Il y'a quelque chose de plus fort que la mort : c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants et la transmission, à ceux qui ne sont pas encore, du nom, de la gloire, de la puissance et de l'allégresse de ceux qui ne sont plus, mais qui vivent à jamais dans l'esprit et dans le cœur de ceux qui se souviennent». Jean d'Ormesson (1925-2017), académicien, journaliste et philosophe français
Il y'a du tragique quand un supposé maitre des horloges perd la notion de temps en prétendant vouloir regarder un passé lointain en face. Il est vrai, il est loin de ses terres ; il est sur une terre de braves qui mettrait les plus téméraires mal à l'aise. Il y a, ensuite, de l'ubuesque lorsque l'agresseur, fut-il au passé, donne des leçons de bon voisinage, de coopération et de respect mutuel à l'agressé. Il y a, enfin, du peu honnête, lorsqu'on esquive la seule et unique question qui attend réponse depuis déjà très longtemps et qu'on parle, invariablement, de tout autre sujet avec aisance et abondance.
Le Président Français, Emmanuel Macron, a effectué, la semaine passée, une visite au pays des martyrs, que l'Elysée, pour des raisons inavouables, s'empressait à qualifier de visite officielle et non d'Etat. Je n'attendais personnellement pas beaucoup de cette visite, les experts de tous bords savent pertinemment qu'Emmanuel Macron, Jupitérien qu'il est, n'est pas genre à descendre de son nuage, et de traiter avec autrui d'égal à égal, il ne le fait pas avec ses compatriotes, il n'y a aucune raison qu'il le fasse avec nous autres Algériens.
La visite de Macron, même si elle reste décriée par une partie de l'opinion française, est mue, principalement mais pas uniquement, par deux dossiers que sont l'énergie et le rapatriement des Algériens.
Pour l'énergie et même s'il s'attarde, maladroitement, pour faire croire que la France n'a pas besoin de gaz Algérien, puisque la part du gaz dans son mix énergétique est à peine de 10% et que la part du gaz Algérien ne dépasse pas le 8%. Ce qu'il n'avoue pas, par contre, c'est que pour son mix énergétique, compte tenu de l'état des centrales nucléaires françaises, dont 31 sur 56 en arrêt, il a besoin d'électricité qu'il compte puiser de l'Allemagne qui, à son tour, a besoin de gaz. Il veut du gaz pour le troquer contre de l'électricité Allemande.
Concernant le rapatriement au pays des Algériens de France et en prévision de Paris 2024, surtout mais pas seulement, Monsieur Macron voudrait avoir l'appui de l'Algérie pour accepter le rapatriement des Algériens coupables de crimes et délits en France, qui, plus est, consacre le retour triomphal de la double peine.
En retour, il a peut-être quelque chose à proposer : ceux à qui la France offre une tribune pour dénigrer le pays ou mieux encore, ceux qui sont dans tout l'espace Européen. Il est connu pour être très persuasif Monsieur Macron.
Je retiens, comme certains de mes compatriotes, peut-être ai-je tort, quelques passages, lourds de sens, soigneusement préparés par Monsieur Macron et savamment scénarisés devant les caméras.
Il y'a d'abord, la fameuse formule tendant à flatter l'égo des Algériens et titiller leur fibre révolutionnaire pour la liberté des peuples à disposer d'eux même et la sacralité du principe de non-agression, en affirmant que le peuple Algérien n'accepterait pas une guerre, injuste selon lui, comme celle de la Russie contre l'Ukraine. Les Algériens n'ont pas besoin d'être aiguillés pour décider de la lecture des évènements de ce monde ; ils sont connus pour être constants et cohérents et pratiquent peu ou pas du tout le jeu de bascule auquel s'adonnent à souhait d'autres.
Il y'a ensuite, ses propos sur la question mémorielle « Nous sommes sommés en permanence de choisir entre fierté et repentance. Je veux la vérité et la reconnaissance ».
Monsieur Macron oppose fierté et repentance, comme pour dire, fière qu'il est, qu'il n'est pas question, ou qu'il n'est plus question, de repentance. Quand il dit vouloir la vérité je ne pense pas qu'il veuille opposer la vérité au mensonge de la France, il est le Président Français en exercice. Quand il évoque la reconnaissance je ne pense également pas qu'il veuille dire la reconnaissance de la France envers l'Algérie pour ses richesses spoliées pendant plus d'un siècle, ou dans un autre sens, la reconnaissance de la France des crimes atroces commis, pendant des décennies, contre le peuple Algérien, contre son identité, ses croyances et sa culture.
Quand Monsieur Macron évoque « Une histoire d'amour qui a sa part de tragique ». Il s'adonne avec une légèreté impardonnable à une sorte de parallèle qu'il est le seul à voir, il n'y a ni du tragique dans l'amour, ni de l'amour dans le tragique. Il nous présente, en fait, une sorte de mélange entre les syndromes de Stockholm et celui de lima où, globalement, l'agresseur et l'agressé se prennent en sympathie. Les français ont peut-être aimé le pays, ils ont surement aimé l'Algérie, mais en cela point de blâme, point de remontrances, qui n'aimerait pas le pays du miel et du lait, qui n'aimerait pas l'Algérie ! mais, ils n'ont jamais aimé ses enfants, ils n'ont jamais accepté ses maitres. Les algériens, eux, ont aimé des français. Ils ont bien aimé Maurice Audin, Henri maillot, Fernand Iveton ou encore Pierre Vidal Naquet (historien de métier et de vocation). Ils ont beaucoup aimé Claudine Chaulet, Raymonde Peschard dite Taous ainsi que d'autres, moins connues, en les personnes de Reine Raffini ou Jocelyne chatain. Mais les algériens, contrairement à ce que voudraient faire croire beaucoup, n'ont jamais aimé la France au point de vouloir se l'approprier.
Quand il parle du dossier de l'immigration, au lieu de rassurer les Algériens, qu'il prétend considérer comme des amis, sur la mise en place de procédures transparentes et équitables dans ce sens, qui tiennent compte de l'histoire des deux pays, des accords actés toujours en cours, des liens tissés à travers le temps et des intérêts partagés entre les deux communautés, Monsieur Macron parle d'immigration choisie et cite les artistes, les sportifs, les chercheurs et autres. Il veut troquer les meilleurs grâce à leur pays contre les médiocres à cause de la France.
Lorsqu'il annonce, enfin, la création d'une commission mixte d'historiens pour, entend-on, aplanir les dissensions et affronter avec courage le passé, il oublie, sciemment, que la censure, ne peut rien contre l'histoire, les historiens ne travaillent pas à la carte, n'historient pas à la demande. Et ce n'est pas des historiens, même brillants, installés comme des fonctionnaires, qui viendraient à bout d'un phénomène sociologique nourri par une histoire douloureuse qui revient sans cesse à l'imaginaire collectif même chez ceux qui ne l'ont jamais connu. Il est ici question de transmission transgénérationnelle, où une génération devient dépositaire, consciemment, d'une souffrance qui ne lui est pas infligée directement mais dont elle révèle l'existence, la persistance et des fois, compte tenu de circonstances présentes, même l'amplification. Là aussi il veut troquer la vérité du moment par une supposée vérité à venir.
Vous pouvez, Monsieur le Président, malgré vous peut-être, vous montrer orgueilleux, vous pouvez vous montrer condescendant, les français eux même vous dépeignent et trouvent ainsi, mais eux ils peuvent et doivent vous accepter, ils vous ont élu puis réélu, pas le peuple Algérien.
Dans un rapport publié mercredi 31 août, l’ONU dénonce de possibles « crimes contre l’humanité » menés par les autorités chinoises contre les populations ouïghoures dans le Xinjiang. Pour Laurence Defranoux, journaliste et autrice d’un livre (1) sur l’histoire de ce peuple sacrifié, cette répression, reconnue par la France comme un génocide, prend racine dans les années 1990.
La Croix : À quand remonte le début de la persécution des Ouïghours au Xinjiang ?
Laurence Defranoux : Après la chute de l’URSS et les manifestations de Tian An Men en 1989, les éléments les plus anciens et les plus conservateurs du Parti communiste chinois (PCC) abandonnent toute idée de réforme démocratique du pays et prennent le virage de la répression. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale prennent leur indépendance. Pékin craint que les Ouïghours(ethnie musulmane qui peuple la province du Xinjiang, NDLR), très proches de leurs voisins, ne suivent cet exemple.
À partir des années 1990, tout ce qui s’apparente à une identité distincte dans les marges de la Chine va être réprimé : les artistes sont censurés et les pratiques culturelles, comme le port de la moustache ou la célébration de fêtes religieuses, sont interdites aux fonctionnaires. Les autorités ciblent tout ce qui peut faire le ciment d’une identité parallèle au discours officiel. Le sens de la fête, les arts, la solidarité traditionnelle des Ouïghours sont perçus comme une menace contre l’hégémonie du PCC, et le ferment d’une opposition à son pouvoir absolu.
Il y a de fait eu des attentats menés par des Ouïghours, mais il s’agissait essentiellement d’actes de rébellion isolés, très courants dans toute la Chine. Le chercheur Sean R. Robert évoque la notion de « prophétie autoréalisatrice » pour expliquer comment la politique répressive menée par la République populaire de Chine contre une menace terroriste très largement imaginaire peut mener à des attaques réelles.
Et de fait, compte tenu du harcèlement permanent que subit la population du Xinjiang – tout y est surveillé, de la navigation sur Internet à l’intimité des chambres à coucher –, une forme de résistance s’est développée. Mais il est impossible que ces actes, extrêmement réprimés, soient orchestrés par des organisations rebelles structurées.
Comment cette persécution évolue-t-elle après les événements du 11 septembre 2011 ?
L. D. : Avant les attentats du World Trade Center, les autorités chinoises justifiaient la répression dans le Xinjiang par un « séparatisme » ouïghour qui serait manipulé depuis Washington. Mais dès le 11-Septembre, ce discours change de façon spectaculaire. De « séparatistes », les Ouïghours deviennent des « terroristes » disciples d’Al-Qaida, pilotés par Ben Laden. Ce dernier n’a pourtant jamais parlé du Turkestan oriental.
Un mois après les attentats, les autorités chinoises ont voulu faire reconnaître un groupe ouïghour comme organisation terroriste aux États-Unis. Les experts américains ont d’abord refusé, tant les accusations ne reposaient sur rien. Un an plus tard, en contrepartie d’un soutien pour l’invasion en Irak, l’administration américaine s’est pourtant pliée aux demandes de la Chine. C’est en se servant de l’imaginaire occidental sur le terrorisme que Pékin a pu faire passer la persécution d’une ethnie à des buts politiques et économiques comme une facette de la lutte internationale contre le terrorisme.
Comment ce discours présage-t-il de la mise en place du génocide aujourd’hui perpétré contre le peuple ouïghour ?
L. D. : À l’automne 2013, Xi Jinping dévoile le projet des « nouvelles routes de la soie » qui doit permettre à la Chine, via de nouveaux axes commerciaux, d’étendre son influence sur l’Asie centrale, l’Europe et le reste du monde. Le Xinjiang, frontalier de huit pays, devient plus important que jamais.
Il faut que ce territoire soit stable et entièrement exploitable à merci. Pékin délocalise au Xinjiang les industries polluantes, exproprie les terres. Les « lois antiterroristes » vont alors s’étendre à toutes les formes « d’extrémisme religieux ». Arrêter de fumer, porter une jupe longue, appeler son fils Mohamed, réciter une prière à ses enfants… tout est considéré comme une forme de radicalisation permettant une répression toujours plus violente et un contrôle toujours plus accru de la population.
En 2014, la « guerre du peuple » est déclarée, et les pratiques totalitaires commencent. Les autorités chinoises sont obsédées par la question des quotas ethniques et cherchent à tout prix à inverser la balance démographique dans la région. Depuis des décennies, elles font venir des Hans – l’ethnie majoritaire chinoise – en masse, mais cela ne suffit pas. Alors elles mettent en place des politiques pour limiter les naissances d’Ouïghours, enferment les hommes en âge de procréer, imposent aux femmes contraception et stérilisation. L’objectif final est clairement de dissoudre l’identité ouïghoure.
