Le couple espère, en allant travailler et vivre ailleurs, améliorer ses économies. «En Algérie, même si l’on fait des études, même si l’on a un poste stable, c’était difficile d’avoir une maison», raconte-t-elle. Certes, ils auraient pu simplement voyager pour assouvir leur désir d’aventure, mais les voyages, explique Mme Hamoul, ne permettent pas de s’imprégner d’une autre culture. Il faut vraiment vivre sur place et se mélanger à la population pour découvrir les mentalités.
Et ça, ça lui plaît vraiment. «Ça n’a pas le même goût», fait-elle valoir. Le choix du Madagascar s’est invité dans le cadre d’un contrat de travail de son mari, explique-t-elle.
En tant que ressortissants algériens au Madagascar, Mme Hamoul et son mari n’ont toutefois pas accès aux mêmes services de santé que les citoyens. En cas de besoin, il fallait se rendre à l’île de La Réunion, dit-elle.
C’est pour cette raison que Lamia Hamoul a choisi chaque fois d’aller mettre ses enfants au monde en Algérie. D’ailleurs, «au départ, on planifiait de revenir éventuellement dans notre pays d’origine», explique-t-elle. «Mais on a pris goût à ce style de vie.» C’est pourquoi après 4 ans, la famille déménage à Brunéi où Mme Hamoul enseignera le français et fera du bénévolat auprès d’un groupe d’expatriés, ce qui lui donne du temps pour éduquer ses enfants selon sa culture et ses principes.
Ce nouveau pays permet à ses enfants d’aller à l’école en anglais. Le couple tient à ce que ces derniers parlent cette langue en plus du français et de l’arabe.
Même si l’endroit leur plaît, il n’est pas possible de s’y établir définitivement. Dès que le contrat de son mari à Brunéi se termine, après trois années, un choix important s’impose : retourner en Algérie ou partir ailleurs. Les écoles internationales, en Algérie, où les enfants auraient pu apprendre l’anglais «coûtent les yeux de la tête», dit-elle. Et Lamia Hamoul a toujours dans ses cartons le projet de faire une maîtrise, même s’il s’était écoulé 16 ans depuis l’obtention de son baccalauréat.
C’est alors que des amis leur parlent du Canada. «En tant qu’étudiante étrangère, je pouvais y amener les membres de ma famille avec moi.»
C’est en pleine tempête de neige que la famille débarque enfin au Québec et plus précisément à Trois-Rivières. Inscrite à la maîtrise, elle arrive toutefois avec une semaine de retard sur le début de la session universitaire.
Et la transition va être beaucoup plus difficile que prévu. Lamia Hamoul se retrouve temporairement seule avec ses trois jeunes enfants. Son mari doit retourner en Asie, car il reste 6 mois à son contrat de travail.
La jeune femme sera alors confrontée à une série d’embûches tout à fait inattendues à commencer par la difficulté à trouver un logement. Elle a beau proposer de payer deux mois d’avance, rien n’y fait. On veut à tout prix faire une enquête de crédit sur elle, mais comme elle vient d’arriver, ce n’est pas possible.
C’est grâce à une personne qui travaillait à l’hôtel où elle a débarqué en arrivant au Québec que Lamia Hamoul trouve finalement un toit qui ne sera toutefois disponible que pour 6 mois.
Comme si la situation n’était déjà pas assez compliquée, ses cours à l’Université se donnent le soir. Il fallait d’urgence trouver une gardienne pour ses trois enfants. Encore là, c’est un autre heureux hasard qui la tire du pétrin. Une étudiante d’origine algérienne acceptera en effet le travail.
Le jour, elle doit toutefois prendre soin de son fils de 3 ans tout en étudiant, car elle ne trouve aucune place en garderie. C’est quand tout le monde dort, le soir, qu’elle arrive enfin à étudier. On peut donc comprendre qu’au cours des premiers mois, le découragement s’est installé au point qu’elle remettra en question sa décision de venir s’établir au Québec.
«Essayer d’avoir un réseau fut très difficile», raconte-t-elle. «Tout le monde ici est très occupé. On n’a pas le temps de parler à quelqu’un qui vient d’arriver. La vie est très speedy ici.»
Malgré tout, elle réussira sa maîtrise, mais ne sera pas au bout de ses peines pour autant.
La recherche d’un travail comme gestionnaire lui donnera également du fil à retordre. Elle envoie demande par-dessus demande pendant plus de 8 mois, mais c’est silence radio du côté des employeurs. «Il n’y a même pas un retour pour un entretien», raconte-t-elle. Des amis lui expliquent que c’est parce qu’elle n’a pas d’expérience de travail ici. Pourtant, elle a occupé ce type d’emploi dans une industrie pétrolière pendant des années et même chez SNC-Lavalin en Algérie.
Elle prend donc le premier boulot disponible chez un fournisseur de télécommunications. Le travail en question n’a rien à voir avec ses études. «Mais on a une famille à nourrir et des comptes à payer», plaide-t-elle. Son mari, dès qu’il la rejoint à Trois-Rivières, vit la même galère pendant un moment, mais il sera plus chanceux.
À force de postuler, Lamia Hamoul décroche un poste d’intervenante au SANA qui consiste à accompagner les familles arabophones durant leur période d’installation. Voilà un sujet qu’elle connaît de première main. Aujourd’hui, elle est coordonnatrice à l’accueil au SANA, un emploi fait sur mesure pour elle. Son parcours en tant qu’immigrante et étudiante étrangère en fait la personne idéale pour occuper ce genre d’emploi.
Même si l’aventure manque déjà à Lamia Hamoul et son conjoint, le couple et ses enfants estiment qu’ils sont désormais chez eux, à Trois-Rivières.
Même si la vie a été dure, au début, «on est bien, maintenant. Au final ça valait la peine», analyse avec le recul Mme Hamoul. Les aventures dans des pays exotiques pourront peut-être reprendre plus tard, quand les enfants s’envoleront du nid, laisse-t-elle entendre.
Le film « Leur Algérie » de la réalisatrice Lina Soualem sort en salles. Le documentaire met en lumière ses grands-parents qui ont quitté l’Algérie pour s’installer dans le Puy-de-Dôme, à Thiers.
