Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a été chahuté lundi lors d’un discours au Parlement par des familles d’otages, retenus dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre contre le Hamas il y a 80 jours.
« Maintenant, maintenant ! », ont scandé des parents d’otages à plusieurs moments du discours alors que le premier ministre déclarait que les forces israéliennes avaient besoin de « plus de temps » pour obtenir leur libération en poursuivant leurs opérations dans le territoire palestinien, où 156 soldats israéliens ont été tués depuis le début de la phase terrestre de la guerre fin octobre.
Une trêve d’une semaine ayant pris fin le 1er décembre avait permis la libération de 105 otages, dont 80 en échange de 240 Palestiniens détenus dans des prisons israéliennes, mais 129 restent captifs à Gaza.
« Et si c’était ton fils ? », « 80 jours, chaque minute, c’est l’enfer », pouvait-on lire sur des banderoles brandies par les familles au Parlement, qui a tenu une session spéciale consacrée à la question des otages.
Assurant n’« épargner aucun effort » pour faire libérer les otages, M. Nétanyahou a affirmé que cela n’était possible qu’en maintenant « la pression militaire ».
« Nous ne devons pas arrêter la guerre tant que nous n’avons pas achevé la victoire sur ceux qui en veulent à nos vies, a-t-il déclaré. Nous n’arrêterons pas avant la victoire. »
Lundi 25 décembre, le premier ministre israélien a aussi annoncé s’être rendu à Gaza, et promis « une intensification » des combats en cours dans le territoire palestinien contre le Hamas.
« Je reviens maintenant de Gaza. Nous n’arrêtons pas, nous continuons de nous battre et nous intensifierons les combats dans les jours à venir, et ça sera une longue guerre qui n’est pas près de finir », a déclaré M. Nétanyahou devant les élus de son parti, le Likoud, selon un communiqué de ce dernier.
L’armée israélienne avait également annoncé dimanche intensifier ses opérations dans le sud de la bande de Gaza, où les frappes israéliennes se poursuivent et les civils sont toujours au bord de la famine. L’enclave palestinienne n’a connu aucun répit pour les fêtes de Noël.
Quelque 250 personnes ont été prises en otage lors de l’attaque sanglante du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre, qui a fait environ 1 140 morts, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP à partir des derniers chiffres officiels.
Au moins 20 057 personnes – majoritairement des femmes, des enfants et des adolescents – on été tuées à Gaza depuis le début de l’offensive israélienne en représailles à l’attaque, selon les autorités du Hamas au pouvoir.
Il est des débuts d'hiver qui font mal. Les propositions du Rassemblement national et de la famille Le Pen sont reprises dans la loi immigration que vient de voter le Parlement. Et, discrètement, une militante de toujours de la solidarité avec les travailleurs immigrés, Clara Benoits, vient de nous quitter à l'âge de 93 ans après une vie de la lutte contre l'exploitation et l'oppression.
Cet hommage a été rédigé par des amis et camarades de Renault
Clara Benoits, féministe de toujours, fut déléguée du syndicat CGT chez Renault à Billancourt pendant 25 ans , engagée dans la solidarité avec les algériens en lutte pour leur indépendance puis avec les travailleurs immigrés. Au début de son activité syndicale, elle y fut surnommée « mitraillette » en raison de sa véhémence et de son débit accéléré lors des interventions devant la direction.
Et cette combativité revendicative fut aussi remarquée par les délégués hommes ouvriers souvent immigrés des secteurs de production de l’usine : le début d’une solidarité militante qui ne faillira jamais.
Pas la peine de s'interroger sur l'indignation avec laquelle elle aurait accueillie ce vote de la honte : ses paroles et ses actes témoignent depuis le début des années 1950 qu'il est des militantes et des militants qui tiennent sans rien demander en retour leurs engagements de solidarité à l'inverse des sombres opportunistes qui gouvernement aujourd'hui vendant dignité et respect des droits pour leur bénéfices électoraux Ce sont bien les indigné(e)s contre l'injustice qui donnent des leçons de dignité aux Macron et à ses alliés anciens et nouveaux.
Si Clara n'en a pas été membre, le NPA et la IV ème Internationale ont tenu lui rendre l'hommage que son parcours militant oblige, associé à tant de nos combats pour l’émancipation. Ils adressent un salut affectueux à son compagnon Henri Benoits qui a rejoint la IVème Internationale en 1944, et qui s'en réclame toujours aujourd'hui.
Clara Benoits aura traversé près d’un siècle de luttes et de résistances. Ses parents hongrois, ouvrière et ouvrier, l’une catholique et l’autre de famille juive, avaient émigré en France après la première guerre mondiale. Ce fut une enfance d’immigrée dont le premier souvenir « militant » fut, enfant de 6 ans, sa venue aux côtés de son père sur un piquet de grève de l’usine Renault de Billancourt lors de son occupation en juin 1936 pendant le Front populaire.
La maladie, la tuberculose et le sanatorium interrompent ses études et elle entre en 1949,de père en fille chez Renault, pour y exercer un emploi de sténo dactylo et participer à sa première grève de trois semaines en 1950 pour le rétablissement d’une convention collective. Déléguée du personnel CGT, elle l’est restée 20 ans de 1950 à 1970 avant de devenir déléguée hygiène et sécurité de 1970 à 1975. Elle participa à la grève de 1968 y animant dans le secteur où elle travaillait, éloignée de quelques centaines de mètres de l’usine elle-même, l’une des rares instances auto organisées de tout Billancourt.
Au début des années 1950, c’est le temps où Clara partage les espoirs d’un monde meilleur tel que le présentent les directions de la CGT et du PCF. C’est le temps des grandes grèves comme celle de 1952 où la majorité des délégués CGT est licenciée. De l’usine. Et c’est en 1953, engagés contre la répression patronale chez Renault, que Clara rencontre Henri pour, rester ensemble 70 ans « inséparables » !
L’année 1956 est celle de la révolution hongroise. Clara ayant servi d’interprète lors d’un festival mondial de la jeunesse à Budapest en 1949 avait maintenu des correspondances avec des hongrois rencontrés à cette occasion. Leur description de Budapest en 1956 ne correspondait pas à la contre-révolution bourgeoise dénoncée par la direction du PCF et son journal l’Humanité d’alors. Clara, constante dans son intégrité, fit part à ses camarades de Renault de ses interrogations et critiques. Elle rencontra alors une grande hostilité mais bénéficia du soutien affirmé des camarades de sa propre cellule, et resta membre du PCF jusqu’en 1970. Elle continua sous d’autres formes ses combats pour l’émancipation.
En février 1956, moins deux après le début de la guerre d’Algérie, les députés du parti communiste ont voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet engagé dans l’aggravation de la guerre. Chez Renault c’est l’émotion et la colère parmi les travailleurs et militants algériens en lutte pour l’indépendance de leur pays, ainsi que chez leurs soutiens français. Clara fait partie de celles-ci et ceux-ci. « La terre s’effondrait sous les pieds de tous les militants communistes, en particulier des jeunes du PCF, futurs appelés ou rappelés », raconte-t-elle. Et dans les années qui suivirent Clara s’engagea encore plus activement dans la solidarité avec les algériennes et les algériens. Chez Renault dans les bureaux où elle travaillait, elle diffusait presse et documents d’opposition à la guerre. Elle participa aux tâches confiées par la fédération de France du FLN, frappant à la machine, reproduisant et convoyant des tracts, participant à la la diffusion d’El Moudjahid, l’organe clandestin du FLN. Clara a fait partie le 17 octobre 1961 des cinq observateurs de Renault que le FLN avait sollicité pour assister à la manifestation et témoigner de son déroulement. Ce témoignage résonne encore car porté par Henri et Clara jusqu’à ces toutes dernières années dans tant de manifestations, documents vidéo ou exposés dans des établissements scolaires. Un témoignage pour entretenir le fil de la solidarité et dénoncer toutes les oppressions.
