L’homme d’affaires égyptien Mohamed Al-Fayed, 94 ans, est mort jeudi à Londres. Il était le père de Dodi Al-Fayed, mort en 1997 à Paris avec la princesse Diana
Le milliardaire égyptien Mohamed Al-Fayed est mort jeudi 31 août à Londres, indique ce vendredi le Dailymail. Son décès survient exactement 26 ans après celui de son fils Dodi, mort en voiture aux côtés de la princesse Diana à Paris.
Né à Alexandrie, il était arrivé au Royaume-Uni dans les années 1960. Il a longtemps été le propriétaire du célèbre magasin Harrods, à Londres, mais aussi du club de Fulham FC et du Ritz, à Paris. « Un service funèbre a eu lieu vendredi à la mosquée centrale de Londres, à Regents Park, conformément aux conventions islamiques qui prévoient d'enterrer les morts dans les 24 heures », écrit le Dailymail.
Mohamed Al-Fayed avait été meurtri par la mort de son fils Dodi et de la princesse Diana. Il avait notamment accusé le prince Philip et le MI6, les services secrets britanniques, d’avoir joué un rôle dans l’accident afin de dissimuler leur relation. L’enquête a toutefois conclu à un accident : le conducteur de leur véhicule était alcoolisé et il circulait trop vite.
Deux ans après les faits, Joseph Biggs a reçu la deuxième peine la plus lourde dans ce dossier judiciaire.
Norm Pattis, avocat de Proud Boy Joseph Biggs, quitte le tribunal de district des États-Unis après que le jury a rendu son verdict dans le procès de conspiration des Proud Boys.
Un des dirigeants du groupe d’extrême droite américain Proud Boys a été condamné jeudi à 17 ans de prison pour son rôle dans l’assaut contre le Capitole, siège du Congrès, le 6 janvier 2021 à Washington.
Les procureurs avaient réclamé 33 ans de prison contre Joseph Biggs, ancien militaire qui a servi en Irak et en Afghanistan et a conduit quelque 200 membres des Proud Boys au Capitole, sanctuaire de la démocratie américaine, pour tenter d’y empêcher la certification de la victoire du démocrate Joe Biden sur le président républicain sortant Donald Trump. Il s’agit de la deuxième peine la plus lourde prononcée par la justice américaine dans ce dossier.
Dans un récit de vie publié par Libertalia dans la collection Orient XXI, le franco-palestinien Salah Hammouri raconte dix ans passés dans les prisons israéliennes. Le livre sort ce jeudi 31 août 2023 dans les librairies. Nous publions la préface d’Armelle Laborie-Sivan, qui a recueilli et rédigé les fortes paroles de Salah Hammouri.
Salah Hammouri, portrait (20 janvier 2023)Joël Saget/AFP
CONDAMNÉ À TÉMOIGNER
En juin 2023, Salah Hammouri a passé quelques jours à Marseille pour que nous relisions ensemble le manuscrit de ce livre.
À cette occasion, une association de réinsertion de détenus qui intervient à la prison des Baumettes l’a invité à venir assister à la projection d’un film palestinien1 et à rencontrer un petit groupe de prisonniers en fin de peine, âgés pour la plupart de moins de 25 ans. La première question de ces jeunes détenus, formulée avec la participation active d’un surveillant, portait sur l’influence supposée des Juifs qui domineraient les cercles du pouvoir en Occident. Selon eux, cela expliquerait l’indulgence de la communauté internationale vis-à-vis de la politique israélienne. La réponse de Salah Hammouri a été claire et forte. En rappelant, entre autres, que les Palestiniens musulmans, juifs et chrétiens vivaient en bonne entente avant la colonisation britannique, il a démontré qu’aucun propos antisémite n’est acceptable et que la problématique est et doit rester politique.
Il s’est pourtant trouvé une poignée d’individus se prétendant représentatifs des Français juifs, pour l’accuser de « transposer la haine d’Israël sur notre sol » et de « menacer la communauté juive »2.
Pleinement conscient de la nécessité de contrer l’ignorance, Salah Hammouri continue de s’exprimer publiquement ; il le fait à chaque fois avec calme, précision et pédagogie. La parole est son outil. Depuis sa jeunesse à Jérusalem, où il militait dans des syndicats lycéens et étudiants. Puis en prison, où l’enseignement et les discussions ont structuré ses années de détention. En tant qu’avocat quand il défend les droits des prisonniers palestiniens au tribunal ou dans une association de droits humains. Et finalement aujourd’hui, exilé en Europe, Salah Hammouri continue de parler, témoigner, expliquer, raconter, sans jamais céder aux intimidations, ni aux menaces.
Et c’est de cela qu’il est coupable aux yeux des autorités israéliennes et de leurs soutiens : coupable d’avoir refusé de se soumettre aux lois de l’occupation, coupable d’y résister et coupable d’en témoigner. C’est à ce titre qu’il a été harcelé, poursuivi, puis jugé, qu’il est devenu prisonnier politique (en Israël, on ne dit pas « prisonnier politique », mais « prisonnier de sécurité »), qu’il a été déporté et qu’il vit aujourd’hui en exil loin de son pays.
Pour recueillir sa parole, quelques semaines après son arrivée en France, et rédiger le récit qui suit, il a fallu surmonter une difficulté humaine fondamentale : établir une relation de confiance avec une personne qui n’a cessé de subir des interrogatoires par les agents du Shin Beth3. Il est évident qu’on ne passe pas la moitié de sa vie d’adulte en prison sans en garder des séquelles. À chacune de nos réunions de travail, je devais interroger un interrogé, un homme chez qui on a essayé de briser la capacité à faire confiance et la liberté de montrer ses émotions hors des geôles israéliennes. Il fallait être l’interprète fidèle de quelqu’un qui s’exprime rarement à la première personne, mais préfère utiliser le « nous, Palestiniens ».
