Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Avant octobre 2023 on souhaitait l'indépendance de la Palestine, du Sahara occidental et de tous les pays colonisés, mais depuis quelques jours, on souhaite avant tout la sauvegarde des Ghazaouis. J'ai écrit mille et un fois que le colonialisme de peuplement est synonyme de génocide et logiquement l'indépendance ne vient qu'après avoir survécu à ce dernier, comme en Algérie. Le fait que n'ayant jamais inscrit cette survie comme victoire de la résistance des peuples sur les génocides du capitalisme occidental, dans l'histoire, nous ne pouvions pas prendre conscience que le combat des Palestiniens aujourd'hui est dabord une résistance au Capital+300% que dirige Netanyahu et « Génocide Joe »
Karl Marx (1818-1883) disait : « Le Capital a horreur de l'absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le Capital devient hardi. A 20%, il devient enthousiaste. A 50%, il est téméraire, à 100%, il foule aux pieds toutes les lois humaines et à 300%, il ne recule devant aucun crime »
S'il avait voulu mériter son surnom, il aurait ajouté : Comme celui commis dans les colonies et qui a transformé la classe politique dominante occidentale en anthropophage et qui depuis des siècles continue de dévorer les colonies et les ex-colonies, de les dépouiller de leurs richesses matérielles et immatérielles. L'avidité s'est imprégnée en eux comme une première qualité de leur «humanisme», jusqu'à l'enseigner à leurs chérubins, comme ceux qui bombardent Ghaza depuis des mois
Nous appartenons à un univers où les astronomes viennent d'identifier un trou noir qui absorbe l'équivalent d'un soleil par jour. Dans ce cas le trou noir s'éclaircit ou s'assombrit en avalant une lumière ? Ce « sacrifice » du soleil aurait-t-il un lien avec le sacrifice terrestre, celui d'Abraham ?
Les juifs avaient abandonné le sacrifice du mouton, à juste titre écrivait Mohamed Dib, jusqu'au jour où les évangélistes chrétiens, ces descendants des génocidaires Amérindiens, les ont regroupés en Palestine en leur disant que ses habitants sont comme les moutons. Vous connaissez la suite.
Le capitalisme est un processus en développement depuis des siècles. Son profit dépasse souvent les 300% qui l'empêchent d'arrêter ses crimes. La question est comment stopper ce processus ou du moins comment le stopper au niveau de la témérité.
Le génocide que pratique Israël sur les Palestiniens a été dénoncé par la CIP le 26.01.24 qui a influencé des pays dits puissants, jusqu'aux votes majoritaires en faveur d'un cessez-le-feu que seul le veto des étatsuniens et par la suite son vote négatif, l'unique à l'ONU a fait échouer. On constate que le monde a fini par mettre la plus grande puissance criminelle du monde au banc des accusés par la Cour internationale pénale qui répondit non pas à la Justice mais à un rapport de force en faveur des peuples. Ce n'est certes pas suffisant mais c'est un début d'espoir du bannissement des « Génocide Joe », qui nous encourage à poursuivre. Comment consolider cet acquis ne relève pas de la morale mais de faits vivants, comme celui du secteur public, qui tout en étant moins performant, à cause de dirigeants qui sont dans les deux sphères à la fois, est plus utile à la majorité que le secteur privé plus performant, mais où le profit est grand mais ne profite qu'à une infime minorité. Celle-là même qui pousse à la guerre. On a des hommes plus riches que des nations, où des citoyens manquent de nourriture et de logement. Les politiciens de ces nations ne dénoncent pas cette injustice, ils dénoncent des « abus » de leurs voisins Russe, Chinois, Türkiye, Algériens. Ils ne dénoncent pas le massacre des Palestiniens, ils l'approuvent et font la guerre à tous ceux qui veulent cheminer une autre voie que celle qui mène au génocide.
Pour continuer à faire la lessive des mots. Il faut rappeler que le génocide arménien a été commis par l'empire ottoman lors de la guerre 14 /18. Après leur victoire, la Grande-Bretagne et la France se divisent des colonies de l'empire (La Syrie et le Liban pour la France et l'Irak, l'Arabie et la Palestine pour la Grande -Bretagne) mais échouent à s'emparer de la Turquie qui, elle, résiste par une guerre de libération menée par Mustapha Kamel qui après la victoire est gratifié plus tard du nom d'Atatürk. Si la France accuse la Türkiye du génocide des Arméniens c'est parce qu'elle a échoué face à sa guerre de libération. En tant que puissance coloniale, la France n'admet pas la défaite, alors, elle la poursuit par une guerre des mémoires, comme pour l'Algérie. A ma connaissance la Türkiye ne revendique pas le génocide, la France si ; elle en est même fière du massacre des Africains puisqu'elle promeut ses génocidaires et ses tortionnaires à des postes politiques comme Le Pen et des généraux dans l'Armée, tout en qualifiant sa colonisation de civilisatrice par son Parlement.
Cette semaine il y a peut-être des Algériens qui se demandent pourquoi tant de mobilisation autour du Forum des exportateurs de gaz. Il ne s'agit pas d'une simple rencontre mais de la consolidation des acquis du secteur public. Les producteurs de gaz veulent s'assurer que le prix de leur matière soit plus ou moins stable en toute circonstance. Pour cela, ils doivent se concerter plus souvent et régulièrement pour maintenir le profit des intermédiaires dans les normes qu'ils se fixent.
Le problème est comment irriguer les gazoducs, ces artères du monde d'aujourd'hui, sans discontinuité et en toute sécurité, au profit du producteur et du consommateur à la fois. Seule la concertation permet aux producteurs de ne pas brader sa plus-value qui est fournie non seulement par une richesse naturelle mais aussi d'un travail de haute technicité, d'installations complexes, de beaucoup d'investissement de l'Etat. L'enjeu est comment améliorer la plus-value, tout en la pérennisant. Pour cela le 7e Sommet, des chefs d'Etat et de gouvernement du Forum des pays exportateurs du gaz naturel, le GECF déclare le 2.03.24 à Alger, rien moins, que de « préserver les intérêts des producteurs et des consommateurs »
Il faut peut-être rappeler que le gaz n'a pas toujours été indexé sur le pétrole. Son prix était beaucoup plus bas que ce dernier. A ce sujet, le défunt Chadli Bendjedid en avait parlé au Saoudien Ahmed Zaki Yamani. En l'écoutant, le visage de ce dernier s'imprégnait d'un sourire en coin, comme réponse super négative. Je ne sais pas exactement depuis quand le gaz naturel est indexé sur le pétrole, par contre je sais, par le SG de la GECF qui a déclaré que « l'âge d'or du gaz naturel est bien devant nous et non derrière nous » et non le contraire, comme le prétendent les producteurs européens du nucléaire et leurs acolytes dont leurs écologistes poliQUES.