Ce qu’elle prolongera après avoir quitté Renault en militant de longues années à l’ASTI d’Issy-les-Moulineaux où elle se consacra notamment à des tâches d’alphabétisation. Elle y fit preuve de la même empathie à l’égard des autres en multipliant les relations d’amitié avec travailleurs et famille immigrés en butte aux discriminations, à la répression et auxrefus d’avoir des papiers. Cette solidarité sans frontière, affirmée dans les actes, est bien l’un des fils conducteurs de son activité militante.
A la fin de sa présence chez Renault et au-delà, Clara participa au groupe femmes de Renault. Pas de discontinuités : les combats de Clara tout au long de sa vie étaient en cohérence avec ceux de ce groupe femmes. Celui-ci fut créé au début des années 1970 au même moment que le MLAC très actif à Renault Billancourt. Ce groupe féministe dans lequel se sont retrouvées des salariées de toute activité professionnelle dans les ateliers et les services, marqua l’histoire de Renault à Boulogne, là où la conduite des activités syndicales étaient souvent le monopole des hommes. Clara, féministe de toujours, se retrouva pleinement dans ce groupe où, d’une génération plus ancienne , elle apporta son expérience militante.
Un salut pour le présent et les luttes de demain !
Plusieurs des témoignages vidéos de Clara sont visibles sur les sites de l'INA et du NPA. Le Maitron lui consacre une note rédigée par l'historienne Laure Pitti. Clara et Henri ont retracé leur histoire dans l'ouvrage « L’Algérie au coeur » publié aux éditions Syllepse en 2014.
Une cérémonie d’hommages aura lieu Mercredi 27 décembre 2023 à 11h30 au funérarium de Clamart, 194 rue de la Porte de Trivaux 92140 Clamart. L'inhumation aura lieu à 16h au cimetière intercommunal d'Issy-les-Moulineaux, 57, rue de l’Egalité 92130 – Issy-les-Moulineaux.
Le premier ministre israélien a annoncé s’être rendu dans l’enclave palestinienne. Le ministère de la santé du Hamas a rapporté des bombardements pendant la nuit et lundi matin dans le centre et le sud de la bande de Gaza. Du côté israélien, plus d’une quinzaine de militaires sont morts au cours des trois derniers jours, selon l’armée.
Des soldats israéliens pendant des combats de rue à Khan Younès, le 24 décembre 2023. IDF / VIA REUTER
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a annoncé s’être rendu à Gaza lundi 25 décembre, et promis « une intensification » des combats en cours dans le territoire palestinien contre le Hamas.
« Je reviens maintenant de Gaza. Nous n’arrêtons pas, nous continuons de nous battre et nous intensifierons les combats dans les jours à venir et ça sera une longue guerre qui n’est pas près de finir », a déclaré M. Nétanyahou devant les élus de son parti, le Likoud, selon un communiqué de ce dernier.
Tôt lundi, un bombardement a fait douze morts près du petit village d’Al-Zawaida (Centre), selon le ministère de la santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas. Pendant la nuit, un bombardement à Khan Younès (Sud) a fait au moins dix-huit morts, a-t-il ajouté dans un communiqué. Le centre du territoire a, par ailleurs, subi une cinquantaine de frappes.
Le week-end a été particulièrement meurtrier dans cette langue de terre surpeuplée et contrôlée depuis 2007 par le Hamas, organisation considérée comme terroriste par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne. Au moins soixante-dix personnes ont été tuées lors d’une frappe dimanche sur le camp de réfugiés d’Al-Maghazi, selon le gouvernement du Hamas. Un bilan qui n’a pas pu être confirmé de manière indépendante par l’Agence France-Presse (AFP). Sollicitée par l’AFP, l’armée israélienne a dit « enquêter » sur cet « incident » et respecter le droit international.
Il faut « tourner la page », dit le patriarche latin de Jérusalem
Du côté israélien, plus d’une quinzaine de militaires sont morts lors des trois derniers jours. Lundi matin, l’armée a annoncé la mort de deux nouveaux soldats, portant à 156 le nombre de ses pertes depuis que ses troupes opèrent au sol dans Gaza. « Nous payons un très lourd tribut à la guerre, mais nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à combattre », a martelé dimanche le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. « Nous sommes confrontés à des monstres », a-t-il insisté dans son message de Noël, adressé aux chrétiens du monde entier.
Le conflit a fait 20 674 morts dans la bande de Gaza, selon le dernier bilan du ministère de la santé du Hamas. Il a aussi forcé 1,9 million d’habitants à fuir leur domicile, soit 85 % de la population selon l’Organisation des nations unies (ONU). Israël a juré de détruire le Hamas, à la suite de l’attaque d’une ampleur et d’une violence sans précédent menée par le mouvement islamiste le 7 octobre, qui a fait environ 1 140 morts, en majorité des civils, selon les derniers chiffres officiels israéliens.
Ce jour-là, les commandos palestiniens ont aussi enlevé environ 250 personnes, dont 129 restent détenues à Gaza, selon Israël. « Nous devons arrêter ces hostilités et tourner la page », a plaidé dimanche le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa, venu célébrer Noël à Bethléem, en Cisjordanie occupée, arborant un keffieh noir et blanc autour du cou. Dans cette ville qui a vu naître Jésus, selon la tradition chrétienne, les célébrations de Noël ont été largement annulées par la municipalité palestinienne, et la tristesse domine.
Situation humanitaire désastreuse
Dans la bande de Gaza, la situation humanitaire reste désastreuse : la plupart des hôpitaux sont hors service et dans les six prochaines semaines, l’ensemble de la population risque de subir un niveau élevé d’insécurité alimentaire, pouvant aller jusqu’à la famine, selon l’ONU. « La décimation du système de santé de Gaza est une tragédie », a déploré dimanche le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Malgré le vote vendredi par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution réclamant l’acheminement « immédiat » et « à grande échelle » de l’aide humanitaire, celle-ci n’avait pas encore connu d’augmentation significative.
« La conduite de l’ONU depuis le 7 octobre est une honte pour l’organisation et la communauté internationale », a écrit sur X le ministre des affaires étrangères israélien, Eli Cohen, s’insurgeant contre les positions du secrétaire général de l’organisation, Antonio Guterres, son personnel et ses institutions.
Insécurité alimentaire
Samedi, une nouvelle mission dirigée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est rendue dans des hôpitaux de la ville de Gaza, permettant notamment la livraison de plus de 19 000 litres de fioul à l’hôpital Al-Shifa, le plus grand du territoire palestinien, qui avait été assiégé par l’armée israélienne en novembre, a annoncé dimanche soir son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Ce que les membres de la mission du 23 décembre ont constaté, « c’est un désespoir croissant dû à la faim », a déclaré M. Tedros, qui a plaidé pour « une augmentation immédiate de [l’acheminement de] la nourriture et de l’eau pour garantir la santé et la stabilité de la population ». Selon le patron de l’OMS, « les combats incessants et un nombre massif de blessés ont mis les capacités [de l’hôpital Al-Shifa] à genoux ». L’établissement ne peut fournir en l’état « que des premiers soins les plus basiques ».
Le chef de l’OMS a d’ailleurs rapporté que des habitants désespérés s’étaient emparés d’aide alimentaire à bord d’un camion qui faisait route vers l’hôpital. « Dans ce contexte de graves pénuries alimentaires, la quête de nourriture (…) pousse certains – désespérés – à prendre de la nourriture des camions de livraison », écrit M. Tedros.
L’armée jordanienne a annoncé dimanche soir que ses forces aériennes avaient largué de l’aide à environ 800 personnes réfugiées dans l’église Saint-Porphyre, dans le nord de Gaza.
De leurs côtés, les médiateurs égyptiens et qataris tentent toujours de négocier une nouvelle trêve, après une pause dans les combats de sept jours à la fin de novembre, qui a permis la libération de 105 otages et de 240 prisonniers palestiniens ainsi que l’entrée à Gaza d’importants convois d’aide humanitaire. Selon une source au sein du Jihad islamique, le chef de ce mouvement armé palestinien allié du Hamas est arrivé à la tête d’une délégation au Caire.
