Un administrateur colonial français en "tournée" dans un avant-poste au Congo, en 1905. (Domaine public/Wikimedia Commons)
Il y a 73 ans, le gouvernement provisoire français mettait fin au régime de l'indigénat dans l'empire colonial. Pendant plus d'un siècle, les populations autochtones ont été soumises à des peines spéciales.
Deux fois par mois, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BNF), "l'Obs" revient sur un épisode de l'histoire coloniale en Afrique raconté par les journaux français. Aujourd'hui, la fin du régime de l'indigénat en février 1946.
Interdiction de quitter sa commune sans permis de voyage, de tenir des propos offensant envers un agent de l'autorité, obligation d'obéir aux ordres de corvées, de transport ou de réquisition d'animaux, règles vestimentaires à respecter…
On l'a appelé le "Code de l'indigénat". Mais c'était plutôt un régime uniquement réservé aux populations autochtones – aux "indigènes" –, une série de réglementations, différentes selon les colonies, conçues comme exceptionnelles, dérogatoires et transitoires, et qui ont été reconduites dans l'empire colonial français du milieu du XIXe siècle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Justice à deux niveaux
Les premières législations "spéciales" sont mises en place en Algérie, dès le début de la conquête. En 1834, quatre ans après le débarquement des troupes françaises à Sidi-Ferruch (14 juin 1830), le commandement militaire et le gouverneur général se voient attribués des pouvoirs de "haute police". Ils peuvent désormais prononcer internements, amendes ou séquestres comme bon leur semble.
En 1844, le maréchal Bugeaud, vainqueur contre les troupes de l'émir Abd el-Kader, devenu gouverneur général, liste les infractions possibles (refus d'accepter de la monnaie française, voie de fait contre un chaouch...) et détermine les sanctions (amendes, prison, internement) susceptibles de leur être appliquées. Le soulèvement en Kabylie en 1874 va pousser la France à renforcer le dispositif et à réglementer plus précisément les infractions spéciales, non punies par les lois pénales françaises.
En 1881, le régime de l'indigénat est codifié. Au printemps, un projet de loi "qui confère aux administrateurs des communes mixtes en territoire civil la répression, par voie disciplinaire, des infractions spéciales à l'indigénat" entre en discussion au Parlement, d'abord à la chambre des députés, puis au Sénat.
"On a reconnu que, pour être respectée et obéie par les indigènes, l'administration civile avait besoin de pouvoirs disciplinaires. Mais les pouvoirs que le projet de loi lui accorde sont beaucoup moindres. Les seules peines appliquées seront des peines de simple police. Ajoutons que la répression par voie disciplinaire portera exclusivement sur les infractions spéciales de l'indigénat, c'est-à-dire aux règlements spéciaux aux indigènes. Ces règlements dont le maréchal Bugeaud est le premier auteur ont créé ou plutôt consacré pour les indigènes un régime spécial, quant aux obligations et aux délits.
Par exemple, l'obligation de payer les courriers, de donner l'hospitalité aux agents du gouvernement et le délit disciplinaire du refus de la corvée, du refus de payer les contributions, et de répandre de mauvais bruits contre l'autorité française, etc.Le pouvoir disciplinaire permet de réprimer administrativement, et par suite, immédiatement et sans les lenteurs de la justice, les infractions à ce qu'on appelle le Code de l'indigénat."
Au mépris du droit français
La loi, promulguée le 28 juin 1881, est applicable en Algérie, pour une durée initiale de sept ans. L'indigène peut ainsi être puni d'une amende, d'une peine d'internement ou de la réquisition de ses biens sans passer par la case justice. Les sanctions collectives sont également possibles. Le nombre d'infractions est fixé à 41 (il retombera à 21 en 1888 et à 8 en 1914). Au sein de la longue liste, on trouve la réunion sans autorisation pour pèlerinage ou repas public et le rassemblement de plus de 25 personnes de sexe masculin.
"Cette justice répressive n'est pas seulement spéciale parce qu'elle ne concerne que les indigènes et crée de nouveaux délits et de nouvelles peines, écrit l'historienne Isabelle Merle dans un article de la revue "Politix" ("De la "légalisation" de la violence en contexte colonial. Le régime de l'indigénat en question", 2004). Mais aussi parce qu'elle peut être exercée par l'autorité administrative – échelons supérieurs (gouverneurs) ou intermédiaires (administrateurs, chefs de cercle ou de district, chefs indigènes) – au mépris d'un principe fondamental du droit français, à savoir l'exigence d'une séparation des pouvoirs judiciaire et administratif, garantie des libertés publiques".
De Gaulle à Brazzaville
A partir de 1881, le régime de l'indigénat est peu à peu adopté dans tout l'empire. En Cochinchine, en Nouvelle Calédonie, au Sénégal, dans le reste de l'Afrique occidentale française (AOF), à Madagascar… Le Togo, l'ancienne colonie allemande "récupérée" par les Français après la Première Guerre mondiale, est le dernier pays à le mettre place en 1923.
Mais la législation d'exception ne résistera pas à la Seconde Guerre mondiale. Un an et demi avant la fin du conflit, le Comité français de la libération nationale (CFLN), successeur de La France libre et installé à Alger, décide d'organiser une conférence à Brazzaville, la capitale de l'actuelle République du Congo, afin de se pencher sur le devenir de l'empire. Elle se tient du 30 janvier au 8 février 1944.
"L'Echo d'Alger" a mené campagne contre Maurice Viollette (le ministre de Léon Blum qui a voulu accorder la citoyenneté et le droit de vote aux élites algériennes) et sera un farouche partisan de l'Algérie française. Mais le quotidien ne s'alarme pas de cette conférence "qu'on a appelée à tort conférence impériale, écrit-il, et qui est en réalité une conférence africaine française où seront représentées toutes nos possessions d'Afrique". Il annonce que seront examinées :
"Les questions de politique indigène et notamment le rôle des Européens et leur place en Afrique dans la colonisation, l'assistance médicale orientée vers le soin et la présentation des masses, l'organisation du statut des évolués et de celui de la citoyenneté, le régime général, l'orientation et les buts de l'enseignement indigène."
"Il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès..."
Le même "Echo d'Alger" célèbre en une le général de Gaulle, président du Comité français de la libération nationale (CFLN), "parti d'Alger lundi par avion". Le journal le conspuera quinze ans plus tard, à la fin de la guerre d'Algérie, pour avoir engagé le pays dans la voie de l'indépendance. Il sera définitivement interdit en mai 1961 après avoir pris fait et cause pour le putsch des quatre généraux Zeller, Challe, Jouhaud et Salan.
Dans son discours d'ouverture de la conférence, le 30 janvier, le général de Gaulle n'est pourtant guère éloigné des ambitions du projet, avorté, de Léon Blum et Maurice Viollette :
"En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi."
"Honteuse survivance des premiers temps de la colonisation"
La conférence de Brazzaville sera perçue avec le recul comme un embryon du processus de décolonisation. Le 7 mars 1944, le Comité français de libération nationale (CFLN) met fin au régime de l'indigénat en Algérie. Après la guerre, le gouvernement provisoire s'attelle à le démanteler dans le reste de l'empire. Le quotidien "Ce soir" célèbre l'événement en une :
"Un décret paru, ce matin, à 'l'Officiel', annonce la suppression, à dater du 1er janvier 1946, du Code de l'indigénat, honteuse survivance des premiers temps de la colonisation, permettant de frapper les indigènes de peines disciplinaires par mesure administrative. Seuls, les tribunaux réguliers pourront à l'avenir décider des sanctions en cas de délits commis dans les territoires d'outre-mer. Les démocrates luttaient depuis des années pour cette réforme."
Un mois plus tard, le décret numéro 46-277 du 20 février 1946, signé du président du gouvernement provisoire de la République, Félix Gouin, supprime les "peines de l'indigénat", internements et autres sanctions collectives, en "Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Cameroun, au Togo, à la côte française des Somalis, à Madagascar et dépendances et en Nouvelle-Calédonie et dépendances".
L'abolition des délits et peines de l'indigénat fait partie des premières mesures prises par le gouvernement provisoire. De reconduction en réaménagement et nouvelles réglementations, le régime spécial aura duré plus d'un siècle.
Entends-tu ? Là, juste là. Ce bruit, ce murmure, ce fracas. Ce vent de liberté qui souffle fort sur toi. Respire-le à pleins poumons. Ce sont des youyous, ce sont des slogans, ce sont des cris, des hurlements de joie, des pieds qui battent le pavé, c’est la liesse de tes filles, de tes fils. C’est ce peuple que tu as enfanté. Maintenant, c’est lui qui accouche de son destin.
Entends-tu ? C’est ce peuple qu’on a voulu faire te tourner le dos. Mais c’était ignorer tout ce que vous vous êtes donné. Il a souffert, longtemps souffert, puis il t’a libérée et de nouveau souffert sans jamais t’abandonner. Tu l’as comblé de richesses, tu lui as donné ta terre, fertile, puissante, généreuse. Tu l’as éduqué, instruit, guidé.
Entends-tu ? Ce sont les murs de tes palais qui tremblent. C’est le vernis de leurs dorures qui craque. Ce sont leurs lustres qui vacillent. Ce sont leurs grilles qui s’ouvrent pour laisser pénétrer les cortèges populaires. Là est leur place, dans la grandeur, pour admirer les portraits de leurs héros, de leurs martyrs.
C’est notre Nation que nous nous approprions.
Entends-tu ? C’est ton hymne que nous chantons, c’est ton drapeau qui flotte, qui fouette l’air fièrement, ce sont tes chaînes que nous brisons.
Entends-tu ? Ce sont tes filles, tes femmes, tes vieilles, tes garçons, tes hommes, tes vieux, tes enfants, tes couples, tes familles, c’est notre union, c’est notre Nation que nous nous approprions enfin.
C’EST LA PEUR QUI S’EN VA, C’EST LE SILENCE QUI SE TAIT, C’EST LA LUMIÈRE QUI REVIENT. SOUS NOS PIEDS, À CHAQUE PAS, RENAÎT LA DIGNITÉ !
Entends-tu ? C’est la peur qui s’en va, c’est le silence qui se tait, c’est la lumière qui revient. Sous nos pieds, à chaque pas, renaît la dignité. Dans nos cœurs revient l’espoir, l’honneur désavoue l’infamie et la honte laisse place à la fierté. La fierté d’être Algérien, d’hériter de ton histoire et de ta terre, la fierté de continuer l’œuvre de nos ancêtres, la fierté de rendre hommage à nos morts qui sourient tendrement en nous regardant de là où ils sont.
Entends-tu ? Le peuple libéré, partout rassemblé, criant sa volonté. Il impose, par milliers, par millions, sa présence attendue. Il réclame ses droits en exerçant son devoir le plus vif : s’indigner. Calmement, pacifiquement, il triomphera comme il l’a toujours fait. Et toi, courageusement, tu l’aideras. Car quand il manifeste pour lui, il manifeste pour toi.
La renaissance algérienne tant espérée est là !
Entends-tu ? Ils reviennent. Ces cohortes de jeunes qui partaient, te tournant le dos à contrecœur, les larmes aux yeux et la gorge nouée, en quête d’élévation que tu es en mesure de leur offrir maintenant. Ils reviennent. Nos frères adorés, ton visage le plus beau et le plus innocent. Ils reviennent.
Entends-tu ? Ce sont tes journalistes, tes médecins, tes avocats, tes étudiants, tes architectes, tes artistes, oui tes artistes, qui entonnent le chant de la patrie. Ces générations que tu as formées, elles sont là aujourd’hui pour te relever sous le soleil et la bannière. Entends-tu ? C’est l’Histoire que tu retrouves, ce sont les nations qui te regardent, c’est le monde qui t’admire.
Entends-tu ? C’est la mobilisation de tous, c’est la convergence des protestations, c’est la grande fête de la fraternité. On y chante ta gloire et on célèbre la renaissance. La renaissance algérienne que nous avons tant espérée, tant attendue, est là. À portée de main. Saisissons-la !
Par Anys Mezzaour
Anys Mezzaour est un écrivain algérien, auteur d’« Entendu dans le silence » (Casbah Editions).
Bien avant d’être un président grabataire, Abdelaziz Bouteflika a été le plus jeune ministre des Affaires étrangères du monde, surveillé de près par les services français. « L’Obs » a eu accès à leurs rapports.
Abdelaziz Bouteflika – qui, à 82 ans, briguera de manière insensée un cinquième mandat présidentiel en avril prochain – n’a pas toujours été ce vieillard grabataire manifestement incapable de diriger son pays.
Dans les années 1960 et 1970, alors ministre des Affaires étrangères de la jeune Algérie révolutionnaire, il était l’un des personnages les plus en vue de la scène internationale. Les plus espionnés aussi. Surtout par les services de renseignement et les diplomates français, dont « L’Obs » a étudié les notes, certaines déclassifiées à notre demande.
Coups bas et manigances
C’est en Machiavel imbu de lui-même et corrompu que ces archives dépeignent celui qui, en 1963, prend la tête de la diplomatie algérienne, à 26 ans seulement :
« Un personnage dénué de scrupules, doté d’une intelligence aiguë et d’une très grande ambition, capable de risquer sa mise sur un seul coup. »
Quel contraste avec l’homme qu’il est devenu ! Et pourtant quel écho au temps présent dans ces documents historiques : coups bas, manigances, huis clos insondable au sommet de l’Etat, soupçons d’enrichissement personnel… comme si rien ou presque n’avait changé.
Les archives du Sdec sur Bouteflika. »Ne pas faire état », est-il indiqué. (Doc « l’Obs »)
Les premières fiches concernant Abdelaziz Bouteflika surprennent par leur concision. Alors que le Sdece, l’ancêtre de la DGSE, connaît les moindres détails biographiques des grands leaders de la guerre d’indépendance, ils ignorent presque tout de celui qui occupera la scène politique algérienne durant les soixante années suivantes.
« Ses antécédents ne sont pas exactement connus, si ce n’est qu’il a fait des études secondaires. » Quand il devient ministre, ils n’ont même pas de photo de lui. Mais, très vite, les agents se renseignent sur « ce jeune homme frêle et fluet ».
Né à Oujda dans une famille modeste originaire de Tlemcen, celui qui a gagné le maquis dès 1956 puis est devenu « commandant dans l’ALN » (l’Armée de Libération nationale) est identifié, sous le nom de « Si Abdelkader », comme « un fidèle » du chef d’état-major, le colonel Boumediene, futur président du pays.
Et puis les biographies s’étoffent : « Bouteflika se veut un homme de gauche. Très désireux d’apprendre, il lit beaucoup. »
« Esprit subtil et plein d’entregent, c’est un négociateur retors. » Il apparaît rapidement comme un grand manipulateur, épris de pouvoir. L’homme de tous les complots. Et d’abord du plus célèbre d’entre eux, qui renverse, le 19 juin 1965, le premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, dont le très jeune ministre est, selon Paris, le véritable instigateur.
La France est aux premières loges : alors que les hommes du colonel Boumediene déposent le président Ben Bella au petit matin, Louis Dauge, ministre délégué à l’ambassade de France, est convoqué à 9 heures par Abdelaziz Bouteflika.
Le diplomate rend compte de ses impressions dans un télégramme chiffré quelques heures plus tard : « Il est clair que le ministre des Affaires étrangères fait son affaire personnelle du coup d’Etat », écrit-il. Il n’est pas surpris : depuis plus d’un an, des rapports du renseignement extérieur français retracent, presque heure par heure, les luttes intestines entre les clans au pouvoir.
Coup d’Etat contre Ben Bella
En mai 1964, un document du Sdece annonce l’arrestation du directeur de cabinet de Bouteflika, Abdelatif Rahal. Et estime que le ministre devrait « le suivre prochainement ». Le 3 juin, un autre indique que le président Ben Bella vient de signifier à Bouteflika qu’il doit « quitter son poste de ministre ». Un renvoi qui conduit le ministre des Affaires étrangères à passer à l’action contre le chef de l’Etat.
« Menacé d’être écarté de ses fonctions par Ahmed Ben Bella, M. Bouteflika parvient à entraîner Boumediene dans un mouvement qui aboutira au régime actuel » – autrement dit, au renversement de Ben Bella.
L’ambitieux ne s’arrête pas à ce coup d’éclat. Dans les tortueux arcanes du pouvoir algérien, Abdelaziz Bouteflika réussit à éliminer tous ses rivaux. Y compris, selon les Français, l’épouse du nouveau chef de l’Etat. Dans une note du 7 octobre 1974, le ministère des Affaires étrangères assure : « Il est à peu près certain que le président Boumediene s’est vu contraint, par l’action conjuguée de MM. Bouteflika et Medeghri [ministre de l’Intérieur], de ramener dans l’ombre sa propre épouse. » Cette dernière, lit-on, « portait ombrage à ceux qui, comme le ministre des Affaires étrangères, avaient jusque-là l’exclusivité de l’accès direct auprès de Houari Boumediene ».
L’homme de confiance du président aurait particulièrement mal vécu un voyage à Cuba en avril, lors duquel la télévision algérienne avait montré Mme Boumediene « souriante aux côtés du président, tandis que M. Bouteflika, perdu dans la foule, essayait vainement de sauver la face ».
Il discrédite Mme Boumediene
Comment s’y est-il pris pour éliminer cette épouse ? En menaçant de salir sa réputation grâce aux réseaux diplomatiques qu’il contrôle. Le sous-directeur au quai d’Orsay poursuit : « Des factures pour l’achat de bijoux à Paris auraient été transmises par le canal de l’ambassade algérienne à Paris », contraignant le président à éloigner sa compagne pour étouffer l’affaire. Redoutable Bouteflika.
Il y a peut-être plus grave. Plusieurs assassinats politiques ordonnés à Alger ont été orchestrés dans les ambassades. Ainsi, le 18 octobre 1970, le héros de l’indépendance devenu opposant Krim Belkacem est victime à Francfort d’un complot planifié, selon le Sdece, par l’attaché militaire de l’ambassade d’Algérie à Paris. Le ministre était-il derrière ? A-t-il couvert ?
En tout cas, l’homme cherche à imposer le respect. Il tient aux manifestations de déférence, aime, découvre-t-on au fil des archives, être courtisé, flatté. « Extrêmement sensible aux égards et très susceptible », « il aime la publicité », peut-on lire dans un document de préparation du voyage officiel du ministre à Paris en 1974. Alors que les services du ministre réclament des motards pour escorter dans Paris la voiture de leur patron, l’ambassadeur Jean-Marie Soutou affirme : « Derrière ce souhait, j’ai clairement décelé un désir de M. Bouteflika de manifester son importance. »
En pleine guerre froide, et alors que Moscou courtise ce leader des non-alignés, Paris pense avoir trouvé un allié de poids en la personne d’Abdelaziz Bouteflika, à qui on reconnaît alors un statut de « second personnage du régime ». Lui-même n’hésite pas à souligner lors d’un entretien avec le ministre Louis de Guiringaud qu’il continue, « comme tous les Algériens, à considérer l’Algérie comme la fille spirituelle de la France ».
Une note du Sdece du 25 septembre 1965 se félicite : « Le jeune farfelu d’autrefois a fait place à un homme politique qui croit vraiment à la coopération entre son pays et la France. […] Bouteflika a grandement évolué. Alors que, pour lui, Castro était autrefois l’exemple à suivre, il ne qualifie plus le chef de l’Etat cubain que de fou furieux. » Paris peut donc bien ajouter quelques motards à son escorte.