Au 159e jour de l'agression israélienne contre Ghaza, correspondant au 3e jour du Ramadan, le nombre de victimes s'est élevé à 31.272 martyrs et 73.244 blessés, a annoncé hier le ministère de la Santé de l'enclave. Durant les précédentes 24 heures (la journée de mardi) l'armée sioniste a commis 10 massacres faisant 88 martyrs et 135 blessés, ajoute la même source.
Le ministère de la Santé à Ghaza a également ajouté que le nombre d'enfants martyrs à cause de la famine est passé à 27. «Nous avons perdu 27 enfants à cause de la malnutrition et du manque de préparations pour nourrissons dans le nord de Ghaza», affirme le ministère, précisant que dans cette partie de l'enclave des «milliers d'enfants souffrent de graves complications dues au manque de lait infantile», et appelant «les institutions des Nations Unies et les organisation pour la protection des enfants dans le monde entier à fournir du lait aux enfants».
Au 3e jour du mois sacré de Ramadan, l'armée israélienne a continué à bombarder les différentes régions de Ghaza, au nord, au centre et au sud.
Hier, un bombardement de l'armée sioniste a fait au moins 4 martyrs et des blessés dans le ciblage d'un centre de distribution d'aide humanitaire affilié à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), dans le centre de Rafah, au sud de la bande de Ghaza.
Au centre-ville de Rafah, un bombardement israélien a fait 1 martyr et plusieurs blessés, a rapporté un correspondant d'Al Jazeera.
La même source a également rapporté des martyrs et des blessés dans plusieurs bombardements à Khan Younes, au sud de Ghaza, et dans le camp Al Bureij dans le centre de l'enclave.
A Khan Younes, l'armée israélienne a pris pour cible une voiture sur la route de Maraj, au sud de la ville, faisant au moins un martyr et des blessés, alors qu'un bombardement d'artillerie visant des tentes de personnes déplacées à l'ouest du gouvernorat a fait également plusieurs victimes.
Le correspondant d'Al Jazeera a rapporté 6 martyrs et plusieurs blessés dans un bombardement sioniste ayant visé la maison de la famille Awad dans le camp de réfugiés d'Al-Bureij.
Par ailleurs, 12 corps de martyrs ont été retrouvés, par les éléments du Croissant Rouge Palestinien, hier, dont 6 récupérés sous les décombre de leur maison bombardée à Deir Al Balah, dans le centre de Ghaza et 6 autres retrouvés dans la ville de Hamad, au sud de la bande enclavée.
UNRWA: aucune volonté internationale d'apporter de l'aide à Ghaza
Mardi, le porte-parole de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), Kazem Abu Khalaf, a déclaré que «la voie à suivre pour acheminer l'aide à Ghaza est claire, mais il n'existe aucune volonté internationale de l'acheminer par voie terrestre».
La situation est tragique et douloureuse à Ghaza, et les points de passage sont le moyen de faciliter l'entrée de l'aide humanitaire. C'est plus rapide et plus sûr que d'acheminer l'aide par voie aérienne et maritime», a-t-il ajouté.
Le commissaire général de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, a de son côté déclaré que l'occupation israélienne «a interdit l'entrée de l'aide médicale essentielle, y compris des fournitures vitales, dans la bande de Ghaza». «Très peu de choses arrivent et les restrictions augmentent», a-t-il souligné sur la plateforme X.
Décrivant le degré de sauvagerie israélienne, Lazzarini a également rapporté qu'un camion chargé d'aide a été refoulé «car il contenait des ciseaux utilisés dans les kits médicaux pour enfants». Il a également souligné que la liste des interdictions israéliennes «comprend du matériel de base et vital», «notamment des médicaments d'anesthésie, des bouteilles d'oxygène, des ventilateurs, des tablettes de décontamination de l'eau, des médicaments contre le cancer et d'autres fournitures médicales nécessaires».
Dans un autre message sur X, l'agence UNRWA a déclaré qu'aucune autre organisation ou agence n'était en mesure de répondre aux besoins humanitaires à Ghaza à l'échelle de l'UNRWA. «L'UNRWA gère plus de 150 abris et emploie au moins 3000 personnes à Ghaza», a indiqué l'agence dans un message sur X. «Nous sommes l'épine dorsale de la réponse humanitaire. Avec plus de deux millions de personnes ayant besoin d'une aide humanitaire vitale à Ghaza, aucune autre agence n'est en mesure de répondre à la même échelle», ajoute le communiqué.
ONU : le corridor d'aide maritime ne peut remplacer la voie terrestre
Par ailleurs, dans une déclaration commune, deux hauts fonctionnaires de l'ONU ont estimé que pour «l'acheminement de l'aide à grande échelle», «il n'y a pas de substitut valable aux nombreux itinéraires terrestres».
Après avoir salué «le projet récemment annoncé par les États-Unis d'établir un corridor d'aide maritime pour acheminer l'aide humanitaire indispensable à Ghaza», les deux fonctionnaires, Sigrid Kaag, coordinatrice des Nations unies pour l'aide humanitaire et la reconstruction à Gaza, et Jorge Moreira da Silva, directeur exécutif du Bureau des Nations unies pour les services d'appui aux projets, ont expliqué «pour l'acheminement de l'aide à grande échelle, il n'y a pas de substitut valable aux nombreux itinéraires terrestres et points d'entrée d'Israël à Ghaza». «Les voies terrestres en provenance d'Égypte, de Rafah en particulier, et de Jordanie restent également essentielles à l'effort humanitaire global», affirme la déclaration, ajoutant que le corridor maritime «apporte toutefois un complément indispensable et s'inscrit dans le cadre d'une réponse humanitaire soutenue visant à fournir une aide aussi efficace que possible par tous les itinéraires possibles».