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La Croix : À quand remonte le début de la persécution des Ouïghours au Xinjiang ?
Laurence Defranoux : Après la chute de l’URSS et les manifestations de Tian An Men en 1989, les éléments les plus anciens et les plus conservateurs du Parti communiste chinois (PCC) abandonnent toute idée de réforme démocratique du pays et prennent le virage de la répression. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale prennent leur indépendance. Pékin craint que les Ouïghours(ethnie musulmane qui peuple la province du Xinjiang, NDLR), très proches de leurs voisins, ne suivent cet exemple.
À partir des années 1990, tout ce qui s’apparente à une identité distincte dans les marges de la Chine va être réprimé : les artistes sont censurés et les pratiques culturelles, comme le port de la moustache ou la célébration de fêtes religieuses, sont interdites aux fonctionnaires. Les autorités ciblent tout ce qui peut faire le ciment d’une identité parallèle au discours officiel. Le sens de la fête, les arts, la solidarité traditionnelle des Ouïghours sont perçus comme une menace contre l’hégémonie du PCC, et le ferment d’une opposition à son pouvoir absolu.
Il y a de fait eu des attentats menés par des Ouïghours, mais il s’agissait essentiellement d’actes de rébellion isolés, très courants dans toute la Chine. Le chercheur Sean R. Robert évoque la notion de « prophétie autoréalisatrice » pour expliquer comment la politique répressive menée par la République populaire de Chine contre une menace terroriste très largement imaginaire peut mener à des attaques réelles.
Et de fait, compte tenu du harcèlement permanent que subit la population du Xinjiang – tout y est surveillé, de la navigation sur Internet à l’intimité des chambres à coucher –, une forme de résistance s’est développée. Mais il est impossible que ces actes, extrêmement réprimés, soient orchestrés par des organisations rebelles structurées.
Comment cette persécution évolue-t-elle après les événements du 11 septembre 2011 ?
L. D. : Avant les attentats du World Trade Center, les autorités chinoises justifiaient la répression dans le Xinjiang par un « séparatisme » ouïghour qui serait manipulé depuis Washington. Mais dès le 11-Septembre, ce discours change de façon spectaculaire. De « séparatistes », les Ouïghours deviennent des « terroristes » disciples d’Al-Qaida, pilotés par Ben Laden. Ce dernier n’a pourtant jamais parlé du Turkestan oriental.
Un mois après les attentats, les autorités chinoises ont voulu faire reconnaître un groupe ouïghour comme organisation terroriste aux États-Unis. Les experts américains ont d’abord refusé, tant les accusations ne reposaient sur rien. Un an plus tard, en contrepartie d’un soutien pour l’invasion en Irak, l’administration américaine s’est pourtant pliée aux demandes de la Chine. C’est en se servant de l’imaginaire occidental sur le terrorisme que Pékin a pu faire passer la persécution d’une ethnie à des buts politiques et économiques comme une facette de la lutte internationale contre le terrorisme.
Comment ce discours présage-t-il de la mise en place du génocide aujourd’hui perpétré contre le peuple ouïghour ?
L. D. : À l’automne 2013, Xi Jinping dévoile le projet des « nouvelles routes de la soie » qui doit permettre à la Chine, via de nouveaux axes commerciaux, d’étendre son influence sur l’Asie centrale, l’Europe et le reste du monde. Le Xinjiang, frontalier de huit pays, devient plus important que jamais.
Il faut que ce territoire soit stable et entièrement exploitable à merci. Pékin délocalise au Xinjiang les industries polluantes, exproprie les terres. Les « lois antiterroristes » vont alors s’étendre à toutes les formes « d’extrémisme religieux ». Arrêter de fumer, porter une jupe longue, appeler son fils Mohamed, réciter une prière à ses enfants… tout est considéré comme une forme de radicalisation permettant une répression toujours plus violente et un contrôle toujours plus accru de la population.
En 2014, la « guerre du peuple » est déclarée, et les pratiques totalitaires commencent. Les autorités chinoises sont obsédées par la question des quotas ethniques et cherchent à tout prix à inverser la balance démographique dans la région. Depuis des décennies, elles font venir des Hans – l’ethnie majoritaire chinoise – en masse, mais cela ne suffit pas. Alors elles mettent en place des politiques pour limiter les naissances d’Ouïghours, enferment les hommes en âge de procréer, imposent aux femmes contraception et stérilisation. L’objectif final est clairement de dissoudre l’identité ouïghoure.
(1) Les Ouïghours Histoire d’un peuple sacrifié, Tallandier (2022)
Le pèlerinage à La Mecque, cinquième pilier de l’islam, garantit une manne perpétuelle aux autorités saoudiennes. Pour recevoir un nombre toujours plus important de visiteurs, les dirigeants wahhabites n’hésitent pas à transformer la ville sainte en chantier permanent, quitte à la défigurer. L’ambition d’accueillir toujours plus de pèlerins pose de graves problèmes de sécurité et de santé.
ca Locatelli. – Studios de la Saudi Broadcasting Corporation à La Mecque, février 2016
Premier exportateur mondial de pétrole (plus de dix millions de barils par jour), le royaume d’Arabie saoudite est aussi le berceau et le centre névralgique de l’islam. Unique État qui siège aux Nations unies en portant le nom d’une famille (1), il s’attribue l’exclusivité de la chahada, la profession de foi musulmane, qu’il fait figurer sur son propre drapeau pour bien signifier au 1,8 milliard de fidèles recensés à travers le monde que ses souverains sont les « serviteurs des lieux saints ». La Mecque, où naquit le prophète Muhammad (Mahomet) — qibla (direction) des cinq prières quotidiennes — et Médine, où il repose, demeurent du ressort exclusif du monarque.
Les moyens financiers colossaux tirés de la manne pétrolière confortent le leadership religieux du royaume sur l’oumma (communauté des croyants), mais la monarchie sait qu’elle doit veiller à préserver sa légitimité de gardienne des lieux saints. D’où ses énormes efforts pour assurer le bon déroulement et la sécurité des pèlerinages qui ont lieu sur son sol. Le défi logistique, sanitaire et sécuritaire est de taille. Deux à trois millions de pèlerins effectuent chaque année le hadj (ou hajj), qui constitue le cinquième et dernier pilier de l’islam. Obligatoire une fois dans la vie pour tout musulman en bonne santé et qui en a les moyens, il s’effectue chaque année en cinq jours au minimum durant le mois de dhou al-hijja, dernier du calendrier hégirien (lunaire). Il constitue l’apothéose de la vie du croyant et le lave de tous ses péchés. C’est aussi un moment de retrouvailles des musulmans du monde entier, un facteur d’unité et d’échanges.
En moyenne, le hadj rapporte au royaume entre 10 et 15 milliards de dollars par an (2). À cette manne, il faut rajouter 4 à 5 milliards de dollars apportés par les huit millions de pèlerins accomplissant la omra, un pèlerinage, non obligatoire, à La Mecque qui peut s’effectuer à n’importe quelle date de l’année (en dehors du hadj) et qui atteint un pic pendant le ramadan. Selon la chambre de commerce et d’industrie de La Mecque, 25 % à 30 % des revenus du secteur privé des deux villes saintes dépendent du pèlerinage. Au total, les revenus cumulés du hadj et de la omra constituent le deuxième poste de recettes de l’État saoudien après les ventes d’hydrocarbures. En 2018, Riyad prévoyait que ces deux pèlerinages lui rapporteraient 150 milliards de dollars de revenus au cours des cinq prochaines années. Et le royaume veut plus. Selon les experts ayant rédigé « Vision 2030 », le plan de diversification économique du royaume concocté sous l’égide du prince héritier Mohammed Ben Salman, trente millions de personnes devraient effectuer chaque année la omra d’ici à dix ans. Selon ce document, « le tourisme religieux est une option durable pour l’Arabie saoudite » à l’heure où le pays semble avoir perdu les moyens d’être l’unique stabilisateur des prix du brut (3).
Enseignes de luxe et fast-foods
Afin que les revenus tirés du pèlerinage augmentent, les milieux d’affaires saoudiens souhaitent la suppression des quotas de pèlerins imposés à chaque État depuis 1988. Si elles n’envisagent pas cette abrogation, les autorités œuvrent en permanence à une augmentation du nombre de pèlerins et aménagent les lieux en conséquence. Le fonds public d’investissement saoudien, qui gère 230 milliards de dollars d’encours, a doté La Mecque d’infrastructures massives pour faire face à la gigantesque marée humaine qui investit la cité sainte. Entre 1950 et 2017, grâce à l’avion, le nombre total de pèlerins (hadj et omra) a bondi de cinquante mille à dix millions, non sans provoquer d’indicibles drames et des milliers de morts (lire « Tragédies en série »).
La Mecque elle-même est transformée. Avec ses cent mille chambres d’hôtel, ses soixante-dix restaurants de standing, ses cinq héliports et ses vastes terrains aménagés pour accueillir les pèlerins les moins fortunés sous des tentes, le lieu est devenu une jungle de béton sans arbres, pavée de marbre et encerclée de grues et de gratte-ciel à l’exemple des « tours de la Demeure [d’Allah] » (Abraj Al-Baït) — encerclant le saint des saints, la Kaaba. Comptant une soixantaine de tunnels de liaison pour rallier les trois autres sites du pèlerinage, la ville sainte ressemble beaucoup plus à « un amalgame de Disneyland et de Las Vegas (4) » qu’à une ville du Proche-Orient. Sa métamorphose « aux grotesques bâtiments de verre et d’acier » est particulièrement laide et « oscille entre le sublime et le cinéma », affirme l’anthropologue marocain Abdellah Hammoudi. Autour de la Kaaba et du Masjid Al-Haram — la Grande Mosquée, qui peut accueillir deux millions de fidèles —, il n’y a plus que des hôtels haut de gamme à quarante étages, des enseignes de luxe mais aussi des fast-foods. Aucune place n’a été réservée à la culture et pratiquement aucun vestige du passé de la ville n’a résisté à la furie iconoclaste wahhabite contre l’idolâtrie, dont les premières destructions commencèrent dès la conquête de la ville en 1924 par le roi Abdelaziz Ibn Saoud. Pas même la maison natale du Prophète, transformée en parking, ou celle de sa première épouse Khadija, devenue bloc sanitaire ! L’architecture traditionnelle si adaptée au climat torride avec les moucharabiehs, dispositifs de ventilation naturelle, a été rasée pour laisser place à la laideur du béton et au ronflement des climatiseurs. Dans ce décor, le hadj — un mot qui signifie effort — est vidé de son poids religieux, spirituel et historique et devient une observance mécanique des rituels et une incitation au shopping.
Cette mutation et les incessants aménagements font aussi courir à la ville les risques de crues subites, de contamination de la nappe phréatique et de dégradation environnementale. Conduite lors du pèlerinage de 2012, une étude portant sur les autoroutes, les tunnels et les échangeurs de la ville a montré des niveaux très élevés d’ozone, de monoxyde de carbone, de benzène, de composés organiques volatils toxiques provenant des gaz d’échappement des véhicules et des composés fluorés CFC-12 des climatiseurs (5). Le pèlerin doit ainsi vivre dans ce brouillard photochimique en se déplaçant sur les voies archi-encombrées qui conduisent de la Grande Mosquée aux trois stations obligatoires vers le mont Arafat, à vingt kilomètres à l’est.
« Les cars et les voitures de Mina [lieu rituel obligatoire du hadj, à cinq kilomètres de La Mecque] dégagent chaque jour quatre-vingts tonnes de gaz d’échappement en période de pointe. La plupart des pèlerins passent plus de temps à tousser qu’à prier. Les effets nocifs des gaz d’échappement, de la chaleur et de l’épuisement n’étaient que trop évidents : j’ai vu des gens s’évanouir et mourir », écrit l’écrivain et universitaire anglo-pakistanais Ziauddin Sardar, qui a travaillé durant cinq ans au Centre de recherche sur le pèlerinage à La Mecque (Hajj Research Centre) à Djeddah (6). Sardar a étudié les problèmes logistiques « apocalyptiques » que pose le pèlerinage afin d’y apporter des solutions. Il révèle que les recommandations du centre n’ont jamais été suivies d’effet, même quand il avertit que « les deux qualités propres de la ville sainte, la “beauté” et l’“intemporalité”, disparaîtront sous l’effet de la planification moderne ».
