S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
Spécialiste de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora vient de publier « L’arrivée », aux éditions Tallandier. Soixante ans après, le récit du choc de sa découverte de la métropole en juin 1962.
L’historien Benjamin Stora. | ARCHIVES DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE
En une dizaine d’années, le jeune Benjamin Stora passe de l’enfance à l’âge adulte, de Constantine en guerre au Paris de Mai-68. Il raconte sa propre histoire dans son nouveau livre L’arrivée. De Constantine à Paris (1962-1972). Entretien.
Quel souvenir conservez-vous du 12 juin 1962, jour de votre départ pour Paris depuis Constantine, la ville d’Algérie où vous viviez alors ?
Je revois la tristesse de mes parents à l’aéroport. Je vais sur mes 12 ans, ma sœur est un peu plus âgée. Chacun porte deux valises et nous sommes tous chaudement habillés malgré le soleil éclatant. Depuis plus d’un an, j’entendais mes parents chuchoter entre eux, pleins d’angoisses : partir ? rester ? Ce jour-là, nous partions pour Paris. On partait vers une métropole dont j’avais beaucoup entendu parler, qui était idéalisée. Moi, ça me plaisait plutôt. Pas un instant je n’imaginais que nous ne reviendrions jamais.
Dans les mois précédents, vous ne sortiez plus de chez vous ?
Depuis l’automne 1961, je vivais confiné à la maison. Il y avait de la violence partout. On entendait les détonations sans savoir de qui elles venaient. Les cours étaient suspendus. Il y avait des militaires et des contrôles partout. Pour moi, ce départ, c’était aller vers un pays en paix, sans guerre.
Et vos parents ?
Chez les adultes, c’était l’angoisse et le silence. Dans l’avion du départ, personne n’osait parler. La violence de la situation écrasait les conversations.
Quelle image gardez-vous de l’arrivée ?
La nuit. En fait de « ville lumière », sur le périphérique entre Orly et Montreuil, tout était noir, rien ne resplendissait. Et le lendemain, on se réveille dans un autre pays. Il y a du silence, on ne connaît personne, mais on peut sortir et marcher comme on veut. C’est une impression très étrange.
« Les rues sont plus larges, les immeubles plus hauts. Je suis devenu petit, » écrivez-vous.
Oui, c’est la sensation que j’ai éprouvée. À Constantine, j’habitais le quartier judéo-musulman, avec des ruelles étroites toutes serrées les unes contre les autres. À Paris, tout est large, il y a des cinémas et des cafés partout. C’est un nouveau pays.
Pour vos parents, c’est le début d’une série d’épreuves. Vous rejoignez non sans mal un logement vétuste dans le XVIe arrondissement.
Mi-entrepôt mi-garage, très humide, et le premier hiver, il y a fait un froid épouvantable. Mon père, à 53 ans, avait beaucoup de mal à trouver un emploi et ma mère était dans une grande mélancolie. En voyant, l’an passé, les images des familles ukrainiennes qui partaient en Pologne, les souvenirs de ce premier hiver sont remontés. On était comme ces réfugiés. On était Français, mais on était comme des réfugiés.
Alors que vos parents découvrent le déclassement, vous découvrez, vous, l’antisémitisme.
J’ai un prénom rare pour l’époque : Benjamin. Au lycée on me demande : « Benjamin, c’est juif, non ? » Et moi de répondre : « Pas du tout. » Pas question pour moi de me distinguer ou de me faire repérer.
Vous cherchiez à vous intégrer à tout prix ?
J’avais un accent « pieds-noirs » très prononcé et je cherchais à passer inaperçu. Donc, se taire. Travailler. Être aussi bon élève que possible.
En février 1964, la famille va retrouver un peu d’oxygène et de statut social.
Au bout de deux ans, le ministère du Logement nous attribue un appartement HLM à Sartrouville : 100 m2, le chauffage central, une salle de bains. C’est l’émerveillement ! Même si c’était dans un endroit perdu au milieu des champs, il y avait encore une ferme avec des vaches.
De là débute vraiment votre intégration ?
À Sartrouville, il y a eu une sorte de bascule. Je commence à m’éloigner de mes parents, de la religion. À la place, il y a le foot, le vélo, les copains, la musique, la découverte de cette culture ouvrière, qui était alors très forte et qui faisait une vraie place à la fraternité. La plupart des entraîneurs étaient au Parti communiste qui dirigeait complètement la ville. Et l’acclimatation culturelle s’est aussi faite par les chansons : Johnny, Jean Ferrat, Charles Aznavour. Sartrouville, c’était tout cela…
Qu’est-ce qui a été le plus déterminant pour aider à votre intégration : le développement économique des Trente Glorieuses, l’école, le sport, les copains ?