Une idylle avec Jean Seberg
Mais la relation privilégiée qui s’instaure ne protégera pas le ministre des intrigues algériennes. Son mentor, le président Boumediene, « a lui-même donné des ordres pour [qu’il soit] surveillé ». Un espionnage qui « a surtout pour but de recueillir des éléments sur les écarts de moeurs ». La réputation de séducteur du ministre est notoire. On lui prêtera même une idylle avec la comédienne Jean Seberg. Pendant des années, rien ne semble pouvoir l’atteindre.
Pourtant, à la mort de Boumediene, en décembre 1978, les rouages se grippent. L’armée ne soutient pas Bouteflika pour la succession. L’héritier présumé est non seulement écarté de la présidence, mais, en quelques mois, de toute fonction politique. Il est « le seul grand vaincu » de la transition. « Une instruction présidentielle ordonne la liquidation de toute son équipe. »
Bouteflika se retire en Suisse. Coup fatal : la Cour des Comptes algérienne l’accuse, en 1983, d’avoir détourné de fortes sommes d’argent provenant des reliquats budgétaires des ambassades. Il nie. Et tient à défendre son honneur dans une lettre transmise à Paris. Mais les Français ne doutent guère du bien-fondé des accusations.
« La corruption de Bouteflika était de notoriété publique », lit-on dans un télégramme du 17 mai 1983 qui annonce sa première condamnation. « Toute la lumière n’a pas été faite sur ses agissements », souligne-t-on dans la même correspondance, mais « des sanctions pénales devraient logiquement suivre », affirme l’ambassadeur Guy Georgy.
Entre copains et coquins
Et lorsque, en août, un nouvel arrêt de la Cour des Comptes algérienne tombe, le diplomate n’est pas davantage enclin à l’indulgence envers l’ex-ministre. Abdelaziz Bouteflika, qui « passait pour un grand prévaricateur », écrit-il, et « constituait un gibier de choix : non seulement pour sa gestion des fonds publics, mais aussi parce qu’il avait peuplé son ministère de ‘copains et de coquins' ».
L’ambassadeur ne se doutait probablement pas qu’Abdelaziz Bouteflika assouvirait un jour son rêve de pouvoir suprême. Et qu’en 1999, après une très longue traversée du désert, il accéderait à la présidence du pays. Vingt ans plus tard, son clan l’y maintient encore. Jusqu’en 2024, espère-t-il.
Le film Juba II de Mokrane Ait Saada projeté en avant-première en fin d'après-midi de ce samedi, à la cinémathèque de Tizi-Ouzou, c'est un support qui permet de faire connaître l'Histoire profonde de l'Algérie, tout en offrant des repères aux jeunes générations'', a indiqué le Ministre de la Culture Azzedine Mihoubi.
S'exprimant à la fin de la projection de ce documentaire en Tamazight, sous-titré en francais d'une durée de 56 mn, le ministre a souligné que son département encourage la production culturelle (littérature, cinéma, chanson, théatre ) sur l'Histoire de l'Algérie. "Nous avons une Histoire profonde et nous devons nous y intéresser, pour rapporter les glorieux événements et faire connaitre toutes les personnalités qui ont forgé, depuis la préhistoire, notre identité nationale" a-t-il dit.
Le ministère de la culture "encourage et soutien, la production d'oeuvres historiques, notamment, l'Histoire ancienne qui mérite d'etre connue'', a rappelé le ministre qui avait donné dans la matinée, à Djemaa Saharidj, le premier tour de manivelle pour le tournage du film Si Moh Oumhand du réalisateur Ali Mouzaoui. "Nous soutiendrons toutes les productions qui s'intéresseront aux personnalités qui ont marqué de leur emprunte l'Histoire de ce pays", a-t-il poursuivit.
M.Mihoubi a salué le travail du réalisateur Mokrane Ait Saada pour son film Juba II, souignant que le réalisateur a réussi avec peu de moyens et en une heure de temps, à retracer le parcours d'un personnage aussi complexe, en s'appuyant sur des historiens qui ont étudié la personnalité de ce roi amazigh".
Ces témoignages de spécialistes ont donné une valeur historique à ce documentaire tout comme les décors et accessoires lui ont apporté la valeur esthétique'', a-t-il dit.
Le ministre a noté que cette nouvelle production cinématographique "mérite d'être diffusée dans les salles de cinéma et à la télévision pour que les citoyens puissent connaitre la personnalité de Juba II, une personnalité qui a laissé une grande trace dans l'Histoire de la Numidie", a-t-il observé.
S'agissant de la contrainte des moyens financiers soulevée par Mokrane Ait Saada, qui avait indiqué dans la matinée en marge d'une projection exclusive accordée à l'APS que le film Juba II, n'a pu voir le jour que grâce à la subvention du ministère de la Culture relevant qu'il traine encore des dettes suite à ce projet, M. Mihoubi a estimé que les investisseurs doivent apporter leur contribution au secteur de la culture.
"Nous lancons un appel à tous les investisseurs pour nous aider dans ce domaine et contribuer à la relance du cinéma, en investissant dans des projets de salles, de laboratoires cinématographiques, de studios de production, et dans la production", a-t-il ajouté en soulignant qu'en dépit d'une situation financière délicate pour son secteur, le soutien de l'Etat à la production se poursuit pour faire connaitre notre culture".
Ce film de 56 mn, projeté dans la matinée en exclusivité pour l’APS, s’ouvre sur un plan de la mer, la méditerranée qui sépare et unie à la fois, deux états Rome et la Numidie. Une scène de sac et de ressac qui introduit déjà le spectateur dans le parcours de Juba II entre la numide où il est né et régné et Rome où il a été élevé après avoir été enlevé.
Mokrane Ait Saada, également auteur du scenario de ce documentaire-fiction, rappelle brièvement la fin du règne du Juba I en 46 avant J-C après la bataille de Thapsus qu’il mena contre César et l’enlèvement de son fils Juba II alors âgé de 5 ans arrachés des bras des sa mère, par de soldats romains pour qu’il soit conduit à Rome comme trophée.
Après une enfance dorée à Rome, où il fut éduqué par la sœur de l’empereur Octave, il retraversa la méditerranée dans l’autre sens pour revenir en Afrique du nord ou il sera intronisé par Rome à l’âge de vingt cinq ans, roi de Maurétanie.
Juba II choisie Césarée (actuelle Cherchell) comme capitale, choix dicté par sa position géographique sur les bords de la Méditerranée une ouverture sur la mer lui permit de développer le commerce avec les pays de la rive nord de la Méditerranée tels la Gaule, l’Italie, l’Espagne et la Grèce.
Tout au long du documentaire, l’historien Abderrahmane Khelifa endosse le personnage de Juba II pour accompagner en off les images dans une sorte de récit autobiographique, entrecoupé par l’intervention de spécialistes qui expliquent certains faits historiques du parcours de ce roi Amazigh et son œuvre dont la construction de grand édifices dont des bâtiments, des théâtres, sa contribution au développement du commerce extérieur, de l’agriculture et des arts et du savoir.
Juba II écrivit plusieurs œuvres dont la plus connue est "Libyca" en plusieurs volumes, consacrés à son pays natal. De ses œuvres, il ne reste que quelques fragments rapportés par des auteurs anciens. C’est lui qui donna le nom d’Euphorbe du nom de son médecin grecque qui à découvert cette plante et ses vertus médicinales, rappelle le documentaire.
L’un de moments forts de ce documentaire est la rencontre (dans deux scènes) entre Takfarinas et Juba II, le premier demandant au roi de se joindre à lui pour combattre l’occupant romain, le second plaidant en faveur d’une paix avec Rome beaucoup plus puissante militairement.
C’est d’ailleurs, les seuls passages de la partie fiction de ce documentaire que le réalisateur a habillé d’un dialogue, "Pour donner plus de présence d’intensité à ces deux scènes", a expliqué M. Ait Saada.
Juba II a été "élevé et façonné par Rome qui l’a intronisé roi de Mauritanie, il ne pouvait donc pas de par sa position, se rebeller contre les romains. Aussi avait-il les moyens de mener une guerre contre Rome".
Takfarinas était par contre, le rebelle qui s’est opposé militairement à la présence des romains.
Les scènes ont été tournées dans un décor reconstituant le bureau de Juba II, dans le musé des antiquités, à Cherchell et à Tiaret, pour une scène montrant Juba II chevauchant pour aller à la rencontre de Takfarinas, a-t-on appris du réalisateur.
Evoquant le manque de moyens financiers qui limite l’ambition du réalisateur, Mokrane Ait Saada à lancé un appel à tous ceux qui ont les moyens de contribuer à la réalisation de ce genre de films qui nécessitent beaucoup de recherches, des reconstitutions des costumes et des décors de l’époque et qui coûtent très cher.
"Jusqu'à présent, nous n’avons que la subvention du Ministère de la Culture et très peu d’institutions et de sponsors viennent à notre aide", a-t-il dit.
Les décors et accessoires de ce film en Tamazight, sous-titré en français, sont signés Mohand-Saïd Idri et Samir Terki, de l’école des beaux arts d’Azazga, les Costumes sont d'El Boukhari Habbel.
On retrouve l’acteur Dahmane Aidrous dans le rôle de Juba II, Aldjia Belmessaoud, dans celui de Séléné et Slimane Grim dans celui de TaKfarinas.
Etudiante en archéologie algérienne travaillant sur les pierres d'un ancien mausolée berbère, dans la région de Tiaret, en avril 2018. (RYAD KRAMDI / AFP)
Vieilles pour certaines de plus de seize siècles, les djeddars de Frenda, treize "pyramides" érigées sur deux collines voisines, gardent de nombreux secrets. Seule certitude : ces édifices de pierre à base carrée et élévation pyramidale à degrés, construits entre le IVe et le VIIe siècle, uniques en Algérie comme au Maghreb, étaient des monuments funéraires.
A l’époque, des rois berbères régnaient sur la région. Les treize pyramides ont été construites sur trois siècles, à une époque de profonds bouleversements dans le nord de ce qui n’était pas encore l’Algérie mais la Numidie romaine. Une période que certains historiens ont appelé les "siècles obscurs du Maghreb". La région vivait le déclin de l'Empire romain d'Occident, les invasions vandales puis byzantines, et le début de la conquête arabe.
Ces djeddars monumentaux – qui mesurent jusqu'à 18 mètres de hauteur pour une base allant de 11,5 à 46 mètres de côté – ont été érigés sur deux collines distantes de 6 kimomètres près de Frenda, les trois plus anciens sur le djebel ("mont") Lakhdar et les dix autres sur le djebel Araoui.
"La particularité des djeddars est avant tout la date de leur construction, qui en fait les derniers monuments funéraires érigés en Algérie, avant l'arrivée de l'islam", relève Rachid Mahouz, archéologue algérien qui prépare depuis cinq ans une thèse de doctorat consacrée à ces pyramides.
Plusieurs siècles après "le tombeau de la Chrétienne"
Leur construction est postérieure de plusieurs siècles à celle des autres imposants monuments funéraires pré-islamiques recensés dans le nord de l'Algérie : le Medracen, mausolée numide (IIIe siècle av. J.-C.), le tombeau de Massinissa, premier roi de la Numidie unifiée (IIe siècle av. J.-C.) et le Mausolée royal maurétanien (communément appelé "tombeau de la Chrétienne" (Ier siècle av. J.-C.).
Selon un grand nombre d’historiens, ils ont été construits à l’époque de la christianisation et abritaient les princes berbères romanisés qui suivaient la religion chrétienneOmar Mahmoudi, historienà Algérie Presse Service
Certains chercheurs voient dans tous ces monuments des évolutions des tumulus – amas de pierres au-dessus d'une tombe – puis des bazinas, constructions funéraires de pierres sèches communes au Maghreb et au Sahara, vieilles de plusieurs milliers d'années.
La plus ancienne description écrite connue des djeddars est celle de l'historien Ibn Rakik, au XIe siècle, rapportée au XIVe par Ibn Khaldoun, grand penseur maghrébin de l'époque. Mais durant des siècles, ces monuments situés dans une région peu peuplée n'ont intéressé personne et ont été livrés à l'usure du temps et aux pillards.
Tous renferment une ou plusieurs pièces (jusqu'à vingt pour le plus grand) reliées par un système de galeries, dont des chambres funéraires, laissant penser à des sépultures collectives. Certaines pièces sont dotées de banquettes, de possibles lieux de culte funéraire, selon certains chercheurs.
Inscription prévue sur la liste du patrimoine de l'Unesco
Les linteaux de pierre des portes intérieures sont sculptés de motifs traditionnels des édifices chrétiens (rosaces, chevrons...), mais aussi de scènes de chasse ou de figures animales. Mais les inscriptions –probablement latines – sont en trop mauvais état pour être interprétées ; certains chercheurs y ont vu des lettres grecques, ce que d'autres contestent.
Le pillage et la détérioration des djeddars au fil du temps leur compliquent la tâche. Certains, effondrés, n'ont jamais été fouillés, faute de pouvoir accéder à l'intérieur, et pourraient encore renfermer des restes, estime l'archéologue Rachid Mahouz. "Les archives françaises sur les djeddars ne sont pas disponibles et les objets et ossements trouvés dans certains à l'époque coloniale ont été emportés en France", regrette-t-il. Enfant de la région, il déplore le manque de recherches consacrées à ces "merveilles", alors que l'archéologie n'a commencé à être enseignée qu'au début des années 1980 à l'université algérienne, sans qu'aucun spécialiste en monuments funéraires ne soit formé.
Les djeddars figurent au patrimoine national algérien depuis 1969. Les autorités et archéologues du pays souhaitent les faire inscrire sur la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco, ce qui permettrait de mieux les préserver et les étudier. Le Centre national pour la recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH) prépare depuis plus d'un an le dossier à soumettre à l'Unesco, une procédure complexe. Il doit être "déposé durant le premier trimestre de l'année 2020", a indiqué à l'AFP le ministère algérien de la Culture. En étant reconnu par l'Unesco, les djeddars rejoindraient sept autres "merveilles" de l'Algérie déjà inscrites au Patrimoine mondial de l'humanité.
Une autobiographie du chef indien Black Hawk, best-seller de son vivant il y a près de deux siècles, vient de paraître en France. Rapprochée de la vie de l'émir Abd el-Kader, statue christique qui luttait contre l'invasion française, elle permet de tracer le portrait croisé de deux insoumis.
Abd-el-Kader
Black Hawk, l’Indien des flancs ouest des Grands lacs d’Amérique du Nord, et Abd el-Kader, l’émir à la tête d’une tribu arabe du côté de l’actuelle Mascara, en Algérie, ne se sont jamais rencontrés. Rien ne permet d’écrire qu’ils avaient entendu parler l’un de l’autre bien qu’ils furent l’un comme l’autre d’authentiques célébrités au XIXe siècle. Au point, même, de figurer dans des manuels scolaires ou de faire l'objet d'entrefilets dans la presse du bout du monde de leur vivant.
Abd el-Kader, qui se faisait traduire les journaux français par une sorte d'agent double, avait-il eu vent de cet article du Constitutionnel, qui rapportait le 17 juillet 1833 que "le chef-indien qui l'année dernière a fait la guerre aux Etats-Unis et qui fut fait prisonnier" avait assisté, médusé, à un décollage en montgolfière dans un square à New-York ? C'est la toute première occurrence de Black Hawk, le chef du Mid-West américain, dans la presse française :
Même s'ils étaient curieux et au fait de l’actualité de leur temps, il reste peu probable que les deux hommes se soient lus mutuellement. Or c'est bien l'histoire de l'un qui nous mène à celle de l'autre (et vice versa). Car, voilà presque deux siècles, chacun des deux chefs de guerre tint, à dix petites années d’écart, la chronique de son combat contre l’impérialisme. Contemporains, ils furent au même moment deux fois Vercingétorix, de part et d’autre de l’océan, et prirent la plume pour le dire - et se dire.
Portrait de Black Hawk par Georg Catlin, huile sur toile datée de 1832, au Smitsonian American Art Museum• Crédits : via Wikicommons
L’année 1832 est cruciale pour Black Hawk autant que pour Abd el-Kader. Cette année-là, dans la vallée du haut Mississippi, le chef de la tribu indienne des Sauks, au sud-ouest du lac Michigan qui dessine déjà la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, se lance dans une guerre éphémère contre les colons américains. Né en 1767 du côté de l’actuel Wisconsin, Black Hawk, “l’épervier noir”, est issu d’une lignée indienne importante. Son nom sauk est en fait Ma-ka-ta-i-me-she-kia-kiak. C’est un Blanc qui a fait de son aïeul un chef prééminent. Lui-même sera intronisé guerrier alors qu’il va sur ses quinze ans. Il est bardé d’une réputation de “brave” tandis que le XVIIIe siècle qui s'achève voit les Américains affronter les vieux colons britanniques dans la région. C’est la guerre d’Indépendance, c’est aussi la fin d’un monde indien cousu de guerres entre tribus, d'alliances tricotées et détricotées avec les puissances occidentales : avec les Français d’abord, puis avec les Britanniques, qui les manipulent - mais jamais avec les Américains, qui éteignent un peuple en le confinant sur des terres hostiles et en lacérant de grands espaces vagabonds à coups de frontières et de clôtures.
Cette même année 1832, Mahieddine, le patriarche d’une famille maraboutique de l’ouest algérien, est sollicité par d’autres tribus alentour. Le temps presse, il y a urgence : voilà déjà deux ans que la France a entamé sa conquête des terres algériennes sous domination ottomane. Le 5 juillet 1830, Alger est tombée aux mains de Charles X après seulement trois semaines de combats, et l’armée française poursuit sa marche sur l’arrière-pays. Les liens tribaux qui s’étaient consolidés contre les Turcs sont réactivés, et Mahieddine pourrait s’imposer à la tête de la résistance aux coups de butoir français qui se profile sur le mode du djihad (la guerre sainte).
Les familles maraboutiques, dont on dit qu’elles descendent du Prophète et puisent là une autorité religieuse, se tiennent d'ordinaire plutôt éloignées des affaires guerrières. Traditionnellement, leur rôle tient davantage de la position d’arbitre que du chef de guerre (“caïd”). Mais si la guerre à l'impérialisme mobilise au nom de l’islam, le chef peut prétendre au titre d’émir, qui mêle leadership religieux et autorité militaire. Seulement, Mahieddine vieillit. Il décide de passer la main, et choisit Ald-el-Kader. Né en 1808, ce fils-là n’est pourtant pas son aîné. Mais voilà longtemps que c'est lui que le père a choisi dans la fratrie : il a eu accès à une instruction raffinée et, à 17 ans déjà, son père l'avait emmené faire le Hajj à La Mecque - une consécration avant l'heure. Abd el-Kader est bon orateur, charismatique, il semble taillé pour le djihad. Et le voici, au cours de l’année 1832, qui fédère rapidement quelque 12 000 hommes face aux deux envahisseurs ottoman et français.