C’est un film tout en émotion et en pudeur qui sort dans les salles obscures ce mercredi 13 octobre. « Leur Algérie » est un documentaire signé de la réalisatrice Lina Soualem. Fille du comédien Zinedine Soualem et de l’actrice-réalisatrice Hiam Abbas, Lina Soualem a filmé pendant près de trois ans, ses grands-parents Aïcha et Mabrouk, qui ont quitté l’Algérie il y a plus de 60 ans pour s’installer à Thiers dans le Puy-de-Dôme. La petite-fille a voulu comprendre le parcours de ses grands-parents et a recueilli leur témoignage. Après 62 ans de mariage, ils ont choisi de se séparer. La réalisatrice explique la genèse du projet : « J’ai fait des études d’histoire et de sciences politiques donc au départ je ne m’intéressais pas forcément au documentaire, que je connaissais mal. Mes deux parents étaient comédiens donc je connaissais le cinéma sous le prisme de la fiction. Finalement j’ai fait de la programmation dans des festivals, notamment en Argentine, dans un festival des droits de l’homme. A ce moment-là, j’ai découvert le genre documentaire. J’avais depuis longtemps l’envie de filmer ma grand-mère, qui me paraissait être une figure féminine très énigmatique. Finalement, je n’osais pas vraiment me confronter à son histoire car elle et mon grand-père ont toujours été très silencieux. Ce n’est qu’il y a quelques années, quand mon père m’a appelée pour me dire que mes grands-parents se séparaient, que j’ai pris conscience de l’urgence pour moi de les filmer et de raconter leur histoire. J’ai décidé d’en faire un documentaire parce que c’était la meilleure façon pour moi d’allier l’intime et le collectif, la grande Histoire à travers la petite histoire ».
Une histoire de déracinement
Lina Soualem a tenu à brosser le portrait de toute une génération en souffrance : « Je voulais rendre visibles les trajectoires de vie de mes grands-parents qui sont des personnes immigrées d’Algérie. Ce sont souvent des personnes qui sont référées en tant que masse, on parle toujours des immigrés, des réfugiés, des exilés, des musulmans de France. J’avais envie de m’intéresser à leur parcours intime, la manière dont le destin collectif dans lequel ils ont évolué a pu les affecter. Je voulais mettre en avant le silence qui existe autour de leur histoire, qui est lié à la douleur du déracinement. C’est quelque chose que j’ai découvert en faisant le film. Je partais du constat d’une absence de transmission, d’une histoire algérienne que je ne connaissais pas dans l’intime alors que je l’étudiais à l’école. L’histoire intime est très absente du débat, du roman national. Ce sont des trajectoires de vie qui sont invisibles, marginalisées. Ce sont des gens qui ne se racontent pas, qui n’ont pas pu se raconter et qui ont dû rester discrets pour s’intégrer. Je voulais leur redonner la parole et remettre à l’honneur leur mémoire. C’est souvent une histoire qui est traitée comme étrangère à celle de la France alors que c’est une histoire complètement française. La France a passé 130 ans en Algérie. Ces immigrés ne venaient pas de nulle part. Leur histoire fait partie intégrante de celle de la France ».
Son grand-père Mabrouk est un taiseux. Mais Lina Soualem parvient à le faire témoigner : « Je trouve qu’il parle beaucoup par rapport au départ. Ca a été un long travail d’allers-retours chez eux pour les filmer. J’ai filmé pendant presque trois ans. Au départ, je filmais mon grand-père un peu de loin. J’avais un peu peur de me confronter à son silence. Petit à petit, en me revoyant revenir et poser les mêmes questions, il a un peu baissé la garde. Quand on a passé 40 ans de sa vie à s’enfermer dans son silence, ce n’est pas facile de s’ouvrir tout d’un coup. Je pense qu’il y a des choses qu’il ne s’autorisait plus à penser. J’ai fait remonter des choses enfouies depuis longtemps. Au bout d’un moment j’ai arrêté de toujours poser des questions frontalement. J’ai essayé de l’emmener dans certains lieux, de lui montrer des photos pour réactiver la mémoire, le faire parler plus naturellement ».
Ma grand-mère a toujours raconté ses anecdotes avec le rire alors que ce qu’elle racontait était plutôt tragique
Sa grand-mère Aïcha passe du rire aux larmes et se confie plus facilement : « Elle n’a pas l’habitude qu’on s’intéresse à sa vie, à son intimité. Pour se protéger dans les moments de gêne, elle rit. Il y a cette complicité entre nous où elle me dit que c’est trop mais où finalement elle me parle. Je sens qu’elle a envie de parler avec moi mais qu’elle n’a pas cette habitude. Cela prend un peu de temps. Ma grand-mère a toujours raconté ses anecdotes avec le rire alors que ce qu’elle racontait était plutôt tragique. C’est quelque chose qui m’a beaucoup intriguée. Je me rendais compte en grandissant que par exemple, son mariage à l’âge de 15 ans, ce n’est pas rigolo pour une jeune fille. J’ai mis du temps à réaliser qu’il y avait d’autres choses derrière et que finalement ses rires n’étaient pas des rires de bonheur mais cachaient quelque chose ».
Un passé dans la coutellerie
Son grand-père Mabrouk a été ouvrier-polisseur dans la coutellerie. Dans le documentaire, une vie de labeur apparaît. Lina Soualem explique : « Je lui posais souvent des questions par rapport à son travail car il travaillait 70 heures par semaine dans les usines. Cela a constitué une grosse partie de sa vie. C’est pour travailler qu’il est venu en France et pas ailleurs. Les Français allaient chercher la main d’œuvre algérienne dans les colonies. Il ne me répondait pas directement, il n’osait pas me dire que c’était un travail dans lequel il se sentait exploité. Il a fini par le raconter à un cousin comme on le voit dans le film. Ce qu’il dit est très dur, il ne dit pas seulement qu’il s’est senti exploité mais carrément prisonnier de ce travail. C’est aussi pour ça que je l’ai filmé dans le musée de la coutellerie car j’ai toujours connu mon grand-père comme polisseur de couteaux, je connaissais bien l’histoire de la coutellerie à Thiers, mais quand j’ai visité ce musée, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune trace de ces ouvriers algériens. Il n’y avait pas une pancarte, pas une photo, alors qu’ils constituaient presque 60 % de la main d’œuvre. C’était important pour moi de le filmer dans ce musée pour lui rendre sa mémoire ».
La présence de Zinedine Soualem
Son père Zinedine est également un personnage du film. Lui aussi se confie avec pudeur : « Au départ, je n’avais pas prévu de le filmer car je pensais que j’allais avoir une conversation exclusive avec mes grands-parents. Finalement, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas ne pas le filmer car j’ai compris que mon père est aussi héritier du silence. J’ai compris que s’il ne me restait rien, c’est aussi parce qu’on ne lui a pas raconté grand-chose non plus. J’ai réalisé que c’était une pièce importante de cette lignée de transmission. Il fait partie du puzzle de la mémoire. J’ai appris des choses de mon père par le film. Il ne m’avait jamais parlé de son enfance dans le mythe du retour ou du fait qu’il ait eu la nationalité française à 28 ans alors qu’il est né et qu’il a vécu toute sa vie en France. Ce sont des choses que je n’imaginais absolument pas ». La réalisatrice a choisi d’insérer dans le documentaire des images d’archives tournées par son père. Un matériau précieux qui lui a servi de base de travail : « Mon père est inclus dans le film car je suis parti de choses qu’il a filmées dans les années 90. En regardant ces images avec un nouvel œil et en étant consciente de la séparation de mes grands-parents, je me suis demandé en les regardant, adulte, si mon père à cette époque cherchait à garder des traces de cette mémoire qui ne se transmettait pas. Mon père est vraiment le premier collectionneur d’images. Il m’a laissée un héritage visuel incroyable avec toutes ses archives et les photos de famille. Il les gardait, les agrandissait ».
