S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
BATNA- La bataille de "T’baboucht", dans la commune de Kimel, (sud-est du chef-lieu de wilaya de Batna), constitue l’un des haut faits d’arme de l’Armée de libération nationale (ALN), qui a galvanisé le moral des moudjahidine et de la population, dans les Aurès, trois semaines seulement après le déclenchement de la glorieuse Révolution, le 1er novembre 1954.
Les moudjahidine qui ont été interrogés par l’APS pour apporter leur témoignage sur cette bataille, s’accordent à dire qu’elle eut lieu entre le 27 novembre et le 7 décembre 1954.
"T’baboucht", dans la forêt de Kimel, fut une véritable hécatombe pour la soldatesque coloniale dont les morts se comptaient par centaines, c’est pourquoi beaucoup de témoins ayant vécu les péripéties de cette bataille ont parlé de "victoire miraculeuse" des moudjahidine.
L’un des rares témoins encore de ce monde, le moudjahid Chérif Boudjenifa, rapporte que les soldats français ont été attirés sur un terrain fortement accidenté qui était devenu une chausse-trape mortelle pour l’ennemi.
"Les moudjahidine n’avaient pas planifié la conduite des combats qui nous ont été imposés, en dépit de notre nombre réduit et notre armement sommaire", se rappelle-t-il, ajoutant que "la densité de la forêt de Kimel, son relief tourmenté et la méconnaissance du terrain par les soldats français ont été des alliés providentiels pour les moudjahidine, car deux unités ennemies se sont télescopées et ont fait des dégâts considérables dans leurs propres rangs".
Des moudjahidine partis, après avoir livré leurs témoignages
Les témoins de la bataille de "T’baboucht" ont été nombreux à enregistrer de leur vivant le récit de cet engagement qui a causé des centaines de morts dans les rangs de l’armée française, et la mort de sept moudjahidine.
Les témoignages recueillis par l’APS étaient notamment, ceux de Mohamed Sbaïhi, Mohamed Djarmoune, Djoudi Kayour, Benamor Bayouche et Lakhdar Oucif.
Ces interlocuteurs, dont certains ne sont plus de ce monde, avaient rapporté que les crêtes de "T’baboucht" avaient constitué le point de ralliement de trois groupes de moudjahidine, un groupe venu de Khenchela rattaché au commandement d’Abbas Laghrour, un deuxième groupe venu d’Oued Abdi et un troisième de Kimel, rassemblé pour une réunion de réorganisation de l’ALN.
Lakhdar Oucif avait déclaré que la présence de l’armée française dans la région, avait été d’abord signalée par le moudjahid Salem Boubakeur qui était infirmier dans la zone d’Abbas Laghrour et qui avait échappé de peu à l’armée française, dans la forêt de Kimel.
Les groupes de l’ALN ont alors vite fait de se retirer dans les abris naturels que constituaient les rochers escarpés de S’fah Ellouz. Ils savaient que l’engagement allait être inévitable. Le lendemain matin, 34 moudjahidine ont été encerclés, pendant que le reste avait réussi à se mettre hors de portée des tirs de l’ennemi, avait rapporté le même témoin.
Les moudjahidine encerclés ont, dans un premier temps, réussi à se dégager de l’encerclement pour se positionner en contrebas de l’oued, en continuant à échanger des coups de feu nourris. Les soldats français ne se rendirent pas compte que les tirs qui venaient de l’autre rive de l’oued n’étaient pas ceux des moudjahidine, mais d’une autre unité relevant de leur camp.
C’est ainsi que les deux groupes ennemis se sont entretués dans la confusion, avait confirmé feu moudjahid Amor Boussedjeda, qui a dit se souvenir que l’évacuation des morts a été effectuée par des navettes de camions pendant quatre jours.
En guise de représailles, l’armée française s'acharna sur la population, tirant à vue sur tout ce qui bougeait, n’épargnant ni homme, ni bête.
Les combats de "T’baboucht" avaient duré 24 heures dans la forêt dense de Kimel et les groupes de moudjahidine étaient commandés par le chahid Bachir Ouartane dit Sidi Hani, secondé par Messaoud Benzahaf, ont rapporté les témoins.
Le secrétaire de wilaya de l’organisation nationale des moudjahidine, El Abed Rahmouni, a rappelé que la bataille de "T’baboucht" a été précédée les 16 et 17 novembre 1954, par des exactions commises par l’armée française dans le hameau de S’ra Lahmam, non loin de Kimel, un village entièrement rasé par les avions qui ont fait 75 victimes parmi les civiles, des femmes, des enfants et des vieillards.
M.Rahmouni a insisté sur l’importance d’édifier une stèle commémorative sur ces lieux de mémoire à Kimel, pour laisser aux jeunes générations et à la postérité, le souvenir vivant des sacrifices consentis pour l’indépendance nationale, ainsi que les exactions et les souffrances imposées au peuple algérien par le colonialisme.
AIN TEMOUCHENT- Les manifestations du 9 décembre 1960 à Aïn Temouchent sont considérées comme un événement central dans l'histoire de la glorieuse guerre de libération nationale et ont constitué la première étincelle ayant déclenché un soulèvement massif qui a déferlé sur tout le pays et confirmé au général de Gaulle que le projet de l'Algérie-française était réellement enterré.ù
L'historien Mohamed Lamine Belghit a indiqué à l’APS que les manifestations qui ont eu lieu dans la ville d'Aïn Temouchent, le 9 décembre 1960, ont établi la conviction du général Charles de Gaulle que "le rêve de l'Algérie française était définitivement enterré".
Il a rappelé que de Gaulle, lors de sa visite à Aïn Temouchent, en provenance de Tlemcen, "portait avec lui le projet de +l’Algérie Algérienne+, dans lequel il voyait une solution qui satisferait toutes les parties, mais le soulèvement populaire massif qu'il a trouvé à Aïn Temouchent a dissipé tous ses rêves et a constitué un acte de décès pour sa philosophie de préserver l'Algérie en tant que colonie française".
La place en face du siège de la mairie où se trouvait le général était occupée par des participants qui se répartissaient en trois groupes. Le premier faisait la promotion du projet "Algérie-Algérienne", mais avec un concept selon lequel l'Algérie est pour tous ceux nés en Algérie au cours de cinq générations, du 5 juillet 1830, date du début de la colonisation, jusqu'en décembre 1960, un projet qui représentait "la plus grande tromperie aux Algériens", selon la même source.
Le deuxième groupe comprenait des colons et des pieds-noirs qui appelaient à une "Algérie française", alors qu'ils faisaient face à des Algériens qui s’accrochaient à leur identité nationale et scandait des slogans comme "Algérie musulmane", "Vive l'Algérie" et "Vive Ferhat Abbas" qui était à la tête du GPRA, ce qui a alimenté l'affrontement entre les deux camps et des manifestations ont éclaté dans les rues de la ville, a ajouté le même interlocuteur.
Ce soulèvement ne se limita pas à la seule ville d'Aïn Temouchent. Il s'étendit dans les deux jours suivants (10 et 11 décembre 1960) à Oran, Alger, Constantine, Biskra et de nombreuses régions du pays dans des manifestations massives au cours desquelles le drapeau national a été brandi, tandis que les rêves coloniaux de de Gaulle étaient avortés, affirmant l'adhésion du peuple à l'indépendance complète, selon Dr Belghit.
L'indépendance était inéluctable
Pour sa part, la mémoire de moudjahid Hocine Moulay, un de ceux qui ont participé aux manifestations du 9 décembre 1960, retient encore des détails infimes de cet événement. "Ces manifestations au cours desquelles les Témouchentois sont sortis en affrontement direct avec le général de Gaulle et ses forces militaires qui sécurisaient sa visite, hissant le drapeau national devant lui, adhérant à la liberté et à l'indépendance, nous a fait sentir à l'époque que la Révolution renaissait et que l'indépendance était inévitable", se souvient-il.
Dans un entretien à l’APS, M. Moulay a indiqué que la visite de de Gaulle à Aïn Temouchent "avait été précédée, depuis fin 1958, par la tentative de l'administration coloniale de sympathiser localement avec les Algériens et de se rapprocher d'eux par des méthodes de tentation ignobles".
Pour ce faire, "l'administration coloniale a ouvert un bureau pour le mouvement de la jeunesse française au centre-ville. Nous avons remarqué que l'officier français Farouji a entrepris nombre de sorties pas innocentes aux quartiers populaires d'Aïn Temouchent par ses tentatives de redorer l'image de la France coloniale et d’offrir quelques tentations à la population", a indiqué M. Moulay.
"Ce stratagème a été découvert grâce à un document secret divulgué par le moudjahid Belhachemi Saïd, qui travaillait dans l'une des administrations françaises et adhérait à la Révolution jusqu'à ce qu’il soit découvert plus tard et emprisonné par l’armée coloniale", ajoute le même témoin.
