Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Les forces sionistes ont accentué leur escalade dans les territoires palestiniens occupés où deux Palestiniens ont été tués lundi par les soldats de l'occupation, un meurtre vivement condamné par le gouvernement palestinien qui a déploré "le silence" et l'"indifférence" de la communauté internationale face à la poursuite de ces crimes odieux.
D'après le ministère palestinien de la Santé, les deux Palestiniens sont tombés en martyrs sous les balles des soldats de l'occupant près du camp de réfugiés d'Al-Jalazoun, situé juste à la sortie de Ramallah dans le centre de la Cisjordanie occupée.
Le gouvernement palestinien a réagi dans l'immédiat: le ministère des Affaires étrangères et des Expatriés a "condamné avec la plus grande fermeté le crime odieux d'exécution commis par les forces d'occupation sionistes, entraînant le meurtre de Basel Basbous et Khaled Anbar du camp d'Al-Jalazoun, et blessant Salama Raafat de la ville de Birzeit à l'aube d'aujourd'hui, lundi, alors qu'elles prenaient d'assaut la banlieue, près du camp d'Al-Jalazoun, au nord de Ramallah", rapporte l'agence de presse WAFA.
Pour le ministère, il s'agit d'un "crime de guerre et contre l'humanité" s’ajoutant aux crimes d'exécution sur le terrain commis par les forces d'occupation contre les Palestiniens. Il a tenu l'entité sioniste pour "pleinement et directement responsable de ce crime".
A cet effet, la diplomatie palestinienne a souligné que la communauté internationale "devrait avoir honte de son silence et de son indifférence face à l'effusion de sang et à la souffrance des Palestiniens et à l'injustice historique continue qui leur est infligée".
Pour sa part, le président du Conseil national palestinien Rawhi Fattouh a également tenu, dans un communiqué de presse, les autorités d'occupation "pleinement responsables de l'assassinat de sang-froid des deux jeunes Palestiniens, et réitéré que "le silence de la communauté internationale envers les crimes continus de l'occupation contre notre peuple l'encourage à persister à les commettre".
Plus de 160 martyrs palestiniens déplorés depuis janvier
L'assassinat ce lundi des deux jeunes Palestiniens est intervenu au lendemain de la publication par l'Assemblée nationale des familles des martyrs palestiniens d'un communiqué dans lequel elle indique que 165 Palestiniens sont tombés en martyrs depuis le début de l'année 2022, sous les balles de l'occupation.
Dans le communiqué, publié par WAFA, Mohammed Sbeihat, secrétaire général de l’Assemblée, précise que "le nombre de Palestiniens tués par balles (par les forces de l'entité sioniste) a connu une augmentation de 66% cette année par rapport à la même période de l'année dernière au cours de laquelle 99 Palestiniens sont tombés en martyrs, alors que 116 ont été tués au cours de l'année 2021".
Et de poursuivre que depuis le 3 octobre 2015 et jusqu'à ce jour, le nombre des martyrs palestiniens a atteint 1.127, dont 229 enfants et 71 femmes.
En plus des assassinats par balles, les forces de l'occupation poursuivent leur profanation des lieux saints en autorisant notamment aux colons d'envahir la Mosquée d'Al-Aqsa à Al-Qods occupée. L'occupation sioniste tente d’y empêcher les Palestiniens de pratiquer leur droit de culte alors que les colons sont autorisés à pratiquer librement leurs rituels talmudiques.
Dans ce contexte également, l'agence WAFA a rapporté lundi que des centaines de colons ont profané la mosquée al-Ibrahimi, située dans la vieille ville d'El Khalil, et tenu un concert dans ses cours, avec l'appui des forces d'occupation sionistes.
Depuis 1967, la mosquée al-Ibrahimi, comme tous les autres lieux saints musulmans en Palestine, est devenue une cible pour les forces d’occupation sionistes et les colons.
Par ailleurs, des dizaines de Palestiniens ont été asphyxiés dimanche par du gaz lacrymogène lancé par les forces sionistes lors d’affrontements à l’est de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée.
Ainsi, la ministre palestinienne de la Santé, Mai Al-Kaileh, a exhorté la communauté internationale à intervenir pour protéger le peuple palestinien et la loi internationale, violée par l’entité sioniste.
Face à cette escalade dangereuse en Palestine, plusieurs pays et organisations ont interpellé récemment la communauté internationale pour intervenir en vue de mettre fin à ces agressions notamment contre la mosquée Al-Aqsa, parallèlement à une large condamnation du meurtre la semaine passée de l'enfant palestinien de 7 ans, Rayyan Suleiman, dans la ville de Teqoa en Cisjordanie occupée.
Dans ce sillage, le Coordonnateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland a appelé, jeudi dernier, à une enquête "immédiate et approfondie" sur la mort de Rayyan Suleiman.
De leur côté, les Etats-Unis et le Royaume-Uni se sont dit en faveur d'"une enquête approfondie et immédiate" sur les circonstances ayant entraîné la mort de cet enfant.
Selon les ministères palestiniens de la Santé et des Affaires étrangères, l'enfant est mort après être tombé d'un bâtiment alors qu'il était pourchassé par les forces d'occupation sionistes. (APS).
Du 16 au 18 septembre 1982, entre 800 et 3 500 réfugiés palestiniens sont massacrés dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, par des milices chrétiennes libanaises, avec la complicité de l’armée israélienne. Quarante ans après, des rescapés racontent l’horreur qu’ils ont vécue.
Les images qui commencent à circuler dès le 18 septembre 1982 provoquent une grande émotion dans le monde (AFP)
« Ils ont tué mes gendres… l’un par balle, l’autre à l’arme blanche ! » Le cri de détresse teinté d’effroi retentit encore dans les oreilles de Zouhour Accaoui, 40 ans après.
« Quand cette femme a surgi dans la rue en hurlant, personne ne l’a crue », se souvient cette rescapée du massacre de Sabra et Chatila. « Nous entendions de sourdes explosions et des coups de feu sporadiques mais nous étions loin de penser qu’un carnage méthodique se déroulait, froidement, quelques ruelles plus loin. »
Aujourd’hui assistante sociale pour l’ONG Beit atfal al-Soumoud (la maison des enfants de la résistance), elle garde gravée dans la mémoire chaque minute des 40 heures d’enfer qu’elle a vécues avec la population de réfugiés palestiniens du quartier de Sabra et du camp de Chatila, dans le Sud de Beyrouth.
VIDÉO : Il y a 40 ans, les massacres, toujours impunis, de Sabra et Chatila
Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1982, les tueurs se livrent à leur sordide besogne à la lueur des fusées éclairantes tirées par l’armée israélienne postée aux entrées des camps.
Le 18 à l’aube, une voix appelle en arabe par haut-parleur les habitants du quartier situé à la lisière de Sabra à se rassembler dans la rue.
« Ils sont entrés dans l’hôpital Gaza et ont poussé tout le monde dehors, y compris les membres du corps soignant, les blessés et les malades », raconte à Middle East Eye Zouhour Accaoui.
« Des hommes armés en uniforme vert olive avec l’insigne MP [Military Police] cousu à l’épaule et parlant arabe avec l’accent libanais étaient déployés en double haie. Nous étions plusieurs centaines de personnes. Après avoir séparé les hommes des femmes et des enfants, ils nous ont sommés de marcher vers le sud, en direction de la rue principale de Chatila. »
Des images insoutenables qui ont fait le tour du monde
Effrayée mais silencieuse, la foule est confrontée à l’horreur au bout de quelques dizaines de mètres. Des cadavres entassés les uns sur les autres, des corps désarticulés, des lambeaux de chair éparpillés, des femmes éventrées, des enfants la tête écrasée. La rue de Chatila n’est plus qu’un immense charnier pestilentiel.
« Ils invitaient les habitants à sortir de chez eux en leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Dans la rue, ils étaient massacrés à coups de hache ou de baïonnette », raconte à MEE Amina*, qui avait 10 ans à l’époque des faits. Elle a été sauvée par son père qui l’a cachée dans l’arrière-cour de leur maison, avant d’être abattu.
Zouhour Accaoui : « Ceux qui ont commis ce carnage ne pouvaient être des humains, ils ont tué tout ce qui respirait, y compris les animaux » (MEE/Paul Khalifeh)
« La tuerie s’est déroulée presque en silence, c’est pour cela que les survivants avaient du mal à convaincre les habitants des autres quartiers à l’intérieur et à l’extérieur des camps de l’horreur qui se déroulait quelques rues plus loin. »
« Ceux qui ont commis ce carnage ne pouvaient être des humains, ils ont tué tout ce qui respirait, y compris les animaux », affirme Zouhour Accaoui. « Ils savaient parfaitement qu’il n’y avait plus aucun combattant dans les camps après l’évacuation du dernier contingent de fedayin, le 25 août. »
Après l’invasion israélienne du Liban le 6 juin 1982 et le blocus de Beyrouth, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait accepté d’évacuer de la capitale libanaise ses 15 000 combattants par voie navale. Les fedayin ont été dispersés dans les différents pays arabes et l’OLP a établi son siège à Tunis.
Les hommes emmenés vers une destination inconnue
Abou Mohammad se décrit comme un miraculé. Caché dans son échoppe dans la rue principale de Chatila, il était séparé des tueurs par un simple rideau de fer. « Pendant trois jours, j’ai été témoin de ce qu’aucun homme ne peut supporter », se souvient-il.
« Les supplications d’une femme qui se transforment en gargouillis après un coup de couteau dans la gorge, le bruit d’un crâne fracassé à coups de marteau, un coup de feu sec tiré à bout portant… J’ai tout entendu ! »
À plusieurs reprises, les tueurs sont tentés de défoncer le rideau de fer pour se servir dans l’épicerie. Ils ne passeront jamais à l’acte. Abou Mohammad reste recroquevillé pendant trois jours, affamé et assoiffé.
« Ils invitaient les habitants à sortir de chez eux en leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Dans la rue, ils étaient massacrés à coups de hache ou de baïonnette »
- Amina, rescapée
« Il me suffisait de tendre la main vers une étagère pour prendre une boîte de conserve ou une boisson. J’étais tellement terrorisé que je n’osais pas faire un geste », confie-t-il.
Chaque récit recueilli à Sabra et Chatila confirme et complète le précédent. La propension à aller dans les détails montre à quel point cet événement reste vivant dans l’esprit des habitants 40 ans après.
Chahira Abou Roudeina a perdu sept membres de sa famille dans le carnage, dont son père, son mari et des cousins. « Des hommes ont été conduits à la Cité sportive [située dans l’Ouest de Chatila] et d’autres ont été embarqués comme des moutons dans des camions et emmenés vers une destination inconnue. Beaucoup, séparés de leurs familles, n’ont jamais été revus », raconte-t-elle à MEE.
Lorsque les récits épouvantables commencent à s’ébruiter, les premiers journalistes, dont des Européens, parviennent à pénétrer à Chatila. Les tueurs sont contraints d’interrompre le massacre mais ils n’ont pas le temps d’effacer les traces de leur crime.
Jean-Marie Bourget et Marc Simon, sur place dès le 17 septembre, témoigneront de la barbarie qu’ils découvrent dans un ouvrage intitulé Sabra et Chatila, au cœur d’un massacre, publié en 2012, 30 ans après les faits.