Le voyage en Algérie
A la fin du film, Lina Soualem retourne sur la terre de ses ancêtres, à Laouamer, en Algérie. Une séquence qui a profondément marqué la réalisatrice : « Ce n’était pas prévu au départ que j’y aille car je ne voulais filmer que Thiers, marquer l’exil et la distance qui se sont construits avec la terre natale. Finalement, comme au départ je n’avais pas de financement en France, j’ai dû présenter le film dans de nombreuses plateformes de work in progress, de coproduction dans des festivals à l’étranger, notamment dans le monde arabe et en Afrique du nord. J’ai pitché le film dans un festival à Béjaia et j’ai gagné une temps de résidence à Alger où j’ai passé un mois. En étant là-bas, la force des choses a fait que le parcours du film m’a emmené en Algérie. Même si c’est un film sur l’exil en France, je ne peux pas éviter d’aller voir ce village qui est la source de tout, la source de la transmission, des douleurs, des souvenirs, du silence. Il représentait beaucoup de choses. C’est aussi pour cela que j’avais du mal à y aller : quand on grandit avec une terre natale lointaine et parfois fantasmée, on a peur de se confronter à la réalité. C’était extraordinaire de pouvoir y aller car j’ai découvert ce village sous la neige, ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. J’ai croisé des gens qui connaissaient mon grand-père, des gens de la famille qui me racontaient des choses sur lui. J’ai compris qu’il n’avait pas vraiment coupé. Il ne parlait pas de cela à ses enfants mais il était toujours connecté à cette terre. C’était très fort de ressentir cela à travers ce voyage ». En tant que comédienne, Lina Soualem a joué dans quatre longs-métrages des réalisatrices Hafsia Herzi, Hiam Abbass, Rayhana et Rima Samman. Aujourd’hui, elle développe son second projet de long-métrage documentaire « Bye Bye Tibériade » et travaille en tant qu’auteur et coordinatrice d’écriture sur des projets de fictions, séries et documentaires.
Publié le 11/10/2021 à 20h31 Écrit par Catherine Lopes
Le naufrage d’une embarcation dans la Manche qui a coûté la vie à 27 personnes est une nouvelle illustration du drame qui se joue sur les côtes du nord de la France. Notre reporter était sur place cette nuit-là.
Dans les dunes, près de Wimereux, le 24 novembre 2021. Un bateau de type Zodiac, utilisé par les personnes exilées pour passer vers les côtes britanniques, est échoué. Il a été percé par la police sur la plage lors d'une tentative de passage pour empêcher la traversée. (LOUIS WITTER / LE PICTORIUM POUR L’OBS) (LOUIS WITTER / LE PICTORIUM POUR)
5h45 sur une plage de Boulogne-sur-Mer. Le ciel est bas, l’obscurité dense et humide. Il ne pleut pas. La mer est noire. De loin, on ne distingue rien d’autre que les promontoires sombres des dunes et les talus d’herbes fouettées par les embruns. Pourtant, à bien écouter les voix portées par le vent, la plage est vivante. Entre les dunes, se glissent quelques furtives silhouettes noires. De minuscules points lumineux dansent dans l’obscurité. On perçoit quelques cris. Des pleurs d’enfant. Comme chaque nuit ou presque, ce sont les candidats au départ vers l’Angleterre qui tentent leur chance sur des Zodiac ou des canots de fortune. Combien sont-ils cette nuit du 24 novembre ? 200 ? 600 ? Windy, le service de météo marine, a annoncé des conditions clémentes. Est-ce pour cela que la veille, Biastan, sa femme Naman, enceinte de 4 mois, Diego et Nova, leurs deux enfants de 8 et 4 ans, avaient l’air si confiants ? La famille, originaire du Kurdistan irakien, semblait pleine d’espoir. Sûrs de partir : « Demain. Après-demain maximum », nous avait dit la veille le père avec un large sourire, assis devant sa « tente », une bâche sommaire posée à même la boue, le long d’un canal que surplombe la nationale de Grande-Synthe. « Ce n’est pas qu’on n’aime pas la France, mais on n’a pas obtenu de demande d’asile. »
Sur le campement de Loon-Plage près de Grande-Synthe le 23 novembre 2021. Une famille, candidate au départ en bateau vers le Royaume-Uni, montre où elle vit. (Louis Witter / Le Pictorium pour L’Obs)
Objectif : l’Angleterre
La famille voyage depuis deux mois, après avoir fui Kirkouk, leur ville d’origine, dans le nord de l’Irak. Leur périple, c’est Diego, 8 ans, qui le raconte dans un anglais quasi parfait. Quinze heures de bateau jusqu’en Grèce. Puis l’Italie. Puis Grande-Synthe depuis une semaine, à une demi-heure au nord de Calais. « Next : l’Angleterre ! » Ce pays qui les fait tant rêver. Depuis le Brexit, le règlement dit « de Dublin », qui détermine le premier pays d’entrée dans l’Union européenne comme celui où doit être effectuée sa demande d’asile, ne s’applique plus au Royaume-Uni. Alors, malgré les accords du Touquet qui interdisent le passage illégal de la frontière entre la France et le Royaume-Uni, Biastan veut croire qu’il pourra y obtenir plus facilement un statut de réfugié et, donc, un travail.
Cette nuit, c’est peut-être lui qui embarque. Ou peut-être aussi Soumaya, 18 ans, originaire du Kurdistan iranien, enceinte de six mois et demi, et look punk de jeune fille de son époque. Chaussée de boots noires et montantes, pratiques lorsque l’on vit et dort dans la boue, elle nous avait raconté qu’elle était arrivée depuis dix jours, après avoir franchi la frontière de la Biélorussie. Elle aussi comptait partir cette nuit. Est-ce qu’elle avait peur de se noyer, de mourir ? Oui. « Bien sûr » qu’elle avait peur. « Mais pas le choix. » Pas le choix non plus pour Swedie, 21 ans, qui lui aussi a fui son Iran natal parce que là-bas : « No freedom. Police taktaktak sur nous. » Au-dessus d’un maigre brasero, il nous avait assuré attendre un coup de fil « bientôt ». Et après ? « Après : bateau. » Swedie souriait aussi. Est-ce lui qu’on entend crier sur la plage ? Comment savoir ? La nuit noire avale tous les visages.