De son côté, Mustapha Barghouti, secrétaire général de l'Initiative nationale palestinienne, a critiqué, sur à Al Jazeera, le plan américain d'acheminement des aides par voie maritime, comme étant conçu pour «détourner l'attention du refus persistant d'Israël de lever les restrictions à l'entrée de l'aide à Ghaza par voie terrestre». «Il semble qu'il s'agisse d'un nouvel effort pour détourner l'attention du véritable problème, à savoir que 700.000 personnes meurent de faim dans le nord de la bande de Ghaza et qu'Israël n'autorise pas l'acheminement de l'aide humanitaire vers ces personnes ou vers le reste de la bande de Ghaza», a poursuivi le Dr. Mustapha Barghouti.
Plusieurs milliers de Palestiniens subissent encore les conséquences des affrontements entre groupes armés qu’a connus le camp de réfugiés palestiniens de Aïn El-Héloué, entre juillet et septembre 2023. Déplacés, ces héritiers des exilés de la Nakba sont dans une situation encore plus précaire aujourd’hui, dans un pays coincé entre la crise économique et les bombardements israéliens.
Aïn El-Héloué, 1er août 2023. Peinture murale du dirigeant palestinien Yasser Arafat à côté de l’affiche en hommage à un mort suite aux affrontements entre le mouvement Fatah et des islamistes à l’intérieur du camp de réfugiés.
MAHMOUDZAYYAT/AF
En buvant son café au bord d’une autoroute près de Saïda, un responsable du Fatah, la faction dominante de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au pouvoir en Cisjordanie et encore présente au Liban, me parle de « guerre » pour décrire les derniers affrontements qui ont eu lieu dans le camp de Aïn El-Héloué. Pour lui qui a vécu l’occupation israélienne et la prison - ce qu’il appelle la « vraie guerre » - le terme est lourd de sens.
Accolé à la ville de Saïda au sud Liban, le camp de Aïn El-Héloué est surnommé « la capitale des Palestiniens en exil ». C’est le plus grand camp de réfugiés au Liban avec une population estimée à plus de 80 000 habitants. Mais contrairement à d’autres, de nombreux Libanais et étrangers (dont certains recherchés par la justice libanaise) vivent dans ses quartiers. Des groupes islamistes, dont certains auraient été actifs en Syrie, y ont également élu domicile. D’espaces symboles de l’exil palestinien depuis 1948, certaines zones sont devenues des lieux de repli pour des groupes insurgés, sans lien ni avec la population palestinienne, ni avec ses revendications politiques, entraînant les camps dans des cycles de violences répétées.
GENS DE LA VILLE, ET GENS DU CAMP
Les nombreux affrontements qui ont eu lieu à Aïn El-Héloué entre les différentes factions palestiniennes et des groupes islamistes issus de différents pays arabes ont conduit l’armée libanaise, en 2016, à construire un mur autour du camp. Le but de cette clôture était de contrôler les entrées et les sorties des personnes et des matériaux de construction.
Mais le 30 juillet 2023, un commando de combattants islamistes assassine un membre du Fatah. La réplique du Fatah ne se fait pas attendre, et le camp sombre rapidement dans des affrontements entre la branche armée palestinienne et les combattants islamistes des groupes Chabab Al-Mouslim et Jound Al-Cham. La violence des combats dépasse ce que le camp a connu auparavant. Jusqu’au 3 août, date à laquelle un fragile cessez-le-feu est conclu. Toutefois, chaque faction campe sur ses positions1 et refuse le compromis. Les affrontements reprennent donc de plus belle du 8 au 15 septembre, avec l’utilisation d’armes lourdes telles que des lance-roquettes, jusqu’à un deuxième cessez-le-feu toujours en vigueur.
La ville de Saïda a également subi les conséquences des affrontements entre factions à l’intérieur du camp. La route qui sépare Saïda de Ayn Al-Hilweh, construite aux abords de l’autoroute reliant Beyrouth à Tyr à proximité du marché de gros de fruits et légumes, a en effet été fermée, ce qui a entravé la circulation entre la capitale et le sud du Liban. Par crainte des balles perdues, les commerces situés en lisière du camp ont fermé pendant les affrontements. Et comme les habitants évitaient de se déplacer dans certains quartiers jugés dangereux, la municipalité a aussi décidé de fermer temporairement certaines écoles. Autant de raisons ayant contribué à tendre les relations entre les Palestiniens du camp et les Libanais de la ville, qui voient dans les habitants de Ayn Al-Hilweh la cause de leurs soucis.
DES VIES EN SUSPENS
Au moment le plus intense du conflit, environ 50 % de la population, c’est-à-dire 2 700 familles, a dû quitter le camp. La destruction qui a eu lieu est sans précédent dans l’histoire récente du camp. Une famille dont la maison a été entièrement détruite a été logée chez la sœur d’un ami qui réside en Europe. Mais les difficultés s’accumulent, et l’avenir est de plus en plus flou. Ayant perdu son travail, le mari n’a pas les moyens de payer un loyer, ni à l’intérieur du camp, ni en dehors. La perte de leur maison, qu’ils évoquent les larmes aux yeux, a mis leur vie en suspens.
Le mur qui se dresse autour du camp, ainsi que les contrôles de l’armée libanaise rend presque impossible l’entrée de matériaux de construction, comme c’est d’ailleurs le cas dans les autres camps palestiniens du pays depuis le début des années 1990. Pour avoir tenté de cacher un sac de sable, un de leurs amis a écopé de trois mois de prison. Fin décembre, la propriétaire de la maison leur a envoyé un message, disant qu’elle pensait revenir pour l’été, et qu’elle espérait qu’ils auraient trouvé une solution de relogement avant. La femme déclare avec un sourire que l’unique lueur d’espoir restant dans tout ce drame est le chat des voisins qui vient souvent leur rendre visite. Son regard s’attarde sur la porte d’entrée, et dans un murmure, elle remercie Dieu pour ce qu’elle a encore malgré tout. Le silence du quartier résidentiel où la famille loge pour l’instant est devenu assourdissant, et les renvoie par contraste aux bruits de la vie dans le camp qu’ils ne peuvent plus entendre. Rester en dehors de Aïn El-Héloué n’est pas une option pour eux, mais y retourner est impossible. Dans l’attente d’une solution, leurs vies sont en suspens.