En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m'honorer, ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où, en Europe, d'autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?
J'ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m'égaler à lui en m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires : l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel.
Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d'hommes ne l'enlèveront pas à la solitude, même et surtout s'il consent à prendre leur pas. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil chaque fois, du moins, qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de l'art.
Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d'hommes possible, elle ne peut s'accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression.
Pendant plus de vingt ans d'une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j'ai été soutenu ainsi : par le sentiment obscur qu'écrire était aujourd'hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m'obligeait particulièrement à porter, tel que j'étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l'espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s'installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui furent confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d'Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l'univers concentrationnaire, à l'Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd'hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d'être optimistes. Et je suis même d'avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l'erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l'époque. Mais il reste que la plupart d'entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d'une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l'instinct de mort à l'œuvre dans notre histoire.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire.
Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d'écrire, j'aurais remis l'écrivain à sa vraie place, n'ayant d'autres titres que ceux qu'il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, sans cesse partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu'il essaie obstinément d'édifier dans le mouvement destructeur de l'histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la vie libre où j'ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m'a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m'aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent, dans le monde, la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.
Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer pour finir, l'étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m'accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n'en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.
Extrait des écrits de Nizar KABBANI "Ma vie avec la poésie"www.alidades.fr
« Des poètes et de la poésie »
Nizar KABBANI
(1923 - 1997)
(Ses textes ont été chantés par Fairouz, Oum Kalsoum et d’autres. Il est le poète arabe le plus populaire et le plus lu.
Il fit un grand effort pour rendre sa poésie compréhensible par tout le peuple et pas seulement par une élite).
*
Pour moi, la poésie est un voyage vers les autres.
C’est là mon métier. Et le jour où je perdrai mon passeport et mes valises de mots, je deviendrai arbre immobile, mourrai.
Il y a des poètes qui voyagent à l’intérieur d’eux-mêmes – c’est effectivement une manière de se déplacer.
Moi, je voyage d’une autre façon. Mes bateaux sont autres, comme est autre l’Atlas de mes ambitions.
Je ne danse pas sur mes pages tel un derviche désenchanté prenant plaisir à écouter le cliquettement de son chapelet et à tournoyer autour de soi-même.
Je suis un poète qui veut jouer en plein air, et avec de vrais hommes.
Je ne puis imaginer un poète jouant avec soi-même, à moins qu’il ignore les règles du jeu ou craigne de se mêler aux enfants du quartier…
Le poète est une voix. Or l’une des premières particularités de la voix est de rendre un son et de se heurter à un obstacle humain. Sans cet obstacle, la parole ne peut exister, la langue n’est que bruissement de feuilles mortes dans une forêt inhabitée.
La poésie est une main…, le public une porte… Et le poète qui ne s’adresse à personne reste dans la rue… à dormir.
Nombreux sont les poètes qui y sont encore, car ils ne possèdent pas la formule magique qui leur ouvrirait la caverne d’Ali Baba.
*
Ainsi la poésie est un message que l’on écrit pour d’autres. Les destinataires en sont une composante importante. Si tel n’était pas le cas, l’écriture serait semblable à une cloche qui sonne dans le néant.
Or le grand malheur du poète d’aujourd’hui est qu’il a égaré l’adresse du public… Il habite un continent, les gens sur un autre, séparés par des océans de complexe de supériorité, de gloriole et de méfiance.
Au lieu d’être un instrument de rapprochement et d’entente, la culture du poète est devenue citadelle interdite au public…
Les trois-quarts de nos poètes actuels se sont attribué, volontairement ou non, un fief intellectuel et poétique qui fait d’eux des exilés vivant hors de la sensibilité générale, des créateurs chimériques parlant une langue inconnue.
Pourquoi ? Pourquoi les facteurs chargés de la distribution des poèmes les retournent-ils à leurs auteurs ? Parce que l’adresse a été omise. Tout simplement.
Sans hésiter j’accuse nombre de nos poètes, dont beaucoup se proclament révolutionnaires, socialistes ou marxistes, de s’être isolés du peuple, en cela très semblables aux nobles du Moyen-âge vivant dans leur fief culturel et mental.
Ils sont incapables de contact et d’échanges. Incapable de faire de la poésie une chemise que puisse porter n’importe qui.
Le public est comme un enfant très brave, ingénu, qui, pour aimer et lier connaissance, doit comprendre ce qu’on lui dit… Car les enfants n’accordent leur amour qu’à ceux qui comprennent leur état d’enfant et leur remplissent les mains de cadeaux inattendus…
Mais, le fil étant coupé, les poètes devenus auteurs de mots croisés, se sont mis à taxer le public de bêtise, futilité, manque de maturité, ignorance, à prétendre que l’époque a du retard sur leur poésie et que si leurs poèmes restent incompris, c’est bien la preuve de leur grandeur à eux; ce n’est pas eux qu’affecte la maladie, mais le public.
Ils affirment aussi que leurs poèmes marchent dans le futur et que s’ils ne trouvent pas leur place naturelle sur le moment, ils gagneront des dizaines ou des centaines d’années plus tard…
C’est là raisonnement de renard ne pouvant atteindre les raisins, en haut de la treille. La poésie qui ne convient au siècle où elle est née ne conviendra à aucun siècle et le poème incapable de converser avec son siècle ne pourra parler à aucun autre…
C’est parce qu’al-Moutanabbi était la conscience de son temps qu’il a pu traverser les siècles jusqu’au Xème et qu’il partage nos repas, nos chambres à coucher, les faits de notre existence…
C’est parce qu’Abou Nowâs appartenait aux cafés de Bagdad et de Basra qu’il fait partie de l’ivresse et des verres de vin…
C’est parce que Tagore était une portion de l’âme indienne qu’il est devenue portion de l’âme du monde…
Et c’est parce que Garcia Lorca a été exécuté sous un olivier alors qu’il chantait la liberté en Espagne que sa poésie est gravée sur les troncs de tous les oliviers du monde...
*
Extrait des écrits de Nizar KABBANI pour www.poesielavie.com
PREMIER POÈME I Quand sauras-tu Mon cher monsieur Que je ne serai pas - Comme d'autres - Une de tes petites amies, Une conquête féminine Ajoutée au nombre de tes conquêtes, Un chiffre inscrit Sur les registres de tes comptes? Quand le sauras-tu? II Quand sauras-tu - Chameau en errance du désert, Toi dont la variole a rongé Le visage et le poignet- Que je ne serai point Une cendre dans ta cigarette ? Ni énième tête entre mille têtes Sur ton oreiller, Non plus une statuette Dont tu auras augmenté le prix Dans la folie de tes enchères, Ou un sein sur le poli duquel Tu auras imprimé le moule de tes empreintes? Quand le sauras-tu? III Quand sauras-tu Que tu ne me drogueras pas Par ton pouvoir, ni ton renom, Et que tu ne posséderas pas le monde Avec ton naphte, tes royalties, Avec ton pétrole Dont les relents s'exhalent de tes nippes, Et avec les voitures que tu déposes Aux pieds de tes nombreuses maîtresses? Où sont donc passées De tes chamelles les bosses? Où a donc disparu De tes mains le tatouage? Que sont devenues De tes tentes les béances? Toi, aux talons gercés, Toi l'esclave de tes passions, Toi dont les épouses font partie De tes hobbies, Femmes que tu alignes par dizaines Sur le lit de tes jouissances, Insectes que tu momifies Sur les murs de tes salons? Quand le sauras-tu?
