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Rédigé le 15/10/2023 à 15:40 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Contraints de quitter la moitié nord de la bande de Gaza sous la menace de l’offensive terrestre de l’armée israélienne, les Palestiniens ne disposent pas des moyens de subsistance les plus élémentaires.
En pleurs, la directrice de l’école de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, ne trouve pas les mots faire comprendre le chaos. Alors elle se contente de convoquer un chiffre : 15 000 réfugiés palestiniens ont trouvé asile dans son seul établissement en l’espace de 24 heures.
Tous sont partis dans l’extrême urgence, sans provisions, du nord de l’enclave palestinienne. Tous ont fui l’offensive terrestre imminente de l’armée israélienne. Très vite, le chiffre est monté à 22 000, et d’autres arrivent encore.
Impossible de faire face, alors que 1,1 million de personnes vivent dans la partie nord du territoire. « Je suis la responsable de ce centre de mise à l’abri, et je ne peux rien leur offrir, ni eau, ni nourriture », se désespère-t-elle, gilet bleu de l’UNRWA (l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens) sur le dos. « S’il vous plaît, je vous en supplie, sauvez Gaza. Il meurt, il meurt, il meurt », lance-t-elle dans son SOS via une vidéo diffusée en ligne samedi soir.
Son cri témoigne de l’aggravation d’une situation déjà intenable, depuis l’ordre lancé vendredi 13 octobre par l’armée israélienne d’évacuer « tous les civils de la ville de Gaza de leurs domiciles vers le Sud, pour leur propre sécurité et protection ». Dimanche 15 octobre, sous la pression de cet ultimatum, le nombre de personnes déplacées a considérablement augmenté, atteignant le million, pour une population totale de 2,3 millions d’habitants.
La rivière Wadi Gaza sert de ligne de démarcation à cette injonction. Cela faisait peu de temps qu’au prix d’efforts titanesques des Palestiniens et de la communauté internationale, l’eau coulait de nouveau dans son lit. Le symbole de renaissance servira finalement de limite au sud de laquelle la population devrait être épargnée par les frappes et le déploiement des troupes dont l’objectif est de « liquider » le Hamas, organisation islamiste responsable de l’attaque sanglante lancée le 7 octobre contre Israël.
« On a l’impression que le droit à la vie a été éteint », résume Hussein Owda, père de famille délogé trois fois en une semaine par le déluge de bombes, avant d’atterrir lui aussi dans l’école de Khan Younès. De son appartement flambant neuf du quartier d’Al-Karama, dans la ville de Gaza, tout d’abord. Totalement pulvérisé. Ensuite de la maison voisine des parents de sa femme. « Par un miracle du sort, j’ai réussi à extraire ma voiture des décombres et nous nous sommes enfuis, notre pare-brise brisé, nos sièges couverts de verre brisé. » Enfin la famille a pris la route un peu plus au sud pour rejoindre un parent qui logeait déjà 13 autres ménages.
C’est à ce moment qu’est tombé l’ordre israélien, appuyé par l’intensification des frappes. « Notre survie, si nous pouvons l’appeler ainsi, signifie préserver nos signes vitaux, mais la question demeure : survivrons-nous réellement ?, s’interroge-t-il. J’ai toujours été contre la violence, aspirant à la paix et défendant l’humanité et les droits. Au milieu de cette immense impuissance et de cette injustice profondément enracinée, je me retrouve à remettre en question le silence du monde. »
Pour l’heure, l’Égypte, seule voie de sortie vers le sud, via le poste frontière de Rafah, freine autant qu’elle peut l’accueil de camps de réfugiés dans le Sinaï. Le Caire place tous ses efforts diplomatiques dans l’acheminement de l’aide humanitaire internationale, non garanti à ce stade par Israël, qui exerce un « blocus total » sur la bande de Gaza. Le président Abdel Fattah Al Sissi propose d’organiser prochainement un « sommet régional et international sur l’avenir de la cause palestinienne », mais refuse « le déplacement de populations qui vise à en finir avec la cause palestinienne aux dépens des pays voisins ».
À Khan Younès, le plus extrême dénuement pousse certains à envisager l’impensable, témoigne Monther Shoblaq, directeur général du plus important service des eaux du territoire palestinien, dont la structure ne fonctionne plus depuis six jours. Tout le monde n’a pas eu la chance, comme lui, de rejoindre une maison familiale. « Une majorité de la population a décidé de rester dans la ville de Gaza et ailleurs dans le Nord. Pire, certains, arrivés jusqu’ici, envisagent même d’y retourner. » Dimanche après-midi, la Maison-Blanche affirmait qu’Israël lui avait annoncé le rétablissement de l’eau dans le sud de Gaza.
https://www.la-croix.com/international/Bande-Gaza-exiles-Sud-luttent-leur-survie-2023-10-15-1201286936
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Rédigé le 15/10/2023 à 15:21 dans Israël, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Les anges ne meurent pas
Repose en paix Razane
Ziad Medoukh
Les haineux ont tiré sur ton cœur blanc
Ils ont touché ton corps fragile
Ils ont atteint ton visage enfantin
Ta robe blanche devient rouge et ensanglante
Toi l’infirmière ambulancière volontaire
Toi qui soignait les blessés sur les frontières
Toi, tu n’avais jamais peur de leurs balles réelles
Toi la secouriste sans fatigue
Toi, l’engagée pour ta cause juste
Toi, la pacifiste sans haine
Toi l’humaniste par excellence
Toi, la voix des opprimés
Toi, qui sauvait les vies bénévolement
Toi, la lune de notre retour
Toi, la force et le courage de la jeunesse déterminée
Toi, la dignité de tout un peuple
Aux larmes dans tes obsèques
Ton enterrement est un honneur pour ton combat
Un grand hommage pour ton soutien aux blessés
Les ennemis de la vie ont abattu une ange sur terre
Silence, on tue les infirmières à Gaza !
Silence, on assassine les innocents de Gaza !
L’injustice se poursuit !
Ton sourire est résistance
Ton rêve inachevé est combat
Ton courage est un défi du blocus immortel
Tes mains douces sont révolution
Ta patience est liberté
Ta colère est droit
Ton aide aux blessés est un cri légitime contre l’injustice
Ton assassinat est une honte pour cette occupation aveugle
Ta mort est une honte pour ces instances officielles
Ta disparition est une honte pour ce monde qui se dit libre
Ton départ est une perte pour Gaza et pour les braves solidaires
Mais ces occupants aveugles n’apprennent rien de l’histoire :
Ces criminels de guerre ne connaissent rien de cette réalité :
On n’enterre pas la lumière éternelle
Ils ont oublié que les anges ne meurent pas
Repose en paix Razane
Toi, force , ténacité , et espoir pour la Palestine !