Mais les images qui commencent à circuler dès le 18 septembre 1982 provoquent une grande émotion dans le monde.
Au Liban et en Israël, personne n’a jamais été jugé
Soumis à de fortes pressions, le gouvernement israélien consent à former une commission d’enquête dirigée par le président de la Cour suprême, Yitzhak Kahane.
Dans son rapport publié en février 1983, la commission conclut à la responsabilité directe des milices chrétiennes – Forces libanaises (FL), Phalanges libanaises (Kataëb) et milices du commandant dissident de l’armée libanaise Saad Haddad – et à la responsabilité indirecte d’Israël.
Le nom du ministre israélien de la Défense de l’époque, Ariel Sharon, sera associé de près au carnage par de nombreux journalistes et historiens. Le rapport Kahane jugera qu’il n’avait pas pris « les mesures appropriées » susceptibles d’éviter le massacre. Il démissionnera de son poste mais sera nommé, quelques jours plus tard, par le Premier ministre Menahem Begin, ministre sans portefeuille avec l’autorisation de participer aux réunions du cabinet restreint de sécurité.
Au Liban, aucune enquête sérieuse ne sera menée, surtout que le président de la République de l’époque, Amine Gemayel, frère du président Bachir Gemayel, assassiné le 14 septembre 1982 par un chrétien membre du PSNS (Parti social national syrien), était issu des rangs du parti des Phalanges, accusé d’avoir perpétré le massacre.
Chahira Abou Roudeina a témoigné deux fois devant un tribunal malaisien. Depuis, elle n’obtient plus de visa pour aller rendre visite à son fils en Europe (MEE/Paul Khalifeh)
Le rôle d’Ariel Sharon dans le carnage est de nouveau pointé par des enquêtes journalistiques au début des années 2000. Des dizaines de survivants et des proches des victimes déposent des plaintes contre le dirigeant israélien, devenu entre-temps Premier ministre. Au nom du principe de la justice universelle, des tribunaux belges acceptent d’instruire le dossier avant de se rétracter.
L’ancien chef des Forces libanaises, Elie Hobeika, se déclare prêt à témoigner. Il sera assassiné en janvier 2002 à Beyrouth dans des circonstances jamais élucidées.
En 2012, un chercheur américain de l’University College de Londres, Seth Anziska, souligne dans un article publié par le New York Times le rôle des États-Unis dans le massacre. Il écrit qu’à la suite d’une réunion le 17 septembre 1982 entre le diplomate américain Morris Draper et l’ambassadeur à Tel Aviv Sam Lewis, d’une part, Ariel Sharon et des chefs de l’armée israélienne de l’autre, « les Israéliens obtiennent des Américains le maintien des miliciens phalangistes dans les camps pour encore 48 heures ».
Après le départ des combattants palestiniens, une force multinationale composée de soldats américains, français et italiens, déployée pour superviser l’accord de cessez-le-feu conclu entre l’OLP et Israël sous l’égide des États-Unis, avait plié bagage le 11 septembre.
Les camps devaient être placés sous la protection de l’armée libanaise, mais au lendemain de l’assassinat de Bachir Gemayel, l’armée israélienne a occupé l’Ouest de Beyrouth, violant ainsi un engagement de ne pas entrer dans cette partie de la capitale. Le 15, les Israéliens, postés aux entrées des camps de Sabra et Chatila, ont laissé entrer des centaines de miliciens chrétiens venus perpétrer le massacre.
Ce que le massacre de Sabra et Chatila a changé en Israël
Plus récemment, en juin, un journaliste d’investigation israélien, Ronen Bergman, révèle dans le Yediot Aharonot que le massacre avait été planifié des semaines avant l’assassinat de Bachir Gemayel. Le journaliste affirme que lors d’une réunion le 11 juillet 1982, Ariel Sharon aurait exprimé son intention d’« anéantir la partie sud de Beyrouth ».
Se basant sur des archives du gouvernement israélien, Ronen Bergman évoque une « réunion secrète », le 19 septembre 1982, entre des dirigeants libanais chrétiens et des hauts gradés israéliens, dont le chef d’état-major de l’époque, Rafael Eitan. L’objectif de la réunion était d’« établir une version unifiée des faits pour la présenter à l’international » afin de contenir les réactions au massacre, en tentant d’atténuer l’impact de la publication d’images insoutenables de corps d’enfants et de femmes.
« Rafael Eitan ne se souciait pas du volet moral, affirme le journaliste, il craignait surtout que les forces israéliennes ne soient forcées de se retirer de Beyrouth. »
Malgré tout ce qui a été écrit et révélé, les milliers de morts et de survivants du massacre de Sabra et Chatila n’ont pas obtenu justice. Jamais personne n’a été condamné pour ce crime. Au Liban, une loi d’amnistie adoptée à la fin de la guerre civile (1975-1990) a tourné la page de toutes les atrocités commises pendant le conflit, y compris le massacre de Sabra et Chatila.
Mais depuis des années, des survivants et des proches des victimes continuent à se battre pour essayer d’obtenir justice.
« En 2012, j’ai témoigné à deux reprises devant un tribunal en Malaisie », déclare Chahira Abou Roudeina. « Depuis, j’ai juré de ne plus parler aux journalistes car après mon témoignage, on a refusé de me délivrer un visa pour aller rendre visite à mon fils dans un pays européen. »
* Le prénom de l’interlocutrice a été modifié à sa demande.
Paul Khalifeh
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BEYROUTH, Liban
Published date: Jeudi 15 septembre 2022 - 07:25 | Last update:1 week 6 days ago
En Israël, l’essor de l’ultranationalisme religieux
Longtemps marginales, les formations nationalistes religieuses influent de plus en plus sur les résultats électoraux. Leurs idées se diffusent dans la société grâce à un intense travail de sape idéologique. Au nom de la spécificité juive, Israël rejettera-t-il un jour l’universalisme et la démocratie ?
Les prochaines élections législatives israéliennes, qui auront lieu le 1er novembre, seront les cinquièmes en un peu plus de trois ans. Les sondages confirment la poussée de la droite nationaliste et de ses alliés des formations sionistes religieuses — surtout chez les 18-25 ans. Les projections donnent une large majorité de soixante et onze sièges sur cent vingt à la coalition dirigée par M. Benyamin Netanyahou. Au sein de celle-ci, les partis Sionisme religieux (Hatzionout Hadatit), de M. Bezalel Smotrich, et Force juive (Otzma Yehoudit), de M. Itamar Ben Gvir, obtiendraient au total onze à quatorze mandats. Cette évolution résulte, entre autres, de l’enracinement de l’idéologie nationaliste religieuse au sein d’une partie de la société israélienne. L’un des principaux promoteurs de ce courant n’est autre que l’Israélo-Américain Yoram Hazony, qui l’a disséminée au sein des ultradroites américaine et européennes. Adopté dès sa parution en septembre 2018 par les milieux conservateurs américains, son ouvrage, The Virtue of Nationalism, est devenu un best-seller, traduit dans une vingtaine de langues (1). Il avait décidé de l’écrire deux ans plus tôt, considérant que le nationalisme avait le vent en poupe après le vote du Brexit au Royaume-Uni et l’élection de M. Donald Trump aux États-Unis. Il est devenu une référence pour nombre d’ultranationalistes dans le monde et serait à l’origine de la « doctrine Trump » en politique étrangère (2). À Budapest, il a porte ouverte chez le président Viktor Orbán, qui le cite régulièrement.
Sa théorie contient la plupart des éléments du nationalisme intégral de Charles Maurras, l’antisémitisme en moins : rejet de l’universalisme, des idéaux des Lumières et des principes issus de la Révolution française ; le tout adapté à la période contemporaine. Selon lui, l’Union européenne se caractériserait par une forme d’impérialisme motivé par sa volonté de recréer le Saint Empire romain germanique. Quant à Adolf Hitler il n’était pas nationaliste, mais… impérialiste.
Quelques mois après la sortie du livre, souhaitant battre le fer pendant qu’il est chaud, Hazony fonde à Washington la Fondation Edmund Burke, qui a pour but de « renforcer le national-conservatisme en Occident et dans d’autres démocraties ». Homme d’État britannique, Burke était, en 1790, le grand critique de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le coprésident de cette organisation est M. David Brog, l’ex-directeur général de l’organisation américaine des Chrétiens unis pour Israël, qui compte dix millions d’adhérents.
En juin 2022, la Fondation Burke définit son idéologie en publiant un manifeste intitulé « National-conservatisme. Une déclaration de principes » (3). Le lecteur français y découvrira une forte odeur de pétainisme, mais avec, là aussi, l’absence de références antisémites. Dans le préambule, on peut lire : « Nous considérons que la tradition d’États-nations indépendants et autogouvernés représente le fondement nécessaire à une juste orientation publique vers le patriotisme, le courage, l’honneur, la loyauté, la religion, la sagesse et la famille, homme et femme, le shabbat, la raison et la justice. Nous sommes conservateurs, car nous considérons ces vertus comme essentielles au maintien de notre civilisation. » L’article 4, intitulé « Dieu et [la] religion publique », prévoit : « Là où existe une majorité chrétienne, la vie publique doit être enracinée dans le christianisme et sa vision morale honorée par l’État et les autres institutions publiques et privées. Les Juifs et les autres minorités doivent être protégées. »
Hazony a entamé son parcours religieux et idéologique à Princeton, alors qu’il préparait sa licence. Un soir de printemps 1984, le rabbin Meir Kahane est venu prendre la parole devant 250 étudiants juifs. Fondateur de la Ligue de défense juive (Jewish Defense League), condamné pour terrorisme aux États-Unis, emprisonné à plusieurs reprises en Israël pour avoir préparé des attaques contre des Palestiniens, l’orateur venait d’être élu à la Knesset sur une liste ouvertement raciste. Pour Hazony, ce fut une révélation : « Nous étions comme hypnotisés. (…) Rabbi Kahane était le seul dirigeant juif qui ait montré de l’intérêt envers nos vies, qui soit venu nous dire ce que nous devions faire. Il était le seul qui semblait comprendre combien nous voulions une bonne raison de rester juifs (4). » Hazony expliquera n’avoir jamais adopté la vision politique violente du kahanisme dont le fondateur fut assassiné en 1990. Il adoptera toutefois la théologie néomessianique que Kahane définissait ainsi : « N’oublions pas que nous sommes arrivés en terre d’Israël afin d’y établir un État juif et pas un État de style occidental. Les valeurs juives, pas d’éphémères valeurs occidentales, doivent nous guider. Ni le libéralisme, ni la démocratie, ni une soi-disant vision progressiste ne doivent déterminer ce qui est bon ou mauvais pour nous (5). »
Cinq ans après la rencontre de Princeton, à la tête d’un groupe de familles américaines, avec son épouse et leurs quatre enfants, il rejoint les fondateurs de la colonie Eli, dans le centre de la Cisjordanie occupée. Tout en travaillant à sa thèse de philosophie politique qu’il présentera en 1994, à l’université Rutgers dans le New Jersey, il rejoint la rédaction du Jerusalem Post, le grand quotidien israélien de langue anglaise, qui vient de virer à droite après son rachat par un groupe de presse canadien. David Bar-Ilan, le rédacteur en chef, apprécie la plume du jeune colon israélo-américain et le met en rapport avec M. Benyamin Netanyahou, le président du Likoud.