« Ils nous ont gazé et ont crevé notre bateau »
Une paire de jumelles infrarouge devant les yeux, Marie, 57 ans, scrute l’obscurité, espérant et redoutant à la fois un signe, un message de détresse. Elle est éducatrice spécialisée, mère célibataire d’une fille, « grande maintenant ». Les réfugiés sont là « depuis longtemps à Boulogne-sur-Mer. Mais depuis un an, il me semble qu’ils sont encore plus nombreux qu’avant ». Ou plus « chassés » par la police, donc plus « visibles », selon elle.
« Ils sont toujours en train de marcher, par groupe de deux ou trois, parfois plus, pour échapper aux rondes quotidiennes des fourgonnettes de police. »
Dans les dunes de la Slack près de Wimereux le 24 novembre 2021. Des équipages de police surveillent la plage.
Un jour, alors qu’elle se promenait sur la plage, elle a vu une dizaine de personnes naufragées, trempées, frigorifiées, « ramenées par des agents de la protection civile sur le rivage ». Il y avait des petits « hauts comme ça », souffle-t-elle dans l’obscurité. « Ils ont pu rentrer se réchauffer une petite heure dans une tente installée par les secouristes et puis la nuit est tombée. La tente a été repliée. » Et les naufragés sont restés là, leurs chaussures mouillées, à attendre le premier train pour rentrer dans leur camp de fortune. Depuis, elle fait des « maraudes » dans les dunes et le long des routes : le jour toute seule, la nuit avec des bénévoles de l’association Utopia56 à Calais. Dans son coffre, elle a toujours deux ou trois cartons remplis de bouteilles d’eau, de biscuits, de chips, de fruits secs, quelques couvertures et des vêtements de rechange. La dernière fois, elle a croisé Jean-Luc Dubaële, le maire sans étiquette de Wimereux sur le parking de la plage.
« Il m’a dit : “Madame, ne vous inquiétez pas, on va régler le problème. Les réfugiés, ils sont partout, ils se multiplient, ils polluent notre Côte d’Opale avec leurs détritus, c’est une plaie pour la ville, un poison”. J’ai répondu : “Mais monsieur le maire, on parle quand même d’êtres humains”. Il m’a répondu : “C’est pas des humains, c’est des rats”. »
Contacté par « l’Obs », ce dernier dément formellement l’ensemble des propos, assurant mettre tout en œuvre pour « secourir les migrants dans sa ville ».
« Quand on voit comment on traite les humains chez nous »
Ainsi va la vie à Calais, Boulogne ou Grande-Synthe. Partout où passent les « migrants » ou plutôt, les « exilés » comme préfèrent les nommer la centaine de jeunes bénévoles qui leur viennent en aide. Tel Olivier, 33 ans, qui a choisi de quitter son boulot de gérant de salle de sport il y a un an pour s’investir à plein temps dans l’association Utopia de Calais. « Pas la peine d’aller faire de l’humanitaire à l’étranger quand on voit comment on traite les humains chez nous », constate-t-il. A chaque « maraude plage », depuis des mois, c’est le même cirque. Un jeu de cache-cache entre police, migrants et les associations qui les aident. Le long de la départementale qui longe la côte, entre Wimereux et Boulogne-sur-Mer, c’est un ballet incessant de fourgonnettes de la police municipale qui passent et repassent, dès l’aube et jusqu’à tard le soir, pour empêcher toute « installation ». Les exilés qui tentent leur chance par la Manche sont repoussés toujours plus loin. Certains viennent de Calais, à 35 km de là, d’autres de Dunkerque, à 80 km.
Dans le cimetière de Calais Nord le 22 novembre 2021. Bon nombre des personnes exilées décédées à bord des camions ou en mer sont inhumées ici. Le plus souvent, les associations prennent en charge les obsèques. (Louis Witter / Le Pictorium pour L’Obs)
A la gare de Boulogne-sur-Mer, une vingtaine d’Erythréens attendent le premier train de la journée. Ils sont assis par terre, tout près du chauffage de la boutique Relay. Il y a là Mohamed, 24 ans, et sa sœur Mona, 21 ans. Cette nuit, à 3 heures du matin, ils étaient 29 prêts à embarquer, dont cinq personnes originaires du Yémen, et ces deux petites-filles qui mangent des madeleines en riant. « Mais la police est arrivée, ils nous ont gazés et ont crevé notre bateau avec des couteaux », nous raconte-t-il tristement, en mimant les gestes. En deux mois, c’est sa septième tentative et il commence à « perdre espoir ».
« On est resté trois heures dans l’eau »
A quelques kilomètres de là, devant la petite gare de Wimereux, un autre petit groupe attend son train. Eux aussi ont raté leur départ : « On a pris la mer à 4 heures du matin avec 35 personnes, mais au bout de 10 ou 15 minutes, le moteur s’est arrêté et le canot a commencé à couler. On est resté trois heures dans l’eau avant d’atteindre le rivage où la police nous a interceptés », raconte Kalkidian, 20 ans, originaire d’Erythrée qui tente de se réchauffer, enroulée dans une couverture de survie que vient de lui distribuer Olivier. Son périple a commencé il y a deux ans, « en camion et à pieds » : Ethiopie, Soudan, Turquie, Grèce, Belgique. Et puis après : Calais. « Comme je suis majeure, il n’y a rien pour moi en France. Personne pour me prendre en charge. »
Personne non plus pour aider Mohamed, 20 ans, arrivé il y a six ans de la Somalie et qui ne veut pas parler de son père, parce que son cœur va se « briser » : « J’ai déjà vécu mille vies, et si je pense au passé, je ne peux plus continuer. » Le jeune homme tremble de froid, mais n’échangerait pour rien au monde ses baskets trempées : « Je les ai achetées 7 euros et pour moi, c’est très cher », dit-il dans un sourire. Mohamed en est à sa deuxième tentative et il n’arrive plus à garder espoir :
« Je n’ai pas choisi de naître en Somalie. Je n’ai pas choisi d’être un réfugié. Là-bas, si j’étais resté, je serais sans doute déjà mort. Mais ici, je meurs à petit feu. »
Cette nuit-là, Mohamed n’est pas mort. Kalkidian non plus. Mais 27 personnes sont décédées. Parmi elles, sept femmes, dont une femme enceinte, et une petite fille. Selon la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, il s’agit du « pire accident » depuis 2018. Depuis le verrouillage du port de Calais et d’Eurotunnel, emprunté jusque-là par des migrants tentant de rallier l’Angleterre par la route. Selon Londres, 25 700 migrants ont réussi, sur de petits bateaux, la traversée depuis janvier.