Toi, la colombe de la paix palestinienne !
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ZIAD MEDOUKH
Razane Al Naijar , infirmière palestinienne de 21 ans, lâchement exécutée le 1er Juin 2018 d'une balle dans le coeur par une tueuse sioniste, originaire de Boston, servant dans la force de défense israélienne (Fdi) ...!
http://emmila.canalblog.com/archives/2018/06/03/36456562.html
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Rédigé le 15/10/2023 à 14:52 dans Israël, Palestine | Lien permanent | Commentaires (0)
Ziad Medoukh est un professeur de français, écrivain et poète palestinien d’expression française. Titulaire d’un doctorat en sciences du langage de l’Université de Paris VIII, il est responsable du département de français de l’Université al-Aqsa de Gaza et coordinateur du Centre de la paix de cette université. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant la Palestine, et la bande de Gaza en particulier, ainsi que la non-violence comme forme de résistance. Il a notamment publié en 2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, un recueil de poésies sur sa ville natale et son amour de la patrie. Ziad Medoukh a été fait chevalier de l’ordre des Palmes académiques de la République française en 2011. Il est le premier citoyen palestinien à obtenir cette distinction. En 2014, Ziad Medoukh a été nommé ambassadeur par le Cercle universel des ambassadeurs de la paix. Il a remporté le premier prix du concours Europoésie en 2014 et le prix de la poésie francophone pour ses œuvres poétiques en 2015.
Voici son dernier message datant du 14/10/2023
http://emmila.canalblog.com/archives/2023/10/15/40074691.html
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Rédigé le 15/10/2023 à 14:41 dans Israël, Palestine | Lien permanent | Commentaires (0)
Ne dis pas ce qu’il ne faut pas dire…
Sous peine de te faire bannir.
Ne dis pas : oui, mais !
Dis : mais oui, toute menace vient du Hamas !
Si tu ne le dis pas, c’est que tu es à l’Hamas !
Ne dis pas : qu’Israël n’a eu que ce qu’il mérite
Si tu le dis, on dira que tu es pire qu’un antisémite.
Rebelle ou pas, tu n’as pas le droit de l’ouvrir.
Car ce n’est pas toi, c’est Israël qui a tous les droits !
Y compris celui de te la fermer, à tout jamais…
Comme il s’apprête à le faire, comme il l’a déjà fait.
Dis que la vermine veut la mort d’Israël
Mais ne dis pas qu’Israël veut la mort de la Palestine.
Ne dis pas : qu’Israël n’a pas vu venir le mal
Parce qu’il a tout fait pour le faire advenir
Et laisser au monde le soin de le détruire !
Dis : le mal c’est l’islam radical
Mais ne dis pas : qu’Israël est plus radical que le mal
C’est lui qui tue, mais
c’est toi qui as les mains sale.
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Rédigé le 15/10/2023 à 14:21 dans Israël, Lejournal Depersonne, Palestine | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 15/10/2023 à 13:40 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
« Au cœur des accords d’Évian » (1/4). Comment ont été reçus les accords du 18 mars 1962 ? Quelles ont été leurs conséquences immédiates ? À l’occasion du 60ème anniversaire de leur signature, l’historien Benjamin Stora revient sur ce tournant pour l’Algérie et la France.
De g. à dr. : Mohamed Seddik Benyahia, Krim Belkacem, Saad Dahleb, le général de Gaulle, Louis Joxe et Benjamin Stora © Montage JA : AFP; Keystone-Gamma via Getty (X2); Lochon/Gamma via Getty; DR
C’était il y a 60 ans, le 18 mars 1962. La signature des accords d’Évian entre les représentants de la République française et ceux du FLN et du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) mettait fin sinon aux hostilités – l’OAS est toujours active et il y aura encore des victimes algériennes et européennes du conflit jusqu’en juillet –, du moins aux combats entre les indépendantistes et l’armée française. Un cessez-le-feu doit en effet intervenir dès le lendemain, le 19 mars. Et un processus permettant aux Algériens de bénéficier sous peu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est enclenché. La guerre d’Algérie sera bientôt finie, le FLN ayant atteint ses objectifs.
Mais comment cet événement a-t-il été vécu par les différentes parties au conflit ? Et quelles en ont été les conséquences à court et à long terme, directes ou indirectes ? Les accords ont-ils d’ailleurs été respectés ? Répondre à ces questions, même plus d’un demi-siècle après Evian, ne va pas toujours de soi. Co-auteur avec Georges-Marc Benamou de l’ambitieuse série documentaire C’était la guerre d’Algérie (5 épisodes diffusés sur France 2 les 14 et 15 mars), Benjamin Stora, le plus connu des spécialistes de la guerre d’Algérie, n’hésite pas à bousculer les idées reçues. Entretien.
Jeune Afrique : Si les Algériens étaient dans la rue en décembre 1960 pour soutenir le FLN, ils n’ont guère fêté les accords d’Evian. Pourquoi cette retenue ?
Benjamin Stora : Au moment de la signature des accords, la population algérienne est encore méfiante. Les assassinats ciblés, les attentats de l’OAS, les tirs de mortier sur les quartiers musulmans – qui sont le quotidien depuis des mois, et encore plus depuis le début de la conférence d’Evian le 7 mars – ne cessent pas. Les gens sont donc confinés chez eux, ils ont peur de sortir ou de manifester quelque sentiment que ce soit.
Ont-ils peur que ce ne soit pas encore la fin de la guerre ?
Ils n’attendent rien de précis puisque la date du referendum n’est pas encore fixée ! En fait, ils ont appris qu’un accord politique a été signé entre les représentants du GPRA et l’État français, c’est tout. Les combattants de l’intérieur, les maquisards n’étaient tout simplement guère au courant de ce qui se passait.