Devant cette situation, les responsables de la Révolution décidèrent localement d'intensifier le travail de sensibilisation, de consolider davantage les rangs et de mobiliser la population contre cette nouvelle politique que la France tentait d'adopter. C’est cette mission que devaient accomplir le moudjahid Moulay et ses compagnons, comme le défunt moudjahid Miloud Bendahma, au sein de l'activité de la cellule secrète que dirigeait le martyr Salah Chouiref.
Pendant les quatre premiers jours de décembre 1960, le moudjahid Moulay Hocine - qui avait alors environ 20 ans - a été instruit de confectionner dans le plus grand secret un certain nombre d’emblèmes nationaux. Il ne s’était confié qu’à sa sœur cadette, Saâdia, à qui il a proposé de confectionner ces drapeaux, étant couturière et digne de confiance. Celle-ci a donc acquis des coupons de tissu dans différents magasins pour ne pas éveiller les soupçons et ne pas être découverte. Et tandis que la moudjahida Moulay Saâdia finissait de coudre cinq drapeaux en peu de temps, la cellule secrète a été informée de la visite du général de Gaulle à Aïn Temouchent, le 9 décembre 1960.
C’était le jour où le moudjahid Moulay Hocine a été chargé de distribuer ces drapeaux afin de les brandir lors de cette visite, selon le même interlocuteur. A l'arrivée du général de Gaulle devant l'entrée principale du siège de la mairie "des acclamations opposées s'élevèrent entre les Français et les Algériens, qui se sont affrontés. La moudjahida Amama a été la première à brandir le drapeau national, soutenue par des acclamations de la foule +Vive l'Algérie+ et +Algérie musulmane+". Les manifestations ont pris alors une autre tournure dans des affrontements qui se sont répandus sur la place, l'artère principale de la ville et un nombre de ses ruelles, se souvient la même source.
Au cours de ces manifestations, les Algériens ont subi une répression brutale de la part des forces coloniales, largement déployées pour sécuriser la visite du général de Gaulle. Plusieurs blessés ont été enregistrés et de nombreux Algériens arrêtés et emprisonnés, dont le moudjahid Hocine Moulay, soumis à la torture avec nombre de participants à ces manifestations, étendues par la suite au reste du pays. (APS).
L'abbé Berenguer naquît le 30 juin 1915 dans le petit village d'El-Amria (ex-Lourmel) de parents espagnols venus s'installer en terre oranaise, au début du 20e siècle. Jeune prêtre, âgé à peine d'une vingtaine d'années, il prit la défense des «opprimés» et dénonça l'ordre colonial, notamment à travers des articles de la revue «Simoun». Le 1er novembre 1954, alors qu'il officiait depuis trois ans en tant que curé du village de Remchi (dans la région de Tlemcen), il n'hésita pas à choisir son camp et s'engagea aux côtés des indépendantistes algériens, en aidant les familles des moudjahidine qui avaient rejoint le maquis. Dénoncé, il sera expulsé hors d'Algérie en 1958, puis représenta le Croissant rouge algérien en Amérique latine de 1958 à 1962.
Mgr Henri Teissier, l'ancien et regretté archevêque d'Alger, aimait rappeler que c'est grâce à l'action de l'abbé Berenguer que l'Algérie combattante a gagné à sa cause le soutien de l'Amérique latine. «André Malraux, émissaire français en Amérique du Sud, ne connaissait pas l'Algérie ni la langue espagnole. Aussi, il était facile à l'abbé Berenguer de déconstruire les arguments de Malraux. Il passait après lui, dans chaque pays sud-américain, et expliquait en espagnol ce qu'était le fond du problème algérien et le pourquoi de la guerre», a témoigné un jour Mgr Teissier. (André Malraux, célèbre auteur de «La Condition humaine», était à cette époque ministre du général de Gaulle.)
Alfred Berenguer a été élu député de sa ville d'adoption, Tlemcen, dans la première Assemblée constituante de l'Algérie indépendante. Mais après le 19 juin 1965, il déclina tous les postes politiques et se consacra à l'enseignement dans un lycée de Tlemcen, jusqu'à sa retraite qu'il choisit de vivre dans le silence et la méditation au monastère Saint Benoît, sur les hauteurs de la cité des Zianides. Jusqu'à son décès qui survint le 14 novembre 1996, l'abbé Berenguer restera fidèle à sa terre algérienne et refusera tous les compromis qui pouvaient heurter sa conscience. Il se tiendra aux côtés de l'Algérie et de son peuple, mais ne voudra jamais se lier à un régime. «Je ne voulais pas qu'on puisse dire que j'avais agi pour la gloire ou pour l'argent. J'ai refusé la carte d'ancien moudjahid et la pension d'ancien député, car je n'eus pas à faire mes preuves (pendant la Guerre de Libération) pour pouvoir contacter les indépendantistes qui me considéraient comme un des leurs», écrivait-il dans ses mémoires, publiées en 2004 à Paris et intitulées «En toute liberté».
Jusqu'à la fin des années 1980, ses voisins de quartier à Tlemcen pouvaient apercevoir, tôt le matin, l'abbé Alfred Berenguer dégringoler à pied la pente raide qui mène du monastère Saint Benoît au centre-ville, abrité du soleil et de la pluie sous un éternel béret, un vieux cartable à la main. «Cet homme qui marche, se sont-ils peut-être dit, doit venir de loin, mais Dieu ! qu'il marche droit !»
Dans « Alger-Tokyo », la philosophe Seloua Luste Boulbina revient sur le volet asiatique, largement méconnu, de la « diplomatie de guerre » mise en œuvre par les indépendantistes algériens.
Dans son dernier ouvrage, intitulé Alger-Tokyo. Des émissaires de l’anticolonialisme en Asie, la philosophe franco-algérienne Seloua Luste Boulbina revient sur les liens méconnus qu’ont tissés, très tôt, les indépendantistes algériens avec l’Asie. Une stratégie payante puisqu’elle contribua, explique l’autrice, à la création d’un « axe afro-asiatique [qui] bouleversa l’ordre mondial en donnant naissance au non-alignement ».
Outre son sujet, la grande originalité d’Alger-Tokyo est d’offrir une plongée dans de multiples documents d’époque : archives, unes de journaux, photographies, extraits d’ouvrages de référence, ainsi que des extraits de la correspondance d’un Algérien détenu à la prison de Fresnes avec Michihiko Suzuki, traducteur de Frantz Fanon au Japon.
Vous montrez que les indépendantistes algériens ont très tôt cherché à internationaliser leur lutte. Pourquoi ?
La dissymétrie des forces en présence était criante. D’un côté, un Etat doté d’une armée capable de mener, en même temps qu’au Cameroun (1955-1962), une guerre de longue durée en Algérie (1954-1962), où elle usa du napalm. De l’autre côté, des indépendantistes convaincus, faiblement équipés, n’ayant d’autre option que la guérilla. La France soutenait qu’il ne s’agissait que d’un problème de politique intérieure. S’est alors constituée, côté algérien, une « diplomatie de guerre », selon la formule de l’indépendantiste Abderrahmane Kiouane, afin de remporter une victoire politique internationale quand la France cherchait une victoire militaire.
En quoi consistait cette « diplomatie de guerre »?
En un renversement. Le Front de libération nationale (FLN) avait deux objectifs : informer la communauté nationale et internationale pour contrer la désinformation française et obtenir tous les soutiens possibles, où qu’ils soient et quels qu’ils soient, gouvernementaux ou non gouvernementaux. En 1958, année clé, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) est constitué. Il sera formellement reconnu à l’étranger par de nombreux pays du Sud, au Maghreb et au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie : Egypte, Ghana, Chine, Indonésie, Nord-Vietnam, Corée du Nord… Au Japon, les deux émissaires algériens, Abderrahmane Kiouane et Abdelmalek Benhabylès, sont reçus par des membres du gouvernement.
La gauche japonaise anticolonialiste, très active, s’est montrée solidaire de la lutte pour l’indépendance
Quel rôle a joué Tokyo dans la lutte anticoloniale ?
La solidarité est une stratégie politique. Les conférences internationales afro-asiatiques d’étudiants, de juristes, de femmes, ont permis de nouer des contacts, de constituer des réseaux, d’établir des alliances, de faire naître des amitiés. Les Algériens ont soutenu, sur place, les Japonais luttant contre le nucléaire. La gauche japonaise anticolonialiste, très active, s’est montrée solidaire de la lutte pour l’indépendance. Elle s’est opposée, en 1960, aux essais nucléaires en Algérie. Est-il besoin d’en rappeler les dommages ? Des intellectuels, des artistes parmi les plus grands, écrivirent et mirent en scène, au théâtre, ce qui se passait alors d’horrible en Algérie.