Avec « Soleil Amer », son second roman, Lilia Hassaine se penche sur la condition humaine et l’environnement social qui l’entoure, en y ajoutant brillamment une dimension historique. Elle était en lice pour le Prix Goncourt. Rencontre.
Deux livres, deux ambiances. Lilia Hassaine, auteure et journaliste française d’origine algérienne de la troisième génération, a été remarquée avec son premier roman, L’Œil du paon, en 2019. Héra, une jeune femme innocente était contrainte de quitter son île et se heurtait de plein fouet à la vie parisienne. Dans Soleil Amer, il est aussi question d’un départ, celui d’une famille algérienne pour la France en 1959 sur les traces du père, Saïd, parti quelques mois auparavant pour y travailler. C’est la genèse d’une saga ample et admirablement maîtrisée. Le titre, tiré du Bateau ivre d’Arthur Rimbaud, est un oxymore, figure de style qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires. Il illustre le clair-obscur qui traverse le livre, les sentiments mêlés qui accompagne l’histoire de cette famille. Ainsi, Lilia Hassaine nous dévoile, sur trois générations, un chemin sinueux mais teinté d’espoir, de la wilaya de Setif à la cité d’une banlieue française.
Les premiers temps pleins de promesses dans les HLM sont suivis d’une lente dégradation. Les lieux déteignent sur les personnages à moins que ce ne soit l’inverse. Les parents donnent naissance à des jumeaux, Amir et Daniel. Ce dernier est élevé par Kader, le frère de Saïd, et Ève, sa femme. En secret, ce qui va avoir des conséquences insidieuses sur les destins fendus en deux. Soleil Amer est une fresque foisonnante qui comme son titre l’indique, réunit les extrêmes, le souffle romanesque et la sobriété du ton. Lilia Hassaine parle de la condition humaine, capte un environnement social et le situe dans sa dimension historique. Ce roman puissant a été sélectionné pour un bon nombre de prix, dont le plus prestigieux, le Goncourt. Si les mots de Lilia Hassaine sont doux-amers, sa parole est lumineuse : elle nous éclaire sur ses intentions d’écrivain et sur le regard qu’elle porte sur le monde. Les deux se rejoignent et n’empruntent aucun raccourci, l’apanage de la vraie littérature.
Jeune Afrique : Pouvez-vous raconter le cheminement qui vous a conduite à écrire ?
Lilia Hassaine : J’écris depuis toute petite parce que j’étais très solitaire. Je pouvais m’évader, inventer un autre monde. J’aimais lire, donc j’écrivais pas trop mal et j’avais de bonnes notes en rédaction. Quand on est encouragé et qu’on a de bons résultats, on est enclin à poursuivre. À 20 ans, j’ai postulé au Monde Académie, un programme qui proposait à des jeunes entre 18 et 25 ans, sans contact dans les médias, d’envoyer un article de presse de 12 000 signes. Mon papier était un roman-feuilleton entre littérature et journalisme. Il a été publié dans un blog et beaucoup de commentaires me réclamaient la suite. J’ai compris que j’avais peut-être un chemin à tracer en littérature.
Comment avez-vous franchi le pas du premier roman puis de Soleil Amer ?
J’ai mis à peu près quatre ans pour écrire L’Œil du paon, mon premier roman, parce que je n’étais pas sûre de moi. Auparavant, j’avais eu l’idée, inspirée de faits réels, de Soleil Amer. Je n’étais pas forcément prête à la raconter dans mon premier roman et même dans le deuxième, je pensais que ce serait autre chose, mais je n’arrêtais pas d’y penser.
Quelle est la part autobiographique de Soleil Amer?
Je suis une petite-fille d’immigrés et à ce titre, j’avais des choses à raconter sur cette histoire avec mon regard. J’avais l’histoire de mes parents, de mes grands-parents. Je porte le regard de la troisième génération sur une histoire dont on ne parle finalement pas beaucoup.
TOUS MES PERSONNAGES SONT CONSTRUITS EN MIROIR
Vous avez situé votre roman entre 1959 et 1997. Pourquoi ?
Quand on parle de la banlieue, on parle des années 1990, parfois des années 1950. Les années 1960, 1970, 1980 ne sont pas forcément traitées en longueur. En parlant avec ma mère, je voyais tout ce que je pouvais faire de cette période, celle de son enfance. J’ai compris à quel point elle avait été déterminante et, forcément, la génération qui arrive devient le fruit de cette transmission. Je trouve que cela permet de comprendre encore mieux notre époque.
Votre livre parle de gémellité et de secret. Amir et Daniel, sont des frères jumeaux séparés à la naissance. Est-ce une allégorie de la relation France/Algérie ?
Je ne l’avais pas forcément élaboré comme ça mais effectivement, tous mes personnages sont construits en miroir. J’ai été intriguée par cette histoire des deux enfants de mère algérienne. L’un qui va être élevé par une femme française, l’autre dans sa famille algérienne. À travers eux, on devine toute cette relation si complexe qui se déploie entre l’Algérie et la France. On voit à quel point en France on parle énormément de l’Algérie, tout en disant que l’Algérie est obsédée par la France. Le travail de mémoire n’a pas été fait et il continue de ne pas être fait, malgré quelques avancées. Je le regrette. Pour le 17 octobre 1961, par exemple, j’ai regardé la cérémonie à la télé, enfin ce que j’ai pu en voir, car les chaînes d’info ne s’y sont pas intéressées. Il y avait vingt personnes autour d’une gerbe, pas un discours, pas un mot. Il faut arrêter de se voiler la face. Ça ne veut pas dire que du côté algérien, il ne s’est rien passé non plus, mais au moins il faut dire les choses.
L’histoire de la famille est-elle le reflet de celle des lieux où elle vit ?
La question de l’urbanisme est très intéressante. Quand quelqu’un grandit entre des murs en cité HLM, ce n’est pas que du béton, c’est du bruit aussi. On met des gens dans des endroits qui, à l’origine, étaient tout beaux, tout neufs. Ça allait parce qu’il y avait encore de la mixité sociale, des services publics. À partir du moment où il n’y a plus les écoles, où il n’y pas plus de centres de loisirs, où il n’y a plus de maisons des femmes, où les banlieues pavillonnaires ont leurs propres établissements scolaires, les cités HLM sont isolées. La distance qui sépare les banlieues de Paris est plus que kilométrique. Le message que renvoient les murs est signifiant. Les cités HLM sont faites dans un béton qui n’est pas destiné à durer. Au contraire, à Paris, on trouve de la pierre, des balcons en fer forgé, des matières nobles qui sont déjà des morceaux de patrimoine. On se rend compte qu’il y a une transmission, que l’appartement a été légué par la grand-mère, qu’il y a une gardienne qui en prend soin. On envoie un message aux gens en fonction de leurs lieux de vie.