Zahiya est une jeune mère de deux enfants qui a dû partir elle aussi, avant de retourner au camp après le cessez-le-feu de la mi-septembre. Elle travaille dans un café tenu par des femmes du camp dans la ville voisine de Saïda. Leur spécialité, et leur fierté, c’est un plat originaire de Jérusalem : kaak Al-Qods (biscuit de Jérusalem). Une recette traditionnelle qu’elles conservent jalousement. Zahiya craint constamment que les tensions entre le Fatah et ses rivaux islamistes transforment à nouveau le camp en un champ de bataille. Des coups de feu sont régulièrement entendus, venant des différents quartiers du camp, laissant planer le spectre d’une nouvelle escalade qui la terrifie. Faute d’occupation, ses deux fils, âgés de 14 et 15 ans, vagabondent dans les ruelles de Aïn El-Héloué. Elle craint pour leur sécurité.
Après beaucoup d’hésitation, elle avoue craindre que l’un de ses deux adolescents ne finisse par rejoindre un groupe armé. Son plus jeune a déjà été approché par une des factions, qui lui a fait miroiter une somme d’argent. Chez son fils aîné, le déplacement est associé à une perte totale de repères. Sur les réseaux sociaux, le principal sujet de discussion du jeune garçon avec ses amis est de savoir qui pourra se réinstaller dans le camp, et à quel moment. Une partie des habitants de son quartier demeurent en dehors de Aïn El-Héloué, et le vide qu’il ressent lui pèse et l’inquiète.
LE SPECTRE DE NAHR AL-BARED
D’après différentes sources, la plupart des déplacés ont pu retourner à Aïn El-Héloué malgré les destructions. Pourtant ce retour chez soi ne signifie pas un retour à la normalité. Longtemps considérées comme l’un des principaux succès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), les écoles ont subi des dégâts matériels très importants, et ont par conséquent fait l’objet d’une réorganisation. Pour pouvoir scolariser tous les élèves, la journée a été découpée en deux sessions, certains ont cours le matin et d’autres l’après-midi. Ce changement d’organisation a déstabilisé les enfants, qui n’osent plus espérer un retour à la normale.
La reconstruction toujours inachevée du camp de Nahr Al-Bared2 fait redouter à l’agence onusienne un scénario similaire. Pour l’éviter, il a été décidé de ne pas s’occuper de la reconstruction des maisons, mais de se concentrer sur une aide matérielle et financière des individus les plus touchés. Des aides financières à destination des familles dont la maison a été détruite ou endommagée a été mise en place avec les ONG partenaires.
Pour la famille de Saïda, les 1 200 dollars (environ 1 100 euros) donnés par l’UNRWA ont servi à acheter des vêtements et de la nourriture. Ayant dû quitter le camp dans la précipitation, ils n’ont rien pu prendre avec eux. Les autorités libanaises interdisant l’entrée de matériaux de construction, ils n’auraient de toute façon pas pu utiliser cette somme pour reconstruire leur maison dans le camp.
D’UN DÉPLACEMENT À UN AUTRE
Malgré la mobilisation des ONG et de l’UNRWA, les financements qu’ils ont reçus n’ont pas permis de soutenir les gens à la hauteur de leurs besoins. Les réseaux de solidarité traditionnels, qu’ils soient familiaux ou amicaux, ont été mis à mal par la crise économique touchant le Liban depuis 2019, et les factions n’ont plus les moyens qu’elles avaient pour soutenir les populations.
Toutefois, les membres du comité populaire de Saïda tenu par le Fatah, en charge de la gestion quotidienne du camp, affirment avoir distribué argent et nourriture aux civils blessés et déplacés. La plus grande difficulté qu’ils disent avoir eu à surmonter pour soutenir la population est son éparpillement. Les 2 700 familles déplacées sont en effet réparties entre les abris de l’UNRWA et les maisons de leurs proches, dans différents quartiers de Saïda. Un jeune homme raconte comment il s’est d’abord réfugié dans une mosquée, puis dans l’un des camps de la ville de Tyr, plus au sud. D’autres sont allés chez leurs frères, leurs sœurs ou chez des parents dans les quartiers autour de Aïn El-Héloué, ou encore dans le camp voisin de Miyé Miyé, voire même à Beyrouth, dans le camp de Chatila.
Faute de coordination entre les différents acteurs impliqués dans l’aide aux Palestiniens, les déplacés tentent, chacun de leur côté, de trouver des solutions temporaires. Les différents réseaux d’aide et de soutien s’entremêlent et se superposent, créant un labyrinthe où chacun cherche son chemin, avant que la prochaine crise ne vienne à nouveau remettre en cause cet équilibre précaire. Dans ce dédale, les services apportés par l’UNRWA sont essentiels aux réfugiés palestiniens, tant pour l’éducation que pour l’accès à la santé. De nombreuses familles dépendent également de l’aide financière distribuée par l’agence. Les données de l’UNRWA montrent que, sans cette aide, le taux de pauvreté des Palestiniens au Liban, actuellement autour de 80 %, serait bien au-dessus de 90 %. La récente polémique sur la potentielle implication de quelques salariés de l’UNRWA dans l’attaque 7 octobre 2023 et le retrait du financement de nombreux pays occidentaux, remet en cause sa capacité à maintenir ses activités, y compris au Liban, au risque de voir les réfugiés les plus vulnérables tomber dans l’extrême pauvreté.
La situation ne semble pas près de s’améliorer pour les habitants du camp. La conjoncture internationale tend à diminuer les flux d’aide humanitaire en direction du Liban. On assiste aussi depuis les Accords d’Oslo à une redirection de l’attention des factions palestiniennes sur les territoires palestiniens occupés, parallèlement à un affaiblissement de leurs ressources économiques. La crise sociale et économique frappant le Liban réduit davantage la marge de manœuvre économique des réfugiés palestiniens.
Marginalisés dans leur société d’accueil, alors que l’État libanais ne peut plus répondre aux besoins de sa propre population et fait face à la présence de plus d’un million de réfugiés syriens, les Palestiniens ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour tenter de reconstruire un semblant de normalité.