La nouvelle ne sera communiquée aux maquisards que deux ou trois jours après, à partir de Tunis ou du Caire
Youcef Khatib, dit « le colonel Hassan », qui sera le premier maquisard à entrer dans Alger le 5 juillet suivant après avoir tenu tête à l’armée française dans la willaya 4, autour de la capitale, pendant toute la durée de la guerre, expliquera lors d’une interview qu’il avait alors surtout le sentiment d’avoir été abandonné. Privé de toute aide venue de l’extérieur depuis la construction des barrages électrifiés, sans contact suivi avec l’armée des frontières et avec la direction du FLN, c’est entendant à la radio d’un poste de garde français qu’un accord a été signé qu’il apprend qu’un cessez-le-feu a été décidé. La nouvelle ne sera communiquée aux maquisards à partir de Tunis ou du Caire que deux ou trois jours après.
En fait, seuls ceux qui sont dans l’armée des frontières, donc hors du territoire algérien, peuvent se réjouir en apprenant la conclusion de l’accord franco-algérien. Eux seuls, en Tunisie, au Maroc ou au Caire, pensent alors qu’il s’agit d’une victoire, en tout cas d’une victoire politique, pour le FLN et l’ALN.
Accords d'Evian © L’arrivée de la délégation algérienne composée de Taïeb Boulahrouf, Saâd Dahlab, Mohamed Seddik Benyahia, Krim Belkacem, Benmostefa Benaouda, Redha Malek, Lakhdar Bentobal, M’Hamed Yazid et Seghir Mostefaï pour la négociation des accords d’Evian, le 16 mars 1962
Et pourtant, Evian, cela signifie qu’on ne va plus risquer des tirs ou avoir à monter des opérations militaires !
Sans doute, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans l’accord et on ne connaît ni les échéances ni les modalités des étapes à venir. Donc les combattants comme la population restent sur leurs gardes. D’autant qu’on a déjà entendu parler de beaucoup de négociations avant, sans que cela aboutisse, à Melun, aux Rousses, etc. C’est une nouvelle importante mais sans plus sur l’instant.
Et même à l’extérieur, on reste dans l’expectative car des bruits circulent évoquant des dissensions entre les dirigeants. On n’apprendra que plus tard que Boumediene n’était pas favorable au texte signé, mais on entend déjà dire que les accords ne font pas l’unanimité. C’est d’ailleurs pour cela que pendant longtemps, cette date du 18 mars ne sera pas commémorée en Algérie.
La population européenne d’Algérie ne réalise pas tout de suite que c’est fini, que l’indépendance est inéluctable
Et côté français ? Comment les militaires, les pieds noirs et la population de métropole réagissent-ils en apprenant la signature des accords ?
Les seuls qui accueillent tout de suite et sans arrière-pensée l’événement avec joie et le fêtent, ce sont évidemment les appelés, les 400 000 soldats du contingent, qui saluent la fin des combats et le retour prochain dans leurs familles. Pour l’OAS, la lutte pour l’Algérie française continue. Elle ne se reconnaît pas dans les accords d’Evian, elle les dénonce, et elle poursuit ce qu’elle appelle « les actions armées », autrement dit les attentats, avec notamment nombre de plasticages les 18, 19 et 20 mars dans les villes.
Du côté de la population européenne d’Algérie, on est stupéfait, on rejette bien sûr les accords, mais on ne réalise pas tout de suite que c’est fini, que l’indépendance est cette fois inéluctable. Les gens sont confinés, vu la violence qui règne, et ils le restent. Ce n’est que quelques jours plus tard, le 26 mars, après la fusillade de la rue d’Isly (Ben M’Hidi aujourd’hui) qui voit les soldats de l’armée française tirer sur la foule des pieds-noirs manifestant à l’appel de l’OAS pour briser un blocus de Bab-el-Oued, que tout change.
Certes, depuis des années, depuis que de Gaulle avait parlé d’autodétermination ou depuis l’échec de la révolte des barricades, certains avaient quitté l’Algérie pour la métropole. Mais là, c’est le signal de l’exode. Même si, au début, l’OAS interdit et donc freine le départ des Européens, allant jusqu’à en assassiner quelques uns. Les départs deviendront réellement massifs à la mi-juin, notamment quand les principaux dirigeants de l’OAS s’enfuiront en Espagne.
En métropole, les familles des appelés sont soulagées, bien sûr, et la population se réjouit de la paix, mais sans plus. D’autant qu’il y a eu beaucoup d’attentats de l’OAS les semaines précédentes, et qu’on craignait il n’y a pas encore si longtemps une guerre civile. On considère plus que jamais de Gaulle comme un personnage central, il solidifie grâce à Évian le soutien d’un électorat populaire. La gauche reste muette et semble anesthésiée politiquement.
Ben Bella et Boumediene sont tous deux sur la même ligne : on a trop cédé à la France
Boumediene était plus que réservé sur les accords d’Evian, mais il n’était pas le seul. Ahmed Ben Bella aussi…
Lui aussi, en effet, n’y était pas favorable. C’est d’ailleurs à ce moment-là que va se sceller véritablement l’accord entre Ben Bella et Boumediene, qui conduira pendant l’été 1962 à la prise du pouvoir par le premier avec l’appui décisif du second. Ils sont tous deux sur la même ligne : on a trop cédé à la France. Car ils sont au courant des dispositions secrètes des accords concernant la poursuite des essais nucléaires, l’extraction du pétrole et du gaz réservé prioritairement aux compagnies françaises, les questions militaires et en particulier le maintien pour plusieurs années de la base navale de Mers-el-Kébir.
Ils disent donc que les politiques du GPRA ont accepté un mauvais compromis. Ceux-ci, à commencer par Belkacem Krim, qui a conduit les négociations pour les Algériens, considèrent avoir signé un texte décisif puisqu’il va permettre d’organiser un referendum et d’obtenir l’indépendance sans rien céder d’essentiel.
Est-ce à ce moment que se sont cristallisées les oppositions qui conduiront aux combats fratricides de l’été 1962 ?
Non, il y a déjà eu avant une série d’autres événements, en particulier la réunion des colonels de l’ALN en 1959, qui constitue sans doute le début d’une crise ouverte entre le GPRA et l’armée. Si la crise éclate au grand jour en 1962, ce n’est pas avec Evian, mais lors du congrès du FLN de Tripoli, en Libye, fin mai. Cette fois, la fracture entre deux camps aspirant au pouvoir devient totale, frontale.