Petit à petit, nous avons retracé ensemble la suite des événements que nous avons inscrits dans le cadre de la grande histoire du pays.
Ce livre propose un récit au présent permanent, tant il est vrai qu’il n’est pas possible d’effacer dix années passées en détention, surtout quand on sait que des camarades de captivité y sont toujours. Car, à la différence des récits de prisonniers écrits a posteriori, il s’agit ici d’un événement continu.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certaines informations relevant des méthodes de survie ou de communication des détenus ne peuvent pas figurer dans cet ouvrage. Car ils concernent encore les milliers de Palestiniens détenus, ainsi que ceux qui continuent d’être arrêtés et emprisonnés chaque jour. Ils sont actuellement 5 000 prisonniers politiques palestiniens, dont 1083 en détention administrative (détention sans inculpation ni procès, pour une durée inconnue) et, en tout, plus d’un million de Palestiniens incarcérés depuis 19484.
Parmi eux, les prisonniers de Jérusalem dépendent d’un statut à part qui reproduit le système complexe établi par les autorités israéliennes pour traiter de façons différentes les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem, ceux résidant à l’intérieur d’Israël et les Syriens du Golan occupé.
Comme tous les Palestiniens de Jérusalem, Salah Hammouri n’a pas de nationalité, seulement un titre précaire de résident. Mais par sa mère, il est français. Cette nationalité qui aurait pu être un avantage s’est révélée être un fardeau. Car les autorités israéliennes ont fait de son cas un exemple destiné à intimider la population occupée de Palestine et à braver la diplomatie française. C’est pourquoi son histoire est emblématique non seulement des persécutions et du harcèlement politique subi par les Palestiniens, mais aussi de la faiblesse, voire de la couardise du Quai d’Orsay quand il s’agit d’intervenir en Israël.
En tant que Française, concitoyenne de Salah Hammouri, je ne peux qu’être choquée de la manière avec laquelle la France a traité son cas.
Israël est, pour des raisons personnelles, un pays que je connais bien. Je sais que le silence y est à bien des égards un moyen d’ignorer les réalités de l’occupation et de la colonisation, que ce soit pour les Israéliens eux-mêmes ou pour les visiteurs. Malheureusement, ce silence prévaut aussi dans le cadre des relations diplomatiques avec Israël.
La France aurait pu et dû protéger Salah Hammouri quand il était harcelé par la police et la justice militaires d’un pouvoir d’occupation, puis jugé et emprisonné pendant plus de dix ans, dont plusieurs années sans accusation, preuve, ni procès.
Face à ce silence qui vaut complicité, Salah Hammouri témoigne inlassablement de la nécessité de résister. Comme les figuiers de Barbarie des villages palestiniens détruits en 19485 qui continuent de repousser encore et encore, rappelant l’histoire à ceux et celles qui veulent l’oublier.
Depuis maintenant deux ans, Orient XX anime une collection de livres chez Libertalia, un éditeur indépendant, autour de thématiques couvertes par notre site. L’objectif de cette collection est d’aller plus loin sur des sujets traités par notre magazine en ligne, de publier des enquêtes approfondies, des essais inédits et des documents pour l’histoire. Prisonnier de Jérusalem de Salah Hammouri est le quatrième titre de la collection.
Nous avons déjà publié :
➞ La révolution palestinienne et les Juifs, par le Fatah, préface d’Alain Gresh Ce texte, publié en 1970 par le Fatah, l’organisation de Yasser Arafat, aux éditions de Minuit, porte sur le projet de construire une société progressiste ouverte à tous, juifs, musulmans et chrétiens, et le rejet des slogans « les Arabes dans le désert », « les Juifs à la mer », afin d’en finir avec la société d’apartheid instaurée par l’occupation et que dénoncent plusieurs organisations de défense des droits humains comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Dans sa préface, Alain Gresh, directeur de notre site, revient sur les conditions dans lesquelles il fut rédigé et les raisons de son actualité.
« Cet appel constitue une vraie rupture dans la pensée politique de la résistance palestinienne. Il réaffirme qu’il ne s’agit pas d’un conflit religieux, mais bien d’une lutte anticoloniale », Nazim Kurundeyer, Le Monde diplomatique, juin 2022.
➞ Au cœur d’une prison marocaine, de Hicham Mansouri Pendant dix mois, le journaliste indépendant Hicham Mansouri a été emprisonné dans la prison de Salé, l’une des plus dangereuses du Maroc. Il en a tiré une enquête sur ce royaume de tous les trafics, organisés à grande échelle avec des complicités à tous les niveaux.
« De ces dix mois de prison dans l’enfer, et je pèse mes mots, d’une geôle surpeuplée près de Rabat, Hicham Mansouri a tiré un petit livre implacable et saisissant », Sonia Devillers, France Inter, 21 janvier 2022.
➞ Plaidoyer pour la langue arabe, de Nada Yafi Interprète, diplomate, directrice du centre linguistique de l’Institut du monde arabe puis responsable des pages arabes d’Orient XXI, Nada Yafi décrypte avec brio dans cet essai inédit la fascination-rejet dont l’arabe fait aujourd’hui l’objet en France.
« Un ouvrage remarquable par sa capacité à résumer la diversité de cette langue, de l’arabe littéraire aux dialectes des différentes régions ou pays, en passant par le rôle joué par les télévisions qui, telles Al-Jazira ou Al-Arabiya, jouent un rôle de transmission de la langue entre les cultures arabes », Nabil Wakim, Le Monde, 31 janvier 2023.
ARMELLE LABORIE-SIVAN
Traductrice, relectrice et autrice. Depuis plusieurs dizaines d’années, elle travaille aussi sur des films liés aux problématiques…
Le policier marseillais auteur du tir de LBD qui aurait grièvement blessé Hedi, 22 ans, en marge des émeutes à Marseille début juillet, a été remis en liberté vendredi, quarante jours après son placement en détention provisoire, a-t-on appris auprès du parquet et de son avocat.