Critique du marxisme et de la gauche israélienne sioniste
Hazony participe à l’édition de A Place Among the Nations (« Une place parmi les nations »), le livre programme du futur premier ministre dont la version en hébreu paraît en 1995. On y devine déjà sa patte dans sa manière d’adapter l’histoire à ses théories. Par exemple, la version — très contestée par les historiens — selon laquelle ce ne seraient pas les Romains qui auraient expulsé les Juifs de Palestine après la révolte juive de Bar Kokhba, en 135 de l’ère chrétienne, mais les Arabes lors de la naissance de l’islam, en 636-637 (6). Autre exemple de l’influence de Hazony dans cet ouvrage, le passage où M. Netanyahou affirme que « la gauche israélienne souffrirait d’une maladie chronique qui affecterait le peuple juif depuis un siècle : le marxisme qui imprégnait les mouvements juifs de gauche, d’extrême gauche et communistes en Europe de l’Est » (7). Une affliction qui expliquerait pourquoi, après la guerre de juin 1967, des Israéliens de gauche auraient voulu restituer les territoires conquis.
Grâce au soutien financier d’Américains fortunés proches de M. Netanyahou, Hazony crée en 1994, à Jérusalem, le Centre Shalem, un think tank destiné à « répondre à la crise identitaire que subit le peuple juif ». Dans Nekouda, l’organe du mouvement de colonisation, il explique : « Mon but dans la vie, c’est de démontrer que la conception marxiste-sioniste a échoué en Israël. Plus personne n’y croit, et à présent, il nous faut combattre pour l’avenir de la pensée du peuple juif dans son ensemble et en Israël en particulier (8). »
Dans The Jewish State. The Struggle for Israel’s Soul (9), publié six années plus tard, Hazony dévoile et analyse ce qu’il considère être le grand complot contre la nature juive d’Israël. La conspiration remonterait aux années 1920 avec la création de l’Université hébraïque de Jérusalem par de grands intellectuels juifs, parmi lesquels Judah Leon Magnes, Juif américain, rabbin réformé, pacifiste et ennemi du nationalisme, ainsi que le philosophe Martin Buber, apôtre d’une entente avec les Arabes et partisan d’un État binational. Quant à Gershom Scholem, grand historien et philosophe, spécialiste de la mystique juive, il aurait commis le crime de conseiller aux dirigeants sionistes de neutraliser les éléments messianiques au sein de leur mouvement. Selon Hazony, cela retirait tout fondement juif aux revendications politiques sionistes. Plus récemment, Asa Kasher, professeur de philosophie de l’université de Tel-Aviv, se serait rendu coupable de défendre la nature démocratique d’Israël : « Un État juif, au plein sens du terme, est un État dont la nature sociale procède de l’identité juive des citoyens. Dans un État juif et démocratique, la nature de l’État n’est pas déterminée par la force mais par le libre choix des citoyens. » Et l’ancien colon d’Eli (il est désormais installé à Jérusalem) de s’offusquer : « Kasher affirme qu’un État “juif et démocratique” est un pays dans lequel les habitants sont juifs et l’État une démocratie universaliste. En d’autres termes, un État “juif et démocratique” est un État non juif ! » Selon cette logique opposée à l’universalisme, le principe démocratique contribuerait ainsi à déjudaïser Israël.
La liste des ennemis d’un Israël conforme aux vues de Hazony est longue. Les juges de la Cour suprême viennent en tête, avec M. Aharon Barak, responsable de la réforme constitutionnelle, et qui a défini ainsi les valeurs d’Israël en tant qu’État juif : « Ce sont ces valeurs universelles communes aux membres d’une société démocratique. » Les principaux écrivains israéliens n’échappent pas à la stigmatisation. Hazony les accuse de rejeter le concept même d’État juif. Parmi eux, Amos Oz, qui considère le nationalisme comme une malédiction de l’humanité, et A. B. Yehoshua, qui prêche pour la normalité d’Israël. Également ciblé, David Grossmann, qui « enseigne aux Israéliens que la faiblesse rend vertueux, et donc affaiblit la nation ».
Au sein de la Knesset, un « think tank » lobbyiste très influent
En raison de ses liens, aux États-Unis, avec les républicains et la droite juive, Hazony est un élément central de l’écosystème idéologique sioniste religieux qui s’est créé au fil des ans, composé de rabbins messianiques et d’organisations ultranationalistes. La Tikvah Fund, créée en 1998, en finance la plupart avec des fonds venus surtout de riches donateurs américains. Fondé en 2012, le Kohelet Policy Forum est le « think tank » sioniste religieux qui, selon le quotidien Haaretz, dirigerait discrètement la Knesset (10). Il parviendra, à force de lobbying, à faire adopter le 19 juillet 2018 la loi discriminatoire qui dispose : « L’État d’Israël est l’État-nation du peuple juif, qui y exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. La réalisation de ce droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservée au seul peuple juif. (…) L’État considère le développement des localités juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur consolidation. » Vingt-quatre ans après la création du Centre Shalem, les idées de Hazony sont devenues la loi d’Israël.
Charles Enderlin
Journaliste.
(1) La version française (Les Vertus du nationalisme) est publiée par les éditions Jean-Cyrille Godefroy et préfacée par l’avocat Gilles-William Goldanel, qui considère Hazony comme un « esprit frère ».
(2) Michael Anton, « The Trump doctrine », Foreign Policy, Washington, DC, 20 avril 2019.
Pour la société palestinienne, le défi ne réside pas uniquement dans la capacité à faire face aux agressions israéliennes. Il consiste aussi à s’opposer à une Autorité palestinienne de plus en plus impopulaire, car incapable de juguler la crise économique et d’offrir des perspectives politiques claires.
Rehaf Al-Batniji, Gaza, 2018-2021.
Le 5 août, l’armée israélienne déclenchait l’offensive « Aube naissante » contre la bande de Gaza. Cette nouvelle attaque d’ampleur, la sixième depuis 2008, a provoqué la mort d’une cinquantaine de personnes et plongé la population dans le désarroi. Interrompue après la médiation de l’Égypte, l’opération a constitué un énième épisode de la somme d’épreuves que les Palestiniens endurent. Le déluge de feu que peut déclencher à tout moment Tel-Aviv contre les habitants de l’enclave — qui, en temps « normal », vit déjà dans une situation d’emmurement (1) — est particulièrement dévastateur. La guerre de 2008-2009 a ainsi coûté la vie à plus de 1 400 personnes et détruit plus d’un millier de maisons. Celle de 2012 a fait plus de 180 morts, un bilan funeste bien moindre que celui de la guerre de 2014 : 2 300 tués et d’importants dégâts matériels. Telles des répliques à un séisme meurtrier, les offensives de 2019 et de 2021 ont respectivement provoqué le décès de 34 et 230 personnes. Si la Cisjordanie est épargnée par ce type d’opération d’envergure, elle n’échappe pas aux raids quasi quotidiens de l’armée, des unités spéciales et des forces de sécurité israéliennes. Depuis la fin mars, une soixantaine de personnes y ont été tuées, dont Shirine Abou Akleh, la célèbre journaliste d’Al-Jazira, qui couvrait une intervention militaire à Jénine.
La « colonisation sauvage » bénéficie de l’indulgence de l’armée
La poursuite de la colonisation est un autre élément responsable du mal-vivre des Palestiniens. En Cisjordanie, où l’on compte près de 280 colonies — illégales au regard du droit international —, qui abritent près de 450 000 habitants (2) (contre 82 000 en 1990), elle se fait sentir constamment avec son lot d’entraves à la circulation, d’omniprésence de l’armée israélienne, de mesures ségrégatives, de punitions collectives, de captation de ressources hydrauliques au bénéfice des colons, de confiscation de terres, de destruction d’arbres notamment d’oliviers et de récoltes voire d’annexion de certaines parties de la vallée du Jourdain (Al-Ghor). Dans les zones sous contrôle israélien, construire une maison est impossible et expose au risque de la voir mise à terre. À cela s’ajoute la pression des colons qui tentent d’imposer de nouvelles implantations, fût-ce en violation de la loi israélienne (l’« officialisation » d’une colonie est soumise à l’agrément de Tel-Aviv). Le 20 juillet, un millier d’entre eux ont tenté de créer dix « avant-postes ». Une opération de « colonisation sauvage » destinée à se répéter, ses initiateurs bénéficiant de financements de particuliers américains et de l’indulgence des forces de sécurité israéliennes. Depuis le début de l’année, les heurts entre habitants des colonies et Palestiniens ont fait une centaine de blessés et deux morts chez ces derniers. À Jérusalem-Est, où vivent près de 250 000 colons, de nombreux quartiers à majorité palestinienne, dont ceux de Cheikh Jarrah et de Silwan, sont eux aussi dans la ligne de mire avec des installations de force, des expropriations ou des destructions de maisons. Plusieurs officiels palestiniens accusent le gouvernement de M. Yaïr Lapid, premier ministre par intérim depuis la chute du cabinet de M. Naftali Bennett en juin, d’accélérer les activités de colonisation à l’approche des élections législatives israéliennes du 1er novembre (3).
Un climat politique délétère qui entretient le clientélisme et la corruption
Cette persistance de la colonisation ne fait pas qu’aggraver le sentiment de précarité des Palestiniens — les procédures qu’ils engagent soit contre les violences des colons soit contre des expropriations décidées par les autorités ne débouchent que très rarement sur un jugement en leur faveur. La machine israélienne travaille de façon systématique, délibérée et planifiée à mettre fin au projet d’un État palestinien indépendant — fût-il des plus minuscules — en s’attribuant de grands pans de la Cisjordanie et en étendant sans cesse les colonies, ce qui sonne concrètement le glas du processus d’Oslo. Dans le même temps, l’illusion d’une souveraineté est entretenue, grâce notamment, aux donateurs qui financent vaille que vaille l’Autorité palestinienne.
Au-delà de cet expansionnisme qui viole le droit international (4), la société palestinienne doit composer avec ses propres fardeaux, dont une vie politique marquée par les divisions. Ni le Fatah, colonne vertébrale de l’Autorité palestinienne, qui dirige la Cisjordanie, ni le Hamas, au pouvoir à Gaza, n’ont de légitimité constitutionnelle, aucune élection présidentielle ou législative n’ayant été organisée depuis quinze ans. Cette glaciation du jeu démocratique alimente un climat délétère marqué par le clientélisme, la corruption mais aussi par la multiplication de luttes intestines au sein du mouvement national palestinien, dans un contexte d’incertitude autour de la future succession de M. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité. Alors que la situation l’exige, notamment en raison des progrès de la normalisation des relations qu’entretient Israël avec quelques pays arabes, la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas n’est pas à l’ordre du jour, au grand dam d’une société qui souhaite l’union face à Israël.