La situation algérienne a aussi permis de penser l’histoire japonaise, notamment par la découverte de Frantz Fanon. Comment ?
C’est Abdelmalek Benhabylès, dit « Socrate », qui fait découvrir Frantz Fanon à son interprète et traducteur au Japon, Michihiko Suzuki. Ce grand spécialiste de Proust, homme très engagé, traduira d’abord des textes comme Des rappelés témoignent, document sur les atrocités commises par l’armée française en Algérie. Il publiera plus tard Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon, en japonais. L’Algérie devient ainsi un révélateur intellectuel et politique de ce qu’est le Japon dans ses relations avec la Corée. Deux rapports entre puissance impériale et colonie sont corrélés. L’Algérie et la Corée, ainsi que leurs ressortissants, ont été infériorisés et maltraités. Leur rapport à l’ancienne métropole est rugueux. Celle-ci a du mal à faire face à son passé colonial, quand bien même l’ordre du monde a politiquement changé.
La Chine a considérablement soutenu les Algériens, financièrement, matériellement et politiquement
En dehors du Japon, les soutiens aux indépendantistes algériens ont été nombreux en Asie…
La diplomatie algérienne s’est inscrite dans la solidarité afro-asiatique anticolonialiste à partir de la conférence de Bandung. En Indonésie, l’Algérie fut soutenue par le plus grand parti musulman de l’époque, le Masyumi. Les Etats afro-asiatiques, « alliés naturels » selon la formule du FLN, très actifs dans leur politique étrangère, demandèrent à partir de 1955 l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de l’ONU. La Chine a considérablement soutenu les Algériens, financièrement, matériellement et politiquement.
Votre ouvrage propose de très nombreux documents, photographies, lettres… Pourquoi ce choix ?
Pour ce livre de « philosophie documentaire » consacré à une diplomatie singulière – en ce qu’elle a précédé la souveraineté et l’Etat –, mon éditeur m’a permis de donner corps à ma façon arborescente de penser, qui absorbe toujours une multiplicité d’images, de données et de points de vue. Car j’ai toujours baigné dans l’internationalité. Michihiko Suzuki m’a remis les lettres reçues de son ami algérien détenu à Fresnes. C’est une façon de proposer au lecteur des références visuelles et textuelles dont certaines sont inédites. Ce sont des ouvertures.
Alger-Tokyo. Des émissaires de l’anticolonialisme en Asie, de Seloua Luste Boulbina, éd. Les Presses du réel, 224 pages, 22 euros.
Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux
Publié le 06 décembre 2022 à 20h00, mis à jour le 06 décembre 2022 à 20h00https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/06/l-algerie-a-ete-un-revelateur-intellectuel-et-politique-de-ce-qu-etait-le-japon-dans-ses-relations-avec-la-coree_6153242_3212.html.
Personnalité connue au début des années 2000 pour être la première femme musulmane à participer à l’organisation du culte musulman en France, et autrice d’un témoignage introspectif intitulé « La Double Présence », Bétoule Fekkar-Lambiotte s’est éteinte, dimanche 4 décembre, à l’hôpital parisien Broca à l’âge de 93 ans des suites d’un accident vasculaire cérébral survenue deux semaines plus tôt. Retour sur une vie pleine d’engagements.
A peine sortie de l’ascenseur, elle vous recevait les bras ouverts en vous embrassant tout en narguant la Covid-19 avec amusement mais sans jamais louper les rappels de vaccin. Elle continuait de recevoir les après-midis à son domicile de l’île Saint-Louis, dans le 4e arrondissement de Paris, dans son salon habillé d’œuvres asiatiques et africaines d’artistes plasticiens. Trompant la solitude du grand âge, elle échangeait autour de sa table basse sur laquelle était posés la dernière livraison du quotidien du soir et son téléphone qui affichait sur WhatsApp diverses coupures de presse. Analogique et numérique se côtoyaient ainsi. Elle a toujours été comme cela, Bétoule. Toujours un pied dans un univers différent de celui de l’autre. Ou encore le réceptacle de deux eaux différentes que seul l’amour telle que définissait sa croyance musulmane pouvait faire rencontrer. C’est entourée de sa famille qu’elle a été rappelée à Dieu dimanche 5 décembre, à 5h du matin, à l’âge de 93 ans.
Bétoule Fekkar-Lambiotte est née le 26 mai 1929 à Casablanca d’un père cadre des Postes et d’une mère catholique germanophone, elle-même née en 1899 dans une Alsace alors rattachée à l’Empire allemand. D’un commun accord, les enfants seront élevées dans la tradition musulmane. Elle est issue d’une double filiation soufie par la branche paternelle, notamment celle d’un grand-père marocain originaire d’Essaouira disciple de la confrérie Qadiriya, et d’une grand-mère algérienne disciple de la confrérie Habria. Elle gardera de cette éducation soufie acquise dans le giron familial « la sacralité de la vie, le respect d’autrui ainsi que la maîtrise de soi ».
Sa petite enfance était rythmée par les nombreux voyages entre Casablanca, la capitale économique du Maroc sous protectorat français, et Saïda, la ville de l’ouest algérien sous colonisation française. Mais c’est bien cette ville des hauts plateaux du sud oranais dite la ville des eaux qui a su cristalliser tous ses souvenirs de l’enfance. « J’y grandissais sous la protection de grands-parents passionnément aimés dans un univers plein d’une chaleur et d’un humour dont je garde encore la nostalgie. Lorsque ma mère me retrouvait à Saïda, pieds nus, échevelée, le nez plein de morve, ayant dansé et joué avec mes petites amies du quartier, en un mot, heureuse, elle était effondrée », nous confiait-elle.
Alors qu’elle gambadait entre les cultures indigènes et européennes au moment où la France était au zénith de son empire colonial, la petite Bétoule ne se doutait pas qu’elle allait traverser et même participer aux gigantesques transformations du monde. Bien sûr, son métissage ne manquait pas de la confronter à certaines aspérités qui la laissaient interdite : « Quand nous étions traitées, ma sœur et moi, de "sales Arabes" à cause de notre père musulman par les copines européennes, et de "filles de la roumiya" par les petites filles arabes. » Mais à l’âge de 15 ans, les nouvelles du massacre de Sétif le 8 mai 1945 la bouleverseront. Son frère de trois ans son ainé la conscientisera aux inégalités criantes de l’Algérie française. Trop tôt, son frère adoré décèdera à l’âge de 18 ans des suites d’une occlusion intestinale. Ce qui ne l’empêchera pas de devenir la première bachelière de l’ouest algérien et de prendre pour un temps très court sa carte au Parti communiste. Elle se maria au début des années 1950 avec un descendant d’une grande famille algérienne locale avec qui elle eut deux enfants. Ses « deux prix Nobel » comme elle les désignaient avec beaucoup d’humour et d’affection.
Une vie au service d’innombrables engagements
Pour garder une indépendance économique et sociale, sous les conseils avisés de sa mère, elle devint enseignante à Saida puis à Oran. De par sa double culture, les premiers instants de la guerre d’Algérie ont entraîné chez elle une période de grande confusion tant elle disait être protégée par une forme de syncrétisme social. Mais « face à un système social plein de morgue et d’arrogance qui méprisait ma mère pour avoir épousé un Arabe et aux souffrances et malheurs innombrables de ceux avec qui je partageais la foi, des damnés de la terre chers à Frantz Fanon », la jeune femme décida de s’engager au sein du FLN dans la Wilaya V en décembre 1955 à l’insu de son époux et de sa famille. Elle était devenue une moussabila, une femme chargée des tâches de ravitaillement, d’hébergement et de liaison. Très vite, elle se fera cueillir à son domicile par une armée munie de pouvoirs spéciaux dont la violence et la brutalité de l’interrogatoire aura été modérée grâce à son statut d’intellectuelle maitrisant « un français châtié ».
C’est à son retour dans sa famille découvrant ses engagements politiques perçus comme une trahison par sa mère et un déshonneur par le père que Bétoule dit « être née à elle-même » en tenant tête à sa famille, à son mari, en évoquant les situations humiliantes des indigènes et les révoltes refoulées de l’enfance qui éclataient avec une démesure émotionnelle propre à la tragédie de l’époque. Elle essuya 16 mois de mise à pied sans salaire. Elle mit à profit cette période difficile pour se faire admettre à la promotion de 1961 de formation des inspecteurs de l’Éducation nationale de l’École normale supérieure de Saint-Cloud où elle fut la seule femme admise avec la bienveillance de M. Canac, sous-directeur de l’ENS.