La décision d’envoyer ce policier de la brigade anticriminalité (BAC) de Marseille derr
ière les barreaux avait provoqué la colère de nombreux de ses collègues à travers la France. Il est désormais « placé sous contrôle judiciaire », a précisé à l’AFP son avocat, Me Pierre Gassend.
Dans le cadre de ce contrôle judiciaire, il a interdiction d’exercer « la profession de fonctionnaire de police », a insisté dans un communiqué la procureure de la République de Marseille, Dominique Laurens.
Christophe « s’est expliqué sur les circonstances de ce tir de LBD, en démontrant qu’il en avait fait l’usage sur le jeune Hedi, alors que celui-ci était en train de lancer un projectile susceptible de menacer l’intégrité de ses collègues », a affirmé Me Gassend, reprenant les explications données par son client devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence début août.
« Christophe a estimé avoir fait son devoir dans l’exercice de ses fonctions, dans un contexte de violences urbaines », a-t-il poursuivi.
« Compte tenu de la pression extrême dans ce dossier, cette remise en liberté ne m’étonne pas », a réagi Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat du jeune Hedi, dont une partie du crâne a dû être amputée par les chirurgiens après son hospitalisation suite à ce tir de LBD puis son passage à tabac par d’autres policiers : « Hedi est effondré. Il est en plus à l’hôpital pour y subir des examens car son état de santé se dégrade. »On va maintenant assister à un déferlement de mensonges entre le tireur et les cogneurs qui vont dire qu’Hedi était menaçant et qu’ils étaient en état de légitime défense. Or les vidéos disent le contraire », a insisté Me Preziosi.
Au total, quatre affaires de violences policières présumées ont donné lieu à l’ouverture d’enquêtes à Marseille, dont une a conduit à la mise en examen de trois policiers du Raid suite au décès de Mohamed Bendriss, 27 ans, très vraisemblablement touché d’un tir de LBD, la même nuit du 1er au 2 juillet où a été grièvement blessé Hedi.
Dans l’affaire Hedi, quatre policiers de la BAC de Marseille ont été mis en examen, pour violences volontaires aggravées par trois circonstances, le fait d’avoir été commises en réunion, avec usage ou menace d’une arme et par personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de leurs fonctions.
Agence France-Presse
Mediapart n’a pas participé à la rédaction de cette dépêche, qui fait partie du flux automatisé de l’Agence France-Presse (AFP).
L’AFP est une agence de presse mondiale d’origine française fournissant des informations rapides, vérifiées et complètes sur les événements qui font l’actualité nationale et internationale, utilisables directement par tous types de médias.
Un épilogue, au moins provisoire, pour l’un des dossiers judiciaires français les plus sensibles : les gendarmes auteurs de l’interpellation à la suite de laquelle Adama Traoré est mort à l’été 2016 ont bénéficié vendredi d’un non-lieu dont la famille a immédiatement annoncé faire appel.
Cette décision, apprise par l’AFP auprès des avocats des deux camps, met pour l’instant un terme à une enquête houleuse, centrée sur des expertises médicales contradictoires.
Elle était attendue, puisque les trois gendarmes interpellateurs n’avaient jamais été mis en examen dans cette affaire, mais seulement placés en novembre 2018 sous le statut de témoin assisté, et parce que le parquet de Paris avait requis un non-lieu en juillet.
Me Yassine Bouzrou, qui défend la famille de ce jeune homme noir mort à 24 ans et qui dénonce de longue date la conduite de l’enquête, a indiqué sur Instagram qu’il faisait appel de cette décision.
« Cette ordonnance de non-lieu qui contient des contradictions, des incohérences et de graves violations du droit déshonore l’institution judiciaire », d’après lui.
L’objectif est, selon l’avocat, que la cour d’appel de Paris « puisse appliquer le droit dans cette affaire en renvoyant les gendarmes devant une juridiction de jugement où un débat contradictoire pourra dire si les violences ayant causé la mort d’Adama Traoré étaient ou non proportionnées et nécessaires ».
Pour lui, « des incertitudes sont mises en avant afin de justifier le non-lieu, or nous ne sommes pas au stade des certitudes mais à celui des charges suffisantes pour qu’un débat contradictoire se tienne » devant un tribunal.
Dans un communiqué transmis à l’AFP, Mes Rodolphe Bosselut, Sandra Chirac-Kollarik et Pascal Rouiller, qui défendent les trois gendarmes impliqués dans l’interpellation, ont au contraire salué une décision « logique et conforme à la réalité » quant au « caractère légitime et proportionné de l’interpellation d’Adama Traoré ».
Malgré l’appel de la famille Traoré, « cette décision met fin à six années de tentatives de réécriture médiatique du dossier qui a voulu présenter nos clients comme des “tueurs” », poursuivent les avocats des militaires, qui « saluent cette réhabilitation tant attendue et méritée ».
« Manquements »
Adama Traoré est mort le 19 juillet 2016 dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) au terme d’une course-poursuite, un jour de canicule où la température avait frôlé les 37 °C.
Il avait été interpellé lors d’une opération qui visait son frère Bagui, suspecté d’extorsion de fonds.
Comme pour Nahel M., tué à Nanterre le 27 juin par un tir policier, l’annonce de sa mort avait suscité plusieurs nuits de violences dans la petite ville de Beaumont-sur-Oise et dans les communes voisines, d’une intensité toutefois nettement moindre.
Depuis, emmenés par sa grande soeur Assa Traoré, militante, les proches du jeune homme accusent les militaires d’avoir causé sa mort et ont fait de son décès un symbole des violences policières et du racisme.
Pour eux, les militaires ont pratiqué un « plaquage ventral » qui a causé une « asphyxie positionnelle » fatale de la victime. Ils soulignent les déclarations initiales de l’un des gendarmes selon lequel Adama Traoré « a pris le poids de nos corps à tous les trois », lors de son menottage dans l’appartement où il s’était caché, sans témoin ni trace vidéo.