Rapatriés d'Algérie en 1962 © Keystone/Gamma/Rapho via Getty
Les accords d’Évian, dit-on souvent, n’ont guère été respectés par la partie algérienne…
Parce que tout s’est accéléré d’une manière extraordinaire entre mars et juillet 1962. Personne n’aurait pu prévoir le départ d’Algérie de 500 à 600 000 personnes. Cet exode gigantesque, non anticipé, ni par les Français ni par les Algériens, a tout bouleversé. Tout ce qui était prévu vole en éclat. En particulier la protection des biens des pieds-noirs évoquée dans les accords. On libère subitement des appartements, des terrains, de l’espace public. Les Algériens s’aperçoivent que les logements, les boutiques, les commerces sont abandonnés, donc ils les occupent.
On a laissé le champ libre à de terribles représailles et à des atrocités contre les harkis
Du côté de l’armée des frontières, on constate à partir du mois d’avril le chaos qui s’installe. Et donc, en violation des accords d’Evian, les djounoud se mêlent aux réfugiés civils et rentrent en masse en Algérie. La force mixte algéro-française qui devait maintenir l’ordre ne peut guère agir. Quant à la machine administrative de l’État, elle est complètement désorganisée par le départ massif des pieds-noirs. Les écoles, les hôpitaux, les impôts, etc, plus rien ne fonctionne normalement.
Les harkis, pour beaucoup, ont compris vite la situation. Ils n’ont pas rejoint la force chargée de maintenir l’ordre et, souvent, sont allés se cacher. Ceux qui n’ont pas pu gagner la métropole ne seront pas protégés, comme prévu par les accords. Les autorités françaises étaient peu désireuses de voir ces hommes qui étaient considérés comme des combattants armés traverser la Méditerranée. Les responsables algériens n’ont jamais incité à la vengeance, encore moins aux massacres, mais ils se sont désintéressés de la question des harkis : pas un mot les concernant à Tripoli par exemple, ni dans la charte rédigée pour le congrès ni dans les interventions. Ce qui a laissé le champ libre à de terribles représailles et à des atrocités, notamment dans les campagnes, dès les mois de mai et juin.
Ainsi, les accords d’Évian n’ont été respectés qu’en ce qui concernait les rapports entre les deux États. L’essentiel pour la France comme pour l’Algérie ?
En effet, hormis ce qui a trait aux questions militaires et économiques, surtout au Sahara – le pétrole, les essais nucléaires –, on se désintéresse vite des accords d’Évian et de leur suite des deux côtés. Pour de Gaulle et pour la France, le rideau est tiré. Et pour les Algériens, l’essentiel est la lutte pour le pouvoir. Voilà pourquoi les 18 et 19 mars ne resteront un symbole que pour les soldats français, les appelés.
Le départ vers la France de très nombreux Algériens qui n’étaient pas des harkis est presque un sujet tabou
Parmi les conséquences d’Evian, y en a-t-il certaines que l’on a sous-estimées ?
Le départ vers la France de très nombreux Algériens qui n’étaient pas des harkis est presque un sujet tabou. C’était une conséquence indirecte des accords d’Évian puisqu’ils prévoyaient une possibilité de circulation entre les deux pays, ce qui restera le cas jusqu’en 1968. Il est difficile d’en parler car cela pourrait faire penser que beaucoup d’Algériens n’étaient pas favorables à l’indépendance et l’ont démontré en décidant de suivre la France dans son repli.
Sans doute ceux qui sont partis étaient pour beaucoup des Algériens qui ont suivi l’administration pour laquelle ils travaillaient. Mais les chiffres sont importants. On sait qu’on est passé de 1962 à 1974 de 350 000 Algériens en France à plus d’un million, ce qui donne une idée de l’importance du phénomène. Les Algériens disent que celui-ci a été provoqué par l’OAS qui avait tout détruit et empêché l’appareil d’Etat de fonctionner. Sans doute pour partie. Mais seulement pour partie.
Retrouvez tous les épisodes de notre série :
Au cœur des accords d’Évian, soixante ans après
Guerre d’Algérie – Benjamin Stora : « Après les accords d’Évian, tout le monde est resté sur ses gardes » (1/4)
Algérie : reportage dans les rangs de l’Armée de libération nationale, en 1962 (2/4)
Accords d’Évian : « Monsieur Depardon, vous êtes un ami de l’Algérie » (3/4)
https://www.jeuneafrique.com/1326029/culture/guerre-dalgerie-benjamin-stora-apres-les-accords-devian-tout-le-monde-est-reste-sur-ses-gardes/
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Rédigé le 15/10/2023 à 10:49 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
L’armée israélienne a annoncé, samedi, qu’elle préparait une « attaque par voie aérienne, maritime et terrestre » sur la bande de Gaza. Si elle a lieu, cette opération en milieu urbain risque d’être particulièrement meurtrière, éprouvante, et sera largement compliquée par le vaste réseau de galeries souterraines du Hamas.
La guerre entre Israël et le Hamas pourrait très bientôt entrer dans une troisième phase. Après les attaques terroristes perpétrées par la branche armée de l’organisation palestinienne le 7 octobre, puis les bombardements et le siège de la bande de Gaza menés en représailles, Tsahal pourrait passer à l’offensive terrestre.
C’est ce que laissaient présager les messages intimant aux Gazaoui·es de fuir vers le sud ainsi que les images de chars massés à la frontière entre Israël et l’enclave palestinienne. C’est ce que semblent confirmer les déclarations, samedi 14 octobre en fin de journée, de l’armée israélienne, qui a dit se préparer à une vaste campagne à Gaza incluant une « attaque intégrée et coordonnée par voie aérienne, maritime et terrestre ».
Les troupes israéliennes ont déjà envahi à deux reprises la bande de Gaza : en 2009 lors de la deuxième phase de l’opération « Plomb durci », puis en 2014 lors de l’opération « Bordure protectrice ». Dans le premier cas, elles y avaient combattu durant quinze jours ; dans le second cas, pendant dix-neuf jours. Les deux avaient conduit à des milliers de morts palestiniens et des dizaines de morts israéliens.
L’offensive en préparation pourrait être d’une tout autre ampleur. Israël aurait massé environ 400 000 soldats et plus de 300 chars pour cette opération, dénombre John Spencer, titulaire de la chaire d’études sur la guerre urbaine du Modern War Institute (MWI) de l’académie militaire de West Point, aux États-Unis.