IV Toi, frappé d'indigestion, Quand sauras-tu Que je ne suis pas de celles Qu'impressionne ton paradis Ou qu'effraie ton enfer? Quand sauras-tu Que ma dignité est plus précieuse Que l'or entassé dans tes proches, Et que le climat où mes pensées baignent Est bien loin de tes climats, Toi où a couvé le féodal Dans la vermine de tes helminthes, Toi dont le désert rougit de honte Lorsqu'il entend ton appel? Quand le sauras-tu? V Patauge donc Prince de Bitume Tel une éponge Dans la fange de tes plaisirs Et dans tes errements, Ton pétrole? Tu peux le déverser Aux pieds de tes maîtresses! Les boîtes de nuit de Paris Ont tué en toi toute fierté, Là-bas, aux pieds d'une prostituée Tu as enterré ton amour propre, Alors, tu as bradé al Qods, Tu as bradé Dieu, Tu as bradé de tes morts les cendres, Comme si les lances d'Israël N'ont jamais tué tes sœurs, N'ont jamais détruit nos demeures, Et n'ont jamais brûlé, Nos Saintes Écritures, Comme si les bannières d'Israël Ne se sont jamais plantées Sur les lambeaux De tes drapeaux, Comme si tous ceux Qui furent crucifiés Aux arbres de Jaffa Aux arbres de Jéricho Et de Bir Sbaa N'étaient pas de ta race. Al Qods baigne dans son sang Pendant que te dévorent Tes propres passions Comme si le drame Ne te concernait point! Quand donc l'Être Humain Se réveillera-t-il dans ta carcasse?
Nizar Kabbani
ECLAIRCISSEMENTS
POUR LES LECTEURS DE MA POESIE
Et les âmes naïves racontent Que je suis entré dans le boudoir des filles Pour n'en plus ressortir. Ces gens réclament qu'on dresse pour moi l'échafaud Parce que j'ai chanté De ma bien aimée la beauté. Moi, je n'ai pas comme d'autres Fait commerce de haschish Ni volé Ni tué, Mais en plein jour j'ai aimé. Ai-je donc pour cela Dieu renié? Les âmes naïves disent de moi Que mes poèmes Des enseignements du Ciel se sont écartés. Qui a dit que l'amour a attenté A l'honneur du Ciel. Le Ciel est mon ami : Il pleure quand je pleure Et il rit Quand je ris. Les étoiles, leur éclat augmente, Si un jour je suis amoureux. Qu'y a-t-il donc d'aberrant Quand je chante De ma bien aimée le nom? Et quand je le sème à tous vents Comme une forêt de châtaigniers. Je continuerai ce commerce, Comme tous les prophètes Je continuerai, aède, A chanter l'enfance, A chanter La pureté et l'innocence, Je continuerai à décrire les beautés De ma bien aimée Jusqu'à fondre sa chevelure d'or Dans l'or des soirs. Moi - et je souhaite rester moi- Enfant qui barbouille comme cela l'enchante Les façades des étoiles Jusqu'à ce que l'amour dans ma patrie Devienne comme l'air qu'on respire, Et que je devienne le dictionnaire Des étudiants de l'amour passionné Et que je devienne moi L'alphabet balbutié Sur leurs lèvres.
Nizar Kabbani
PSALMODIE
SUR LES MAUSOLEES DES SANTONS I Je vous rejette tous Et je mets fin au dialogue Je n'ai plus rien à dire J'ai fait un autodafé De mes dictionnaires et de mes effets, J'ai fui la poésie antique Et la rime en "r" du long poème de Farazdak, J'ai émigré de ma voix J'ai émigré des cités du sel amer Et des poèmes de poterie peinte. J'ai apporté mes arbres à votre désert De désespoir les arbres se sont suicidés; J'ai apporté ma pluie à votre sécheresse La pluie s'est retenue de tomber ; J'ai planté mes poèmes dans vos matrices Ils se sont étouffés. O matrice, porteuse de poussière et d'épines! II J'ai essayé de vous arracher De la colle de l'histoire, Du calendrier des fatalités, De la poésie pleurarde des clichés, Du culte des pierres ; J'ai tenté de libérer Troie assiégée, Alors le siège m'a assiégé. Je vous rejette, oui, je vous rejette Vous qui avez créé votre Dieu A partir de la bave, Vous qui avez élevé une coupole A chaque santon, Un lieu de pèlerinage A chaque faux prophète. J'ai tenté de vous sauver De la clepsydre qui vous engloutit A chaque instant du jour et de la nuit, Des amulettes que vous portez sur vous, Des psalmodies récitées sur vos tombes, Des derwiches tourneurs, De la diseuse de bonne aventure, Et de la danse du Zaar.
J'ai tenté de planter un clou dans votre chair, Mais, j'ai désespéré De votre chair et de mes serres, J'ai désespéré de l'épaisseur du mur, J'ai désespéré de mon désespoir. Hier, je me suis pendu Aux tresses de ma maîtresse Mais je n'ai pu lui faire l'amour Comme je l'ai habituée, Les traits de son corps étaient étranges, Le lit était froid Le froid était froid, Le sein de celle que j'aime était une vieille orange pressée, Et un drapeau percé. Je regarde, hagard, sur la carte de l'arabisme: A chaque empan de terre un Califa est né Un pouvoir absolu s'est établi, Une tente a été dressée... Le drapeau et les sceaux me font rire, Les empires me font rire, Les Sultanats de pacotille, Les lois originales, Les cheikhs du pétrole, Les mariages de courte jouissance Et les instincts déréglés. Je marche, visage étranger dans Grenade J'embrasse les enfants, les arbres et les minarets renversés, Là, les Almoravides ont campé, Ici, les Almohades se sont établis, Là, ont eu lieu les orgies, Ici, s'est effectuée la transe, Là, un manteau ensanglanté, Ici, un échafaud dressé. Tribus arabes! Dispersez-vous comme des feuilles mortes! Entretuez-vous! Disputez-vous! Suicidez-vous! O coup de poignard Pour une seconde fois Du genre d'une certaine Andalousie vaincue!
Nizar Kabbani photographie de Jocelyn Womba
BALKIS
Le poème Balkis fut écrit à la mémoire de sa seconde épouse, Balqis al-Rawi, une enseignante irakienne qu'il avait rencontrée lors d'un récital de poésie à Bagdad, morte dans un attentat contre l'ambassade d'Irak en 1981 à Beyrouth, où elle travaillait pour la section culturelle du gouvernement irakien. Il se compse de plus de 100 vers.
Merci à vous, Merci à vous, Assassinée, ma bien aimée! Vous pourrez dès lors Sur la tombe de la martyre Porter votre funèbre toast. Assassinée ma poésie! Est-il un peuple au monde, -Excepté nous- Qui assassine le poème? O ma verdoyante Ninive! O ma blonde bohémienne! O vagues du Tigre printanier! O toi qui portes aux chevilles Les plus beaux des anneaux! Ils t'ont tuée, Balkis! Quel peuple arabe Celui-là qui assassine Le chant des rossignols! Balkis, la plus belle des reines Dans l'histoire de Babel! Balkis, le plus haut des palmiers Sur le sol d'Irak! Quand elle marchait Elle était entourée de paons, Suivie de faons. Balkis, ô ma douleur! O douleur du poème à peine frôlé du doigt! Est-il possible qu'après ta chevelure Les épis s'élèveront encore vers le ciel?
Où est donc passé Al Samaw'al? Où est donc parti Al Muhalhil? Les anciens preux, où sont-ils? Il n'y a plus que des tribus tuant des tribus, Des renards tuant des renards, Et des araignées tuant d'autres araignées. Je te jure par tes yeux Où viennent se réfugier des millions d'étoiles Que, sur les Arabes, ma lune, Je raconterai d'incroyables choses L'héroïsme n'est-il qu'un leurre arabe? Ou bien, comme nous, l'Histoire est-elle mensongère? Balkis, ne t'éloigne pas de moi Car, après toi, le soleil Ne brille plus sur les rivages. Au cours de l'instruction je dirai: Le voleur s'est déguisé en combattant, Au cours de l'instruction je dirai: Le guide bien doué n'est qu'un vilain courtier. Je dirai que cette histoire de rayonnement (arabe) N'est une plaisanterie, la plus mesquine, Voilà donc toute l'Histoire, ô Balkis! Comment saura-t-on distinguer Entre les parterres fleuris Et les monceaux d'immondices? Blakis, toi la martyre, toi le poème, Toi la toute-pure, toit la toute-sainte.
