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Historiquement, le monde arabe a toujours eu des positions marquées sur le conflit israélo-palestinien. Au cours des trente dernières années, deux principaux groupes se sont distingués. D’un côté les pays qui avaient officialisé des accords de paix avec Israël et reconnu son existence. C’était l’Égypte et la Jordanie. Face à eux, existait ce que l’on nommait le camp du refus. Aujourd’hui, la dynamique a sensiblement évolué puisque plusieurs pays ont signé les accords d’Abraham en décembre 2020, marquant une nouvelle phase de relations avec Israël : les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan. Malgré cette ouverture, un camp du refus demeure, principalement structuré par l’axe de puissance iranienne dans la région. Il englobe des pays tels que l’Irak, la Syrie et, dans une certaine mesure, le Liban, principalement en raison de l’influence du Hezbollah.

Les Émirats arabes unis, tout comme Bahreïn bien que d’une manière plus modeste, ont établi des relations diplomatiques avec Israël par le biais des Accords d’Abraham. Cette démarche les distingue de certains de leurs voisins. Contrairement au Maroc, les Émirats arabes unis n’ont pas eu de présence de population juive importante dans leur histoire récente. Leur position géographique et leur puissance régionale en font toutefois des acteurs clefs de la crise diplomatique ouverte par la guerre de Soukkot. La tenue des Accords d’Abraham dépend en partie de la réaction d’Israël face à certaines situations. Cela peut limiter les Émirats dans leurs actions, tout en leur offrant une opportunité de jouer un rôle de médiateur dans la région. En termes de géopolitique régionale, le Qatar se distingue par son rôle de soutien financier de premier plan du Hamas, créant ainsi un point de tension potentiel avec les Émirats arabes unis. Malgré cette rivalité, les deux pays restent paradoxalement parmi les zones les plus stables en cas de tensions régionales accrues : Dubaï, en particulier, est considérée comme un bastion investi par l’ensemble des parties prenantes à tous les conflits régionaux, voire internationaux. Une question cruciale est de savoir quel serait le seuil, en termes de victimes palestiniennes à Gaza, en Cisjordanie ou au Liban, qui pousserait les Émirats arabes unis, mais aussi le Maroc, à reconsidérer les Accords d’Abraham. Bien qu’il soit difficile d’évaluer un tel seuil, ces accords, difficiles à conclure, seraient probablement maintenus, sauf en cas de catastrophe d’une ampleur inimaginable. À long terme, il est peu probable que ces pays rompent totalement leurs liens avec Israël. Ces États pourraient adopter toute une gamme de discours nuancés pour signaler leur préoccupation, leur condamnation tout en cherchant à proposer des solutions diplomatiques, de façon à signaler leur nouveau rôle de puissance médiatrice régionale.

En termes de géopolitique régionale, le Qatar se distingue par son rôle de soutien financier de premier plan du Hamas, créant ainsi un point de tension potentiel avec les Émirats arabes unis.

HUGO MICHERON

L’Arabie saoudite occupe aujourd’hui une position très singulière et elle est fragilisée par la guerre de Soukkot. Sous la direction de Mohammed ben Salmane (MBS), elle avait amorcé une politique audacieuse de rapprochement et de normalisation avec Israël. Cette démarche aurait pu être concrétisée cet automne ou en 2024. Mais une escalade du conflit pourrait suspendre durablement cette dynamique et, par extension, remettre en cause une grande partie de la stratégie suivie jusque-là par le prince héritier, dont l’argument principal auprès de la communauté internationale a été que la région serait plus stable et plus calme sous sa houlette. En réalité, malgré ces promesses, l’Iran continue de disposer de moyen d’atteindre indirectement Israël via le Hamas et le Hezbollah et donc de perturber les plans du rival saoudien.  La question de la capacité réelle de l’Arabie saoudite à juguler la situation actuelle est posée et la réponse à celle-ci déterminera fortement les tendances dans la nouvelle période que cette crise semble dessiner. Dans l’immédiat, la position d’un Iran fragilisé par les manifestations et les protestations populaires a été renforcée. Mais on voit difficilement comment Israël ne chercherait pas, en même temps que de « détruire le Hamas » à réduire également à la capacité que l’Iran a de semer indirectement la terreur sur le sol israélien. Bref, malgré ses atouts financiers et diplomatiques, l’Arabie saoudite doit réfléchir à la manière de gérer cette situation complexe. Pour l’instant, les déclarations de la diplomatie saoudienne, appelant à l’intervention de la communauté internationale après avoir souhaité jouer le rôle d’hégémon régional, pourraient être perçues comme un signe de faiblesse.

La position algérienne mérite aussi d’être évoquée. Très vite, le pays a tenu un discours très ferme de soutien au Hamas. Pourtant, elle n’appartient pas à l’axe de puissance iranienne. Elle a adopté dès le début, des positions très similaires à cet axe, pour trois raisons. D’abord, il y a une question de voisinage : la position algérienne tient en grande partie à ses tensions diplomatiques avec le Maroc. L’Algérie a vivement critiqué les Accords d’Abraham et utilise le soutien au Hamas pour mettre son voisin en difficulté, alors que celui-ci peine à concilier ses engagements diplomatiques avec la volonté populaire, largement en faveur du Hamas. Ensuite, la diplomatie algérienne suit une direction de plus en plus ouvertement anti-occidentale. On l’a vu dans d’autres contextes, comme avec la guerre en Ukraine, où l’Algérie a immédiatement soutenu la Russie, rappelant ainsi ses liens historiques avec l’URSS. Enfin, historiquement, l’Algérie se trouve dans le camp du refus lorsqu’il s’agit de la question israélo-palestinienne. Mais ce facteur historique n’est pas le seul en jeu : la dynamique politique interne joue également un rôle crucial. L’actuel régime algérien fait face à une population majoritairement jeune, confrontée à de hauts taux de chômage. Celle-ci est par ailleurs animée d’un ressentiment profond envers Israël : utiliser le conflit externe pour canaliser une partie de la frustration politique interne permet de réduire la pression sur le régime. C’est une tactique ancienne et éprouvée — que la guerre de Soukkot ramène au premier plan.

Pour l’instant, les déclarations de la diplomatie saoudienne, appelant à l’intervention de la communauté internationale après avoir souhaité jouer le rôle d’hégémon régional, pourraient être perçues comme un signe de faiblesse.

HUGO MICHERON