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Rédigé le 24/10/2023 à 19:31 dans Israël, Lejournal Depersonne, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Hadj M’rizek fait partie des pionniers de la nouvelle musique populaire qui déferlait sur la Casbah d’Alger pendant la première moitié du XXe siècle. Il fait partie des grands maîtres qui ont donné ses lettres de noblesse au chaâbi algérois.
Bien que d’origine kabyle, il semble qu’il n’ait jamais chanté dans la langue de ses parents.
Du temps où ne régnait que fraternité entre juifs et musulmans d’Algérie, il s’était produit sur scène avec l’inclassable Lili Boniche, le plus arabe des juifs algériens !
Avec son look de « dandy », dans son habillement et ses manières aristocratiques, Hadj M’rizek n’est pas sans rappeler l’allure élégante du rossignol kabyle Allaoua Zerrouki.
Biographie
De son vrai nom Arezki Chaïb, Hadj M’rizek est né en 1912 à la Casbah d’Alger au sein d’une famille kabyle et mort le 12 février 1955 à Alger.
Hadj M’rizek s’intéresse à la musique grâce à son demi-frère, organisateur de spectacles. Il suit les représentations des vedettes de l’époque, comme Mustapha Nador.
M’rizek fait un apprentissage musical classique (tar, darbouka) avant de faire de la mandoline alto – appelée demi-mandole par les musiciens – ne devienne son instrument de prédilection. Il apprend les grands textes de la poésie populaire et travaille différents types de chants en commençant d’abord par le Hawzi avant de se mettre au Chaâbi. M’rizek avait des qualités artistiques que sont la clarté de l’expression verbale et son sens inné du rythme. C’est le premier artiste qui réussit à faire sortir le Chaâbi hors de la Casbah d’Alger.
À tout juste 17 ans, il devient la star de la casbah en 1929 et participe à des fêtes à Dellys, Cherchell et dans le M’zab. Sa renommée arrive en métropole où il débarque et enregistre plusieurs 78 tours. En 1937, il fait son pèlerinage à la Mecque et devient hadj. Il devient aussi vice-président du Mouloudia Club d’Alger. En 1951, du temps où juifs et musulmans se côtoient en toute fraternité, il fait un concert avec Lili Boniche et enregistre El Mouloudia, son plus gros succès. Il meurt le 12 février 1955. M’rizek est enterré au cimetière d’El Kettar.
Complètements fournis par Fodil Fellag, frangin de notre humoriste national
M’rizek est le demi-frère de Rouiched. Ils étaient originaires de Kanis, à quelques minutes de marche à l’est de mon village, Aït Illoul. D’ailleurs, la petite colline qui nous sépare s’appelle Thighilt n’Kanis. Kanis est prononcé avec le k kabyle, comme le ich allemand. Rouiched et M’rizeq avaient au moins un autre frère, un musicien qui a joué avec El Anka. Je crois qu’on l’appelait Mohand Aroumi, à cause de sa physionomie européenne, aussi surnommé Q’hiwdji (diminutif de qahwadji). Le plus vieux frère semble avoir été l’ami de Si Muh U M’hend à Alger, d’après El Anka, dans une interview accordée à Kateb Yacine. À noter que dans cet entretien, El Anka mentionne bien sa relation tumultueuse avec M’rizek. Ceux qui ont fréquenté notre Cardinal disent qu’il était peu indulgent, voire féroce, avec tous les autres chanteurs de Chaâbi de son époque. Quasiment sans exception. Une anecdote confirme cela : M’rizeq serait allé voir le luthier italien qui fabriquait les mandoles d’El Anka pour lui demander de lui fabriquer un instrument identique à ceux du Cardinal. Après l’avoir essayé, dit-on, M’rizeq revient se plaindre que l’instrument ne produisait pas le même son. Le luthier lui aurait alors répondu : « Je peux vous fabriquer le mandole d’El Anka, mais pas ses mains. » Kateb Yacine lui a demandé si cette anecdote était vraie et notre Cardinal la confirme bien dans l’interview.
En ces temps-là, Moh-Saïd était à l’Ecole d’Art Dramatique de Bordj-El-Kifan. Il partageait une chambre avec Mustapha Ayad, comédien et fils de Rouiched. Le premier jour, Mustapha Ayad engage la conversation avec lui :
– Je sais que tu es kabyle. De quelle partie de Kabylie es-tu originaire ?
– Azeffoun ! répond Moh-Saïd.
– Non, je ne te parle pas de moi, je te demande d’où tu es, toi ! lui rétorque Mustapha Ayad.
– Mais, bien évidemment que je te parle de moi-même ! Je suis originaire d’Azeffoun. Pourquoi, tu es d’Azeffoun, toi aussi ?
Mustapha Ayad bondit hors de son lit, tout excité et se rapproche de Moh-Saïd, comme s’il venait de retrouver un frère perdu de vue depuis longtemps. Quand il apprit que nos villages étaient tout près l’un de l’autre, il a insisté pour qu’il vienne passer le weekend chez eux à El Biar, l’assurant que son père serait très content de rencontrer un jeune mmis n tmurt qui est né et grandi là-bas. Moh-Saïd y est allé, heureux de rencontrer le grand Rouiched qui a été très sympathique et accueillant. Moh-Saïd a invité Mustapha Ayad plusieurs fois chez nous à Tizi Ouzou par la suite. Un jour, au début des années 1970, j’étais au marché hebdomadaire du jeudi à Azeffoun, et j’ai vu Mustapha Ayad et son frère cadet transportant chacun un agneau sur leurs épaules. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient et ils m’ont appris qu’ils se dirigeaient vers le village d’origine de leur père pour renouer avec leurs racines. Les deux moutons étaient pour la waâda. Deux agneaux étaient largement suffisants pour un village si petit.
Kanis c’était aussi le village du mari de H’nifa, un type malfamé. Un petit truand qui l’enchaînait dans le « adaynine » (étable) avec les bœufs pour l’empêcher de s’enfuir, ce qu’elle a tout de même réussi à faire. Elle en parle dans la chanson « Lukan d argaz ay telliḍ, a ţedduḍ d w at ukeṛṭuc, imi d axeddaɛ amcum lmut ik daxel u tercuc » allusion au fait qu’il avait été tué par la gendarmerie française comme truand et non comme moudjahid.
Parmi les grands succès de Hadj M’rizek, citons : Ya Rebbi Sahelli Zora, Mesbah Ezzine, Yal qadi, El bla fi el-kholta, Youm el djemaâ kherdjou leryam, Lellah ya ahli aâdrouni.
Pour le plaisir des oreilles, nous vous proposons l’une de ses grandes interprétations : Y’a El-qadi.