Le peuple de Saba, Balkis, cherche sa reine des yeux, Rends donc au peuple son salut! Toi la plus noble des reines, Femme qui symbolise toutes les gloires des époques sumériennes! Balkis, toi mon oiseau le plus doux, Toi mon icône la plus précieuse, Toi larme répandue sur la joue de la Madeleine! Ai-je été injuste à ton égard En t'éloignant des rives d'Al A'damya? Beyrouth tue chaque jour l'un de nous, Beyrouth chaque jour court après sa victime. La mort rôde autour de la tasse de notre café, La mort rôde dans la clé de notre appartement, Elle rôde autour des fleurs de notre balcon, Sur le papier de notre journal, Et sur les lettres de l'alphabet. Balkis! sommes-nous une fois encore Retournés à l'époque de la jahilia ? Voilà que nous entrons dans l'ère de la sauvagerie, De la décadence, de la laideur, Voilà que nous entrons une nouvelle fois Dans l'ère de la barbarie, Ere où l'écriture est un passage Entre deux éclats d'obus, Ere où l'assassinat d'un frelon dans un champ Est devenu la grande affaire. Connaissez-vous ma bien aimée Balkis? Elle est le plus beau texte des œuvres de l'Amour, Elle fut un doux mélange De velours et de beau marbre. Dans ses yeux on voyait la violette S'assoupir sans dormir. Balkis, parfum dans mon souvenir!
O tombe voyageant dans les nues! Ils t'ont tuée à Beyrouth Comme n'importe quelle autre biche, Après avoir tué le verbe. Balkis, ce n'est pas une élégie que je compose, Mais je fais mes adieux aux Arabes, Balkis, tu nous manques… tu nous manques... Tu nous manques... La maisonnée recherche sa princesse Au doux parfum qu'elle traîne derrière elle. Nous écoutons les nouvelles, Nouvelles vagues, sans commentaires. Balkis, nous sommes écorchés jusqu'à l'os. Les enfants ne savent pas ce qui se passe, Et moi, je ne sais pas quoi dire… Frapperas-tu à la porte dans un instant? Te libéreras-tu de ton manteau d'hiver? Viendras-tu si souriante et si fraîche Et aussi étincelante Que les fleurs des champs? Balkis, tes épis verts Continuent à pleurer sur les murs, Et ton visage continue à se promener Entre les miroirs et les tentures. Même la cigarette que tu viens d'allumer Ne fut pas éteinte, Et sa fumée persistante continue à refuser De s'en aller. Balkis, nous sommes poignardés Poignardés jusqu'à los Et nos yeux sont hantés par l'épouvante. Balkis, comment vas-tu pu prendre mes jours et mes rêves? Et as-tu supprimé les saisons et les jardins? Mon épouse, ma bien aimée, Mon poème et la lumière de mes yeux, Tu étais mon bel oiseau, Comment donc as-tu pu t'enfuir ? Balkis, c'est l'heure du thé irakien parfumé Comme un bon vieux vin, Qui donc distribuera les tasses, ô girafe? Qui a transporté à notre maison L'Euphrate, les roses du Tigre et de Ruçafa? Balkis, la tristesse me transperce. Beyrouth qui t'a tuée ignore son forfait, Beyrouth qui t'a aimée Ignore qu'elle a tué sa bien aimée Et qu'elle a éteint la lune. Balkis! Balkis! Balkis! Tous les nuages te pleurent, Quidonc pleurera sur moi?
Balkis, comment vas-tu pu disparaître en silence Sans avoir posé tes mains sur mes mains? Balkis, comment as-tu pu nous abandonner Ballottés comme feuilles mortes par le vent ballottées, Comment nous as-tu abandonnés nous trois Perdus comme une plume dans la pluie? As-tu pensé à moi Moi qui ai tant besoin de ton amour, Comme Zeinab, comme Omar? Balkis, ô trésor de légende! O lance irakienne! O forêt de bambous! Toi dont la taille a défié les étoiles, D'où as-tu apporté toute cette fraîcheur juvénile? Balkis, toi l'amie, toi la compagne, Toi la délicate comme une fleur de camomille. Beyrouth nous étouffe, la mer nous étouffe, Le lieu nous étouffe. Balkis, ce n'est pas toi qu'on fait deux fois, Il n'y aura pas de deuxième Balkis. Balkis ! les détails de nos liens m'écorchent vif, Les minutes et les secondes me flagellent de leurs coups, Chaque petite épingle a son histoire, Chacun de tes colliers en a plus d'une, Même tes accroche-cœur d'or Comme à l'accoutumée m'envahissent de tendresse. La belle voix irakienne s'installe sur les tentures, Sur les fauteuils et les riches vaisselles. Tu jaillis des miroirs Tu jaillis de tes bagues, Tu jallis du poème, Des cierges, des tasses Et du vin de rubis. Balkis, si tu pouvais seulement Imaginer la douleur de nos lieux! A chaque coin, tu volettes comme un oiseau, Et parfumes le lieu comme une forêt de sureau. Là, tu fumais ta cigarette, Ici, tu lisais, Là-bas tu te peignais telle un palmier, Et, comme une épée yéménite effilée, A tes hôtes tu apparaissais. Balkis, où est donc le flacon de Guerlain? Où est le briquet bleu? Où est la cigarette Kent? Qui ne quittait pas tes lèvres? Où est le hachémite chantant Son nostalgique chant? Les peignes se souviennent de leur passé Et leurs larmes se figent; Les peignes souffrent-ils aussi de leur chagrin d'amour? Balkis, il m'est dur d'émigrer de mon sang Alors que je suis assiégé entre les flammes du feu Et les flammes des cendres.
Balkis, princesse! Voilà que tu brûles dans la guerre des tribus. Qu'écrirais-je sur le voyage de ma reine, Car le verbe est devenu mon vrai drame ? Voilà que nous recherchons dans les entassements des victimes Une étoile tombée du ciel, Un corps brisé en morceaux comme un miroir brisé. Nous voilà nous demander, ô ma bien aiméme, Si cette tombe est la tienne Ou bien celle en vérité de l'arabisme? Balkis, ô sainte qui as étendu tes tresses sur moi! O girafe de fière allure! Balkis, notre justice arabe Veut que nos propres assassins Soient des Arabes, Que notre chair soit mangée par des Arabes, Que notre ventre soit éventré par des Arabes, Comment donc échapper à ce destin? Le poignard arabe ne fait pas de différence Entre les gorges des hommes Et les gorges des femmes. Balkis, s'ils t'ont fait sauter en éclats, Sache que chez nous Toutes les funérailles commencent à Karbala Et finissent à Karbala Je ne lirai plus l'Histoire dorénavant, Mes doigts sont brûlés Et mes habits sont entachés de sang. Voilà que nous abordons notre âge de pierre, Chaque jour, nous reculons mille ans en arrière! A Beyrouth la mer A démissionné Après le départ de tes yeux, La poésie s'interroge sur son poème Dont les mots ne s'agencent plus, Et personne ne répond plus à la question, Le chagrin, Balkis, presse mes yeux comme une orange. Las! je sais maintenant que les mots n'ont pas d'issue, Et je connais le gouffre de la langue impossible; Moi qui ai inventé le style épistolaire Je ne sais par quoi commencer une lettre, Le poignard pénètre mon flanc Et le flanc du verbe. Balkis, tu résumes toute civilisation, La femme n'est-elle pas civilisation?