Troupes d'Abd-el-Kader au combat, représentées dans "L'Illustration" le 3 juin 1843• Crédits : Getty
Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, les choses tournent mal pour Black Hawk en cet automne 1832. Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi d’expulsion des indiens (1830), la résistance sauk a le souffle court. Les peuples indiens qui, depuis le XVIIe siècle, avaient pu se maintenir dans la région en profitant, bon an, mal an, des rivalités entre puissances européennes, souffrent pour de bon depuis la fin de la guerre d’Indépendance américaine. La victoire américaine, en 1783, change la donne : alors que les monarques français ou britanniques avaient maintenu une politique d’alliances avec les chefs indiens, les Américains envoient plutôt des “agents indiens” chargés de surveiller les peuples indigènes. Ou de les mater en s’asseyant sur des décennies de diplomatie rompue, une fois Jackson élu à la Présidence des jeunes Etats-Unis (en 1828). La relégation des Indiens s’accélère à mesure que leurs terres, aux sous-sol riches en plomb, sont convoitées.
Face à ce nouvel ennemi, les Indiens, divisés et cantonnés sur de mauvaises terres, se déchirent. Un traité signé en 1804 au prix d’une spoliation massive, est contesté par quelques-uns, qui préféreraient réactiver l’alliance avec le voisin britannique qui les tolère de l’autre côté de la frontière canadienne, et tenter de repousser la présence américaine. Black Hawk est de ceux-là, lui qui avait déjà 61 ans en 1824 lorsque, de retour d’une chasse d’hiver avec les siens, il découvrait que des Blancs avaient investi son village, clôturé leurs terres. L’objectif était clair : les bouter plus à l’ouest du Mississippi, et la loi de 1830 entérine la spoliation. Mais Black Hawk raconte qu’il n’a pas voulu se résigner : en 1832, le voilà qui décide de raviver le combat. Il multiplie les barouds diplomatiques pour convaincre d’autres chefs, d’autres tribus, qu’il faut repartir en guerre contre Washington.
Lithographie de 1832 représentant l'ultime bataille de Bad Axe menée par Black Hawk face à l'armée fédérale, les 1er et 2 août 1832• Crédits : (auteur inconnu) - Getty
Sanctuariser une histoire de soi par soi
Éphémère et sanglante, cette dernière guerre du chef sauk confinera à la boucherie. Isolé, Black Hawk est fait prisonnier le 10 septembre 1832, rappelle dans une chronologie bien utile l’historien Thomas Grillot qui signe l'introduction de Chef de guerre, l’autobiographie de Black Hawk publiée fin 2018 aux éditions Anacharsis (et pour la toute première fois en France). Car Black Hawk, comme Abd el-Kader, doit aussi sa stature à la trace qu’il a laissée de son vivant, et par écrit.
Une trace autobiographique, un récit de soi-même par le guerrier que chacun fut. Un plaidoyer pro domoet une narration destinée à consolider un leadership, aussi. Le titre d’origine de l’Autobiographie de Black Hawk était en réalité Vie de Ma-ka-ta-i-me-she-kia-kiak, ou Black Hawk. Le livre paraît en 1833 aux Etats-Unis sous la houlette d’un certain John B. Patterson. Patterson est un petit éditeur sans envergure nationale considérable. Mais un éditeur à qui on ne pas retirer qu'il a eu du flair : cette Vie signée Black Hawk et couchée sur le papier par Antoine LeClair, le traducteur qui a joué les entremetteurs entre le chef sauk et l’éditeur, sera un best-seller du vivant-même de l’Indien.
L’autobiographie d’Abd el-Kader n’aura pas exactement la même postérité, parce qu’elle n’a pas le même statut. Tout comme celle de Black Hawk qui tient sans doute plus de "souvenirs", l’autobiographie de l’émir n’a jamais été intitulée ainsi par l'auteur, qui répond plutôt à une commande de ses geôliers : tandis qu’Abd el-Kader est assigné à résidence une fois la résistance algérienne matée par la France de la conquête coloniale, l’exécutif l’encourage à raconter sa guerre perdue contre la France. L’émir aime écrire et faire valoir la finesse de son érudition, il s’exécute. Ce qu'on connaît de l'objet final est en fait très parcellaire : le manuscrit, conservé au musée à Alger, était en réalité cinq fois plus épais que la traduction publiée en 1995 par la petite maison d'édition parisienne Dialogues, qui depuis a mis la clef sous la porte. Épuisé, le livre intitulé L'Emir Abdelkader, autobiographie : écrite en prison (France) en 1849 et publiée pour la première fois, n'est plus accessible que dans un tout petit nombre de bibliothèques.
Le texte rassemble aussi bien une évocation de la vie du Prophète, des pensées pieuses, des lectures apprises par cœur, que des souvenirs de la guerre contre la France. Un peu bancal et très confidentiel, il tranche avec un autre document issu de la correspondance d’Abd el-Kader, qu’on appelle La Lettre aux Françaiset qui est nettement plus connu. Ou avec un court essai qu’Abd el-Kader consacrera aux chevaux arabes, à l’origine de l’intérêt de Bruno Etienne pour la vie de l’émir, dont le chercheur (aujourd’hui décédé) deviendra le biographe et un spécialiste reconnu. Alors que l’émir est réputé fin écrivain, son Autobiographie désarçonne un peu. Pour autant, son authenticité n’est pas contestée et on estime qu’au moins deux des chapitres ont été rédigés de sa main. L'ensemble demeure une trace unique de la lutte contre l'impérialisme français, même si Abd el-Kader ruse et n'affronte jamais directement le pouvoir français par écrit.
Abdelkader visitant l'église de la Madeleine à Paris, "L'Illustration", le 6 novembre 1852• Crédits : Getty
Chez Abd el-Kader comme chez Black Hawk, l’emprisonnement jouera un rôle considérable dans la volonté de raconter. Raconter tous azimuts : les massacres, la bravoure, l’élan anti-impérialiste, la posture du chef, un sens de l'honneur, le lien à la terre comme à l’ennemi, ou encore le rapport aux chevaux ou aux armes... Défait, Black Hawk restera onze mois entravé, passant des barreaux de la prison aux salons cossus de la côte Est où les responsables du jeune État américain le promènent sous étroite surveillance dans le but d’en jeter aux yeux de l’indigène - et mieux le soumettre symboliquement.
iAbd el-Kader, quant à lui, n’a pas vécu la boucherie des Sauks sur leurs terres du haut Mississippi. Il n’est pas là, personnellement, lorsque les troupes du duc d’Aumale (c'est-à-dire, Henri d'Orléans, fils du roi Louis-Philippe, et gouverneur général de l'Algérie fin 1847) envahissent son fief. En guise de fief, plutôt un village de tentes et des positions très précaires, rappelle du reste l’anthropologue François Pouillon, spécialiste de l’émir algérien, qui a longtemps travaillé à cette histoire avec Bruno Etienne. Contesté par des tribus voisines, privé du soutien de ses anciens alliés marocains, Abd el-Kader est aussi privé de sanctuaire. Il décide de renoncer au djihad. Le 21 décembre 1847, l’émir capitule. Le Général Bugeaud, missionné explicitement en Algérie pour écraser Abd el-Kader - “autorisé à utiliser tous les moyens” nous renseignent les archives de l’armée - et achever la conquête algérienne, a gagné. Abd el-Kader est défait, et l’Algérie sera française jusqu’en 1962.
"La Prise de la smala d'Abd-el-Kader" par Horace Vernet (1843)• Crédits : Getty
Abd el-Kader est fait prisonnier, embarqué en France par bateau, puis assigné à résidence à Amboise, dans la vallée de la Loire, pour plus de quatre années. C’est pendant cette période qu’il rédige ce qui figurera dans l’Autobiographie.
Se faire tirer le portrait après s'être fait tirer dessus
Nos deux Vercingétorix, héros déchus de la résistance à l’impérialisme, n’ont bien sûr pas les mêmes codes, ni les mêmes ambitions. Abd el-Kader, par exemple, négocie d’emblée une exfiltration en terre sainte, où il affirme vouloir se cantonner à l’étude de l’islam, renonçant pour de bon à toute activité militaire. Ils ne jouiront pas non plus du même traitement, puisque par exemple la France paiera une rente à l’émir sitôt en France où Abd-el-Kader est assigné à résidence mais entouré d’une suite nombreuse qui a fait le voyage avec lui.
La France, qui filtre ses visiteurs mais le laisse rencontrer le gratin notable ou se lier par exemple à Ferdinand de Lesseps, parmi d'autres, s’accommodera du refus de l’émir d’être représenté sur des portraits durant toute sa captivité. Car Abd el-Kader contrôle son image de vaincu. Il cisèle sa stature héroïque, et refuse par exemple toute iconographie de lui entravé, diminué. Images volées pour l’essentiel, les portraits de lui jusqu’à sa libération par Napoléon III, en 1852, sont rarissimes. Aux Etats-Unis au contraire, les images de Black Hawk sont très nombreuses. Elles magnifient l’exotisme d’un indigène près de chez soi, mais aussi la figure d’un chef rebelle maté par un jeune Etat en quête de lettres de noblesse. Un roman national est déjà en train de s'écrire, et Black Hawk en est un personnage.
Lithographie publiée en 1837 dans "History of the Indian Tribes of North America" de Thomas Loraine McKenney and James Hall d'après un portrait sur toile de Charles Bird King • Crédits : Getty
Durant son périple sous haute surveillance à Chicago, New-York ou Washington au cours du mois de juin 1833, Black Hawk se fera abondamment tirer le portrait. Toutes ces toiles, qui datent d’un temps où les photographies par daguerréotype franchissaient à peine l’Atlantique, scellent la fin d’un monde indien. Nombre de ces portraits comptent aujourd’hui parmi les collections du Smithsonian American Art Museum de Washington, où les éditions Anarcharsis ont sélectionné une petite dizaine de visuels reproduits dans le livre qui ne lésine pas sur les annexes pour un ouvrage grand public (cartes, chronologies, documents, iconographie...).
Issus de mondes bien différents et insérés dans leurs réalités historiques propres, les deux insoumis n’ont par définition pas des trajectoires siamoises (ni même jumelles). De retour après cette tournée contrainte dans l’Est américain, Black Hawk ne termine pas sa vie, cinq ans plus tard, auréolé de lumière, malgré sa célébrité inédite pour un Indien. Alcoolisé, malade, il meurt dans l’Iowa, du côté de la rivière Des Moines, le 3 octobre 1838, tandis que son peuple s’est fait décimer et que ceux qui ont survécu portent souvent des vêtements de Blanc désormais.
Portrait de Black Hawk à la fin de sa vie, par James Otto Lewis• Crédits : Getty
Abd el-Kader, qui veille à toujours apparaître en public en habit traditionnel, finira par obtenir de la France ce pour quoi il l'exhortait à longueur de lettres : qu’elle honore sa promesse et l’expédie en Orient étudier l’islam. Le 21 décembre 1852, cinq ans exactement après sa capitulation, l’émir et sa suite quittent Marseille pour la Turquie, pour accoster deux semaines plus tard au pied du palais Topkapi, à Istanbul. Ils gagnent la ville de Brousse (aujourd'hui, Bursa) un peu plus tard. C’est là qu’Abd el-Kader séjournera malgré une haine des Turcs qui lui reste d'une enfance sous le joug ottoman. Avant d'obtenir finalement de Napoléon III le droit de s’installer en Syrie, pour y étudier et y enseigner la tradition soufie.
Gravure de 1852 représentant la libération d'Abd-el-Kader par Napoléon III la même année• Crédits : (auteur inconnu) - Getty
A Damas, en 1860, Abd el-Kader sauve d'un véritable pogrom des chrétiens d’Orient et des diplomates européens qui en réchappent de peu - plus de 4 000 chrétiens, massacrés par des Druzes, périront tout de même en neuf jours. Cet acte de bravoure lui vaut pour de bon les honneurs de la France, qui double alors sa rente, rappelle l’anthropologue François Pouillon, énumérant les très nombreuses décorations dont on gratifie dès lors l’ennemi d’hier : une croix de belle taille offerte par le Vatican, des médailles venues de Russie ou de Grèce tandis que la France le fait grand-croix de la Légion d’honneur. Une très grande partie des visuels qu’il nous reste d’Abd-el-Kader remonte à cette époque. Ils esquissent cette image ambivalente d’un héros défait par la puissance coloniale, mais consacré par elle… et à travers ses codes à elle puisqu’Abd-el-Kader, l’héritier maraboutique, devient même franc-maçon.
Outil identitaire et coups de ciseaux rétrospectifs
De ce rebelle dont la légende a pourtant été largement façonnée par l'ennemi, les pères fondateurs de l’Algérie indépendante feront volontiers une figure exemplaire de l’insoumission. Dans une conférence qui date de 1947, Kateb Yacine s'exclame : “Abd el-Kader ? C’est à nous !” Outil identitaire prêt à l’emploi, on fait facilement de l’émir l’ancêtre de l’Etat algérien moderne. Puis son image sera remobilisée durant la décennie noire de la guerre civile algérienne, dans les années 90 : contre le GIA réputé irrigué par les maquis afghans, il s'agit notamment de se prévaloir d’un islam local, vernaculaire. La figure de cet héritier autochtone réputé descendre du Prophète tombe à pic.
S'il demeure un héros en Algérie, une partie de l’iconographie d’Abd el-Kader commence pourtant à faire tiquer en Algérie depuis la fin du XXe siècle. C’est le cas par exemple d'un visuel que la France coloniale imprimera sur des emballages de tablettes de chocolat et punaisera aux murs des écoles primaires mais dont, en Algérie, on découpera volontiers un personnage après l’Indépendance : trop déférente, la mère d'Abd el-Kader s'inclinait excessivement devant Napoléon III.
Portrait d'Abd-el-Kader après son geste héroïque de Damas• Crédits : (auteur inconnu) - Getty
Célèbre en France, Abd el-Kader devient une sommité internationale après le massacre de Damas, et le restera jusqu’à sa mort, le 26 mai 1883. Cette glorification ambivalente peut aussi se dire du chef indien sauk sur le sol américain, où ce sont précisément ceux qui avaient combattu Black Hawk qui entreprennent, très tôt, d'ériger des monuments ou des statues à son effigie. Car la tournée du chef indien, accompagné par son fils, fait sensation aux Etats-Unis, au point qu’on parle d’eux comme de véritables stars, se pressant pour les apercevoir tandis que le président Andrew Jackson les reçoit officiellement à la Maison Blanche. Devant leur succès affolant, on écourte bientôt la tournée.
Perdants magnifiques, perdants utiles
Et c’est la lecture de “l’autobiographie” de chacun de ces deux chefs rebelles qui permet de mieux comprendre la place qui fut la leur. Celle qu’ils ont occupé à la fin de leur vie, alors qu’ils rédigeaient leurs souvenirs, puis celle qu’on a dessinée pour eux, post mortem. C’est au retour de ce voyage sur la côte Est que Black Hawk commence à coucher ses mémoires sur papier. Le projet est explicite, rappelle Thomas Grillot dans son introduction. Dans un courrier du 16 octobre 1833 publié par l'édition française, le traducteur, Antoine LeClair, certifie la démarche de Black Hawk, une fois de retour dans le Mid-West :
[Black Hawk] exprima un désir ardent que l’histoire de sa vie fût écrire et publiée, pour que, selon ses termes, “le peuple des Etats-Unis (auprès duquel j’ai voyagé et par lequel j’ai été traité avec autant de respect, d’amitié, et d’hospitalité qu’on peut l’espérer) connaisse la raison qui m’a poussé à agir comme je l’ai fait, et les principes qui m’ont guidé.
Si la prose des deux chefs rebelles semble se faire écho malgré la distance géographique, l’époque ne fait pas tout. C’est aussi ce miroir que chacun tend à l’ennemi, qui tient ensemble Black Hawk et Abd el-Kader. Ils campent tous deux un perdant magnifique, le vaincu idéal. En consolidant leurs positions et en tramant leur propre légende guerrière, ils ne manquent pas d'une certaine générosité pour l’ennemi qui les a étrillés. Par écrit, ni Black Hawk ni Abd-el-Kader ne sont au fond terriblement hostiles à la puissance qui a laminé leur peuple. Tous deux louent par exemple le progrès technique, la civilisation occidentale. Sa civilité, même. Black Hawk, qui remercie pour l'hospitalité, écrit : “Je suis reconnaissant envers les Blancs”, tandis que l'infinie courtoisie d’Abd el-Kader est systématiquement mise en avant par ses visiteurs qui évoquent sans ciller son regard "christique".
Portrait d'Abd-el-Kader, au Musée National Des Arts Africains Et Oceaniens• Crédits : (auteur inconnu) - Getty
Dans les correspondances et les journaux, on loue non seulement la "grande beauté" des deux hommes. Mais aussi leur "bonté d'âme", tandis que eux se font beaux perdants : les deux autobiographies ne sont-elles pas destinées au vainqueur qui, de part et d'autre de l'Atlantique, a éventré leur monde d’hier en les étrillant en personne ?
En comparant aux moines du Moyen Âge Abd el-Kader qu’on dessine, chapelet à la main, dans une parfaite piété, en achetant la prose de Black Hawk dont l'histoire se vend comme des petits pains, le camp du vainqueur se fabrique aussi une posture généreuse. C’est un ennemi commode, de ceux dont on aime dire du bien parce qu’il ne nous peuvent plus de mal. Un ennemi dont on gagne d’autant plus à louer le courage et l’âpreté à la bataille qu’il a… perdu. C'est aussi cette histoire-là que nous lègue cette autobiographie qui vient de sortir en France pour la toute première fois.
« L'identité s'affiche quand elle a besoin de parler »
Il peut sembler être une gageure que de parler de l'histoire et de la culture amazighe tant les études rares et attendent d'être examinées Cependant quelques repères sont importants à donner. L'Europe -exception faite de Rome et de la Grèce- était encore plongée dans les ténèbres de l'inculture. En Afrique et plus précisément au Maghreb actuel des nations avec les attributs des Etats, -Massinissa battait monnaie-, ont vu naitre des hommes illustres qui ont permit le rayonnement d'une culture authentique qui a beaucoup emprunté aux cultures des occupants de passage. Apulée et saint Augustin s'exprimaient en latin mais pensaient en amazigh. Plus tard avec la venue de l'Islam, les érudits écrivaient dans la langue liturgique qu'était l'arabe. Bien plus tard encore et à la période coloniale ce fut le français avec pour certains notamment le poètes une expression linguistique purement amazigh. La diversité des expressions des hommes de culture et de lettre dépasse, on l'aura compris, le cadre étroit de la géographie de Etats. Il ne se sera pas possible d'être exhaustif tant la variété des écrits est importante et tant aussi, de nombreux écrits ne furent pas sauvés de l'oubli.
Les débuts de l'humanité en Tamazgha
Après avoir planté le décor en rapportant les différentes hypothèses sur les débuts de l'apparition de l'homme au Maghreb et plus largement Tamazgha et sur l'avènement des Berbères, nous tenterons de rapporter quelques faits qui font l'unanimité concernant cette culture amazigh qui n'est le monopole de personne mais qui devrait , de notre point de vue, être la préoccupation de toutes les Algériennes et de tous les Algériens. Un récit assumé revendiqué est le plus sûr moyen de lutter contre l'errance identitaire
Les premiers peuples qui ont vécu en Algérie ne se sont pas tous installés à la même période. Arembourg fait reculer les premiers peuplements que aux origines mêmes de l'humanité C'est l cas de l'homme de Tifernine il y a 1,7 million d'année découvert près de Mascara. Une étude réalisée par des chercheurs algériens et étrangers et publiée dans la prestigieuse revue Science montre que le plus ancien hominidé n'est pas seulement celui de l'Afrique de l'Est à la même époque l'homme de Ain El Hnach travaillait des outils il y a 2,4 millions d'années ce qui fait de l'Algérie un des berceaux de l'humanités Les fouilles de l'anthropologue Farid Kherbouche directeur du CNAP , dans l'Adrar Gueldaman nous renseignent sur les hommes préhistoriques, ces pasteurs éleveurs de chèvres et de moutons, d'il y a sept mille ans: comment ils se nourrissaient (miel et beurre), pourquoi ils ont quitté ces grottes du fait des changements climatiques... Les civilisations les plus récentes, à partir du paléolithique , comprennent l'Acheuléen , le Moustérien et l'Atérien (homme de Bir El Ater dans les Nemencha).Vint ensuite l'Epipaléolithique Comme l'écrit Malika Hachid : « A cette époque , l'Atlas entrait dans le cadre de la Berbérie présaharienne , pays des Gétules , plus nomades que sédentaires , plus africains que Méditerranéens.