Les bombardements israéliens sur le sud du Liban, même s’ils ont pu toucher les abords de Saïda, n’ont pour l’instant pas visé les camps palestiniens, ni la ville en elle-même. Mais l’inquiétude est grandissante, pour les Palestiniens comme pour les Libanais, de voir le conflit se généraliser. Suspendue au sort du Liban et sans solution politique aux affrontements entre les différentes factions, la sortie de crise des Palestiniens de Aïn El-Héloué semble plus que jamais compromise.
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.
Mardi 12 mars 2024.
Parlons du ramadan tel qu’on le vit d’habitude. Parlons des lumières. D’habitude, les lumières du ramadan sont partout. Dans la rue, dans les maisons, dans les boutiques. Il y a des haut-parleurs à côté des boutiques qui vendent les cadeaux du ramadan, et qui diffusent des tawachih, des chants religieux qui parlent de ce mois : « Le ramadan est arrivée, préparez-vous pour le jeûne ! » Il y a aussi d’habitude des chansons joyeuses pour les enfants, souvent égyptiennes, et qui sont connues dans tout le monde arabe.
C’est un mois de joie et de consommation. D’habitude, pendant le ramadan, il y a tout ce qu’il faut, ont trouve tout ce que l’on veut. Les étals des marchés sont pleins.
Mais pas cette fois.
ures avant le coucher du soleil, c’est-à-dire avant l’iftar (le repas de rupture du jeûne), tout le monde sort dans les rues pour faire les courses, acheter les ingrédients pour faire des gâteaux. Parce que le ramadan, c’est aussi le mois des gâteaux. Mais aujourd’hui, on ne trouve plus rien, ou à des prix exorbitants. Quand je pense qu’on disait, avant, que pendant le ramadan les produits étaient trop chers… Aujourd’hui, les gâteaux du ramadan, comme par exemple les ktayef1, ça n’existe plus. Normalement, il faut les farcir soit avec des fruits secs, soit avec du fromage blanc sucré. Aujourd’hui, il n’y a pas de fruits secs, ni de fromage blanc sucré.
Avant, on veillait toute la nuit, on se promenait, dans les rues, sur la « corniche », au bord de la mer. Une autre chose très importante pendant le ramadan : les visites entre familles, entre voisins. Le ramadan nous unit. Aujourd’hui, sortir est dangereux. Dès le coucher du soleil, c’est presque le couvre-feu.
De toute façon on n’a rien à apporter. Lundi, on avait voulu aller voir des amis, déplacés comme nous, mais on n’a rien pour les enfants. Pas de gâteaux, pas de knafeh2. Nous avons décidé de reporter la visite et de voir si on peut d’ici là trouver quelque chose sur le marché.
Les prix ont explosé. Avant, le kilo de ktayef coûtait entre 8 et 10 shekels (entre 2 et 2,5 euros), aujourd’hui son prix est entre 40 et 50 shekels (entre 10 et 12,5 euros). Les mélanges de fruits secs coûtaient 4 shekels (un euro) les 250 grammes. Aujourd’hui, c’est 10 fois plus cher, et en plus, c’est un mélange de n’importe quoi qui ne fait même pas envie. Quant à la viande, si on en trouve, est à 150 shekels le kilo (37,50 euros). Un kilo pour une famille de cinq personnes, ça ne vaut rien du tout. Nous par exemple, lundi, pour le premier iftar de ce ramadan, nous n’avons mangé que du riz, accompagné de haricots blancs en conserve, et encore, nous avons de la chance par rapport à la plupart des autres déplacés. Les enfants rêvent des spécialités du ramadan, des samboussek3, des knafeh, des ktayef. Mais il n’y en a pas.
Pour trouver de l’eau potable, ça demande beaucoup d’efforts. Les ONG en distribuent parfois dans les camps. Ou bien on achète, et ça prend beaucoup d’efforts et ça prend beaucoup de temps. Et de l’argent aussi.
Les bouteilles d’eau minérale coûtent aussi trop cher : 3 shekels la bouteille d’1,5 litre (0,75 euro). J’en achète juste pour les enfants, sinon on achète des jerricans d’eau vendus par des camions citernes, à 3 shekels le jerrycan de 20 litres. Cette eau vient de stations d’épuration. Il y en a trois qui fonctionnent encore. Elles pompent l’eau dans des puits. Je crois que l’UNRWA leur fournit le gazole pour les pompes. Cette eau est claire, mais on n’est pas sûr à 100 % qu’elle soit potable.
Les aliments arrivent au compte-gouttes. Il entre en moyenne entre 100 et 120 camions par jour, alors qu’il en faudrait au moins cinq cents. Leur chemin est ultra compliqué. Ils viennent tous d’Égypte, mais ils doivent ensuite passer par des terminaux israéliens pour être fouillés. Les camions entrent donc par la frontière égyptienne, à Rafah. Ils sont dirigés vers ces deux terminaux, Nitzana et Kerem Salem. Puis ils reviennent à Rafah. Les marchandises sont transférées des camions égyptiens à des camions palestiniens.
Il y a deux sortes de camions, Ceux de l’ONU, des ONG, du Croissant rouge et du CICR, et des camions appartenant à des transporteurs palestiniens privés, de vingt à trente camions par jour. Il y a six transporteurs, choisis par les Israéliens. La nourriture est en majorité achetée en Égypte, et elle est souvent de mauvaise qualité. Il y a parfois des conserves avariées, parce que les fournisseurs égyptiens ou les importateurs palestiniens veulent gagner plus d’argent. Normalement ces camions sont destinés à la bande de Gaza tout entière, mais depuis le « massacre de la farine »4, très peu de camions passent le checkpoint qui coupe Gaza en deux. Les gens qui ont été tués, on le sait, voulaient se servir directement sur les camions. Parce qu’ils avaient faim. C’est vrai qu’il y a eu aussi des pillages par des gangs, mais les gens qui se précipitent sur l’aide, c’est en majorité parce qu’il y a un manque, que la distribution est loin de toucher tout le monde.
On parle de maximum 150 camions qui rentrent. Donc 1 500 palettes, pour 2,3 millions de personnes. Cela fait même pas un tiers de boîte de conserve par personne.