Balkis, tu es ma bonne grande nouvelle. Qui donc m'en a dépouillé? Tu es l'écriture avant toute écriture, Tu es l'île et le sémaphore, Balkis, ô lune qu'ils ont enfouie Parmi les pierres! Maintenant le rideau se lève, Le rideau se lève. Je dirai au cours de l'instruction Que je connais les noms, les choses, les prisonniers, Les martyrs, les pauvres, les démunis. Je dirai que je connais le bourreau qui a tué ma femme Je reconnais les figures de tous les traîtres. Je dirai que votre vertu n'est que prostitution Que votre piété n'est que souillure, Je dirai que notre combat est pur mensonge Et que n'existe aucune différence Entre politique et prostitution. Je dirai au cours de l'instruction Que je connais les assassins, Je dirai que notre siècle arabe Est spécialisé dans l'égorgement du jasmin, Dans l'assassinat de tous les prophètes, Dans l'assassinat de tous les messagers. Même les yeux verts Les Arabes les dévorent, Même les tresses, mêmes les bagues, Même les bracelets, les miroirs, les jouets, Même les étoiles ont peur de ma patrie. Et je ne sais pourquoi, Même les oiseaux fuient ma patrie. Et je ne sais pourquoi, Même les étoiles, les vaisseaux et les nuages, Même les cahiers et les livres, Et toutes choses belles Sont contre les Arabes.
Hélas, lorsque ton corps de lumière a éclaté Comme une perle précieuse Je me suis demandé Si l'assassinat des femmes N'est pas un dada arabe, Ou bien si à l'origine L'assassinat n'est pas notre vrai métier? Balkis, ô ma belle jument Je rougis de toute mon Histoire. Ici c'est un pays où l'on tue les chevaux, Ici c'est un pays où l'on tue les chevaux. Balkis, depuis qu'ils t'ont égorgée O la plus douce des patries L'homme ne sais comment vivre dans cette patrie, L'homme ne sait comment vivre dans cette patrie. Je continue à verser de mon sang Le plus grand prix Pour rendre heureux le monde, Mais le ciel a voulu que je reste seul Comme les feuilles de l'hiver. Les poètes naissent-ils de la matrice du malheur? Le poète n'est-il qu'un coup de poignard sans remède porté au cœur? Ou bien suis-je le seul Dont les yeux résument l'histoire des pleurs? Je dirai au cours de l'instruction Comment ma biche fut tuée Par l'épée de Abu Lahab, Tous les bandits, du Golfe à l'Atlantique Détruisent, incendient, volent, Se corrompent, agressent les femmes Comme le veut Abu Lahab, Tous les chiens sont des agents Ils mangent, se soûlent, Sur le compte de Abu Lahab, Aucun grain sous terre ne pousse Sans l'avis de Abu Lahab Pas un enfant qui naisse chez nous Sans que sa mère un jour N'ait visité la couche de Abu Lahab, Pas une tête n'est décapitée sans ordre de Abu Lahab
La mort de Balkis Est-elle la seule victoire Enregistrée dans toute l'Histoire des Arabes? Balkis, ô ma bien aimée, bue jusqu'à la lie! Les faux prophètes sautillent Et montent sur le dos des peuples, Mais n'ont aucun message! Si au moins, ils avaient apporté De cette triste Palestine Une étoile, Ou seulement une orange, S'ils nous avaient apporté des rivages de Ghaza Un petit caillou Ou un coquillage, Si depuis ce quart de siècle Ils avaient libéré une olive Ou restitué une orange, Et effacé de l'Histoire la honte, J'aurais alors rendu grâce à ceux qui t'ont tuée O mon adorée jusqu'à la lie! Mais ils ont laissé la Palestine à son sort Pour tuer une biche! Balkis, que doivent dire les poètes de notre siècle! Que doit dire le poème Au siècle des Arabes et non Arabes, Au temps des païens, Alors que le monde Arabe est écrasé Ecrasé et sous le joug, Et que sa langue est coupée. Nous sommes le crime dans sa plus parfaite expression; Alors écartez de nous nos œuvres de culture. O ma bien aimée, ils t'ont arrachée de mes mains, Ils ont arraché le poème de ma bouche, Ils ont pris l'écriture, la lecture, L'enfance et l'espérance. Balkis, Balkis, ô larmes s'égouttant sur les cils du violon! Balkis, ô bien aimée jusqu'à la lie! J'ai appris les secrets de l'amour à ceux qui t'ont tuée, Mais avant la fin de la course, Ils ont tué mon poulain. Balkis, je te demande pardon; Peut être que ta vie a servi à racheter la mienne Je sais pertinemment Que ceux qui ont commis ce crime Voulaient en fait attenter à mes mots. Belle, dors dans la bénédiction divine, Le poème après toi est impossible Et la féminité aussi est impossible. Des générations d'enfants Continueront à s'interroger sur tes longues tresses, Des générations d'amants Continueront à lire ton histoire O parfaite enseignante! Les Arabes sauront un jour Qu'ils ont tué une messagère
Nizar Kabbani
QUAND ANNONCERA-T-ON LA MORT DES ARABES? 1 J'essaie, depuis l'enfance, de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement-les pays des Arabes Pays qui me pardonneraient si je brisais le verre de la lune... Qui me remercieraient si j'écrivais un poème d'amour Et qui me permettraient d'exercer l'amour Aussi librement que les moineaux sur les arbres... J'essaie de dessiner des pays... Qui m'apprendraient à toujours vivre au diapason de l'amour Ainsi, j'étendrai pour toi, l'été, la cape de mon amour Et je presserai ta robe, l'hiver, quand il se mettra à pleuvoir... 2 J'essaie de dessiner des pays... Avec un Parlement de jasmin... Avec un peuple aussi délicat que le jasmin... Où les colombes sommeillent au dessus de ma tête Et où les minarets dans mes yeux versent leurs larmes J'essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front J'essaie de dessiner des pays... Qui me récompensent quand j'écris une poésie Et qui me pardonnent quand déborde le fleuve de ma folie... 3 J'essaie de dessiner une cité d'amour Libérée de toutes inhibitions... Et où la féminité n'est pas égorgée... ni nul corps opprimé 4 J'ai parcouru le Sud... J'ai parcouru le Nord... Mais en vain... Car le café de tous les cafés a le même arôme... Et toutes les femmes-une fois dénudées- Sentent le même parfum... Et tous les hommes de la tribu ne mastiquent point ce qu'ils mangent Et dévorent les femmes une à la seconde 5 J'essaie depuis le commencement... De ne ressembler à personne... Disant non pour toujours à tout discours en boîte de conserve Et rejetant l'adoration de toute idole... 6 J'essaie de brûler tous les textes qui m'habillent Certains poèmes sont pour moi une tombe Et certaines langues linceul. Je pris rendez-vous avec la dernière femme Mais j'arrivai bien après l'heure. 7 J'essaie de renier mon vocabulaire De renier la malédiction du "Mubtada" et du "Khabar" De me débarrasser de ma poussière et me laver le visage à l'eau de pluie... J'essaie de démissionner de l'autorité du sable... Adieu Koraich... Adieu Kouleib... Adieu Mudar... 8 J'essaie de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes, Où mon lit est solidement attaché, Et où ma tête est bien ancrée, Pour que je puisse differencier entre les pays et les vaisseaux... Mais... ils m'ont pris ma boîte de dessin, M'interdisent de peindre le visage de mon pays...;
9 J'essaie depuis l'enfance D'ouvrir un espace en jasmin. J'ai ouvert la première auberge d'amour... dans l'histoire des Arabes... Pour accueillir les amoureux... Et j'ai mis fin à toutes les guerres d'antan entre les hommes.et les femmes, Entre les colombes... et ceux qui égorgent les colombes... Entre le marbre... et ceux qui écorchent la blancheur du marbre... Mais... ils ont fermé mon auberge... Disant que l'amour est indigne de l'Histoire des Arabes De la pureté des Arabes... De l'héritage des Arabes... Quelle aberration!!