À cela s’ajoute une situation économique préoccupante, affectée notamment par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et par l’augmentation des cours mondiaux d’hydrocarbures et de produits alimentaires provoquée par la guerre en Ukraine. Selon les statistiques officielles, le taux de chômage atteint 40 % dans la bande de Gaza et plus de 26 % en Cisjordanie. Dans ce contexte, la société est minée par les inégalités. Si des hommes d’affaires et des « entrepreneurs » tirent leur épingle du jeu en investissant dans le secteur immobilier, pilier de l’économie, le reste de la population n’a pas d’autre issue que de s’endetter. Une alliance d’intérêts s’est ainsi développée entre les détenteurs de capitaux et des personnalités influentes de l’Autorité pour conforter un modèle consumériste où « vivre à crédit » constitue l’essentiel de la réponse aux difficultés économiques. Par ailleurs, la subordination de l’économie palestinienne à celle d’Israël contribue aussi à aggraver les inégalités de revenus et exacerbe les disparités économiques et sociales entre les salariés autorisés à travailler en Israël et ceux qui demeurent employés par des acteurs du marché intérieur. Le travail en Israël constitue ainsi le deuxième gisement d’emplois pour les habitants de la Cisjordanie après les postes au sein de l’Autorité palestinienne.
Les difficultés économiques ainsi que l’émergence d’une minorité affichant sa richesse de manière ostentatoire — avec en son sein des responsables de l’Autorité et leur entourage familial — sont à l’origine de l’apparition de divers mouvements protestataires. Depuis plus de dix ans, la société palestinienne connaît une agitation continue. Instituteurs, médecins, fonctionnaires, avocats ou magistrats ont tous manifesté leur mécontentement pour divers motifs socio-économiques mais aussi politiques (défense des libertés, protestations contre la brutalité et l’arbitraire des services de sécurité). En 2019, plusieurs milliers de salariés et de fonctionnaires, mais aussi des syndicalistes et des dirigeants de petites et moyennes entreprises, ont dénoncé une loi d’essence libérale prévoyant l’instauration d’une sécurité sociale privée (5). Face à l’importance du mécontentement, l’Autorité a gelé le texte.
Dans d’autres cas, les mobilisations sont d’ordre sociétal. La dernière décennie a ainsi été marquée par de nombreux mouvements de protestation de femmes contre les violences qu’elles subissent et la persistance de pratiques patriarcales. Si elle a pour socle la défiance marquée à l’égard de l’Autorité palestinienne et de son autoritarisme, la dynamique mobilisatrice de la société palestinienne inquiète Israël. Le 18 août, son armée procédait à la fermeture des bureaux de sept organisations de défense des droits humains après une perquisition nocturne de grande ampleur dans leurs locaux à Ramallah, « capitale » de la Cisjordanie et siège de l’Autorité. En octobre, six de ces organisations non gouvernementales (ONG) avaient été arbitrairement classées « terroristes » par Israël, une accusation que neuf pays européens, dont la France, n’ont pas validée, estimant que les preuves fournies par Tel-Aviv étaient insuffisantes. Pour nombre de Palestiniens, ce raid militaire illustre la volonté israélienne de museler une société palestinienne qui, tout en s’autonomisant vis-à-vis du régime de M. Abbas, incarne désormais les dynamiques de résistance et préfigure ce que pourraient être les modes de protestation à venir. À cet égard, la grève générale du 18 mai 2021, suivie massivement dans les territoires occupés mais aussi par des Palestiniens ayant la nationalité israélienne, démontre qu’une action collective transcendant la fragmentation coloniale et indépendante des autorités politiques est possible.
Abaher El Sakka
Professeur associé de sociologie à l’université de Birzeit, Ramallah (Cisjordanie).
Un an après la campagne d’arrestations massives menée par Israël, les protestations des citoyens palestiniens du pays contre la politique étatique font l’objet de mesures encore plus répressives.
La police avait annoncé que sous 48 heures, 500 personnes allaient être arrêtées. Au 10 juin, Israël avait arrêté plus de 2 150 personnes, dont 91 % étaient des citoyens palestiniens d’Israël. Les policiers, les unités spéciales, les gardes-frontières et la police secrète ont pris d’assaut les villes à prédominance arabe pour réprimer les manifestants palestiniens.
La plupart des juges passent outre les violences policières, les agressions contre les détenus, les violences physiques, les droits de l’enfant et même les arguments constitutionnels sur le droit des citoyens à manifester
Ils ont intentionnellement ciblé des mineurs lors d’arrestations violentes et arbitraires, les ont détenus et les ont soumis à des interrogatoires menés par des agents du Shin Bet (les renseignements intérieurs).
Face à ces arrestations massives, des centaines d’avocats palestiniens des territoires occupés en 1948 se sont organisés et se sont portés volontaires aux côtés d’organisations de défense des droits de l’homme et de comités populaires dans un effort coordonné pour défendre les détenus, leur fournir une aide juridique dans les commissariats et surveiller les atteintes flagrantes aux droits de l’homme commises par les forces de sécurité israéliennes.
Je faisais partie de l’un de ces groupes, appelé « Défenseuses des droits de l’homme des détenus ». Il n’a pas fallu longtemps avant que des campagnes de financement participatif ne soient organisées pour aider les détenus et leurs familles à couvrir leurs frais de justice.
Atteintes flagrantes aux droits de l’homme
Parmi les infractions israéliennes que nous avons découvertes, citons : la dispersion violente des manifestations et les arrestations arbitraires ; la confiscation des téléphones personnels ; l’agression de journalistes et de militants qui filmaient et documentaient des attaques ; l’enlèvement d’enfants par les équipes d’infiltration des forces spéciales ; l’usage excessif de la force lors d’arrestations et de transferts vers des centres de détention ; les conditions de détention inhumaines ; et le report du traitement médical d’urgence des détenus jusqu’à ce que leurs dépositions soient prises.
De nombreuses atteintes aux droits des détenus – en particulier des enfants – ont eu lieu dans les commissariats : recours à d’horribles violences physiques, menaces et violences psychologiques ; privation de droits fondamentaux tels que des conseils juridiques avant tout interrogatoire ; refus de mener les interrogatoires en arabe ; refus de la présence d’un parent ou tuteur pendant l’interrogatoire des enfants ; et interrogatoires très tardifs pour beaucoup d’entre eux, en violation de la loi.
Israël peut désormais déchoir les Palestiniens de 1948 de leur nationalité
La police tente en outre de contrecarrer le travail des équipes de défense de diverses manières. Dans de nombreux cas, la police bloque l’entrée du centre de détention pour empêcher les avocats de connaître le nom et le nombre de détenus.
D’autres tactiques consistent à refuser de transmettre aux avocats des informations pertinentes concernant leurs clients et à les empêcher de les conseiller.
Dans un commissariat de Nazareth, des officiers israéliens dirigeaient notoirement une « salle de torture », où les Palestiniens arrêtés, des manifestants aux passants et même aux avocats, étaient soumis à des violences physiques, verbales et psychologiques. À Umm al-Fahm, le commissariat a complètement fermé et cessé de répondre aux appels téléphoniques après l’insistance des avocats à invoquer les droits des détenus, en particulier ceux ayant besoin de soins médicaux.
La police israélienne a souvent pris des mesures punitives visant à épuiser les avocats, telles que retarder les interrogatoires jusqu’au petit matin ou les faire attendre de longues heures avant de rencontrer leurs clients, comme mes collègues et moi l’avons constaté dans un commissariat de Haïfa.
Souvent, la libération des détenus palestiniens était conditionnée au fait de s’engager à ne participer à aucune manifestation future. Beaucoup allaient être assignés à résidence pendant de longues périodes, tandis que d’autres allaient être expulsés de leur lieu de résidence ou d’étude. Des étudiants figuraient parmi les expulsés.
La plupart des juges passent outre les violences policières, les agressions contre les détenus, les effets horribles des violences physiques, les droits de l’enfant et même les arguments constitutionnels sur le droit des citoyens à manifester.
Les enfants pris pour cible
Il est évident que les procureurs israéliens visent intentionnellement de plus en plus les enfants palestiniens en déposant des appels contre leur libération et en les maintenant délibérément en détention malgré leur âge et leur situation.
Le soulèvement palestinien de 2021 a été accueilli par une politique de punition. Cette politique a été annoncée par le bureau du procureur de l’État dans ses déclarations et rapports périodiques, et a été réitérée à nouveau dans son rapport sur l’opération israélienne « Gardien des murs », qui résume les efforts déployés par l’État pour réprimer les manifestations de masse contre l’offensive israélienne sur Gaza de mai 2021.
Dans certains cas, le ministère public a fait appel avec succès, estimant que la peine était trop clémente et réclamant une peine plus sévère, que le juge a ensuite accordée.
Depuis avril 2021, le bureau du procureur de l’État d’Israël a déposé 397 actes d’accusation contre 616 accusés, parmi lesquels 545 Arabes dont 161 enfants. En d’autres termes, le pourcentage d’Arabes a atteint 88,5 %, les enfants représentant 26 % – un nombre très élevé qui relève de la punition collective.
Un « préambule d’ouverture unifié » a été préparé pour toutes les inculpations contre les accusés palestiniens. Le ministère public voulait donner un caractère général à toutes les accusations de manière collective et préventive. Il a également mis en place un quartier général de commandement spécial dans le but d’unifier la politique punitive, que le ministère public considérait comme étant « en mission nationale ». Et dans tous les dossiers, il a exigé l’arrestation jusqu’à la fin des procédures, qui ont duré de nombreux mois jusqu’à ce que le verdict soit rendu.
Le ministère public a adopté une politique et des critères stricts en refusant de libérer les détenus et en ciblant les enfants ; au lieu de chercher des alternatives à l’incarcération, il les a jugés comme des adultes et les a maintenus en détention. Sa politique s’est traduite par des chefs de mises en examen graves et l’adoption des dispositions relatives aux « actes terroristes », aux « antécédents racistes » et aux « crimes de haine », qui doublent les peines pour le même chef d’inculpation.
Des gardes-frontières israéliens patrouillent à Acre, une ville mixte du Nord-Ouest d’Israël, le 13 mai 2021 (AFP)
Sur les 397 mises en examen, 239 ont été considérées comme « aggravées » – 85 % d’entre elles ont été déposées contre des Arabes et 20 % contre des enfants –, exigeant une peine d’emprisonnement effective pendant des années. Des accusations de terrorisme ont été formulées contre 94 accusés, dont 90 % sont des Arabes ; 95 accusés ont été inculpés pour terrorisme sur la base de motivations racistes, dont 87 % étaient des Arabes.
Des accusations fondées sur des « motifs racistes » ont été formulées contre 50 accusés, dont 70 % sont des Arabes. Nous n’avons pas besoin d’une analyse plus approfondie des politiques discriminatoires dans la rédaction des mises en examen avant de procéder aux arrestations.
Jusqu’à présent, des verdicts ont été rendus dans 80 affaires, toutes passibles de peines de prison. Dans certains cas, le ministère public a fait appel avec succès, estimant que la peine était trop clémente et réclamant une peine plus sévère, que le juge a ensuite accordée.