La géographie des lieux, la nature des combats, la détermination et le degré de préparation des combattants du Hamas, mais également l’enjeu des victimes civiles palestiniennes et celui des otages israélien·nes sans doute détenu·es à Gaza font que si elle était effectivement décidée, cette opération terrestre représenterait pour les troupes israéliennes « le plus grand défi de leur vie », assure John Spencer, lui-même ancien officier d’infanterie.
Première question déterminante : celle des armes dont disposent les combattants qui se trouvent à Gaza.
Les attaques menées par la branche armée du Hamas le 7 octobre dernier ont démontré que l’organisation était parvenue, en dépit des blocus de la bande de Gaza, à accumuler un très important arsenal de roquettes et de missiles afin d’attaquer des cibles se trouvant à des dizaines de kilomètres, sur le territoire israélien. Dès les premières heures de son attaque, le Hamas a revendiqué avoir tiré une première salve de 3 000 roquettes (l’armée israélienne évoquant pour sa part un chiffre, relativement proche, de 2 500). D’autres salves ont eu lieu depuis.
À l’issue de la guerre qui avait opposé Israël au Hamas en avril et mai 2021, des officiers israéliens estimaient que l’organisation disposait encore d’environ 8 000 roquettes. Elle a eu deux ans et demi pour compléter son arsenal.
Même si conduire des frappes à distance contre des villes israéliennes est très différent de faire face à une offensive terrestre en milieu urbain, une partie de cet important stock pourrait tout de même être utilisé en cas d’incursion de Tsahal à Gaza. Ces roquettes pourraient servir, en particulier, à frapper des postes de commandement et d’autres points de rassemblement de troupes et de matériel à l’arrière du dispositif israélien.
Et ces derniers seront probablement nombreux : étant donné le nombre de soldats qui pourraient entrer dans Gaza, Tsahal devra nécessairement organiser « un soutien arrière massif et des zones de transit », note le site spécialisé The Drive. Or ces zones « seront remplies de carburant et de munitions explosives, ce qui en fera des cibles particulièrement intéressantes » pour ses adversaires.
Israël compte certainement sur son système de défense aérien (le fameux « Dôme de fer ») pour se prémunir de telles attaques, mais celui-ci a ses limites, comme les événements du 7 octobre l’ont démontré.
Le Hamas et ses alliés disposent-ils également d’armes utiles pour le combat rapproché en milieu urbain, et en quelles quantités ? L’organisation ne semble pas manquer d’armes légères – les plus faciles à obtenir. Quid des armes nécessaires pour affronter les véhicules blindés et chars lourds qu’Israël est en train de masser aux abords de la bande de Gaza, et qui seront à coup sûr utilisés en cas d’offensive terrestre ?
L’organisation semble avoir, là encore, l’arsenal adapté. Elle disposait déjà, lors de l’opération israélienne « Bordure protectrice » de 2014, de nombreuses armes antichar incluant des missiles antichar russes Malioutka et Kornet, et des lance-roquettes RPG-29, relativement modernes et très faciles à déplacer.
Ces armes peuvent singulièrement compliquer les manœuvres des soldats cherchant à progresser en milieu urbain. « Lors de la bataille de Marioupol [en Ukraine] en 2022, quelques milliers de défenseurs ont utilisé des lance-missiles Kornet, NLAW et Javelin, ainsi que d’autres missiles antichar pour détruire de nombreux véhicules russes », parvenant, malgré leurs effectifs réduits, à « retenir plus de 12 000 soldats russes et finalement tenir leur ville pendant plus de quatre-vingt jours », rappelle John Spencer, de l’académie militaire de West Point, dans un article récent.
Ces batailles en milieu urbain sont, historiquement, extrêmement éprouvantes, tant pour les assaillants que pour les combattants retranchés. « Vous ne pouvez pas vous reposer, il y a une pollution sonore permanente, des bruits, les ruines partout, des difficultés à se ravitailler, à manger, boire de l’eau potable. C’est un combat sans repos », rappelle l’historien militaire – et chroniqueur chez Mediapart – Cédric Mas. Il s’agit probablement de l’un des facteurs expliquant qu’Israël ait appelé des centaines de milliers de réservistes – afin de permettre des rotations régulières de soldats se fatiguant rapidement.
D’autant que la forme des probables combats à venir – une opération dite de « contre-insurrection » – sera au désavantage de Tsahal. « C’est la configuration la plus compliquée » pour des armées régulières, pointe Cédric Mas. « Les villes sont un terrain difficile qui agit comme un égalisateur de puissance : les armées régulières perdent leur avantage », analyse notre chroniqueur, qui convoque à l’appui plusieurs exemples historiques. « Très peu d’opérations de contre-insurrection en milieu urbain ont réussi. Et quand elles ont réussi, cela a toujours été avec un coût humain très lourd pour les civils – qu’on pense à la deuxième bataille de Falloujah [en 2004], à la reconquête de Mossoul [en 2016-2017] ou encore à la reconquête de Saïgon après l’offensive du Têt. »
Outre les roquettes et les armes antichar du Hamas, les unités israéliennes qui pénétreront dans la bande de Gaza ont toutes les chances d’être également ciblées par des embuscades, des snipers, des engins explosifs improvisés et des attaques kamikazes.
La campagne de bombardement de Gaza déjà en cours devrait, de ce point de vue, encore compliquer la tâche de l’armée israélienne. « Cela a été expérimenté pendant la guerre d’Espagne, lors de la bataille de Stalingrad et ailleurs : quand vous faites des ruines, vous faites autant d’abris supplémentaires pour les défenseurs [de la ville]. Prendre des ruines est encore plus difficile que prendre des bâtiments qui sont sur pied », rappelle Cédric Mas.
Jeudi 12 octobre, les forces armées israéliennes ont annoncé avoir largué 6 000 bombes en cinq jours sur la bande de Gaza. Ce déluge de feu s’est poursuivi depuis. Les décombres, gravats, carcasses de voitures et autres objets jonchant le sol après les bombardements pourraient se transformer en terrain propice pour dissimuler pièges chargés d’explosifs et autres mines.
Autre particularité, sans doute déterminante, de la bataille qui s’annonce : le sous-sol de Gaza est parcouru de centaines de tunnels, s’étendant sur des dizaines de kilomètres. Le réseau qu’ils constituent, jalonné de bunkers, est tellement élaboré qu’il est parfois surnommé « le métro de Gaza ».