Kacem Madani
lundi 23 octobre 2023
https://lematindalgerie.com/hadj-mrizek-entre-chant-et-sanglots-chaabis/
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Rédigé le 24/10/2023 à 14:58 dans Chansons | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 24/10/2023 à 13:24 dans corruption | Lien permanent | Commentaires (0)
Le tribunal criminel d’appel près la Cour d’Alger a prononcé, lundi, dans l’affaire du meurtre de Djamel Bensmail, la peine capitale à l’encontre de 38 accusés, condamnés pour homicide volontaire avec préméditation, torture et incitation à la torture, mise à feu volontaire des cultures ayant entrainé la mort de plusieurs personnes, indique un communiqué du Procureur général près la Cour d’Alger.
« Conformément auxdispositions de l’article 11 du Code de procédure pénale, le Procureur général près la Cour d’Alger informe l’opinion publique que le tribunal criminel d’appel près ladite Cour avait prononcé, en date du 23 octobre 2023, la peine capitale dans l’affaire du meurtre de Djamel Bensmail à l’encontre de 38 accusés, condamnés pour homicide volontaire avec préméditation, torture et incitation à la torture, mise à feu volontaire des cultures ayant entrainé la mort de plusieurs personnes, création et adhésion à un groupe ou à une organisation s’adonnant à des actes de sabotage, agression contre des agents de la force publique et publication du discours de haine et de discrimination », précise le communiqué.
Dans la même affaire, « six (6) accusés ont été condamnés à une peine de 20 ans de prison et 23 autres à une peine de prison allant de 3 à 10 ans, tandis que 26 autres ont été acquittés », conclut le communiqué.
https://www.express-dz.com/2023/10/23/affaire-du-meurtre-de-djamel-bensmail-38-accuses-condamnes-a-la-peine-capitale/
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Rédigé le 23/10/2023 à 21:37 dans Incendies , Société | Lien permanent | Commentaires (0)
Monsieur le Président,
C'est d'un lieu ruiné, abusé, manipulé de toutes parts, que je vous adresse cette lettre. Il se pourrait qu’à l’heure actuelle, notre expérience de l'impuissance et de la défaite ne soit pas inutile à ceux qui, comme vous, affrontent des équations explosives et les limites de leur toute puissance.
Je vous écris parce que la France est membre du Conseil de sécurité de l'ONU et que la sécurité du monde est en danger. Je vous écris au nom de la paix.
L’horreur qu’endurent en ce moment les Gazaouis, avec l’aval d’une grande partie du monde, est une abomination. Elle résume la défaite sans nom de notre histoire moderne. La vôtre et la nôtre. Le Liban, l’Irak, la Syrie sont sous terre. La Palestine est déchirée, trouée, déchiquetée selon un plan parfaitement clair : son annexion. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les cartes.
Le massacre par le Hamas de centaines de civils israéliens, le 7 octobre dernier, n’est pas un acte de guerre. C'est une ignominie. Il n'est pas de mots pour en dire l'étendue. Si les arabes ou les musulmans tardent, pour nombre d’entre eux, à en dénoncer la barbarie, c’est que leur histoire récente est jonchée de carnages, toutes confessions confondues, et que leur trop plein d’humiliation et d’impotence a fini par épuiser leur réserve d’indignation ; par les enfermer dans le ressentiment. Leur mémoire est hantée par les massacres, longtemps ignorés, commis par des Israéliens sur des civils palestiniens pour s’emparer de leurs terres. Je pense à Deir Yassin en 1948, à Kfar Qassem en 1956. Ils ont par ailleurs la conviction – je la partage – que l’implantation d’Israël dans la région et la brutalité des moyens employés pour assurer sa domination et sa sécurité ont très largement contribué au démembrement, à l’effondrement général. Le colonialisme, la politique de répression violente et le régime d’apartheid de ce pays sont des faits indéniables. S’entêter dans le déni, c’est entretenir le feu dans les cerveaux des uns et le leurre dans les cerveaux des autres. Nous savons tous par ailleurs que l’islamisme incendiaire s’est largement nourri de cette plaie ouverte qui ne s’appelle pas pour rien « la Terre sainte ». Je vous rappelle au passage que le Hezbollah est né au Liban au lendemain de l’occupation israélienne, en 1982, et que les désastreuses guerres du Golfe ont donné un coup d’accélérateur fatal au fanatisme religieux dans la région.
Qu’une bonne partie des Israéliens reste traumatisée par l’abomination de la Shoah et qu’il faille en tenir compte, cela va de soi. Que vous soyez occupé à prévenir les actes antisémites en France, cela aussi est une évidence. Mais que vous en arriviez au point de ne plus rien entendre de ce qui se vit ailleurs et autrement, de nier une souffrance au prétexte d’en soigner une autre, cela ne contribue pas à pacifier. Cela revient à censurer, diviser, boucher l’horizon. Combien de temps encore allez-vous, ainsi que les autorités allemandes, continuer à puiser dans la peur du peuple juif un remède à votre culpabilité ? Elle n’est plus tolérable cette logique qui consiste à s’acquitter d’un passé odieux en en faisant porter le poids à ceux qui n’y sont pour rien. Écoutez plutôt les dissidents israéliens qui, eux, entretiennent l’honneur. Ils sont nombreux à vous alerter, depuis Israël et les États-Unis.
Commencez, vous les Européens, par exiger l’arrêt immédiat des bombardements de Gaza. Vous n'affaiblirez pas le Hamas ni ne protégerez les Israéliens en laissant la guerre se poursuivre. Usez de votre voix non pas seulement pour un aménagement de corridors humanitaires dans le sillage de la politique américaine, mais pour un appel à la paix ! La souffrance endurée, une décennie après l’autre, par les Palestiniens n’est plus soutenable. Cessez d’accorder votre blanc-seing à la politique israélienne qui emmène tout le monde dans le mur, ses citoyens inclus. La reconnaissance, par les États-Unis, en 2018, de Jérusalem capitale d’Israël ne vous a pas fait broncher. Ce n’était pas qu’une insulte à l’histoire, c’était une bombe. Votre mission était de défendre le bon sens que prônait Germaine Tillion « Une Jérusalem internationale, ouverte aux trois monothéismes. » Vous avez avalisé, cette même année, l’adoption par la Knesset de la loi fondamentale définissant Israël comme « l’État-Nation du peuple juif ». Avez-vous songé un instant, en vous taisant, aux vingt et un pour cent d'Israéliens non juifs ? L’année suivante, vous avez pour votre part, Monsieur le Président, annoncé que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme. » La boucle était bouclée. D’une formule, vous avez mis une croix sur toutes les nuances. Vous avez feint d’ignorer que, d’Isaac Breuer à Albert Einstein, un grand nombre de penseurs juifs étaient antisionistes. Vous avez nié tous ceux d’entre nous qui se battent pour faire reculer l’antisémitisme sans laisser tomber les Palestiniens. Vous passez outre le long chemin que nous avons fait, du côté dit « antisioniste », pour changer de vocabulaire, pour reconnaître Israël, pour vouloir un avenir qui reprenne en compte les belles heures d'un passé partagé. Les flots de haine qui circulent sur les réseaux sociaux, à l’égard des uns comme des autres, n’exigent-ils pas du responsable que vous êtes un surcroît de vigilance dans l’emploi des mots, la construction des phrases ? À propos de paix, Monsieur le Président, l’absence de ce mot dans votre bouche, au lendemain du 7 octobre, nous a sidérés. Que cherchons-nous d’autre qu’elle au moment où la planète flirte avec le vide ?