Interpellé, Adama Traoré avait ensuite été transporté en véhicule, mais avait eu un malaise en voiture avant de décéder dans la cour de la gendarmerie de la ville voisine de Persan.
La famille accuse les gendarmes de n’avoir pas porté secours au jeune homme, laissé menotté jusqu’à l’arrivée des pompiers.
Ce dossier a fait l’objet d’une âpre bataille d’expertises médicales.
Selon un rapport rendu en janvier 2021 par quatre experts belges, le décès d’Adama Traoré a été causé par un « coup de chaleur » qui n’aurait toutefois « probablement » pas été mortel sans son interpellation par les gendarmes.
Fin juin, la Défenseure des droits (DDD), Claire Hédon, avait relevé une série de « manquements » quant aux secours apportés à Adama Traoré et demandé « des poursuites disciplinaires » contre les trois gendarmes ainsi qu’un quatrième, adjudant-chef, présent à la caserne de Persan.
Mediapart n’a pas participé à la rédaction de cette dépêche, qui fait partie du flux automatisé de l’Agence France-Presse (AFP).
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Le policier mis en examen mercredi 30 août pour « violences » a tenté de dissuader le blessé de porter plainte. Au cours d’un échange téléphonique dont Marsactu publie de longs extraits, l’agent demande à Otman de « faire le mort » s’il ne veut pas se retrouver « avec une procédure » contre lui.
MarseilleMarseille (Bouches-du-Rhône).– « Tu parles pas de ce que tu as eu, que tu as passé la nuit à l’hôpital. Tu dis : “J’ai fait un petit malaise parce qu’il faisait chaud et j’ai pris un coup sur la tête. Mais rien de grave.” » Voici le conseil menaçant que Pascal, agent en fonction à la division centre de Marseille, a donné à Otman, victime de multiples fractures au visage après avoir été frappé par des policiers. Ces paroles ne nous ont pas été rapportées. Elles ont été enregistrées lors d’un échange téléphonique que Marsactu a pu écouter puis authentifier et révéler.
Otman, Marseillais de 36 ans, a été frappé par des policiers le samedi 1er juillet à l’angle de la place Jean-Jaurès et de la rue Saint-Savournin, au sortir d’un tabac pillé. Marseille connaissait sa troisième nuit d’émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk à Nanterre (Hauts-de-Seine). Otman, frappé au visage alors qu’il est maintenu à plat ventre et entravé par des menottes, repartira de l’hôpital de la Timone avec 15 jours d’interruption totale de travail (ITT).
Le parquet, comme l’a révélé Libération, a ouvert l’enquête pour « violences en réunion et avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique », « abus d’autorité » et « menace en vue de déterminer une victime à ne pas déposer plainte ou à se rétracter ». Ce dernier chef fait notamment référence à un enregistrement téléphonique de 16 minutes versé à l’enquête et que Marsactu s’est procuré. On y entend distinctement le fonctionnaire de police, placé en garde à vue le 29 août au matin, dissuader la victime de porter plainte. À ce stade, le parquet de Marseille refuse de commenter une pièce « soumise au secret » de l’enquête.
Selon des sources concordantes, le fonctionnaire mis en examen et placé sous contrôle judiciaire mercredi, comme l’a annoncé La Provence, est âgé d’une cinquantaine d’années et travaille au service interdépartemental de sécurisation des transports en commun (SISTC). Se faisant appeler Pascal, il était présent sur les lieux de l’agression.
Le policier et la victime, qui assume dans nos colonnes avoir un passé judiciaire chargé, se connaissaient déjà. Le fait que ces deux hommes se soient retrouvés sur la Plaine le soir des faits apparaît comme une pure coïncidence. Mais les appels échangés dans les semaines suivantes n’en sont pas. Dans l’enregistrement de l’un d’eux, on entend distinctement le fonctionnaire de police tenter de dissuader la victime de porter plainte.
Dans cet échange, il est clair que Pascal est présent au moment où Otman se « fait éclater la gueule », comme dit ce dernier dans l’appel. C’est même ce policier qui remplit la « fiche de mise à disposition » sur les lieux à 22 h 45, qui fait état de l’interpellation du blessé. Sur cette dernière, consultée par Marsactu, Pascal a noté son numéro de portable. Le même que celui composé par Otman le 25 juillet. L’enregistrement audio transmis aux enquêteurs démarre par un appel de 23 secondes, puis un second, plus long, émis par un numéro masqué. La raison ? Pascal croit savoir qu’il est « sur écoute ».
Dans un premier temps, Otman explique à Pascal qu’un collectif qui lutte contre les violences policières, la Legal Team, le cherche par l’intermédiaire d’un ami. Le policier lui enjoint de ne pas déposer plainte : « Je te le dis, Otman, ils vont t’apporter que des soucis. Ils vont te forcer à faire des choses que tu veux pas. Et tu vas le regretter. Et surtout, tu vas passer dans les journaux. On va voir ta tête. Comme quoi t’es un cambrioleur, comme quoi t’es un émeutier. Je te le dis ! » Et plus loin, encore : « Et tu auras surtout ta tête en photo de partout. Fais gaffe hein, fais gaffe ! » Et en conclusion : « Tu dis à ton collègue : “Moi ça m’intéresse pas, ils vont se faire enculer, moi je suis pour la police…” Tu dis juste ça. »
Faire le mort
En creux, le fonctionnaire de police se montre carrément hostile. Dans l’entretien téléphonique resurgit à plusieurs reprises le fait qu’Otman n’a pas été poursuivi par la justice alors même qu’il a été interpellé à sa sortie du tabac pillé. Deux autres hommes arrêtés au même moment ont été condamnés en comparution immédiate à de la prison ferme pour vol. Mais pas Otman. Sur sa fiche de mise à disposition, aucun délit n’est coché, et deux mentions ont été ajoutées en marge : « non interpellé » et « hosto CHU Timone ».
