’un malaise, lorsqu’il dénonce l’appropriation de la culture égyptienne pour les besoins d’un narratif africain-américain, celui de la surreprésentation d’une minorité aux dépens de la visibilisation d’une autre.
L’effacement de l’historicité des Nord-Africains non noirs reproduit la narration coloniale, mobilisée par exemple par la colonisation française au Maghreb pour opérer une distinction ethnolinguistique binaire entre Berbères autochtones et Arabes envahisseurs, et rattacher ainsi ses colonies à une identité méditerranéenne. Décoloniser la question raciale donc, sans complaisance aucune avec une négrophobie bien ancrée, mais sans pour autant se laisser envahir par des débats américanocentrés, là est tout l’enjeu.
YASMINE AKRIMI
https://afriquexxi.info/La-Reine-Cleopatre-entre-negrophobie-et-afrocentrisme
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Rédigé le 13/06/2023 à 23:16 dans Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Déballage d’un général tortionnaire
L’année 1957, celle de la bataille d’Alger, fut terrible. A Alger, le terrorisme battait son plein. La police avait disparu des rues et la Casbah était devenue le fief inexpugnable du FLN. Le gouvernement avait donné les pleins pouvoirs de police au général Massu, qui s’était constitué une sorte d’état-major «de la main gauche» , comme on disait entre nous, dont la mission était de démanteler les réseaux terroristes. Avec l’aide du colonel Trinquier, il avait fait un travail d’identification de la population d’Alger, comparable à celui qu’avait fait Napoléon en Rhénanie.
Toute la région d’Alger avait été quadrillée : chaque quartier avait son numéro, chaque arrondissement était divisé en îlots, chaque îlot était repéré par une lettre peinte en bleu d’un mètre de haut, avec un chef d’îlot qui devait répondre des habitants. Enfin, on avait doté d’un second chiffre d’immatriculation chaque groupe de maisons ou d’immeubles. Le colonel Trinquier avait baptisé ce système dont il était très fier «détachement de protection urbaine «DPU Nous, nous l’appelions finement, bien sûr, le Guépéou. Il fallait un autre officier pour seconder Trinquier, et Massu avait passé un savon au lieutenant-colonel Mayer pour qu’il me désigne. Je l’ai supplié : «Ne faites pas ça, mon colonel, ne faites pas ça ! – Et pourquoi donc ?» me demanda Mayer. «Je sais ce que m’a coûté Philippeville. J’en ai assez et j’en ai assez fait».
– C’est à Philippeville qu’ont commencé les tortures à l’électricité ?
Le général soupire, se tait, soupire à nouveau.
– Voilà la question piège. Oui, ce sont les policiers qui nous ont appris certains procédés de renseignement.
– Revenons à Massu et Mayer. Vous pouviez refuser, non ?
– J’ai essayé de me défiler sans désobéir. J’ai rappelé à Mayer que nous avions dans nos rangs un charmant camarade, Lafargue, dit «Pétanque». C’était un officier bavard, braillard, soiffard, qui ressemblait tout à fait à Massu. Il pouvait faire l’affaire. Le hic, c’est que tout le monde savait qu’il était un sacré fainéant.
«Envoyez-lui Pétanque, mon colonel, deux grandes gueules comme ça, ils s’entendront très bien.» Le colonel Mayer appelle Pétanque, l’exhorte à la tâche, lui demande de se montrer à la hauteur et l’expédie à Massu. Cinq minutes après, coup de fil de Massu, apoplectique : «Mayer, ça suffit comme ça ! Ne continuez pas à vous foutre de ma gueule ! J’ai dit : envoyez-moi Aussaresses et au galop !»
Dans l’organigramme de l’état-major installé à la préfecture d’Alger, je deviens donc l’agent de liaison du général Massu, chargé de tout ce qui concerne la police et la justice. Trinquier, lui, supervise le contrôle de la population civile. En privé, Massu m’ordonne de faire ce que j’ai fait à Philippeville. Je lui demande alors deux choses. La première, c’est que je ne serai en aucun cas le subordonné de Trinquier. La seconde, c’est que, puisque j’allais être chargé du sale boulot qui emm… tout le monde, qu’on me laisse faire la même chose qu’à Philippeville et qu’on ne vienne pas me chercher des poux sur la façon dont j’obtenais des renseignements.
Massu a accepté d’un grognement. C’était sa façon habituelle de parler.
Je n’avais plus qu’à me constituer une équipe.
Massu m’avait donné comme adjoint le lieutenant Carcet, son ancien aide de camp. Gérard Garcet avait été un des plus jeunes résistants du maquis du Vercors. Il avait seize ans quand il s’était engagé dans la lutte contre les nazis. Il était ensuite entré chez les parachutistes, avait accompli quelques exploits en Corée avant de se retrouver en Algérie.
Le lieutenant Garcet vivait avec les Massu dans une maison à Hydra, mais, à cause d’une sombre histoire de vieux appâts de pêche oubliés dans le réfrigérateur, Madame Massu avait demandé «sa queue et ses oreilles» à son mari. C’est-à-dire qu’elle exigeait qu’il le vire. Donc, Massu me l’envoie à la préfecture où j’avais mon bureau. C’était un gars sympathique et débrouillard. Je lui explique le topo. Il fallait nous composer une équipe de sous-officiers et ce n’était pas facile. On a eu une idée : à cause d’un processus d’osmose mis en œuvre dans l’année, il y avait un certain nombre de sous-offs qui risquait de ne plus avoir d’affectation. On s’est donc procuré la liste et on a rassemblé les types.
– Massu, dans ses Mémoires, parle d’officiers «triés sur le volet». En fait, c’était des paras en fin de contrat ?
– En gros, oui. Je les ai donc rassemblés et je leur ai dit : «Le fait de travailler avec moi, ça ne vous rapportera rien. J’ai besoin de types pour faire les basses besognes. C’est ce que j’ai déjà fait à Philippeville, tout le monde le sait, voilà. Que ceux qui refusent fassent un pas en avant.». Ils sont tous restés au garde-à-vous. Aucun n’a refusé. Garcet est alors parti comme une flèche et il est revenu en portant triomphalement une caisse entière de whisky. Il l’avait piquée à Massu. Ça nous a souvent aidés…
– Votre QG, c’était donc la préfecture ?
– Garcet nous avait trouvé une villa rue des Tourelles, un nom prédestiné. C’était une grande villa, suffisamment isolée, avec un jardin… un jardin… (Le général reste songeur. Il se reprend.) Mes sbires vivaient à la villa des Tourelles. Moi, j’avais un bureau à la préfecture et une vieille jeep. La nuit, j’enfilais ma tenue léopard. Je ne la mettais jamais de jour. Le jour, j’étais en «tenue 46» et je ne portais pas d’arme ; je ne voulais pas avoir l’air d’un tonton macoute. Donc, chaque nuit, je faisais la tournée de tous les régiments. Je rencontrais tous les officiers de renseignements, ceux de service ainsi que leur colonel. On croisait nos infos. La cavalcade commençait.
– Qui vivait à la villa des Tourelles ?
– Garcet, les sous-offs, et Babaye, mon garde du corps. Babaye, c’était un Noir très noir, un colosse, enrôlé de force dans le FLN. il faut savoir que les Arabes, en tout cas ceux du FLN de l’époque, étaient plutôt racistes. Babaye s’était défendu comme un lion, contre mes hommes lors d’une attaque. Un de mes sergents lui avait alors lancé «Ho, couillon, qu’est-ce que tu fous avec le FLN ?» Babaye avait répondu qu’il n’avait rien choisi. «Et alors, tu préfères pas venir avec les Français ?» C’est ainsi que Babaye est venu avec nous et qu’il est resté.
– Vous avez dit que votre action, c’était de «décharger l’armée des basses besognes» ?