Les accords d’Abraham ont porté le mépris, l’arrogance capitaliste et la mauvaise foi politique à leur comble. Est-il acceptable de réduire la culture arabe et islamique à des contrats juteux assortis – avec le concours passif de la France – d’accords de paix gérés comme des affaires immobilières ? Le projet sioniste est dans une impasse. Aider les Israéliens à en sortir demande un immense effort d’imagination et d’empathie qui est le contraire de la complaisance aveuglée. Assurer la sécurité du peuple israélien c’est l’aider à penser l’avenir, à l’anticiper, et non pas le fixer une fois pour toutes à l’endroit de votre bonne conscience, l’œil collé au rétroviseur. Ici, au Liban, nous avons échoué à faire en sorte que vivre et vivre ensemble ne soient qu’une et même chose. Par notre faute ? En partie, oui. Mais pas seulement. Loin de là. Ce projet était l’inverse du projet israélien qui n’a cessé de manœuvrer pour le rendre impossible, pour prouver la faillite de la coexistence, pour encourager la fragmentation communautaire, les ghettos. À présent que toute cette partie du monde est au fond du trou, n’est-il pas temps de décider de tout faire autrement ? Seule une réinvention radicale de son histoire peut rétablir de l’horizon.
En attendant, la situation dégénère de jour en jour : il n’y a plus de place pour les postures indignées et les déclarations humanitaires. Nous voulons des actes. Revenez aux règles élémentaires du droit international. Demandez l’application, pour commencer, des résolutions de l’ONU. La mise en demeure des islamistes passe par celle des autorités israéliennes. Cessez de soutenir le nationalisme religieux d'un côté et de le fustiger de l'autre. Combattez les deux. Rompez cette atmosphère malsaine qui donne aux Français de religion musulmane le sentiment d’être en trop s’ils ne sont pas muets.
Écoutez Nelson Mandela, admiré de tous à bon compte : « Nous savons parfaitement que notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens, » disait-il sans détour. Il savait, lui, qu’on ne fabrique que de la haine sur les bases de l’humiliation. On traitait d’animaux les noirs d’Afrique du Sud. Les juifs aussi étaient traités d’animaux par les nazis. Est-il pensable que personne, parmi vous, n’ait publiquement dénoncé l’emploi de ce mot par un ministre israélien au sujet du peuple palestinien ? N’est-il pas temps d’aider les mémoires à communiquer, de les entendre, de chercher à comprendre là où ça coince, là où ça fait mal, plutôt que de céder aux affects primaires et de renforcer les verrous ? Et si la douleur immense qu’éprouve chaque habitant de cette région pouvait être le déclic d’un début de volonté commune de tout faire autrement ? Et si l’on comprenait soudain, à force d’épuisement, qu’il suffit d’un rien pour faire la paix, tout comme il suffit d’un rien pour déclencher la guerre ? Ce « rien » nécessaire à la paix, êtes-vous sûrs d’en avoir fait le tour ? Je connais beaucoup d’Israéliens qui rêvent, comme moi, d’un mouvement de reconnaissance, d’un retour à la raison, d’une vie commune. Nous ne sommes qu’une minorité ? Quelle était la proportion des résistants français lors de l’occupation ? N’enterrez pas ce mouvement. Encouragez-le. Ne cédez pas à la fusion morbide de la phobie et de la peur. Ce n’est plus seulement de la liberté de tous qu’il s’agit désormais. C’est d’un minimum d’équilibre et de clarté politique en dehors desquels c’est la sécurité mondiale qui risque d’être dynamitée.
Par DOMINIQUE EDDÉ.
Écrivaine.
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لقد ولدت في فلسطين
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ليس لدي مكان ،
وليس لدي بلد ،
ولا لدي وطن.
بإصبعي أصنع النار
وأنا أغني لك من قلبي ،
أوتار قلبي تبكي:
لقد ولدت في فلسطين
لقد ولدت في فلسطين
ليس لدي مكان
وليس لدي بلد
ولا لدي وطن
ليس لدي مكان
لا يوجد وقت لي
وليس لدي وطن
أصنع اللهب بيدي
وبلورات قلبي
ألعب لحن جرحى
لقد ولدت في فلسطين
لقد ولدت في فلسطين
ليس لدي مكان
لا يوجد وقت لي
وليس لدي وطن
لقد ولدت في فلسطين
لقد ولدت في فلسطين
لن يتم محو تاريخي أبداً
لا يمكن التخلي عن تاريخي.
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Rédigé le 23/10/2023 à 15:46 dans Israël, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Depuis les grandes manifestations de colère des années 2016 et 2017, le Royaume n’avait pas connu de rassemblements de si grande ampleur. Le soutien à la Palestine fédère à nouveau dans les rues, encadré par une coalition expérimentée et toléré par le pouvoir.
Casablanca (Maroc).– L’annonce est tombée mercredi 18 octobre : le personnel du bureau de liaison Maroc-Israël, à Rabat, a été évacué. Pareil pour la diplomatie israélienne au Caire. Depuis la macabre nouvelle du bombardement d’un hôpital à Gaza, mardi 17 octobre, la pression est montée d’un cran dans le monde arabe. Au Maroc, l’ampleur et la multitude des rassemblements pro-Palestine dans tout le Royaume montrent que la rue a renoué avec son pouvoir de contestation.
Dans le viseur : les accords de normalisation de 2020, considérés comme une « trahison ». Les États-Unis, soutiens inconditionnels d’Israël, sont eux aussi ciblés. Mercredi 18 octobre, devant leur consulat de Casablanca, la police a dû fermer aux voitures tout un boulevard, peuplé de manifestant·es. Au même moment, la place des Nations-Unies, haut lieu de contestation citoyenne de la capitale économique, était elle aussi noire de monde.
Ces mouvements n’ont, pour l’instant, pas obtenu gain de cause auprès des autorités. La fermeture du bureau de liaison avec Israël n’est que temporaire, et rien ne démontre que le Maroc va faire marche arrière sur la question de la normalisation. Sur le plan diplomatique, le Royaume continue d’appeler à l’apaisement du conflit, sans prendre parti.