ON SE RETROUVE À CRÉER DES TENSIONS « INTERRACIALES » LÀ OÙ IL Y A LA MÊME SOUFFRANCE SOCIALE
Vous mettez en scène de façon savoureuse une famille bourgeoise de gauche. Pour vous, est-il pertinent de parler lutte des races, en plus de la lutte des classes ?
Je n’aime pas du tout ce mot. Je crois que fondamentalement, si on regarde de quoi souffrent les Français, ce sont de problèmes sociaux. Les enfants d’agriculteurs sont autant en souffrance que les enfants de banlieue. Sauf que ce sont des gens qui ne se rencontrent plus, donc ils ne font plus classe sociale. On est en train de faire croire à ces enfants du milieu agricole que des enfants vont prendre leur place parce qu’ils sont musulmans, qu’ils sont dans des ZEP où ils vont avoir accès à des bourses et pas eux. Eux qui appartiennent parfois à des classes moyennes vont être en colère contre des gens encore plus pauvres qu’eux. On se retrouve à créer des tensions « interraciales » là où il y a la même souffrance sociale.
Vous écrivez : « Notre mémoire ne devrait pas devenir une pierre qui nous tire vers le fond, mais une vie contenue dans la nôtre qui, par un jeu de poupées russes, donne de l’épaisseur au temps et de la perspective aux choses. » Donner de l’épaisseur au temps et de la perspective aux choses, est-ce votre ambition ?
Exactement. il y a quelque chose de nos parents qui reste en nous, des secrets qu’ils transmettent. Cette transmission du silence – car les non-dits se transmettent aussi – c’est aussi une manière de communiquer. Je pense que c’est un problème individuel, familial, collectif, qui prendra du temps. Et c’est ce que je dis à la fin du livre, je préfère regarder vers les cimes que vers la terre, parce qu’il y a l’avenir qui se prépare.
Une des leçons de votre roman est-elle que ce qui définit l’identité, c’est plutôt où l’on va plutôt que d’où l’on vient ?
L’identité est très mouvante. Entre frères et sœurs, on est très différents. Il y a des choses qui sont liées à la famille et il y a des identités qui se construisent par ailleurs. On a dénié aux gens leur individualité et leur caractère. On classe beaucoup : tu es arabe, c’est une identité. On parle d’immigration à la télé, c’est un mot, ça ne veut rien dire. Parfois il s’agit de migrants, parfois d’immigrés, parfois d’exilés, parfois de gens qui demandent le droit d’asile. On comprend que ce sont des gens un peu basanés qui viennent d’ailleurs en bateau mais c’est absurde. Dès qu’on se remet dans l’histoire individuelle – le rôle du roman – on se rend compte que les choses sont beaucoup plus complexes.
QUAND ON A SES PARENTS ENTERRÉS SOUS UN AUTRE SOL, IL Y A CETTE ENVIE DU RETOUR
Celles qui transmettent la mémoire et qui portent les familles, ce sont des femmes. Avez-vous voulu écrire un roman féministe ?
C’est un mot derrière lequel on met tellement de choses que je ne sais plus trop ce qu’il veut dire. Evidemment, je ne vois pas comment on peut ne pas être féministe, c’est absurde, à moins de dire qu’on n’aime pas les femmes. Les mères sont celles qui ont porté beaucoup de choses, il y avait des hommes qui étaient parfois un peu démissionnaires parce qu’ils étaient fatigués. Ma mère m’a raconté comment les hommes ont construit des autoroutes avec des marteaux-piqueurs de 30 kilos, les oreilles non-protégées, sous la chaleur… Vers 50 ans, à ce rythme, on n’est plus apte à surveiller ses gosses. Ce sont souvent les mères qui allaient travailler, faire des ménages, prendre en charge la famille. Quand la mère va bosser et que le père n’est plus là, on a réuni toutes les conditions d’une catastrophe.
La honte, la discrétion, le renoncement traversent votre roman. Est-ce que ce sont des caractéristiques des populations immigrés ?
Sans doute. C’est une immigration qui s’est faite parce qu’on avait besoin de cette population, puis peu à peu, non. Ces gens ne savaient pas s’ils allaient retourner au pays, parce que quand on a ses parents enterrés sous un autre sol, il y a cette envie du retour. Il y a cette tension entre rester et partir, car les enfants sont nés ici. Cette génération a dû se faire discrète en France, comprenant que ça allait être compliqué de s’intégrer et que c’était aussi compliqué dans leur pays d’origine. Cette immigration a été mal « utilisée » : ils sont venus, on les a mis dans des foyers de travailleurs, ensuite on a compris qu’au bout de trois ans sans voir sa femme et ses enfants, ce serait difficile de les cadrer, donc on a fait venir femmes et enfants. Ce regroupement familial, dont on nous parle aujourd’hui, c’était un regroupement pour que les usines continuent de tourner. Giscard qui était un président de droite, n’avait pas à cœur de faire des bonnes œuvres.
IL N’Y A RIEN DE PIRE QUE DE RÉPONDRE À L’EXTRÊME-DROITE, QUI EST DANS UNE LOGIQUE D’EXCLUSION, EN FAISANT LA MÊME CHOSE
La question du lieu de l’enterrement est-elle une question fondamentale dans l’identité ?
Oui, beaucoup de personnes de la première génération d’immigrés se sont fait enterrer en Algérie. Pour la deuxième, il y a plus de personnes enterrées en France et pour la troisième, ce sera encore plus. Encore une fois, ce sont des sujets dont on ne veut pas trop parler et quand c’est abordé, c’est par Zemmour, et c’est n’importe quoi.
Un élève dit à un moment : « Les Français, ils sont racistes ». Que répondriez-vous à un jeune qui vous dirait cela ?
On ne peut pas faire de généralités, sinon on ne s’en sort pas. Il n’y a rien de pire que de répondre à l’extrême-droite, qui est dans une logique d’exclusion, en faisant la même chose. Quand on parle de séparatisme, la vérité, c’est que ce sont des gens qu’on a séparés et je le montre dans le livre. Se séparer soi-même, c’est donner raison à ces gens qui pointent le séparatisme. C’est pourquoi je ne peux pas être communautariste car je crois profondément à cette communauté d’âmes, de gens qui s’entendent, tout en connaissant son histoire, en sachant pertinemment qu’il y a eu des dualités.