Les policiers ont « fait une fleur » à Otman, soutient Pascal. Mais l’épée de Damoclès est là et le policier sait l’agiter : c’est la méthode forte. « Si c’est un peu trop médiatisé […], les collègues, ils vont dire : “Ah mais lui, il nous chie dans les bottes, on va reprendre son dossier. Il était là, on s’est pas occupés de lui.” Hop ! ils risquent de te refaire une procédure dans le cul. Tu vois ce que je veux dire ? »,insiste Pascal. Le message est limpide : « Tu fais le mort et surtout, tu dis à ton collègue : “Je m’en bats les couilles. Jamais je déposerai plainte contre la police.” »
Surtout, le policier demande sans détour à Otman de mentir. Les multiples fractures sur son visage ? « Tu dis : “J’ai fait un petit malaise. Les policiers, ils ont appelé les pompiers, c’est tout.” Tu parles pas de ce que tu as eu, que tu as passé la nuit à l’hôpital. Tu dis : “J’ai fait un petit malaise parce qu’il faisait chaud et j’ai pris un coup sur la tête. Mais rien de grave. Et je veux surtout pas déposer plainte contre la police, jamais de la vie” », intime l’agent.
Devant ce mensonge bien peu vraisemblable, Otman joue le jeu de son interlocuteur et propose une version un rien plus crédible : « Je me suis embrouillé avec un mec dans la rue, on s’est foutu dans la gueule et point. » Pascal se montre satisfait : « Voilà, c’est encore mieux, ça. »
Selon Otman, ce coup de fil du 25 juillet conclut un long travail de dissuasion entrepris par le policier. La victime soutient en effet que Pascal serait monté dans le camion des marins-pompiers avec lui. Juste avant son transfert à l’hôpital, durant quelques secondes. Le temps, assure Otman, de demander au blessé sur le brancard s’il comptait porter plainte. Devant sa réponse négative, le policier aurait conclu : « C’est bien. Alors tu vas pas en garde à vue, tu vas à l’hôpital. »
S’ils te retrouvent, ne dis jamais que je t’ai aidé pour avoir un boulot ou que je t’ai eu un téléphone parce qu’ils vont penser…
Pascal, le policier, dans sa conversation avec Otman
L’échange dans le camion des marins-pompiers narré par Otman se déroule sans témoins et n’est pas vérifiable. Mais la pression monte d’un cran quelques jours après l’agression, lorsque Pascal décide de faire à Otman un étrange cadeau. Le blessé a quitté l’hôpital de la Timone sans ses effets personnels. Sa sacoche lui aurait été volée pendant le transfert. Sur un procès-verbal rédigé à 5 heures du matin le dimanche 2 juillet, consulté par Marsactu, un officier de police judiciaire qui contacte l’hôpital précise que le blessé est ressorti en communiquant son adresse postale, mais pas son numéro de téléphone. Logique, pour Otman, qui affirme que son portable lui a été dérobé. Une plainte a été déposée pour « vol ».
Pascal est-il responsable de cette disparition ? Quoi qu’il en soit, le policier décide d’offrir à la victime un portable tout neuf. Dans la conversation enregistrée, le policier confirme cet achat. De même que les démarches qu’il a entreprises pour trouver du travail à Otman dans les jours qui suivent le 1er juillet. Il lui assure qu’un de ses amis va l’embaucher, qu’il aura un salaire correct, mais aussi une mutuelle. « Tu referas tes dents », dit-il, lorsque Otman précise qu’elles ont été « éclatées » le soir où il a été molesté.
Néanmoins, Pascal précise bien à Otman que ce lien entre eux doit rester secret. « Si jamais d’aventure – normalement ils peuvent pas te retrouver – mais s’ils te retrouvent, ne dis jamais que je t’ai aidé pour avoir un boulot ou que je t’ai eu un téléphone parce qu’ils vont penser… Tu vois ce que je veux dire ? », glisse Pascal sans aller au bout de sa phrase. Le « ils » fait référence à l’IGPN, la police des polices, que Pascal veut éviter à tout prix. « Les mecs de l’IGPN, ils vont te poser 50 000 questions. Et la moindre petite faille dans la réponse, ils vont s’engouffrer dedans pour mieux nous niquer ! Enfin pas que moi, mais tous les collègues. Tu vois ce que je veux dire ? »
BFM, Macron et l’IGPN
Il faut dire que le policier ne semble pas beaucoup apprécier le fonctionnement – voire l’existence même – de l’IGPN. À ses yeux, en France, « on marche sur la tête ».Il s’en ouvre d’ailleurs à Otman : « Normalement quand tu t’es fait frapper par la police, c’est toi qui vas déposer plainte au commissariat, d’accord ? »
« D’accord », approuve Otman. Pascal embraye : « La plainte, elle part à l’IGPN. Et l’IGPN après, ils regardent s’ils suivent la plainte, s’ils peuvent mettre des flics en prison. Mais là, c’est le contraire ! C’est la police des polices, l’IGPN, qui cherche des victimes ! C’est un truc de fou ! »
Dans le raisonnement de Pascal, l’IGPN est le dernier maillon d’une chaîne politico-médiatique qui cherche à « niquer » les policiers, comme il l’explique longuement à son interlocuteur. Côté politique : « Les mecs de LFI, de Mélenchon, les mélenchonistes, c’est des mecs d’ultragauche, des enculés, qui détestent l’État et qui détestent la police. » Côté médiatique : « Les chaînes, TF1, M6, France 2, BFMTV, sont aux ordres de Macron, […] y a que CNews qui sort du lot. » En résumé, des « nuisibles », des « ordures » qui nourrissent l’objectif de « mettre les policiers en prison ».