Le hadj est aussi un immense défi financier et logistique pour les non-Saoudiens. D’un coût moyen de 5 000 à 8 000 euros (transport, logement sur place et nourriture), il oblige nombre de pèlerins à consentir de lourds sacrifices financiers (l’islam interdit de s’endetter pour accomplir le pèlerinage). Parfois, les États accordent une partie de cette somme, mais le principal reste à la charge du futur hadj (personne ayant accompli le pèlerinage). Au Nigeria, comme dans bon nombre de pays musulmans, la modicité du salaire minimum (30 à 75 dollars) empêche une grande partie de la population d’envisager le voyage, engendrant frustration et colère à l’encontre des autorités. En Tunisie, critiquant le coût exorbitant du hadj, l’islamologue Badri Madani jugeait en avril 2020 que l’entretien des écoles et des hôpitaux était préférable au pèlerinage, à la omra et à la construction de mosquées (7). En France, où 25 000 personnes en moyenne obtiennent chaque année un visa pour La Mecque, seules une soixantaine d’agences sont accréditées par le ministère saoudien du hadj et de la omra. Elles profitent largement de leur situation de quasi-monopole, tandis que des aigrefins n’hésitent pas à arnaquer des candidats n’ayant pas obtenu leur visa par la voie légale (8).
Le hadj est aussi affaire de tensions diplomatiques. Pour « punir » un pays qui ne partagerait pas ses vues, Riyad peut diminuer de manière unilatérale son quota de pèlerins. Une situation critiquée par la Turquie et l’Iran, voire l’Indonésie et la Malaisie, qui ont eu à subir ce type de rétorsion et qui évoquent régulièrement la création d’une sorte de Vatican musulman échappant à l’oukase saoudien.
Mohamed Larbi Bouguerra
Universitaire, membre de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts Beït Al-Hikma (Carthage).
(5) « Air quality in Mecca and surrounding holy places in Saudi Arabia during hajj : Initial survey », Environmental Science & Technology, n° 48, Washington, DC, 2014.
(6) Ziauddin Sardar, Histoire de La Mecque. De la naissance d’Abraham au XXIe siècle, Payot, Paris, 2015.
L’Arabie saoudite a déployé durant plusieurs décennies une stratégie d’influence destinée à diffuser sa doctrine religieuse. S’appuyant sur des moyens financiers colossaux, cette démarche a consolidé une lecture rigoriste de l’islam dans le monde musulman et au-delà. →
En raison du calendrier lunaire, la date du Nouvel an islamique change d’année en année
Deux jeunes musulmans se saluent devant leur mosquée au Bangladesh (Reuters)
Les célébrations du Nouvel an sont généralement marquées par des lumières scintillantes et des feux d’artifice dans une soirée d’hiver sombre et froide.
Alors que la plupart des gens dans le monde font le décompte avant le 1er janvier pour passer à la nouvelle année, la date du Nouvel an change chaque année pour les pays qui suivent le calendrier lunaire islamique.
En fonction du calendrier islamique, ou hégirien, le Nouvel an peut parfois survenir en hiver, tandis que d’autres années, il tombe en été.
Pour les musulmans, le calendrier islamique revêt une importance religieuse et constituait le principal calendrier de la vie quotidienne jusqu’à l’arrivée du calendrier grégorien, imposé par le processus d’occidentalisation du monde islamique.
Middle East Eye répond ici à quelques questions importantes sur les célébrations du Nouvel an islamique.
Quand le Nouvel an islamique a-t-il lieu ?
Cette année, les musulmans du monde entier célébreront le Nouvel an le 29 juillet au soir. La nouvelle année commencera officiellement le 30 juillet.
Le Nouvel an islamique correspond au premier jour de mouharram, le premier mois du calendrier islamique.
Pour les musulmans, le jour calendaire islamique comm
ence au coucher du soleil. Ainsi, on considère que le Jour de l’an commence officiellement le soir du dernier jour de dhou al-hijja, le douzième mois du calendrier.
Le douzième mois de l’année est également important pour les musulmans, car c’est au cours de celui-ci qu’a lieu le hadj, le pèlerinage qui forme l’un des cinq piliers de l’islam.
Comment les musulmans célèbrent-ils le Nouvel an ?
Alors que dans de nombreuses régions du monde, le réveillon de la Saint-Sylvestre est l’occasion d’organiser des fêtes fastueuses, avec d’abondantes quantités de nourriture et de boissons ainsi que son lot de bonnes résolutions, pour les musulmans, célébrer le début d’une nouvelle année est davantage synonyme de réflexion spirituelle.
Certains profitent de ce moment pour souhaiter aux autres un joyeux Nouvel an islamique et retrouver leur famille et leurs amis.
D’autres se rendent à la mosquée et se plongent dans la lecture du Coran et l’apprentissage des enseignements islamiques, afin de devenir meilleurs et d’en apprendre davantage sur leur foi.
Pour les musulmans, le début d’une nouvelle année est le moment idéal pour réfléchir à la manière dont ils peuvent améliorer leur comportement, leur vie et leur relation avec Dieu.
De la même manière que la plupart des gens prennent de bonnes résolutions pour le Nouvel an, de nombreux musulmans se fixent des objectifs à atteindre et profitent de l’occasion pour planifier ce qu’ils peuvent faire pour progresser et renforcer leurs valeurs.
En général, ce jour est consacré à la contemplation et à la réflexion. Aucune grande célébration n’est organisée, même dans les pays à majorité musulmane, car il ne s’agit pas d’un jour férié islamique officiel.
Comment fonctionne le calendrier islamique ?
Le calendrier hégirien est régi par les phases de la lune, ce qui signifie que chaque mois commence par un nouveau cycle lunaire, marqué par la « naissance » d’un nouveau croissant de lune.
Comme il se fonde sur la lune, le calendrier hégirien ne compte que 354-355 jours car un cycle lunaire dure généralement 29 ou 30 jours contre 30 ou 31 jours par mois dans le calendrier solaire, sur lequel se fonde le calendrier grégorien.
Si un nouveau croissant de lune est repéré le 29e jour, cela marque la fin du cycle lunaire, donc un nouveau mois commence le lendemain.
Selon la coutume religieuse, il suffit qu’un seul musulman de la communauté repère la lune.
Aujourd’hui, grâce à la technologie moderne, l’observation de la lune est beaucoup plus facile et plus précise scientifiquement. Essayer de repérer soi-même la lune et de ne pas compter sur un seul pays pour la voir est donc devenu une tradition parmi les musulmans.
Pour les musulmans, le calendrier lunaire islamique revêt une importance particulière dans la mesure où il symbolisa le début d’un nouveau chapitre pour leur religion. Le calendrier fut introduit officiellement par le deuxième successeur – ou calife – du prophète Mohammed, Omar ibn al-Khattab, à une époque où il était de plus en plus nécessaire de mettre en place un système de calendrier pour l’empire musulman en pleine expansion.
Même si d’autres calendriers, tels que ceux utilisés par les Romains et les Perses, existaient à l’époque, il fut décidé que les musulmans devaient avoir le leur, afin d’ouvrir la voie à leur civilisation et de distinguer leur religion.
La date à laquelle la première année calendaire devait commencer fit l’objet de grandes délibérations. Alors que certains proposaient l’année de la naissance du prophète ou celle de sa mort, il fut décidé que le calendrier commencerait au moment où les musulmans émigrèrent, car ils purent ainsi échapper aux persécutions et puisque cet événement symbolisait le début de l’épanouissement et du développement de l’islam.
Les discussions portèrent ensuite sur le premier mois du calendrier. Comme le suggéra Othman ibn Affan, le troisième successeur du prophète, il fut décidé que celui-ci serait mouharram, un mois considéré comme sacré et comme un symbole des nouveaux départs, puisqu’il suit immédiatement le mois au cours duquel le hadj a lieu. Les musulmans croient que l’accomplissement du hadj les lave de tous leurs péchés.
Aujourd’hui, les musulmans du monde entier respectent le calendrier lunaire islamique, mais la plupart se servent du calendrier grégorien, bien plus répandu, dans leur vie quotidienne.
L’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe utilisent encore officiellement le calendrier hégirien, mais peuvent utiliser le calendrier grégorien à des fins civiles.
Le Nouvel an islamique est-il un jour férié ?
Tous les pays ne désignent pas le Nouvel an islamique comme un jour férié, mais dans de nombreux pays à majorité musulmane, il s’agit d’un jour de congé payé.
Les Émirats arabes unis ont déjà annoncé un jour férié payé. D’autres pays à forte population musulmane, dont la Malaisie, désignent également cette date comme un jour férié.
Bien que certains pays de la région ne considèrent pas le Nouvel an comme un jour férié officiel, certaines entreprises peuvent fermer plus tôt à l’occasion de cette célébration et beaucoup tournent généralement au ralenti, car les employés prennent des jours de congé et passent du temps avec leur famille et leurs amis.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Par
Nadda Osman
Published date: Vendredi 29 juillet 2022 - 10:06 | Last update:12 hours 41 mins ago
En 1908, la revue les Annales médico-psychologiques fait paraître un article intitulé «Étude psychologique sur l'Islam1», signé par le Dr Maurice Boigey (1877-1952), médecin-major au 3e régiment des Zouaves.
Après avoir exercé à l'hôpital de Biskra (Sud-Est de l'Algérie)2, en 1907, en tant que médecin aide-major, Boigey prend part à la campagne du Maroc3, nom donné aux incursions - occupation de Oujda - et aux représailles menées par l'armée française, d'abord à l'Est puis à l'Ouest du Maroc, à la suite des assassinats d'un médecin français, le Dr Mauchamp, à Marrakech, et d'ouvriers européens à Casablanca4.
Ce sont les événements du Maroc, qui semblent avoir conduit Boigey à rédiger cet article, dont une partie est d'ailleurs consacrée à la tactique à déployer pour combattre et vaincre les armées musulmanes. En effet, faisant allusion aux représailles menées contre les Beni-Snassen, en novembre 1907, une tribu du Nord-Est marocain soulevée à la suite de l'occupation de la ville d'Oujda par l'armée française, en mars 1907, il écrit:
«Pour réduire les Musulmans, il faut les isoler du reste de l'Islam. Un exemple récent, celui des Béni-Snessen, le prouve surabondamment.
Ces tribus marocaines étaient soulevées contre nous. L'enveloppement complet par nos troupes de là qu'ils habitent détermina chez les chefs du mouvement la paralysie dont je parlais tout à l'heure. Les agitateurs et leurs fidèles se sentirent subitement isolés du reste de l'Islam. Le fil visible qui les reliait au centre vital et les diriger fut rompu. Ils comprirent que leur perte était imminente. [...]. Ils étaient étroitement enfermés dans leurs montagnes, ils se sentaient irrémédiablement perdus parce qu'une main les avait séparés de l'Islam. Le même principe trouve une autre application dans le mode de combattre les armées musulmanes5.»
Il convient de souligner que Boigey consacrera une thèse au massif des Beni-Snassen6. Pour revenir à cet article de 1907 - dont la forme est jugée «blessante et parfois même gratuitement injurieuse» au travers d'une réplique à Boigey, signée par Ahmed Chérif7, un médecin français musulman - notons que l'une des thèses développées par Boigey est que le musulman est un être pathologique.
S'appuyant sur un schéma évolutionniste, emprunté au darwinisme social8, et sur une typologie psychologique inspirée des travaux de Ribot9, entre autres, Boigey définit deux types psychologiques qu'il oppose. D'un côté, le type psychologique des Occidentaux qu'il qualifie d'actif, car «ce sont eux, dit-il, qui ont le plus produit, le plus lutté, le plus bâti, le plus orné, le plus perfectionné, le plus vécu, ils ont évolué constamment dans l'orbite de la civilisation10»; et de l'autre celui de l'Islam, qu'il qualifie d'inactif, car, contrairement aux Occidentaux, «les musulmans n'ont jamais produit aucun travail extraordinaire, bâti aucune capitale, construit aucune flotte, étudié à fond aucune science, embelli d'une manière durable aucun endroit11». D'après Boigey, le type psychologique inactif de l'Islam résulte du fait que l'Islam procède, selon lui, d'un ensemble d'instincts arrêtés dans leur expansion par l'œuvre d'un imposteur génial qu'est Mohamed, là où l'état social des Occidentaux est l'aboutissement d'un immense travail philosophique.