À la différence des tunnels utilisés pour pénétrer sur le territoire israélien – qui ne servent généralement qu’une fois –, ceux s’étirant sous la bande de Gaza sont fortifiés, mieux équipés et probablement plus adaptés à une présence prolongée.
Ce réseau pourra servir doublement aux combattants du Hamas : à des fins offensives, « pour manœuvrer les attaquants sous terre, et pour rester à la fois cachés et protégés afin de mener des attaques surprises », et à des fins défensives, « pour se déplacer entre les positions de combat afin d’éviter la puissance de feu de Tsahal et ses forces au sol », prédit John Spencer.
Combattre sous terre a des implications très concrètes. Outre que les soldats n’y sont pas libres de leurs mouvements et qu’ils s’exposent à de possibles guet-apens, ils ne peuvent par définition pas y disposer d’appui aérien, et les communications y sont très limitées.
Cette configuration rappelle la bataille de Mossoul, en 2017. La reprise de la ville, sous laquelle l’État islamique avait également creusé de nombreux tunnels, avait pris neuf mois et mobilisé plus de 100 000 soldats irakiens. À un prix humain et matériel extrêmement élevé : à l’issue de la bataille, la ville n’était quasiment plus que ruines.
Le Hamas a eu tout le temps nécessaire pour piéger l’ensemble du réseau [de tunnels souterrains].
« Les dirigeants [du Hamas] s’y cachent, ils y ont des centres de commandement, les utilisent pour le transport et pour leurs communications. Ils sont électrifiés, éclairés et disposent de voies ferrées », détaille Daphné Richemond-Barak, enseignante à l’université privée Reichman de Herzliya (Israël) et autrice d’un livre sur la guerre en milieu souterrain (Underground Warfare, Oxford University Press, 2018).
Elle émet plusieurs hypothèses sur ce qui pourrait attendre les militaires israéliens qui tenteraient d’y entrer. « Le Hamas a eu tout le temps nécessaire pour piéger l’ensemble du réseau. Il pourrait simplement laisser les soldats pénétrer dans le réseau de tunnels puis tout faire sauter », avance-t-elle, ou encore « kidnapper [les soldats lors d’attaques surprises] ».
Ce réseau de tunnels servira-t-il uniquement au Hamas à des fins militaires ou ses bunkers pourraient-ils également constituer des abris pour les civils palestiniens ? Cela reste à déterminer. Dans une vidéo mise en ligne le 12 octobre, un porte-parole des forces armées israéliennes assure que « ce ne sont pas des bunkers pour les civils de Gaza ; c’est uniquement fait pour permettre au Hamas et aux autres terroristes de continuer de tirer des roquettes vers Israël ». La réalité pourrait être plus complexe, avec un Hamas qui pourrait laisser des civils y entrer par endroits, non pas pour les protéger mais afin de compliquer encore la tâche des soldats israéliens qui voudraient détruire ces tunnels.
Pour se frayer un chemin dans ce dédale souterrain, et plus globalement dans ce milieu urbain très dense et jalonné de pièges, les forces armées israéliennes pourraient également utiliser leurs technologies les plus sophistiquées en matière de drones et de robots. Tsahal disposerait en effet de petits véhicules sans pilote utilisés pour les repérages et de drones conçus pour se déplacer (et même tuer, si l’on en croit certains clips promotionnels dystopiques) à l’intérieur de bâtiments.
Des explosifs spécifiques, dits « anti-bunker » (« bunker buster » en anglais), permettent théoriquement de détruire des cibles souterraines. Ils sont conçus pour s’enterrer profondément dans le sol avant d’exploser – les modèles les plus récents allant théoriquement jusqu’à 30 mètres sous terre. Ce type de bombe cause des dégâts massifs, risquant en particulier de faire exploser les fondations d’habitations alentour, avec un risque de dégâts civils particulièrement élevé en milieu urbain. Israël a acheté des bombes de ce type, de modèle GBU-28, aux États-Unis dès 2005. Ses forces armées les ont déjà utilisées dans la ville de Rafa, au sud de Gaza, en 2009.
« Dans tous les cas, cela sera terriblement meurtrier », prédit Cédric Mas. L’historien relève que l’issue de cette bataille ne sera pas qu’une question de victoire ou de défaite militaire. « Une guerre des images va se jouer, dans les perceptions des opinions internationales, et plus [l’offensive israélienne à Gaza] va durer, plus il risque d’y avoir d’images qui vont annihiler l’horreur des crimes du Hamas et rendre l’opération contre-productive. Parfois, certains succès militaires sont des défaites politiques. »
Justine Brabant
14 octobre 2023 à 19h34
https://www.mediapart.fr/journal/international/141023/gaza-des-combats-souterrains-et-terriblement-meurtriers-s-annoncent
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Rédigé le 15/10/2023 à 09:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
Née le 9 février 1938 à Bologhine (anciennement Saint-Eugène), quartier situé sur les hauteurs d’Alger, Djamila Boupacha est une militante du Front de libération nationale. Tout juste âgée de 22 ans, elle est arrêtée le 10 février 1960 en compagnie de son père, de son frère, de sa sœur Nafissa et de son beau-père, et accusée de tentative d’attentat pour avoir posé une bombe, désamorcée à temps par les démineurs de l’armée, à la Brasserie des Facultés, à Alger, le 27 septembre 1959.
Emprisonnée clandestinement, elle sera pendant plus d’un mois violée et torturée par des parachutistes de l’armée française. Le récit qu’en fera Simone de Beauvoir dans Le Monde en juin 1960 est particulièrement glaçant : « Électrodes fixées sur le bout des seins, sur les jambes, le sexe, le visage, l’aine, coups de poing, brûlures de cigarettes, elle est ensuite suspendue par un bâton au-dessus d’une baignoire dans laquelle elle est immergée à plusieurs reprises. »
Son frère réussit toutefois à prévenir l’avocate Gisèle Halimi, qui décide de prendre son cas en charge dès mars 1960. La première rencontre entre l’avocate et la jeune militante a lieu dans la prison de Barberousse, le 17 mai 1960. Djamila décrit à son avocate comment les militaires l’ont violée en lui introduisant dans le vagin le manche d’une brosse à dents, puis le goulot d’une bouteille de bière : « On m’administre le supplice de la bouteille. C’est la plus atroce des souffrances. Après m’avoir attachée dans une position spéciale, on m’enfonça dans le ventre le goulot d’une bouteille. Je hurlai et perdis connaissance pendant, je crois, deux jours », dira Djamila.