De Beauvoir, Sartre, Hessel… des amis qui comptent
Aux yeux de Bétoule, les habitants de la métropole et surtout de Paris incarnaient l’humanisme républicain qui ne pouvait être confondu avec le système colonial vécu en Algérie. C’est par le biais de la militante et dramaturge Colette Audry qu’elle avait accueilli à Oran qu’elle fit la connaissance du célèbre couple de philosophes, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. « Le Castor » et Sartre n’hésitaient pas à lui rendre visite dans sa chambre de bonne.
Mais sa très grande rencontre fut celle de Stéphane Hessel qui eut lieu au mois de mai 1961. Il était alors directeur des Relations internationales au ministère français de l’Education. Son élégance naturelle et surtout son exposé de la philosophie des principes du respect des partenaires dans toutes les formes de coopération et de solidarité nationale l’ont marqué. A tel point que le verset coranique « Et nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entreconnaissiez » (S. 49, V. 13) faisait écho dans son esprit aux paroles émises par le diplomate. Ils nouèrent une très grande amitié jusqu’à la disparition de ce dernier en 2013.
De retour le 6 juillet 1962 en Algérie, elle devint la première directrice de l’Ecole Normale Supérieure d’Oran chargée de la formation des futurs enseignants. Elle dit avoir trouvé l’établissement dans un état pitoyable où tout brulait, y compris les archives. Mais le plus étrange pour elle, c’est apprendre à vivre lorsque, à un jeune âge qui était le sien, on s’aperçoit que tous ses amis d’enfance ont disparu de cette terre.
Le premier salaire n’arriva qu’en février 1963 mais le personnel restait entièrement dévoué à leur mission. Avec beaucoup d’émotion encore palpable quelques semaines avant son rappel à Dieu, elle nous affirma avoir « pris la décision de mettre en commun les salaires et de les redistribuer selon le nombre d’enfants par foyer. Une femme de ménage veuve qui avait cinq enfants eut droit à cinq parts tandis que moi avec mes deux enfants à deux parts ». Outre ces aspects matériels, Bétoule n’a cessé de se battre politiquement pour un bilinguisme de qualité (à savoir monter le niveau de l’arabe) qui faisait face un camp qui souhaitait l’arabisation totale. Elle disait être entièrement sur la ligne de Kateb Yacine : « Le Français est notre butin de guerre. »
Une vie à réinventer en métropole
Le jeune gouvernement d’Ahmed Ben Bella la sollicita pour l’envoyer à Paris en tant qu’attachée culturelle de l’ambassade d’Algérie. Une décision qui ne fut pas simple pour elle surtout que, depuis la révélation de ses engagements politiques en 1956, son mariage battait de l’aile. Elle fut autorisée à amener avec elle ses deux enfants. S’ensuivie une répudiation qui l’amena à se battre dans la jeune Algérie indépendante à coup de versets coraniques pour obtenir la garde de ses enfants. En 1965, elle se maria avec un ancien porteur de valise, Maurice Lambiotte, chercheur en nutrition au CNRS. Ce fut un mariage heureux avec la complicité d’une belle-mère chaleureuse. De ses amis européens acquis à la cause de l’indépendance de l’Algérie, elle garda contact avec l’éditeur suédois Nils Anderson.
A côté des mondanités et du travail diplomatique, Bétoule tint à entretenir le lien avec les ouvriers algériens et les problèmes éducatifs auxquels ils étaient confrontés. Le cas de ces enfants de travailleurs étrangers la décida d’orienter sa carrière dans l’inspection de l’Éducation nationale.
Elle dit souvent en rigolant qu’elle a eu une vie pleine de cocasseries : « En mai 1968, j’étais naturellement du côté des étudiants. Je suis convoquée un matin par le préfet qui me passe un de ces savons mais carabiné. A midi, je passe à mon bureau et je trouve une seconde convocation pour 14h30 à la préfecture où je reçois les palmes académiques. »
Une double culture au service de l’intérêt général
Elle se porta explicitement volontaire pour le territoire de Seine-Saint-Denis d’autant qu’elle devait effectuer son stage pratique pour valider son diplôme de l’ENS. « J’ai été très vite confronté aux problèmes de bilinguisme et de double culture des enfants de bidonville dont l’institution scolaire n’était pas préparée », se remémora-t-elle. Elle s’engagea alors dans une thèse de 3e cycle portant sur une cohorte de 10 000 enfants de la région parisienne et sur un échantillon de 60 familles en étude approfondie. Elle se souvient de l’aide apporté par André Karman, maire d’Aubervilliers. Elle mit en place les chantiers du langage. Ces années de recherche l’ont convaincu que le renforcement de la double culture et du bilinguisme était un facteur positif d’intégration scolaire et, plus généralement, d’intégration dans la société.
Des années plus tard, entre 1984 et 1989, elle travaillera au sein d’une commission sur le projet d’école publique intitulée « École Concorde ». Un établissement scolaire pilote installé dans un territoire défavorisé avec un corps éducatif ad hoc pour préparer les élèves à un baccalauréat européen et, à terme, former des hauts fonctionnaires pour l’Europe. Ce projet voulait investir sur une intelligence méconnue. Mais le gouvernement ne donna pas de suite.
Cette approche nouvelle visant à user de l’interculturalité que Bétoule met en exercice a été remarqué dans les années 1970 par la nouvelle agence de la francophonie qui la recruta pour des missions de coopération culturelle et techniques. A ce titre, elle se rendra régulièrement au Vietnam, à Madagascar, dans les pays de l’Afrique subsaharienne, particulièrement au Tchad et au Sénégal.
Une participation active pour la reconnaissance de la diversité intramusulmane
Dans ces nouveaux habits de fonctionnaire internationale, elle se sentit à nouveau très utile et garda en mémoire cette mission à Hanoi visant à renforcer les capacités de l’Institut d’épidémiologie notamment par le biais des fonds des Nations Unies. Elle rencontra un grand nombre de chefs d’État. Parmi eux, il y eut Léopold Sédar Senghor qui sollicita son expertise en tant que conseillère présidentielle. Elle prit en charge la création d’une communauté organique qui avait pour ambition de former des futurs cadres interétatiques spécialisés dans le développement endogène. Mais les épreuves de la maladie, notamment l’opération d’une tumeur au cerveau en 1980, lui feront faire les choix de se délester sur les plans professionnels et de se concentrer sur les points qui assuraient la stabilité de son existence : l’islam et le refus de toutes injustices. Le suivi de son fils Hamdane, médecin pneumologue, a été déterminant tant sur la prévention et sa résilience sur la maladie qui ne manquera pas de réapparaître en 1996. Elle s’investira dans les activités de la confrérie soufie Alawiya avec le jeune cheikh Khaled Bentounès.
Au milieu des années 1980, elle participa à plusieurs réunions informelles en lien avec les questions d’organisation du culte musulman impulsées par Georgina Dufoix, alors secrétaire d’État sous le gouvernement Mauroy III. Mais il n’y aura pas de suite concrète. Parallèlement, elle déplora la montée de « l’intégrisme musulman » en Algérie qui porte offense à l’islam tel qu’elle l’avait appris et le vivait. Elle facilitera par son entregent le départ vers la France de journalistes, intellectuels et artistes algériens condamnés à mort par le GIA. En 1999, elle perd son amie soufie Eva de Vitray-Meyerovitch dont elle s’occupera de la toilette funéraire. En 2008, elle sera d’ailleurs l’invitée officielle du président turc pour l’inhumation à Konya de son amie disparue face au mausolée de Jalâl ud Dîn Rûmî.
Elle créa l’association et la publication Terres d’Europe en 1999. Au cours de cette même année, elle fut sollicitée par le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement dans le dispositif de consultation nommé « Istichara » visant à faire émerger une organisation interlocutrice de l’État sur les questions portant sur le culte musulman. Elle écrit avoir vécu un grand moment d’émotion en lisant la lettre d’invitation. L’enjeu qui la stimulait, c’est cet effort de réflexion nommé ijtihad dans le fait d’ « être musulman dans une République laïque (qui) change les données par lesquelles doivent être résolus les dilemmes existentiels à la lumière du Coran ».
Outre les fédérations et les grandes mosquées de l’époque invitées, elle souhaitait donner de la place aussi aux courants minoritaires comme les chiites, les ismaéliens, les mozabites. Tous ne sont pas du même avis. Il y aura un refus sec. Elle reconnut la difficulté d’être la seule femme et aussi de ne pas être assignée à une organisation. Avec son autodérision habituelle, elle admettait faire partie du quota attribué aux femmes car « bon Dieu, nous sommes tout de même au XXIe siècle ». Entre temps, elle organisa avec Doudou Diène un colloque à l’Unesco intitulé « Les routes de la foi, pour un islam de paix ».
Une démission avec fracas du CFCM
Mais le 5 février 2003, alors que se préparaient les premières élections du CFCM, Bétoule fait parvenir au ministère de l’Intérieur sa lettre de démission en tant que personnalité qualifiée. Elle ne pouvait pas cautionner la trop grande place laissée à « l’islam consulaire » et surtout aux Frères musulmans et leur idéologie « communautariste » alors qu’elle s’estimait faire partie de « la majorité des musulmans qui, dans le silence, cherchent une harmonie entre leur pratique spirituelle et les valeurs de la République ».