Selon l’association Instance marocaine de soutien aux causes de la oumma, il y aurait eu, dans tout le Maroc, 58 manifestations dans les rues, et 40 dans les universités, depuis les premiers jours qui ont suivi l’attaque du Hamas jusqu’au 18 octobre. Et cela ne semble pas s’arrêter. Un deuxième vendredi de colère a été décrété par l’Instance, le 20 octobre, sous le slogan « Nous sommes tous Gaza ».
Ce pic de manifestations est incontestable par rapport aux habitudes des Marocain·es, qui se sont mobilisé·es, en moyenne, seulement 17 fois par semaine entre 2006 et 2016, selon une étude menée par le centre de recherche Tafra. Dans la majorité des cas, c’était pour le travail, l’emploi, les politiques sociales et, dans une moindre mesure, les droits civiques, observe la chercheuse Chantal Berman, qui note tout de même de fortes mobilisations ponctuelles liées aux questions internationales et notamment à la situation en Palestine.
Depuis les manifestations du mouvement du Hirak, dans la région du Rif, entre 2016 et 2017, et l’arrestation de plusieurs de ses militants, on n’avait plus vraiment vu de rassemblements de très grande ampleur dans le Royaume. Alors pourquoi la cause palestinienne, plutôt qu’une autre, a-t-elle finalement suscité la sortie de tant de Marocain·es ?
Pour Fouad Abdelmoumni, militant, ancien vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et ancien secrétaire général de Transparency Maroc, le fait que ce soit une question extérieure au contexte national évite une confrontation directe majeure avec le pouvoir, et donc, le risque de répression. « C’est un enjeu extérieur, donc le régime n’est pas légitime à faire couler le sang. On a le sentiment diffus que les enjeux sont partagés, et les risques minorés », analyse-t-il.
La cause palestinienne, qui a déjà suscité de grandes manifestations par le passé, était, ces dernières années, tombée dans une certaine « léthargie », dit-il encore. En cause, une « politique de manipulation menée par le Makhzen [le pouvoir royal marocain − ndlr] pour banaliser la normalisation avec Israël ». Cela n’aura pas suffi à faire accepter au peuple l’abandon de ses sympathies pour la Palestine.
Mégaphones, drapeaux, banderoles, slogans… Derrière les sit-in pour la Palestine, une coalition expérimentée est à l’œuvre. Deux entités la composent : le Groupe d’action nationale pour la Palestine et le Front marocain en soutien à la Palestine contre la normalisation. Elles réunissent des syndicats de travailleurs, des partis de gauche, tels que le Parti socialiste unifié, ou la Fédération de la gauche démocratique… mais aussi des organisations islamistes : le parti islamiste Justice et Développement (PJD), et surtout, une association non reconnue par les autorités, Al Adl Wa L’Ihssane (« Justice et bienfaisance », en arabe), autrefois appelée la Jamâa.
Se présentant comme un « mouvement communautaire islamique indépendant », Al Adl Wa L’Ihssane possède une importante capacité de mobilisation, ce qui lui procure une certaine tolérance de la part du pouvoir. C’est elle qui a gonflé les rangs, en 2011, lors des manifestations du 20 février, et même plus récemment, des sit-in de soutien aux prisonniers du Hirak. Ce pouvoir a été construit, au fil de ses quarante années d’existence, en partie par son fondateur, Abdessalam Al-Yassine, mort en 2012. Son credo : « islamiser la modernité ».
Opposée au système du Makhzen, il s’agit d’une idéologie révolutionnaire qui s’adresse aux masses, vers un renversement du pouvoir au nom de l’islam. Al Adl Wa L’Ihssane s’inscrit aussi dans une logique anticoloniale, dénonce la suprématie de l’Occident… et s’est donc naturellement emparée de la cause palestinienne, depuis des décennies. La Jamâa, comme on continue de l’appeler au Maroc, n’avait toutefois pas fait une telle démonstration de sa force de mobilisation depuis plusieurs années. Difficile de dire, cependant, combien de manifestant·es sont véritablement venu·es en son nom, malgré la présence de bannières siglées. Nous avons tenté de joindre l’association, sans réponse.
Le pouvoir interdit les rassemblements, mais dès que le nombre de gens dépasse un certain seuil, ils préfèrent laisser courir.
Faut-il craindre une récupération islamiste de la cause ? Pour Fouad Abdelmoumni, il y a sûrement un calcul d’opportunités, qui n’éclipse pas une vraie conviction. « Al Adl Wa L’Ihssane est réputée comme l’organisation qui compte le plus grand nombre de membres affiliés, avec une grande discipline. Il est naturel qu’ils soient perçus dans ces manifestations, explique le militant. Évidemment, le mot a circulé par le relais des groupes organisés, mais je constate que c’est réellement un mouvement de masse qui a eu lieu, sans signes distinctifs partisans. »
La récupération viendrait plutôt… du Makhzen lui-même. « Le pouvoir interdit les rassemblements, mais dès que le nombre de gens dépasse un certain seuil, ils préfèrent laisser courir », analyse Fouad Abdelmoumni, qui, présent à la marche de Rabat, dit même avoir vu des signes de sympathie de la part des forces de l’ordre. « Récemment, les éléments de langage du pouvoir consistent à dire qu’ils laissent faire parce qu’ils sont d’accord avec la foule », ajoute-t-il. Tout en ignorant royalement une de ses revendications principales : la fin de la normalisation.
Si tant de gens sont sortis dans la rue, c’est aussi parce que la caisse de résonance offerte par les réseaux sociaux est massivement dénoncée comme défaillante par les Marocain·es. Au sit-in de la place des Nations-Unies, une jeune femme est venue avec une pancarte au message fort : « You can’t shadowban us in real life – Free Palestine » (« Vous ne pouvez pas nous invisibiliser dans la vraie vie − Libérez la Palestine »).
Comme elle, de nombreux utilisateurs et utilisatrices marocain·es d’Instagram et Tiktok se sentent muselés. Le shadowban, c’est cette façon qu’ont les réseaux sociaux, et notamment Meta, qui possède Instagram et Facebook, de rendre moins visibles certaines publications. Pour beaucoup d’internautes marocain·es, y compris celles et ceux qui vivent à l’étranger et qui veulent soutenir les contestations dans le Royaume, cela ne fait aucun doute : tout message pro-Palestine est sous-exposé auprès de leur communauté. Dans le monde entier, on se passe des moyens de duper l’algorithme : avec l’emoji pastèque, par exemple. Parce qu’il est rouge et vert, il a remplacé le drapeau palestinien.
Les personnalités marocaines, surtout celles qui ont de larges communautés en ligne, se sont trouvées pressées de prendre position sur le conflit. Le footballeur Achraf Hakimi, par exemple, n’a fait aucune déclaration, contrairement à d’autres stars de l’équipe nationale. Résultat : pluie de commentaires l’interpellant sur le sujet. « As-tu vu le génocide qui a lieu à Gaza ? Es-tu arabe ? Es-tu humain ? On n’oublie pas, wallah ! », ou encore « Free Palestine », que l’on peut lire sous un post où il célèbre une victoire de l’équipe nationale.