En effet, le ministère public classe les citoyens arabes palestiniens comme des ennemis et a écrit dans son rapport : « Les Arabes ont commis des actes de sabotage et de violence contre les Juifs et leurs biens par rapport à un très petit nombre d’attaques de citoyens juifs contre les Arabes. »
C’est un renversement de la vérité car toutes les attaques contre les quartiers résidentiels ont été menées par des groupes juifs contre des quartiers arabes.
Rapport du contrôleur de l’État
Un rapport publié par le contrôleur de l’État le 27 juin 2022 confirme que les villes mixtes font partie de la scène publique israélienne et que ce qui s’y passe reflète les complexités de la société israélienne.
Le rapport aborde le soulèvement de mai 2021 et le décrit comme les événements qui se sont produits dans certaines de ces villes mixtes, notamment Haïfa, Acre, Lydda et Jaffa.
Il affirme que ces incidents, au cours desquels trois citoyens israéliens (dont deux citoyens palestiniens d’Israël) ont été tués, ont fait remonter à la surface les tensions existantes entre les différents groupes de population et ont souligné la nécessité de prendre des mesures aux niveaux public et local. Il souligne également l’importance d’examiner l’application de la loi dans ces villes.
Les pratiques racistes et violentes de la police israélienne sont au cœur de l’apartheid
Le rapport traite de « la faille dans les résultats de la police » à toutes les étapes, préparatoires et pendant la confrontation avec les incidents, et souligne que les incidents ont également montré une faiblesse et un déséquilibre dans le partage des rôles et des responsabilités entre la police et le Shin Bet, en raison de l’impréparation de la police face aux incidents.
En d’autres termes, il considère que la punition collective des citoyens palestiniens d’Israël lors de ces incidents est insuffisante et exige des mesures plus répressives de la part de la police et des peines de prison plus sévères imposées par les tribunaux.
Le rapport estime que la solution passe par les budgets municipaux. C’est comme si le remède à l’injustice historique et aux conséquences de la catastrophe palestinienne (Nakba), ainsi qu’aux lois discriminatoires racistes à leur encontre, était d’augmenter les budgets pour les Palestiniens dans ces villes palestiniennes historiques.
Plus d’un an après la campagne d’arrestations massives d’Israël, il est clair que l’État est déterminé à jouer l’escalade, faisant des citoyens palestiniens d’Israël un groupe démographique en danger.
Il n’est donc pas surprenant qu’alors qu’Israël attaquait à nouveau Gaza récemment, ses policiers et ses gardes-frontières, qui avaient doublé en nombre, ainsi que des gangs violents de droite étaient prêts à mener une campagne de répression contre les manifestants palestiniens.
- Janan Abdu est une avocate et militante des droits de l’homme basée à Haïfa. Elle cherche à sensibiliser et mobiliser un soutien international envers les prisonniers politiques palestiniens. Ses articles ont été publiés dans le Journal of Palestine Studies, le trimestriel du Centre d’études sur les femmes de l’Université de Birzeit, Al-Ra’ida (AUB), The Other Front (Centre d’information alternatif), Jadal (Mada al-Carmel). Parmi ses publications figure Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Janan Abdu is a lawyer and human rights activist based in Haifa. She is active in raising awareness about and mobilizing international support for Palestinian political prisoners. Her articles have appeared in the Journal of Palestine Studies; the quarterly of the Women’s Studies Center at Birzeit University; al-Ra’ida (AUB); The Other Front (Alternative Information Center); Jadal (Mada al-Carmel). Her publications include Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas (Mada al-Carmel, 2008).
27 avril 2022, checkpoint de Qalandia en Cisjordanie occupée. Des Palestiniens veulent se rendre à la mosquée Al-Aqsa pour y célébrer la Nuit du destin (Laylat al-Qadr) à la fin du ramadan
Abbas Momani
Auteur d’un projet de résolution cosigné cet été par 33 député·es de gauche sur « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien », le député communiste Jean-Paul Lecoq a subi un tombereau de critiques et d’injures. Il persiste et signe et répond ici, pour la première fois, à ses détracteurs.
Ce fut le mauvais buzz politique de l’été 2022 en France, à la mi-juillet. Le projet de résolution soumis au Parlement sur « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » a été décrié, rejeté. Son auteur, Jean-Paul Lecoq, ancien maire de Gonfreville dans l’agglomération du Havre, député de Seine-Maritime, vice-président de la commission des affaires étrangères, et ses 33 député·es cosignataires ont été accusé·es du pire. Pour le gouvernement, pour les pro-israéliens, pour la droite, mais aussi pour une partie de la gauche, parler d’apartheid à propos d’Israël serait abusif, voire antisémite. Pourtant cosigné par des élus communistes, la France Insoumise (FI), des Verts, socialistes et indépendants, bref issus de toutes les nuances de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), ce texte a en outre été jugé par certains à gauche malencontreux et inapproprié dans le contexte de l’été, après une longue séquence électorale. Y a-t-il un bon ou un mauvais moment pour évoquer une situation qui perdure depuis des décennies ? Abasourdi par la violence des attaques subies, Jean-Paul Lecoq a décidé de répondre pour la première fois, pour Orient XXI. Pour le député, sur l’apartheid israélien, « il est temps de dire les choses ».
Jean Stern. — Pourquoi avoir choisi de présenter votre projet de résolution sur l’apartheid israélien cet été ?
Jean-Paul Lecoq. — Il y a une quinzaine d’années, j’ai vécu une expérience à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) où j’étais l’un des députés représentant la France. Un député allemand avait alors présenté une résolution assimilant toute critique de la politique d’Israël à de l’antisémitisme. J’avais voté contre, comme l’ensemble des représentants français, de gauche, de droite et du centre. Je refuse de me résoudre à l’interdiction de parler.
J. S. — Vous n’avez donc pas été surpris de la violence des réactions à propos de cette résolution ?
J.-P. L. — Au moment de l’opération Plomb durci contre Gaza fin 2008-début 2009, j’ai fait partie d’une délégation parlementaire de haut niveau à se rendre sur place. Il y avait Bernard Accoyer, alors le président de l’Assemblée, Axel Poniatowski, Renaud Muselier, François Sauvadet, Jean-Marc Ayrault et moi-même. Je ne voulais pas participer à la rencontre avec Ehud Olmert, qui était le premier ministre israélien à l’époque. Et puis je me suis dit si tu as été élu, c’est aussi pour dire ce que tu penses à ces gens-là. Notre échange a été très vif, je lui ai parlé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, je lui ai aussi parlé de l’Afrique du Sud. Je ne fuis pas mes responsabilités, je pense qu’il faut dire les choses. De retour à l’hôtel, Accoyer m’a reproché ma prise de parole, mais Ayrault m’avait alors défendu en disant que ce que dit Lecoq, c’est ce que pensent 80 % des Français. Il faut continuer à dire que la situation en Israël et en Palestine n’est plus acceptable.
J. S. — D’où ce texte ?
J.-P. L. — Oui. En fait, il remonte à la mi-mai. Vous savez, je n’étais alors pas sûr d’être réélu, et je voulais laisser quelque chose. Sur la Palestine et Israël, après les Nations unies, après B’Tselem, après Amnesty International, il y avait de quoi s’appuyer pour dire que les choses étaient inacceptables. La résolution est sortie finalement en juillet, mais personne ne m’a entendu. Tous ceux qui m’agressaient ont fait campagne sur le vocable, sans parler du fond. Pourtant, ce n’était pas un mauvais moment, à une période où tout le monde en Europe évoquait des sanctions contre la Russie à propos de l’Ukraine.
J. S. — Vous vous attendiez à cette violence dans les réactions ?
J.-P. L. — De la part de Meyer Habib, cela ne m’a pas surpris. Mais je ne m’y attendais pas de la part d’un collègue socialiste comme Jérôme Guedj. Surtout qu’il ne m’en a pas parlé au préalable. Même chose de la part de Mathilde Panot et de Adrien Quatennens de la FI. Ils ont retiré leur signature sans même m’en parler, il y a eu zéro échange, rien. Pourtant on se voit souvent, je partage des actions militantes avec eux.
J. S. — Compte tenu des positions habituelles du parti socialiste, vous n’auriez pas dû être tellement surpris.
J.-P. L. — Une autre majorité, socialiste, avait voté pour la reconnaissance de l’État de Palestine…
J. S. — Qu’un gouvernement socialiste lui aussi n’avait pas avalisée…
J.-P. L. — Certes, et toutes ces contradictions méritent débat, mais rien ne justifie le niveau de violence que j’ai subi. Pourquoi en France je peux critiquer la Turquie, le Maroc, l’Iran et pourquoi je ne pourrais pas critiquer la politique d’Israël ? Au nom de quoi ? Sur l’apartheid, la définition des Nations unies s’applique par exemple à la Birmanie à propos des Rohingyas, sans que cela mette tout le monde en colère. Je veux débattre sur le fond.
J. S.— Vous avez été accusé d’antisémitisme.
J.-P. L. — Je n’ai pas envie de répondre, mais je ne me laisserai plus insulter. Mes multiples engagements comme élu local à Gonfreville, ceux de mon parti, se suffisent à eux-mêmes.
J. S.— La charge à l’Assemblée du ministre de la justice Éric Dupont-Moretti a été particulièrement violente contre votre résolution.
J.-P. L. — Il n’avait rien lu du tout, il n’était au courant de rien. Il fait son intervention à la tribune de l’Assemblée et nous décidons alors, mon groupe et moi, de quitter l’hémicycle. Je suis en bas et Dupont-Moretti vient me voir et me dit : « Ce n’est pas contre toi ». Je lui réponds : « Tu es en train de m’insulter, là ! » Mais comme la première ministre Élisabeth Borne ensuite, il était obsédé par les « islamo-gauchistes » de la FI. Ils ne savaient même pas que c’était une résolution d’origine communiste. Il y a quelque chose qui les aveugle. Ils condamnent avant même de lire. C’était pourtant l’occasion de mettre les bons mots sur des actes, de qualifier les choses convenablement.
J. S. — Comment comptez-vous donner suite à ce projet de résolution ?
J.-P. L. — Cette résolution, nous allons la faire vivre. Nous la présenterons bientôt dans une niche parlementaire. Et puis nous allons la transmettre à des groupes parlementaires proches de nous dans d’autres pays européens. J’ai l’intention de continuer à dire les choses, à ne pas lâcher la solidarité, à affirmer que le boycott est un acte pacifique. Je n’ai pas l’intention de lâcher.
Près de trente ans après les accords d’Oslo, la solution à deux États n’a plus guère de chances de se concrétiser. Tandis que la bande de Gaza subit un implacable blocus, les difficultés des habitants de la Cisjordanie, soumis à des mesures ségrégatives, ne cessent de s’aggraver. Si la direction politique palestinienne est en plein désarroi, la population, elle, ne plie pas.