Elle releva cet incident significatif quand un responsable de l’UOIF posa son tapis sur le sol du ministère de l’Intérieur et tenta d’effectuer sa prière. Stupeur et opposition des fonctionnaires expliquant que c’est un lieu de la République française qui est laïque. S’enchaîna une menace d’organiser une prière collective devant le ministère. Elle se questionna : « Négation de l’institution qui nous accueillait ? Provocation ? Défi ? Inculture ? Refus de l’autre ? Sans doute un peu de chacune de ces différentes hypothèses. »
Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, tenta en personne de retenir Bétoule puis par des intermédiaires. « Je ne peux pas accepter pour la France ce que j'ai combattu de toutes mes forces en Algérie », lâchera-t-elle. Elle était loin de se douter que cette décision allait causer tant de remous à l’extérieur en même temps qu’un séisme à l’intérieur d’elle. Il lui faudra retourner à Saïda, ses terres d’enfance, enfiler sa robe arabe, marcher pieds nus, rouler les graines de semoule pour le couscous et se rendre aux bains maures pour comprendre les ressorts de son échec dans son expérience avec le CFCM. Des années plus tard, elle reconnaîtra que c’est son principal revers dans sa longue vie. Avec la bienveillance de Laure Adler, elle publiera en 2007 aux éditions du Seuil son récit introspectif intitulé La Double Présence. Histoire d’un engagement et préfacé par Stéphane Hessel dont on ne saurait trop recommander la lecture tant cet ouvrage à lui seul offre les clefs d’une réconciliation saine et authentique entre la France et ses musulmans mais aussi entre la France et l’Algérie.
Une double identité assumée qui fait France
Comment ne pas reconnaître cette forme humaine du juste milieu propre à l’éthique musulmane quand elle écrit : « Je ne veux plus être dans un passé antérieur. Je veux avoir l’honneur et le bonheur d’être une Française qui a gardé son islam et ce, au présent. De la même façon qu’il me faut deux jambes pour courir, il m’est nécessaire que soit reconnus d’abord les deux aspects de mon identité : être à cent pour cent musulmane algérienne et, en même temps, à cent pour cent citoyenne française et européenne œuvrant pour l’ouverture et l’altérité. »
Elle nous confia au mois de septembre dernier : « Musulmane que je suis, je me sens presqu’aussi chrétienne que mes amis chrétiens, je suis admirative de Sainte Thérèse d’Avila par exemple qui s’adressant à Dieu dit : "Je t’aime et que T’importe !" C’est ce don gratuit qui est important pour moi. Bien sûr le soufisme me comble spirituellement. » Il lui arrivait quelquefois d’effectuer des retraites spirituelles dans des monastères en Belgique. Pour rien au monde, elle ne manquait le déjeuner annuel avec Sœur Bénédictine d’origine vietnamienne qui, une fois l’an, avait la permission de déjeuner avec une musulmane.
Ce souhait profond qu’elle a écrit et répété dans de nombreuses conversations, nous le faisons tout aussi nôtre : « Je voudrais une France forte, plurielle, plus sûre d’elle-même. »
Rédigé par Mohammed Colin | Lundi 5 Décembre 2022 à 13:25
Les troupes de Charles X ont pris Alger en 1830. Puis, pendant quarante ans, la France a hésité : repartir, garder les villes côtières, susciter un « royaume arabe » ? Les Algériens, eux, n’ont pas été consultés.
« Marche sur Constantine, l’armée quitte Raz-Oued-Zenati (20 novembre 1836) », tableau d’Auguste Raffet (1804-1860). (IMAGE MUSÉE DE L'ARMÉE / RMN-G)
Nul ne l’ignore, certains cadeaux sont encombrants, surtout s’ils ont été prévus pour d’autres. L’expédition d’Alger a été montée avec des arrière-pensées de politique intérieure. Elle avait pour but principal de redorer le trône pâli de l’impopulaire roi Charles X. Sur le terrain, elle est une réussite. Le 14 juin 1830, le général de Bourmont débarque avec ses quatre fils, 37 000 soldats et 27 000 marins sur la plage de Sidi Ferruch, presqu’île de ce que l’on appelle alors en Europe la « côte de Barbarie ». Trois semaines plus tard, le 5 juillet, Alger signe son acte de capitulation et Hussein Dey, dernier souverain de la régence, part vers son exil napolitain, suivi de nombreux dignitaires ottomans.
Bourmont y gagne son bâton de maréchal. Charles X n’en perd pas moins son sceptre. Lors des Trois Glorieuses, les 27, 28 et 29 juillet, le dernier des rois Bourbons est balayé par une révolution, et son successeur, Louis-Philippe, a bien d’autres soucis en tête que de savoir quoi faire d’une conquête qui n’intéresse personne. Bertrand Clauzel, nouveau commandant en chef de l’armée d’Afrique, envisage l’évacuation, qui serait une solution logique. Le débarquement de Sidi Ferruch devait punir le dey pour avoir offensé la France. La punition étant éclatante, la France peut repartir.
Cependant la situation sécuritaire empêche de le faire dans de bonnes conditions. La ville d’Alger s’est rendue. Mais d’autres résistent, comme Constantine, dont le bey mène la lutte contre les occupants. Il est impensable de rembarquer alors que les combats continuent. On reste donc. C’est ainsi que l’Algérie a commencé à devenir française. Contrairement à ce qu’ont voulu faire croire plus tard ses thuriféraires, il faudra, pour qu’elle finisse par l’être, des décennies de controverses, de débats et de plans divers, constamment bousculés par les réalités mouvantes du terrain et les résistances des « indigènes ».
« Colonistes » contre « anticolonistes »
Dès le début des années 1830, c’est vrai, il existe à Paris des « colonistes », dont le comte Charles de Montalembert, catholique libéral, et le maréchal Bertrand Clauzel, redevenu député, sont les chefs de file. Issus en général de la bourgeoisie marchande, ils sont mus par un strict intérêt économique – l’idéologie impérialiste, la prétendue « mission civilisatrice » de l’Occident et toutes ces idées coloniales n’apparaîtront que plus tard – et estiment nécessaire de peupler la terre conquise pour la mettre en valeur et y développer des marchés.
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Ils sont d’abord confrontés aux « anticolonistes », des libéraux qui, sur de mêmes bases strictement économiques, raisonnent à l’inverse : coloniser ce territoire est une chimère qui coûtera une fortune et ne rapportera jamais rien. Amédée Desjobert, député de Seine-Inférieure, qui siège alors sur les bancs de la gauche, en devient la figure la plus connue. Dès qu’il le peut, il revient à son obsession : il faut partir ! La question financière est centrale. Le débat revient à la Chambre aussi régulièrement qu’il faut voter de nouveaux crédits militaires destinés au corps expéditionnaire.
En avril 1834, les députés doivent ainsi approuver une nouvelle dépense de 400 000 francs, alors que 30 millions de francs et des dizaines de milliers d’hommes ont déjà été engagés. Le député Xavier de Sade, un membre de la famille du célèbre marquis, élu de l’Aisne, cofondateur de la Société française pour l’Abolition de l’Esclavage, tente vainement de faire retoquer la rallonge financière : « De grâce, que l’on veuille bien m’apprendre quelles ressources nous en tirerions dans quelque lutte européenne ? En vérité, messieurs, on raisonne toujours comme si un accroissement quelconque de territoire était nécessairement un accroissement de force. Il n’y a pas cependant d’hypothèse plus fausse et plus contredite par l’histoire. Une nation ne doit pas avoir les yeux seulement fixés sur son doit et sur son avoir. » Mais le débat tourne toujours en rond à l’intérieur d’un problème dont on ne sort pas. L’armée ne tient pas particulièrement à rester, mais elle ne veut pas repartir tant que la situation militaire sur place l’empêche de le faire.
La doctrine de l’« occupation restreinte »
Au milieu des années 1830 apparaît une voie nouvelle dont les tenants croient concilier les deux points de vue opposés : c’est la doctrine de « l’occupation restreinte ». Inspirée de ce que font les Espagnols avec leurs « présides » (comme Ceuta ou Melilla, qu’ils possèdent encore aujourd’hui), elle recommande de s’installer dans quelques grandes villes de la côte et de laisser la gestion du reste de l’ancienne régence à des beys feudataires, des obligés de la France travaillant pour elle.