L'historien David Macey, auteur d'une biographie sur Frantz Fanon, a raison de souligner que l'hostilité et l'ignorance dont fait preuve Boigey à l'égard de l'Islam est un phénomène qui a une longue histoire. Pour illustrer son propos, il prend pour exemple l'écrivain italien du xiiie-xive siècle, Dante. Outre d'affirmer que Mohamed est un chrétien schismatique, dans le chant XXVIII de son Inferno, Dante le condamne, comme les autres seminatori di discordia, au huitième cercle de l'Enfer12. La philosophie et la littérature française des xviiie et xixe siècles contiennent de nombreuses appréciations similaires. Dans l'Essai sur les mœurs13, Voltaire, pour ne citer que lui, présente le prophète de l'Islam comme un imposteur, «le seul musulman à ne pas croire vraiment puisqu'il aurait su son imposture14».
Pour revenir à l'opposition qu'établit Boigey entre le type psychologique des Occidentaux et celui des musulmans, on aura relevé que celle-ci ne va pas sans rappeler le dualisme établi par Moreau de Tours15 entre l'Occident et l'Orient, les Occidentaux et les Musulmans. De la comparaison des articles de ces deux auteurs, il se dégage des ressemblances mais aussi des dissemblances, notamment sur le rapport entre islam et folie. Si Moreau de Tours, comme la plupart des psychiatres, considère l'islam comme un moyen de prévention et de protection de la folie et la principale source d'aliénation mentale, Boigey, lui, le considère non seulement comme un agent pathogène, mais comme une religion qui porte en elle la folie. «Le dogme de l'islam, écrit-il, devait se développer avec la rapidité d'une épidémie contagieuse. Ses progrès s'expliquent moins par la théologie que par la pathologie mentale... C'est en quelque sorte une véritable folie épidémique que les hordes coraniques ont propagée, les armes à la main16».
Boigey convoque à nouveau le prophète de l'Islam pour cette fois-ci lui attribuer la responsabilité de cette folie épidermique qu'il assigne à l'Islam. S'attachant à définir quel est l'état nerveux des musulmans, il affirme que Mohamed a implanté dans le cerveau des croyants un état névropathique dont les manifestations sont les suivantes : l'obsession, notamment la folie des mots (la prononciation cent fois par minute des mots Allah, Illah); le délire de tristesse, («le Coran a extirpé du cœur de l'homme tout sentiment de joie et de gaieté ; un état de suggestion perpétuelle») ; la perversion de l'instinct sexuel qui se manifeste par une tendance à la masturbation et à la pédérastie; et enfin les hallucinations visuelles ou auditives qui, d'après lui, font éclore dans le cerveau des résolutions soudaines que rien ne laissait prévoir, à savoir, crime et attentats17.
La surenchère de Boigey est telle qu'elle ne pouvait que déboucher sur cette remarque sur la nécessité de l'existence même de l'Islam qu'il formule en ces termes : «L'islam, écrit-il, ne porte pas en lui la justification de son existence, parce qu'il est destructeur. Il ne crée ni ne produit, donc il ne pourrait subsister s'il ne vivait en parasite au détriment des groupements humains qui travaillent18». Pour justifier ce qu'il avance, Boigey cite plusieurs exemples dont celui d'Averroès19 et Avicenne20. Il soutient que l'un et l'autre étaient «des chrétiens espagnols convertis à l'Islam» et que «leurs découvertes en médecine ne sauraient être attribuées aux déséquilibrés de l'islam21». La falsification de la réalité historique est ici évidente. Avicenne n'était pas espagnol, mais perse, et il ne s'est au demeurant jamais rendu en Espagne. Quant à Averroès, s'il est né à Cordoue en Espagne, sa famille, tout comme celle d'Avicenne, était musulmane depuis des générations.
Bien que l'on retrouve dans ce texte de Boigey certaines caractéristiques de la «psychiatrie coloniale métropolitaine» - l'opposition entre occidental et musulman, les résolutions soudaines, imprévisibles, qui éclosent dans les cerveaux des musulmans et qui font écho aux impulsions de Meilhon22 -, il serait tout de même exagéré de suggérer que ce texte, qualifié par Jean-Michel Bégué de «pamphlet fantasmatique à visée politique évidente23», relève du même registre que ceux que nous avons vus jusque-là.
On peut même affirmer que l'article de Boigey est en rupture avec les textes qui le précèdent et le suivent consacrés à l'aliénation mentale chez les indigènes musulmans - ceux de Livet et Levet notamment - car il vise à légitimer l'occupation de la ville de Oujda et les représailles menées contre les Beni-Snassen, là où les autres cherchent soit à affirmer ou infirmer une théorie, ou à démontrer, du moins pour ce qui concerne les aliénistes d'Aix, la nécessité d'une assistance psychiatrique en Algérie. Autre point de rupture que l'on peut également pointer entre Boigey et ses prédécesseurs: les vues exprimées sur l'islam et les musulmans. Même si le discours des aliénistes métropolitains confine parfois à la caricature, à aucun moment ces derniers n'ont formulé «les vues exprimées si crûment par Boigey24».
Tout porte à penser que le texte de Boigey, auquel ni Levet ni Livet ne fait référence25, tomberait dans l'oubli tant il s'est situé en marge des travaux des aliénistes métropolitains ; loin s'en faut. Les présupposés et la visée politique de ce discours resurgiront dans les publications des psychiatres de l'École de psychiatrie d'Alger.
Notes
1-Boigey (Maurice), «Étude psychologique sur l'Islam», Annales médico-psychologiques (AMP), juillet-août 1908, pp. 5-14.
2-Son affectation dans l'Est algérien est l'occasion pour lui de publier une étude sur la tuberculose et la syphilis chez les indigènes, voir : Boigey (Maurice), « La tuberculose et la syphilis chez les indigènes du nord de l'Afrique », Revue d'hygiène et de police militaire, n° 29, 1907, pp. 682-690.
3-Voir à ce sujet: Voir à ce sujet: Defrance (Jacques), « Un épisode de l'histoire des sports: l'eugénisme sportif », pp. 1-6, p. 1, http://www.snes.edu/IMG/PDF/J-DEFRANCE-DrBoigey.pdf
4-Voir à ce sujet: Kably (Mohamed) (dir.), Histoire du Maroc. Réactualisation et synthèse, op. cit., p. 542-54 ; Katan Bensamoun (Yvette), Rama (Chalak), Le Maghreb, de l'empire ottoman à la fin de la colonisation, op. cit., p. 137.
5-Boigey (Maurice), «Étude psychologique sur l'Islam», op. cit., p. 11.
6-Boigey (Maurice), Le massif des Beni Snassen (Maroc oriental) - géographie physique - climatologie - ethnographie, thèse de doctorat sciences, Paris, 1912.
7-Chérif (Ahmed), « Étude psychologique sur l'Islam », AMP, mai 1909, p. 353-363, p. 354.
8-Du darwinisme social, doctrine inspirée par la théorie de l'évolution de Charles Darwin - sélection naturelle, lutte pour la survie - et selon laquelle, dans les sociétés comme dans la nature, la lutte pour la vie sélectionne les individus et explique l'évolution en société, il retient la version fondée sur la lutte entre les races initiée par Vacher de Lapouge et Houston Stewart Chamberlain entre autres. Voir à ce sujet, Tort (Patrick), Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, Paris, PUF, 1996, p. 1108 à 1118.
9-Il reprend l'opposition que Ribot établit au travers de sa caractérologie entre les caractères actifs et les caractères apathiques - terme d'apathique que Boigey remplace par celui d'inactif. Les premiers qui ont pour marque dominante « la tendance naturelle et sans cesse renaissante à l'action » sont, selon Ribot, « gais, entreprenants, hardis, audacieux, téméraires». Les seconds qui ont pour marque propre l'inertie sont «paresseux, endormis, inertes et insouciants». Voir Ribot (Théodule), La psychologie des sentiments, Paris, Alcan, 1896, p. 378-379.
10-Boigey (Maurice), «Étude psychologique sur l'Islam», op. cit., p. 5.
11-Ibid., p. 6.
12-Macey (David), Frantz Fanon, une vie, op. cit., p. 236.
13-Arouet (François-Marie) dit Voltaire, Essai sur les mœurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII, Paris, Bordas, 2 vol., 1990.
14-Djaït (Hichem), L'Europe et l'Islam, op. cit., p. 28.
15- Moreau de Tours (Jacques-Joseph), «Recherche sur les aliénés en Orient» - Notes sur les établissements qui leur sont consacrés», AMP, tome premier, 1843, pp. 103-132.
16-Boigey (Maurice), «Étude psychologique sur l'Islam», op. cit., p. 7
17-Ibid., pp. 8-10.
18-Ibid., p. 12.
19-Originaire de Cordoue (Andalousie), Averroès (Ibn Rushd) (1126-1198), est un juriste, médecin, homme politique musulman, auteur de nombreux travaux dont un commentaire de la métaphysique d'Aristote : Averroès, Grand commentaire de la métaphysique d'Aristote - Livre 1, Paris, Les Belles Lettres, 1984. Sur la biographie et l'œuvre d'Averroès voir: Cruz Hernandez (Miguel), Histoire de la pensée en terre d'Islam, Paris, Desjonquères, 2005, p. 559-615 ; Mazliak (Paul), Avicenne et Averroès. Médecine et biologiste dans la civilisation de l'Islam, Paris, Vuibert, 2004, p. 105-170 ; Bouamrane (Chikh), Gardet (Louis), Panorama de la pensée islamique, Paris, Sindbad, 1984, p. 112-119.
20-Avicenne (Ibn Sina) (980-1037) est un médecin philosophe et homme politique originaire de Boukhara (Ouzbékistan), auteur d'une grande œuvre médicale et philosophique.Nous citons deux de ses ouvrages traduits en français : Avicenne, La métaphysique du shifa. Tome 1, Paris, Vrin, 1978 - le tome 2 est publié dans la même édition, 1985 ; Livre de science, Paris, Les Belles Lettres, 1986. Pour plus de détails sur la biographie et l'œuvre d'Avicenne, voir : Ammar (Sleim), Ibn Sina. Avicenne. La vie et l'œuvre, Tunis, l'Or du temps, 1998 ; Médecins et médecine de l'Islam, De l'aube de l'Islam à l'âge d'or, op. cit.; Mazliak (Paul), Avicenne et Averroès.
Médecine et biologiste dans la civilisation de l'Islam, op. cit., p. 11-102 ; Cruz Hernandez (Miguel), Histoire de la pensée en terre d'Islam, op. cit., p. 249-270.
21-Ibid., p. 13
22- Voir à ce sujet : Boumghar (Said), La psychiatrie française en Algérie (1890-1939) : médecine, idéologie et politique, thèse d'histoire, Université Lyon 2, 2018.
23-Bégué (Jean-Michel), Un siècle de psychiatrie française en Algérie (1830-1939), op. cit., p. 123.
24-Au sujet des travaux de Livet et de Levet, voir : Boumghar (Said), La psychiatrie française en Algérie (1890-1939) : médecine, idéologie et politique, op. Cit.
25-Macey (David), Frantz Fanon, une vie, op. cit., p. 236.
26-Il est à noter que tous deux se réfèrent dans leurs écrits à l'article que Boigey rédige sur l'assistance hospitalière en pays musulman, publié un an avant «L'étude psychologique sur l'Islam » dans La Presse Médicale, voir: Boigey (Maurice), «L'assistance hospitalière en pays musulman», La Presse Médicale, n° 76, samedi 21 septembre, 1907, p. 609-611.