La protohistoire est marquée au Maghreb occidental surtout, par l'apparition du cheval domestique, l'environnement a irrémédiablement basculé . Peu à peu, la savane a disparu au profit de la steppe et du désert.
L'aridité qui a débuté au néolithique (vers - 10.000 ans) continue de s'étendre. Les petits groupes de chasseurs à l'arc et les pasteurs s'agrègent. Ils formeront des tribus cavalières et chamelières. Les descendants seraient dans cette hypothèse, Touareg (au Sahara) et au nord les royaumes numides et maures.
Le néolithique au nord, est relativement récent, au sud, il est plus ancien (7.000-9000 ans avant J.C.). C'est dans le Sahara que se situe son apogée ; c'est là nous dit Kaddache que sont apparus des outils perfectionnés : pierres polies, pointes de flèches et un art inestimable : gravures et peintures. Les «El Hadjera El mektouba « Ce monde saharien succombera devant le désert. La zone tellienne, elle, est désormais intégrée au monde méditerranéen par ses nécropoles dolomitiques, sa poterie peinte ; d'ailleurs nous voici parvenus au temps de Carthage, à l'histoire «.(1)
Origine des Berbères
A juste titre, et comme toute communauté humaine, les Algériens et plus largement, les Maghrébins, tentent de connaitre leurs racines. Malgré toutes les hypothèses faites, l'état des connaissances ne nous permet de faire que des conjectures sur l'origine des Berbères. L'essentiel des mouvements se serait réalisé à la fin du paléolithique et au néolithique ; Il est certain qu'au cours des temps néolithiques et historiques, des brassages, des mélanges ethniques ont affecté des populations berbères. Certaines populations ont fusionné avec les indigènes, sur une période de plus de trente siècles.
Ce sont d'abord les Phéniciens au XIIe siècle avant Jésus Christ et ceci, principalement, sur la bande côtière, principalement dans l'est .Il y eut ensuite pendant près de cinq siècles et demi, la venue des Romains, jusqu'à la moitié du cinquième siècle, les Vandales et les Byzantins, et enfin les Arabes dès la fin du VIIe siècle et les Turcs au XVe siècle. Les inscriptions libyques témoignent de l'ancienne langue parlée. Lorsque les Berbères émergent de l'histoire, ils sont déjà un peuple, une langue des royaumes. Sur le cheminement qui a procédé cette émergence, notre connaissance est incomplète. Dés lors, se tourner vers l'archéologie, cette bibliothèque des âges anciens est une nécessité. (2) Marcel Cohen cité par Salem Chaker, intègre le berbère dans une grande famille chamito-sémitique au même titre que le sémitique, le couchitique, l'égyptien. Ces caractères simples représentent la première écriture de l'Afrique du Nord . Des îles Canaries à l'ouest , à la Nubie , à l'est , jusqu'au Sahara central , on découvre encore d'après Hachid des inscriptions qui lui sont nettement apparentées. On parlait alors et on écrivait en libyque qui était l'une des langues du monde antique. Cette langue est contemporaine (XIIe siècle avant Jésus Christ , pour les premiers signes relevés), de l'égyptien , du grec et de langue parlée des Ammorites en Mésopotamie (actuel Irak) Les inscriptions connues sont nombreuses, mais on en connaît aussi des bilingues , c'est , par exemple , la dédicace d'un temple élevé à la mémoire de Massinissa en l'an 10 du règne de son fils Miscipsa (vers 138 avant J.C.). Ces ancêtres connaissaient donc l'écriture et le déchiffrement de milliers d'inscriptions libyques permettra d'apporter quelques lumières sur le passé des Berbères .Ce sont, d'ailleurs, les inscriptions bilingues qui nous permettent le déchiffrement de l'alphabet libyque de 22 lettres. (3)
L'apport culturel des écrivains berbères
L'Algérie avait de nombreux écrivains, c'est le cas de l'Empereur berbère Hiempsal (106-60 avant J.C), et de Juba II, (25 avant J.C. , 23 après J.C) qui écrivit une douzaine d'ouvrages. L'historien Hérodote (484-425 av. J.C.) considérait les Berbères comme le peuple du monde qui jouit du meilleur état de santé, surclassant en ce domaine les Égyptiens et les Grecs eux-mêmes (Hérodote, L. II parag. 77 p. 199). Platon, le philosophe, n'aurait jamais pu fonder son Academica, dit-on s'il n'avait été racheté et libéré par un Libyen, quand il a été fait prisonnier et vendu.
Bien avant l'ère chrétienne, il y eut des écrivains berbères qui écrivaient en latin. Ainsi l'un des plus célèbres est Terence (190 -159 avant J.C.) « «Homo sum; humani nil a me alienum puto»: «Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étrange» Térence, écrivain berbère. Cette citation est peut être une phrase fondatrice de ce qui constituera plus tard la déclaration des droits de l'homme réinventée au XXe siècle et annexée d'une façon illégale. La littérature numide, depuis le deuxième siècle, en plein apogée de l'Empire romain avait ses spécificités. Les autochtones avaient un enseignement et s'étaient montrés très attentifs. A l'âge adulte, ils vont dans les grandes villes parfaire leur connaissance. Plusieurs villes eurent leurs heures de gloire et contribuèrent au développement de la culture. C'est le cas notamment de Madaure (M'daourouch actuel), dont le nom sera attaché à Apulée , le brillant écrivain auteur de l'Apologie. Bien plus tard il y eut en la personne de Juba II un roi savant né en 50 avant J.C. mort en 23 après J.C. l'auteur de Lybica « Juba II, dit Pline l'Ancien, fut encore plus célèbre par ses doctes travaux que par son règne ». Il était admirablement respecté et reconnu par le monde hellénistique. C'était un lettré savant, érudit rompu à toutes les innovations. Ce qui poussa les Grecs à ériger sa statue auprès de la bibliothèque du gymnase de Ptolémée à Pausanias, en signe de reconnaissance.
Les Berbères célèbres dans l'histoire romaine
Avant l'avènement des dynasties numides beaucoup de berbères eurent des fonctions importantes dans la hiérarchie romaine et dans l'avènement de l'Eglise d'Afrique D'autres Africains, nous dit Eugène Albertini firent, dans les fonctions publiques, des carrières utiles et brillantes. Ecoutons-le : « Dès le règne de Titus (79-81) un Africain ; Pactimieus originaire de Cirta parvint au Sénat. Au second siècle, le Maure Lucius Quietus fut un des meilleurs généraux de Trajan Un « maghrébin Tullius commanda l'armée d'Espagne. La suprême conquête fut réalisée en 193, quand un Africain, Septime Sévère qui naquit à Leptis Magna (aujourd'hui Lebda à l'est de Tripoli) devient Empereur.Il régna jusqu'en 211 Sa sœur ne parlait que berbère quand elle arriva à la Cour de Rome. De son mariage avec une syrienne sortit une dynastie dont trois membres régnèrent après lui : Caracalla (218-222) , Elagabal (218-222), Sévère Alexandre (222-235). Entre Caracalla et Elagabal s'insère (217-218) , le règne d'un autre empereur berbère Macrinus (Amokrane), chevalier berbère originaire de Cherchell » (4) . Ajoutant enfin que L'Afrique du Nord a eu des tribus qui seraient juives à l'instar de celle de La Kahina des gens d'église qui propagèrent le christianisme à l'instar de Saint Augustin de Saint Donat . Il y eut 3 papes à l'Eglise. Le premier pape est Victor Ier était berbère, à partir de 189 et ce durant une dizaine d'années. Le deuxième pape est Saint Miltiade ou Melchiade évêque de Rome du 2 juillet 311 au 11 janvier 314. Le troisième pape Gélase fait carrière dans le clergé de Rome et devient même le conseiller, d'ailleurs écouté, du pape Félix III. Saint-Gélase 1er, 49ème pape, de 492 à 496 il est né en Kabylie.
Une prouesse scientifique au temps des Amazighs
Deux exemples parmi tant d'autres pour convaincre de l'existence d'une science et d'une culture à ces autochtones à qui la science coloniale a dénié toute légitimité culturelle et scientifique. «La propension au savoir rationnel et universel est attestée en Algérie, il y a 7000 ans, durant l'ère néolithique dite de tradition capsienne, bien avant l'apparition des civilisations de Sumer, de Akkad ou celle de l'Egypte « (5). Le site de Faïd Souar II, situé à 70km au sud-est de Constantine, a fourni en 1954 (G.Laplace) un crâne d'homo sapiens -ancêtre direct de l'homme moderne- dont le maxillaire dévoilait une prothèse dentaire. Ce crâne appartient à un sujet de sexe féminin, âgé entre 18 et 25 ans. La mâchoire a subi l'avulsion de quatre incisives, selon l'usage bien établi chez les hommes d'Afalou-bou-Rhummel. La deuxième prémolaire supérieure droite de la femme préhistorique de Faïd Souar a été remplacée par un élément dentaire fabriqué à partir de l'os d'une phalange qui a été finement taillé et lissé avant d'être réuni à l'alvéole. Ce qui lui donne l'apparence irréprochable d'une couronne dentaire conforme aux dents voisines. Son ajustage est si parfait qu'il nous semble impossible que cette prothèse ait été exécutée, en bouche, du vivant du sujet «Quelle précision dans ce travail pour ne pas faire éclater l'os!», écrivent Jean Granat et Jean-Louis Heim du Musée de l'homme à Paris qui ajoutent: «Alors, les tentatives de greffes osseuses ou d'implantologie, réalisées par ce praticien d'alors, auraient 7 000 ans!(...)» (6) (7)
Le sens de la répartie de la dérision
Par ailleurs il y avait bien une culture berbère et même plus le sens de la dérision plus de 9 siècles avant J.-C., en tout cas antérieure à la venue des Phéniciens. «Selon nous, poursuit le professeur Belkadi, la plus ancienne trace parlée de la langue berbère remonte au VIIIe siècle avant J.-C. Elle figure dans le sobriquet Dido, qui fut attribué à la reine phénicienne Elissa-Elisha par les anciens Berbères de la côte tunisienne. Ce surnom, Dido, qui sera transcrit par la suite Didon, est un dérivé nominal de sa racine Ddu, qui signifie: «marcher», «cheminer», «flâner», «errer». En conséquence, la plus ancienne trace de la langue des Berbères remonte à l'arrivée de cette reine sur le rivage maghrébin. Ce pseudonyme Dido n'est pas attesté à Carthage ni à El Hofra (Constantine). Il ne figure pas dans l'anthroponymie et l'épigraphie funéraire des Puniques. Certainement parce qu'il était jugé dévalorisant. Le sens Tin Ed Yeddun «l'errante», «celle qui erre», et ses passim «vadrouiller», «vagabonder» Eddu appliqué à cette reine ne convenant pas à la société punique»(8)
L'avènement de l'Islam
Avec l'avènement de l'Islam et son expansion occidentale, la sémiologie de la quête de nouvelles « valeurs » va changer Par ailleurs, le rituel musulman va apporter à son tour principalement aux populations en contact avec les conquérants arabes, une nouvelle mode vestimentaire, un comportement dans la quotidienneté et même des habitudes culinaires. » (9) Cependant et en dehors de cette tentation de ressemblance aux signes extérieurs des civilisations qui se sont succédées, l'avènement de l'Islam donnera une vitalité à l'expression du génie berbère en lui donnant une langue : l'arabe qui a permis le foisonnement de tous les modes d'expression de la science et de la culture Il vient que l'apport de la nouvelle langue n'a pas réduit ou même annihilé les coutumes locales et la langue primitive. Mieux encore, pour mieux pénétrer les cœurs des indigènes qui ne connaissent pas la langue arabe des tentatives , certes , modestes , ont été faites pour traduire en berbère le livre sacré du Coran . D'abord, Il y eut Mohammed Ben Abdallah Ibn Toumert, fondateur de la dynastie Almohade. Il traduisit en berbère des ouvrages qu'il avait composés lui-même en arabe. Son travail est de l'avis des historiens, très important .Un autre exemple à citer peut être est celui d'un petit résumé de la théorie du « Taouhid «, qui a été composé en Kabylie dans la tribu des Beni Ourtilane à la zaouia de Sidi Yahia Ben Hammoudi . Il est transcrit en arabe et c'est en fait, une traduction sommaire du traité de Abou Abdallah Mohammed Ben Mohammed Ben Youssef Essenoussi : « la Senoucia «. (10) Ces ouvrages sont en grande partie consacrés à des questions religieuses ou au droit musulman; L'un des plus importants manuscrits écrits en dialecte Chelha est celui de Mohamed Ben Ali Ben Bbrahim ; de la zaouia de Tamegrout dans l'Oued Dra . Il naquit en 1057 de l'Hégire et mourut en 1129 (1717 de J.C.).Le titre de l'ouvrage célèbre qu'il a rédigé est «El Haoudh» ; le réservoir. L'auteur explique ce titre en écrivant : « Semmigh' elktab inou el h'aoudh ; ouenna zeguisi Issouan our al iad itti'ir irifi , itehenna ». : « J'ai nommé mon livre « le réservoir « ; quiconque y boira , n'aura plus jamais soif, et sera heureux «. C'est donc un abreuvoir destiné à désaltérer pour l'éternité les âmes pieuses. (11)
L'empreinte amazighe dans les noms et les lieux
Pour témoigner de la présence des parlés berbères dans l'histoire de l'Algérie depuis près de trente siècles, nous allons rapporter le témoignage celui du professeur Mostefa Lacheraf à propose de l'acculturation croisée entre le tamazigh et l'arabe. Le témoignage de Mostefa Lacheraf « « Noms berbères anciens et berbères punicisés par l'attrait culturel de Carthage. Noms berbères arabes berbérisés ou greffés d'amazigh. Noms arabo-berbères de la vieille tradition des patronymes ethniques confondus depuis les débuts de l'Islam en terre africaine et le souvenir fervent des premiers Compagnons du Prophète Sahâba et Ta-bi'in » Et l'espace vertigineux du sous-continent nord-africain littéralement tapissé dans ses moindres recoins, de Siwa en Egypte au fleuve Sénégal, des lieux dit s'exprimant à perte de vue, perte de mémoire, en tamazigh et en arabe avec leurs pierres , leurs plantes bilingues ou trilingues, leurs sources et la couleur géologique des terres sur lesquelles elles coulent ou suintent au pied des rochers depuis des millénaires ? » (12) « Pour ce qui est des prénoms et patronymes d'origine berbère, ils sont naturellement plus fréquents en Kabylie, au Mzab, dans les Aurès et certaines aires berbérophones mineures autour de l'Atlas blidéen et du Chenoua, mais existent aussi dans les collectivités arabophones à « cent pour cent » depuis des siècles à travers le pays des noms de famille à consonance berbère et de signification tamazight à peine déformée tels que : Ziri, Mazighi, Méziane, Gougil, Sanhadji, Zernati, Maksen, Amoqrane, Akherfane et ceux terminés parla désinence en ou an au pluriel et précédés du t du féminin sont répandus un peu partout Ainsi Massinissa (Massinssen) nom propre berbère qui signifie : le plus grand des hommes, le plus élevé par le rang, le Seigneur des hommes , etc, a trouvé dans l'onomastique arabe algérienne dans le passé et jusqu'à ce jour son juste équivalent et ses variantes sous les formes suivantes: Alannàs, Sidhoum,'Aliennàs, Alàhoum ; et dans le genre le nom très connu de Lallàhoum « Leur dame », celle qui est supérieure aux autres , hommes et femmes » (13).
Pour nous permettre d'évaluer à sa juste mesure, l'empreinte séculaire du fond berbère suivons aussi Mostefa Lacheraf qui parle d'un « gisement » ancien en langue tamazight. Il écrit « Dans l'épigraphie nord africaine à laquelle se réfère Gustave Mercier à propos de ce qu'il appelait en 1924 « La langue libyenne (c'est à dire tamazight ) et la toponymie antique de l'Afrique du Nord », des noms propres d'hommes et de femmes surgissent et parmi eux il en est moins reconnaissables comme ce Tascure, découvert gravé en latin et dont les doublets linguistiques actuels sont Tassekkurt et Sekkoura signifiant « perdrix » en kabyle Les topiques ou toponymes et lieux-dits à travers toute l'Afrique du Nord constituent , quant à eux, un véritable festival de la langue berbère , et l'on bute sur ses noms devenus familiers aux vieilles générations d'Algériens connaissant leurs pays dans les moindres recoins du sous- continent maghrébin avec ses montagnes, ses coteaux, ses cols défilés et autres passages ; les menus accidents du relief, les plantes sauvages et animaux de toutes sortes ,- Ne serait ce que pour cela (qui est déjà énorme ) cette langue devrait être enseignée à tous les enfants algériens afin de leur permettre de redécouvrir leur pays dans le détail. La pédagogie scolaire et de l'enseignement supérieur en transposant à son niveau , avec des moyens appropriés , cette légitime initiation à la terre , à la faune, à la flore aux mille réalités concrètes (et méconnues) du Maghreb fera gagner à notre identité en débat perpétuel injuste , les certitudes dont elle a besoin pour s'affirmer et s'épanouir ». 14)
Yannayer premier maillon d'un ancrage identitaire et historique
En fêtant Yannayer l'Algérie consolide graduellement enfin les fondations d'un projet de société fédérateur ! Par ces temps incertains où les identités et les cultures sont comme les galets d'un ruisseau ; Si elles ne sont pas ancrées dans un vécu entretenu et accepté par les citoyens d'un même pays, elles peuvent disparaitre avec le torrent de la mondialisation à la fois néolibérale mais aussi avec un fond rocheux chrétien La doxa occidentale la plus prégnante est celle d'imposer un calendrier qualifié justement, d'universel pour imposer une segmentation du temps qui repose un fond rocheux du christianisme Le passage à la nouvelle année a été vécu par la plupart des pays comme un événement planétaire que d'aucuns dans les pays du Sud attribuent à une hégémonie scientifique, culturelle.
Pourtant ce passage d'une saison à une autre ne doit pas être l'apanage d'une ère civilisationnelle, encore moins d'une religion mais, devrait se référer à toutes les traditions humaines, avec une égale considération, depuis que l'homme a commencé à mesurer les pulsations du temps
La perception du déroulement temporel est fondée sur l'expérience du vécu. On en retrouve les modalités dans les langues, l'art, les croyances religieuses, les rites et dans bien d'autres domaines de la vie sociale. Dès la plus haute Antiquité, les hommes ont manifesté cette volonté de mesurer le temps. On trouve ainsi le cycle solaire comme premier mouvement régulier auquel les hommes ont manifesté de l'attention eu égard à la mesure du temps Le calendrier chinois est un calendrier lunaire créé par l'Empereur Jaune en 2637 avant notre ère et appliqué à partir de son année de naissance -2697. Le calendrier de l'Égypte antique, était axé sur les fluctuations annuelles du Nil Pour eux nous sommes rentrés dans le septième millénaire Le départ étant les premières dynasties Les Grecs anciens connaissaient tous un calendrier lunaire Le calendrier hébreu est utilisé dans le judaïsme pour l'observance des fêtes religieuses. Nous sommes en l'an 5779.
