"Je crois que nous ne parviendrions à consolider les acquis [de l'indépendance] que par l'acquisition de la science, car elle est la source de la puissance. Dieu n'a-t-il pas dit : 'Ceux qui disposent du savoir peuvent-ils être placés sur un même pied d'égalité que ceux qui en sont privés ? [39,9]'"
Quand le Coran "se contredit"
"Durant des siècles nous avons vécu dans la décadence que nous pensions pouvoir conjurer en se réfugiant dans la prière et le jeûne. Pourtant, le Prophète nous a bien mis en garde contre ceux qui, sans être éclairés, prient et jeûnent, de sorte qu'ils ne connaissent du jeûne que la faim et la soif et de la prière que les gestes et les paroles [à prononcer]. Et puis, ils ne sollicitent du Coran que les versets qui les confortent dans l'état de léthargie, d'ignorance et de fatalisme dans lequel ils gisent. Entre autres, le verset : 'Rien ne nous atteindra, en dehors de ce que Dieu a écrit pour nous*' [9,51], destiné en fait à faire supporter les malheurs et à abréger les souffrances qui surviennent à la suite du décès d'un proche ou d'un être chéri. Le Coran contient des versets en contradiction totale avec cela [cet état d'esprit], auxquels on ne se référait jamais durant les siècles de décadence, car ils incitent au labeur, tels que celui-ci : 'Dieu ne modifie rien en un peuple, avant que celui-ci ne change ce qui est en lui*' [13,11]."
"Dieu accorde la liberté de choisir"
"C'est dire que Dieu accorde à l'homme la liberté de choisir et lui en a donné les moyens. Dieu est omniscient, mais l'homme est maître de son destin et responsable de ses actes. La preuve : 'Celui qui aura fait le poids d'un atome de bien le verra ; celui qui aura fait le poids d'un atome de mal le verra*' [99,7-8]. Ainsi, l'homme est récompensé pour le bien qu'il fait et puni pour le mal, car il est injuste qu'il en soit autrement."
Les "récits légendaires" du Coran
"[Parce qu'on s'en tenait à la lettre du Coran], on croyait à partir du récit relatif au bâton de Moïse se muant en reptile rampant que la vie pouvait naître de la matière inerte. Une telle croyance a également dominé l'Europe ; elle a disparu dans les temps modernes depuis Pasteur. Parmi les récits fabuleux auxquels les Arabes ont longtemps cru, la légende des gens de la caverne, qui auraient dormi des centaines d'années avant de revenir de nouveau à la vie."
"Faire prévaloir l'intérêt de l'État sur l'exercice du culte"
"Il ne faut pas perdre de vue que l'islam en son essence se propose de relever le niveau moral de l'homme. Il avait pour but de former une nation arabe unie en mettant fin aux luttes entre tribus opposées pour peu de chose, une bête injustement tuée ou une course de chevaux. Afin de ne pas les effaroucher, le Prophète a été forcé d'accepter des pratiques antéislamiques en vérité proprement idolâtres, telles que le frottement à la Pierre noire (Kaaba) et la lapidation de Satan. Umar ibn al-Khattab [compagnon du Prophète et deuxième calife] savait que la Pierre noire était inerte, sans pouvoir, ni bénéfique ni maléfique, mais il l'embrassait parce qu'il a vu le Prophète le faire, disait-il. Lénine a dit dans ce sens que l'homme ne peut transformer une chose facilement à moins qu'il n'endure des épreuves pénibles. Les cheikhs de l'islam se gardent d'évoquer le comportement édifiant du Prophète dans certaines circonstances. Entre autres, lors de la marche sur La Mecque, il [le Prophète] s'était prononcé contre le jeûne de Ramadan 'afin que nous soyons forts face à l'ennemi', leur a-t-il dit. Et il avait payé d'exemple en se désaltérant. Il a ainsi fait prévaloir l'intérêt de l'État sur l'exercice du culte. Voilà ce que je voudrais que la radio et la presse rappellent. Comme cet épisode où il rencontra un jeune dévoué au jeûne et à la prière. Il s'est enquis de ses moyens de subsistance. Il lui a répondu que son frère bûcheron subvenait à ses besoins. Le Prophète lui fait observer que son frère serait mieux rétribué dans l'au-delà. De même, lors de la bataille de Badr, on avait demandé au Prophète si le choix du lieu pour installer le campement était le fruit d'une révélation ou d'une opinion personnelle ; et, ayant appris qu'il s'agissait d'un avis, ils lui ont conseillé un meilleur endroit, à proximité d'un point d'eau. C'est alors qu'il leur dit : "Vous êtes mieux à même de connaître les choses de ce monde." Après, les gouvernants musulmans ont dévié de cette voie ; ils ont asservi les gens et ils sont tombés dans la débauche."
Déification de Muhammad
[Phrase absente du texte arabe mais préservée dans la version française.]
"Les exégètes ont déformé le sens de la formule 'Que les bénédictions et le salut de Dieu soient sur Muhammad'. À partir de cette erreur d'interprétation, les califes, notamment ceux des dynasties omeyyade et abbasside, se sont crus autorisés à s'entourer d'adulateurs, de courtisans et à se constituer un harem."
"Des esprits sclérosés par un savoir suranné et anachronique"
[Fragment existant dans l'original arabe, élagué de la version française.]
"À partir de là, il devient clair que les idées nouvelles doivent être inculquées de manière graduelle à des esprits sclérosés par un savoir suranné et anachronique. Ainsi, si on avait dit aux contemporains du Prophète que la mer accueillerait des bateaux pesant des tonnes d'acier ou que des avions lourds survoleraient la terre, ils n'y auraient guère cru. Comme ils ne pouvaient croire aux télécommunications sous-marines et à la Terre sphérique et en rotation, parce qu'ils la voyaient plate."
"Ma dernière mission : l'égalité entre hommes et femmes"
"Je voudrais attirer votre attention sur le fait que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir afin de réaliser une dernière chose avant de considérer ma mission comme terminée. Je fais référence à l'égalité entre hommes et femmes. À l'école, au travail, dans les champs et même parmi le personnel de la police, l'égalité est assurée. Sauf en matière successorale. La femme hérite encore une part égale à la moitié de celle échue à l'homme. Cette disposition se justifiait quand l'homme était prépondérant. La femme était effectivement dans une situation sociale ne permettant pas l'instauration de l'égalité avec l'homme. À l'époque, on enterrait les filles à leur naissance et elles étaient traitées avec mépris. Il en va autrement aujourd'hui. Désormais, elle est active, et il lui arrive même de subvenir aux besoins de ses frères cadets. Je vous donne un exemple : mon épouse a dû subvenir aux besoins de son frère cadet afin qu'il poursuive des études. Est-ce juste dans ce cas qu'elle n'hérite que de la moitié de la part revenant à son frère ? Dans ce genre de situation, nous devons emprunter la voie de l'ijtihad et prendre l'initiative de faire évoluer les dispositions charaïques [édictées par la charia] en fonction de l'évolution de la société. Nous avons déjà aboli la polygamie à partir de l'exégèse du verset approprié [Bourguiba se réfère à la sourate 4, verset 129]. Il appartient en effet au détenteur du pouvoir, en tant qu'émir des croyants, de faire évoluer la législation en fonction de l'évolution du peuple, de la notion de travail et du mode de vie."
* Les citations du Coran sont extraites de la traduction de référence de Denise Masson (Gallimard, « La Pléiade »).
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