– Voilà. Par exemple, Bigeard me dit un jour : «Nous avons des types de la cellule terroriste de Notre-Dame d’Afrique. Vous ne pouvez pas m’en débarrasser ?» Je ne pouvais pas lui répondre «démerdez-vous-en» ! Il y avait des soldats chez Bigeard, des jeunes, des braves types. Fallait pas, non, fallait pas qu’ils fassent ce boulot. Tandis que nous, on était déjà de vieux officiers, Garcet et moi’ On en avait déjà tellement vu, ah…
– Mais beaucoup de jeunes soldats, des appelés, ont dû participer à des interrogatoires. Qu’est-ce que vous voulez dire en parlant de «basses besognes» ?
– Les exécutions sommaires.
– Qui en décidait ?
– Moi. Je le disais à Massu. En plus de la réunion quotidienne du matin, j’écrivais en quatre exemplaires tous les jours ce que nous faisions, de façon détaillée. Il y avait un exemplaire pour Massu, un pour le ministre-résidant Lacoste et un pour le général Salan. Massu savait tout. Le gouvernement aussi. J’assistais aux exécutions que j’avais ordonnées. J’aimais pas, j’aimais pas.
– Attendez, cela se passait comment ?
– Je disais à Massu : on a ramassé un tel et un tel et on l’a exécuté. Et il y en a un autre qui est dans le coup, mais on ne l’exécutera pas aujourd’hui. On le fera demain. Il s’évadera… «Broum, brourn», grognait Massu.
On ne faisait pas toujours des listes pour Paul Teitgen, le secrétaire général de la préfecture. Certains, on les attendait dehors et on les exécutait. Après, on les assignait à résidence. Teitgen était fou furieux : «Ils m’ont fait assigner un type à résidence et ils l’ont tué. Ah, les salauds» ! Du coup, il a démissionné.
– Ces exécutions, c’était à la villa des Tourelles ?
– Non, y en a eu quelques-unes, c’est vrai, à la villa des Tourelles. Des types arrivés de jour… On les a enterrés sur place. Ils doivent être encore dans le jardin.
– Et à part la villa des Tourelles ?
– C’était dehors. En dehors d’Alger. La police était bien contente de n’être pas dans le coup.
– Mais à quoi ça servait, ces exécutions ?
– Mais je vous l’ai dit. On sous-traitait ce que les régiments ne voulaient pas faire. Autre exemple : réunion de cadres dans le bureau de Massu. Un colonel dit : «On a une bande de terroristes, on voudrait en débarrasser le régiment». Cela tombe bien, ce jour-là était présent Max Lejeune, le secrétaire d’État à la Guerre. On lui fait le topo. «Il faudrait réussir à leur faire prendre le maquis», propose l’un. «Un maquis bien éloigné», ajoute Massu. «Écoutez, dit Lejeune. Vous avez entendu parler de l’interception de Ben Bella ? Nous avions décidé en haut lieu d’abattre l’avion. Si nous ne l’avons pas fait, c’est que l’avions avait un équipage français. Le gouvernement regrette beaucoup d’avoir laissé Ben Bella en vie. C’est une erreur.» Massu avait compris. Moi aussi. Il m’a regardé et poussé un grognement. Je lui ai dit : «Bon. Je ferai ce que je peux.»
– Mais cela faisait combien d’exécution ?
– Pour une bombe de posée, ça montait vite.
(Il semble à nouveau happé par le passé et, d’une voix très basse, presque imperceptible, il rejoue un interrogatoire. Il y joue aussi peut-être son propre rôle, dans une sorte d’implacable et calme voix off)
Question : Qui c’est qui a fait le coup ?
Réponse : C’est lui.
Q : Où il est ?
R : Chez lui à telle adresse.
Voix off : Bon, ben, on va le chercher tout de suite (…)
R : Oui, j’ai posé la bombe.
(Aussaresses fait tomber sa main sur la table comme un couperet)
Voix off : Bon. OK. Liquidé.
Q : Mais qui a fabriqué la bombe ?
R : Ha, c’est lui !
Q : Où il est ?
R : Il est là…
Q : Tu as fabriqué la bombe seul ?
R : Eh oui.
Q : Ah, tu as fabriqué la bombe ; qui c’est qui t’a aidé ?
R : Personne.
Q : Mais si, on t’a aidé
R : Personne.
Q : Et qui t’en a donné l’ordre ?
R : C’est lui.
Voix off : Bon. Ça fait trois : celui qui a fabriqué la
bombe, celui qui l’a posée, celui qui a donné l’ordre.
Q : Mais qui c’est qui t’a dit de poser la bombe à tel
endroit ?
R : C’est le chef de…
Off : Ça fait 4.
Q : Et qui c’est qui travaillait avec ce chef ?
R : C’est l’adjoint de… et le second adjoint de…
Off : Alors, cela fait 6.
Q : Mais attends, qui est-ce qui a planqué la bombe
pendant que…
R : C’est un tel. Il habite à telle adresse.
Off : Ça fait sept.
Q : Et celui qui a fait le guet ?
R : C’est un type qui s’appelle X.
Off : Huit.
(Aussaresses semble revenir à nous).
Etc., etc. On arrive vite à onze. Qu’est-ce qu’on fait
de ces types quand on voit qu’il n’y a plus rien à en tirer ? On les exécute.
(A suivre)
1. Les services secrets français sont à côté de la rue des Tourelles et de sa piscine, boulevard Mortier à Paris.
2. La «tenue 46» est un uniforme fait sur mesure, composé d’un blouson, d’un pantalon et considéré comme plus élégant.
1. Gérard Garcet avait environ trente ans et Paul Aussaresses trente-huit ans…
A fort Bragg j’apprenais aux militaires américains ce que j’avais vu et fait en Algérie
La Nouvelle République, 28 avril 2008
A fort Bragg j’apprenais aux militaires américains ce que j’avais vu et fait en Algérie (…) Je leur apprenais ce que j’avais fait. Toutes les techniques de la guerre subversive, la lutte contre la guérilla urbaine, le quadrillage des questions, l’infiltration comme je l’avais fait à Philippeville et pendant la bataille d’Alger, et puis, surtout nos méthodes pour récolter du renseignement, les méthodes pour faire parler les gens (…) La torture-exactement, oui… Ainsi répond le général Paul Aussaresses à ses intervieweurs qui, il faut le préciser, ne lui laissent aucun répit dans Je n’ai pas tout dit, un livre d’actualité dans lequel ce professionnel de la torture demeure plaide, fait sans remords ou regrets, et attaché au serment des tortionnaires. En effet, cet agent des services secrets français qui a baigné dans toutes les sauces, acculé, se suffit à acquiescer aux hypothèses émises par Jean Charles Deviau lequel fait preuve d’une maîtrise parfaite de son thème. Sans complaisance, opérant avec une grande distanciation, l’intervieweur accule son interlocuteur qui se laisse prendre à son propre piège, celui du mutisme, car tenu par le serment des tortionnaires. «Qu’est-ce qui t’a pris d’ouvrir ta gueule ?», lui a signifié l’autre général -ordonnatuer des tortures- Marcel Bigeard affirme Aussaresses dans Je n’ai pas tout dit, croire qu’il a tout dit cette fois serait pur naïveté. Ventes d’armes, affaires dites secrètes, guerre froide, s’agit-il de souvenirs, de révélations, de confessions ? C’est quand même un déballage des affaires louches de la France dite des droits de l’Homme quand, au sommet de l’Etat, on soutient les dictatures militaires, on envoie des spécialistes enseigner la torture, on peut se demander ce qu’il reste des idéaux démocratiques…
La Nouvelle République a choisi de publier quelques chapitres de ce livre-déballage en commençan
t par l’affaire Audin. Le lecteur saura
La Nouvelle République, 28 avril 2008
https://algeria-watch.org/?p=62440
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Rédigé le 13/06/2023 à 21:20 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, l’avait dit en janvier 2023, il le fait. Il est attendu ce mardi 13 juin à Moscou pour une visite officielle de trois jours. Il avait dit aussi qu’il se rendrait à Paris le même mois mais la crise diplomatique a eu raison de l’élan réconciliateur de Tebboune. Donc ça se passera chez Vladimir Poutine, à qui l’Occident a fermé toutes les portes depuis qu’il s’est installé chez son voisin, l’Ukraine…
«A l’invitation du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, entame aujourd’hui une visite d’Etat en Fédération de Russie, qui dure trois jours, dans le cadre du renforcement coopération entre les deux pays amis», dit le communiqué de la présidence algérienne.