Les stades de foot sont connus au Maroc pour être des arènes de contestation. Les associations d’ultras n’ont pas manqué à l’appel de la cause palestinienne, chantant en leur honneur, ou brandissant des drapeaux pendant les matchs.
Vendredi 20 octobre, à Rafah, Rahma Zein, podcasteuse égyptienne, a invectivé Clarissa Ward, journaliste pour CNN : « Viens me parler comme un être humain », lui lance-t-elle. « Vous vous accaparez le récit […] Où sont nos voix ? Elles doivent être entendues aussi. Nous avons regardé vos chaînes. Au lieu de pleurer nos morts, ces enfants palestiniens, nous avons affaire à plus de déshumanisation des Arabes », s’insurge-t-elle. Sa tirade a été partagée des dizaines de milliers de fois sur les réseaux, notamment au Maroc, où la défiance envers les médias occidentaux ne fait que s’attiser. La couverture, notamment française, du séisme d’Al-Haouz, en septembre, avait déjà suscité de vives polémiques.
Dans une vidéo filmée vendredi 20 à Fès, Ali, un jeune manifestant, s’adresse directement à l’Occident et à ses médias phares : « Vous avez menti sur l’Irak, vous avez menti sur les bébés et maintenant, vous mentez sur les bombardements. France, États-Unis, vous financez tout ça. CNN, Fox News, honte à vous. Nous nous souviendrons toujours de vous. »
Quand il parle des « bébés », Ali fait allusion aux journalistes qui ont répandu la rumeur d’un massacre de 40 bébés par le Hamas, à Kfar Aza. Après l’avoir diffusée, CNN avait dû rétropédaler, déclarant qu’Israël ne pouvait pas confirmer cette déclaration spécifique.
Concernant le bombardement de l’hôpital Al-Ahli, le Hamas et Israël se rejettent aujourd’hui toujours la faute, et s’accusent d’alourdir ou d’alléger le nombre de morts selon leur intérêt. Pour Ali, c’est très clair : « Israël est responsable de ce bombardement. On en a toutes les preuves. Quelques jours plus tard, ils ont frappé une église. Il est temps d’arrêter de se voiler la face pour protéger un État terroriste. »
Comme beaucoup de Marocain·es, Ali préfère s’informer sur des pages indépendantes, en anglais ou en arabe, ou encore par les canaux Instagram de journalistes gazaouis. « Tout ce qui est presse internationale, je le prends avec des pincettes », explique-t-il.
Néanmoins, les pages palestiniennes rencontrent aussi des difficultés. Vendredi 20 octobre, Instagram a dû publiquement s’excuser d’une anomalie dans la traduction automatique de la biographie de certains comptes : les mots « palestinien », suivi de l’emoji drapeau, et « al-hamdoulillah » (« grâce à dieu », littéralement, en arabe) donnaient lieu à l’ajout automatique de la mention « terroriste ». Explication de Meta : un bug dans la matrice.
Camélia Echchihab
Camélia Echchihab
23 octobre 2023 à 12h09
https://www.mediapart.fr/journal/international/231023/au-maroc-la-cause-palestinienne-rallume-la-flamme-contestataire
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Rédigé le 23/10/2023 à 14:29 dans Israël, Maroc, Palestine | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 23/10/2023 à 14:10 dans Israël, Lejournal Depersonne, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Joe Biden et d’autres dirigeants occidentaux se sont rendus en Israël après les attaques terroristes du Hamas. Si leur soutien est accompagné d’une mise en garde sur le respect du droit international, ils sont critiqués par le reste du monde pour le « deux poids, deux mesures » appliqué à leur politique au Moyen-Orient, notamment comparée à la stratégie ukrainienne.
23 octobre 2023 à 13h39
L’imageL’image – ou plutôt la mise en scène – est largement passée inaperçue en Occident, où les médias sont concentrés depuis plus de quinze jours sur les événements sanglants en Israël et à Gaza. Elle a eu lieu mardi dernier à Pékin, le 17 octobre, au Palais du peuple, et a été diffusée par la télévision officielle chinoise (à partir de 2 min 35 s dans cette vidéo).
Deux militaires ouvrent une porte dorée, laissant passer un groupe de dirigeant·es réuni·es dans la capitale chinoise pour un sommet destiné à fêter le dixième anniversaire des Nouvelles Routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI, selon son acronyme en anglais), le « projet du siècle » du numéro un chinois Xi Jinping.
Côté européen, seul le premier ministre hongrois, Viktor Orbán, s’est déplacé, la France ayant envoyé un second couteau, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, connu pour ses positions prochinoises – mais qui, le lendemain, est sorti de la salle peu avant le discours de Vladimir Poutine, en compagnie de délégués européens, selon l’agence Reuters.
Vladimir Poutine et Xi Jinping lors de la cérémonie de bienvenue du forum des Nouvelles Routes de la soie à Pékin le 17 octobre 2023. © Photo Sergei Savostyanov / Pool / AFP
Car ce soir du 17 octobre, pour le dîner d’accueil, les deux chefs d’État qui ont ouvert la marche sont l’hôte Xi Jinping et son ami Vladimir Poutine, devenu un paria en Occident depuis son agression de l’Ukraine il y a plus d’un an et demi. Et si le dirigeant russe a été mis en examen par la Cour pénale internationale (CPI) pour sa responsabilité dans des crimes de guerre perpétrés en Ukraine, Pékin n’en a cure. L’image n’a pas besoin de beaucoup plus d’explications. Les deux dirigeants chinois et russe donnent le tempo, les autres suivent.
Au même moment, Joe Biden se préparait pour une visite en Israël. Un déplacement avant tout destiné à afficher un soutien conditionnel à Israël après les attaques terroristes du Hamas, mais réduit à la portion congrue après l’annulation de l’étape jordanienne, où il devait rencontrer les dirigeants jordanien et égyptien et le chef de l’Autorité palestinienne. Une rencontre annulée par le drame de l’hôpital Ahli-Arab à Gaza, attribué à une frappe israélienne par le Hamas, mais qu’Israël et les États-Unis expliquent par un tir de roquette raté du Jihad islamique, un allié du mouvement islamiste palestinien.
De retour à Washington, le président états-unien s’est adressé aux Américain·es dans un discours à la nation. Il a évoqué un de ces moments historiques où les décisions à prendre sont déterminantes « pour les décennies à venir ». « Un point d’inflexion », a-t-il souligné. Il s’est dit ému par les atrocités commises par le Hamas, tout en mentionnant les victimes palestiniennes. Mais il a surtout rapproché la situation israélienne de la guerre en Ukraine.