De plus Yannayer n'est pas uniquement algérien, De par la géographie plusieurs pays à juste titre s'en réclament « Géographiquement, c'est la fête la plus largement partagée en Afrique, puisque nous la retrouvons sur toute l'étendue nord du continent allant de l'Egypte aux côtes Atlantiques au nord et du désert de Siwa en Egypte jusqu'aux Iles Canaries au large de l'océan Atlantique au Sud, en passant par les tribus Dogons au Mali en Afrique de l'ouest», qui relève que le terme Yennayer «on le retrouve dans toute l'Afrique du Nord jusqu'au sud du Sahel avec de légère variations sur la même racine».
On sait qu'à l'indépendance de l'Algérie, les divergences idéologiques et la minoration de la culture berbère notamment sa langue. A l'époque un chef d'état martelait Nous sommes arabes trois fois de suite ! .déniant par cela toute reconnaissance à une partie des Algériens qui sont berbérophones et par la suite en plus arabophones .Tandis que d'autres Algériens étaient uniquement arabophones Par la suite, et c'est normal le besoin de racines a amené ces Algériens à réclamer que l'Algérie existait depuis près de trente siècles Cela dura longtemps avec des atermoiements, la reconnaissance enfin de l'identité première du peuple algérien est une victoire de la raison qui va accélérer la mise en ordre de la maison Algérie
Comment arriver à un vivre ensemble linguistique : Ce qu'il faut enseigner aux élèves pour tisser la trame d'une identité commune ?
On a beau dire que le calendrier est une construction idéologique calquée sur une fête agraire. Veut on pratiquer la tabula rase pour des repères identitaires consubstantielles de ce projet de société que nous appelons de nos vœux ? Il n'en demeure pas moins que quelque soit le repère de départ, il y a trente siècles il y avait une âme amazigh. Cette « construction idéologique » ne vise pas à diminuer l'apport de l'arabe composante aussi de l'âme algérienne pendant ces quatorze siècles de vivre ensemble. L'antériorité de la dimension première amazighe est non seulement première mais l'Algérie a vu les premières aubes de l'humanité
Un récit national prélude un projet de société et la quête du savoir
Nous devons tous ensemble aller les uns vers les autres et nous enrichir de nos mutuelles différences. Cette Algérie plurielle a l'immense privilège d'être arrimée aussi à la civilisation arabe. C'est un capital dont nous ne devons négliger aucune facette. L'Arabité est consubstantielle de la personnalité algérienne .
Une acceptation apaisée de l'amazighité ne se décrète pas. C'est un long travail de patience qui doit nous convaincre qu'après plus de cinquante ans d'errements, l'Algérie décide de faire la paix avec elle-même . Quel projet de société voulons-nous ? Il nous faut consacrer le vivre-ensemble. De ce fait, la place de l'amazighité à l'école doit être affirmée par un engagement sincère en y mettant les moyens pour faire ce qu'il y a de mieux en dehors de toute instrumentation. De plus, dans le système éducatif, le développement des lycées et des universités ne s'est pas conçu comme une instance à la fois de savoir et de brassage. En dépit du bon sens et contre toute logique et pédagogie, on implante un lycée ou un centre universitaire pratiquement par wilaya. Ceci est un non-sens pour le vivre-ensemble, on condamne le jeune à naître, à faire sa scolarité, son lycée et ses études «universitaires» ou réputées telles dans la même ville ne connaissant rien de l'autre. Nous devons penser à spécialiser des lycées à recrutement national (c'est le cas des lycées d'élite) à même de spécialiser les universités par grandes disciplines. Dans tous les cas, nous avons le devoir de stimuler le savoir en organisant continuellement des compétitions scientifiques, culturelles, sportives en réhabilitant le sport qui est un puissant facteur de cohésion. La symbiose entre les trois sous-secteurs est indispensable, Il en va de même de la coordination scientifique dans les disciplines principales enseignées. Dans les universités anglo saxonnes il y a un module d'histoire quelque soit la spécialité.
Arriver à consacrer 1000 évènements dans l'année qui puisse en définitive à réduire les barrières basées sur des fausses certitudes ;
Quant à la gestion du pays devenue lourde, le moment est venu de sortir du jacobinisme hérité pour aller vers une gestion à la suisse avec les cantons, à l'allemande avec les landers la déconcentration des services de l'Etat permettra à chaque région de s'épanouir à l'ombre des lois de la république et des missions régaliennes (défenses, monnaies, ) Nous pouvons y prendre exemple La régionalisation permettrait à chaque région d'apporter sa part dans l'édifice du pays
Nous devons consolider dans les faits au quotidien par l'enrichissement mutuel nous pouvons dire que nous sommes réellement sur la voie royale de la nation Ce plébiscite de tous les jours dont parle Ernest Renan constamment adaptable et servant constamment de recours quand le train de la cohésion risque de dérailler et que Cheikh Nahnah avait résumé par une phrase célèbre. « Nous sommes Algériens Min Ta Latta. Min Tlemcen li Tebessa oua min Tizi Ouzou li Tamanrasset. » Cela devrait notre Crédo. Il n'y a pas de mon point de vue de berbères, il n'y a pas d'Arabes, il n'y a que des Algériens qui sont ensemble depuis 1400 ans et qui ont connu le meilleur et le pire, comme l'a montré la glorieuse révolution de Novembre. Un grand chantier fait de travail de sueur de nuits blanches de résilience face à un monde qui ne fait pas de cadeaux aux faibles nous attend tous autant que nous sommes. « Comment consacrer la quête de la connaissance ? Si les matières premières sont finies, la connaissance est infinie. Donc, si notre croissance est basée sur les matières premières, elle ne peut pas être infinie. En 1984, Steve Jobs rencontre François Mitterrand et affirme «le logiciel, c'est le nouveau baril de pétrole». Trente ans plus tard, Apple possède une trésorerie de la taille du PIB du Vietnam ou plus de deux fois et demie la totalité du fonds souverain algérien. C'est donc la quête continue du savoir qui doit être la préoccupation essentielle de nos dirigeants qui doivent penser aux prochaines générations...
Assougas ameggas à toutes les Algériennes et tout les Algériens. Que l'année nouvelle amène la sérénité à cette Algérie qui nous tient tant à cœur.
4.Eugène Albertini : L'Afrique du Nord Française dans l'histoire, Paris ,Lyon, pp;90-92, (1955) .
5.Ali Farid Belkadi: A propos du youyou traditionnel mentionné sous le nom d'ologugmos par Eschyle et Herodote. Colloque Cread : Quels savoirs pour quelles sociétés dans un monde globalisé? Alger 8-11 novembre 2007
6 . A.Bekadi Op.cité
7.G.Camps: Monuments et rites funéraires, Introduction p.8, 1961, cité par Belkadi
Un symposium sur «l’affaire Si Salah» à la Bibliothèque nationale d'Alger.
Colonel Si Salah, un des chefs de la Wilaya IV
Un symposium sur le thème «La rencontre des officiers de la Wilaya IV et du président de la République française, le 10 juin 1960, à l’Elysée» se tiendra aujourd’hui, à la Bibliothèque nationale, à Alger, à partir de 14h, indique un communiqué des organisateurs.
L’épisode dont il est ici question est connu sous le nom de «L’affaire Si Salah», référence à l’ancien chef de la Wilaya IV, le colonel Si Salah, de son vrai nom Mohamed Zamoum. Il avait succédé au colonel M’hamed Bougara à la tête de cette wilaya historique. Il est le frère de Ali Zamoum, figure emblématique de la Révolution, qui a joué un rôle capital dans la reproduction de la Proclamation du 1er Novembre 1954 à Ighil Imoula.
Ce symposium, précise-t-on, se déroulera avec la participation de la fondation Wilaya IV historique, dirigée par Youcef Khatib, dit colonel Si Hassan. Il «sera animé par des moudjahidine et des historiens-chercheurs, visant à traiter de cet événement important de la Guerre de Libération nationale, déterminant dans l’avènement de l’indépendance et poursuivant la version réelle, la plus juste, du déroulement des faits», souligne le communiqué.
Et d’ajouter : «La participation des intervenants permettra de rationaliser les témoignages, leur donner l’objectivité nécessaire, les confronter aux faits et documents disponibles, les enrichir… dans le but de savoir ce qui s’est passé, comment, pourquoi, avec quelles implications… et ce, afin de toujours chercher à savoir.» Le programme de ce symposium prévoit plusieurs interventions qui ne manqueront pas de susciter un débat passionnant et de qualité. Rabah Zamoum, le fils du colonel Si Salah et qui a consacré un livre à cette affaire : Si Salah, mystère et vérités. Une rencontre déterminante pour l’indépendance (éditions Casbah, 2005), balisera le terrain avec une communication liminaire : «Rencontre Wilaya IV-Elysée : repères historiques».
Côté acteurs, le symposium pourra compter sur le précieux témoignage du moudjahid Lakhdar Bouragaâ, ancien commandant de l’ALN au sein de la Wilaya IV et compagnon d’armes du colonel Si Salah. Côté historiens, Fouad Soufi donnera une communication sous le titre : «Mémoires de la Wilaya IV : les archives de la Révolution algérienne». Nafissa Douida Mouhouche, professeure d’histoire moderne à l’ENS de Bouzaréah, axera son exposé sur la «Méthodologie pour l’écriture de l’histoire de la Guerre de Libération nationale : cas de l’affaire Si Salah». Enfin, Abdelaziz Boukenna, professeur à l’université d’Alger 2 et président du conseil scientifique de la faculté des sciences humaines et sociales, propose une «Synthèse sur l’affaire Wilaya IV-Elysée à travers les écrits historiques étrangers».
Dans un document qui résume la genèse de cette affaire, dont El Watan avait été destinataire en prévision de ce symposium, Rabah Zamoum écrit : «Le 10 juin 1960, le colonel Si Salah (Mohamed Zamoum) et ses adjoints, le Commandant Si Mohamed (Djillali Bounaâma) et le Commandant Si Lakhdar (Lakhdar Bouchema), se sont rendus à l’Elysée pour rencontrer le général de Gaulle, président de la République française.
Cette rencontre a lieu après le discours, en septembre 1959, de De Gaulle sur l’autodétermination de l’Algérie.» (voir l'article ci dessous)
Si cette séquence a suscité beaucoup de remous et d’incompréhensions, d’aucuns considèrent que ces premiers contacts Wilaya IV-Elysée ont été décisifs «dans le processus de négociation du cessez-le-feu» et constituent de ce fait un «accélérateur de l’avènement de l’indépendance nationale». Le fils de l’ancien chef de la Wilaya IV fera remarquer à ce propos : «Précisons que le GPRA annonce le 20 juin 1960, soit 10 jours après la rencontre, qu’une délégation conduite par le président Ferhat Abbas se rendra à Paris ‘‘pour rencontrer le général de Gaulle’’ et engager les négociations du cessez-le-feu.»
Le fils de l’ancien chef de la wilaya IV prépare un symposium : Pour faire la lumière sur «l’affaire Si Salah»
Communément appelée «L’affaire Si Salah», cette séquence de la Guerre de Libération nationale a fait beaucoup de bruit dans le cercle des initiés, mais reste méconnue du grand public. Le colonel Si Salah dont il est ici question est l’ancien chef de la Wilaya IV qui avait succédé au colonel M’hamed Bouguerra à la tête de cette Wilaya historique. De son vrai nom Mohamed Zamoum, il est le frère de Ali Zamoum qui a joué un rôle-clé dans la reproduction et le tirage de la Proclamation du 1er Novembre 1954 à Ighil Imoula.
Le 10 juin 1960, une rencontre a eu lieu entre Si Salah, accompagné de deux de ses adjoints, et le général de Gaulle, à l’Elysée, pour engager des discussions sur l’autodétermination du peuple algérien, en réponse à «la paix des braves» proposée par le président français.
Quelques mois auparavant, de Gaulle déclarait dans son discours du 16 septembre 1959 : «Compte tenu de toutes les données, algériennes, nationales et internationales, je considère comme nécessaire que ce recours à l’autodétermination soit, dès aujourd’hui, proclamé.» Au-delà de l’offre de paix du général de Gaulle, le colonel Si Salah était surtout mû par la situation désastreuse qui prévalait dans les maquis, le manque cruel d’armes et de munitions, l’état des djounoud et l’attitude des responsables politiques et militaires de la Révolution à l’extérieur.
Si ces premières négociations n’ont pas abouti, toujours est-il que quelques jours après l’initiative du chef de la Wilaya IV, le GPRA engageait des pourparlers avec le gouvernement français. Le colonel Si Salah, lui, tombe dans une embuscade près de M’chedallah le 21 juillet 1961 et ne verra pas l’indépendance. Pour certains, Si Salah avait commis une erreur en prenant l’initiative de cette rencontre avec de Gaulle, et les plus sévères vont même jusqu’à l’accuser de «trahison». Pour d’autres, ces premiers contacts ont permis d’accélérer le processus de l’indépendance.
«Avoir la version la plus juste du déroulement des faits»
Pour tirer cette histoire au clair, son fils, Rabah Zamoum, auteur du livre Si Salah, mystère et vérités. Une rencontre déterminante pour l’indépendance (éditions Casbah, 2005), œuvre pour l’organisation d’un symposium dans les prochaines semaines dédié spécialement à «la rencontre Wilaya IV-Elysée» et auquel il souhaite associer témoins, acteurs et historiens. Le fils du colonel Si Salah s’est présenté à la rédaction d’El Watan pour nous remettre un dossier préparé avec soin à cet effet.
Dans sa lettre explicative, il écrit : «S’agissant d’un fait d’histoire précis : la rencontre du 10 juin 1960 à l’Elysée, entre les officiers de la Wilaya IV (ALN) et le président de la République française, il m’a semblé qu’un symposium est de dimension à permettre d’aborder et de traiter cet événement important de/dans la Guerre de Libération nationale, et essentiel pour l’avènement de l’indépendance ; tout comme il permettra à ceux et celles qui ont vécu au plus près cet épisode de témoigner afin d’avoir la version réelle et vraie, la plus juste, du déroulement des faits.»
Et de faire remarquer : «La participation d’universitaires permettra de rationaliser les témoignages, leur donner l’objectivité nécessaire, les ‘‘confronter’’ aux faits et documents disponibles ; les enrichir ainsi aussi.» Rabah Zamoum indique à propos du timing de cet événement : «Nous envisageons la tenue du symposium, qui se déroulera pendant une journée, à la fin du mois de novembre-début du mois de décembre 2018.»
«L’effort d’écriture de l’histoire doit se poursuivre»
Dans une note de présentation de quatre pages, Rabah Zamoum propose une réflexion très pertinente pour baliser cette rencontre. Il commence par des éléments de contexte : «Le 10 juin 1960, le colonel Si Salah (Mohamed Zamoum) et ses adjoints, Commandant Si Mohamed (Djillali Bounaâma) et Commandant Si Lakhdar (Lakhdar Bouchema) se sont rendus à l’Elysée rencontrer le général de Gaulle, président de la République française. Cette rencontre a lieu après le discours, en septembre 1959, de De Gaulle sur l’autodétermination de l’Algérie.» Il souligne dans la foulée : «Voilà 56 ans que l’Algérie a recouvré son indépendance, et l’effort d’écriture de l’histoire doit se poursuivre. Timidement entamé et tardivement commencé, le travail d’écriture n’a été engagé de manière soutenue, au vu des publications, dont un grand nombre de biographies, que ces 15-20 dernières années.»
Revenant sur l’idée de l’organisation de ce symposium, on comprend que le propos est de montrer en quoi la rencontre Wilaya IV-Elysée a été utile et même décisive, quoi qu’on ait pu dire sur les conditions de son déroulement. Selon le neveu de Ali Zamoum (à qui il a consacré d’ailleurs un livre intitulé : Ali Zamoum, le juste), cette tentative de négociation a été «déterminante dans le processus de négociation de cessez-le-feu» et elle a été, de ce fait, un «accélérateur de l’avènement de l’indépendance nationale». Le fils de l’ancien chef de la Wilaya IV rappelle à ce propos : «Précisions que le GPRA annonce le 20 juin 1960, soit 10 jours après la rencontre, qu’une délégation, conduite par le président Ferhat Abbas, se rendra à Paris ‘‘pour rencontrer le général de Gaulle’’ et engager les négociations de cessez-le-feu.»
«Une méconnaissance presque totale» de cet épisode
Dans le document qu’il a élaboré en prévision de ce symposium, Rabah Zamoum pose ensuite un certain nombre de questions structurantes : «Quelles ont été les conditions de la lutte et quel a été le processus d’évolution de l’Armée de libération nationale dans les maquis ? Quelles ont été les considérations et références qui ont présidé à cette rencontre ? Quelles sont les étapes suivies et sollicitations de la Wilaya IV vis-à-vis du GPRA ? Quels sont les rapports Intérieur (ALN)/Extérieur (FLN) à cette période ?»… Il relève au passage que les Algériens, dans leur majorité, sont dans une «méconnaissance presque totale de cette rencontre». Rabah Zamoum constate par ailleurs la circulation de «versions insuffisantes» et conteste certaines «interprétations anachroniques, erronées, quand elles ne sont pas fantaisistes».
Pour toutes ces raisons, plaide-t-il, «il est primordial (…) de traiter cet épisode de la manière la plus exhaustive possible afin de reconstituer son déroulement et livrer la version la plus juste (…) aux citoyens et à la société pour éviter toute manipulation ou instrumentalisation». «C’est de ce fait une attitude claire que nous voulons adopter, recourir à une démarche qui n’épargne rien, n’écartant pas les acteurs et les faits, n’isolant pas les acteurs des faits ; une démarche de synthèse, car recherchant la quintessence, la vérité, pour donner ou restituer la version la plus juste des faits.» Car, insiste-t-il, le seul enjeu ici, c’est «la vérité du fait historique».
«Comprendre la réalité de cette rencontre Wilaya IV-élysée»
A la lumière de ces principes directeurs, et «pour cerner totalement les contours de la problématique du symposium, poursuit Rabah Zamoum, divers aspects seront abordés pour (nous) permettre de saisir et de comprendre la réalité profonde de cette rencontre Wilaya IV-Elysée dans toutes ses dimensions : militaires, matérielles, humaines, idéologiques, politiques… et autres». L’auteur de Si Salah, mystère et vérités a listé ainsi un certain nombre de thèmes et de pistes de réflexion afin de «saisir les motivations des officiers de la Wilaya IV pour avoir engagé la démarche ayant abouti à la rencontre du 10 juin 1960».