Moscou et Alger avait peaufiné cette visite haut en couleurs en février dernier, en mettant le curseur sur la consolidation des partenariats dans moult domaines. Le communiqué indique qu'”au cours de cette visite, le président de la République participera aux travaux du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, en Russie“.
A noter que l’Algérie et la Russie ont des relations diplomatiques depuis plus de 50 ans et la coopération bilatérale touche des secteurs tels que l’énergie, la défense et la culture. Leurs liens n’ont pas été impactés par la guerre en Ukraine, Alger a même accentué le virage en déposant officiellement son dossier pour rejoindre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Cette visite à Moscou balaie les derniers doutes sur les intentions et choix stratégiques de Tebboune.
On a appris que des accords économiques de poids seront paraphés avec Poutine, notamment dans le domaine de l’énergie où les deux pays pèsent lourd, même si les sanctions occidentales ont fermé à la Russie ses plus gros marchés, d’ailleurs Alger en a tiré un gros profit, notamment en Europe.
Les entreprises russes lorgnent les domaines de la construction, de l’agriculture et de la technologie en Algérie. Il est également question d’explorer les niches dans la santé, les sciences et l’éducation.
Par ailleurs la crise libyenne devrait être mise sur la table. On sait que l’Algérie est un acteur important dans ce dossier, la Russie aussi en tant que soutien du maréchal Khalifa Haftar. Tebboune milite activement auprès de la communauté pour une solution politique en Libye, il tentera d’entraîner Moscou dans cette direction…
https://www.tunisienumerique.com/algerie-tebboune-passe-3-jours-chez-poutine-au-grand-dam-des-occidentaux/
Alger et Moscou entretiennent des relations privilégiées de longue date
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune entame mardi une visite d'Etat de trois jours en Russie à l'invitation de son homologue Vladimir Poutine, a annoncé la présidence algérienne. Cette visite s'inscrit "dans le cadre du renforcement de la coopération entre les deux pays amis", souligne un communiqué de la présidence.
Lors de ce déplacement, M. Tebboune participera également aux travaux du Forum économique international à Saint-Pétersbourg qui se tiendra du 14 au 17 juin, a-t-on ajouté de même source.
Alger et Moscou entretiennent des relations privilégiées de longue date. Les échanges commerciaux entre les deux pays avoisinent les trois milliards de dollars et se basent "en grande partie sur les constructions mécaniques, la métallurgie, l’agroalimentaire", selon la mission économique russe en Algérie.
La coopération militaire n'est pas en reste. Moscou est un important fournisseur d'armement du plus grand pays d'Afrique par sa superficie.
M. Tebboune devait également effectuer une visite d'Etat en
i24NEWS et agences
https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1686663088-algerie-le-president-tebboune-entame-une-visite-d-etat-en-russie
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Rédigé le 13/06/2023 à 16:47 dans Algérie, Russie-Ukraine | Lien permanent | Commentaires (0)
Officiellement, le président algérien et son homologue français ont du mal à accorder leurs agendas respectifs. Après la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, en fin d’été dernier, l’on pensait que l’amitié retrouvée entre Paris et Alger allait durer. Abdelmadjid Tebboune avait alors prévu de se rendre à Paris. Un voyage qui a, déjà à plusieurs reprises, été reporté. Du côté des deux pays, on tente de dire que les relations entre les deux pays sont toujours apaisées et qu’il est simplement difficile d’accorder les agendas des deux présidents.
Mais en réalité, des nuages sont venus couvrir le ciel, un peu trop dégagé, de l’amitié franco-algérienne. De quoi expliquer les reports des voyages de Tebboune, initialement programmés en mai, puis en juin. Plusieurs faits seraient à l’origine de l’assombrissement des liens entre les deux pays. À commencer, selon Europe 1, par le livre de l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, qui critique l’accord franco-algérien de 1968, ou encore le fait que l’ancien Premier ministre Édouard Philippe ait demandé que soit mis fin à cet accord.
Mais dans les couloirs des palais présidentiels français et algérien, le discours reste mesuré. On assure qu’il est difficile de trouver un créneau de voyage pour les deux chefs de l’État. La faute, entre autres, à la guerre en Ukraine, qui occupe beaucoup Emmanuel Macron. L’été approche, et le président français va certainement, si elle n’a pas lieu en juin, reporter la rencontre à septembre. Mais du côté d’Alger aussi, on traîne des pieds et Tebboune devrait attendre de voir comment évolueront les relations franco-algériennes ces prochaines semaines.
Si certains espèrent encore un retournement de situation, il n’en sera rien. L’ambassadeur algérien en France, Saïd Moussi, a confirmé au président du Sénat français, Gérard Larcher, que Tebboune ne viendrait pas en juin. D’autres sources indiquent que le président algérien, s’il se déplace, désire que son voyage soit historique. Or, il n’aurait pas encore reçu l’assurance de traitement diplomatique et protocolaire qui sied à son rang, de la part de Macron.
Une question de détails ? Pas pour la presse marocaine qui souffle sur les braises en indiquant, ces derniers jours, que le président Tebboune a signé un décret pour le rétablissement d’un couplet anti-français, supprimé en 1986, dans l’hymne national de l’Algérie.
https://lejournaldelafrique.com/pourquoi-abdelmadjid-tebboune-a-tourne-le-dos-a-la-france/
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Rédigé le 13/06/2023 à 14:16 dans Algérie, France, Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
"On m'a dit que Yacef Saadi a donné Hassiba et Ali La Pointe", Louisa Ighilahriz avec K. Drareni
Rédigé le 13/06/2023 à 11:22 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, est arrivé mardi 13 juin pour quatre jours en Chine. Après avoir facilité le rapprochement historique entre l’Iran et l’Arabie saoudite en mars, Pékin propose ses services d’intermédiaire dans le conflit israélo-palestinien, enlisé depuis 2014.
Après s’être tenue à distance des grandes médiations de paix internationales pendant des décennies, la Chine entend à son tour jouer sa partie. Fort de son succès diplomatique, comme facilitateur surprise du rapprochement entre Téhéran et Riyad en mars, Pékin a de nouveau proposé ses bons services aux Israéliens et aux Palestiniens en avril. Les Chinois lorgnent un rôle actif dans une éventuelle reprise des pourparlers en vue d’un accord de paix, au point mort depuis presque une décennie. La République populaire n’en est pas à la première offre de service : elle avait déjà proposé un plan de paix en quatre points en 2013 autour d’une solution à deux États. Quatre ans plus tard, elle avait reçu une délégation israélo-palestinienne. Et en mars 2021, elle avait proposé un plan en cinq points.
Si aucun de ces plans n’a abouti – le rôle de médiateur en temps de crise aiguë échouant plutôt à l’Égypte ou au Qatar –, Pékin affirme désormais plus clairement sa volonté d’exister sur ce registre dans la région. La visite en Chine de Mahmoud Abbas du 13 au 16 juin s’inscrit dans ce contexte. Le président de l’Autorité palestinienne, qui n’en est pas à son premier voyage sur place, avait déjà rencontré son homologue chinois en décembre, lors du sommet sino-arabe de Riyad en Arabie saoudite. Xi Jinping avait alors affirmé son soutien aux efforts palestiniens pour que la Palestine obtienne un statut de membre à part entière à l’ONU, où Pékin est membre du Conseil de sécurité.