Le général Thomas Bugeaud, glorieux militaire du temps de l’Empire revenu en grâce sous Louis-Philippe, est, dans un premier temps, l’un des ardents défenseurs de ce système. Envoyé une première fois en Algérie en 1836 pour mater la rébellion d’Abd el-Kader, qui a réussi à fédérer autour de sa personne tous les opposants à la présence française, il le met en œuvre dès l’année suivante. Le traité de la Tafna (du nom d’un fleuve du nord-ouest du pays), signé en 1837 avec l’émir rebelle, prévoit le maintien des Français à Alger et dans quelques autres ports, mais laisse une vaste portion occidentale de l’ancienne régence à son ex-ennemi devenu son allié. Abd el-Kader pourra y bâtir un Etat avec l’appui français.
A nouveau, la réalité du terrain vient enrayer le processus. Dans les faits, la colonisation du pays par les Européens a commencé. Dès les premiers temps de la conquête, un petit peuple, d’abord venu d’Espagne puis d’Italie, a débarqué après les soldats dans l’espoir de refaire sa vie de ce côté de la Méditerranée. La plupart de ces gens vivent dans les ports. Certains se sont installés à la campagne, parfois sur les terres concédées à la haute bourgeoisie et à la noblesse. Leur présence qui ne cesse de croître est une des causes de la reprise des hostilités par Abd el-Kader. Le mythe d’un partage ne tient plus. Rappelé en Algérie à la fin de 1840 pour ramener l’ordre, Bugeaud est désormais convaincu de l’inverse de ce qu’il soutenait trois ans plus tôt. « L’occupation restreinte est une chimère », déclare-t-il dans le discours qu’il prononce à la Chambre avant son nouveau départ. Pour lui, une seule autre solution est envisageable :
« Il ne reste selon moi que la domination absolue, la soumission du pays. »
Il précisera un peu plus tard son ambition de remodeler celui-ci :
« [Il faut y amener] une société européenne nombreuse assez fortement constituée pour dominer le peuple arabe, assez productive, assez commerçante pour exonérer la métropole des dépenses énormes qu’elle consacre à la colonie. »
Il est désormais le principal apôtre de la colonisation. Un nouveau débat surgit alors sur la meilleure manière de la mettre en œuvre. Tout en menant une guerre impitoyable à Abd el-Kader, qu’il réussira à vaincre en 1847, le futur maréchal (il obtiendra son bâton en 1843) caresse un projet à la romaine. Comme le pratiquait l’empire des Césars, Bugeaud veut faire passer ses soldats de l’épée à l’araire en leur donnant, à la fin de leur service, des terres à mettre en valeur. Un temps, on fait même venir des orphelines de Toulon pour que les guerriers puissent fonder des familles. Mais la grande majorité de ceux qui tentent l’expérience l’abandonnent rapidement, faute de formation ou de rendement, épuisés par les fièvres. Faut-il plutôt, comme le font alors les Britanniques en Australie, céder de vastes territoires à de grands investisseurs, qui pourront les faire exploiter par de petits métayers ?
Une fois de plus les tumultes de la vie politique française viennent chambouler ces plans. A Paris, la révolution de février 1848 a conduit à l’instauration de la IIe République. Idéologiquement, elle est assez favorable à la colonisation. Les socialistes, par exemple, voient dans l’Algérie une terre nouvelle, qu’ils imaginent quasi vierge et vide de population, et où pourrait se mener l’expérience d’une nouvelle société fraternelle : c’est ce que tentent les disciples de l’utopiste Charles Fourier avec une communauté collectiviste fondée dans la province d’Oran en 1846.
Les émeutiers de 1848 « transportés » en Algérie
Le régime doit aussi faire face à une réalité. Avec ou sans plan pour l’accompagner, le peuplement européen de l’Algérie n’a cessé de croître. De 20 000 individus en 1840, il est passé à 110 000 en 1848 – auxquels vont bientôt s’ajouter 6 000 « transportés », les ouvriers condamnés après la terrible répression des émeutes sociales de juin cette année-là. Il paraît donc naturel d’intégrer le territoire conquis à la métropole. En avril, les Français du sud de la Méditerranée ont pu envoyer des députés à l’Assemblée constituante. Le texte dont elle accouche en novembre fait de l’Algérie un « territoire français », divisé en trois départements.
Pour autant, son organisation n’est pas encore claire. D’abord, la moitié de la population européenne n’est pas française mais constituée d’Italiens, de Maltais, d’Espagnols, bientôt d’Allemands et de Suisses. Ensuite, le territoire est partagé en deux grandes zones. Seule une petite partie de la côte, au nord, est régie par une administration civile semblable à celle de la métropole. Le reste est sous le contrôle de l’armée, qui régente la population autochtone par le biais de ses « bureaux arabes ». Les colons détestent ce « régime du sabre » qui leur semble attentatoire à leurs libertés et, surtout, freine leur grand rêve : organiser, comme le font les Américains à l’époque, un refoulement systématique des « indigènes » pour pouvoir s’installer tranquillement sur leurs terres.
Paradoxalement, celui qui va prendre, sur la question algérienne, les positions les plus avancées et les plus respectueuses des autochtones est une figure honnie de la mémoire républicaine. Napoléon III, prince-président devenu empereur en 1852, mérite pourtant de rester dans l’histoire comme l’homme qui aurait pu changer le destin de l’Algérie. Il est, en 1860, le premier chef d’Etat français à s’y rendre pour un long voyage, ce qui lui permet de mettre au clair ses idées. S’il rend hommage aux « hardis colons », explique l’historien Daniel Rivet dans son article « Le rêve arabe de Napoléon III » (« l’Histoire », janvier 1991), il pose aussi sa priorité : « Notre premier devoir est de nous occuper du bonheur des 3 millions d’Arabes que le sort des armes a fait passer sous notre domination. » Plus tard, dans une lettre à un de ses généraux, il va plus loin : « Il faut cantonner les Européens, et non les indigènes. »
« Visite de Sa Majesté l’Empereur à la Casbah d’Alger ». Cette estampe illustre le second voyage en Algérie de Napoléon III, en 1865. (GALLICA/BNF)
Ce sont des principes dont il ne déviera pas. Proche dans sa jeunesse des idées de Saint-Simon, il prend pour conseiller sur l’Algérie un disciple du philosophe, un certain Ismaÿl Urbain, fascinant personnage, métis guyanais devenu journaliste à Paris, ami personnel d’Abd el-Kader, grand arabisant, honni de la société coloniale d’Alger pour s’être converti à l’islam et avoir épousé une musulmane. En 1860, l’année de son voyage en Algérie, l’empereur a envoyé ses troupes protéger les chrétiens du Liban, victimes de massacres commis par des Druzes et des musulmans. Découvrant un monde sous domination ottomane, il veut créer un vaste « royaume arabe » autonome, mais allié à la France, qui pourrait commencer par recouvrir l’Algérie, où les Européens n’occuperaient que le littoral. Il en propose même la couronne au grand exilé de Damas, Abd el-Kader, qui la refuse…
Vers une mainmise totale sur le pays
En attendant, conseillé par Ismaÿl Urbain, chef de file du courant des « arabophiles », comme on les nomme, il promulgue en 1863 et en 1865 des sénatus-consultes censés garantir le droit de propriété des tribus et favoriser l’accession à la citoyenneté des « indigènes » – même si la plupart, juifs ou musulmans, la refusent, car elle implique l’abandon du « statut personnel », le droit religieux qui régit les questions de mariage ou d’héritage. Bien sûr, ces projets, inspirés par Urbain, s’attirent les foudres des « colonistes », prêts à tout pour entraver ce qui nuit à leur rêve de mainmise totale sur le pays. Les éléments semblent se ranger à leurs côtés. En 1866, une invasion de sauterelles ravage les récoltes. Un terrible tremblement de terre détruit Blida en 1867. La famine va faire des dizaines de milliers de victimes. L’heure n’est plus aux grands projets. A Paris, déjà, la fin du règne est proche.
Plus personne ne croit au « royaume arabe ». La déroute du second Empire l’enterre. A l’annonce de la défaite de Sedan, le 1er septembre 1870, qui provoque la chute de Napoléon III, les colons forment à Alger un comité républicain pour saluer la naissance d’un régime qu’ils espèrent plus favorable à leurs intérêts. En quelques mois, le gouvernement donne à l’Algérie un nouveau visage. Par son célèbre décret, le ministre de la Justice de la toute nouvelle IIIe République, Adolphe Crémieux, fait des juifs d’Algérie des citoyens français. Les millions de musulmans, eux, restent des sujets, privés de droits. Surtout, les généraux sont désormais subordonnés à l’autorité des préfets, majoritairement rangés du côté des Européens. C’est la fin du « régime du sabre ». La voie est libre pour coloniser tout le pays.
En mars 1871, dans un dernier sursaut, 250 tribus de Kabylie se soulèvent contre les occupants. L’insurrection, qui implique en tout un tiers de la population « indigène » du pays, est écrasée avec férocité, et les rebelles sont spoliés de leurs terres. Ce sera la dernière révolte de cette importance avant la Toussaint rouge de novembre 1954. L’Algérie est désormais une colonie française.