10 J'essaie de concevoir la configuration de la patrie ? De reprendre ma place dans le ventre de ma mère, Et de nager à contre courant du temps, Et de voler figues, amandes, et pêches, Et de courir après les bateaux comme les oiseaux J'essaie d'imaginer le jardin de l'Eden? Et les potentialités de séjour entre les rivières d'onyx? Et les rivières de lait... Quand me reveillant... je découvris la futilité de mes rêves. Il n'y avait pas de lune dans le ciel de Jéricho... Ni de poisson dans les eaux de l'Euphrate... Ni de café à Aden... 11 J'essaie par la poésie... de saisir l'impossible... Et de planter des palmiers... Mais dans mon pays, ils rasent les cheveux des palmiers... J'essaie de faire entendre plus haut le hennissement des chevaux; Mais les gens de la cité méprisent le henissement!! 12 J'essaie, Madame, de vous aimer... En dehors de tous les rituels... En dehors de tous textes. En dehors de tous lois et de tous systèmes. J'essaie, Madame, de vous aimer... Dans n'importe quel exil où je vais... Afin de sentir, quand je vous étreins, que je serre entre mes bras le terreau de mon pays. 13 J'essaie -depuis mon enfance- de lire tout livre traitant des prophètes des Arabes, Des sages des Arabes... des poètes des Arabes... Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife pour une poignée de riz... et cinquante dirhams... Quelle horreur!! Et je ne vois que des tribus qui ne font pas la différence entre la chair des femmes... Et les dates mûres... Quelle horreur!! Je ne vois que des journaux qui ôtent leurs vêtements intimes... Devant tout président venant de l'inconnu.. Devant tout colonel marchant sur le cadavre du peuple... Devant tout usurier entassant entre ses mains des montagnes d'or... Quelle horreur!!
14 Moi, depuis cinquante ans J'observe la situation des Arabes. Ils tonnent sans faire pleuvoir... Ils entrent dans les guerres sans s'en sortir... Ils mâchent et rabâchent la peau de l'éloquence Sans en rien digérer. 15 Moi, depuis cinquante ans J'essaie de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes, Tantôt couleur de sang, Tantôt couleur de colère. Mon dessin achevé, je me demandai : Et si un jour on annonce la mort des Arabes... Dans quel cimetière seront-ils enterrés? Et qui les pleurera? Eux qui n'ont pas de filles... Eux qui n'ont pas de garçons... Et il n'y a pas là de chagrin Et il n'y a là personne pour porter le deuil!! 16 J'essaie depuis que j'ai commencé à écrire ma poésie De mesurer la distance entre mes ancêtres les Arabes et moi-même. J'ai vu des armées... et point d'armées... J'ai vu des conquêtes et point de conquêtes... J'ai suivi toutes les guerres sur la télé... Avec des morts sur la télé... Avec des blessés sur la télé... Et avec des victoires émanant de Dieu... sur la télé... 17 Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d'horreur Dont nous suivons les épisodes chaque soir Comment te verrions-nous s'ils nous coupent le courant?? 18 Moi, après cinquante ans, J'essaie d'enregistrer ce que j'ai vu... J'ai vue des peuples croyant que les agents de renseignements Sont ordonnés par Dieu... comme la migraine... comme le rhume... Comme la lèpre... comme la gale... J'ai vue l'arabisme mis à l'encan des antiquités, Mais je n'ai point vue d'Arabes!!
Deux Appelés en Algérie - Épisode n°1 : Marcel Le Texier (1/2)
Film-documentaire en deux épisodes sur la thématique des Mémoires de la Guerre d'Algérie (1954-1962). Réalisé à partir de témoignages d'Appelés du Contingent de l'Armée Française, ce documentaire personnel n'a aucune finalité politique, mais cherche à mettre en lumière des témoignages inédits ou méconnus. Je vous prie donc de rester courtois et respectueux en commentaires et de n'apporter aucune haine. Les mémoires sont clivantes, mais il est nécessaire de les respecter. L'Historien ne cherche pas à faire adhérer : il énonce des faits.
Deux Appelés en Algérie | Documentaire Guerre d'Algérie (2/2)
Guerre d'Algérie : film-documentaire en deux épisodes sur la thématique des Mémoires de la Guerre (1954-1962). Réalisé à partir de témoignages d'Appelés du Contingent de l'Armée Française, ce documentaire personnel n'a aucune finalité politique, mais cherche à mettre en lumière des témoignages inédits ou méconnus. Je vous prie donc de rester courtois et respectueux en commentaires et de n'apporter aucune haine. Les mémoires sont clivantes, mais il est nécessaire de les respecter. L'Historien ne cherche pas à faire adhérer : il énonce des faits.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 25 Décembre 2023 à 06:30
L’oliveraie était verte, autrefois. Était… Et le ciel, Une forêt bleue… Était, mon amour. Qu’est-ce qui l’a ainsi changée ce soir ?
* * *
Ils ont stoppé le camion des ouvriers à un tournant. Calmes, Ils nous ont placé face à l’est… Calmes.
* * *
Mon coeur était un oiseau bleu, autrefois… Ô nid de mon amour. Et tes mouchoirs étaient chez moi, blancs. Étaient, mon amour. Qu’est-ce qui les a souillés ce soir ? Je ne sais, mon amour !
Ils ont stoppé le camion des ouvriers au milieu du chemin. Calmes, Ils nous ont placés face à l’est… Calmes.
* * *
Je te donnerai tout. L’ombre et la lumière, L’anneau des noces et tout ce que tu désires, Un jardin d’oliviers et de figuiers, Et la nuit, je te rendrai visite, comme à l’accoutumée. J’entrerai, en rêve, par la fenêtre… et je te lancerai une fleur de sambac. Et ne m’en veux pas si j’ai quelque retard. C’est qu’ils m’auront arrêté.
L’oliveraie était toujours verte. Était, mon amour. Cinquante victimes L’ont changée en bassin rouge au couchant… Cinquante victimes, Mon amour… Ne m’en veux pas… Ils m’ont tué… Tué Et tué…
Extrait de:
La terre nous est étroite et autres poèmes (1966 - 1999), Gallimard, Poésie, 2000 (Traduction d'Abdellatif Laâbi)
Pour alléger la pression militaire israélienne sur le mouvement palestinien, Téhéran mise sur une coordination des attaques de ses auxiliaires et alliés sur différents fronts, tout en s’efforçant d’éviter un embrasement régional. Le régime iranien estime qu’Israël a d’ores et déjà été vaincu.
C’est une mission difficile que s’est donnée la République islamique d’Iran : sauver le Hamas en adoptant une stratégie d’attaques graduées contre Israël, mais sans s’engager pour autant dans une guerre directe ni provoquer un embrasement général de la région dans lequel elle aurait beaucoup à perdre.
À ce jour, le régime iranien n’a ainsi procédé à aucun tir de missile balistique ni menacé des navires dans le Golfe persique, une tactique à laquelle il avait auparavant largement recours. À la place, une multiplicité de fronts, ouverts par « l’axe de la résistance », principalement le Hezbollah libanais, les houthis du Yémen, les milices chiites irakiennes et celles engagées sur le plateau du Golan. Soit autant de cartes iraniennes dans le conflit, chaque organisation bénéficiant d’une large autonomie, sous le contrôle d’une « chambre des opérations conjointes » basée à Beyrouth.
Cette mystérieuse « chambre », le régime iranien en a reconnu pour la première fois l’existence le 10 septembre, soit un mois avant l’attaque du Hamas. Le général Abbas Nilforoushan, adjoint au commandant des opérations des Pasdarans (Gardiens de la révolution) avait alors évoqué, sur un site lié au régime, l’existence d’« un commandement intégré et d’un réseau de contrôle au sein du front de la résistance ».
Avant lui, le Guide suprême Ali Khamenei en personne, lors d’une réunion en juin 2023 avec de hauts représentants du Hamas, avait déjà fait savoir qu’une nouvelle stratégie était à l’œuvre. Il avait ainsi appelé à « une plus grande unité et une plus grande coordination entre les groupes de résistance » et souligné la centralité de Gaza dans « l’axe de la résistance ».