L’aide est mal distribuée. Moi par exemple, je suis un déplacé, mais je n’ai rien reçu. Certes, je n’ai rien demandé, mais personne n’est venu me voir. Il y a des milliers, des centaines de milliers de personnes qui n’ont rien touché non plus. Les Israéliens organisent la pénurie parce qu’ils veulent que les prix montent et que cette pénurie entraîne le chaos.
Mais maintenant, il y a moins de pillages. Cela n’existe presque plus à Rafah parce que les camions sont protégés par des hommes armés de bâtons ou de kalachnikov. Pour l’aide humanitaire, ce sont les hommes du Hamas. Pour le privé, les transporteurs ont leurs propres gardes. Mais parfois ils demandent des hommes au Hamas.
D’habitude pendant le ramadan, les mosquées sont pleines de monde. On prie aussi à l’extérieur, sur les places, dans les espaces libres. Mais pas cette fois. Aujourd’hui, quelques habitants de Rafah vont prier, mais c’est parce qu’ils n’ont pas vécu ce que nous, les déplacés du nord, avons vécu : les mosquées bombardées par l’armée israélienne, pour tuer les fidèles. Je ne vais plus à la mosquée depuis que je suis arrivé à Rafah. J’ai entendu le prêche dans les haut-parleurs de la mosquée voisine. Il espérait que Dieu arrête cette guerre pendant le ramadan. Il parlait de résilience, recommandait d’être patient et disait que tout cela est une épreuve de Dieu.
On ne fait plus les tarawih, les prières de la nuit du ramadan. D’habitude, on priait ensemble, en plein air, surtout quand il faisait beau.
Guerre Israël-Hamas : premier jour de ramadan à Gaza sous les bombardements
Indignez-vous : le messagede Stéphane Hessel, toujours d’actualité
Stéphane Hessel : « Pour un Etat palestinien » 20 septembre 2011
La reconnaissance d'un Etat indépendant de Palestine est au cœur de l'actualité. Stéphane Hessel, résistant, diplomate, auteur du célèbre « Indignez-vous ! », prend fermement position dans cette vidéo.
Michel Dandelot
Par micheldandelot1 dans Accueil le 12 Mars 2024 à 10:03
Le président américain réprouve de plus en plus publiquement les choix du premier ministre israélien et de son armée dans la bande de Gaza. Mais si le climat se refroidit entre les États-Unis et Israël, Joe Biden n’a ni les moyens, ni l’ambition d’aller beaucoup plus loin.
C’est une réprobation de plus en plus vocale, mais corsetée par plus d’un demi-siècle de solide partenariat entre les États-Unis et Israël. Depuis plusieurs jours, Joe Biden laisse éclater au grand jour ses désaccords stratégiques avec Benyamin Netanyahou. Après des mois de soutien quasi absolu à l’offensive israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza, les signes d’agacement du président américain vont crescendo à l’adresse du premier ministre israélien : un micro baladeur le 7 mars, en marge de son discours sur l’état de l’Union, qui aurait capté un « Il faudra bien qu’il comprenne », ou un laconique « oui » en réponse à la question « Benyamin Netanyahou doit-il permettre l’acheminement de plus d’aide humanitaire ? »
Le fossé se creuse entre les deux hommes qui ne s’apprécient guère. Joe Biden n’a-t-il pas fait lanterner pendant des mois le leader israélien avant d’accepter de le rencontrer, en septembre 2023 – pour la première fois depuis sa réélection fin 2022 –, non pas à la Maison-Blanche, mais dans un hôtel new-yorkais, et avec une demi-heure de retard, en signe de réprobation face à la dérive illibérale de son gouvernement ? La semaine dernière, l’administration américaine a encore fait grincer les dents de la droite israélienne en recevant l’éternel rival de Benyamin Netanyahou et membre du cabinet de guerre, Benny Gantz, comme pour préparer l’après- « Bibi ». Et pour Netanyahou, rien ne lui serait plus profitable qu’une réélection de Donald Trump…
« Pas de ligne rouge »
Samedi 9 mars, alors que les espoirs d’obtenir une trêve avant le début du Ramadan semblaient s’être dissipés, Joe Biden a décoché une nouvelle flèche en direction de Benyamin Netanyahou. « Il fait plus de mal que de bien à Israël » à travers la guerre dans la bande de Gaza, a-t-il déclaré dans une interview à la chaîne MSNBC. Petite phrase à laquelle l’intéressé a répondu le lendemain, en faisant valoir le soutien de la population israélienne. « Je ne sais pas exactement ce que le président voulait dire, mais s’il entendait par là que je mène une politique personnelle contre le souhait de la majorité des Israéliens, et que je vais contre les intérêts d’Israël, alors il a tort sur les deux points », a estimé Benyamin Netanyahou dans une interview à Politico.
En dépit de ces réprobations plus ou moins publiques, Joe Biden jouit d’une marge de manœuvre réduite, à huit mois d’une présidentielle au cours de laquelle il joue sa réélection : s’il doit composer avec la gauche propalestinienne de la base démocrate et avec une partie de l’opinion effarées par les 31 000 morts gazaouis et le risque de famine dans l’enclave, le président n’a pas le luxe de s’aliéner un électorat américain largement pro-Israël. L’État hébreu, de son côté, sait très bien que, malgré l’appel d’une trentaine d’élus démocrates, Washington ne réduira pas l’enveloppe de son aide militaire de quelque 3,3 milliards de dollars annuels. Joe Biden l’a reconnu lui-même : tout en parlant sur MSNBC d’une possible offensive israélienne à Rafah comme d’une « ligne rouge », il s’est ravisé juste après pour dire qu’« il n’y a pas de ligne rouge où je veux arrêter totalement les livraisons d’armes ».
Un argumentaire sinueux qui illustre la position d’équilibriste dans laquelle se trouvent les États-Unis et Joe Biden, « partisan à vie d’Israël » : tancer l’État hébreu, l’appeler à un « cessez-le-feu immédiat » tout en l’armant. Faute d’autres leviers de pression pour qu’Israël laisse passer davantage de vivres par voie terrestre, Washington enchaîne les largages d’aide humanitaire quotidiens mais largement insuffisants sur Gaza et a envoyé un navire militaire avec le matériel nécessaire à la construction d’une jetée qui pourrait prendre jusqu’à soixante jours. À l’occasion du Ramadan, Joe Biden a transmis un message de solidarité, dans lequel il affirme que, pendant ce mois sacré, « la souffrance du peuple palestinien sera au premier plan pour beaucoup. Elle l’est pour moi. »
Alors que la guerre contre Gaza a débouché sur une escalade verbale entre Ankara et Tel-Aviv, les relations entre Israël et la Turquie ont tout de même survécu, tant les liens et les convergences entre les deux pays restent fortes.