La Chine, qui présente le cacique palestinien de 87 ans comme « un vieil et bon ami du peuple chinois »,« a toujours fermement soutenu la juste cause du peuple palestinien pour restaurer ses droits nationaux légitimes », a récemment fait valoir le porte-parole de la diplomatie chinoise.
Pékin se présente comme un défenseur de la cause palestinienne, et des peuples arabes en général, depuis la Conférence des non-alignés de Bandung (Indonésie) en 1955. Jusqu’à la mort de Mao, la Chine fournit un soutien financier et militaire aux groupes armés palestiniens, dont l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat, qui s’est personnellement rendu en Chine à 14 reprises. La Chine reconnaît l’État de Palestine en 1988 et établit des relations diplomatiques l’année suivante.
Il faut attendre 1992 pour que la République populaire fasse de même avec Israël, dont elle prônait la destruction dans les années 1960… Aujourd’hui, Pékin souligne n’avoir « aucun intérêt égoïste » dans le conflit israélo-palestinien et entretient de bonnes relations avec les deux parties. Mais les échanges de la Chine avec l’État hébreu n’ont cessé de monter en puissance ces dernières années, jusqu’à devenir son deuxième partenaire commercial après les États-Unis, avec plus de 16 milliards de dollars d’exportations en 2022. Pékin y vend notamment des semi-conducteurs, investit dans des secteurs stratégiques comme la haute technologie, et plusieurs grandes entreprises chinoises ont installé des centres de recherche et développement sur le sol israélien. Un rapprochement surveillé de près par les Américains, alliés de longue date d’Israël, dans un contexte de tension croissante avec les Chinois.
Pékin, qui se présente en honest broker (« intermédiaire impartial »), est-il en mesure de réussir là où tout le monde a échoué et alors que la solution à deux États paraît appartenir aux illusions du siècle dernier ? « Il n’est jamais trop tard pour faire ce qu’il faut », avançait en avril le porte-parole de la diplomatie chinoise.
https://www.la-croix.com/Monde/Israel-Palestine-Chine-veut-jouer-mediatrices-2023-06-13-1201271313
Coproduit en 2019 avec l’Italie, le Liban et la Suisse, plusieurs fois primé, One More Jump (Encore un saut) d’Emanuele Gerosa, réalisateur et auteur de documentaires, donne une image inédite des résistances à Gaza. Le film est en salle depuis le 8 septembre.
Coproduit en 2019 avec l’Italie, le Liban et la Suisse, plusieurs fois primé, One More Jump (Encore un saut) d’Emanuele Gerosa, réalisateur et auteur de documentaires, donne une image inédite des résistances à Gaza. Le film est en salle depuis le 8 septembre.
Des adolescents courent à perdre haleine au milieu des décombres. Gravissent des murs éventrés pour se jeter dans le vide tels des lions et des aigles, traçant des figures plus époustouflantes et plus belles les unes que les autres. On le sait, Gaza est une prison à ciel ouvert. Les images qui nous en viennent sont celles de la guerre, de l’enfermement et des destructions. Mais ici, la caméra saisit le mouvement des corps qui se propulsent vers le ciel. Leur volonté d’aller toujours plus haut, toujours plus loin.
La réception au sol, comme un coup de dés qui jamais n’abolirait le hasard. Salto arrière, flip flap, saut de chat, volté, carpé… des figures trouent le ciel, comme une métaphore pour échapper au blocus israélien qui condamne l’enfance -– quarante pour cent des Gazaouis sont des enfants de moins de quinze ans — à la séquestration et au désespoir à perpétuité.
« Même si je restais à Gaza un million d’années, je ne pourrai jamais y construire un avenir ». Jehad a une trentaine d’années. Il est le fils aîné et le soutien d’une famille où le père, très handicapé, lutte contre le manque de soins et de médicaments. Il est aussi l’entraîneur de l’équipe de Parkour de Gaza. Cette discipline acrobatique urbaine, très intense et exigeante, basée sur l’impulsion, l’envol et la réception, a d’abord été popularisée en France dans les années 1990 par les Yamakasi, des adolescents des cités de l’Essonne qui se servaient des toits d’immeubles comme rampes de décollage et d’atterrissage. Les pratiquants utilisent la géographie de leur environnement et l’espace dans toutes ses dimensions, contournant ou se servant des obstacles pour rebondir et s’élancer, dans un mouvement continuel.
Dans le camp de réfugiés d’Al-Shati, à l’ouest de la ville de Gaza, c’est Mohamed et Jehad qui l’ont d’abord proposée aux jeunes comme activité de loisir, leur enseignant les valeurs d’un sport de haut niveau qui, à Gaza, « n’est pas une compétition et demande l’attention, le respect, la confiance et la modestie. » Mais le parkour est ailleurs devenu une discipline de compétition et Mohamed, qui a pu bénéficier d’une invitation à jouer en Italie, n’a pas hésité à choisir le grand saut de l’exil. Le projet devait se réaliser avec Jehad qui en reste dépité et meurtri.
On va donc accompagner au plus près, durant 82 minutes, Jehad et Mohamed dans le temps réel de leur vie, avec les secousses qui la traversent. Depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2007, le premier, retenu dans l’enclave où la pauvreté a explosé sous les sièges et les guerres israéliennes, vit sous les bombardements, « le pire bruit qu’on puisse jamais entendre », et pense qu’ « avoir vingt ans et s’imaginer en avoir quarante toujours à Gaza, c’est être déjà mort… » Le second cherche désespérément du travail depuis qu’il est arrivé à Florence, et une autonomie qui se dérobe chaque jour davantage. L’entraînement solitaire dans des tunnels et des parkings hostiles semble avoir perdu de son souffle et de sa saveur. Lorsqu’il appelle son père, qui ne manque pas de lui demander s’il fait toujours bien sa prière, il a le mal du pays et des siens. Mohamed va déployer toutes ses ressources et son énergie pour parvenir à participer en Suède à l’Air Wipp Challenge, un championnat international prestigieux qui sélectionne douze athlètes sur 650 inscrits. Mais il n’y aura pas de happy end : il en reviendra bredouille.
À Gaza, on voit Jehad se désespérer devant la fermeture des frontières avec l’Égypte, s’énerver contre les discours des politiciens. On le voit également rejoindre les « marches du retour » qui depuis mars 2018 drainent des milliers de Palestiniens à la frontière et ont fait des centaines de morts, les soldats israéliens n’hésitant pas à tirer à bout portant depuis les collines : « Ils se battent pour nous tirer dessus et savoir qui est le meilleur ». Un des moments les plus forts du film de Gerosa est celui où les images du peuple de Gaza, tenace et insoumis répondent comme en écho à celles des jeunes athlètes de l’équipe de Parkour, mettant à jour la même rébellion, le même dépassement, le même courage.
La vie s’égrène pour l’un comme pour l’autre. Ils se sont construits dans le renforcement mental que leur procure leur discipline. Maîtriser la pesanteur et la peur, c’est aussi se donner des armes pour faire face à la domination israélienne et à l’exil. Malgré l’obtention d’un passeport, pour rejoindre à son tour une compétition, Jehad ne quittera jamais Gaza dont les frontières lui restent fermées. Mohamed va se blesser sérieusement à l’entraînement. Gaza continue à avaler ses enfants, leurs espoirs et leurs rêves.
Journaliste et militante associative.
MARINA DA SILVA
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/a-gaza-des-reves-plus-haut-que-les-murs,5019
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Rédigé le 13/06/2023 à 10:17 dans Chine, Israël, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Retour sur les lieux d’un crime colonial · Où est mort Ali Boumendjel ? Près de 60 ans après sa disparition, l’interrogation n’a rien de trivial. Malika Rahal, auteure d’Une affaire française, une histoire algérienne, remarquable livre sur ce dirigeant politique d’envergure voué à la libération de l’Algérie depuis ses années de lycée jusqu’à sa mort, nous emporte dans la quête sensible et éclairante d’une historienne du temps présent.