Aujourd’hui, la mission essentielle de cette structure est, sinon de défaire Israël, au moins de sauver à tout prix le Hamas, avec lequel l’Iran s’est réconcilié après la brouille historique née de la guerre civile syrienne pendant laquelle le mouvement sunnite palestinien s’était opposé à Bachar al-Assad, soutenu politiquement et militairement par Téhéran.
Si le régime iranien est redevenu pour le Hamas un grand pourvoyeur d’aide militaire et financière – de l’ordre de 100 millions de dollars par an, selon les services de renseignement israéliens –, il ne semble pas avoir été pour autant le donneur d’ordre de l’attaque sanglante du 7 octobre. À ce jour, ni les services de renseignement américains ni le Mossad israélien n’ont pu trouver de preuves significatives incriminant l’Iran. Washington évoque « une large complicité », mais pas d’implication directe.
L’unification des fronts
Dès le 8 octobre, le régime avait démenti toute implication dans l’attaque, Ali Shamkhani, conseiller politique d’Ali Khamenei et ancien secrétaire général du Conseil supérieur de sécurité nationale, décrivant alors la « résistance palestinienne » comme un « mouvement indépendant ».
« Au vu des éléments disponibles, souligne l’historien Jonathan Piron, spécialiste de la région et professeur de relations internationales à l’école HELMo de Liège (Belgique), l’attaque du 7 octobre semble avoir été décidée par certains cadres de l’organisation installés à Gaza, sans que les responsables politiques vivant au Qatar n’aient été informés, et menée sans coordination avec le Hezbollah ou la force Al-Qods [les unités d’élite des Gardiens de la révolution chargées des opérations extérieures – ndlr]. »
« Les dirigeants du Hamas à Gazapeuvent avoir mené cette attaque pour plusieurs raisons, notamment des problèmes internes à Gaza et au sein du Hamas, la volonté d’affaiblir l’Autorité palestinienne en place en Cisjordanie et celle de torpiller les efforts soutenus par les États-Unis pour forger une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite,ajoute le chercheur. Il existe dès lorsun sentiment de mécontentement iranien à l’égard des dirigeants militaires du Hamas basés à Gaza, en particulier de Mohammed Deif [commandant suprême des Brigades Ezzedine al-Qassam, branche militaire du Hamas – ndlr], pour avoir engagé une bataille sans coordination préalable. »
Mais quand bien même Téhéran serait mécontent de son allié, tout ce qui affaiblit et déstabilise Israël est une bénédiction pour l’Iran, en particulier la pause dans le rapprochement de l’État hébreu avec divers États du Golfe. D’où l’annonce au lendemain de l’attaque de son soutien total et inconditionnel à l’opération « Déluge d’al-Aqsa » en des termes des plus solennels. « Nous embrassons le front et les bras des audacieux et ingénieux planificateurs et le courage de la jeunesse palestinienne », déclarait ainsi le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, le 10 octobre.
« La chambre des opérations conjointes permet à l’Iran de coordonner des actions indépendantes entre ses alliés régionaux contre Israël, poursuit Jonathan Piron. Chacun des acteurs conserve son autonomie tout en agissant en accord avec une autorité centrale. Les risques sont ainsi minimisés et ces groupes peuvent naviguer plus activement et plus efficacement dans le paysage régional. » C’est ce que Téhéran appelle « l’unification des fronts ».
Beyrouth comme principal quartier général
La structure a été créée après l’assassinat du général Qassem Soleimani, chef légendaire de la force Al-Qods, tué par une frappe américaine, le 3 janvier 2020, à Bagdad.
« Quand Soleimani était vivant, il exerçait un contrôle global sur l’axe de la résistance à travers une configuration hiérarchique évidente, explique Hamidreza Azizi, un chercheur iranien associé au German Institute for International and Security Affairs. Sa mort a conduit à une décentralisation au sein de cet axe. Pour assurer la continuation de cette coordination, la force Al-Qods, en collaboration avec le Hezbollah, a alors établi de façon graduelle une chambre des opérations communes. »
« D’autres événementsont mis en lumière le renforcement de la fonction du Hezbollah dans le recrutement, l’entraînement et le commandement des milices chiites pro-iraniennes opérant en Syrie, poursuit ce chercheur. De même que le rôle de premier plan joué par Hassan Nasrallah [secrétaire général du parti de Dieu – ndlr] dans la médiation entre différentes factions chiites en Irak. Son influence pourrait à présent dépasser celle du général Ismaël Qaani, commandant de la force Al-Qods. »
Toujours selon le chercheur, Hassan Nasrallah et IsmaëlQaani codirigent la structure de commandement. « Je pense qu’il n’y a pas d’endroit fixe pour les rencontres, indique Hamidreza Azizi. Cependant, la plupart des réunions ont lieu à Beyrouth, à l’exception de certaines à Damas. On peut donc raisonnablement penser que Beyrouth est le principal quartier général de cet axe. »
Avant même le 7 octobre, la chambre des opérations conjointes avait défini quatre fronts permettant d’encercler Israël : le front de Gaza, celui de Cisjordanie à proximité des villes israéliennes, celui du Sud-Liban, et celui du Golan, tous deux gérés par le Hezbollah. Avec la guerre, s’est rajouté celui, plus inattendu, de la mer Rouge, à l’initiative des houthis.
Un Israël affaibli et ne parvenant pas à prendre le dessus sur le Hamas est un objectif que les Iraniens peuvent considérer comme plus utile qu’un engagement direct.
Jonathan Piron, professeur de relations internationales à l’école HELMo de Liège
« La chambre des opérations communes respecte des principes tels que la dissuasion, via des engagements limités, l’ambiguïté dans les représailles, des opérations collectives pendant les périodes critiques et la répartition des tâches en fonction des menaces, explique Hamidreza Azizi. Cette position stratégique permet, potentiellement, d’ouvrir de nouveaux fronts contre Israël, renforçant ainsi la capacité de dissuasion du réseau. »
Les factions palestiniennes, le Hamas et le Jihad islamique, sont évidemment en première ligne. Une faiblesse, cependant, dans la stratégie iranienne : la Cisjordanie occupée, qui fait partie des fronts, mais où Téhéran n’exerce qu’une influence limitée.
« L’Iran aurait tout à perdre d’un conflit généralisé, renchérit Jonathan Piron. Une intervention américaine deviendrait certaine, avec un risque important de frappes sur le sol iranien. Le régime a bien plus intérêt à laisser monter la pression internationale sur Israël et voir les Israéliens s’enliser à Gaza. Un Israël affaibli et ne parvenant pas à prendre le dessus sur le Hamas est un objectif que les Iraniens peuvent considérer comme plus utile qu’un engagement direct, qu’ils savent qu’ils n’ont pas les moyens de tenir. »
D’ores et déjà, les responsables iraniens ne sont pas loin de crier victoire. Sur son compte X, le ministre iranien des affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, s’est félicité il y a quelques jours de ce qu’Israël, après plus de 70 jours de combat, n’avait atteint aucun de ses objectifs : le Hamas n’est toujours pas défait, l’« axe de la résistance » n’est pas brisé et les otages ne sont pas libérés. Le chef des Pasdarans, le général Hossein Salami, a renchéri en assurant qu’Israël et les États-Unis seraient vaincus. Au-delà de la propagande, on devine que le régime iranien est convaincu d’une victoire possible.
C’est ce que souligne Raz Zimmt, un spécialiste israélien de l’Iran à l’Institute for National Security Studies (INSS) de Tel-Aviv : « Même dans les médias liés aux cercles les plus modérés de la République islamique, il n’y a aucune voix pour demander le réexamen de la politique iranienne, envisager une possible défaite du Hamas ou un changement dans l’équilibre régional du pouvoir. »
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