PARIS-MAGHREB. Tous les quinze jours, une histoire qui résonne d’un côté de la Méditerranée à l’autre. Cette semaine, la question de la transmission mémorielle parmi les jeunes. Farah Khodja, jeune juriste de 25 ans, a lancé il y a deux ans « Récits d’Algérie », un projet de collecte de témoignages. Elle en a tiré un livre illustré qui sort le 25 novembre.
(ALINE DE PAZZIS POUR L’OBS)
C’est l’histoire de deux destins tragiques entremêlés et de deux versions opposées des faits. L’histoire d’un passé partagé par des héritiers aux blessures impossible à panser. Une histoire sans point final, comme la guerre d’Algérie en a tantlaissé dans les intimités familiales. D’un côté, il y a la famille Boucif. De l’autre, la famille Vallat. Mokhtar Boucif était directeur d’une école à Thiersville, petit village à l’ouest de l’Algérie, près de Mascara, aujourd’hui appelé Ghriss. Félix Vallat en était le maire. Le premier avait été accusé d’avoir organisé l’embuscade qui avait coûté la vie au second : le 8 avril 1958, en pleine guerre d’Algérie (1954-1962), le maire et sa femme avaient été tués, près de leur ferme,sous les yeux de leurs enfants. Quelques jours après, le directeur d’école avait été brutalement arrêté, détenu dans une caserne et n’avait plus donné signe de vie. L’affaire avait fait grand bruit avant d’être enfouie, transmise seulement dans la sphère étroite des mémoires familiales.
Aux enfants et petits-enfants de Mokhtar Boucif, on a raconté l’histoire d’un homme brillant, instituteur à 17 ans, en 1937, une époque où très peu d’Algériens accédaient à un emploi qualifié. Mokhtar était décrit comme un infatigable pourfendeur des abus coloniaux, qui avait tissé de forts liens d’amitié dans tous les milieux y compris celui des « Européens » comme on disait à l’époque. Il n’hésitait pas à réclamer à l’administration davantage de justice et d’égalité, et à utiliser son entregent dans ce but. On leur a raconté que l’édile, Félix Vallat, était responsable de nombreuses mesures discriminatoires, d’arrestations, de brimades.
Aux enfants et petits-enfants de Félix Vallat, on a raconté l’histoire d’un grandhumaniste. Dans un livre écrit par Maïa Alonso, avec la participation de la famille Vallat, « Le rêve assassiné » (Editions Atlantis Allema, 2017), Félix est décrit comme un « apôtre du rapprochement franco-musulman, qui dérangeait les nationalistes algériens et qu’il fallait éliminer avec toute sa famille ». « Ils ont assassiné le rêve d’une Algérie nouvelle, une Algérie autonome, fraternelle, multiethnique et tolérante, liée étroitement à la France. L’Algérie dont rêvait aussi Albert Camus », écrit-elle encore. Elle dit aussi que Mokhtar Boucif était le « commanditaire d’un odieux assassinat », d’autant plus odieux qu’elle le présente commeun ami du maire qu’il aurait trahi.
Aux petits-enfants Boucif, on a raconté que, sur la base de soupçons d’accointances avec le FLN (Front de Libération nationale), Mokhtar avait été arrêté à son domicile, à deux heures du matin, devant ses six enfants âgés de 2 à 10 ans, par des militaires français. Qu’il avait été jeté en prison, sans autre forme de procès. Puis plus rien. Il fait partie des dizaines de milliers de disparus dont les familles cherchent, encore aujourd’hui, les corps. Dans une lettre adressée à ses proches, reçue quelques jours après son arrestation, ce militant pour l’indépendance raconte être enfermé « dans une cellule seul sans communication avec l’extérieur », mais que « la santé est bonne, le moral excellent ». Il nie son implication dans l’assassinat de Félix Vallat, et assure que les « interrogatoires sont très corrects, conduits par le capitaine de gendarmerie ».
Soixante ans plus tard : deux orphelins des deux camps
Cette lettre, dernière preuve de vie de Mokhtar Boucif, est retranscrite dans l’ouvrage « Recits d’Algérie. Témoignages de nos aînés de la colonisation à l’indépendance », qui paraît le 25 novembre (Editions Faces cachées). Elle a été communiquée à Farah Khodja, qui mène depuis 2019 une collecte des paroles et des vécus autour de la guerre d’Algérie et de la colonisation, maîtresse d’ouvrage de ce livre illustré de dessins et de photographies d’archives. L’un des petits-enfants de Mokhtar Boucif, Younès, a pris la plume pour participer à ce projet et écrire sur ce grand-père qu’il n’a jamais connu mais dont la disparition le heurte dans son intimité :
« Mon père n’a jamais pu faire le deuil de son père correctement. Personne ne sait où il a été tué, dans quelles circonstances, par qui. Si l’Etat français le souhaitait, il pourrait y avoir une enquête, des ouvertures d’archives, pour permettre à des gens, comme mon père, de se sentir mieux. »
En 2020, accompagné de son père — qui n’avait que6 ans lors de l’arrestation de Mokhtar –, de son frère et de sa sœur, Younès Boucif a assisté à une réunion organisée en France par l’association Josette et Maurice Audin qui réclame la vérité sur les disparitions dues aux forces de l’ordre françaises pendant la guerre d’Algérie. Dans le public, les témoignages se déversent comme souvent dans ce genre d’événement, petit théâtre d’expression des plaies toujours à vif. Un homme intervient. Younès Boucif écrit : « Il s’indignait que nous commémorions seulement la disparition des combattants algériens, brandissant le fait qu’ils n’avaient pas le monopole de la souffrance. Il ajoute “moi-même, j’ai vu mon père se faire tuer devant mes yeux. Il était le maire d’une petite ville nommée Thiersville”. Le temps s’est alors figé, comme suspendu… Il s’agissait du fils de Félix Vallat. Une vive émotion nous a envahis, ma famille et moi. Soixante ans plus tard, deux orphelins, des deux camps, dans cette même salle. Ces deux hommes, mon père et lui, ont leurs destins liés : mon grand-père mort car le père de cet homme est mort. Les deux hommes sont décédés en Algérie et leurs deux enfants se retrouvent dans la même pièce en France, confrontés l’un face à l’autre. »
Si l’on en croit l’écrivaine Maïa Alonso, pour la famille Vallat, la culpabilité de Mokhtar Boucif ne fait aucun doute, reposant surl’accusation, largement diffusée mais dénuée de preuves, de l’armée française – qui visait sans doute à justifier son arrestation et sa très probable mort. Pour la famille Boucif, impossible d’appuyer leur récit sur des sources : ils n’ont pas accès aux documents qui pourraient éclaircir les zones d’ombre sur l’emprisonnement et l’assassinat du directeur. Malgré les promesses réitérées, en particulier d’Emmanuel Macron, de faciliter l’accès aux archives, en pratique cela reste difficile pour les familles comme pour les historiens. On ne peut donc que raconter ce qui a été transmis, souvent oralement, parfois grâce à des documents comme la dernière lettre de Mokhtar Boucif, avant que cela ne soit trop tard.
C’est ici que se situe le cœur de « Récits d’Algérie » : écrire ces Mémoires avant qu’elles ne disparaissent, les derniers témoins directs s’éteignant les uns après les autres. La démarche de Farah Khodja, 25 ans, juriste fraîchement diplômée, n’est ni scientifique ni journalistique. La vingtaine de récits qu’elle a réunis dans des formats variés, dont celui des Boucif, est livrée presque à l’état brut, tels qu’ils ont été recueillis. Farah Khodja a été mû par un sentiment d’urgence et de nécessité. « Je voulais archiver ces histoires. Des témoins sont décédés entre le moment de la collecte et celui de la parution de l’ouvrage. Si nous ne le faisons pas maintenant, ça ne sera jamais fait », dit-elle.
Petite-fille d’un militant du FLN dont le frère avait disparu dans une embuscade des soldats français, Farah Khodja ne prend conscience de son lien personnel avec la guerre d’Algérie qu’à 19 ans, lors d’une conversation avec sa mère. Comme pour beaucoup des sept millions de personnes en France ayant un lien avec ce passé, cette mémoire était voilée par un silence épais dans son enfance.