J’ai écrit il y a quelques années une biographie d’Ali Boumendjel, l’avocat et militant politique algérien1. C’est durant cette recherche que j’ai commencé à saisir combien la connaissance des lieux aide à la compréhension des choses : j’avais vu la maison qu’Ali Boumendjel et sa femme avaient fait construire aux Sources, la maison de ses parents à Belcourt, repéré bien des lieux de leurs vies à Alger. Mais je n’avais jamais trouvé le bâtiment tenu par les parachutistes français à El Biar, d’où l’avocat avait été précipité durant la bataille d’Alger en 1957. Quelques promenades dans le quartier n’avaient rien donné, malgré le plan fourni par Pierre Vidal-Naquet. Ça ne devait pourtant pas être impossible puisque le peintre Ernest Pignon-Ernest l’avait trouvé pour y apposer le portrait en sérigraphie de Maurice Audin2 en 2003. La même année, Jean-Pierre Lledo y avait filmé le retour d’Henri Alleg3, torturé au même endroit, dans son documentaire Un rêve algérien.
Ce n’est qu’en 2014 que j’ai enfin pu localiser le bâtiment des parachutistes, en suivant un ami qui se souvenait que son père lui avait indiqué les lieux lorsqu’il était petit. Honnêtement, avec ce point de départ, nos chances d’aboutir paraissaient faibles : depuis son enfance, les boutiques avaient changé, les façades étaient refaites. Ce jour-là, l’avenue Ali Khodja était bondée et ensoleillée, et tout à coup mon guide s’est engouffré dans un couloir. La cour derrière l’immeuble ressemblait aux lieux du film ; la sérigraphie, elle, avait disparu. Mais surtout, l’architecture correspondait aux descriptions données par les sources.
Le général Paul Aussaresses :
Je me suis directement rendu à El Biar, boulevard Clemenceau, où Boumendjel était détenu. Il y avait plusieurs bâtiments. Certains de ces bâtiments étaient reliés entre eux par des passerelles au niveau des terrasses du sixième étage. La cellule de Boumendjel était au rez-de-chaussée. Je suis passé au bureau du lieutenant D., qui sembla étonné de me voir.
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous, mon commandant ?
— Et bien voilà, D. : je viens d’assister à une longue réunion, en présence du général Massu. Mon sentiment, à la sortie de cette réunion, c’est qu’il ne faut absolument pas laisser Boumendjel dans le bâtiment où il se trouve actuellement [...]. Pour effectuer ce transfert, il ne faut surtout pas que vous passiez par le rez-de-chaussée, ce qui attirerait trop l’attention. [... ] Vous allez chercher votre prisonnier et, pour le transférer dans le bâtiment voisin, vous empruntez la passerelle du 6e étage. J’attends en bas que vous ayez fini. Vous me suivez mieux maintenant ?
D. hocha la tête pour me montrer qu’il avait compris. Puis il disparut. J’ai attendu quelques minutes. D. est revenu, essoufflé, pour m’annoncer que Boumendjel était tombé. Avant de le précipiter du haut de la passerelle, il l’avait assommé d’un coup de manche de pioche derrière la nuque.Paul Aussaresses, Services spéciaux. Algérie, 1955-1957, Perrin, 2001.
J’ai eu l’occasion d’écrire ailleurs qu’on ne peut prendre Aussaresses au mot, mai
l n’a pas de raison de mentir sur la description des lieux. En observant depuis la cour, les choses étaient plus claires : le centre des parachutistes à El Biar constitue un seul bâtiment, avec trois cages d’escaliers. Nous sommes montés par la première cage d’escalier, pour trouver la porte du toit fermée à clef. Des pavés de verre donnaient de la lumière. L’architecture typique des constructions des années 1950 avait du charme. Par les trous des portes en mauvais état, on devine la terrasse, et on aperçoit même la mer. Je n’aurais jamais imaginé ce détail. Nous tentons la seconde entrée. En haut de l’escalier, nouvelle impasse. En parcourant ces escaliers, des sources me reviennent en tête :
Sûreté Nationale en Algérie
Sûreté publique Alger
Procès Verbal
L’an 1957 et le 23 du mois de marsDevant nous, C. P., Officier de Police, Officier de Police judiciaire, auxiliaire de M. Le Procureur de la République, en fonction dans le 13e arrondissement el Biar Se présente le Lieutenant D. M., âgé de 26 ans du 2e RPC, 4e Cie, 92 av. Clemenceau à el Biar.
Il nous déclare : Ce jour vers 13 h 15, le sergent S., du 2e RPC amena dans mon bureau le suspect, M. Boumendjel Ali, qui devait être transféré au Parquet le soir même, afin de procéder au dernier interrogatoire.
En amenant le suspect au bureau des interrogatoires qui se trouve dans l’autre partie du bâtiment, nous passâmes sur la terrasse.
Le sergent J. S. marchait en tête, Boumendjel le suivait, et je fermais la marche.
Brusquement, Boumendjel se précipita vers le bord de la terrasse. Je me précipitai pour le retenir, mais dans un bond en avant il m’échappa et s’élança dans le vide. Je dus le lâcher précipitamment pour ne pas être entraîné moi-même. Je me rendis dans la cour et devant l’état désespéré de la victime, j’avertis immédiatement le médecin et le colonel commandant le 2e RPC.
Boumendjel fut immédiatement transporté à l’hôpital Maillot, sur les ordres du Colonel, mais il semble qu’il ait été déjà mort à ce moment.
Je signale que M. Boumendjel avait tenté déjà de se suicider le 12. 2. 57 à Hussein Dey où notre formation se trouvait. Il avait été transporté à Maillot, d’où il était sortit le 4 mars dernier.Lu, persiste, signe, signons,
Signé : D.
L’officier de Police Signé : illisible.Service historique de la Défense, 1H2584-5, Quelques affaires.
Cette version selon laquelle Boumendjel s’est volontairement précipité dans le vide est la version officielle. Mais, le rapport d’autopsie le confirme malgré lui bien plus sûrement que les « aveux » du général Aussaresses : il a été précipité inconscient dans le vide.
J’avais lu le nom d’Ali Boumendjel la première fois lorsque je préparais un mémoire de maîtrise sur les parlementaires du deuxième collège représentant l’Algérie au Parlement français, entre 1945 et l’indépendance. Dans un débat parlementaire, on évoquait sa mort aux mains des parachutistes — mort suspecte bien que l’armée ait évoqué un suicide — et d’autant plus choquante qu’il était le frère d’un ancien conseiller de la République, Ahmed Boumendjel.
Le nom (et l’émotion) étaient restés dans un coin de ma tête. Quelques années plus tard, en 2001, Paul Aussaresses publiait ses mémoires qui confirmaient l’assassinat. On interviewait la veuve de Boumendjel et ses enfants à la télévision. En les voyant, j’avais repensé à mes lectures : au moins dans cette affaire, un secret de Polichinelle semblait enfin être levé. Je me préparais à faire une thèse. Mon futur directeur, Benjamin Stora, m’avait conseillé de travailler sur l’Union démocratique du Manifeste algérien et pour le diplôme d’études approfondies (DEA), me proposait d’écrire une biographie. La biographie, c’était pour moi le genre mou par excellence. En 2002, j’étais enseignante dans un collège classé zone d’éducation prioritaire (ZEP), j’avais arrêté la recherche pour étudier l’arabe en cours du soir à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et ne savais pas par où reprendre. Ferhat Abbas et son Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) manquaient de radicalité à mon goût (j’avais été discrètement biberonnée au nationalisme populiste et au tiers-mondisme) ; je n’aimais pas la biographie.