Alors que la guerre contre Gaza a débouché sur une escalade verbale entre Ankara et Tel-Aviv, les relations entre Israël et la Turquie ont tout de même survécu, tant les liens et les convergences entre les deux pays restent fortes.
La première réaction de la Turquie au déclenchement de la guerre de Gaza a surpris par sa prudence, comme d’ailleurs celle qu’elle avait eue après l’invasion de l’Ukraine avait étonné par son légalisme, insistant sur le respect de la souveraineté de Kiev. Dans les deux cas, Ankara, qui entretient des relations fortes et suivies avec les deux belligérants, a ostensiblement offert sa médiation, déjà antérieurement proposée. Dans les deux cas aussi, l’ambivalence qu’on décèle dans cette attitude initiale n’est pas le seul résultat de la conjoncture. Elle renvoie à la nature profonde de la diplomatie de ce pays souvent contraint à de grands écarts périlleux au cours de son histoire.
Le 7 octobre 2023, lorsque le Hamas lance son attaque inattendue, la Turquie et Israël sont en pleine réconciliation après plus d’une décennie de relations inégales ayant parfois frisé la rupture, avant d’entrer dans de laborieuses périodes de restauration. La capacité à gérer cette inconstance est le premier phénomène qui surprend. Elle découle de multiples convergences politiques, stratégiques et surtout économiques. Quel est l’avenir de cette relation complexe dans la nouvelle donne établie par le retour de la centralité du conflit israélo-palestinien au Proche-Orient ?
La Turquie ayant été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1949, peu après la création de celui-ci, ces deux États sont de vieux partenaires qui se connaissent bien. En dépit de quelques accrochages feutrés provoqués par les conflits israélo-arabes pendant la guerre froide, leurs relations mutuelles sont au beau fixe après la fin du monde bipolaire, et l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) au début du millénaire ne paraît pas devoir remettre en cause cette entente cordiale. En 2008, Ankara accueille même des négociations officieuses visant à permettre à Israël et au régime syrien de normaliser leurs relations, négociations qui n’aboutiront pas.
RAPPROCHEMENT AVEC LE HAMAS
Ce n’est pas tant la question palestinienne que la situation nouvelle, nouée avec l’arrivée au pouvoir du Hamas dans la bande Gaza après les élections de 2006, qui est à l’origine de la brouille turco-israélienne qui commence à partir de 2009. Lorsqu’Israël lance sa première campagne de bombardements massifs sur l’enclave palestinienne avec l’opération « Plomb durci », Ankara ne tarde pas à réagir. Lors d’un mémorable panel au Forum de Davos de janvier 2009, Recep Tayyip Erdoğan apostrophe sans ménagement le président israélien Shimon Pérès.
Cependant, en 2013, de façon totalement inédite, Benyamin Nétanyahou accepte de présenter à Erdoğan les excuses que celui-ci exige pour restaurer les relations. Mais l’initiative est compromise en 2014 par une nouvelle campagne de frappes sur Gaza, « Bordures protectrices », que le leader de l’AKP dénonce, en accusant Israël d’avoir « surpassé Hitler dans la barbarie »1. Si bien que ce n’est qu’en 2016, après l’indemnisation des familles des victimes de la flottille, que les relations diplomatiques sont restaurées au plus haut niveau par un échange d’ambassadeurs. L’accalmie sera de courte durée.
En 2019, la grande marche du retour des Gazaouis, qui se traduit par une répression sévère et un très grand nombre victimes palestiniennes, provoque à nouveau un affrontement verbal entre le président turc et le chef du gouvernement israélien. Une nouvelle dégradation du niveau des relations diplomatiques s’ensuit, et il faudra attendre 2022 et la visite en Turquie du président israélien Isaac Herzog, pour les voir échanger à nouveau des ambassadeurs, dans un contexte où Ankara tente d’aplanir ses différends avec le monde arabe (Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite…), et où celui-ci semble être entré dans une phase de convergence globale avec Israël, après les accords d’Abraham.
Plus que l’inconstance, ce qui frappe au-delà de cette brouille durable est finalement la résilience qui a sauvegardé la relation entre les deux protagonistes. Car, ni l’arraisonnement d’un navire humanitaire, ni les frappes de plus en plus intensives sur Gaza, ni les tensions verbales très dures de dirigeant à dirigeant, ni les répressions sanglantes de manifestations palestiniennes n’ont eu raison des liens fragiles entre les deux puissances régionales.
LA PLACE DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE
Pour comprendre comment les relations turco-israéliennes ont pu survivre et régulièrement renaitre, il est important d’identifier ce qui contribue à les structurer durablement. La solidité des liens économiques constitue le premier axe de cette continuité. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler qu’au cours des années conflictuelles que nous venons d’évoquer, la Turquie a triplé ses exportations en direction d’Israël, ces dernières passant de 2,3 milliards de dollars en 2011 à 7,03 milliards de dollars en 2022. Assurant 5,2 % de ses importations, la Turquie est ainsi le cinquième fournisseur d’Israël, et son septième client pour 2,2 % de ses exportations, représentant un montant de 2,5 milliards de dollars annuellement. Ces flux commerciaux concernent des domaines essentiels. Au premier rang des importations israéliennes en provenance de Turquie on trouve l’acier, le fer, le textile, les véhicules automobiles, le ciment, sans oublier le pétrole azerbaïdjanais qui transite via le Caucase et l’Anatolie orientale par l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et le port de Ceyhan, couvrant 40 % des approvisionnements annuels en brut d’Israël. Le groupe turc Zorlu fournit en outre 7 % de l’électricité consommée par Israël. Pour sa part, ce dernier exporte surtout vers la Turquie des produits chimiques et des articles de haute technologie. Ces exportations ont joué un rôle non négligeable dans la modernisation de la production industrielle turque au cours des dernières années, notamment dans le domaine de la défense.