Rehaf Al-Batniji, Gaza, 2018-2021
«ÀJérusalem, [M. Joseph] Biden signe le certificat de décès des Palestiniens (1). » Sous ce titre, le journaliste israélien Gideon Levy tirait le principal enseignement de la visite du président américain au Proche-Orient en juillet 2022. Celui-ci, du bout des lèvres, avait soutenu la solution à deux États, mais « pas à court terme », précisait-il. Que se passera-t-il à ce moment-là ? « Les Israéliens le décideront-ils seuls ? Les colons retourneront-ils chez eux volontairement ? Quand leur nombre aura atteint un million au lieu de 700 000, seront-ils satisfaits ? » C’est une page qui se tourne, poursuivait l’éditorialiste de Haaretz, celle où les Palestiniens ont joué la carte de la modération et de l’Occident. Désormais, avec les nouvelles lois contre le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), et les définitions déformées de l’antisionisme qui tendent à l’assimiler à l’antisémitisme, les États-Unis et l’Europe sont perdus pour les Palestiniens, dont « le sort risque de ressembler à celui des peuples indigènes des États-Unis ».
Les Palestiniens seront-ils réduits à s’entasser dans des réserves de « Peaux-Rouges » et à danser le dabkeh pour quelques touristes en mal d’exotisme ? Jamais, depuis la guerre israélo-arabe de juin 1967, leur situation politique, diplomatique et sociale n’a semblé aussi désespérée. Les Palestiniens avaient déjà connu une traversée du désert après la création d’Israël en 1948, la liquidation de leurs directions politiques, l’expulsion de plusieurs centaines de milliers d’entre eux dispersés à travers les camps de réfugiés. Mais en 1967-1969, les organisations de fedayins avaient créé la surprise et occupé le vide laissé par la défaite des pays arabes ; une nouvelle génération prenait les armes et proclamait que la libération serait l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes. La renaissance de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait signé le retour politique d’un peuple qu’Israël s’était promis d’effacer et avait permis à la Palestine de retrouver sa place sur la carte géopolitique. En quelques années, l’OLP s’implantait dans les camps de l’exil, notamment en Jordanie et au Liban, et dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. Peu à peu, elle sera reconnue comme le « seul représentant du peuple palestinien », ce que confirmera l’intervention de Yasser Arafat devant l’Assemblée générale des Nations unies en 1974.
Ni les détournements d’avions apparus à la fin des années 1960, ni l’assassinat d’athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich (1972), ni les attentats contre des civils en Israël ne freinèrent cette ascension. Comme le reconnaissait Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit, créées pendant l’occupation de la France, farouche défenseur de l’indépendance algérienne : « Pourquoi observeraient-ils [les Palestiniens] les règles du jeu de la guerre moderne, édictées à leur propre avantage par les nations installées (2) ? » On commençait à comprendre, même en Europe, même au niveau officiel, que « terrorisme » n’était pas une maladie mais le symptôme d’un blocage politique. En 1975, le président de la République française Valéry Giscard d’Estaing acceptait l’ouverture d’un bureau de l’OLP à Paris.
L’idée que la libération est au bout du fusil s’estompa cependant peu à peu. Expulsée de Jordanie en 1970-1971, l’OLP le fut à nouveau du Liban en 1982. Si le siège de Beyrouth à l’été 1982 fit basculer une partie des opinions européennes en faveur des Palestiniens — elles vécurent en direct les bombardements aveugles de la capitale libanaise par les canons, les avions et les chars du général israélien Ariel Sharon, sans parler des massacres de Sabra et Chatila (16 au 18 septembre 1982) —, il marqua un coup fatal à l’option militaire. D’autant que les régimes arabes avaient renoncé à affronter Israël et que le plus puissant d’entre eux — l’Égypte — signa même avec lui une paix séparée en 1979. Les opérations armées ponctuelles perdaient d’autant plus de leur efficacité que les combattants de l’OLP étaient dispersés loin des frontières de la Palestine, entre la Tunisie et le Yémen. Mais l’OLP disposait de deux cartes : le soutien de son peuple qu’allait confirmer la première Intifada (1987-1993) et la prise de conscience internationale, notamment européenne, qu’aucune paix sans elle n’était possible, ce qu’avait affirmé la déclaration de Venise de la Communauté économique européenne en juin 1980, qui reconnaissait le droit des Palestiniens à l’autodétermination et la nécessité d’associer l’OLP à toute négociation au Proche-Orient.
La fin de la guerre froide et l’effondrement du « camp socialiste », l’optimisme créé par le règlement de différents conflits — de l’Afrique australe à l’Amérique centrale —, la fatigue de la société israélienne après des années d’Intifada, l’exaspération des opinions occidentales face à la répression des Palestiniens allaient aboutir aux accords d’Oslo du 13 septembre 1993 signés par Arafat et le premier ministre israélien Itzhak Rabin, sous l’égide du président américain William Clinton. On pourrait résumer ainsi leur philosophie : une autonomie palestinienne devant déboucher au bout d’une période transitoire de cinq ans sur la création d’un État palestinien. Abandonnant l’idée d’un État démocratique sur tout le territoire historique de la Palestine, où coexisteraient musulmans, juifs et chrétiens (3), l’OLP s’était ralliée, poussée par les Occidentaux, faut-il le rappeler, au projet de deux États vivant côte à côte.
Aucune « offre généreuse » israélienne lors des négociations de Camp David
Mais les accords d’Oslo n’étaient pas un contrat entre deux partenaires égaux en droits, ils représentaient un arrangement imposé par un occupant à un occupé, dans un rapport de forces très défavorable au second. Les textes étaient flous, ambigus, favorables à Israël — par exemple, ils ne prévoyaient aucun arrêt de la colonisation de terres qui devaient pourtant être rendues aux Palestiniens (4). Pourraient-ils, malgré tout, déclencher une dynamique de paix ?
Non, car l’occupant imposa, à chaque étape, son seul point de vue avec l’appui des États-Unis et la complaisance de l’Union européenne. Seule une faible proportion des obligations inscrites dans les textes furent appliquées : tous les prisonniers politiques palestiniens ne furent pas libérés, le port de Gaza ne fut pas construit, le « passage sûr » entre la Cisjordanie et Gaza fut entrouvert avec cinq ans de retard. Le premier ministre israélien Rabin proclamait qu’« aucune date n’est sacrée », la colonisation continua de plus belle. Tel-Aviv imposa un découpage kafkaïen de la Cisjordanie. Les délais accumulés useront la patience des Palestiniens et renforceront le Hamas, qui dénonçait la voie de la négociation choisie par Arafat… « La paix », qui aurait dû déboucher sur l’indépendance et la prospérité, véhiculait avant tout vexations et privations.
Quand, en juillet 2000, s’ouvrit le sommet de Camp David entre le premier ministre israélien Ehoud Barak, Arafat et le président Clinton, afin de résoudre les problèmes en suspens (frontière, réfugiés, avenir des colonies, Jérusalem), l’Autorité palestinienne ne contrôlait que des confettis éparpillés sur 40 % de la Cisjordanie. On sait, par les différents témoignages des protagonistes, qu’il n’y eut aucune « offre généreuse » israélienne durant ces négociations. Tel-Aviv voulait annexer au moins 10 % de la Cisjordanie et maintenir sa mainmise sur Jérusalem, garder le contrôle des frontières, sauvegarder l’essentiel de ses colonies (5). L’échec était inévitable, mais M. Barak prétendit qu’Arafat en était responsable. Une seconde Intifada, inévitable, éclata en septembre 2000, avec son lot de morts, de bombardements et d’attentats. Entre-temps, M. Barak avait réussi à convaincre l’opinion israélienne qu’il n’y avait plus d’interlocuteur pour la paix, qu’il avait dévoilé « le vrai visage d’Arafat » ; ce n’est pas pour rien que le vieux militant israélien de la paix Uri Avnery le qualifia de « criminel de paix ».
Rehaf Al-Batniji, Gaza, 2018-2021.
Même ceux qui n’attribuaient pas l’échec du « processus de paix » au seul Arafat avaient trouvé un coupable idéal : les « extrémistes des deux bords ». Mais c’est occulter le facteur décisif, le refus israélien, gouvernement comme opinion publique, de reconnaître l’Autre, le Palestinien, comme un égal. Le droit des Palestiniens à la dignité, à la liberté, à la sécurité et à l’indépendance a été systématiquement subordonné à celui des Israéliens. Cette mentalité coloniale remonte à l’origine du mouvement sioniste, ce que nombre d’Occidentaux refusent d’admettre, les polémiques nées au sujet de l’existence d’un apartheid en Israël en témoignent.
Le 19 juillet 2018, le Parlement israélien vote une nouvelle loi fondamentale, intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif », dont l’article 1 précise : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au peuple juif », un droit refusé donc aux Palestiniens ; un autre article stipule que « l’État considère le développement de la colonisation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement » — ce qui signifie le droit de confisquer des terres, appartenant à des Palestiniens, qu’ils soient de Cisjordanie, de Jérusalem ou citoyens d’Israël. Ce texte entérine une situation d’apartheid que la Cour pénale internationale définit comme « un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ». En 2021, l’organisation israélienne B’Tselem concluait à l’existence d’« un régime de suprématie juive entre le fleuve Jourdain et la Méditerranée ». Elle sera suivie par deux grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales, Human Rights Watch et Amnesty International. Célébrées en Occident quand elles dénoncent la Chine, le Venezuela ou la Russie, elles ont été vilipendées et accusées d’antisémitisme.
Au-delà des condamnations qui, en France, reflètent la dérive d’une grande partie de la classe politique en faveur d’Israël depuis les années 2000, pourquoi des gens bien intentionnés, sincères, parfois hostiles à l’occupation, ont du mal à accepter ce qui pourtant a été confirmé par une loi en Israël ? Mettant en avant les différences, réelles, entre l’Afrique du Sud et Israël, ils cherchent à « sauver » une certaine image d’Israël, sorte de « miracle », qui aurait permis le « droit au retour » des Juifs exilés depuis la destruction du Temple par les Romains.
Or l’histoire réelle, concrète, quotidienne du mouvement sioniste politique depuis sa création à la fin du XIXe siècle, en tenant compte des divergences profondes qui le traversaient, se confond avec le mouvement de conquête du monde par l’Occident, il en porte les stigmates. Au moment même où éclatait la guerre de 1967, l’orientaliste français Maxime Rodinson, lui-même de confession juive, écrivait en conclusion d’un article intitulé « Israël, fait colonial ? », publié dans la revue Les Temps modernes : « Je crois avoir démontré que la formation de l’État d’Israël sur la terre palestinienne est l’aboutissement d’un long processus qui s’insère parfaitement dans le grand mouvement d’expansion européo-américain des XIXe et XXe siècles pour peupler et dominer économiquement et politiquement les autres peuples. » À l’époque d’ailleurs, le fondateur du sionisme politique Theodor Herzl le revendiquait ouvertement, par exemple dans une lettre à Cecil Rhodes, l’un des conquérants britanniques de l’Afrique australe : « Mon programme est un programme colonial. »
Ce caractère colonial du mouvement sioniste a signifié, dès l’origine, une politique de « séparation », d’apartheid avant la lettre, entre les colons et les autochtones. Comme en Amérique du Nord, en Australie, en Afrique australe ou en Algérie, le colonialisme de peuplement a toujours considéré les habitants originels comme des occupants illégitimes, que l’on peut expulser, voire massacrer en toute bonne conscience, au nom de Dieu ou de la « civilisation ».