J’ai accepté parce qu’il fallait bien faire de l’histoire. Et à cause d’Ali Boumendjel. Cette recherche s’est révélée frustrante par bien des aspects. J’avais un accès très libre à la famille, mais les proches politiques de Boumendjel étaient morts : son frère Ahmed, les autres leaders de l’UDMA (Kaddour Sator, Ahmed Francis, Serge Michel et d’autres que peut-être je n’avais pas identifiés), comme ses camarades du collège de Blida, futurs leaders du Front de libération nationale (FLN) : Benyoucef Benkhedda était décédé quelques semaines avant que j’arrive à Alger en espérant l’interviewer. Le cœur du réacteur, c’était la connexion entre Ali Boumendjel (UDMA, et peut-être déjà FLN) et Abbane Ramdane, responsable du FLN à Alger, et ancien du collège de Blida. La famille en faisait grand cas, mais personne ne pouvait désormais témoigner directement de la nature de ce contact noué (ou renoué) dans la clandestinité.
L’autre problème, c’était la détention et la mort : des témoins pouvaient attester de tortures psychologiques, mais pas des tortures physiques. Et puis la seule confirmation de l’assassinat venait d’Aussaresses qui ne m’inspirait aucune confiance, et qui n’a jamais voulu me rencontrer. En politique comme entre les mains des parachutistes, dans la clandestinité, des épisodes entiers pouvaient m’échapper. Je risquais de faire passer d’une phrase Boumendjel pour un doux humaniste poussé au FLN par les événements de la guerre. D’une phrase aussi, j’avais le pouvoir de le rendre plus révolutionnaire. Il m’aurait fait plaisir qu’il le soit : la révolution me semblait plus désirable que l’humanisme. C’était bien ça le danger.
Raconter la vie d’une personne est une responsabilité lourde. Plus encore si les siens sont vivants : ils seraient de toutes les façons secoués, insatisfaits, heurtés par la lecture. Il fallait être bien sûre de son histoire pour prendre le risque de l’écriture. Or lorsqu’on parle de la clandestinité, on ne peut jamais attester que ce dont on n’a pas de preuve n’a jamais existé. Comment écrire en laissant la place à ces possibles ? Les aveux extorqués à Boumendjel me semblaient faux. Mais pouvais-je être 100 % sûre que le réseau de télécommunication dont Boumendjel avait avoué sous la torture avoir été à la tête n’avait vraiment pas existé ?
La question de rendre justice avait aussi à cette époque un sens très concret : Paul Aussaresses avait été condamné en 2002, non pour crime de guerre, mais pour apologie de crime de guerre. Les poursuites mêmes étaient un aveu d’impuissance : à défaut de pouvoir poursuivre la torture et l’assassinat, couverts par les lois d’amnistie, on avait poursuivi l’écriture, envoyant un message dissuasif à qui serait pris de l’envie d’avouer d’autres crimes. La condamnation a été confirmée en appel en avril 2003, alors que j’étais en plein travail sur Boumendjel. La famille de son côté imaginait d’autres façons d’amener l’affaire Ali Boumendjel en procès, un procès pour la justice et la vérité. La connexion potentielle entre la recherche et le procès était omniprésente. On discutait à perte de vue entre collègues de DEA pour savoir s’il fallait, le cas échéant, accepter de parler dans un procès autour de cette affaire.
J’en étais venue à penser que ce que les militaires avaient nommé « la première tentative de suicide » d’Ali Boumendjel lorsqu’il s’était, disait-on, taillé les veines du cou avec ses verres de lunettes, pouvait être une authentique tentative de suicide, et non une tentative d’assassinat comme le pensait la famille. J’aurais voulu penser autrement. Mais on lui avait fait croire que les hurlements de femme (bien réels) qu’il entendait étaient ceux de sa propre femme en train d’être violentée, causant un état de grande confusion. Soumis à cette torture, le suicide n’était pas inenvisageable. C’était une hypothèse, elle était fragile, mais c’était la mienne. Mieux, je ne voyais là, d’un point de vue moral, aucun caractère condamnable, et je répétais des formules : la torture excuse tout ; le suicide est aussi une volonté, un échappatoire, et une résistance. On le voit : la morale était partout, piégeait tout et il fallait s’en libérer. Lorsque j’ai téléphoné à Malika Boumendjel pour lui annoncer la fin de la rédaction du mémoire, j’ai voulu lui dire que telle était mon hypothèse, pour qu’elle n’en ait pas la surprise à la lecture. Il y eut un long silence. Elle dit : « Alors ils ont gagné. »
Des amis historiens des temps passés ont souvent voulu minimiser cette spécificité de l’histoire du temps présent. Ils expliquent qu’eux aussi peuvent avoir « un carton d’archive qui pleure », un objet douloureux, être saisis de fortes émotions et du désir de rendre justice. Nul doute. Pourtant, il y a bien là une caractéristique particulière à l’histoire du temps présent, lorsqu’un témoin exige de vous que vous fassiez justice ; ou porte plainte contre vous pour diffamation ; ou vous téléphone en pleine nuit. Ou, comme ici, vous crucifie d’une phrase qui vous accuse d’avoir trahi.
Le mémoire a attendu longtemps avant de devenir livre. Certains problèmes restaient entiers : comment déconstruire le récit familial du martyre sans blesser la famille ? Comment se libérer du besoin de rendre justice, mais écrire juste ? Comment laisser la porte ouverte à ce qu’on n’a pu trouver ou prouver ? Que faire des fantômes (ceux de l’histoire, et ceux de notre propre histoire) ? La décantation s’est faite doucement. La lecture du livre de Daniel Mendelsohn, The Lost. In search for six of six million a provoqué le déclic final : on pouvait raconter une enquête, même si ses résultats étaient maigres ; le cheminement valait aussi pour lui-même. On pouvait écrire juste tout en honorant la mémoire.
Lorsque j’ai enfin apporté le livre à Malika Boumendjel, posant sur la table son exemplaire et ceux destinés à ses enfants, elle ne l’a pas regardé. Dans le petit appartement, elle passait aussi loin que possible de la table en apportant le thé depuis la cuisine, montrant du doigt seulement cet objet de douleur pour me remercier. J’étais inquiète et suis revenue quelques jours plus tard. Pour la seule et unique fois de toutes les années où nous nous sommes connues, elle m’a ouvert la porte en robe de chambre. Elle avait commencé à lire, mais c’était difficile. Bien sûr elle savait déjà tout, elle trouvait le style beau, et c’était d’autant plus douloureux. C’est une dame âgée : j’avais peur qu’avec ce livre, elle ne lâche prise. Ça n’a duré qu’un temps. Pour Sami, l’un de ses fils, la publication du livre n’était pas non plus chose simple : à mesure qu’elle approchait, il devenait parfois hostile, agacé par la maison d’édition qui ne faisait pas, disait-il, son travail. À la sortie, l’ouvrage tant attendu ne réalisait pas ce qu’on espérait de lui, il n’était pas assez fort, il ne résolvait pas tout, il ne pouvait réparer le passé. Il a fallu plusieurs mois pour que ces tensions s’apaisent.
J’avais pensé que la biographie était une affaire sans goût et sans grand intérêt. S’étaient posées en chemin de celle-ci toutes les grandes questions de l’histoire du temps présent, avec des balancements terribles entre justice et histoire, vérité et réparation du passé. L’écriture avait été une bagarre constante pour l’histoire.
Avant de partir, nous tentons la troisième entrée, pour n’avoir aucun regret. Dans la cage d’escalier, je repense à Henri Alleg et à Maurice Audin qui sont passés ici, eux aussi, en me demandant à chaque porte si c’était dans cet appartement qu’ils ont été torturés, ici qu’ils ont été détenus ou confrontés l’un à l’autre. Un voisin sort de chez lui pour faire des courses. Djamila Boupacha était là. On pense à tous les sans-nom aussi, qui ont laissé ici leur vie ou une partie d’eux-même à force de sévices.