Parmi les axes thématiques proposés au débat : l’étude de la Proclamation du 1er Novembre 1954 et de la Plateforme de la Soummam ; l’évolution de la lutte armée et la «Sortie du CCE du territoire national (1957)» ; la «mission de Si Salah au Maroc et en Tunisie (1957-1958)» et la «Rencontre des colonels dans le Nord-Constantinois en décembre 1958» ; les «Grandes opérations de l’armée française» et leurs «Conséquences sur l’ALN (affaiblissement et isolement des maquis)» ; «Le FLN hors du territoire national (commandement Est et Ouest, GPRA, état-major, Comité interministériel de la Guerre, Armée des frontières…)» ; «Démarche politique de la Wilaya IV et rencontre du 10 juin 1960 avec le président de la République française» ; «Réaction du GPRA et événements internes en Wilaya IV» ; «Processus de négociation du cessez-le-feu et avènement de l’indépendance».
Rabah Zamoum précise que cette liste est «donnée à titre indicatif» et qu’elle «peut être améliorée et enrichie». Nous espérons vivement que cet important colloque puisse se tenir afin que justice soit rendue au colonel Si Salah…
Un symposium s’est tenu mardi après-midi à la Bibliothèque nationale, à Alger, sur un épisode méconnu de la Guerre de Libération nationale. Il s’agit de la rencontre qui a eu lieu le 10 juin 1960, à l’Elysée, entre des officiers de la Wilaya IV historique et le général de Gaulle. Cet épisode est connu sous le nom de «l’affaire Si Salah» ou encore «l’affaire de l’Elysée», comme on peut le lire sur une brochure de la Fondation de la Wilaya IV sous le titre : L’Affaire de l’Elysée, entre vérité et propagande.
Ce symposium a été marqué par diverses interventions très édifiantes, en l’occurrence celles de Rabah Zamoum, fils de Mohamed Zamoum, Colonel Si Salah de son nom de guerre, ancien chef de la Wilaya IV au moment des faits et un des trois officiers qui ont participé à cette entrevue avec le général de Gaulle ; citons également les témoignages du moudjahid Lakhdar Bouregaâ, ancien commandant de l’ALN qui officiait au sein de la Wilaya IV, ainsi que celle de Youcef Khatib, alias colonel Si Hassan, dernier chef de la Wilaya IV historique et président de la Fondation Wilaya IV.
Le symposium a pu compter, par ailleurs, sur les interventions des historiens et chercheurs Fouad Soufi, Abdelaziz Boukenna et Nafissa Douida Mouhouche.
Rabah Zamoum s’interroge d’entrée sur les raisons du silence gêné qui entoure cette affaire. «Pourquoi ce mutisme ? On n’en parle pas beaucoup, on n’en parle pas ouvertement, il y a encore des choses qu’on ne connaît pas sur cette affaire», martèle-t-il.
Pour mesurer l’impact qu’a eu cette rencontre sur la suite des événements, il précise : «La réunion a lieu le 10 juin 1960. Et le GPRA annonce qu’une délégation conduite par le président Ferhat Abbas ira rencontrer la partie adverse. C’était le 20 juin 1960, soit dix jours après la rencontre Wilaya IV-Elysée.» Et de faire remarquer : «En cela déjà le processus qui a été engagé le 10 juin 1960 est un événement majeur.»
Cette rencontre comprenait pour la Wilaya IV «le colonel Si Salah, le commandant militaire Si Mohamed (Djilali Bounaâma) et le commandant chargé des Renseignements et Liaisons Si Lakhdar (Lakhdar Bouchema)». Alors que certains ont parlé de «trahison» et que quasiment tous ceux qui ont été mêlés à ces premiers pourparlers ont été exécutés, Rabah Zamoum souligne que cette initiative s’inscrit en vérité en droite ligne du combat indépendantiste et «trouve son enracinement, sa genèse, dans tout ce qui l’a précédée depuis la Proclamation du 1er Novembre 1954».
Une révolte de l’ALN contre le FLN ?
L’intérêt de ce forum, souligne l’orateur, est d’«essayer d’apporter des réponses précises» à des zones d’ombre qui persistent à propos de ce fait historique. Il formule dans la foulée un certain nombre de questionnements légitimes : «Est-ce que l’ALN via la Wilaya IV s’est substituée à l’époque (1960) au FLN ? Est-ce que la démarche de la Wilaya IV est une révolte de l’ALN contre le FLN ? S’agit-il d’une trahison de l’ALN contre le FLN ; des officiers de la Wilaya IV contre les membres du GPRA, de l’état-major et du CNRA ?»
Ne faudrait-il pas y voir a contrario, poursuit le conférencier, «une forme de renaissance de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur ?» Ou encore une «manifestation de fidélité aux fondements et principes de la Révolution contenus dans la Proclamation du 1er Novembre et la Plateforme de la Soummam contre les formes de déviationnisme du pouvoir FLN ?»
Car l’une des questions que l’on se pose immanquablement au sujet de cette action téméraire est qu’est-ce qui a poussé des officiers de l’ALN à prendre une initiative aussi cruciale sans avoir eu au préalable l’aval du GPRA qui, depuis sa création le 19 septembre 1958, était le représentant politique exclusif du peuple algérien en lutte pour son indépendance ?
La réponse nous est donnée justement dans la suite de l’argumentaire de Rabah Zamoum qui explique, corroboré en cela par d’autres témoignages concordants, à quel point les relations s’étaient dégradées entre l’intérieur et l’extérieur.
L’auteur de Si Salah, mystère et vérités. Une rencontre déterminante pour l’indépendance insiste sur le fait que la mission de l’extérieur est «de procurer des armes, des munitions et de l’argent à l’ALN». Il rapporte ensuite comment une partie importante de l’encadrement politico-militaire s’est exilée peu après la Soummam et même «le CCE, qui était un cabinet de guerre, quitte l’Algérie en opposition avec les résolutions du Congrès de la Soummam».
Dans les maquis, la vie devient intenable, mais «à l’extérieur, on se préoccupait très peu des conditions de lutte». Cela va obliger les colonels à tenir une réunion en décembre 1958 à Ouled Asker, près de Jijel, pour trouver une issue à cette situation asphyxiante, ce qui va s’apparenter à un «Soummam II», selon le mot de Lakhdar Bouregaâ. Cette «réunion des colonels» comprend «Hadj Lakhdar de la Wilaya I, Amirouche de la Wilaya III, Si M’hamed (Bougara) de la Wilaya IV et Si El Haouès pour la Wilaya VI».
Les chefs des maquis de l’ALN déplorent «l’éloignement de la direction du FLN et l’isolement des maquis, le manque d’armes, de munitions et autres moyens…» Sur les quatre colonels, trois tomberont au champ d’honneur quelques mois plus tard : Amirouche et Si El Haouès le 29 mars 1959, et M’hamed Bougara le 5 mai 1959. «C’est dans ces conditions que le commandement de la Wilaya IV se reconstitue. Il est composé alors de Si Salah, chef politico-militaire, Si Halim commandant politique, Si Mohamed commandant militaire et Si Lakhdar commandant des Renseignements et Liaisons.»
«Entrer dans la bataille politique»
En février 1960, Si Salah interpelle le GPRA, exigeant l’envoi d’armes. Sans résultat. Rabah Zamoum cite un témoignage de Ferhat Abbas qu’il a interviewé en 1984. Ferhat Abbas lui dit : «Le colonel Si Salah nous avait longuement écrit. La Wilaya IV mettait en accusation l’état-major et lui reprochait de stocker armes, munitions et argent pour son usage personnel plutôt que de les lui faire parvenir (…). Enfin, Si Salah, s’adressant directement à moi, me demande de trouver à tout prix le moyen de négocier et d’arrêter la guerre.»
Il convient de méditer cet autre témoignage d’un ancien officier de la Wilaya IV, Nachet (Amar Bensalah), qui révèle au conférencier : «L’armement qui devait nous parvenir ne l’a pas été. Par exemple, si nous devions recevoir 500 armes, nous n’en recevions que 10. Nous avons même reçu des armes complètement sabotées.» Un rapport de la Wilaya IV «qualifie l’attitude de l’extérieur en matière militaire de trahison flagrante», soutient le neveu de Ali Zamoum. Le même document arrive à la conclusion que «les chefs actuels des maquis ont toujours été à la pointe du combat.
Et il est urgent de cesser le combat militaire pour entrer dans la bataille politique». Rabah Zamoum en déduit : «L’ALN va alors s’affranchir, car la rupture est consommée et elle va engager une action politique de responsabilité.» Et c’est à ce titre qu’elle va entamer la démarche qui aboutira à la rencontre du 10 juin 1960.
Le fils du colonel Si Salah convoque une autre source, en l’occurrence le témoignage de Bernard Tricot, proche collaborateur du général de Gaulle, avec qui les tout premiers contacts vont être engagés à titre préliminaire. Selon Tricot, Si Salah et ses compagnons sont «venus connaître les intentions de de Gaulle après le discours de septembre 1959 sur l’autodétermination : qu’est-ce que l’autodétermination dans la vision politique de de Gaulle ?
Quel est son contenu ? Et comment y arriver ?» Rabah Zamoum apporte une précision de taille en disant : «Si Salah avait alors demandé à rencontrer les cinq prisonniers FLN : Ben Bella, Khider, Aït Ahmed, Lacheraf et Boudiaf. Il avait demandé une deuxième chose : c’est de faciliter un voyage à Tunis pour rencontrer les responsables du GPRA. A ces deux demandes, de Gaulle a opposé un refus. Mais il a proposé de lancer un nouvel appel au GPRA pour envoyer une délégation.
A cela, Si Salah a répondu : ‘‘Si le GPRA répond favorablement à votre appel, vous n’entendrez plus parler de nous.’’»«Le 14 juin 1960, de Gaulle lance un nouvel appel au GPRA et le 20 juin 1960, le GPRA annonce qu’une délégation conduite par le président Ferhat Abbas se rendra en France. Donc ces dates sont importantes, car elles montrent comment le processus de cessez-le-feu a été engagé et comment la Wilaya IV a fait avancer l’indépendance.»
«Soummam II» ou «la réunion des colonels»
Lors de son témoignage, Lakhdar Bouragaâ, 85 ans, bon pied bon œil, attaque par une citation au vitriol : «L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels tout le monde est d’accord.» La citation est de Napoléon Bonaparte. Il fera remarquer que «l’histoire ne vaut que par les détails», aussi, pendant plus d’une heure, il abreuvera l’assistance de détails truculents. D’après lui, jusqu’à 1956, la Guerre de Libération était dans le brouillard.
«Ils ont fait une Proclamation (celle du 1er Novembre 1954), après, s’agit-il de distribuer cet appel dans chaque maison, chaque village, et attendre l’indépendance ?» Et de pointer les carences organisationnelles que le Congrès de la Soummam est venu combler. «C’était pour nous une bouffée d’oxygène, on étouffait, on n’avait rien, ni programme ni direction reconnue, le peuple ne savait pas qui étaient ces gens.» Cela n’a visiblement pas suffi face au «rouleau compresseur» qui allait s’abattre sur les djounoud. D’où la réunion des colonels à Ouled Asker, ce qu’il appelle «Soummam II».
«Ils ont vu ce que la France faisait, et ce que préparait le père de la Ve République. Ils ont dit il nous faut un Soummam II. Car il fallait dans l’immédiat affronter le projet militaire ‘‘Plan Challe’’ et installer un mécanisme de coordination.» Parmi les décisions de ce conclave : dépasser le cloisonnement du découpage de 1956 et venir en aide aux Wilayas en difficulté. Les responsables de l’extérieur le prennent mal. «Ils ont crié au complot en disant : ‘‘S’ils créent une coordination de l’intérieur, cela veut dire qu’on est juste des réfugiés ici.’’»
Bouregaâ confirme que les relations étaient tendues avec le GPRA, aussi bien qu’avec le chef d’état-major, le colonel Boumediène, surtout quand les chefs de la Wilaya IV ont envoyé un message au ton caustique : «Est-ce que les frontières de l’Est et de l’Ouest sont des ailes pour la Révolution ou des tenailles ?» se demandent-ils. «Je ne peux pas reproduire ici les propos indécents que Boumediène leur a adressés», lance Bouregaâ. Selon un bilan fourni par l’ancien commandant de l’ALN, l’opération «Challe» en Wilaya IV a fait 2200 morts entre chouhada et disparus.
Alors que des commandos sont envoyés en soutien aux Wilayas affaiblies, comme les Aurès et le Sud, de la part de la Wilaya III et la Wilaya IV notamment, des contacts sont noués dans le plus grand secret entre des officiers de la Wilaya IV et des émissaires du général de Gaulle. Les contacts sont établis par le biais d’un magistrat de Médéa, le cadi Mazighi, entre les officiers Abdelatif Othmane-Tolba, Halim (Hamdi Benyahia) et Lakhdar Bouchema, d’un côté, et Bernard Tricot et le colonel Edouard Mathon, de l’autre.
«Il faut ouvrir les archives !»
Quand les trois officiers sont arrivés chez de Gaulle, «c’est Lakhdar qui a parlé en premier», dit Bouregaâ. «Si Mohamed n’a pas pris la parole. Si Salah leur a dit : ‘‘Vous avez les cinq (les cinq dirigeants FLN détenus en France), ils sont chez vous. Formons d’ici une délégation et allons à Tunis.’’» De Gaulle rejette la proposition. Fin de l’entrevue. De tous ceux qui ont pris part à ces contacts, il n’y aura aucun survivant.
Si Lakhdar, Halim et le capitaine Abdelatif seront condamnés à mort et exécutés. Quant au colonel Si Salah, au vu de son rang et de son grade, il a fallu attendre que le GPRA statue sur son cas. «La décision est arrivée au bout d’une année, en juin 1961», affirme Youcef Khatib. Et la décision était de l’envoyer s’expliquer à Tunis. Le 20 juillet 1961, il tombe dans une embuscade tendue par une unité de chasseurs alpins, près de M’chedallah. Selon plusieurs écrits, Si Salah est mort pendant son escorte vers Tunis. Quant à Si Mohamed (Djilali Bounaâma), il est tué par un commando de parachutistes dans la ville de Blida, le 8 août 1961.
Le sentiment général qui se dégageait à la fin de ce forum est que cette histoire reste à écrire. «Dans cette affaire de la Wilaya IV, jusqu’à maintenant, nous manquons toujours de précision», note Rabah Zamoum en espérant avoir accès aux archives de la Wilaya IV «pour comprendre un certain nombre de choses». «Au retour de l’Elysée, qu’est-ce qui s’est passé en Wilaya IV ? Il y a eu une catastrophe. Il y a eu des jugements à l’emporte-pièce, des exécutions», dit-il. Et ces blessures sont encore vives à voir l’émotion qu’il y avait dans la salle à l’évocation du sort injuste qu’ont connu ces maquisards de la première heure.
Youcef Khatib a plaidé énergiquement pour l’ouverture des archives de la Révolution, en particulier celles de la Wilaya IV : «On parle tout le temps des archives de Vincennes. Mais nous avons ici un Centre national des archives. Je m’y suis rendu personnellement pour consulter les archives de la Wilaya IV, ce sont à 80% nos propres rapports. On m’a dit il faut voir avec le ministère de la Défense. On a fait un écrit officiel au nom de la Fondation, on a même sollicité la présidence de la République, en vain. Donc avant de parler de Vincennes, il faut voir ce que nous avons chez nous.»
« Un peuple ignorant, en effet, est un peuple susceptible d’être exploité, soit par l’étranger soit par une classe quelconque, car il n’est pas en mesure d’accéder à la connaissance. Un peuple ignorant s’expose à tous les dangers .C’est pour cela que la révolution réserve la priorité au développement de l’enseignement » message à la nation 31/10/66
Au-dedans,les options de H. Boumediene se sont précisées en son temps, raffermies et affirmées petits à petits à travers ses propres discours.
Au dehors, la voix de H. Boumediene était écoutée, son conseil était recherché, ses décisions étaient prises au sérieux car l’Algérie se mettait à se tenir debout avec sa vitalité politique, économique, culturelle et même sociale. S’il est bien des vertus que nous en tant que génération de H. Boumediene voudrions affecter à ce recueil de mémoire d’un passé récent riche en événement culturel , économique et politique ,c’est un refus qui consiste à rejeter l’état actuel de ceux qui ont en main la destinée de ce très beau et grand pays .Ce pays est conduit et géré et ce depuis la disparition de H. Boumediene ,par un régime de gabegie, de l’indifférence totale de la corruption généralisée et de la médiocrité qui a permis d’ effacer le Rêve , l’ Espérance, l’Utile et l’Agréable ou l’Art n’est plus mis en valeur.
« L’Algérie n’est pas une simple expression géographique mais plutôt un programme d’action et une philosophie politique »discours aux cadres du parti Tiziouzou 18/11/74 Le destin de l’Algérie est suspendu, et le choix s’impose aujourd’hui et non demain à moins que le changement soit fait par le « yo-yo » des forces du mal qui travaillent à la destruction de ce beau pays et de son oblitération générale en « médiocrisant » les centres de culture et en éliminant les centres de recherche ( instituts et universités). Je sais pertinemment du fond de ma tête, de mon âme et conscience, de mes forces vives que sans justice sociale, il ne pourrait y avoir de paix, ni de salut dans ce pays. Et ceci est bien un geste, un ton dont l’écho à travers le temps d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; c’est une attitude claire, une expression qui se nourrissait dans le visage du feu H. Boumediene qui était un véritable autoritaire mais pas dictateur car la parole était donnée aux doctes et universitaires plus qu’aux mauvais politiciens de son temps. Son habit et son décor font de lui un homme de valeur respectable, H. Boumediene sait profondément et pertinemment que la justice et la dignité représentent le mobile à grande vitesse qui mène la société vers la prospérité et la paix sociale. Il est clair que chaque régime quel qu’il en soit a pour règle en générale, de faire oublier, de gommer parfois ou noircir son prédécesseur même si c’est un proche de lui ; croyant l’effacer de l’histoire du pays, mettant en avant les fautes, erreurs pour masquer les siennes. Alors, pour ce qui est d’un chef d’état ses accomplissements positifs ; nul n’a le droit de l’évacuer de la mémoire d’un peuple.
Par cette modeste contribution, mettre à la disposition de l’opinion public algérienne qui est trop préoccupée par les agitations moroses du pays et contraint tôt ou tard d’opérer un véritable choix de société plus égalitaire via la véritable démocratie. Ce projet de société aurait pu être opérer pendant la période de l’Age d’or ou le pays avait un mérite celui d’avoir implanté un type spécifique algérien de la politique et qui semble de nouveau en sommité en raison des manifestations spirituelles qui s’attachent au nom et à l’œuvre de H. Boumediene, peut être que la priorité n’était pas encore à l’ordre du jour car le temps était bien utile et nécessaire. Laissant une marge pour ceux qui considèrent H. Boumediene ; sa politique était loin d’être positive c’est un droit incontestable et respectable mais un excès allant plus loin et sont prêt à mettre sur le compte de H. Boumediene ce qui arrive aujourd’hui comme mal au pays .En tant que démocrate qui défend les bienfaits de H. Boumediene, elles seront appuyés par des intuitions émanant de ces discours, de l’impression de ses actes et paroles et des sentiments qui paraphent nôtre jugement. Car l’Algérie n’est pas malade de son corps mais bien de son esprit d’aujourd’hui car après H. Boumediene il y avait la décennie faste (pour une vie meilleurs) qui était trompeuse, ensuite la décennie noire( terrorisme) fabriquée par la stratégie du chaos , suivie de la décennie perdue( démocratie de façade) liquidation du poids économique de l’Algérie et enfin nous y sommes dans la décennie pourrie( capitalisme sauvage) ou valeurs ,morales , principes ,droit et normes ne veulent rien dire . Le destin de l’Algérie est suspendu et le choix n’est pas encore amorcé… en attendant le réveil du peuple qui dort encore oubliant sa dignité!