Soleil Amer de Lilia Hassaine, Gallimard, 158 pages, 16,90 euros
À la fin des années 50, dans la région de l'Aurès en Algérie, Naja élève seule ses trois filles depuis que son mari Saïd a été recruté pour travailler en France. Quelques années plus tard, devenu ouvrier spécialisé, il parvient à faire venir sa famille en région parisienne. Naja tombe enceinte, mais leurs conditions de vie ne permettent pas au couple d'envisager de garder l'enfant...Avec ce second roman, Lilia Hassaine aborde la question de l'intégration des populations algériennes dans la société française entre le début des années 60 et la fin des années 80. De l'âge d'or des cités HLM à leur abandon progressif, c'est une période charnière qu'elle dépeint d'un trait. Une histoire intense, portée par des personnages féminins flamboyants.
Dans un excellent livre « la race tue deux fois » (éditions Sylepse), Rachida Brahim bouscule une discipline qui a érigé en dogmes immuables l’analyse de la société en terme de classes sociales et « l’objectivité » en religion
Rabha Attaf
Pendant trop longtemps, le racisme est demeuré un sujet exclu des recherches universitaires françaises. De jeunes doctorants se sont cependantattelés courageusement à la tâche, durant ces derniers années, pour briser ce tabou. Avec son livre « La race tue deux fois », Rachida Brahim est de ceux-là. « J’aimerai décrire le mécanisme qui préside à cette violence sans rien cacher des troubles que ce savoir me cause et des leçons que j’en tire. Non par goût du pathos, mais parce que la neutralité généralement feinte pas les chercheurs en sciences sociale est en réalité une violence épistémique qui participe à ce long désastre. » annonce-t-elle d’emblée dans son introduction.
Comment en effet travailler sur cette question, en tant que descendante d’immigrés algériens, en faisant abstraction d’une « post-mémoire », c’est à dire de la réminiscence d’un traumatisme collectif non vécu mais dont on a hérité ?
Des crimes racistes enfouis
D’abord en faisant jaillir cette violence primordiale à travers le récit de crimes racistes enfouis dans le refoulé collectif de la société française. A partir d’une base de de 731 cas de victimes listées par les associations dédiées durant 30 ans, Rachida Brahim enanalyse une sélection allant de la vague desratonnades dusud de la France en 1973 aux crimes policiers des années 90. Elle distingue trois types de violences : idéologique (la plus courante), situationnelle (surgie des circonstances) et disciplinaire (dites aussi « sécuritaires » par les militants anti-racisme car commises par de policiers ou gendarmes).
Puis, au fil des lignes, la logique intrinsèque à l’origine, selon Rachida Brahim, de tous ses crimes apparaît : « la construction au sein de la société d’une catégorie de personnes associées à un danger » dans le cadre d’un rapport de domination produit par le système social. L’auteure convoque, en effet, Foucault et son concept de biopouvoir pour expliquer la « violence raciale » -celle qui cible un ennemi intérieur fabriqué par la société- et la « violence d’Etat » qui vise à contraindre les corps. Cet angle analytique est intéressant, mais il mérite d’être placé dans une perspective historique qui en approfondirait le champ. Le mot « postcolonial » qui définit la temporalité de la vague des crimes des années 1970 renvoie en effet à une violence coloniale qui a atteint son paroxysme durant la guerre d’Algérie, y compris en France métropolitaine.
Violences coloniales
Le déni dont fait preuve l’Etat français à l’égard de cette violence coloniale et son prolongement, lanégation des crimes racistes, sont passés au crible par la chercheuse qui déconstruit méticuleusement ce qu’elle désigne comme législation « racialisante », c’està dire les lois successives sur l’immigration, mais aussi paradoxalement les lois anti-racistes. Le contexte dans lequel ces lois sont votés les impègne en effet d’un état d’esprit particulier. Un déni qui se traduit aussi dans la plupart des procès des crimes racistespar des peines légères, le mobile raciste étant souvent écarté.
La démonstration de Rachida Brahim s’avère finalement convaincante, mais son livre laissel’impression d’être un essai inachevé. La conclusion du livre, trop académique, manque de mise en perspective pour des recherches à venir, et surtout de pistes de réflexion pour endiguer ce racisme endémique qui gangrène l’Etat français et fait gravement obstruction à une intégration citoyenne des populations concernées. On attend donc la suite…
Palestro ! Ces trois syllabes resteront comme le lieu de la plus célèbre et tragique embuscade de la guerre d’Algérie, le 18 mai 1956. Le symbole de ce qui peut arriver de pire à 21 soldats qui étaient des appelés du contingent. Six en plus tard, le 5 juillet 1962, l’Algérie devenait indépendante.
Ils sont morts pour rien comme les milliers d’autres (27 500 tués et 1 000 disparus) dans cette guerre qui n’a jamais dit son nom.
Uzbin, dans cette vallée afghane, le 18 août 2008, dix soldats français et un interprète afghan sont tués dans une embuscade. Le lendemain, les Français découvrent qu’elle est en guerre en Afghanistan et que ses fils y meurent. 13 ans plus tard, presque jour pour jour, le 15 août 2021, les talibans sont entrés dans Kaboul sans résistance après le départ des soldats américains. Avec les tués d’Uzbin, 90 soldats français sont morts en Afghanistan de 2002 à 2014 pour rien eux aussi ! Maintenant, il nous reste le Mali…
Hommage aux soldats tués à Uzbin, dans la cour des Invalides à Paris
en 2008.
Uzbin ! dans cette vallée afghane, le 18 août 2008, dix soldats français et un interprète afghan sont tués dans une embuscade. Le lendemain, les Français découvrent qu’elle est en guerre en Afghanistan et que ses fils y meurent. 13 ans plus tard, presque jour pour jour, le 15 août 2021, les talibans sont entrés dans Kaboul sans résistance après le départ des soldats américains. Avec les tués d’Uzbin, 90 soldats français sont morts en Afghanistan de 2002 à 2014 pour rien eux aussi ! Maintenant, il nous reste le Mali…
Uzbin, du nom d’une vallée en Afghanistan où le 18 août 2008, dix soldats ont trouvé la mort, pris dans une embuscade. C’est ce jour-là, en plein été, que les Français se sont rendu compte qu’ils étaient en guerre, une guerre sans nom, une guerre en leur nom, depuis déjà sept ans… à 5000 kilomètres de chez eux. Uzbin, c’est le nom d’une tragédie qu’on murmure entre soldats, envoyés en Afghanistan comme symbole de leur peur, en particulier d’une attaque surprise, sans pouvoir ni décrocher, ni riposter… Symbole aussi d’un choc, celui des visages des disparus, publiés à la Une des journaux. Et puis tout simplement, les dix morts d’Uzbin représentent la plus grosse perte de l’armée française depuis l’attentat du Drakkar en 1983 à Beyrouth. Il y a eu Avoir 20 ans dans les Aurès … Il y a aussi Avoir 20 ans, et mourir à Uzbin : là encore, c’est l’histoire de jeunes soldats, envoyés pour certains pour la première fois au front. C’est enfin, l’histoire de leurs parents et de leurs proches et celle d’une controverse, du poids d’un mot qu’on hésite à utiliser du côté des gouvernants : le mot "guerre". Aujourd’hui encore, il y a débat : La France est sur le terrain d’opérations militaires mais est-elle en guerre ? Si oui, depuis quand ? Au nom de quoi ? Sous quel mandat des soldats français sont-ils envoyés ?