Ibn Sina influença des philosophes et scientifiques durant des siècles après sa mort (Wikimedia)
Né en 980 dans une famille persane près de la ville de Boukhara, dans l’actuel Ouzbékistan, Abu Ali al-Husayn ibn Abd Allah al-Balkhi devint l’un des plus grands esprits de son époque et influença profondément les études futures dans des domaines aussi divers que la médecine, la philosophie et l’astronomie.
Connu sous le nom d’Ibn Sina dans le monde islamique et sous celui d’Avicenne chez les érudits occidentaux, ce polymathe incarne la période de l’histoire de l’islam qui a hérité du qualificatif controversé d’« âge d’or islamique ».
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Les travaux de l’érudit perse eurent un impact considérable dans le monde islamique et plus tard en Europe.
Ses théories furent ainsi critiquées et défendues jusqu’à l’ère moderne.
L’impact d’Ibn Sina fut tel, notamment dans l’imaginaire européen, qu’il figure – avec le philosophe andalou Ibn Rochd (Averroès) et le célèbre guerrier musulman Saladin – parmi les « païens vertueux » de l’Enferde Dante, occupant les premiers cercles de l’enfer aux côtés d’autres non-chrétiens tels que Platon, Socrate et Virgile.
Il est également loué pour avoir préservé et développé les idées du philosophe grec Aristote, qui constituent le fondement de la méthode scientifique moderne.
Pour les revificateurs islamiques, la figure d’Ibn Sina illustre l’épanouissement intellectuel qui se produisit au cours des premiers siècles de l’islam et sert à réfuter l’idée selon laquelle la religion serait un obstacle à la pensée scientifique et philosophique.
À l’âge de 10 ans, il avait mémorisé le Coran
Ibn Sina naquit au Xe siècle dans le village d’Afshana. Comme une grande partie de l’Asie centrale à l’époque, se village se trouvait dans l’Empire samanide, un État musulman sunnite d’origine iranienne.
Cette période fut marquée par l’effondrement de l’autorité centrale du califat abbasside établi à Bagdad, ainsi que par la montée en puissance d’entités musulmanes indépendantes.
En dépit de cette relative instabilité politique, l’atmosphère d’amitié intellectuelle que les Abbassides avaient favorisée dans le monde islamique perdura, l’érudition étant étroitement liée à l’étude de la religion. C’est dans ce contexte qu’Ibn Sina fut élevé par un père qui avait adopté la branche ismaélienne de l’islam chiite.
Si le jeune Ibn Sina se détourna des traces religieuses de son père en choisissant l’école hanafite de l’islam sunnite, les débats avec les ismaéliens furent probablement formateurs dans son développement intellectuel, tant religieux que laïc.
Évoquant ses interactions avec les ismaéliens dans son autobiographie, Ibn Sina écrit : « Je les écoutais et comprenais ce qu’ils disaient, mais mon âme ne l’acceptait pas […] Et ils se mirent à m’y initier en parlant constamment de philosophie, de géométrie et d’arithmétique indienne. »
Dans l’hystérie collective autour de l’islam, la France « oublie » ce que l’Occident doit au monde musulman
L’éducation d’Ibn Sina, caractéristique des intellectuels islamiques de l’époque, était constituée d’un mélange de matières religieuses et profanes, telles que les mathématiques, la médecine et la philosophie. À l’âge de 10 ans, il avait mémorisé le Coran et, au milieu de l’adolescence, il avait acquis une réputation de médecin.
Fervent musulman, le jeune Ibn Sina consacra beaucoup de temps à l’étude des textes islamiques et de la philosophie grecque. Il chercha à marier ces deux volets en prouvant l’existence de Dieu par la logique et la raison, plutôt que par une foi aveugle.
À l’âge de 32 ans, l’érudit fut nommé vizir de l’État bouyide après avoir soigné son émir, Chams ad-Dawla. À la mort du monarque, Ibn Sina déclina l’offre de son fils et successeur qui lui proposa de continuer d’exercer cette fonction.
Les étoiles brillent d’elles-mêmes
En tant que médecin, l’une des contributions les plus notables d’Ibn Sina fut son livre Al-Qanun fi al-Tibb (Le Canon de la médecine), une encyclopédie qui oscille entre connaissances médicales acquises auprès des anciens et découvertes plus contemporaines de scientifiques islamiques.
L’ouvrage fut traduit en latin au cours du XIIe siècle. Il fut dès lors utilisé comme texte de référence dans toutes les universités européennes jusqu’au milieu du XVIIe siècle.
Outre 600 remèdes potentiels pour soigner des maladies courantes, Ibn Sina décrivit également l’anatomie de parties du corps, comme l’œil et le cœur. Botaniste émérite, il mentionna également l’effet des plantes et des racines sur le corps humain.
L’une de ses principales contributions médicales fut son travail sur l’effet des quarantaines sur la limitation de la propagation des maladies : il fit ainsi valoir qu’une période d’auto-isolement de quarante jours était essentielle pour empêcher les infections d’affecter d’autres personnes.
En dehors de la médecine, parmi ses œuvres importantes figurait le Livre de la guérison, qui était divisé en quatre sections et couvrait un large éventail de sujets, tels que les mathématiques, la métaphysique, les sciences naturelles et la logique.
Ses travaux scientifiques comprenaient des arguments selon lesquels la lumière avait une vitesse spécifique, des descriptions de la propagation du son dans l’air, une théorie sur le mouvement et des études psychologiques sur la relation entre l’esprit, le corps et la faculté de perception.
L’une de ses principales contributions médicales fut son travail sur l’effet des quarantaines sur la limitation de la propagation des maladies : il fit ainsi valoir qu’une période d’auto-isolement de quarante jours était essentielle pour empêcher les infections d’affecter d’autres personnes
Dans une démarche apparentée à de la psychiatrie pré-moderne, le médecin décrivit également comment des affections mentales telles que la dépression et l’anxiété pouvaient avoir un impact sur le corps.
Il s’intéressait par ailleurs aux phénomènes naturels, tels que les séismes et la formation des nuages. En ce qui concerne les tremblements de terre, le polymathe affirmait qu’ils étaient le fruit de mouvements terrestres et d’une activité sous la Terre.
En tant qu’astronome, Ibn Sina observa la planète Vénus par rapport à l’orbite du soleil et parvint à conclure que la planète était plus proche de la Terre que du Soleil.Il constata également que la supernova SN 1006, observable pendant trois mois au tournant du premier millénaire, était temporairement l’objet le plus brillant du ciel, éclipsant Vénus et observable même en plein jour.
On attribue également au scientifique l’invention d’un dispositif permettant de surveiller les coordonnées des étoiles et la constatation que les étoiles brillent d’elles-mêmes.
Le but de la logique, établir la vérité
En philosophie, la principale contribution d’Ibn Sina fut le développement de sa propre forme de logique aristotélicienne, au-delà de l’usage de la rationalité et de la raison pour établir l’existence de Dieu.
Ses travaux sur la logique figurent dans neuf ouvrages qui font partie du Livre de la guérison. Il y défend l’utilité de la logique et identifie les erreurs perçues dans les travaux antérieurs sur le sujet. Selon ses écrits, la logique est cruciale pour déterminer la validité des arguments et le développement des connaissances, tandis que le but de la logique est d’établir la vérité.
Tout en se livrant à une critique de son prédécesseur grec Aristote, le polymathe persan pensait lui aussi que l’homme possédait trois types d’âmes : la psyché végétative, la psyché animale et la psyché rationnelle. Les deux premières relient l’homme à la Terre, tandis que la psyché rationnelle le lie à Dieu.
En ce qui concerne l’existence de Dieu, Ibn Sina publia Burhan al-Siddiqin (Preuve de la vérité ), dans lequel il expose un argument en faveur de l’« existant nécessaire », soit quelque chose qui ne peut pas ne pas exister.
Il explique que tout ce qui se trouve en dehors de cet existant nécessaire est subordonné à l’existence d’une autre chose qui en est la cause. Ainsi, par exemple, la propre existence d’une personne est subordonnée à l’existence de ses parents, dont l’existence est elle-même subordonnée à celle de leurs parents, et ainsi de suite.
Observant l’agrégat de toutes ces choses contingentes qui existent, Ibn Sina détermina que cette somme demeurait contingente, dans la mesure où elle nécessite une cause non contingente extérieure à elle-même, qu’il identifia comme étant Dieu.
Ce raisonnement fut par la suite critiqué par Ibn Rochd, qui lui reprocha de s’appuyer sur la métaphysique plutôt que sur des lois démontrables de la nature.
L’un des objectifs de la vie d’Ibn Sina était de comprendre avec précision les sens humains et de démontrer qu’ils étaient plus nombreux que ce que reconnaissaient ses contemporains. Il avançait l’argument selon lequel nous avions tous des sens intérieurs qui complétaient nos sens extérieurs largement reconnus, à savoir la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le toucher.
Croyant fermement à l’intuition, Ibn Sina pensait que le bon sens était un sens interne et lui attribuait certaines des fonctions de l’âme. Ainsi, dans sa vision du monde, l’acte consistant à former et porter un jugement peut être compris comme un acte de l’âme.
Un tombeau transformé en mausolée
L’imagination rétentive serait un autre sens interne permettant à l’homme de se souvenir des informations qu’il recueille grâce au sens commun. Ce sens interne enregistre la forme des choses dans l’esprit de l’homme et lui permet de se référer à ces informations et de reconnaître les choses qui l’entoure.
L’imagination animale de composition est un sens qui, selon Ibn Sina, permet aux animaux d’apprendre ce qu’ils doivent éviter ou rechercher dans leur environnement naturel. De la même manière, l’imagination humaine de composition permet à l’homme d’apprendre ce qu’il doit rechercher et éviter autour de lui.
La faculté de porter des jugements sur l’environnement est qualifiée de puissance estimative par Ibn Sina, qui indique qu’elle nous permet de déterminer ce qui est dangereux ou bénéfique pour nous – par exemple en ayant peur de quelque chose.
Enfin, selon Ibn Sina, notre mémoire est chargée d’enregistrer toutes les informations développées par nos autres sens, tandis que le traitement désigne la faculté d’utiliser toutes ces informations en exploitant au maximum les capacités de nos sens internes.
Ibn Sina mourut en juin 1037 à l’âge de 56 ans, après une longue bataille contre des coliques. Il fut enterré à Hamadan (Iran), où son tombeau fut transformé en mausolée.
Le musée abrite une vaste collection d’objets, notamment des pièces de monnaie et des poteries remontant au premier millénaire avant J-C., ainsi qu’une bibliothèque contenant des milliers de livres. L’une des caractéristiques les plus emblématiques du mausolée est la tour en forme de fuseau inspirée de la tour de Gonbad-e Qabous, de l’époque ziyaride.
Aujourd’hui encore, l’œuvre d’Ibn Sina est largement commémorée. À Ankara, en Turquie, le centre hospitalier universitaire Ibn Sina porte son nom. Au-delà de la science, les influences d’Ibn Sina se sont étendues aux domaines de la musique, de la littérature et de la nature.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
La centralisation des réservations pour le hadj sur une plateforme électronique saoudienne met sur la touche les agences de voyage, qui craignent la faillite. Riyad se justifie en affirmant vouloir mettre fin aux pratiques douteuses de certains voyagistes.
Voyagistes et candidats au pèlerinage à la Mecque sont révoltés par les nouvelles procédures imposées par l’Arabie saoudite (AFP/Mahmud Hams)
Athmane, un Parisien de 56 ans, a été surpris et soulagé d’apprendre le 17 juin dernier, par un mail de Motawif, la nouvelle e-plateforme saoudienne de réservation du hadj par tirage au sort électronique, qu’il ferait partie du million de pèlerins attendus à La Mecque et à Médine du 7 au 12 juillet.
Après deux années de covid, l’Arabie saoudite avait décidé en avril dernier d’autoriser l’arrivée sur son sol de pèlerins étrangers âgés de moins de 65 ans et présentant un schéma vaccinal complet.
Pour les musulmans d’Occident (originaires de 57 pays d’Europe, des États-Unis et d’Australie), les démarches ont néanmoins changé avec le lancement, le 6 juin dernier, de Motawif, site qui prend en charge – et ce de manière exclusive – l’organisation de la nouvelle loterie du hadj mise en place par Riyad, les formalités d’obtention du visa électronique et l’organisation du séjour des pèlerins sur les lieux saints de l’islam.