« Dans notre proclamation du 19 juin 1965, nous avons promis de restituer à ce pays, en premier lieu sa dignité. Voilà aujourd’hui que cette dignité représente la caractéristique dominante de la personnalité de notre peuple, en proclamant que le peuple algérien était l’unique détenteur de la souveraineté » Meeting à Médéa 04/06/69
Dès son jeune âge, Houari. Boumediene était une personne très et trop occupé de son pays meurtri pendant la colonisation, déchiré pendant la guerre et après l’indépendance. Pour ceux, qu’ils l’ont traités de fasciste, d’assassin et de bien trop d’autres mauvais qualificatifs suite au redressement du 19 juin 1965. Cependant et à travers ses interviews, et une multitudes de ses discours, et les entretiens qu’il l’avait eu avec Paul Balta*1 qui avait le sang arabe ,H. Boumediene parlait selon les propos de P.Balta d’une voix très douce, sachant placé ses mots dans un contexte qui se veut à lui sans être un « rêveur », pesant et articulant très bien ses mots qui se confondent avec la paix , la justice, l’équité , la dignité, le respect, la fermeté et bien d’autres mots propres au bien être de l’homme. Et entre deux phrases, il investit un silence d’or remarquable et laisse communiquer ses yeux pétillants et perçants à la fois, donnant l’air d’un véritable« rêveur ». C’est un homme qui sait très bien manipuler le geste à la parole et la parole au geste, il est celui qui fait toujours ce qu’il dit et dit toujours ce qu’il faut faire, dans le cadre du bien, du juste , du vrai et parfois même du beau et de l’agréable.
De loin H. Boumediene était qualifié comme un inégal impénétrable comme disait Ania Franco*2.Il était austère et timide, d’un contact bien compliqué que l’on ne pense.
Lors de la conférence des non alignés à Alger en 1973, ses portraits fusaient et se multipliaient à travers les unes de la presse internationale et chacun se permettait de mettre son grain de sel en avant; ce qui les étonne ensuite . Par contre H. Boumediene n’avait pas changé, ses actions, ses comportements à l’intérieur du pays. Il misait sur la stabilité du pays, la réussite politique et le triomphe d’un homme d’état exemplaire que le sommet des non-alignés lui a permis de lui confectionner une stature à l’échelle internationale pour le profit de la dignité de l’algérien et de l’Algérie. Cet événement politique, lui avait permis d’effacer ce visage que l’on lui avait attribué comme d’un loup affamé et ironique qui inquiétait bien des personnalités et des journalistes du monde politique, culturel et médiatique.
Ses sourires étaient parfois en éclats, se fondaient par la suite en public; le temps est passé ou il dissimulait ses sourires derrières ses mains préférant sourire, très souvent avec les fellahs, les travailleurs, la jeunesse, les intellects et les petites lambadas. En public, Le cigare de Fidèle Castro ne le quittait pas, de même que le burnous noir, un bien noble et sacré des grands des hauts plateaux. H.Boumediene voulait donnait une stature nouvelle de « l’algérien lambda » qu’il soit ouvrier au sens de l’industrialisation, fellah au sens de la révolution agraire, étudiant au sens universel, jeune au sens culturel et travailleur au sens de la création de la richesse. De nouveaux êtres pleins d’orgueil à partir du plein sens d’équité et de justesse dépassant la fraternité pour en fin de compte faire de l’Algérie un pays fier et orgueilleux à la fois par l’instauration d’une nouvelle culture algérienne et d’un nouveau algérien ombrageux c'est-à-dire qui s’inquiétait pour la moindre raison et à la moindre saison. Au lendemain de la conférence des non alignés, H. Boumediene professera du haut de la tribune internationale d’Alger, très haut et bien fort qu’un pays ne peut jouer un rôle international que s’il est vraiment : *stable. * totalement indépendant au sens large du terme. * s’il amorce le décollage économique. Ces trois principes clés que l’Algérie de son temps faisait des efforts louables, pour les atteindre, permettaient de représenter le pays en tant que« phare du tiers monde ».
L’Algérie était devenue un pôle d’attraction parce qu’elle s’est attelée à la bataille du développement par plan interposé. Tout cela s’identifiait au sentiment national et que le bonheur et le progrès de notre peuple se construisaient autour de notre digne personnalité distincte, tout en admettant que la liberté, la nation, la justice , la dignité et l’équité qui représentent la dimension universelle, mais au fait le produit n’est que l’origine de la culture progressiste ou le peuple ne devrait consommer que ce qu’il a produit, en nourriture, en santé, en transport, en habit, en amusement et en éducation. La culture au sens prôné par H. Boumediene c’est ce qui permettait à l’homme d’ordonner sa vie pour donner ce qu’il a de bien, de beau, d’utile et de nécessaire.
La culture est la représentation d’une économie , d’un style de vie, de rapports sociaux bien déterminés à un moment de la vie des hommes libres qui lui impliquent une orientation, un style, une sensibilité conforme aux conditions d’existence rencontrées comme aux règles sociales bien raffinées. H.Boumediene pensait dans l’avenir ,à concevoir un nouveau contexte pour mettre en évidence toutes nos caractéristiques et nos particularismes afin d’affirmer les composantes de notre personnalité algérienne et de notre authenticité. « L’Algérie est à nous tous. Il est intolérable qu’une fraction de la population vive dans l’opulence et que l’autre vive dans le dénuement. Toutes les religions rejettent pareille chose. Notre religion n’y manque pas. Le prophète Mohamed était pauvre, il vivait de son travail, bien qu’investi de sa mission céleste » Meeting à Boufarik le 02/10/66 Le mot développement et culture revenaient souvent et en permanence dans sa bouche et dans ses discours. H. Boumediene en tant que chef d’état est entré dans la révolution depuis son très jeune Age. Il avait fait de la révolution algérienne sa deuxième religion tout en laissant de coté sa vie personnelle qui devrait lui permettre de s’occuper de son être et de sa famille sinon de vivre le quotidien d’un simple lambda .Il dira, par ailleurs :« quand on est très haut et on regarde devant soi, on ne voit pas le ciel, on ne voit que le ravin ».
H. Boumediene savait pertinemment que très peu de chefs d’état du tiers monde meurent dans leur lit de vieillesse sauf que lorsqu’il s’agit de président ! Pour H. Boumediene une course à la montre était engagée, il dira à cet effet : « lorsque je ne travaille pas je m’ennuie à mourir » ; l’institution de la présidence se confondait avec H. Boumediene car il avait l’habitude des longues réunions de nuits, beaucoup de personnalités lui ont reproché la personnalisation du pouvoir, mais en réalité c’était le contraire ; H. Boumediene déléguait des pans entiers de son autorité à ses ministres, ils étaient des ministrables face à ceux d’aujourd’hui et quand à ses membres du conseil de la révolution ou il dira clairement haut et fort que : « la réussite de la révolution est le fruit du conseil de la révolution par contre l’échec je l’assumerai personnellement ».
H. Boumediene ne saisi le problème que lorsqu’ il s’agit d’un secteur névralgique (pétrole-parti-Révolution agraire –diplomatie..) ensuite il l’abandonne quand la crise s’atténue face à sa résolution. « Le non Alignement trouve sa raison d’être dans la défense des causes justes contre toute forme d’hégémonie politique et de domination économique. Son action vise avant tout l’émancipation des peuples, dans le cadre d’une coopération internationale basée sur l’égalité des états, le respect des souverainetés et l’instauration d’une paix juste dans le monda »Révolution Africaine N° 498 du 7 au 13/09/73 Exemple en 1976, l’éclatement de l’affaire du Sahara occidentale, H. Boumediene s’est senti menacé de l’extérieur, il ne prenait aucune décision sans avoir délibérer avec la direction politique et même avec certains doctes. En 1974, H.Boumediene avait beaucoup appris les cours de politisation interne et externe (conférence internationale-échanges…) ; le fait de bien écouter et comprendre, des opinions différentes des siennes, lui ont permis de se faire une idée de ce qui se passe chez soi.Il dira en ce sens que les expériences acquises lui ont permis de découvrir que les européens qui se prétendent comme des paternalistes suivis avec d’attitudes hautaines, se trompent en croyant que les chefs d’état et non des présidents du tiers-monde se retrouvent entre eux pour uniquement s’amuser. L’exemple de la conférence des non alignés que les occidentaux n’avaient pas pris au sérieux, mais suite à la crise du pétrole,lorsqu’ils ont eu un peu froid, ils ont commencé à écouter ce petit tiers –monde. H. Boumediene dira par la suite que les relations internationales ne sont pas imprégnées d’une certaine morale universelle mais bel et bien d’un rapport de force ou la loi du plus fort est mise en pratique et les deux poids deux mesures deviennent le Dada des Etats Unis.
Les occidentaux commençaient timidement à effectuer des pèlerinages vers la nouvelle « Mecque des révolutionnaires » qu’est Alger qui était aussi la « capitale révolutionnaire arabe». En 1973, lors du sommet des non alignés H. Boumediene s’en était aperçu que la ligne de démarcation passait entre les pays riches et les pays pauvres, les analphabètes et les doctes entre ceux qui aillent à dos de l’âne et ceux qui empruntent des avions supersoniques. Cette constations a été accomplie et confortée par la rencontre spéciale (USA-URSS) en juillet 1975, ils avaient la même technologie ; H. Boumediene reconnaissait ouvertement que le socialisme de l’URSS et son camp de l’EST avaient vivement contribué à affaiblir l’impérialisme US et avait permis par cette occasion la libération des peuples du tiers-monde.L’amitié dans ce monde n’est pas gratuite disait-il et l’Algérie devrait avoir des rapports égalitaires avec les deux camps. H. Boumediene se plaint qu’il soit très difficile de travailler avec les pays de l’EST, il dit que tout est secret politique, économique; on ne peut se procurer un prospectus et on ne sait pas ce que l’on achète, d’autre part, il accuse ouvertement les multinationales de corrompent nos cadres .H. Boumediene. Disait, « je ne puis ordonner d’acheter socialiste si les produits de l’EST sont de moins bonnes qualités ».
H Boumediene diversifiait ses échanges entre les USA –Europe- le Japon – la Chine et l’URSS sachant pertinemment que les petits pays ne sont rien dans le jeu des grandes puissances, il ne s’agit pas aussi de confondre le péché soviétique et les crimes US envers le tiers -monde. Quant un pays du tiers- monde bouge, on le liquide par tous moyens et il est mis en galère via les médias en exhibant quelques scandales de la CIA -maison blanche -pentagone c’est la même chose comme aujourd’hui, c’est les medias « mainstream » qui propagent la désinformation, les « fakes news », les mensonges, la désintoxication par le TIC*2. « Nous pays membres de l’OPEP, nous devons en tout état de cause, agir positivement de sorte qu’aux yeux de l’histoire, il soit bien établi que nous aurons tous mis en œuvre pour réunir toutes les chances de réalisation de ces promesses »Al Moudjahed le 5/3/75 En 1974, H. Kissinger trouve la petite Algérie, qui s’agite beaucoup, et la course à la montre s’engageait entre le plus puissant pays capitaliste du monde et le leader le plus clairvoyant du tiers- monde. Le plan Kissinger prévoyait d’isoler d’abord l’OPEP du tiers- monde via une augmentation du prix du pétrole afin de torpiller le développement des pays non producteurs de pétrole du tiers- monde.
H.Boumediene est le 1er chef d’état de l’OPEP, il déclama lors du sommet islamique de Lahore (Pakistan) : « nous entendons s’élever des voix pour dire aux pays du tiers- monde que la hausse du prix du pétrole est dirigée contre eux.Depuis quand l’exploiteur est-il devenu l’avocat de l’exploité ? Que les pays industriels ôtent leurs mains de nos richesses. Nous importons des produits industriels et la technologie à des prix excessifs. La bataille du pétrole est une partie de la bataille d’ensemble qui concerne toutes les matières premières, une bataille qui a posé le problème des rapports entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement ». Poursuivant dans sa lancée, pour défendre le bien-fondé du tiers- monde ; il envoie un message au S/G Kurt Waldheim de l’ONU en sa qualité de président des pays non- alignés pour réclamer une session spéciale des nations unies portant sur une réunion de toutes les questions se rapportant à l’ensemble des matières premières il dira que :« les algériens en tant que tels ne veulent nullement que l’OPEP porte le chapeau pour tous les malheurs de l’économie mondiale » H. Kissinger voulait dans ce cadre-là, capsuler la fente et un H.Boumediene sûr de lui voulait élargir le plus possible pour que toutes les matières premières(cuivre –cacao-fer –caoutchouc- café…..) soient à l’image de l’OPEP. Le climat de la situation politique internationale se compliquait pour le développement et pour la paix également, car certains généraux américains pensaient déjà à remettre sur leurs têtes« Kriegspiel »( jeu de la guerre).
L’habilité de H. Boumediene tente d’un autre côté de séduire l’Europe, grande consommatrice de matières premières dans le but de l’écarter du chemin du gros rouleau compresseur. Déjà les USA , lors de la conférence de Washington ou étaient réunis les plus gros consommateurs du pétrole pour fonder l’OTAN du pétrole. Car la vision principale des USA n’était pas la question des prix, mais le pouvoir de contrôler les sources d’énergie et par conséquent assurer son pouvoir politique à l’échelle de la planète. La session spéciale des Non-alignés, s’ouvre le 10 avril 1974, une session qui faisait croire à beaucoup de monde comme une forme ou discours et parlotes stériles vont garnir la tribune Onusienne.
Le discours de Boumediene entièrement en arabe, vient de frapper fort les esprits avec une nouvelle conception , sur les relations entre pays pauvres et pays riches, nationalisation des ressources naturelles, valorisation sur place des matières premières et revalorisation des cours, de là le développement des pays jeunes doit s’inscrire dans une dialectique de lutte sur le plan international et compter d’abord sur soi, sur ses propres moyens sur le plan interne.
C’était le nouvel ordre économique international prôné par le grand chef de l’Etat : Monsieur Houari Boumediene. Pour H.Boumediene, cela voulait dire que les nantis doivent revoir leurs copies en matière monétaire, financière, technologique et alimentaire car le gaspillage des nantis est une forme d’insulte à la misère des pauvres la course à l’armement à la destruction du surplus agricole face à un monde en proie à la famine. Toutes les manipulations que ce soit monétaires ou financières ou autres ne font qu’appauvrir les pays pauvres et enrichir les pays riches. Le nouvel ordre économique permet au tiers- monde à ce qu’il s’organise et se généralise en forme d’association à l’image de l’OPEP sinon viendrait une mondialisation ou les oligarchies sèmeront leur propres dictatures par une expropriation gratuite de toutes les ressources naturelles. Boumediene s’avait pertinemment que cette conférence ne va pas être suivie d’effet dans l’immédiat. Mais, en recevant à Alger, des personnalités de tout horizon, suite à l’écho de la conférence des non alignés, tout le monde lui fait avancer que ce nouveau ordre économique mondial va provoquer un tel chambardement qu’il est impossible de le construire. H Boumediene dira que ce système est certes, dur à changer, l’essentiel est de reconnaître d’abord et avant tout qu’il est injuste !
Boumediene voulait semer d’abord, pour faire fructifier et avancer les idées de justesses et non d’arracher dans l’immédiat des résolutions triomphantes qui n’ont point d’effet sur le terrain. L’idée du nouvel ordre économique plus juste, va être présente dans toutes les officines et conférences internationales H.
Boumediene avait pris une position en flèche dans ce nouvel affrontement « Nord-Sud »très différentes de la rivalité « Est-Ouest »
ou la guerre froide faisait rage; une forme de diversion politique basée sur la« realpolitik » c’est à partir de là que l’Algérie est devenue la capitale « révolutionnaire » du monde arabe et des pays progressistes et donc devenue la cible N°1 de l’impérialisme US H. Kissinger s’est arrêté à Alger en décembre 19 73, pour tester le poids de l’Algérie sur le conflit du moyen orient et voir, si vraiment Alger était dans le camp des modérés ou celle des irréductibles comme Baghdâd, Syrie, tripoli. H. Boumediene devait lui répondre ainsi :« je ne peux vous répondre de ce que j’avais déjà dit aux leaders de la résistance palestinienne , l’Algérie ne pratique pas la surenchère, exiger plus d’eux, c’est de la démagogie, c’est de la trahison ».
Boumediene savait que les USA cherchaient à faire taire par tous les moyens cette Algérie qui tonne fort à l’OPEP et aussi dans le concert du tiers-monde . H. Boumediene était le seul chef d’état du tiers –monde à pouvoir dire aux grands de ce monde que le roi est nu. H. Boumediene sait très bien que dans ce monde les faibles s’effondrent et sont massacrés comme des bête, et effacés de l’histoire, par contre les forts survivent pour leurs biens et pour le mal des autres. Dans ce monde les forts se font respecter forcement et se concertent sur le dos des faibles, par conséquent, la paix se fait par les forts.
Par ailleurs, suite à la disparition de Nasser; Sadat « dé-Nassériste » par sa politique d’« infitah » (libéralisation sauvage et à outrance de l’économie égyptienne ou les prédateurs s’accaparent de tous) . Devant ce fait accompli, l’Algérie se retrouve seule, H. Kissinger avait convaincu Sadat de monnayer pas à pas et en douceur les succès de la guerre d’octobre 73, tandis que H. Boumediene ressent que la « pax americana » est en marche sur le monde arabe. Il découvre les complicités et manigances des petits présidents larbins arabes. La bataille et non la guerre de 73 était un événement, un plus pour H. Boumediene, il dira à cet effet « les arabes ont vaincu leur peur et les palestiniens se sont débarrassés de leur tutelle arabe »
Le sommet d’Alger de novembre 73, il propulsa en avant Yasser Arafat sur la scène internationale malgré les réticences Égyptiennes et Jordanienne. L’OLP est reconnue à Alger par la majorité des pays arabe comme étant l’unique représentant légitime du peuple palestinien. Suite à cet événement majeur H Boumediene voulait encore faire avancer la préparation d’une stratégie arabe commune qui devrait s’élaborer au niveau même de ce sommet, cette stratégie devrait reposer : *Comment combiner contre Israël toutes les armes arabes à savoir le pétrole –les finances -le poids diplomatique -les alliances - les groupements- H. Boumediene dessine à cet effet une politique arabe à long terme qui ne séduit pas le larbin Sadat, ni même son banquier le roi Fayçald’Arabie saoudite encore moins le roitelet de Jordanie.
Boumediene suite à ces événements riches en activité, le dialogue avec les grands commence à se faire d’égal à égal, alors que certains parmi les cadres algériens se posaient déjà la question si H. Boumediene ne va pas sacrifier au gout du prestige comme au temps du « Benbelisme » pour se prendre pour un Mao et l’accident de l’avion avec ses 40 morts avait permis de rehausser les discussions sur l’absence des institutions du pays. Que serait-il arrivé à l’Algérie si l’avion écrasé était présidentiel et c’est à partir de là que la construction de l’état prenait forme par l’instauration des premières intuitions de l’état, en commençant par le bas de l’échelle commune -wilaya -APN . A partir de là, l’édification d’un état fort commençait à prendre forme, elle était à la fois l’objectif et la raison du redressement du 19 juin65 que le temps n’a pas permis à ce rêveur de finir sa bataille car les loups internes et externes étaient par derrière et n’attendaient que sa fin pour mettre en œuvre la stratégie du chaos.