Pour ceux qui ne l’ont jamais vu voici le film intégral
Et Dieu créa le monde. Et le monde devint immonde.
Et comme il est censé tout prévoir, pourquoi ne l’a-t-il pas prévu ?
S’il peut tout faire pourquoi n’a-t-il rien fait pour nous épargner cette descente en enfer ?
N’avait-il rien d’autre à faire que de commencer par créer le ciel pour finir par le jeter par terre ?
N’est-il pas surpris de voir les êtres insensés l’emporter sur les êtres sensés, les mécréants sur les croyants et les malveillants sur les bienveillants ?
Je n’irais pas jusqu’à déplorer les divers revers de l’univers, mais je m’interroge très sincèrement sur les travers de la création.
Qu’est-ce qui a pris à Dieu ?
Je ne me permettrais pas de dire qu’il aurait pu faire mieux parce qu’avec l’être, nul ne peut revenir en arrière… il faut s’y faire.
Je passe sous silence la question qui désempare toute conscience : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
Mais je ne peux passer sous silence la question de l’inconsistance des choses et des causes : l’échéance et la déchéance… la naissance et la dégénérescence, l’irruption et la corruption…
J’ai mauvaise conscience à chaque fois que je me donne bonne conscience.
Et je me demande sans une once d’insolence : pourquoi s’est-il donné tant de mal pour nous abandonner à autant de mal ?
Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour pénétrer son royaume impénétrable ! Pour lui dérober son secret…mais quel existant n’a pas quelque lien de parenté avec Prométhée, le plus croyant des athées, qui a cru en son âme et conscience que le feu nous dispense de nous poser la question de Dieu… ce qui est très présomptueux…
Ce ne fut qu’une partie remise puisqu’au moindre incident de parcours, on la réactualise : Pourquoi Dieu a créé un monde qui n’a apparemment rien de nécessaire ?
La réponse est comprise, je crois, dans la question.
Et c’est parce que le monde n’est pas nécessaire que Dieu a jugé nécessaire de lui donner esprit et matière.
Et Dieu créa le possible pour faire de l’ombre au réel… le réel pour faire de l’ombre au nécessaire. Et le nécessaire pour que l’ombre ne chasse pas la lumière… celle d’une liberté qui libère.
C’est un peu compliqué pour ceux qui n’ont pas l’habitude de se prendre la tête, mais en vérité, c’est tout bête : la seule créature digne du créateur : c’est LA LIBERTE.
Dieu a créé la liberté… et croyez-le ou croyez-moi, c’est le plus haut niveau d’existence et d’exigence. Vous entendez ?
Libres. Il nous a créé libres… libres de le reconnaître, libres de le méconnaître… libres d’accomplir le meilleur comme le pire…
Et à bien y réfléchir tout artiste authentique ne fait rien d’autre qu’imiter son divin créateur, rien d’autre que de manifester sa liberté en créant, il créé librement mais ne peut créer la liberté… parce que c’est déjà fait…
Oh mon Dieu depuis que je le sais, je suis libre pour vivre, plus libre que jamais… et plus que jamais ivre de voir sortir du chaos, une étoile dansante.
S’il y a un message à retenir : tout être est appelé à rompre la chaîne des déterminismes et à descendre dans l’arène des hommes libres pour les inciter à changer de paradigme : c'est-à-dire de modèle de vue et de vie !
La sainte colère - Lejournal Depersonne
Oscar Wilde disait que nul n’était assez riche pour acheter ou racheter son passé… c’est ce que Google ne cesse de nous repasser, de ressasser et de nous répéter de façon lassante.
Aujourd’hui avec le progrès des nouvelles technologies, plus personne n’est à l’abri de cette mémoire accablante qui vous poursuit du berceau jusqu’au tombeau, jusqu’à rendre votre propre mort, vivante.
Nous sommes tous coincés, piégés et faits comme des rats !
Notre monde n’est plus qu’une légende, légende de Caïn qui fait que tout regardant est regardé, épié, fixé par le mauvais œil… l’œil du témoin… témoin à charge qui ne laissera plus personne prendre le large.
C’est même écrit à la marge de tous les réseaux dit sociaux : ils savent qui vous êtes, mais vous ne savez pas qui ils sont… excepté peut-être le frisson qu’ils vous donnent en vous faisant comprendre que tout poisson finit toujours par mordre à leur hameçon…
Ça va vite… il suffit d’un tweet pour que votre existence cesse d’être fortuite.
Mila, la jeune victime du cyberharcèlement devine déjà la suite … l’impossibilité pour elle de toute fuite… Google est grand… et nous ne sommes que ses soubrettes.
La question qui irrite toute l’actualité à l’heure des procès sans objet, est celle-ci :
Comment faire pour lutter contre le cyberharcèlement qui n’épargne ni hommes, ni femmes, ni enfants ?
Figurez-vous que cette question ne peut recevoir de réponse sans l’appui de toute une mythologie… celle de l’essence même de la technique : elle se sert de celui qui s’en sert.
Souvenons-nous du mythe de Frankenstein qui s’est fait dévorer par le monstre qu’il a lui-même créé.
En vertu du dicton juif-allemand qui stipule qu’il n’y a pas pire piège que celui qu’on se tend à soi-même…
Alors comment faire pour nous empêcher de nous nuire mutuellement ? De nous porter atteinte sans nous donner la possibilité de déposer plainte ? D’être toujours en guerre et sans le moindre espoir de paix ? Que faire ? Quoi faire ? Pour préserver nos arrières ? Et protéger les êtres qui nous sont chers ?
La réponse ne peut être seulement politique. Elle doit être aussi juridique… je dirais même constitutionnelle. Il faudrait que tous les états de droit octroient à tout citoyen le droit d’être effacé de toutes les tablettes : son nom, son histoire et sa tête de tout internet jusqu’à ce qu’il cesse d’être un miroir aux alouettes.
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