L’affaire n’aura un retentissement médiatique international qu’en juin 1960, avec la création d’un Comité pour Djamila Boupacha. Un comité présidé par la romancière et philosophe Simone de Beauvoir et composé de membres prestigieux, dont l’écrivain et philosophe Jean-Paul Sartre, le poète Louis Aragon, l’écrivain martiniquais Aimé Césaire ou encore l’anthropologue Germaine Tillion.
De crainte qu’elle ne soit tuée dans sa cellule, son comité de soutien fait pression et obtient son transfert par avion militaire en métropole. Elle est placée en détention à la prison de Fresnes le 21 juillet 1960, puis à celle de Pau. Elle comparaît à Caen en juin 1961 dans le cadre de l’instruction de sa plainte – déposée par Gisèle Halimi – à l’encontre de ses tortionnaires. Au cours de cette audience, elle va identifier courageusement ses bourreaux. « La torture a toujours existé jusqu’à la fin de la guerre », a dit un jour Djamila Boupacha lors d’un entretien accordé à France Inter.
Djamila Boupacha est amnistiée en application des accords d’Évian et libérée le 21 avril 1962. Réfugiée chez Gisèle Halimi, elle est séquestrée puis transférée à Alger par la Fédération de France du FLN, qui dénonce « l’opération publicitaire tentée à des fins personnelles » par l’avocate Gisèle Halimi.
Devenue une icône de la lutte de libération nationale, Djamila Boupacha va progressivement s’effacer de la scène publique, jusqu’au 15 février 2022, lorsque le président Abdelmadjid Tebboune la nomme sénatrice. Proposition qu’elle décline pour rester une simple citoyenne parmi les siens. Djamila Boupacha est aussi connue pour avoir été immortalisée par Pablo Picasso, qui réalisa un portrait d’elle au fusain pour la sauver de la guillotine en mars 1962.
Anti-franquiste convaincu, Picasso s’était intéressé très tôt à la révolution algérienne et tenta de dénoncer les souffrances de la femme algérienne sous le colonialisme à travers une quinzaine de toiles et de lithographies. Cette série s’achève avec le fameux portrait au fusain de Djamila qui paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi, publié chez Gallimard.
En juillet 2008, le portrait de Boupacha a été exposé au MaMa, le Musée public national d’art moderne et contemporain d’Alger, à l’occasion d’une grande exposition intitulée « Les peintres internationaux et la révolution algérienne ». Son acheminement de Marseille à Alger s’était fait sous haute sécurité. La valeur du portrait de Djamila réalisé par Pablo Picasso est aujourd’hui estimée à 400 millions de dollars.
Djamila Boupacha dessinée par Picasso illustrant le livre publiée par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi en 1962 sur la militante FLN. L’artiste peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso, a réalisé un dessin la veille du cessez-le-feu (mars 1962), pour sauver de la guillotine Djamila Boupacha. Anti-franquiste, l’artiste s’est intéressé à la révolution algérienne dès son déclenchement en 1954, et tenta de montrer et de dénoncer les souffrances de la femme algérienne sous le colonialisme, à travers une quinzaine de toiles et de lithographies. Cette série s’achève avec l’œuvre (un portrait) sur Djamila Boupacha, dont le dessin réalisé au fusain, paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi
Rédigé le 15/10/2023 à 08:55 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le nouvel essai de Dorothée-Myriam Kellou, « Nancy-Kabylie », revient sur les déplacements de population organisés par l’armée française dans les années 1950, au mépris des conditions de vie de la population.
Femmes réfugiées avec leurs enfants dans le camp de regroupement de Novi, en décembre 1959. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
Ils sont les morts anonymes de la guerre d’Algérie. Quand on demande la cause de leur décès, on obtient souvent la même réponse : la misère. Que cache ce mot ?
La note sur les centres de regroupement écrite, selon la version officielle, par six hauts fonctionnaires, en a dévoilé les contours dès 1959. Remise le 17 février à Paul Delouvrier pour que le délégué général du gouvernement en Algérie la transmette au général de Gaulle, elle fuite dans la presse en avril de la même année, d’abord dans France Observateur puis dans Le Monde. Malgré le scandale de l’époque, qui a résonné jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale et à l’Assemblée générale de l’ONU, les enseignements de ce rapport ont été enterrés trop vite, comme les cadavres. Dont ceux de nombreux enfants.
Une note anonyme signée Michel Rocard
L’auteur de la note anonyme était en fait seul et son nom est aujourd’hui bien connu : Michel Rocard, ancien Premier ministre français décédé en 2016. À l’époque, il est un jeune homme de 29 ans et il a déjà rédigé, dans l’ombre, Le Drame algérien, présenté en 1957 par Henri Frenay, héros de la Résistance lors de la Seconde guerre mondiale, lors d’un congrès de la SFIO. S’il a pris résolument parti pour l’indépendance de la colonie, Michel Rocard explique une des raisons de cette prise de position : « J’étais furieux de partir en Algérie. » L’énarque avait échappé une première fois à la mission administrative à laquelle sa promotion était assignée, car il était père de deux enfants. Mais ce critère ayant été relevé à trois, le voilà sur le départ pour Alger en septembre 1958.
Sur place, au hasard d’une rencontre, un camarade l’informe que l’armée est en train de déplacer des centaines de milliers de personnes de leurs villages sans leur assurer de moyens de subsistance. Le fonctionnaire, qui commence à peine sa carrière, a tout à perdre et pourtant, il compromet son avenir pour mener une enquête de terrain qui va durer trois mois : « Il ne s’agissait que d’en appeler au chef de l’État et de dénoncer des choses effroyables après en avoir établi la véracité et l’ampleur. »
Regroupements à visée militaire
Il ne le sait pas au moment où il rédige son rapport, mais les premiers regroupements ont commencé en 1955, d’abord dans les Aurès par le général Parlange, officier des Affaires indigènes. Le but est alors militaire. Les mechtas, villages isolés difficilement accessibles à l’armée française, sont des caches idéales pour les moudjahidins algériens qui bénéficient d’une meilleure connaissance du terrain. Ils sont donc détruits et, en 1956, des zones interdites sont établies « où le séjour des personnes est règlementé ou interdit. »
Concrètement, les forces de l’ordre peuvent y ouvrir le feu sans sommation. En 1956 et 1957, la pratique du regroupement se systématise et en 1957, elle vise aussi au ralliement des populations, avec parfois la diffusion de messages de propagande par haut-parleur. Le 1er janvier 1959, on compte 936 camps et en juin 1959, le seuil du million de personnes regroupées est dépassé. Ça n’en restera pas là : le plan de Constantine, ou plan de développement économique et social en Algérie de 1958, prévoit d’attribuer 250 000 hectares de terres agricoles à des cultivateurs musulmans, en application de la politique des mille villages menée par Delouvrier, et censée moderniser le pays. Sa nomination en tant que délégué général du gouvernement marque le passage de relais du pouvoir civil au pouvoir militaire en Algérie, et par conséquent dans les regroupements.