« L’assaut contre Israël fait écho à près de vingt mois de guerre, de tragédie et de brutalité infligés au peuple ukrainien – un peuple qui a été très durement touché depuis que Poutine a lancé son invasion, a dit le président états-unien. Nous n’avons pas oublié les charniers, les corps portant des traces de torture, le viol utilisé comme arme par les Russes, et les milliers et milliers d’enfants ukrainiens emmenés de force en Russie, volés à leurs parents. Cela rend malade. Le Hamas et Poutine représentent des menaces différentes, mais ils ont ceci en commun : ils veulent tous deux anéantir complètement une démocratie voisine – l’anéantir complètement. »
Joe Biden et Benyamin Nétanyahou à Tel-Aviv, le 18 octobre 2023. © Photo distribuée par le gouvernement israélien via Anadolu et AFP
Si Joe Biden ne rejoint pas complètement le discours d’extrême droite du premier ministre Benyamin Nétanyahou sur la guerre des civilisations, il tente de réactiver un récit qu’il avait tenté de lancer au début de son mandat, sans succès : celui de l’opposition entre le camp des démocraties, emmenées par Washington, et celui des dictatures, où l’on retrouve le rival chinois et son supplétif russe.
Dans son discours à la nation, Biden a également annoncé vouloir demander plus d’argent pour l’Ukraine et pour Israël, afin de soutenir leurs efforts de guerre. Le tout en invoquant le souvenir de la mobilisation du « monde libre » sous le mandat de Franklin D. Roosevelt durant la Seconde Guerre mondiale : « Tout comme [à l’époque], les travailleurs américains patriotes construisent l’arsenal de la démocratie et servent la cause de la liberté. » « Dans des moments comme celui-ci, nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous sommes les États-Unis d’Amérique. Et rien n’est au-delà de notre capacité si nous agissons ensemble », a-t-il également lancé.
Mais, lors de sa visite en Israël, Joe Biden a également mis en garde ses interlocuteurs sur le danger de se laisser emporter par la vengeance. Il a évoqué publiquement les erreurs commises par son pays après le 11 septembre 2001 et le choc des attaques terroristes d’Al-Qaïda sur le sol américain. « La justice doit être rendue, a-t-il dit, mais je vous mets en garde : si vous ressentez cette rage, ne vous laissez pas envahir par elle. Après le 11-Septembre, nous étions enragés aux États-Unis. Nous avons cherché à obtenir justice et nous l’avons obtenue, mais nous avons aussi commis des erreurs. »
Et d’insister sur la mesure et la lucidité nécessaires à observer : « Je suis le premier président à me rendre en Israël en temps de guerre. J’ai pris des décisions en temps de guerre et je sais que les choix ne sont jamais clairs ou faciles. Il y a toujours des coûts qui doivent être examinés, qui nécessitent de poser des questions très difficiles, qui nécessitent de clarifier les objectifs et de se demander, honnêtement, si la voie que l’on suit permettra d’atteindre ces objectifs. La grande majorité des Palestiniens ne font pas partie du Hamas. Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien. »
Selon le New York Times, Washington tente de persuader Israël de retarder l’offensive terrestre sur Gaza, pour permettre notamment de libérer les otages aux mains du Hamas et du Jihad islamique, tout en permettant aux civils palestiniens de bénéficier d’une aide humanitaire. Si les Occidentaux se retrouvent sur la même ligne que les États-Unis – Biden s’est entretenu dimanche avec plusieurs dirigeants européens, dont Emmanuel Macron, qui a prévu de se rendre en Israël mardi –, la division avec le reste du monde, déjà visible sur l’Ukraine, n’a fait que se renforcer.
Dans un éditorial publié le 20 octobre, le Financial Times a résumé la difficulté que doivent affronter Washington et ses alliés. « Un exercice d’équilibre complexe est nécessaire, juge le journal. L’Amérique et les démocraties occidentales doivent apporter leur soutien à un allié traumatisé, l’aider à renforcer ses défenses et dissuader d’autres ennemis de rejoindre le Hamas dans la guerre. Elles doivent également exhorter Israël à s’abstenir de toute action susceptible d’entraîner de nouvelles pertes civiles. »
Pour le Financial Times, « un mauvais équilibre peut exacerber les tensions non seulement au Moyen-Orient, mais aussi au sein des communautés locales ». Alors que les Occidentaux avaient enjoint au monde de rejoindre leur combat pour la défense de l’Ukraine, « la perception d’un double standard occidental qui s’installe déjà est un cadeau pour Moscou et Pékin ». « Le droit international ne peut pas être une marchandise que l’Occident soutient quand cela l’arrange, mais qu’il rejette quand cela ne l’arrange pas », conclut le texte.
L’illustration de cette division du monde a été donnée samedi, lors du sommet organisé par les Égyptiens, auquel ne participaient ni Israël ni les États-Unis. Il s’est achevé sans communiqué commun et sur un constat d’échec. L’un des plus virulents envers l’hypocrisie occidentale a été le roi de Jordanie, Abdallah II. « Partout ailleurs, le monde aurait condamné le ciblage des infrastructures civiles et la privation délibérée de la population de nourriture, d’eau, d’électricité et de ses besoins essentiels, et les auteurs de ces actes auraient certainement été tenus de rendre des comptes immédiatement », a-t-il lancé, ajoutant dans une référence à l’Ukraine que « cela a été le cas récemment dans un autre conflit, mais pas à Gaza ».
Dans un monde failli, cette absence de crédibilité et cette perception de dirigeants défaillants et dépourvus de toute vision ambitieuse – toujours aussi incapables de faire respecter le droit international ou de protéger les populations civiles – rendent difficiles dans l’immédiat de prévenir une extension du conflit et, à plus long terme, toute perspective pour l’après. Et ne peuvent que renforcer l’impression de désastre politique.
François Bougon
23 octobre 2023 à 13h39
https://www.mediapart.fr/journal/international/231023/guerre-israel-hamas-face-la-chine-et-la-russie-washington-et-ses-allies-sur-un-fil
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Rédigé le 23/10/2023 à 09:53 dans Israël, Moyen-Orient, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
L’écrivain Gilles Perrault est mort dans la nuit du 3 au 4 août dernier. Il avait été rendu célèbre par ses diverses enquêtes, notamment Notre ami le roi, consacrée au Maroc et à Hassan II. Un ami marocain se rappelle cette période. La famille, Orient XXI et la Ligue des droits de l’homme (LDH) lui rendront hommage ce mardi 24 octobre à 18 h 30 à Paris.
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L’écrivain Gilles Perrault est mort dans la nuit du 3 au 4 août dernier. Il avait été rendu célèbre par ses diverses enquêtes, notamment Notre ami le roi, consacrée au Maroc et à Hassan II. Un ami marocain se rappelle cette période. La famille, Orient XXI et la Ligue des droits de l’homme (LDH) lui rendront hommage ce mardi 24 octobre à 18 h 30 à Paris.