Pour conclure d’une manière générale, tout ce qui se rapporte au pays à son peuple, sa vision profonde dans son ensemble était comment appliquer le concept des dispositions du premier novembre 1954, à savoir un premier novembre social, un premier novembre économique, un premier novembre financier, un premier novembre politique, un premier novembre culturel, un premier novembre humain, un premier novembre révolutionnaire, un premier novembre technologique ou la justice , la dignité et le bien être jouent les premiers rôles…. Il est clair que l’Algérie est passée d’un pays non aligné respecté à un pays aligné soumis, autrement plus imagé d’un homme libre à un homme soumis. L’Algérie s’est alignée sur les pays occidentaux reniant ses propres principes de novembre, cela se justifie par le changement du système économique socialiste à un système libéral d’économie de marché ou les règles du jeu du marché économique, culturel et politique ont été préparés, établies et imposés par cet occident arrogant et impérialiste. L’Algérie a été propulsé au premier rang en tant que leadership, sur la scène internationale par le mouvement des non-alignés en 1975 ; l’Algérie avait créé le G77 *4(groupe des 77) qui avait pour mission de réduire les inégalités économiques entre le nord et le sud. Le droit au développement économique et de la nécessité de reformer le système économique international par l’établissement d’un nouvel ordre économique international basé sur des échanges justes et équitables entre le nord et le sud. Tout cela est tombé à l’eau suite à la disparition du feu H.Boumediene.
1*Paul Balta et Claudine Rulleau « La Stratégie de Boumediene » Paris Sindbad 1978.
2*Anias francos et J.P Sérénie 3*P.Balta « Boumediene me disait que j’avais du sang arabe » 4* G77 Organisé en 1967 à Alger où il a publié la fameuse « charte des droits économiques du 1/3 monde : base de tout débat ultérieur « Nord –Sud » *Que reste –t-il de Boumediene –Jeune Afrique du 18-12-2008- *www.jeune afrique.com 187687 politique que reste-t-il de boum-di-ne *citations du Président Boumediene L’héritage ; Que reste-t-il ? Discours du Président Boumediene 19 Juin-1965-19 Juin 1970 Tome II Edit2 par le Ministère de l’information et de la culture
Il est de ces voyages déterminants qui méritent d’être racontés tant ils permettent de développer et d’approfondir notre conscience de l’autre, dans ce Tout-Monde, siège de notre irréductible Altérité.
Voici donc résumées, mes observations sur le Viêt Nam, pays dont l’Histoire récente est marquée par une Révolution, la naissance d’un État communiste et deux guerres terribles. Le pays de l’Homme aux sandales de caoutchouc, référence à Hô Chi Minh et titre d’une brillante pièce de Kateb Yacine, s’est complètement transformé depuis son accession à l’indépendance, défiant au passage l’idée du “postcolonial qui étouffe”.
Ma génération l’a appris à l’école publique algérienne : sans la guerre du Viêt Nam, il n’y aurait pas eu de déclenchement de la Révolution, le 1er novembre. Plus précisément, c’est la défaite de l’État colonial français à Diên Biên Phu, en 1954, qui permit aux colonisé.e.s du monde entier de croire qu’ils et elles pouvaient se rêver libres.
Alors, la question de savoir ce que les Vietnamien.ne.s avaient fait d’eux devint obsédante. Il fallait en avoir le cœur net. Voir, écouter, sentir et lire pour tenter de comprendre, dans la limite de ce que permet un voyage d’un peu plus de deux semaines. Se comparer aussi ? Forcément.
L’Histoire, une “affaire” politique
Dans les musées vietnamiens, la clarté avec laquelle se raconte le récit national m’a beaucoup impressionnée. Ici, contrairement à l’Algérie ou à d’autres pays d’Afrique du Nord, les œuvres sont expliquées de manière précise, grâce entre autres, à des étiquettes disponibles en trois langues (vietnamien, anglais et français). Le parcours est organisé chronologiquement. Une surprise nous attend à chaque salle. Qu’il s’agisse d’une photo émouvante, d’une sculpture étonnante et mystérieuse ou d’un objet inattendu comme cette bicyclette d’un anonyme révolutionnaire, l’attention demeure éveillée à chaque instant.
Parmi les visites les plus intéressantes, celle du Musée national d’Histoire vietnamienne, qui rassemble à Hanoï depuis 2011, le musée d’Histoire du Viêt Nam et celui de la Révolution vietnamienne. Une coïncidence ? Certainement pas.
Ce musée donne un large aperçu de l’évolution du pays depuis la période préhistorique jusqu’à celle du Renouveau d’aujourd’hui en passant par les dynasties féodales et les révolutions et guerres pour l’indépendance et la réunification nationale. Les femmes y sont très présentes. Beaucoup d’anonymes aussi, ainsi que des responsables politiques. Tous ceux et celles mort.e.s pour la bonne cause.
A la fin de la visite, je me suis sentie comme apaisée. Apaisée parce que le récit est cohérent et donne le sentiment de dire le passé avec une certaine justesse, en rappelant notamment qu’aucune Révolution ne part de rien ou ne peut se faire seule.
Statue au Musée national d’Histoire vietnamienne. Décembre 2018.
Dans ce numéro du Dessous des cartesconsacré au Viêt Nam, il est rappelé quelques dates clés de l’Histoire du pays qui, avant la colonisation française et l’intervention américaine, a dû résister longtemps aux incursions chinoises.
En s’établissant en 1858, la colonisation française divise le territoire en trois entités administratives : au Sud, la Cochinchine, considérée comme une colonie d’exploitation et placée sous la tutelle directe des lois et de l’administration françaises ; au Centre, l’Annam, protectorat placé sous un régime d’administration indirecte ; et au Nord, le Tonkin, sorte de “semi-protectorat”, qui évoluait vers un régime d’administration directe.
Pour l’Histoire récente, il est important de retenir la date du 2 septembre 1945 quand à la faveur de la défaite japonaise face aux Alliés de la Seconde guerre mondiale, annoncée le même jour, Hô Chi Minh, figure majeure du communisme international et de la lutte anticoloniale proclame l’indépendance du pays. La première guerre d’Indochine contre l’occupant français éclate peu après. En 1954, la France accepte de se retirer du pays à la suite de la défaite de Ðiện Biên Phủ et des Accords de Genève. Ceux-ci prévoient la division en deux du pays, menant à une nouvelle guerre pour la réunification à partir de 1955.
Le Nord communiste se battra alors contre le Sud, qui bénéficiera de l’aide américaine. Les États-Unis rejoindront officiellement la guerre en 1965 pour y commettre des horreurs, dont l’utilisation massive du Napalm contre les populations civiles.
La mise en place en 1967 du Tribunal international des crimes de guerres ou Tribunal Russell-Sartre, du nom de ses fondateurs, les philosophes Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre, aura pour objet de dénoncer ces crimes.
Le pays est réunifié en 1975, plusieurs années après la mort de l’oncle Hô, en 1969.
La visite de la prison d’Hỏa Lò est un autre temps fort de notre passage à Hanoï. La France s’est est servie jusqu’en 1954 pour y mater les rebelles. La ¨balade¨ est intéressante car elle fait revivre la réalité de l’époque. On y traverse plusieurs salles où sont représenté.e.s par des mannequins, les prisonnier.e.s politiques.
Au cachot où se trouvaient les condamné.e.s à mort, la visite des cellules se fait avec pour bruit de fond, des cris d’êtres humains torturés. Une guillotine est placée au beau milieu de la pièce consacrée aux crimes des “colonialistes”. Enfin, une salle est dédiée aux pilotes américains capturés et enfermés dans cette prison. On y insiste sur le traitement irréprochable des ennemis.
Comme toute narration un peu trop linéaire et donc dogmatique, un malaise finit par s’en faire ressentir. L’Histoire reste une affaire hautement politique racontée par les vainqueurs. Dans ces lieux, nous ne verrons donc pas les abus commis par l’armée de libération nationale. C’est regrettable, même s’il est clair que le choix du récit national est biaisé partout.
Il me semble néanmoins qu’il y a des récits qui, plus que d’autres, aident à cultiver l’imagination, à comprendre le passé et à le critiquer pour peut-être le transformer. Le dépassement de l’Histoire est possible quand les mots sont mis sur les maux, c’est ce que les autorités vietnamiennes semblent avoir compris.
“Abandonner le récit national comme récit unique, désacraliser l’Histoire et sacraliser le présent”, comme le préconise l’écrivain Kamel Daoud ne se ferait donc pas par l’oubli et le déni, mais passerait plutôt par d’importants efforts de vulgarisation, visant à raconter les traumatismes pour espérer ensuite les dépasser.
C’est ce travail de recherche qui permet peut-être d’expliquer la fascination un peu rapide pour un pays, le Viêt Nam, qui donne l’impression d’avoir surmonté son passé. Fascination à laquelle l’écrivain Kamel Daoud semble d’ailleurs avoir succombé. En effet, dans une interview donnée à Jeune Afrique en septembre 2017, l’écrivain note après sa visite dans le nord et le centre du pays que malgré “deux guerres violentes, il n’y a pourtant pas de ministère de moudjahidine[anciens combattants]. Les vétérans dépendent du ministère du Travail. L’enseignement de l’Histoire occupe 5 % du manuel scolaire”.
La réalité est pourtant plus complexe et le travail de mémoire important et visible dans les musées tend à démontrer que le dynamisme du Viêt Nam aujourd’hui, notamment au niveau économique, est le produit de ce cheminement-là.
Une économie pas vraiment communiste
La scène est cocasse et se déroule dans l’effervescence de l’une des rues du quartier des 36 corporations dans la vieille ville d’Hanoï : un policier est à une intersection et tente de réguler le trafic dans la capitale où la population est estimée à plus de sept millions d’habitants. Le représentant de l’ordre veut faire montre de fermeté avec son bâton de petite taille. Il tente plusieurs gesticulations pour indiquer aux centaines de scooters et dizaines de voitures qui traversent à toute vitesse, la direction à prendre. Sauf que personne n’écoute. Les Vietnamien.ne.s avancent ici et ailleurs selon ce qui semble être un bon sens commun, le leur. Acculé, l’agent se met à discuter avec un conducteur, probablement un ami, à qui il serre la main. Il est pourtant encore en fonction, au milieu de la route. Il devient alors un empêcheur de tourner en rond.
Ce spectacle somme toute assez banal nous semble être un bon indicateur sur le rapport du peuple à l’État, dit communiste. Dans les grandes villes, l’activité commerciale est partout intense et semble peu régulée par les autorités du pays qui ont entamé il y a plusieurs années, un virage favorisant la privatisation des services et les investissements étrangers. La République Socialiste se situe à la 69ème place du Classement Doing Business de la Banque mondiale.
Le produit intérieur brut (PIB) du Viêt Nam est de 223,864 milliards de dollars (en 2017 pour une population totale de 95,5 millions d’habitants). Sa croissance en 2018 est estimée aux alentours de 6,7%, deuxième croissance mondiale. Le chômage oscille quant à lui autour des 2,2%. En 2018, le secteur agricole (dont la production de riz occupe une place très importante) a employé plus de la moitié de la population, contribuant à environ 15% du PIB et à 20% du chiffre d’affaires à l’exportation.
Le pays classé parmi les plus démunis de la planète en 1990 est parvenu à ramener le taux de pauvreté en dessous des 10 %. La Banque mondiale situe son niveau de revenu comme intermédiaire, dans la tranche inférieure.
Au niveau régional, le pays a rejoint l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1995, originellement créée dans le contexte de la guerre froide pour faire barrage aux mouvements communistes.
Il faut souligner néanmoins qu’avant ce virage à 180 degrés, la collectivisation des terres agricoles et autres mesures ont beaucoup servi le développement du pays. Le très officiel livre sur la vie et la cause de Hô Chi Minh, publié aux éditions Thế Giới, détaille les plans successifs élaborés à partir de 1955 pour la transformation socialiste et le développement ¨économico-culturel¨ du pays. L’alliance nécessaire des paysans et des ouvriers est mentionnée tout le long de l’ouvrage. Le premier objectif de ces politiques était d’éradiquer la famine pour ensuite augmenter la production agricole tout en lançant l’industrialisation du pays, dans l’objectif d’améliorer les conditions de vie de chacun.e. Les aides financières étrangères de la Russie mais surtout de la Chine, n’y sont pas mentionnées.
Conjugués au présent, les efforts consentis sont encore visibles. A Hanoï, si tout se vend et s’achète, cela reste principalement dans la limite de la production nationale. Peu d’enseignes étrangères donc. Les prix sont plutôt bas pour les produits alimentaires (excellents par ailleurs) mais augmentent dès qu’il s’agit de biens-souvenirs, très nombreux. Ici, on ne se dévalorise pas.
A Hô-Chi-Minh-Ville, dans le Sud, c’est une toute autre ambiance. La capitale économique du pays est plus moderne et à plusieurs endroits, encore en travaux. Les Starbucks et autres multinationales sont présents en nombre. Ici comme à Cần Thơ, autre ville du Sud, il faut être sur-ses-gardes pour éviter les petites et grandes arnaques. Au marché de Ben Thanh, une vendeuse nous renvoie d’un “go-out¨” sans appel pour n’avoir pas acheté sur le moment car comme on me l’expliquera plus tard, il ne se fait pas de négocier un prix pour le lendemain. Il y a injonction à faire des affaires dans des temps que l’on voudrait toujours plus courts. La violence de la vie quotidienne y est plus visible quand on aperçoit au long des artères principales, des hommes, femmes et enfants dormant à même le sol, dans la rue.
Le Viêt Nam est l’un des plus beaux pays que j’ai eu à visiter. Que l’on vogue sur la baie d’Halong ou sur le delta du Mékong, au milieu des rizières, des lacs aux berges envahies de lotus ou que l’on se retrouve au milieu de la nature où l’arboriculture fruitière est souvent très développé, l’émerveillement est toujours au rendez-vous. Ici quand l’adulte observe, c’est l’enfant qui se délecte face à tant de nouveaux champs d’investigation.
L’eau partout me fait regretter nos richesses invisibles, exploitées chez nous comme une malédiction pour le compte d’autres bien plus riches.
Les roches de la baie d’Halong au nord du pays ont émergé il y a plusieurs millions d’années. Elles sont immenses, érigées telles des gardiennes de ce golfe du Tonkin, convoité et exploité par l’empire chinois voisin puis par le France et les États-Unis. Les grottes, cavités et tunnels qui les transpercent seraient habités depuis la préhistoire.
S’étendant sur des centaines de mètres, la grotte que notre guide nous fait visiter voit les touristes s’y amasser et se suivre de manière disciplinée, à travers un parcours prédéfini me donnant à réfléchir à l’allégorie de la Caverne de Platon, ici à dimension humaine. Dommage que la balade y soit réglée au rythme d’un métronome invisible mais ô combien contraignant.
Le malaise induit par l’industrie du tourisme de masse s’en fera ressentir ailleurs aussi et notamment sur le delta du Mékong. D’abord face au nombre important de bateaux de toutes sortes qui, comme dans la baie, pullulent sur le fleuve, puis quand forcées de nous arrêter à plusieurs reprises, nous avons dû pour pouvoir repartir, nettoyer l’hélice de notre bateau des sachets en plastique et autres déchets, immédiatement rejetés par-dessus bord par notre conductrice. Tout au long de cette balade qui se déroule aux environs de la ville de Cần Thơ, au Sud, nous verrons flotter de nombreux objets en plastique. voir les conditions de vie misérables du lumpenprolétariat habitant dans les bidonvilles aux abords immédiats du fleuve, il apparait que cette pollution de l’eau, dont les habitant.e.s se servent pour régler tous les aspects de la vie est une source de souffrance quotidienne.
Lever du soleil sur le delta du Mékong; Décembre 2018
Sur l’île de Phú Quốc, récupérée par le Viêt Nam après que celle-ci ait été envahie par les Khmers Rouges de Pol Pot en 1975, les établissements hôteliers poussent comme des champignons. Le personnel de ces hôtels pour touristes parle encore peu anglais. L’île est en pleine mutation et si des lieux demeurent encore vierge de toute présence hôtelière, le béton partout, les constructions inégales et la consommation encouragée à chaque coin de rue me rappelle les craintes d’Ibrahim Omar Fanon qui s’inquiétait dans Les Damnés de la terre que les élites nationalistes deviennent “les organisateurs de fêtes” pour les occidentaux au beau milieu de la pauvreté de leurs populations.
A en croire les chiffres publiés par l’Office statistique général du Viêt Nam, le tourisme représenterait 4,5 % du PIB (6 milliards de dollars américains) et 1.831.300 emplois directs (3,8 % du total). Les pays de provenance des touristes sont la Chine, les États-Unis, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud.
Cette industrie en pleine expansion ne semble malheureusement pas prendre en compte la préservation de l’environnement et l’amélioration des conditions de vie de ceux et celles qui vivent de ce secteur. En effet, la redistribution semble très inégalitaire entre, par exemple, les agences de voyage qui font payer très cher leurs services et leurs sous-traitants, rémunérés à des prix dérisoires.
Un voyage bouleversant
Le Viêt Nam est aujourd’hui un pays dynamique et ouvert à l’autre. Je regrette de n’avoir pas pu visiter le centre du pays car cela m’aurait permis de me forger un avis plus complet.
Je repars néanmoins avec le sentiment d’avoir beaucoup appris sur l’autre. C’est alors que la comparaison de nos deux sociétés algérienne et vietnamienne aux destins si similaires, devient inévitable.
Avant de parler de nos différences, notons d’abord une similarité évidente entre les deux pays, à savoir leurs régimes politiques autoritaires avec les abus que cela suppose. En avril 2018, Amnesty International a rendu publique une liste de 97 prisonnier:e:s de conscience vietnamien.ne.s comprenant des avocat.e.s, des personnes tenant un blog, des défenseur.e.s des droits humains, des militant.e.s écologistes et des militant.e.s en faveur de la démocratie, détenus pour avoir recouru à des moyens d’action pacifiques. En Algérie, le droit à la liberté d’expression est constamment réprimé depuis l’indépendance.
Pour le reste, c’est avec les habitants du Sud du pays que je me suis sentie la plus proche. C’est là que les ressemblances avec nos blessures étaient les plus prégnantes. Notre aliénation dans notre rapport avec l’étranger aussi. Rappelons que cette partie du territoire est la seule à avoir subi un régime d’administration colonial. Notons au passage que cette zone n’était pas àl’agenda de la tournée de Kamel Daoud, qui dans son analyse partielle et partiale de sa visite au Viêt Nam considérera qu’un tour à Hanoï (Nord du pays) et Huê (Centre), prouvait la ¨possibilité de guérison, celle d’une vie après la colonisation.”
C’est pourtant au Sud que tout se joue, que les comparaisons deviennent intéressantes.
C’est là qu’on se rend compte que l’État vietnamien a su prendre l’Histoire par le bon bout. Qu’il a réussi là où l’État algérien a échoué en bâtissant une identité réconciliée avec elle-même, loin de la haine de soi, où l’Histoire a toute sa place et permet le dépassement du trauma colonial et l’ouverture vers l’Autre. Aidé par un rapport apaisé à la croyance religieuse, le pays a pris son envol, économique surtout, et trouve ainsi sa place dans le grand espace mondialisé. Inutile de dire qu’en Algérie, nous en sommes encore très loin...
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