Comment Pascal le policier justifiera-t-il les manœuvres révélées par cet enregistrement ? À l’heure où cet article a été publié, le fonctionnaire était toujours entendu par les enquêteurs de l’IGPN, et n’a donc pas pu être contacté par Marsactu. Son implication précise dans les coups donnés à Otman fait partie des éléments qu’il reste à déterminer.
Coralie Bonnefoy et Clara Martot Bacry (Marsactu)
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Le nouveau variant du Covid-19, BA.2.86, surveillé attentivement par l’OMS, a été détecté pour la première fois en France, a indiqué ce jeudi 31 août à l’AFP Santé Publique France, confirmant une information du « Parisien ».
Ce membre de la famille Omicron est particulièrement scruté en raison d’un « plus grand nombre de mutations », le rendant « susceptible d’évoluer de façon plus importante et de se répandre plus facilement », a rappelé la semaine dernière la présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) Brigitte Autran.
Ce cas de variant a été détecté dans le Grand Est, a précisé Santé Publique France, soulignant avoir « lancé une investigation pour récolter les informations épidémiologiques permettant de documenter ce premier cas ».
Ce variant avait été détecté jusqu’ici dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis, le Danemark ou Israël, mais pas encore en France.
Des niveaux de maladies et de décès comparables à la pandémie pas attendus
L’OMS a décidé de classer ce nouveau variant, surnommé « Pirola » sur les réseaux sociaux, dans la catégorie des variants sous surveillance en raison du très grand nombre (supérieur à 30) de mutations du gène Spike qu’il porte.
C’est la protéine Spike qui donne au virus son aspect hérissé et c’est elle qui permet au SARS-CoV-2 de pénétrer les cellules de l’hôte.
Même si BA.2.86 provoquait un pic majeur d’infections, « nous ne nous attendons pas à voir des niveaux comparables de maladies graves et de décès par rapport à ce que nous avons fait plus tôt dans la pandémie lorsque les variantes Alpha, Delta ou Omicron se sont propagées », avait récemment commenté François Balloux, qui dirige la chaire de bio-informatique à l’University College de Londres.
LA MESSAGERIE DU CRIME (1/5). « L’Obs » raconte les coulisses du décryptage de la messagerie canadienne sécurisée, prisée des narcotrafiquants, qui a permis aux polices européennes de déjouer des crimes, de faire tomber leurs auteurs et de mieux comprendre l’organisation des trafics. Tout démarre fin 2016, en Belgique, avec la saisie dans des affaires de cocaïne de téléphones équipés d’une obscure application…
Ce 23 février 2021, Jean-François Eap adresse un message aux 160 000 utilisateurs de son service de communication crypté Sky ECC. Un faux article du « Washington Times » mettant en doute la fiabilité de son application de téléphonie sécurisée circule alors sur le web. Un mauvais coup derrière lequel il perçoit l’ombre de ses concurrents. « Sky ECC est impiratable. Nous sommes fiers de disposer de la plateforme de communication la plus sûre du monde », écrit le start-upper canadien signant son message d’un simple « Jean, PDG et fondateur ». Pour prouver ses dires, il annonce offrir 5 millions de dollars à celui qui parviendra à « hacker » sa messagerie.
Cas d’hubris 2.0 : il l’ignore alors mais, quelques jours plus tôt, dans le cadre d’une enquête de longue haleine, les policiers belges, français et néerlandais ont réussi à discrètement pirater la plateforme qu’ils soupçonnent d’être essentiellement utilisée par des membres du narcobanditisme. « Nous n’avons pas eu l’outrecuidance de réclamer la récompense », ironise aujourd’hui Nicolas Guidoux, sous-directeur de la lutte contre la cybercriminalité à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ).
1,5 milliard de messages interceptés
A défaut d’empocher la récompense, les enquêteurs sont tombés sur une véritable mine d’or. Cette infiltration policière va déboucher sur la plus grosse fuite de données sur le crime organisé avec près de 1,5 milliard de messages interceptés. De véritables « narcos leaks » : sur la plateforme, les criminels discutaient sans précaution de conteneurs de cocaïne à expédier ou de cibles à exécuter.
« Le système de cryptage des communications contribuait à mettre en confiance les malfaiteurs qui, se sentant de fait à l’abri de toute interception, procédaient sans précaution dans leurs échanges, allant jusqu’à poser avec les futures victimes d’assassinat alors que, dans le même temps, ils mettaient localement tout en œuvre pour effacer le produit de leur crime », écrit un policier français dans un procès-verbal (PV).
Depuis la chute de cette « messagerie du crime », les services de police européens enchaînent les coups de filet et les saisies record. Selon les chiffres du parquet de Paris, l’opération aurait permis à ce jour l’arrestation dans le monde de 5 270 personnes, la saisie de 172 tonnes de cocaïne et de 187 tonnes de résine de cannabis, mais également la confiscation de près de 700 millions d’euros de liquidités et de biens non mobiliers. A l’automne s’ouvrira ainsi à Bruxelles le plus vaste procès lié à l’« affaire Sky ECC » : 125 prévenus doivent y comparaître dans une salle d’audience délocalisée en périphérie de la ville dans une ancienne base de l’Otan.
L’analyse de la masse des données collectées a également permis de remettre à jour la cartographie de la criminalité organisée en Europe, révélant l’ampleur de la corruption comme celles des importations de cocaïne et des montants financiers en jeu.« Sky ECC a démontré que la force financière des groupes criminels, spécialement dans le trafic de drogue, dépasse largement les analyses produites à ce jour », écrit le Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) dans son dernier rapport. « La chute de Sky ECC marque un tournant dans la lutte contre le crime organisé », confiait lors d’une récente conférence Jean-Philippe Lecouffe, le directeur exécutif adjoint des opérations d’Europol, l’agence de coopération entre les polices européennes. « Cette affaire nous a déniaisés sur la réalité du crime organisé et sur les menaces que celui-ci fait peser sur la nation », confie-t-on au parquet de Paris.