Quant au lien entre le « peuple juif » et la Terre sainte, qui ferait du colonialisme sioniste « un cas à part », Rodinson ironisait : « Je ne parlerai que pour mémoire des droits historiques sur la terre de Palestine qui seraient dévolus à tous les Juifs, ne faisant pas à mes lecteurs l’affront de les croire séduits par cet argument. » Comme le déclare joliment le chercheur israélien Ilan Pappé : « La plupart des sionistes ne croient pas en Dieu (6), mais ils croient qu’Il leur a donné la Palestine. » Ce que pensent nombre d’Occidentaux, même antireligieux. Pourtant quel tribunal pourrait admettre la Bible comme titre de propriété ?
Israël devrait tirer une leçon et prendre exemple de l’indépendance de l’Algérie, d’après un professeur de l’Université de Columbia située à New York aux États-Unis d’Amérique. Dzair Daily vous livre davantage de détails à cet égard, dans son édition du mercredi 17 août 2022.
Le colonisateur français, rappelons-le, a causé une destruction majeure et à très grande échelle d’un pays entier, « l’Algérie ». Le colon a en effet semé le chaos pendant plusieurs décennies. Toutefois, à proprement dit, tel un phœnix, l’Algérie a pu renaître de ses cendres, et sortir du fond du gouffre, son histoire doit servir d’exemple, particulièrement à Israël, selon un professeur américain.
Durant près d’un siècle et demi, la France a tenté par tous les moyens d’inculquer sa culture en un peuple, dit « Indigène ». Son ultime but était de dérouter le peuple autochtone en portant atteinte à ses mœurs et à ses coutumes. Les hostilités qu’ont vécues les Algériens par le régime colonial français sont incontestables. Il est question de ce que rapporte le site Web Middle East Eye.
Dans le même contexte, cette guerre génocidaire française a duré de 1954 à 1962. Il aurait fallu à plus d’un million et demi de martyrs de se sacrifier durant ces 7 ans. Voilà ce qu’a coûté cette guerre de libération. Il sied de dire que sans ce combat, on n’aurait jamais songé à respirer une Algérie libre et indépendante. Cela, après plus d’un siècle et demi.
Joseph Massad : la guerre d’Algérie est une clé pour tout peuple opprimé
Par ailleurs, le professeur Joseph Massad, de l’université de Columbia, à New York, évoque la cause israëlo-palestinienne. Étant donné que l’histoire politique et intellectuelle arabo-moderne est son domaine, Joseph estime que la Palestine pourrait suivre la voie de ses confrères algériens. Il s’agit là de ce que rapporte la même source.
Le professeur américain fait également nuance à une probable guerre de libération en Palestine. Puisque l’Algérie a élevé sa voix dans la sphère internationale après plus d’un siècle et demi. Rien n’empêche la Palestine de continuer à se battre contre le peule israélien, pour sa liberté.
Joseph conclut ses propos en incitant Israël à méditer l’impressionnante histoire de la guerre d’Algérie. Il ajoute à cet effet : « Les dirigeants israéliens devraient tirer les leçons de la victoire du peuple algérien contre l’oppression coloniale ».
Israël a attaqué en premier et perdu en dernier lieu. D. R.
Voici deux images de la guerre à Ghaza (prononciation en arabe) le 5 août 2022 d’un film dont le titre serait «rue de l’impasse». La première image est un missile tiré par un avion israélien avec une voix off qui prétend qu’il a fallu quelques secondes à «Tsahal» pour gagner la guerre (1). La seconde image est celle d’un combattant palestinien derrière un arbuste avec un AK 47 (Kalachnikov) pointant un kibboutz déserté et plongé dans un silence de cimetière. La première image est celle d’un jeu vidéo où l’on peut dire n’importe quoi. La deuxième est une «vraie image» de guerre en symbiose avec l’art de la guerre, gagner ou faire peur à l’ennemi, sans avoir à tirer une balle. Voilà en substance le déroulement du film d’une guerre préventive menée par Israël du 5 au 7 août résumée par un stratège israélien, ancien colonel de l’armée.
Pour ce stratège, le DCA du dôme de fer a techniquement réussi sa mission mais la guerre a été perdue puisque Israël a arrêté la guerre et traité avec un ennemi «terroriste» qui devient un interlocuteur avec qui on signe une trêve. Il résume ainsi des différentes étapes de l’échec de la stratégie israélienne. Historiquement, Israël (2) a, dès le début, voulu traiter avec les Etats arabes et non avec l’OLP «terroriste». Il a fini par signer les Accords d’Oslo avec cette OLP. Accords qui n’ont pas porté de fruits. Alors, il joua une organisation palestinienne peu connue, le Hamas contre l’OLP.
Evidemment, comme il n’y a jamais deux sans trois, le vendredi 5 août, Israël déclencha sa guerre préventive «liquider» le Jihad islamique et avoir affaire au seul Hamas. Résultat de la séquence du 5 août, il perdit sa guerre préventive et favorisa l’union de la résistance qui devient son seul interlocuteur. Il n’a pas encore compris que nous ne sommes pas dans un parlement en temps de paix, où l’on peut s’adonner à des magouilles en s’alliant avec un groupe pour en éliminer un élément gênant. Il est temps pour lui qu’il se rende compte que l’histoire se déroule sur un vrai champ de guerre et qu’il cesse de se prendre pour le plus intelligent des acteurs de guerre et pouvoir manipuler à sa guise les gens…
Maintenant que la trêve a été signée, Israël essaie de masquer son échec comme il a essayé de cacher les raisons de sa guerre préventive. A ce propos, c’est la deuxième fois qu’il reconnaît avoir déclenché une guerre préventive. La première fois, c’était le 5 juin 1967 en attaquant l’Egypte, la Syrie et la Jordanie. Ça lui a valu une volée de bois vert de la part de De Gaulle avec son fameux discours «Israël fier et dominateur». Une qualification qui écorcha son utilisation du mythe biblique de David et Goliath. Ainsi, la guerre préventive n’a pas été menée sur un coup de tête. Toute vraie analyse et tout futur historien ne peuvent faire l’économie de cerner les raisons politiques du présent et du contexte historique où le passé, présent et futur forment un ensemble comme dans les mathématiques modernes. Voyons les sous-ensembles de cet ensemble.
La résistance en Palestine. La guerre préventive a été déclenchée avec l’arrestation d’un dirigeant du Jihad islamique à Jénine. Cette ville palestinienne réveille des cauchemars dans l’armée israélienne. Avec les différentes intifadhas, après les Accords d’Oslo, Jénine était devenue un bastion de la résistance et l’armée israélienne a laissé à chaque fois des plumes sur le champ de bataille. C’est ce qui se passe depuis des mois et l’arrestation du dirigeant du Jihad islamique a été la goutte d’eau qui fit déborder le bocal. Craignant une deuxième Gaza en plein Palestine occupée, Israël lança son opération «Aurore» qui va se transformer en une horreur défaite. Le nouveau Premier ministre intérimaire pensa tenir là une victoire qui allait servir ses ambitions politiques dans la prochaine élection, la cinquième en deux ans. Voilà pour les variables internes qui servent de carburant au moteur d’explosion israélien.
La conjoncture internationale. Le gouvernement intérimaire pensa mettre à profit l’état du monde préoccupé par la guerre en Ukraine et la tension à Taïwan où les trois grandes puissances se regardent en chiens de faïence et le moindre petit caprice d’irresponsable en mal de célébrité peut déclencher l’apocalypse nucléaire. Dans pareille situation, les morts et les souffrances des Palestiniens ne comptent guère, avaient pensé les «fins» stratèges qui conseillent le gouvernement israélien. Manque de pot, le monde ami avait d’autres chats à fouetter que de venir, comme d’habitude, verser son venin contre les «terroristes» qui déversent sur le gentil David une pluie de roquettes. Ça la fout mal en pareille circonstance de condamner l’invasion de l’Ukraine et d’applaudir Israël, puissance nucléaire qui a en face de lui un peuple qui lui oppose sa poitrine avec pour seules armes son courage et son AK 47.
Que faire pour Israël ? En dépit de tous ces obstacles, Israël se lança dans son aventure qui se solde par un échec cuisant. Pourquoi ? Parce que son cauchemar est, et reste, l’Iran qui va finir par sortir vainqueur des négociations de Vienne sur le nucléaire. Pareille défaite pour Israël signifie, outre les dollars gelés dans les banques américaines, que l’Iran va récupérer, il y a le niveau de l’enrichissement de l’uranium atteint par les Iraniens. Pour échapper à ce scénario cauchemar, Israël pensa liquida le Jihad islamique (qui obéit, soi-disant, à l’Iran), pour négocier avec le seul Hamas (plus copain avec le Qatar et ses dollars) avec lequel il finirait par signer des accords comme avec l’OLP, des accords qui ne sont, à ses yeux, que du papier.
Là aussi, erreur sur toute la ligne. La victoire n’était au bout des 170 secondes qu’il a fallu à l’armée pour assassiner un commandant du Jihad islamique mais ces secondes étaient le compte à rebours de ses supplications auprès de l’Egypte pour signer une trêve. J’ouvre une parenthèse qui fait sourire les Algériens qui connaissent la musique de couper la tête du serpent pour mettre fin à sa vie. Ça nous rappelle le détournement par la France du l’avion des dirigeants du FLN en 1956.
Faire la comparaison avec un pauvre serpent qui n’a pas la chance d’appartenir à une société d’hommes et de femmes dotée d’une conscience historique, c’est être encore plus désarmé que le pauvre serpent. L’assassinat de dirigeants du Jihad auquel avait cru une société israélienne fatiguée et angoissée ne va pas mettre fin à la guerre. L’Iran avec ou sans le Jihad islamique sera toujours l’Iran et rien ne pourra l’empêcher de défendre ses intérêts dans une région où il habite depuis la nuit des temps. Contrairement à ces envahisseurs de l’histoire de l’Antiquité comme ceux de notre époque avec les Ottomans, les British, l’Oncle Sam et les nouveaux lecteurs de la Bible.
Il n’y a pas meilleure conclusion que la phrase de l’ex-colonel israélien cité plus haut «le vainqueur de ces trois jours est le Hamas, certes la technologie nouvelle des dômes de fer protège mieux les populations mais ce qui compte ce sont les hommes qui sont aux commandes politiques». Le deuxième «personnage» de la guerre de la désinformation, contrairement à l’ex-colonel, fasciné par la nouvelle technologie, est un journaliste qui cria victoire après les premières secondes de la guerre qui se sont traduites par l’assassinat d’un commandant du Jihad islamique à Ghaza. Trois jours après, la joie ayant disparu de son visage, il annonça l’accord de la trêve basée essentiellement sur la libération de Bassam El-Saïd, responsable du Jihad islamique arrêté quelques jours plutôt à Jénine. Ce genre de petit soldat de la désinformation me rappelle les bataillons des «experts» qui annonçaient chaque jour des victoires de plus en plus éclatantes. Des «victoires» qui prépareraient la «foudroyante contre-offensive» de l’armée ukrainienne depuis des mois, pour mieux faire oublier les villes qui changeaient de drapeaux sur le fronton des mairies. Pitoyable façon de remonter le moral des gens avec pareils mensonges. La guerre en Ukraine, la riposte de la Chine après la visite d’une parlementaire américaine à Taïwan qui a oublié que cette île est chinoise et les trois jours de guerre en Palestine sont la preuve que la guerre reste la guerre. Qu’elle ne se gagne pas avec les blablas d’un langage cuisiné avec des mots de l’impuissance.