La mémoire constitue un autre élément des relations entre les deux pays qui aide à surmonter les caprices du cours de leurs relations mutuelles. Les juifs ont été l’un des « millet »2 de l’Empire ottoman qui a accueilli, notamment dans ses villes portuaires emblématiques (Salonique, Istanbul, Izmir…), les sépharades chassés d’Espagne au XVe siècle. En dépit de la situation inégale qui a été la leur depuis les débuts de la République, ce dont témoignent différents épisodes d’antisémitisme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, ils restent l’une des dernières communautés juives du monde musulman, dans un pays qui ne les renie pas, comme l’a montré encore récemment le succès de la série turque Kulüp, basée sur une observation fidèle de leurs spécificités linguistiques et culturelles. Ce passé et cette atmosphère a contribué à l’afflux de touristes israéliens en Turquie qui, en dépit des crises successives, sont finalement venus et revenus dans ce pays où ils étaient l’une des premières populations de visiteurs étrangers avant octobre 2023.
INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
Enfin, quelle que soit la conflictualité ambiante de leurs liens, il ne faut pas sous-estimer l’importance des intérêts stratégiques communs aux deux pays. La Turquie, qui reste un allié des Occidentaux du fait de son appartenance à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), abrite des bases importantes : commandement des forces terrestres alliées du flanc sud de l’Alliance à Izmir, radar de défense antimissile balistique de Kürecik principalement tourné contre l’Iran, aéroport d’Incirlik qui accueille le cas échéant des avions livrant du matériel militaire à Israël. En février 2024, Ankara a rejoint le bouclier antimissile européen European Sky Shield Initiative (ESSI), qui repose sur une initiative lancée par l’Allemagne en 2023, et qui est soutenu par 17 pays. Or, ce projet boudé par la France, utilisera entre autres le missile israélien à longue portée Arrow 3.
Par ailleurs, les deux États entretiennent une conflictualité durable avec la Syrie. À la suite d’une série d’interventions militaires conduites depuis 2016, Ankara a pris le contrôle de bandes transfrontalières du territoire syrien qu’elle administre et équipe depuis, même si elle dit n’avoir pas de prétentions irrédentistes et vouloir surtout y prévenir la présence des milices kurdes Unités de protection du peuple (YPG), liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Quant à Israël, dans le contexte des conflits en cours, son armée frappe régulièrement les positions du régime syrien et de ses alliés (le Hezbollah libanais) dans la région le cas échéant, avec l’aval de la Russie.
Bien que des désaccords notables aient été exprimés par les responsables des deux pays à propos de leur engagement respectif dans le Caucase, une convergence stratégique a pu aussi s’observer en 2020, lors de la seconde guerre du Haut-Karabakh, où l’un et l’autre ont apporté un soutien militaire précieux à l’Azerbaïdjan, et lui ont finalement permis de reprendre le contrôle de l’enclave arménienne.
L’OMBRE DE LA PALESTINE
En dépit de ces flux de convergence, il est vrai que les rapports entre les deux pays ont été régulièrement affectés depuis une quinzaine d’années par leurs désaccords permanents à propos de la question palestinienne, et plus particulièrement de la situation prévalant à Gaza. À l’issue de l’arraisonnement du Mavi Marmara en juin 2010, Ankara a gelé 16 accords d’armement avec Israël. Une décision qui doit également être perçue comme la consécration de la puissance militaire turque découlant de cette coopération, illustrée par la mise sur pied d’un système de structuration des industries de défense turques, nourrie par l’exemple israélien, ou par la production d’armements sophistiqués comme les drones, fournis à l’origine par Israël.
Plus récemment, en janvier 2024, la Turquie a exclu Israël de la liste des pays cibles pour ses exportations. Cette décision empêchera les entreprises turques de bénéficier d’aides publiques pour exporter vers ce pays. Elle montre la marge de manœuvre dont dispose désormais la Turquie au sein d’un foisonnant marché à l’exportation, mais ne remet pas profondément en cause les rapports commerciaux bilatéraux. Fin janvier 2024, les statistiques du ministère turc des transports montraient que plus de 700 navires turcs avaient rallié des ports israéliens depuis le 7 octobre 2023, soit une moyenne de 8 navires par jour. Les cargaisons transportées concernent des produits essentiels (acier, pétrole, textile…) pour la machine de guerre israélienne, et impliquent des entreprises souvent proches des cercles du pouvoir en Turquie, « mettant en évidence, selon le journaliste turc indépendant Metin Cihan3, l’hypocrisie et le double discours des dirigeants ».
Le durcissement de la position turque après le début de l’attaque israélienne contre Gaza et les nombreuses victimes civiles palestiniennes qui l’ont accompagnée, a permis au régime de rester en phase avec l’émotion ressentie par la population turque. Cela est d’autant plus important pour l’AKP que doivent se tenir, le 31 mars 2024, des élections municipales, à l’occasion desquelles Erdoğan espère reconquérir les villes symboliques d’Ankara et d’Istanbul, perdues en 2019. Il est pourtant peu probable que cette rigidification se traduise par une remise en cause des liens économiques existant entre les deux pays, voire par une rupture officielle des relations diplomatiques. S’appuyant sur cette expérience de gestion de crise, acquise au cours des deux dernières décennies, Ankara tentera plutôt de contenir le développement de ses rapports commerciaux avec Israël, en cherchant à le compenser par la relance amorcée de ses relations avec les pays du Golfe (Arabie saoudite et Émirats notamment), ainsi qu’avec l’Égypte.
Le dépassement de l’échéance électorale du printemps devrait permettre à Erdoğan de renouer avec une posture plus diplomatique, usant de l’argument de servir la cause palestinienne aux côtés d’autres puissances régionales très investies depuis le début de la crise (Qatar, Égypte, Émirats arabes unis…). Une telle attitude ne serait finalement pas si éloignée du ressenti de l’opinion publique, elle aussi ambivalente, qui restait initialement prudente face à un engagement trop franc de la Turquie et ne souscrivait pas majoritairement à l’idée d’une rupture des relations commerciales. Il est ainsi probable que le régime s’appuiera sur une somme d’intérêts et de sentiments contradictoires pour sauvegarder la relation ambiguë entretenue avec Israël depuis longtemps.
JEAN MARCOU
Professeur à Sciences Po Grenoble (Université Grenoble Alpes), chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes…
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