« Mon grand-père ne m’avait jamais parlé de la guerre d’Algérie. Encore moins de la disparition de son frère. J’ai appris qu’il n’avait jamais pu faire le deuil de ce frère. Je connaissais la guerre d’Algérie par l’école, et je n’avais pas réalisé les conséquences qu’elle avait eues sur les familles. »
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Elle se met alors en quête de témoins pour comprendre le vécu de cet aïeul taiseux, sans jamais vraiment en trouver dans les livres et dans les textes des chercheurs, malgré les milliers de documents publiés sur la colonisation et la guerre d’Algérie. « J’ai alors décidé de faire un appel à témoignage. J’ai reçu tant de récits que ma démarche, au départ personnelle, a abouti à la création d’un site internet en février 2020. Qui à son tour, au gré des rencontres, a donné naissance à cet ouvrage. »
Un foisonnement de littérature et de témoignages
La diversité des témoins (combattants indépendantistes, harkis, pieds-noirs, appelés, civils, proches…) et des souvenirs de gens ordinaires font de ce livre un objet salutaire. La mosaïque de profils permet d’expliquer la complexité de la guerre, et peut-être de faire tomber certains préjugés sur un conflit souvent dépeint de façon binaire et simplificatrice. Si les atrocités de la guerre d’Algérie sont des faits bien connus et documentés, ce livre permet de mesurer davantage ce que cela signifiait de vivre cette guerre. Ainsi pour cette femme, qui a raconté le subterfuge utilisé pour échapper aux viols : « On prenait de la merde, de la bouse de vache, de la vraie merde et on la mélangeait avec de la pisse pour s’en mettre partout sur le visage, comme ça, ça puait quand les goumis [terme péjoratif désignant les supplétifs musulmans de l’armée française] arrivaient. » Ou encore pour cet appelé, Roger Winterhalter, qui a rejoint une cellule du FLN, infiltrée au sein de l’armée française, chargée de faire de la contre-propagande : « Comme j’étais en charge des affectations, je m’assurais que les militaires dont je recevais les noms tous les quatre mois sur un petit billet de la part du FLN étaient affectés à tel ou tel régiment, jugé stratégique par l’organisation. Je n’étais pas au courant des missions exactes. Je me contentais de suivre les instructions. […] Je voulais apporter ma contribution, moi l’enfant qui ai connu l’Occupation allemande dans mon village, même si parfois la peur me gagnait, car nous n’étions pas des héros. »
Aux décennies de mutisme qui ont suivi la fin de la guerre d’Algérie, parce qu’il ne fallait pas tourmenter les nouvelles générations avec ces souffrances, parce que souvent personne ne pouvait ni ne voulait comprendre, a succédé un foisonnement de littérature et de témoignages, dans lequel Farah Khodja s’inscrit. Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie et de130 ans de colonisation, les héritiers de cette histoire ont désormais le souhait et les moyens de sortir du silence, sans attendre les discours politiques de reconnaissance et de vérité, souvent considérés comme insincères.
Nul doute que les témoignages recueillis dans « Recits d’Algérie » se confronterontà d’autres témoignages parfois concurrents. Mais en croisant la grande histoire avec la petite, les témoins d’hier et les mémoires d’aujourd’hui, Farah Khodja prend le parti – et le risque – de construire un récit, sinon de vérité partagée, mais d’accord sur l’existence d’un passé commun. Et pourquoi pas ajouter sa pierre, non à un point final, mais à un point de départ d’une histoire collective.
« Récits d’Algérie. Témoignages de nos aînés, de la colonisation à l’indépendance », de Farah Khodja. Editions Faces cachées. Sorti le 25 novembre 2022. Lancement du livre le 24 novembre 2022 dans les anciens magasins de Tati, 4, boulevard Rochechouart, 75018 Paris. A partir de 19 heures.
These are the first images shot in the ALN maquis, camera in hand, at the end of 1956 and in 1957. These war images taken in the Aurès-Nementchas are intended to be the basis of a dialogue between French and Algerians for peace in Algeria, by demonstrating the existence of an armed organization close to the people. Three versions of Algeria in Flames are produced: French, German and Arabic. From the end of the editing, the film circulates without any cuts throughout the world, except in France where the first screening takes place in the occupied Sorbonne in 1968. Certain images of the film have circulated and are found in films, in particular Algerian films. Because of the excitement caused by this film, he was forced to go into hiding for 25 months. After the declaration of independence, he founded the first Algerian.
Jean Duval, habitant de Gacé (Orne), raconte ses vingt mois passés sur le front au Maghreb. Il est aujourd'hui président d'honneur des anciens d'Afrique du Nord.
Jean Duval, habitant aujourd’hui Gacé (Orne) est né le 17 août 1941 à Cisai-Saint-Aubin, n’avait pas encore 20 ans lorsqu’il reçoit sa convocation pour le service militaire en mai 1961. Après son passage en conseil de révision, il est déclaré « bon pour le service ».
Les opération de sélection sont effectuées à Guingamp, du 1er au 3 mars 1961 avec des tests d’écriture et d’exercices physiques pour déterminer dans quelle section chacun devra se retrouver.
« Je pensais effectuer mon service militaire »
Pour Jean Duval, ce sera la cavalerie motorisée. Le 1er mai 1961, direction la gare de Sainte-Gauburge vers Le Mans.
La première surprise de ce départ est l’endroit où nous allions être dirigés. Nous ne savions rien mais nous étions vaguement au courant des derniers évènements intervenus à Alger. Nous étions inquiets de partir loin de la famille avec des courriers peu rapides, sans téléphone.
« A l’arrivée au Mans, c’est l’accueil par des militaires. Demain vous partez pour Marseille, nous ont-ils dit », raconte Jean Duval. « Le soir, nous sommes hébergés au 2e régiment d’infanterie de marine, basé à Champagné. Nous recevons un paquetage complet. »
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Le lendemain, le train conduit les recrues à Marseille, gare Saint-Charles, avant d’embarquer sur le ville d’Alger, un paquebot français.
Dans la cale au fond du bateau, avec une mer peu agréable, tout cela ne nous donne pas le moral.
Le 5 mai, direction le centre d’instruction de l’armée blindée et de la cavalerie à Hussein-Dey, sur la côte algérienne, au camp du Lido.
Au cours des 4 mois suivants, Jean Duval passe deux mois de formation militaire et deux mois à apprendre le morse et l’utilisation de la radio. Il y apprend également la garde du camp et le maintien de l’ordre à Maison Carrée, près d’Alger, avec la consigne « dos au mur », pendant 2 à 3 heures, avec un fusil sans munitions.
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« Un jour, je m’adossais contre un poteau électrique. Un supérieur me repris pour me demander qu’est-ce que je faisais là. Il m’a dit que quelqu’un pouvait passer derrière moi avec un couteau, en m’ordonnant de me mettre dos au mur. »
Affectation au 4e régiment chasseur d’Afrique
Le 31 août 1961, voyage en train pour Constantine, puis Souk-Ahras. « Après 4 mois, bien logés, dans des locaux en dur, nous arrivons dans le bled d’hébergement sous les tentes en toile, par groupes de 8 ou 10 ».
A la frontière tunisienne, mon activité était, tantôt chauffeur, tantôt tireur, sur véhicule auto-mitrailleuse, mais aussi, nettoyage des véhicules avant la revue par les autorités militaires.
Du 20 mai au 1er juin 1962, une permission de 12 jours en Normandie lui est accordée. « C’était court, pas facile de repartir », témoigne-t-il. Un cessez-le feu a été signé le 19 mars 1962 à Evian.
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En réalité, celui-ci n’est arrivé que le 2 juillet 1962. « Nous avons été mutés au 4e régiment chasseurs de chars de Montesquieu, pour y casser des cailloux en vue de faire des pistes dans la région. Le 24 décembre 1962, j’embarque à Bône sur le bateau Ville de Tunis pour une dernière traversée dans des cabines plus agréables. Marseille nous accueille sous la neige. Par le train, nous regagnions Montparnasse à Paris, puis Sainte-Gauburge, le 27 décembre, après 20 mois en Afrique du Nord ».
Médaillé pour sa dévotion
« Je suis rentré satisfait de n’avoir jamais dû utiliser une arme pour me défendre ou obéir aux ordres ».
En honneur de sa dévotion pour la France, Jean Duval a été décoré d’une médaille commémorative (maintien de l’ordre et sécurité) et de la croix du combattant (reconnaissance de la nation).
La Guerre d’Algérie a eu lieu entre 1954 et 1962, ce pays demandait l’indépendance. Au cours de cette guerre 500 000 civils ont trouvé la mort dont 400 000 Musulmans. 25 000 soldats Français sont morts et 20 000 Harkis, des soldats arabes servant dans l’armée française. L’Algérie est devenue indépendante le 5 juillet 1962.
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Jean Duval a été président de l’amicale des anciens d’Afrique du Nord de Gacé, du 23 novembre 2006, en remplacement de Hubert Blanchetière. Le 18 février 2020, il a cédé sa place à Maurice Droulin pour devenir président d’honneur.
Commémoration du 5 décembre : sur la tombe de Maurice Gorju, cimetière de La Trinité-des-Laitiers à 11 h.
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