C’est lorsqu’il a été conduit sur la terrasse par ses bourreaux qu’Henri Alleg a reconnu le bâtiment où son ami Boumendjel était mort. Henri Alleg qui m’avait livré un des témoignages les plus riches sur Ali Boumendjel. Nous arrivons en haut de l’escalier, la porte du toit s’ouvre. De tous côtés, la perspective est magnifique, la vue vers le bas vertigineuse. Il n’y a pas de balustrade. D’un côté, c’est l’avenue Ali Khodja, avec le bruit de la foule de la fin de l’après-midi qui se presse, de l’autre la cour. De quel côté Boumendjel est-il tombé ? L’officier de police judiciaire, venu sur les lieux immédiatement après sa chute rendait compte :
Ce jour il avait été extrait de la prison du 19e génie pour être remis au Parquet dans le courant de l’après-midi.
Alors qu’il était conduit, sous escorte, au bureau de renseignement pour dernier interrogatoire, il s’échappait brusquement et se précipitait dans le vide, d’une hauteur de 15 mètres.
Il tombait dans la cour dont le sol est revêtu de carrelage et succombait aussitôt des suites d’un grave traumatisme crânien.PV du commissaire du 13e arrondissement d’El Biar, 23 mars 1957. Service historique de la Défense, 1H2584-5, Quelques affaires.
Côté cour, donc, où jouent les enfants et où un homme arrose ses plantes, c’est là que Boumendjel est mort. Du côté où, ce jour-là, des planches s’avancent dans le vide. De ce côté, ce n’est pas la mer qu’on voit, c’est la montagne. Nous nous asseyons silencieusement au bord du toit. Mon livre est fini depuis plusieurs années, je peux bien me laisser aller à voir mes fantômes.
Si Ali Boumendjel a eu un moment de conscience sur cette terrasse avant d’être assommé, ce sont ces montagnes qu’il aura vues.
MALIKA RAHAL
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/alger-1957-l-assassinat-d-ali-boumendjel,1095
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Rédigé le 13/06/2023 à 09:57 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
ENLEVÉS, DÉTENUS CLANDESTINEMENT, TORTURÉS ET PARFOIS ASSASSINÉS PAR L’ARMÉE FRANÇAISE
Remerciements : à Pierre-Jean Le Foll-Luciani, auteur de travaux sur les communistes algériens, auquel nous devons certaines notices ( voir notamment Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), PUR, 2015, ainsi que son site internet Trajectoires dissidentes ) et à Malika Rahal pour sa bienveillance et son aide dans certaines identifications de personnes disparues (voir notamment Malika Rahal, Ali Boumendjel. Une affaire française. Une histoire algérienne, Paris, Les Belles Lettres, 2010. et son site internet Textures du temps).
Fabrice Riceputi
Septembre 2018
Enseignant et historien, membre de l’association Histoire coloniale et postcoloniale (site Histoirecoloniale.net), auteur de La bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République, Paris, Le Passager Clandestin, 2015 et de « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre d’Algérie, une trahison républicaine », 20&21. Revue d’histoire, n°142, avril-juin 2019, p. 3-17.
NOTES
[1] « Le rapport de Me Maurice Garçon à la première Commission de sauvegarde », du 12 juin 1957, publié et commenté par Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État, textes publiés par le comité Maurice Audin, Paris, La Découverte, 2002 (réed.), p. 137-175.
[2] Les dénonciations de se sont multipliées depuis le début de l’année 1957. Le 15 février, l’hebdomadaire Témoignage chrétien a publié un cahier spécial intitulé De la pacification à la répression, le dossier Jean Muller, à près de 100 000 exemplaires. Les 13 et 14 mars 1957, le quotidien Le Monde publie deux articles concernant le livre de Pierre-Henri Simon, officier de réserve, catholique, intitulé Contre la torture (Seuil, 1957). Le Comité de résistance spirituelle a publié, également en mars 1957, un livre collectif intitulé Des rappelés témoignent. De plus, le très douteux « suicide » d’Ali Boumendjel, détenu clandestinement et torturé par l’armée, le 23 mars 1957, a encore ajouté à la pression politique sur Guy Mollet.
[3] L’expression de « Grande répression d’Alger » est de l’historien Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962, Paris, Fayard, 2002, p. 229.
[4] Op. cit. Maurice Garçon démissionnera peu après pour protester contre l’enterrement par le gouvernement des conclusions de la Commission. Sur cette dernière, voir Raphaëlle Branche, « La Commission de sauvegarde pendant la guerre d’Algérie. Chronique d’un échec annoncé », Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. 61, n° 1, 1999.
[5] Audition qu’il complétera en septembre 1957 par une longue et accablante « Note » publiée et commentée par Pierre Vidal-Naquet, « Une note de Paul Teitgen au président et aux membres de la Commission de sauvegarde », La raison d’État, op. cit., p. 194-210. Sur le rôle de Paul Teitgen durant la guerre d’Algérie, voir Fabrice Riceputi, « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre d’Algérie, une trahison républicaine », 20&21. Revue d’histoire, n°142, avril-juin 2019, p. 3-17. Et ici même : Un témoin capital de la torture et des disparitions : Paul Teitgen.
[6] Citation par Georgette Elgey d’« archives personnelles », Histoire de la IVe République, La fin, Paris, Fayard, 2008, tome 3, p. 435, note 3.
[7] Lettre de Paul Teitgen à Robert Lacoste, 24 mars 1957, in Charlotte Delbo, Les Belles Lettres, Paris, Minuit, 1961, p. 80. Cette lettre n’a été rendue publique par Teitgen qu’en 1960.
[8] Sur cette estimation fameuse et ses limites, voir Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Seuil, Paris, 2005, p. 213-217 et Fabrice Riceputi, « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre d’Algérie, une trahison républicaine », loc. cit.
[9] Sur le rôle de Jean Reliquet, nommé procureur général par François Mitterrand, voir notamment Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault, « Justice et torture à Alger en 1957, apports et limites d’un document », in Enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb contemporain. Actes de la DESCO, avril 2002.
[10] Selon Paul Teitgen, les militaires pratiquaient également le largage en mer par hélicoptère de cadavres aux pieds coulés dans une bassine de ciment, « ce que les gens d’Alger appelaient « les crevettes Bigeard » ». Emission de télévision « Témoignages sur la “bataille d’Alger” et la torture », 30 septembre 1991, site INA.fr.
[11] Inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire. Statut de « proconsul » créé en 1948 par Jules Moch, réactivé en Algérie en 1956.
[12] Nous n’avons trouvé aucune information sur ce fonctionnaire de la préfecture d’Alger.
[13] Serge Baret (1910-1978), nommé préfet d’Alger en décembre 1956 par Robert Lacoste, sera chaleureusement félicité par le général Massu pour le concours apporté à l’armée durant la « bataille d’Alger », de même que Pierre Bolotte (Jacques Massu, La Vraie Bataille d’Alger, Paris, Plon, 1971, p. 103-104). Sur la longue carrière de « pacificateur colonial » de Pierre Bolotte (1921-2008), passé par l’Indochine, l’Algérie, la Guadeloupe puis la Seine-Saint-Denis, voir Mathieu Rigouste, qui évoque son passage en Algérie : « Des massacres oubliés de mai 1967 en Guadeloupe aux prémices de l’ordre sécuritaire moderne dans les quartiers », Basta !, 29 mai 2017.
[14] Fonds Pierre Bolotte, CHSP, Note au préfet Baret sur son audition devant la Commission, s. d.
[15] Rapport cité de Maurice Garçon du 12 juin 1957, loc. cit., p. 173.
[16] L’ouvrage de référence est celui de Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, nouvelle édition revue, Paris, Gallimard, 2016.