Des tarifs onéreux
Athmane, qui avait reporté son pèlerinage à cause de la crise sanitaire, s’est inscrit sur le portail dès son ouverture. « J’ai envoyé ma candidature et mes documents comme une bouteille à la mer. Dans une loterie, tout est une question de hasard. Je ne pensais pas que mon nom allait être tiré au sort, surtout que le quota réservé aux Français est faible, un peu plus de 9 000 places je crois [9 268 exactement contre 20 000 habituellement] », confie le futur pèlerin.
« On aurait pu nous proposer des formules plus économiques. Tout le monde ne veut pas être logé dans des hôtels cinq étoiles et rester une vingtaine de jours en Arabie saoudite »
- Athmane, futur pèlerin français
Même s’il est très heureux à l’idée de réaliser le voyage de sa vie, le Français déplore néanmoins la cherté des quatre formules de séjour proposées (hébergement et transports). Le prix du forfait le moins onéreux, dit Argent, s’élève à 7 792 euros, alors que le Platinium Plus, davantage luxueux, est fixé à 11 958 euros. Entre les deux, il y a le forfait Or au prix de 8 171 euros et Platine à 11 105 euros.
Sur les réseaux sociaux, les tarifs sont raillés. « On dirait qu’on va au Club Med », a réagi un internaute. « Ça n’a plus rien de spirituel », « C’est honteux », ont rebondi d’autres personnes.
Athmane, qui a choisi le forfait Argent, a payé le double car son épouse est du voyage. Selon les règles édictées par le ministère saoudien du Hadj, chaque personne tirée au sort sur la plateforme Motawif peut être accompagnée de neuf personnes de son entourage au maximum.
« On aurait pu nous proposer des formules plus économiques. Tout le monde ne veut pas être logé dans des hôtels cinq étoiles et rester une vingtaine de jours en Arabie saoudite, surtout que le pèlerinage obligatoire dure beaucoup moins longtemps », argumente notre interlocuteur.
Résigné, il a fini par régler la somme demandée, mais après bien des péripéties. « J’avais 48 heures pour tout payer mais comme le montant dépassait largement le plafond paiement autorisé par ma banque, j’ai dû solliciter mes frères, qui ont complété le montant », confie Athmane, qui déplore la complexité des démarches en ligne malgré les garanties d’expertise, de flexibilité et de fiabilité mises en avant par le site Motawif.
« Livrés à eux-mêmes »
Abdelghani, pour sa part, nourrit surtout de la colère. Responsable d’Ariane Voyages, un tour-opérateur à Paris spécialisé dans le hadj et l’oumra – le « petit pèlerinage », plus court et qui peut être accompli tout au long de l’année –, il reproche aux autorités saoudiennes de vouloir accaparer le marché du hadj, en fixant les prix comme bon leur semble.
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« La plateforme certifie que les tarifs sont adaptés selon les besoins et le budget de chacun. Mais en réalité, ils sont beaucoup plus chers que ce nous proposions avant », constate le voyagiste.
Il dénonce par ailleurs le monopole de la compagnie aérienne saoudienne Saudia, qui devient dans les pays occidentaux où elle est présente le transporteur exclusif des pèlerins. En France par exemple, les vols en direction de La Mecque qui ont eu lieu ces 24 et 25 juin ont tous décollé de Paris.
Dans les pays non desservis par Saudia, les voyageurs doivent se débrouiller seuls pour trouver une autre compagnie et payer leurs billets d’avion.
« C’est irresponsable », note Abdelghani, qui reproche aux autorités saoudiennes d’avoir précipité le lancement de la plateforme de réservation sans avoir effectué de tests préalables et un mois seulement avant le début du pèlerinage.
Dans un communiqué, la Coordination des organisateurs agréés Hadj de France (CHF) évoque « une démarche troublante et comportant des risques importants sur le déroulement du pèlerinage au départ de la France ».
« Les pèlerins devront maintenant voyager seuls. Certains ne parlent que très peu l’arabe. Je me demande comment ils pourront se débrouiller sur place »
- Abdelghani, voyagiste à Paris
Elle pointe un certain nombre de manquements, comme l’absence d’assurance voyage en cas de test positif au covid et de prise en charge alternative pour pallier un éventuel désistement des établissements d’hébergement saoudiens.
La coordination regrette également que les pèlerins ne soient pas accompagnés dans leur voyage, comme auparavant par des encadreurs qui les orientaient dans l’accomplissement de leur rite.
« Nos pèlerins de France vont se retrouver sans l’assistance régulière assurée par les agences de voyage habituellement installées avec eux dans les mêmes lieux d’hébergement 24h/24 pour leur porter assistance depuis leur arrivée en Arabie saoudite jusqu’à leur retour en France », prévient la CHF, qui ajoute que les pèlerins « seront livrés à eux-mêmes » en cas de problèmes de santé, de perte de documents ou d’argent et dans les situations de rapatriement d’urgence.
Les agents de voyage devant le fait accompli
À Ariane Voyage, cela fait environ une dizaine d’années que les pèlerinages à La Mecque sont organisés. L’agence agréée par le ministère saoudien du Hadj proposait jusque-là des séjours incluant diverses prestations, dont la présence de guides bilingues et une équipe médicale prenant l’avion avec les pèlerins et les assistant pendant toute la durée de leur présence sur les lieux saints de l’islam.
« Les pèlerins devront maintenant voyager seuls. Certains ne parlent que très peu l’arabe. Je me demande comment ils pourront se débrouiller sur place », s’interroge Abdelghani.
Sur le site de son agence, subsiste encore une offre pour le hadj 2022. Mais comme les autres voyagistes, Ariane Voyages est mis sur la touche, évincé par Motawif.
« Les Saoudiens avaient annoncé depuis quelque temps qu’ils allaient centraliser à leur niveau les réservations pour le pèlerinage. Mais on ne savait pas qu’ils allaient le faire maintenant. Ils ne nous ont pas prévenus, ni consultés », regrette le voyagiste, qui craint déjà la faillite.
« Si la même plateforme est utilisée pour les réservations de la oumra, nous serons obligés de mettre la clé sous le paillasson », renchérit-il.
Auparavant, Ariane Voyages devra rembourser toutes les personnes qui l’avaient sollicitée pour le hadj en 2019 et qui n’avaient pas pu partir en raison de la détérioration de la situation sanitaire.
« Comme toutes les agences de voyage, nous avions délivré des avoirs aux clients, en pensant pouvoir les envoyer à La Mecque après la fin du covid. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui », relève Abdelghani.
Régulation du marché
Selon Leïla Seurat, chercheuse associée à l’Observatoire des mondes arabes et musulmans (OMAM), la réforme du pèlerinage par l’Arabie saoudite fait partie du projet Vision 2030 du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui vise à préparer le royaume à l’après-pétrole en investissant notamment dans le tourisme religieux (le hadj et la oumra rapportent déjà 12 milliards de dollars au royaume annuellement).
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Une source saoudienne a par ailleurs affirmé à l’AFP que le nouveau système d’attribution des visas avait pour objectif de lutter contre les escroqueries de « fausses agences » de voyage.
Pour Abdellah Zekri, président de l’Observatoire national de lutte contre l’islamophobie, ces escroqueries existent bel et bien et beaucoup de pèlerins français en ont été victimes.
« Des agences véreuses envoyaient des rabatteurs dans les mosquées pour attirer des clients. Une fois à La Mecque, les pèlerins bénéficiaient de prestations bien en deçà de ce qui était promis. On les logeait dans des hôtels éloignés et on les parquait à plusieurs dans une seule chambre. Certaines personnes abandonnées sur place avaient dû être rapatriées par l’État français », explique-t-il à Middle East Eye.
D’après lui, des plaintes ont été déposées par des pèlerins devant la justice, mais la plupart n’ont pas abouti car ceux qui réglaient en espèces leur voyage pour La Mecque n’étaient pas en mesure de prouver qu’ils avaient été escroqués.
En 2018, Leïla Seurat et Jihan Safar, socio-démographe et chercheuse associée au Collège de France, avaient réalisé une étude sur le marché français du hadj pour le compte du bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur. Elles avaient révélé l’existence d’un système opaque impliquant des agences non agréées, des associations et même des mosquées.
Considérant que les cimetières sont « en proie à une forme de séparatisme religieux », un ex-élu de Savoie a saisi la justice. La balle est désormais dans le camp du Conseil d’État, qui tranchera sur la possible interdiction des carrés musulmans.
À Thiais, en région Île-de-France, un des rares cimetières à disposer de carrés musulmans où les défunts peuvent être inhumés la tête en direction de La Mecque (AFP/Joel Robine)
C’est une nouvelle charge dont les musulmans de France se seraient bien passés.
Une affaire peu banale qui a tiré sa source en Savoie, et dont a fait écho le journal Le Figaro : un ancien conseiller municipal de Voglans, à l’occasion de recherches sur l’inhumation d’un réfugié syrien dans le carré musulman du cimetière de Chambéry, en est venu à cette conclusion irrévocable : les cimetières français seraient « en proie à une forme de séparatisme religieux ».
Ainsi, afin d’étayer son propos, l’ex-élu a dénoncé au journal une « vision religieuse ségrégationniste et discriminatoire » qui porterait atteinte « aux principes essentiels de neutralité laïque et d’égalité devant la loi que prône la République française ».
Les carrés musulmans en question
Destinés à accueillir les défunts de la communauté dans les pays non musulmans, ces carrés ont pour vocation de rassembler les croyants dans un même périmètre, avec des tombes orientées vers la ville de La Mecque, en Arabie saoudite.
Une coutume qui n’est pas nouvelle : le premier carré musulman a ouvert en 1857 à Paris, au Père-Lachaise.
Aujourd’hui, le nombre de carrés musulmans varie selon les sources : sur les 35 000 cimetières que compte le pays, ils seraient environ 300 selon le Conseil français du culte musulman (CFCM), tandis que la plateforme L.E.S. Musulmans n’en recensait en 2020 que 205.
Les deux structures s’accordent néanmoins à dénoncer le manque de places disponibles, qui serait, selon le CFCM, « la cause majeure de l’expatriation d’environ 80 % des corps des personnes de confession musulmane décédées [en France] ».
Pour sa part, l’ex-élu de Voglans s’est insurgé auprès du Figaro contre une circulaire du ministère de l’Intérieur de 2008 demandant aux préfets « d’encourager les maires à favoriser la création de carrés confessionnels » afin de « favoriser l’intégration des familles issues de l’immigration ». Ce qui serait, selon lui, « contraire au code général des collectivités territoriales ».
La balle dans le camp du Conseil d’État
Saisi par le tribunal administratif de Paris, le Conseil d’État a ainsi examiné une requête en annulation de deux chapitres de cette circulaire relative à « l’aménagement des cimetières et aux groupements confessionnels des sépultures ».
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Selon Le Figaro, il devrait rendre sa décision d’ici « deux à trois semaines ».
Une affaire qui a suscité un fort émoi sur les réseaux sociaux : « Un musulman qui veut être enterré au bled, on nous dit que c’est un manque d’intégration. S’il veut être enterré dans un carré musulman en France, c’est du "séparatisme" », a ainsi résumé sur Twitter le compte lorientxpress.
Le porte-parole de la plateforme L.E.S. Musulmans Marwan Muhammad s’est indigné sur le même réseau. « Le verdict du Conseil d’État tranchera de manière claire et décisive : si les musulmans ne peuvent pas être respectés par la France dans leur mort, comment espérer qu’ils soient traités dignement dans leur vie… », a-t-il observé.
« Le ministère de l’Intérieur a exactement la même position : dans sa note contre la mosquée de Pessac [qu’il voulait fermer, une ordonnance suspendue par le Conseil d’État], il considérait le simple fait de vouloir enterrer les musulmans conformément aux rites comme un acte de “séparatisme”», a-t-il ajouté.
Une étude publiée en novembre 2015 dans la revue Current Biology révèle des résultats fracassants quant au rôle néfaste que joue la transmission de préceptes religieux sur les enfants issus de familles de croyants.