Drôles de téléphones, Mocro Maffia et café malfamé
L’enquête, sans doute la plus vaste jamais menée en Europe, débute fin 2016 en Belgique. Dans le cadre d’affaires liées au port d’Anvers, première porte d’entrée de la cocaïne sur le Vieux Continent, les policiers saisissent à plusieurs reprises des téléphones équipés d’une application inconnue de leurs services dont ils se montrent incapables de déchiffrer le contenu. D’autant plus que celui-ci semble s’effacer à distance une fois les propriétaires des appareils arrêtés.
De l’autre côté de la frontière, les policiers néerlandais s’intéressent eux aussi à ces drôles de téléphones qu’ils voient apparaître dans un nombre croissant d’affaires. Le 29 mars 2018, le patron d’une agence de publicité est assassiné dans ses bureaux à Amsterdam. La victime est le frère de Nabil Bakkali, un tueur à gages repenti. Six jours plus tôt, ce dernier a obtenu le statut de « témoin de la Couronne » dans l’enquête visant Ridouan Taghi, Néerlandais d’origine marocaine considéré comme le parrain de la Mocro Maffia, nébuleuse criminelle présente aux Pays-Bas et en Belgique. Selon les premiers éléments de l’enquête, le suspect de l’assassinat communiquait par le biais de Sky ECC avec Taghi, alors en cavale à Dubaï – il sera arrêté en décembre 2019.
Les policiers belges et néerlandais enquêtent de concert et cherchent à en savoir plus sur Sky ECC. Première découverte : si la plateforme canadienne possède son propre site internet, il s’avère impossible d’y commander directement ses téléphones. Après avoir pris contact par e-mail, le client potentiel se voit adresser en retour le tarif des appareils et des abonnements – autour de 600 euros pour trois mois –, ainsi que le courriel du revendeur le plus proche de chez lui.
Les Belges lancent une première opération d’infiltration : il s’agit d’acquérir un de ces appareils. Ils découvrent alors un réseau de commercialisation des plus surprenants. « Un rendez-vous était alors donné, le cas présent dans une arrière-boutique d’un café malfamé, avec un revendeur. Ce dernier n’acceptait que l’argent liquide et ne demandait aucun justificatif de domicile, ni aucune pièce d’identité. De plus, aucune facture ou document de vente n’était remis », explique un PV. De quoi intriguer les policiers. Lors de l’infiltration suivante, ils tombent sur deux revendeurs porteurs de bracelets électroniques, visiblement pas vraiment engagés dans un projet de réinsertion professionnelle.
Même constat, côté néerlandais : un des revendeurs s’est révélé avoir été condamné pour des faits d’homicide et de possession de stupéfiants. Ce dernier donne, en outre, rendez-vous à l’agent infiltré dans une boutique de téléphonie d’Amsterdam défavorablement connue des services de police néerlandais, selon l’expression consacrée. « Ces dernières années, de nombreux criminels avec différents antécédents ont été observés au magasin », explique un PV néerlandais.
Une villa à 6 millions
Cet univers semi-clandestin contraste avec celui dans lequel évolue Sky Global Holdings Inc, la société mère de Sky ECC. Basée à Vancouver, ville de la côte ouest du Canada réputée pour son dynamisme et sa douceur de vivre, la start-up occupe un étage entier de la Jameson House, un gratte-ciel rutilant du quartier d’affaires construit par l’agence du célèbre architecte Norman Foster. Jeune entrepreneur de la tech, Jean-François Eap colle aux canons du genre : bouille ronde de gamin, tee-shirt de fonction, présence erratique au bureau. Outre Sky Global, il dirige une vingtaine d’entreprises dont un restaurant japonais spécialiste du « hand roll ».
Le trentenaire travaille en famille. Réfugié cambodgien devenu ingénieur sur le tard, son père gère la partie technique. Occupant un bureau mitoyen de son fils, sa mère supervise la comptabilité, tout en veillant sur le moral des soixante salariés. Les locaux de la start-up hébergent également la société de design d’intérieur de sa compagne, Jennifer, née à Pékin. En 2017, ce couple à succès a acquis pour 6 millions d’euros une propriété sur les hauteurs verdoyantes de la capitale de la Colombie-Britannique. Pas mal pour un entrepreneur ayant commencé son aventure dans un petit studio dix ans plus tôt.
Si Sky Global commercialise plusieurs applications, parmi lesquelles une de cryptomonnaies et une autre de cartes-cadeaux, son produit phare demeure sa messagerie ultrasécurisée. Une plateforme destinée à des « personnes et des industries ayant des préoccupations accrues en matière de confidentialité », selon le marketing de la société. Dans les couloirs, il se murmure que le rappeur Drake figure parmi les utilisateurs. « Notre clientèle est un étrange mélange. Nous avons honnêtement de tout, des prostituées aux journalistes, aux espions, aux cadres dirigeants », dira un des distributeurs de Sky ECC.
Un « code sous pression »
En apparence, ces téléphones cryptés ressemblent à des appareils des plus classiques : il s’agit de BlackBerry, d’iPhone ou de Google Pixel… A un détail près : la plupart des fonctionnalités (caméra, microphone, sortie USB…) ont été désactivées. Une fois la technologie de cryptage installée, seuls les échanges entre utilisateurs Sky sont possibles.
En outre, ces téléphones disposent d’un « mode furtif » dissimulant l’application sous l’icône de la calculatrice et d’un « code sous pression » permettant d’effacer instantanément toutes les données. « Si un policier tentait de le faire, ça réinitialisait le téléphone comme un téléphone normal », expliquera un revendeur serbe aux enquêteurs français. Se disant attachée à la vie privée de ses utilisateurs, la société canadienne affirme ne pas disposer de leurs identités réelles et ne pas collaborer avec les services de police.
Pour les enquêteurs belges et néerlandais, aucun doute : sous couvert de discours marketing aux accents libertariens, Sky Global fournirait sciemment aux organisations mafieuses, par le biais de canaux de commercialisation occultes, une application facilitant la perpétration de leurs crimes.