Ce langage s’appelle la post-vérité. C’est quoi la post-vérité, une technique qui construit sa «vérité» en faisant confiance uniquement aux fantasmes de ces techniciens. Le contraire des scientifiques et des intellectuels qui construisent des notions et concepts, des idées, à partir de la réalité en les rendant lisible en dépit de la complexité des réels de la vie. Pour le commun des mortels, le travail des scientifiques et intellectuels, c’est l’assurance de ne pas mourir idiot et en lui procurant du plaisir qui plus est en découvrant les merveilles du monde dont les mortels que nous sommes ignorent souvent l’existence.
Pour revenir à la Palestine, l’aventure de la colonisation de cette terre, de ce pays si cher, ne pouvait que se traduire que par une impasse. La dynamique de l’histoire et les guerres interminables mènent droit à cette impasse Ce ne sont pas seulement les victimes, les Palestiniens qui le crient chaque jour mais aussi des citoyens juifs comme Freud et même Ben Gourion, premier président de l’Etat d’Israël, qui déclara : «Si j’étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C’est normal ; nous avons pris leur pays. Il est vrai que Dieu nous l’a promis, mais comment cela pourrait-il les concerner ? Notre Dieu n’est pas le leur.» Rien à ajouter !
Israël a attaqué en premier et perdu en dernier lieu. D. R.
Une contribution d’Ali Akika – Voici deux images de la guerre à Ghaza (prononciation en arabe) le 5 août 2022 d’un film dont le titre serait «rue de l’impasse». La première image est un missile tiré par un avion israélien avec une voix off qui prétend qu’il a fallu quelques secondes à «Tsahal» pour gagner la guerre (1). La seconde image est celle d’un combattant palestinien derrière un arbuste avec un AK 47 (Kalachnikov) pointant un kibboutz déserté et plongé dans un silence de cimetière. La première image est celle d’un jeu vidéo où l’on peut dire n’importe quoi. La deuxième est une «vraie image» de guerre en symbiose avec l’art de la guerre, gagner ou faire peur à l’ennemi, sans avoir à tirer une balle. Voilà en substance le déroulement du film d’une guerre préventive menée par Israël du 5 au 7 août résumée par un stratège israélien, ancien colonel de l’armée.
Pour ce stratège, le DCA du dôme de fer a techniquement réussi sa mission mais la guerre a été perdue puisque Israël a arrêté la guerre et traité avec un ennemi «terroriste» qui devient un interlocuteur avec qui on signe une trêve. Il résume ainsi des différentes étapes de l’échec de la stratégie israélienne. Historiquement, Israël (2) a, dès le début, voulu traiter avec les Etats arabes et non avec l’OLP «terroriste». Il a fini par signer les Accords d’Oslo avec cette OLP. Accords qui n’ont pas porté de fruits. Alors, il joua une organisation palestinienne peu connue, le Hamas contre l’OLP.
Evidemment, comme il n’y a jamais deux sans trois, le vendredi 5 août, Israël déclencha sa guerre préventive «liquider» le Jihad islamique et avoir affaire au seul Hamas. Résultat de la séquence du 5 août, il perdit sa guerre préventive et favorisa l’union de la résistance qui devient son seul interlocuteur. Il n’a pas encore compris que nous ne sommes pas dans un parlement en temps de paix, où l’on peut s’adonner à des magouilles en s’alliant avec un groupe pour en éliminer un élément gênant. Il est temps pour lui qu’il se rende compte que l’histoire se déroule sur un vrai champ de guerre et qu’il cesse de se prendre pour le plus intelligent des acteurs de guerre et pouvoir manipuler à sa guise les gens…
Maintenant que la trêve a été signée, Israël essaie de masquer son échec comme il a essayé de cacher les raisons de sa guerre préventive. A ce propos, c’est la deuxième fois qu’il reconnaît avoir déclenché une guerre préventive. La première fois, c’était le 5 juin 1967 en attaquant l’Egypte, la Syrie et la Jordanie. Ça lui a valu une volée de bois vert de la part de De Gaulle avec son fameux discours «Israël fier et dominateur». Une qualification qui écorcha son utilisation du mythe biblique de David et Goliath. Ainsi, la guerre préventive n’a pas été menée sur un coup de tête. Toute vraie analyse et tout futur historien ne peuvent faire l’économie de cerner les raisons politiques du présent et du contexte historique où le passé, présent et futur forment un ensemble comme dans les mathématiques modernes. Voyons les sous-ensembles de cet ensemble.
La résistance en Palestine. La guerre préventive a été déclenchée avec l’arrestation d’un dirigeant du Jihad islamique à Jénine. Cette ville palestinienne réveille des cauchemars dans l’armée israélienne. Avec les différentes intifadhas, après les Accords d’Oslo, Jénine était devenue un bastion de la résistance et l’armée israélienne a laissé à chaque fois des plumes sur le champ de bataille. C’est ce qui se passe depuis des mois et l’arrestation du dirigeant du Jihad islamique a été la goutte d’eau qui fit déborder le bocal. Craignant une deuxième Gaza en plein Palestine occupée, Israël lança son opération «Aurore» qui va se transformer en une horreur défaite. Le nouveau Premier ministre intérimaire pensa tenir là une victoire qui allait servir ses ambitions politiques dans la prochaine élection, la cinquième en deux ans. Voilà pour les variables internes qui servent de carburant au moteur d’explosion israélien.
La conjoncture internationale. Le gouvernement intérimaire pensa mettre à profit l’état du monde préoccupé par la guerre en Ukraine et la tension à Taïwan où les trois grandes puissances se regardent en chiens de faïence et le moindre petit caprice d’irresponsable en mal de célébrité peut déclencher l’apocalypse nucléaire. Dans pareille situation, les morts et les souffrances des Palestiniens ne comptent guère, avaient pensé les «fins» stratèges qui conseillent le gouvernement israélien. Manque de pot, le monde ami avait d’autres chats à fouetter que de venir, comme d’habitude, verser son venin contre les «terroristes» qui déversent sur le gentil David une pluie de roquettes. Ça la fout mal en pareille circonstance de condamner l’invasion de l’Ukraine et d’applaudir Israël, puissance nucléaire qui a en face de lui un peuple qui lui oppose sa poitrine avec pour seules armes son courage et son AK 47.
Que faire pour Israël ? En dépit de tous ces obstacles, Israël se lança dans son aventure qui se solde par un échec cuisant. Pourquoi ? Parce que son cauchemar est, et reste, l’Iran qui va finir par sortir vainqueur des négociations de Vienne sur le nucléaire. Pareille défaite pour Israël signifie, outre les dollars gelés dans les banques américaines, que l’Iran va récupérer, il y a le niveau de l’enrichissement de l’uranium atteint par les Iraniens. Pour échapper à ce scénario cauchemar, Israël pensa liquida le Jihad islamique (qui obéit, soi-disant, à l’Iran), pour négocier avec le seul Hamas (plus copain avec le Qatar et ses dollars) avec lequel il finirait par signer des accords comme avec l’OLP, des accords qui ne sont, à ses yeux, que du papier.
Là aussi, erreur sur toute la ligne. La victoire n’était au bout des 170 secondes qu’il a fallu à l’armée pour assassiner un commandant du Jihad islamique mais ces secondes étaient le compte à rebours de ses supplications auprès de l’Egypte pour signer une trêve. J’ouvre une parenthèse qui fait sourire les Algériens qui connaissent la musique de couper la tête du serpent pour mettre fin à sa vie. Ça nous rappelle le détournement par la France du l’avion des dirigeants du FLN en 1956.
Faire la comparaison avec un pauvre serpent qui n’a pas la chance d’appartenir à une société d’hommes et de femmes dotée d’une conscience historique, c’est être encore plus désarmé que le pauvre serpent. L’assassinat de dirigeants du Jihad auquel avait cru une société israélienne fatiguée et angoissée ne va pas mettre fin à la guerre. L’Iran avec ou sans le Jihad islamique sera toujours l’Iran et rien ne pourra l’empêcher de défendre ses intérêts dans une région où il habite depuis la nuit des temps. Contrairement à ces envahisseurs de l’histoire de l’Antiquité comme ceux de notre époque avec les Ottomans, les British, l’Oncle Sam et les nouveaux lecteurs de la Bible.
Il n’y a pas meilleure conclusion que la phrase de l’ex-colonel israélien cité plus haut «le vainqueur de ces trois jours est le Hamas, certes la technologie nouvelle des dômes de fer protège mieux les populations mais ce qui compte ce sont les hommes qui sont aux commandes politiques». Le deuxième «personnage» de la guerre de la désinformation, contrairement à l’ex-colonel, fasciné par la nouvelle technologie, est un journaliste qui cria victoire après les premières secondes de la guerre qui se sont traduites par l’assassinat d’un commandant du Jihad islamique à Ghaza. Trois jours après, la joie ayant disparu de son visage, il annonça l’accord de la trêve basée essentiellement sur la libération de Bassam El-Saïd, responsable du Jihad islamique arrêté quelques jours plutôt à Jénine. Ce genre de petit soldat de la désinformation me rappelle les bataillons des «experts» qui annonçaient chaque jour des victoires de plus en plus éclatantes. Des «victoires» qui prépareraient la «foudroyante contre-offensive» de l’armée ukrainienne depuis des mois, pour mieux faire oublier les villes qui changeaient de drapeaux sur le fronton des mairies. Pitoyable façon de remonter le moral des gens avec pareils mensonges. La guerre en Ukraine, la riposte de la Chine après la visite d’une parlementaire américaine à Taïwan qui a oublié que cette île est chinoise et les trois jours de guerre en Palestine sont la preuve que la guerre reste la guerre. Qu’elle ne se gagne pas avec les blablas d’un langage cuisiné avec des mots de l’impuissance.
Ce langage s’appelle la post-vérité. C’est quoi la post-vérité, une technique qui construit sa «vérité» en faisant confiance uniquement aux fantasmes de ces techniciens. Le contraire des scientifiques et des intellectuels qui construisent des notions et concepts, des idées, à partir de la réalité en les rendant lisible en dépit de la complexité des réels de la vie. Pour le commun des mortels, le travail des scientifiques et intellectuels, c’est l’assurance de ne pas mourir idiot et en lui procurant du plaisir qui plus est en découvrant les merveilles du monde dont les mortels que nous sommes ignorent souvent l’existence.
Pour revenir à la Palestine, l’aventure de la colonisation de cette terre, de ce pays si cher, ne pouvait que se traduire que par une impasse. La dynamique de l’histoire et les guerres interminables mènent droit à cette impasse Ce ne sont pas seulement les victimes, les Palestiniens qui le crient chaque jour mais aussi des citoyens juifs comme Freud et même Ben Gourion, premier président de l’Etat d’Israël, qui déclara : «Si j’étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C’est normal ; nous avons pris leur pays. Il est vrai que Dieu nous l’a promis, mais comment cela pourrait-il les concerner ? Notre Dieu n’est pas le leur.» Rien à ajouter !
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