Cette étude, menée en parallèle dans six pays (Canada, Chine, Jordanie, Turquie, USA et Afrique du Sud), concerne la perception relationnelle et la vision qu’ont les enfants de 5 à 12 ans des rapports sociaux dans lesquels ils évoluent. Le but étant d’évaluer leur degré de comportement prosocial, lequel consiste en une quantification de l’intérêt porté à autrui, et leur prédisposition à lui offrir bienveillance et avantage, un bien-être physique ou psychologique, avec l’intention volontaire, voire l’entrain, de lui rendre service (sans contrepartie évidemment) en lui apportant tout réconfort susceptible d’alléger sa souffrance physique ou émotionnelle.
Tout un programme donc, sur lequel repose l’essentiel de l’évolution psychologique d’un enfant, et qui lui permet, une fois adulte, de se faire une vision du monde et de la société qui l’entoure suffisamment assurée pour se transformer en bienfaiteur ou en malfaiteur. Ces comportements prosociaux sont omniprésents dans toutes les sociétés du monde. Ils se forment et se développent dans la phase de croissance primaire chez l’enfant et semblent se structurer à travers des interactions fortes entre génétique et culture, c.a.d. entre l’inné et l’acquis.
Quand on sait que 84% de la population mondiale, soit 5.8 milliards d’êtres humains, se dit pratiquante, d’une religion ou d’une autre, on peut dès lors se permettre de déduire que la foi occupe le pan dominant, celui qui influence sensiblement le développement et l’expression prosociale d’un enfant. Le corollaire évident étant que l’enfant élevé dans un bain dogmatique serait plus enclin à une espèce de bonté morale supérieure. Malheureusement pour les fidèles de tous bords, l’étude démontre tout le contraire, à savoir :
– L’identification religieuse familiale diminue le comportement altruiste d’un enfant.
– À l’inverse, l’anticonformisme religieux ou l’athéisme prédit une grande réceptivité de l’enfant à l’injustice et à l’empathie.
– Les enfants issus de parents religieux font montre de davantage de sévérité avec une forte prédisposition à la punition.
Sans rentrer dans chaque détail révélé par cette étude, un résultat particulier mérite attention : après avoir fait visionner de petites vidéos montrant d’autres enfants se bousculer et se faire trébucher de façon intentionnelle ou non, on leur demande de noter le niveau de méchanceté ainsi que celui des punitions méritées par les fautifs. Résultat stupéfiant : les enfants religieux estiment en moyenne les actes plus répréhensibles et proposent des punitions plus élevées que les athées. Les musulmans étant les plus intransigeants. Dommage que l’étude ne propose pas de châtiment spécifique, comme la « fallaka » ou les 40 coups de fouet, toujours en vogue en Arabie Saoudite ! Nos petits chérubins Mahométans auraient certainement fait exploser la jauge de mesure. D’ailleurs, l’unique punition, sous forme de gifles soutenues, dont je me souvienne, est celle infligée par mon professeur d’arabe, à l’école primaire (juste pour un petit bruit, incongru mais naturel, qui m’avait échappé et que je refusais de confesser).
À l’opposé du fait scientifique, dans le monde de l’abdication mystique, écoutons Malek Chebel (anthropologue algérien disparu en 2016) faire le portrait d’une Europe inquiète face à l’expansion du dernier message des Cieux : « en France, ils sont dans l’expectatif, ils sont inquiets, ils ressentent la force de l’islam mais ne la comprennent pas tout à fait, tout cela est dû à un manque d’informations ». Et de faire part d’une « volonté délibérée de maintenir un degré d’ignorance de l’islam de la part des médias ». Pour notre Docteur es-Sciences-islamiques «si l’islam était bien expliqué, les imams pointeraient à Pôle Emploi, car même les imams de France ont un intérêt à maintenir un degré d’ignorance » !?
Quand on lit ce genre de diatribes, on comprend que tous les musulmans, qu’ils se considèrent intellectuels (d’ailleurs, un intellectuel croyant, c’est quoi au juste ?) ou qu’ils se comportent en extrémistes affermis par le message, le but est le même : réduire la planète entière à vibrer aux rythmes de l’an 622 quels que soient les moyens à mettre en œuvre. Tout se justifie par la même fin.
Seul un détail de forme sépare les uns et les autres : les premiers veulent présenter l’islam comme un message de paix à consommer sans modération et sans questionnement, les seconds comme un message de paix à faire ingurgiter de force par tous les moyens de violences possibles.
Il eût été bien plus utile de chercher les solutions à même de réformer le message coranique en extrayant tous ces versets qui appellent à la haine de l’autre au lieu de chercher à ignorer les menaces, en nous jouant une symphonie de paix assourdissante et incohérente pour mieux en noyer les dangers qu’il véhicule !
Au vu de l’étude précédente et à travers les énoncés de Malek Chebel, on comprend parfaitement le lien indissociable entre génétique et culture, lien qui se traduit par un cheminement intellectuel qui transforme un cerveau, né pour comprendre et être en phase avec un monde qui avance à toute allure, en un crâne noyé dans un univers mystique duquel il est quasiment impossible de s’extraire si l’on y a été immergé dès la petite enfance.
Moralité : Hommes et femmes de tous pays et de toutes couleurs, ne noyez pas vos enfants dans la religion et sa ferveur ! Le monde de demain, le leur, n’en sera que plus fraternel, altruiste et bienveillant, n’en déplaise à Malek Chebel (Que dieu ait son âme) et Tariq Ramadan.
Pour un monde meilleur, une seule solution : interdire la religion aux moins de 18 ans !
L’islamologue américaine de renom, dont l’œuvre clé, Le Coran et la femme, vient d’être traduite en français 30 ans après sa parution initiale aux États-Unis, analyse la question du genre dans le contexte coranique et les ressorts de l’identité musulmane.
« Je porte le foulard quand je veux et je l’enlève quand je veux. Chaque femme devrait pouvoir choisir. Lorsque l’État choisit pour une femme, il fait de cette dernière un enfant qui doit se voir dicter ce qu’il met sur son corps » - Amina Wadud (University of Kentucky)
« Qu’est-ce que cela signifie être une femme dans le contexte coranique ? Qu’est-ce que l’identité – qu’elle soit féminine ou masculine – signifie dans le Coran ? »
Ces questions, Amina Wadud y a longtemps songées avant de tenter d’y répondre en s’appuyant sur sa propre trajectoire, d’abord. En comblant un océan de recherches asséché, ensuite.
« Je n’avais pas toutes ces connaissances à l’époque de la publication de ma thèse. Tout simplement, parce qu’il n’existait pas encore de recherches combinant les études de genre et l’islam. »
C’est un livre court, vif, et incontournable. En 1992, Amina Wadud, connue comme « The Lady Imam », publie Qur’an and Woman, aujourd’hui traduit en français par les éditions Tarkiz.
Dans ce texte, la chercheuse propose une lecture, inédite et audacieuse pour l’époque, de la question du genre (à savoir la dimension identitaire, historique, politique, sociale, culturelle et symbolique des identités sexuées) et des rapports hommes-femmes, à l’aune de l’exégèse coranique.
Si son analyse est source de dissensus, Amina Wadud a été l’une des premières – sinon la première – à poser les bases théoriques du féminisme musulman, fondé sur le Coran. Et c’est bien là que réside la puissance de la pensée de Wadud, puisqu’elle prend appui sur l’exégèse du texte sacré lui-même.
Autre apport fondamental du travail d’Amina Wadud, la perspective qu’il offre aux lecteurs, musulmans notamment, de dissocier la compréhension historique des textes religieux de leur portée universelle et temporelle. D’en faire des outils pour appréhender le présent.
Un enjeu qui résonne avec acuité dans le contexte de crise que traverse la pensée musulmane aujourd’hui, mais aussi l’ensemble des sociétés concernées par la présence musulmane.
À bien des égards, Le Coran et la femme trace une voie d’apaisement au sein des populations musulmanes elles-mêmes. Car il semble évident que la façon de vivre et pratiquer la foi musulmane (ou autre, d’ailleurs) au XXIe siècle constitue un nœud gordien, à l’origine de nombreuses crispations dans les sociétés dites sécularisées.
Pourtant, Amina Wadud se garde bien de proposer un chemin unique pour construire une identité musulmane qui se conformerait à un modèle. Son ouvrage comme son enseignement scientifique et intellectuel dessinent les contours singuliers de l’identité musulmane. Et si cet ouvrage fait autorité, c’est aussi parce qu’il rappelle à sa manière les vertus de la dispute intellectuelle.
Middle East Eye : Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous expliquer pourquoi il a fallu attendre 30 ans avant de lire la version française de votre livre Le Coran et la femme ?
Amina Wadud : C’est une question intéressante. J’ai des hypothèses sur le fait que la version française a pris 30 ans avant d’être disponible. Le livre Qur’an and Woman a été publié, pour la première fois, en 1992. Il s’agit de mon travail de thèse, qui a été soutenue en 1988. C’est un livre maintenant daté pour moi. Mais je suis curieuse de voir que ce livre est une nouveauté dans d’autres pays.
La spécificité de ce livre est qu’il s’intéresse à une branche bien précise d’une discipline particulière, à savoir le tafsir ou exégèse coranique. Le champ de l’analyse coranique n’a pas été favorable aux femmes-interprètes jusqu’au XXe siècle. Nous n’avons pas d’archives ou de traces écrites des interprétations du Coran menées par des femmes.
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En réalité, pendant des années, l’on pensait que cette absence du tafsir fait par les femmes n’était pas un enjeu. Quelle différence cela faisait-il ? Pour comprendre et apprécier la valeur de ce qu’il se passe dans ce livre, vous devez d’abord comprendre où se situe le Coran au sein de l’islam et de son histoire politique, géographique et spirituelle.
Ensuite, vous devez envisager cette nouvelle approche qui consiste à impliquer le genre en tant que courant de pensée. Une démarche qui est vraiment très récente et qui a émergé il y a une vingtaine d’années.
La France compte une minorité musulmane importante et, si vous souhaitez la saisir, votre réflexe naturel ne va pas consister à promouvoir un livre qui décrit une trajectoire particulière au sein d’une branche d’une science religieuse, à savoir le tafsir. Ce n’est que lorsque vous avez pu lire la traduction que vous vous rendez compte qu’il y a des idées pertinentes dans le contexte français.
MEE : Votre livre est le fruit de vos recherches mais aussi de votre conversion à l’islam. Comment le chemin personnel a-t-il croisé la carrière scientifique ?
AW : Je me suis convertie à l’islam quand j’avais 20 ans. En tant qu’étudiante en licence universitaire, j’étais sensible à la vérité. La recherche de la vérité m’a été inspiré par mon propre père, un pasteur méthodiste dont la trajectoire de vie s’est fondée sur la recherche de la vérité à la lumière de la foi.
Moi, qui suis finalement devenue une « voyageuse du monde », je n’arrivais pas à me satisfaire de l’idée que la vérité ne relèverait que d’une religion. Après une tendre relation avec mon père, qui m’a élevée dans l’amour de Dieu, je suis devenue bouddhiste pratiquante et je continue de pratiquer la méditation, encore aujourd’hui.
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Lorsque j’ai commencé à me documenter sur l’islam, j’étais déjà ouverte à la possibilité d’une conversion. Je suis devenue musulmane le jour de Thanksgiving 1972 et, en mars 1972, je suis, littéralement, tombée amoureuse du Coran. Je suis très chanceuse car je suis encore amoureuse de ce texte.
À cette époque, j’ai décidé, en tant qu’étudiante, que j’embrasserais le chemin de la connaissance. Cela a d’abord consisté à ôter tout ce qui pouvait se trouver entre le Coran et moi-même, tout ce qui pourrait entraver une lecture directe et personnelle de ce texte. Quand j’ai découvert ce texte, je ne lisais que des traductions. J’ai donc décidé d’étudier la langue arabe lors de la décennie suivante.