Des serveurs à Roubaix
Dans le cadre de leur enquête, ils ont remarqué une particularité intéressante : les deux serveurs de Sky ECC sont hébergés chez OVH, une société française basée à Roubaix (Nord). Fin 2018, ils adressent donc une demande d’entraide à la justice française.
A l’époque, ces téléphones commencent aussi à apparaître dans les radars des policiers français. Dans une conversation téléphonique interceptée, un trafiquant en fuite au Maroc et son beau-frère resté en France évoquent la nécessité de se parler désormais par le biais de ces appareils :
« J’ai récupéré un téléphone, mais je sais pas si ça marche avec le tien, explique le beau-frère. – Un Sky ? – Ouais. – Euh… Nan nan, ça marche pas. – Vas-y, vas-y. Dans ton entourage, y’a personne qu’y en a un ? – Euh, si… Envoie, bah si, envoie-moi, envoie-moi ton adresse. »
En février 2019, une enquête préliminaire est ouverte au parquet de Lille pour association de malfaiteurs et infraction à la législation sur les moyens de cryptologie, la société canadienne n’ayant pas rempli ses obligations en la matière. Nom de code de l’enquête : « Vanilla », une référence au film « Vanilla Sky » (2001), de Cameron Crowe, avec Tom Cruise.
Mi-juin, les policiers français placent un système d’interception des communications sur les serveurs Sky ECC à Roubaix. La mission s’avère délicate. « Quand vous pénétrez dans un système, même si vous le faites de la manière la plus discrète possible, vous laissez toujours une trace », explique Nicolas Guidoux, à la DCPJ. Chez Sky Global, personne ne remarque l’intrusion.
« El Chapo is back »
L’enquête prend alors un tournant. Sous l’égide d’Europol, une équipe commune d’enquête se met en place. En France, le dossier ouvert à Lille est transmis à la Juridiction nationale Chargée de la Lutte contre la Criminalité organisée (Junalco), basée au parquet de Paris qui vient alors de voir le jour. Dans un premier temps, toutes les communications sont enregistrées dans l’espoir d’être un jour déchiffrées. En attendant, les enquêteurs font une nouvelle et réjouissante découverte : une partie des métadonnées (dates des messages, pseudonymes, noms des groupes…) circule en clair entre les deux serveurs. En les croisant avec des bornages téléphoniques et d’autres données, elles permettent de livrer des informations pertinentes sur les utilisateurs.
Un premier constat frappe les enquêteurs : de nombreuses conversations de groupes portent des noms suggérant une activité criminelle : « Vendetta 2 », « El Chapo is back » ou encore « 730 » ou « 1700 », soit les numéros de quais sensibles du port d’Anvers…
Deuxième constat : le service support de Sky reçoit de fréquentes demandes d’effacement à distance. Tout comme les revendeurs, parfois dans des messages qui laissent peu de doutes sur les activités des utilisateurs : « Salut, fréro peux-tu effacer ce téléphone, il a été arrêté […] Et pourrais-tu préparer deux nouveaux téléphones pour demain », écrit ainsi un client belge.
Autre découverte : 10 % des utilisateurs mondiaux sont localisés en Belgique. Et parmi ces utilisateurs belges, 70 % sont localisés dans la région d’Anvers. De nombreux appareils activent aussi l’itinérance à Dubaï, lieu de refuge des criminels – en particulier des têtes de réseaux.
Collecte des espèces
A l’époque, les policiers européens ne sont alors pas les seuls à s’intéresser à Sky ECC : les services américains mènent leurs propres investigations. Elles portent sur des soupçons de blanchiment de la part des dirigeants. En mai 2020, ils adressent une demande d’entraide à la Belgique : un associé de Sky serait à la recherche d’un contact sur place pouvant récupérer des sommes en espèces, les convertir en bitcoins et les envoyer ensuite au Canada. L’argent correspond aux revenus devant être reversés à la société mère.
Un agent infiltré belge joue les collecteurs. Il se voit remettre 560 000 euros en trois fois. « Les billets […] empestaient les produits chimiques, ce qui suggère qu’ils pourraient avoir été présents à un moment donné dans un ou plusieurs labos de drogues », indique un rapport de police sur l’opération.
t des trafiquants : s’appuyant sur des distributeurs et revendeurs occultes, Sky ECC fait ensuite remonter l’argent par un mécanisme de collecte d’espèces auprès des points de vente. « Le cash était ensuite échangé contre des cryptomonnaies par des banquiers parallèles spécialisés dans la compensation », explique le Sirasco dans son dernier rapport.
La chute d’EncroChat
A l’été 2020, un dossier parallèle vient bousculer l’enquête. Le 2 juillet, les cybergendarmes français et la police néerlandaise annoncent le démantèlement d’EncroChat, une messagerie cryptée concurrente elle aussi prisée des criminels. L’opération peut s’avérer à double tranchant. D’un côté, la chute d’EncroChat peut provoquer une migration des utilisateurs vers Sky ; de l’autre, elle peut aussi nourrir les doutes de certains à l’égard de ces téléphones chiffrés. Les jours suivants, les policiers constatent d’ailleurs que de nombreux utilisateurs s’enquièrent d’éventuelles failles auprès du service support de Sky.
La start-up, elle, cherche à profiter de la chute du concurrent. Pour ce faire, Jean-François Eap lance son premier concours de hacking : « Essayez de craquer notre système de cryptage impénétrable SKY ECC et gagnez 1 000 000 USD [dollars américains] », écrit-il le 18 juillet 2020. Destiné à séduire de nouveaux clients comme à rassurer les anciens, le coup de com porte ses fruits : le nombre de téléphones Sky en circulation passe de 80 000 en avril 2020 à 145 000 en novembre 2020. Pour le plus grand bonheur des policiers.
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