Ceux qui l’avaient rencontré ou lu ses ouvrages ne l’oublieront jamais. Encore moins ceux ayant subi les affres de la répression sous le règne du roi Hassan II : les prisonniers d’opinion embastillés jusqu’aux débuts des années 1990, les militaires des deux putschs emmurés dans l’exécrable bagne de Tazmamart, et les enfants du général Mohamed Oufkir et leur mère mis sous les verrous sans procès en 1972.
Gilles Perrault, décédé dans la nuit du 3 au 4 août 2023 à l’âge de 92 ans, connaissait sans doute du Maroc ce que se racontaient nombre d’écrivains et de journalistes français : une monarchie répressive mais ouverte sur l’Occident, un roi ami fidèle à la France qui avait l’art de séduire et de flatter par son immense culture francophone et francophile ses élites et ses médias.
Quant aux disparités socioéconomiques criantes qui y sévissaient, elles ne dérangeaient pas outre mesure les élites de la France, une fatalité, se disaient-elles, que beaucoup d’autres pays partageaient au demeurant, et qu’il ne fallait pas s’en alarmer. En tout cas, l’auteur de livres-enquêtes à grand succès, notamment L’Orchestre rouge et, surtout, Le Pullover rouge sur l’affaire du jeune Christian Ranucci, l’un des derniers condamnés à mort guillotinés en France avant l’abolition de la peine capitale, s’intéressait peu à ce que se passait au Maroc.
Voilà un jeune homme de 33 ans, sous les verrous depuis dix ans pendant le règne de Hassan II qui, encore plus curieux après sa lecture de l’enquête sur Leopold Trepper, le chef du service d’espionnage soviétique en Occident pendant la seconde guerre mondiale (« l’Orchestre rouge »), écrivit une lettre à l’auteur pour lui demander quelques détails. On était en 1984. Une phrase à la fin de l’ouvrage avait particulièrement touché le lecteur-prisonnier. Parlant de Trepper, arrêté par Joseph Staline après son retour en URSS une fois la guerre terminée et envoyé croupir pendant dix ans à la Loubianka de Moscou, l’auteur commente :
Il sort de la Loubianka tel qu’il y est entré : communiste. Et nous qui ne sommes pas communistes, nous aimons pourtant qu’il le soit resté, car la défaite d’un homme que les vicissitudes, même affreuses, amènent à rejeter ses convictions comme un fardeau trop lourd, c’est une défaite pour tous les hommes.
L’auteur de la lettre, ne connaissant même pas l’adresse de l’écrivain, l’envoya comme on en envoie une bouteille à la mer à son éditeur : Fayard, 13 rue de Montparnasse à Paris. J’étais l’auteur de ce courrier et la phrase sur Trepper avait résonné toute la nuit dans ma tête : je n’étais plus communiste, quant à moi, et j’avais quitté toute activité militante. Et pourtant, on m’avait arrêté, torturé, forcé à rester poignets menottés et yeux bandés pendant de longs mois au centre de détention clandestin de Derb Moulay Cherif, puis condamné à l’issue d’un procès-mascarade à 22 ans de prison ferme. Je suis parti les purger à la prison centrale de Kenitra avec une centaine de mes camarades lourdement condamnés eux aussi. Quitter l’organisation « IIal Amam »1 à laquelle j’appartenais ne signifiait pas, pour moi, renier mes convictions : celles d’un homme libre qui, au-delà de toute idéologie, abhorrait l’arbitraire et le despotisme.
Sur le dos de l’enveloppe j’avais mentionné mon nom, et en guise d’adresse : PC (Prison centrale) de Kenitra. Une dizaine de jours plus tard, je reçus à ma grande surprise une réponse courtoise, avec un colis de livres dont Les Gens d’ici et Le Pullover rouge.. Une relation épistolaire s’instaura, depuis, entre moi, Gilles Perrault et son épouse Thérèse, et naîtra une amitié de quarante ans qui restera intacte et affectueuse jusqu’à son décès. Au départ, l’écrivain croyait que « PC » signifiait « Poste de Commandement » et que j’étais un soldat qui se morfondait dans une caserne à Kenitra. Je lui avais répondu que non, lui expliquant ma situation de prisonnier d’opinion.
Je n’avais jamais imaginé que ma lettre allait déclencher quelques années plus tard chez Gilles, habitant un village du nom Sainte-Marie-du-Mont en Normandie, à 3 000 kilomètres de Kenitra, une rage d’écrire sur le Maroc pour rendre justice à des jeunes qui croupissaient dans les geôles pour leurs idées. Avec le recul, si je suis fier de quelque chose dans ma vie c’est d’avoir commis cette lettre et d’avoir provoqué chez cet homme, aux valeurs humaines et de justice chevillées au corps, cette rageuse envie de dénoncer l’arbitraire, à une époque où la liberté d’expression et les libertés tout court étaient bâillonnées dans mon pays. Il m’écriti un un jour :
Je t’ai toujours comparé à Sidney, mon fils aîné, qui a ton âge et qui avait milité comme toi dans un mouvement d’extrême gauche. Lui, il avait tout au plus reçu des coups de matraque sur le crâne, alors que toi tu es dans la prison jusqu’au cou.
Je fus libéré par une grâce royale que je n’avais jamais demandée, le 7 mai 1989, après quatorze ans et quatre mois à l’ombre, laissant derrière moi une huitaine de camarades — dont Abraham Serfaty — que le régime avait refusé de relâcher. Cela faisait suite à une campagne internationale de solidarité à laquelle Gilles Perrault et d’autres écrivains et hommes et femmes épris de justice (Christine Daure-Serfaty, Nelcya Delanoë, Claire Etcherelli, Me Henri Leclerc, François Della Suda, François Maspero, Yves Baudelot, Pr Alexandre Minkovski…) avaient participé.
« Le complot », comme l’avait nommé Edwy Plenel dans sa préface (ourdi par Christine Daure-Serfaty2, Perrault et Plenel, lequel dirigeait à l’époque une collection chez Gallimard, pour l’écriture de Notre ami le roi), avait commencé à prendre forme vers 1987, mais j’ignorais tout du projet. Nous continuions à correspondre Gilles et moi comme si de rien n’était, et il continuait à me gratifier de livres, dont Un homme à part , sa célèbre enquête sur Henri Curiel assassiné à Paris en 1978. Tout au plus avait-il plusieurs fois insisté pour que je lui envoie les mémoires de prison que je consignais — qui serviraient plus tard à la rédaction de mes deux livres La Chambre noire et Vers le large3. Le jour de ma libération, Thérèse et Gilles m’envoyèrent un télégramme de félicitations, je leur téléphonai pour les remercier. Ce fut notre première communication de vive-voix. Gilles me posa une question qui voulait tout dire : « Et les autres, pourquoi n’ont-ils pas été libérés, es-tu sûr qu’ils le seront aussi ? » « Je n’en sais rien », lui avais-je répondu.