À partir de cet apprentissage, je me suis mise à étudier le Coran en lui-même dans le cadre de ma thèse de doctorat. Apprendre l’arabe tout en faisant une thèse de doctorat est une démarche singulière et je ne la recommanderais vraiment pas… Je l’ai fait car j’étais animée par le désir de comprendre ce texte au-delà des très mauvaises traductions anglaises.
MEE : Compte tenu de l’image dégradée de l’islam, notamment en France, pensez-vous qu’une trajectoire comme la vôtre serait encore possible à notre époque ?
AW : Vous savez, personne n’est capable de vous dire qui vous allez aimer. Dans mon cas, ma trajectoire s’explique aussi par le fait que j’étais une « nerd » [« intello »] et que la lecture était mon hobby. Lire était pour moi une aventure me permettant d’expérimenter d’autres univers ou de comprendre différentes dimensions de certains univers qui m’étaient familiers, d’autres cultures divergentes.
Je ne crois pas au cheminement unique. Je pense plutôt que l’on prend des détours qui permettent de donner du sens à la route que l’on emprunte et qui fondamentalement visent à répondre aux questions suivantes : qu’est-ce que cela veut dire être un humain ? Pourquoi sommes-nous là ? Qui sommes-nous et où allons-nous ? Que faisons-nous de cette chose qu’est la vie ? Par conséquent, je ne crois pas à une seule manière d’être musulman. Je ne crois pas que chaque musulman devrait être amoureux du Coran. J’ai été privilégiée.
MEE : Votre livre, comme vous l’écrivez, ne parle ni des femmes musulmanes, ni de l’islam et des femmes. Il traite du genre et de ce qu’en dit ou non le Coran. Pourquoi cette question est-elle un sujet de crispation ?
AW : Pour un grand nombre d’individus, le fait de questionner son identité n’a pas lieu d’être. Tout change quand émerge un conflit entre notre perception de nous-mêmes et ce que le monde – famille ou détracteurs – projette sur ce que nous sommes. Évidemment en tant que cisgender female [femme dont l’identité de genre est en phase avec le genre assigné à la naissance], j’ai assimilé le fait d’être une femme comme un acquis.
On ne cesse de renforcer les extrêmes en raison de l’attention qu’on leur accorde, alors qu’on ignore les musulmans pacifiques, épris de vivre-ensemble, éduqués, altruistes et ouverts, qui pratiquent leur religion sereinement
Quand je suis devenue musulmane, j’ai pris pour acquis le fait d’être une femme musulmane. Cependant, quand j’ai commencé à voyager et à étudier, j’ai réalisé qu’il fallait prendre du recul pour saisir le rôle du genre, en particulier comment ses différentes significations sont appréhendées.
Je me suis alors posé des questions sur ma situation de femme cisgenre, afro-américaine et musulmane aux États-Unis. J’avais des questions auxquelles je devais répondre. Qu’est-ce que cela signifie être une femme musulmane ? Fallait-il suivre la voie malaisienne, saoudienne, sud-africaine ? Parmi ces projections de l’identité musulmane, laquelle faisait sens pour moi ?
J’ai décidé que la meilleure source d’information pour moi afin de répondre à ces questions était de m’en remettre à la parole d’Allah, c’est-à-dire le Coran.
Constater des disparités entre ce que je comprenais du Coran et ce que je voyais en pratique m’a conduite à adopter une attitude de remise en cause d’une sorte d’autorité naturelle.
Comme j’ai vécu la partie la plus significative de ma vie en tant que musulmane, j’ai tendance à considérer que cet aspect de mon identité est fondamental dans ma manière de poser des questions et de comprendre les réponses qu’on me fait. Il s’agit vraiment d’un exercice d’équilibriste entre tous les aspects de mon identité.
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D’ailleurs, ceci explique pourquoi je dis souvent que si j’avais écrit Le Coran et la femme aujourd’hui, je l’aurais appelé Le Coran et le genre. En effet, être une femme n’est pas un genre, il y a des hommes qui ont également un genre.
C’est pourquoi quand je dis qu’il faut lire le Coran en utilisant le genre comme catégorie de pensée, c’est pour bien signifier qu’il ne s’agit pas uniquement des femmes, ce qui explique pourquoi le titre du livre est Qur’an and Woman et non pas Qur’an and Women.
Qu’est-ce que cela signifie être une femme dans le contexte coranique ? Qu’est-ce que l’identité – qu’elle soit féminine ou masculine – signifie dans le Coran ? Je n’avais pas toutes ces connaissances à l’époque de la publication de ma thèse. Tout simplement, parce qu’il n’existait pas encore de recherches combinant les études de genre et l’islam.
MEE : Vous parliez tout à l’heure de l’apprentissage de la langue arabe. En France, une grande partie des musulmans n’est pas forcément arabophone. La pratique de l’islam peut-elle faire, selon vous, l’économie de la langue arabe ?
AW : Je ne suis pas d’accord avec cette idée qu’être un bon musulman passe par la connaissance de l’arabe. En réalité, les arabophones constituent une part minoritaire des musulmans dans le monde.
Le plan de Dieu – théologique ou ontologique – est pour toute l’humanité. Un plan pensé uniquement pour ceux qui maîtrisent la langue arabe serait très réducteur. Il y a tellement de langues et tellement de peuples que penser que l’islam serait exclusivement destiné aux Arabes et que le reste serait secondaire est justement démenti dans le Coran, dans le verset 13 de la sourate 49.
En réalité, la langue arabe est davantage un outil. Quand vous avez un texte en arabe aussi magnifique, qui fait un usage aussi éloquent de l’arabe, si vous voulez vous approprier et comprendre le texte, la maîtrise de cette langue est nécessaire. Mais il n’est pas requis d’être un spécialiste du texte pour être musulman. La nuance est importante.
MEE : Dans le contexte européen, l’islam est une question délicate pour les pouvoirs publics. Avec internet, les jeunes générations sont confrontées à ce que l’on a appelé « Cheikh Google ». Comment ces jeunes musulmans peuvent-ils se prémunir d’une approche dévoyée de l’islam ?
AW : Ma réponse prend un peu le contre-pied de ceci. Et comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je pense que l’on accorde trop de place aux extrémistes. Tout cela au détriment de la majorité des musulmans du quotidien, dont on devrait parler davantage, notamment en Europe, où ils représentent une minorité religieuse.
Aucun musulman de France n’est identique. Accepter et respecter les différences à l’intérieur de cette communauté fait partie de la solution au problème plus large de la diabolisation des musulmans
D’une certaine façon, on ne cesse de renforcer les extrêmes en raison de l’attention qu’on leur accorde, alors qu’on ignore les musulmans pacifiques, épris de vivre-ensemble, éduqués, altruistes et ouverts, qui pratiquent leur religion sereinement.
C’est un enjeu qui concerne aussi les pays musulmans. Je vis dans un pays musulman, l’Indonésie, et la question de l’extrémisme existe aussi, mais comme la majorité de la société penche vers un islam compassionnel, inclusif, dans le cadre d’une société démocratique, cela a tendance à éclipser la petite fraction d’extrémistes.
Je ne dis pas qu’il faut faire comme s’ils n’existaient pas et ne pas se doter d’un arsenal juridique adapté, mais à trop mettre l’accent sur eux, comme on le fait en Amérique du Nord ou en Europe, on produit l’effet inverse et on exacerbe le problème.
Il faut donner plus d’attention aux musulmans lambda. Oui, je sais que ce n’est pas sensationnel. Mais ils sont des citoyens comme les autres et quand ils seront reconnus comme tels par les États où ils résident, ils deviendront les garde-fous de l’extrémisme.
MEE : Le manque de structuration des Français de confession musulmane est flagrant et a de lourdes conséquences dans la façon dont les politiques les manipulent. Comment cette communauté peut-elle prendre ses responsabilités pour avancer ?
AW : Avant tout, je ne pense pas qu’unité rime avec uniformité. Je travaille sur la notion de diversité d’un point de vue philosophique, spirituel et politique. Évidemment, aucun musulman de France n’est identique. Accepter et respecter les différences à l’intérieur de cette communauté fait partie de la solution au problème plus large de la diabolisation des musulmans.
Franck Frégosi : « La France a une vision jacobine de l’organisation de l’islam »
Il est moins important de deviser sur les différentes sensibilités et pratiques que de bien comprendre en quoi cette minorité est une cible dans le débat public. Dans ce contexte, même le « bon » musulman peut être assimilé à un « mauvais » musulman. Il faut travailler sur nos différences et accepter qu’elles font la beauté de l’islam. Le vieil adage « diviser pour mieux régner » est bien plus fort qu’on ne le croit.
Dans le contexte américain, le « white man » est ravi de voir les noirs se quereller entre eux sur des bisbilles, car c’est autant de temps qu’ils ne consacrent pas à contester son pouvoir et ses privilèges, ce qu’on appelle le suprémacisme blanc.
Comme je l’ai dit, unité ne veut pas dire uniformité. Faisons de nos différences une force pour aller de l’avant et améliorer les sociétés dans lesquelles les musulmans vivent pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres personnes qui y vivent, que ce soit en France ou ailleurs.
MEE : Kahina Bahloul, qui se définit comme la première imam française, a été l’objet d’une véritable vague de harcèlement à la fois de l’extrême droite mais aussi de certains musulmans. Le dissensus entre musulmans est-il un passage obligé pour avancer ?
AW : Je pense vraiment qu’on peut avancer sans avoir de consensus entre musulmans. Une grande partie de mes travaux a été consacrée à ces communautés subalternes, c’est-à-dire ces groupes marginalisés dans la communauté musulmane. Je pense par exemple aux communautés LGBTQ. Nous n’avons pas à être tous d’accord entre nous mais nous devons faire de notre mieux.
Kahina Bahloul, ou le combat pour un islam érudit et décliné au féminin
Je m’identifie comme « The Lady Imam » [« l’imam femme »]. En tant que telle, je m’intéresse et travaille sur les questions de leadership et d’autorité dans la communauté musulmane, tout en ayant conscience que je suis moi-même minoritaire. Mais cette minorité grandit de jour en jour.
Pour résumer, je n’attends pas que tout le monde soit d’accord avec moi. Et surtout, je n’attends pas leur accord. Je ne suis pas le type de personne qui va attendre un consensus de la communauté pour agir. Je dirais que je suis une anarchiste et le resterai jusqu’à ce que je voie un système politique qui sert les intérêts de tous.
MEE : En tant que femme afro-américaine et musulmane, quel regard portez-vous sur les attaques régulières contre les femmes voilées proférées par certains politiques français ?
AW : Mes ancêtres étaient des musulmans d’Afrique. Ce qui signifie que les mères de ma mère ont été dépouillées de leurs vêtements pour être transformées en marchandises pour le regard de l’homme blanc. J’ai choisi de ne porter que des manches longues et des vêtements longs avant même d’être musulmane. Comme beaucoup de femmes noires aux États-Unis.
Chaque femme devrait pouvoir choisir. Lorsque l’État choisit pour une femme, il fait de cette dernière un enfant qui doit se voir dicter ce qu’il met sur son corps
Après être devenue musulmane, j’ai choisi des styles pour mon foulard qui étaient plus identifiables comme étant « musulman ». Ainsi, je ne portais plus de « turbans » comme mes sœurs africaines le font.
J’ai également choisi de me couvrir le visage pendant quatre ans lorsque je vivais aux États-Unis, puis en Libye. Je suis revenue au foulard plus court et même au port du pantalon, que j'avais abandonné pendant ces quatre années où j’étais enseignante dans une école primaire.
Pendant plus de 30 ans, je ne suis jamais apparue dans aucun espace public, même à la plage ou à la salle de sport, sans me couvrir la tête et porter des manches longues.
Puis j’ai essayé pendant un an de ne pas porter de foulard. J’ai détesté cela. Alors maintenant, je le porte quand je veux et je l’enlève quand je veux. Chaque femme devrait pouvoir choisir. Lorsque l’État choisit pour une femme, il fait de cette dernière un enfant qui doit se voir dicter ce qu’il met sur son corps. Ce n’est pas à l’État d’appuyer sur un bouton on ou off.
Par
Nadia Henni-Moulaï
Published date: Lundi 9 mai 2022 - 07:30 | Last update:7 hours 1 min ago
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