Chausser des lunettes d’historien peut-il contribuer à dépassionner une question aussi brûlante que l’islam ? Telle est en tout cas l’ambition de Pierre-Olivier Léchot, professeur d’histoire moderne à l’Institut protestant de Paris (dont il a été le doyen), en introduction de son imposant Luther et Mahomet. Si sa lecture risque de ne pas répondre directement aux interrogations contemporaines, elle se révèle néanmoins éclairante pour les férus d’histoire religieuse, qui trouveront là une étude rigoureuse des liens entre islam et protestantisme après la naissance de celui-ci, dans une Europe en proie à l’expansionnisme ottoman – un péril majeur, pour les chrétiens de l’époque.

Loin d’être un sujet secondaire pour les réformateurs du XVIsiècle, l’islam « hante la pensée protestante depuis ses origines », selon Pierre-Olivier Léchot. Estimant qu’en refusant l’Évangile, les Turcs renoncent à leur humanité, Luther vit en eux rien de moins qu’une « grande armée de diables ». Il rapprocha le prophète Mohammed du pape, faisant du premier « l’antéchrist charnel » et du second « l’antéchrist spirituel » : tous deux n’ambitionnaient-ils pas de « compléter » ce qui ne saurait l’être, le pur Évangile de Jésus-Christ ?

L’apparition d’un « trouble »

Guidant patiemment son lecteur à travers une galaxie foisonnante de penseurs protestants pour beaucoup méconnus (Servet, Bayle, Lessing, etc.), Pierre-Olivier Léchot met en lumière, outre cette volonté de différenciation exprimée notamment par Luther, un deuxième type de regard protestant sur l’islam, à mesure que l’érudition arabisante progresse en Occident aux XVIIe et XVIIIe siècles. Cette approche, certes minoritaire, consiste à voir dans l’islam une religion interrogeant le cœur même de l’identité protestante.