Enfants dans un camp de regroupement © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
Sous-nutrition et taux de mortalité vertigineux
Mais ce que constate Michel Rocard sur le terrain est loin d’être aussi idyllique. Dans un village du massif de l’Ouarsenis, il voit un enfant dans les bras d’un officier : « Il en est mort un (de 2 ans) au moment précis du passage de l’enquêteur : l’officier SAS (section administrative spécialisée) argua que c’était le troisième en quatre jours. » Il ajoute : « Une loi empirique a été constatée : lorsqu’un regroupement atteint 1 000 personnes, il y meurt à peu près un enfant tous les deux jours. » Outre les problèmes de logement, la sous-nutrition décime les rangs. La plupart des regroupements sont situés loin des terres cultivées devenues zones interdites. Les paysans sont ainsi coupés de leurs moyens de subsistance – troupeaux, volaille, récoltes – surtout qu’il ne connaissent pas leur nouvel environnement, les points d’eau, les zones où l’on trouve du gibier, les secteurs où pousse la végétation. Ils sont réduits à l’assistance mais les rations distribuées sont insuffisantes, en particulier pour les populations vulnérables. D’où un taux de mortalité vertigineux.
3,5 millions de déplacés
Au total, 3,5 millions de personnes auront été déplacées de force, soit 40 % de la population algérienne. « Rien dans la guerre d’Algérie, n’est aussi important que le problème des regroupements. Rien aussi n’a été plus tardivement et plus mal connu de l’opinion française. » Le constat de Pierre Vidal-Naquet au nom du comité Maurice Audin est encore vrai plus de 60 ans après la publication de La Raison d’État. Si de nombreux et remarquables travaux universitaires existent, les regroupements restent peu présents dans la mémoire collective.
La journaliste et réalisatrice franco-algérienne Dorothée-Myriam Kellou comble ce vide avec son remarquable livre Nancy-Kabylie. Elle avait déjà réalisé un documentaire, À Mansourah, tu nous as séparés (2019), où elle a suivi les traces de son père dans son village natal, ainsi qu’un podcast sur France Culture, L’Algérie des camps, où elle a dressé le lien entre les camps d’hier et l’Algérie d’aujourd’hui.
Barbelés
L’expérience singulière de sa famille montre la réalité des camps au quotidien. Elle explique : « Au milieu de la guerre, un premier regroupement de villages des montagnes alentour – El-Hamra, Ouled Abbas, Tighlit – a eu lieu (…) Mon père et les siens ont cohabité avec des familles étrangères pendant plusieurs mois, au nom d’une décision arbitraire d’un comité de villageois désignés par le FLN. » Fin 1959, une deuxième vague de regroupements voit l’armée installer des barbelés, une pratique courante pour empêcher aux paysans de retourner sur leurs terres. Ainsi, si Michel Rocard écrit « centre » au lieu de « camp », il s’agit d’un euphémisme administratif, probablement utilisé pour éviter de réveiller le traumatisme tout proche de la Seconde guerre mondiale.
Femme et enfants dans un camp de regroupement Femme et enfants dans le camp de regroupement de Novi, Algérie, le 24 décembre 1959. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
Influence du FLN
L’influence du FLN à l’intérieur des camps montre l’inorganisation qui a prévalu lors de leur installation, ce que confirme Dorothée-Myriam Kellou dans Nancy-Kabylie : « L’armée française a chassé les populations des zones déclarées interdites et les a conduites en camion jusqu’à Mansourah. Ensuite, toutes ces personnes déplacées ont dû “se démerder”. Le FLN déjà structuré dans Mansourah, a organisé le regroupement pour que la résistance puisse se poursuivre malgré l’arrivée des nouveaux arrivants. » Le professeur en psychologie Michel Cornaton a aussi relevé que « la concentration des gens a facilité les collectes de fonds et la diffusion de mots d’ordre importants. »
Après ce désastre humanitaire, doublé d’un fiasco stratégique, une politique de dégroupement a été envisagée à la fin de la guerre d’Algérie. Mais il était trop tard. Les habitats détruits et le cheptel décimé dans les villages d’origine, le retour devenait impossible – à quelques exceptions près : près de 2 millions d’Algériens se trouvaient dans les camps de regroupements à la fin de la guerre. Reliés par des pistes au réseau routier, ils ont survécu à l’indépendance devenant des villages socialistes. Dorothée-Myriam Kellou relève que « le GIA a beaucoup recruté dans les anciens quartiers de regroupement » lors de la guerre civile des années 1990.
« La France nous a tués », se lamente Baïa, sa cousine, seule parmi les siens à être revenue dans son village d’origine. Son oncle, lui, a vendu ses terres, ce qui est vu comme une trahison par l’irréductible kabyle. Les querelles de cadastre secouent des familles à propos de ces terres inoccupées, quand elles ne sont pas confisquées. Dans Le Déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Abdelmalek Sayad et Pierre Bourdieu affirment : «De tous les bouleversements que la société rurale a subis entre 1955 et 1962, ceux qui ont été déterminés par les regroupements de populations sont sans doute les plus profonds et les plus chargés de conséquences à long terme.» Il est grand temps qu’ils soient connus de tous.
Nancy-Kabylie, de Dorothée-Myriam Kellou, Grasset, 216 pages, 19 euros
SOURCE : La guerre d’Algérie, dernier tabou : les camps de regroupement - Jeune Afrique
Par micheldandelot1 dans Accueil le 15 Octobre 2023 à 10:12
http://www.micheldandelot1.com/la-guerre-d-algerie-dernier-tabou-les-camps-de-regroupement-a214892947
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Rédigé le 15/10/2023 à 08:37 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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