Quelques mois plus tard, fin 1990, la bombe explosa à la figure du roi du Maroc sous forme d’un livre, Notre ami le Roi : incendiaire pour un régime qui soudoyait par l’argent et les prébendes une élite française pusillanime ; un canot de sauvetage inespéré pour des centaines de prisonniers politiques, civils et militaires, encore emprisonnés. Je me rappelle le courroux du roi dans les les semaines qui suivirent la sortie du livre : on obligeait les gens à réagir contre ce « brûlot », une avalanche de lettres et de télégrammes de protestation était envoyés, tous les jours, à l’auteur et à l’Élysée. Peine perdue.
Interdit au Maroc, le livre circulait à grande échelle sous le manteau et il connut un succès foudroyant. Des exemplaires furent introduits clandestinement aux prisonniers de la PC prison centrale de Kenitra, des entretiens radiophoniques de l’auteur avec la presse furent captés au fin fond de l’un des bagnes des plus indignes de l’être humain, celui de Tazmamart, où les militaires des deux putschs de 1971 et 1972, ou ceux qui avaient survécu, souffraient encore le martyre.
Résultat, le dernier carré des prisonniers gauchistes du procès de 19774 furent libérés. Les survivants du bagne de Tazmamart et les enfants Oufkir disparus depuis 1972 retrouvèrent la lumière après son aveuglante absence durant vingt ans. Abraham Serfaty, lui, fut exilé manu militari en France avec un passeport brésilien.
Dix ans plus tard, invité par le Salon du livre de Paris, en 2001, après la publication de La Chambre noire, j’organisais une table ronde pour débattre du passé de mon pays et, surtout, de son avenir sous le nouveau règne de Mohamed VI. Je téléphonai à mon ami Gilles, auquel j’avais consacré une postface dans mon livre, pour l’inviter à venir y participer. Il répondit présent. Je l’aperçus au milieu de l’assistance, presque effacé, refusant d’intervenir et d’être la vedette d’une soirée consacrée aux rescapés, « héros » de son livre. Je pris la parole pour attirer l’attention sur cette présence en lui rendant un vibrant hommage.
Pour la première fois, 17 ans après cette première lettre, je vis mon ami Gilles devant moi en chair et en os. Suivront notre première poignée de main et notre première bise. Pendant la campagne de présentation du livre, il n’avait jamais osé citer mon nom, ni d’ailleurs dans le l’ouvrage lui-même quand il avait reproduit un paragraphe de l’une de mes lettres, se contentant de répondre, à ceux qui lui demandaient d’où venait son intérêt pour le Maroc, que c’est un étudiant condamné à 22 ans de prison qui l’avait alerté. Ce n’est que trente ans après la sortie de Notre ami le roi, lors d’un [entretien accordé au journaliste et écrivain Omar Brouksy à Orient XXI, qu’il mit un nom sur cet étudiant anonyme.
Le « tremblement de terre » qu’avait provoqué ce livre, avec le recul, fut en réalité une aubaine, non seulement pour les damnés de la terre de notre pays, mais aussi pour la monarchie elle-même : il lui a permis de se ressaisir pour enclencher un processus d’ouverture, et, quelques années plus tard, de avec la création de l’Instance équité et réconciliation (IER)5.
Un jour, sachant qu’il suivait de près l’actualité marocaine, je lui avais posé une question sur ce qu’il pensait de cette Instance : imposture ou grande réalisation ? « J’ai envie de dire : les deux mon général. Réponse de Normand ? Il existait une foule d’arguments à l’appui de l’une et de l’autre jugement. Il demeure que le règne actuel, avec toutes ses imperfections, ne ressemble pas au précédent, fort heureusement ». Dans ce restaurant parisien, où il nous avait invités mon épouse et moi le soir du débat, Gilles parlait peu, écoutait surtout.
Nous continuâmes notre échange deux jours plus tard, en présence de mon épouse et de la sienne, dans sa maison à Sainte-Marie-du-Mont où il nous avait invités pour passer une nuit, là où en 1961, quittant Paris, il alla s’installer au bord de la Manche et de la plage Utah Beach, théâtre du débarquement des Alliés en 1944. C’est pendant cette soirée que j’avais mesuré l’ampleur de sa culture et sa passion pour l’Histoire : partout des livres, pas un coin où glisser une aiguille, là où il y a un vide il était colmaté par un ouvrage, un beau livre, un magazine…, jusqu’aux murs d’un escalier en colimaçon qui conduisait au premier étage de sa maison, remplie à ras-bord d’ouvrages. À mi-chemin de cet escalier, il s’arrêta un instant pour me montrer son bureau de travail : une petite pièce modeste meublée d’une humble table ornée d’un abat-jour, où il avait produit son immense œuvre.
Il m’avait raconté comment se déroulaient ses heures de travail : « À partir de quatre heures du matin, et ça dure toute la matinée. » Pas d’ordinateur pour saisir son texte, seulement un stylo à encre lui servant d’arme pour noircir des milliers de pages et tirer quelques cartouches pour éveiller les consciences. À force d’user de ses trois doigts pour écrire, une petite bosse avait pris place sur le bout de son majeur. « J’écris tout à la main, puis je dicte mon texte sur des cassettes de magnétophone et une spécialiste de l’ordinateur retranscrit sur sa machine. Complexe et… assez cher. »
Lors de notre échange en ce mois de mars 2001, il m’avoua les tourments qu’il avait endurés après la publication de son livre sur le Maroc :
Ah, mon cher Jaouad, tu m’as créé beaucoup de problèmes ! Notre vie n’est plus la même depuis la sortie de ce livre, et même avant : ton irruption dans notre vie a modifié quelque chose dans notre existence paisible dans ce village. L’essentiel est que vous soyez enfin libres, mes emmerdes ne sont rien devant celles qui vous avez endurées.
Principaux ouvrages de Gilles Perrault :
– L’Orchestre rouge, Fayard, 1967.
– Le Pull-Over rouge, Ramsay, 1978.
– Un homme à part, Barrault, 1984.
– Notre ami le roi, Gallimard, 1990.
– Souvenirs, Fayard, 1995-2008 (trois tomes)
– Le Secret du roi, 1992-1996 (trois tomes).
– Le Livre noir du capitalisme, Le Temps des Cerises, 1998.
– Dictionnaire amoureux de la Résistance, Plon/Fayard, 2014.
Documentaire sur Gilles Perrault :
L’Écriture comme une arme, de Thierry Durand, FAG production/France 3, 2014.
Sur la Toile :
« Est-ce que l’Orchestre rouge jouait faux ? », entretien de Chris Den Hond avec Gilles Perrault réalisé avant la mort de l’écrivain, Contretemps, 9 octobre 2023.
Rédigé le 23/10/2023 à 09:03 dans Littérature, Livres, Maroc | Lien permanent | Commentaires (0)
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