[17] Ce sont les premières exécutions de condamnés à mort du FLN, en juin 1956, et le premier attentat visant des civils à Alger, une bombe déposée par des Européens ultras en août 1956 dans la Casbah, rue de Thèbes (qui a fait quelque soixante-dix victimes), qui déclenchent les actions militaires, comprenant des attentats contre les civils, des nationalistes du FLN à Alger, auxquelles la « bataille d’Alger » lancée en janvier 1957 se veut une réponse.
[18] Par un simple arrêté préfectoral, 7 janvier 1957.
[19] Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, op. cit.
[20] Deux rapports officiels, en mars et en décembre 1955, ont établi que la police d’Algérie pratique la torture de façon routinière. Ils sont publiés et commentés par Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État, op. cit., p. 63 et 78.
[21] Sur les différents types de détentions et de camps durant la guerre d’Algérie, voir Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012, chapitre 12.
[22] « Directive générale n° 3, 19 janvier 1957 », cité par Raphaëlle Branche, op. cit., p. 158.
[23] Cet ensemble d’assignations à résidence – 24 000, selon Teitgen – n’a pas été conservé dans les archives de la préfecture aux ANOM. On y trouve uniquement des « Notices en vue d’une assignation à résidence, février-mars 1957 », remplies par les militaires à l’intention de Teitgen (ANOM, 91/ 1 K 817-818). Mais ce dernier en a conservé un échantillon dans ses archives personnelles, confiées au début des années 1970 à Georgette Elgey (AN, fonds Georgette Elgey, 561AP/41, « Archives confiées par Paul Teitgen »).
[24] Rapport de police sur une manifestation de femmes devant la préfecture d’Alger, le 24 juin 1958, ANOM 91/ 4 I 213.
[25] Équivalent en zone urbaine des SAS, service tout à la fois social et de surveillance policière des Algériens.
[26] Voir dans les notices publiées par nos soins les signalements au SLNA de la disparition début avril 1957 d’une dizaine d’employés de la RTF.
[27] Par exemple, Nelly Forget se trouve, selon l’armée, assignée fin février 1957 dans le camp de Beni Messous, où elle n’est jamais allée. En revanche, elle est torturée une semaine durant à la Villa Sésini, puis mise en « convalescence » dans une autre villa avant d’être finalement présentée à la justice. Elle sera acquittée par un tribunal militaire en juillet.
[28] Lettre de Paul Teitgen à Robert Lacoste, 24 mars 1957, loc. cit.
[29] « Liste des personnes appréhendées durant la “bataille d’Alger” », 15 avril 1957, Fonds Pierre Bolotte, op. cit. Il ne s’agit que d’une statistique et non d’une liste nominative.
[30] Note de Pierre Bolotte, chef de cabinet du préfet, chargeant le SLNA de la recherche de personnes disparues, 23/02/1957, ANOM, 91/ 4 I 213.
[31] Circulaire de Robert Lacoste sur les pouvoirs spéciaux, 27 juillet 1956, ANOM, loc. cit.
[32] « Personnes arrêtées, demandes de recherche transmises au commandement militaire », ANOM, 91/ 4 I 62. En revanche, des archives du secrétariat général à la police de Paul Teitgen ne subsistent que les quelques dossiers qu’il a lui-même emportés en guise de preuve de ses accusations lors de son expulsion d’Algérie par Salan en mai 1958.
[33] « Notices en vue d’une assignation à résidence, février-mars 1957 », ANOM, 91/ 1 K 817-818.
[34] Gilberte Alleg, « Témoignage », La Pensée, n° 79, mai-juin 1958.
[35] Paul Aussaresses, Services spéciaux, Paris, Perrin, 2001, p. 180.
[36] Raphaëlle Branche, La torture et l’armée française pendant la guerre d’Algérie, op.cit., p. 169.
[37] « Synthèses journalières de l’état-major mixte d’Alger (1957) », ANOM 91/1 F 524.
[38] Courrier de Slimane Chaouli, ANOM, 91/ 4 I 213. Il dit avoir été « humilié » et forcé à « travailler ».
[39] Ainsi, le 10 février 1957, six attentats sont suivis de soixante-quinze arrestations (« Synthèses journalières de l’état-major mixte d’Alger », loc. cit.).
[40] Raphaëlle Branche, La torture et l’armée française pendant la guerre d’Algérie, op. cit., p. 168.
[41] Voir l’étude statistique de l’échantillon.
[42] Raphaëlle Branche, La torture et l’armée française pendant la guerre d’Algérie, op.cit., p. 204.
[43] Voir, par exemple, la lettre de l’avocat Pierre Braun, du 4 avril 1957, qui signale à la préfecture trois extraction de détenus de la prison civile par les parachutistes, ainsi qu’un mort des suites de la torture ANOM 91/9K1.
[44] Interventions au sujet de personnes arrêtées, ANOM, ibid.
[45] Note au directeur de cabinet (SLNA), 2 pages, s. d., ANOM, ibid.
[46] Ibid.
[47] « Personnes arrêtées, demandes de recherche transmises au commandement militaire », bilans statistiques, ANOM, 91/4 I 62.
[48] Note au directeur de cabinet (SLNA), ANOM, loc. cit.
[49] Affaire Gaceb Ahmed, ANOM, 91/4 I 213. Interpellé sur cette publication, Massu rectifie.
[50] Jacques Vergès, Michel Zavrian, Maurice Courrégé, Les disparus, le cahier vert, postface de Pierre Vidal-Naquet, « Le Cahier vert expliqué », Lausanne, La Cité, 1959, p. 52. On citera cet ouvrage Cahier vert.
[51] Cahier vert, op. cit., p. 21.
[52] Paul Aussaresses, Services spéciaux, op. cit., p. 124-126.
[53] Archives des deux commissions de Sauvegarde des droits et libertés individuels (1957-1962), Archives Nationales, F/60/3124-F/60/3231.
[53] Dossier « Abattus », Affaire Akezouh Yahia, ANOM, 91/4 I 213.
[54] Ibid., affaire Sellami Abdelaziz.
[55] Cahier vert, op. cit., p. 80-81 ; et dossier « Abattus », ANOM, op. cit.
[56] Entretien avec Nelly Forget, 15 octobre 2016.
[57] Cahier vert, op. cit., p. 34-35.
[58] Cahier vert, op. cit., p. 28 ; et dossier « Abattus », ANOM, op.cit.
[59] Voir Malika Rahal, Ali Boumendjel. Une affaire française. Une histoire algérienne, Paris, Les Belles Lettres, 2010.
[60] Fiche SLNA et entretien de l’auteur avec Ahmed Djebbar, 25 avril 2018.
[61] Cahier vert, op. cit., p. 80.
[62] Voir Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2004.
[63] Ainsi nommé en raison de la couleur de la couverture du cahier de notes de Jacques Vergès, selon Marcel Péju, « A voix nue », émission de France Culture (1992).
[64] Les coupables, des militaires du sous-secteur Alger-Marine, ont avoué en effet avoir commis cet assassinat et tenté de faire disparaître le corps réparti dans deux sacs, mais ils ne seront jamais jugés. Pierre Vidal-Naquet, La raison d’État, op. cit., p. 173, note 40.
[65] Ce nombre de 1010 est celui des cas publiés sur ce site en septembre 2018. Aux quelque 850 cas faisant l’objet de fiches du SLNA archivées, correspondant à des signalements entre la fin février et la fin juillet 1957, ont été ajoutés ceux figurant dans une liste de signalés au mois d’août 1957, ceux archivés au cabinet du préfet, ainsi que quelques cas ne figurant que dans le Cahier vert d’arrestations de personnes dont les proches ont été un temps sans nouvelles. D’autres cas ont eu lieu qui, lorsque des renseignements précis auront été rassemblés, leur seront ajoutés.
Rédigé le 13/06/2023 à 09:24 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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