Tout à la fois. Il y avait en effet différents canaux d’intégration, et je pouvais emprunter un peu à tous. Et n’oubliez pas Mai-1968. Ni la télé. Avec une seule chaîne à l’époque, c’était un puissant outil de socialisation puisqu’on regardait tous la seule chaîne disponible. Par ailleurs, on vivait dans une communauté assez enclavée, dans cette banlieue très lointaine, ce qui rapprochait forcément les résidents entre eux. Il y avait aussi cette école républicaine, sévère, avec des profs très autoritaires. C’était la France de l’époque, il fallait se concentrer sur les études et ça ne rigolait pas. Ce qui ne fut pas pour rien dans l’explosion de 1968 au sein de la jeunesse lycéenne.
Votre histoire a-t-elle été celle des 1,4 million de rapatriés de la fin 1962 ?
Il y a des traits communs à la plupart des déracinés d’Algérie : la dispersion, la solitude, la peur de ne pas retrouver un travail, un logement. Ce qui est singulier, c’est ma communauté de départ, les juifs de Constantine, très traditionnelle. J’ai découvert l’existence de juifs athées en arrivant à Paris.
En choisissant de nous raconter cette histoire aujourd’hui, soixante ans après les faits, est-ce que vous pensez qu’il y a une leçon à tirer pour l’intégration des migrants en France aujourd’hui ?
Oui, sans doute. Dans les discussions d’aujourd’hui, on entend souvent : « C’était mieux avant, c’était plus facile. » Bien sûr, il y avait l’expansion économique et aussi la force d’attraction culturelle française. Donc le monde de ces années 1960 était très différent d’aujourd’hui. Mais l’épreuve a quand même été très violente, notamment pour ceux qui, comme mes parents, avaient déjà construit leur vie. Pourtant, au bout du compte, la France a réussi à intégrer des populations très différentes les unes des autres. Cela a demandé du temps et des efforts à tous les niveaux, mais il n’est peut-être pas inutile de s’en souvenir.
Repères
1950. Naissance à Constantine.
1962. Rapatrié d’Algérie.
1978. Docteur en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
1991 Publie Histoire de l’Algérie coloniale (La Découverte), puis en 1995 Histoire de la guerre d’Algérie (La Découverte).
2021. Remet son rapport au Président de la République sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ».
2023. Parution de L’arrivée. De Constantine à Paris (1962-1972) (Tallandier).
Ouest-France Propos recueillis par Philippe BOISSONNAT.Publié le
Publié le 02 mai 2012 à 14h42, modifié le 15 mars 2023 à 14h32..Après la mort de son père le 3 mars 1957, torturé chez lui par des parachutistes, Mohamed Moulay, alors âgé de 12 ans, avait retrouvé et caché un poignard dont le fourreau était gravé au nom de Jean-Marie Le Pen.... Le poignard de Jean-Marie Le Pen LE MONDE. Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci. La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite. Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente. Pour toute demande d’autorisation, contactez [email protected]. En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».
S'il y a une personne qui ne pleurera pas sa disparition, c'est bien Jean-Marie Le Pen... "L'enfant au poignard", c'était lui. Mohamed Moulay est mort, samedi 28 avril, à Alger, d'une embolie pulmonaire. Il avait 67 ans. Son histoire parait dans Le Monde du samedi 4 mai 2002, à la veille du second tour de l'élection présidentielle. Jean-Marie Le Pen a évincé Lionel Jospin au premier tour et se retrouve en compétition avec Jacques Chirac. Si Mohamed Moulay a accepté de se confier au Monde, c'est parce que "la situation est grave, dit-il. Un homme qui a les mains pleines de sang prétend entrer à L'Elysée."
UN HOMME GRAND, FORT ET BLOND
Ni lui ni sa famille n'espèrent quoi que ce soit : "Nous n'attendons ni publicité ni argent. Je m'étais mis en retrait de la guerre d'Algérie depuis longtemps, mais nous sommes capables, nous aussi en Algérie, d'avoir un sursaut devant ce qui se passe en France", tient-il à préciser.
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Mohamed Moulay a perdu son père le 3 mars 1957. Dans la nuit, une patrouille d'une vingtaine de parachutistes conduite, selon les témoins, par un homme grand, fort et blond, que ses hommes appellent "mon lieutenant" et qui se révèlera plus tard être Jean-Marie Le Pen, fait irruption au domicile des Moulay, un petit palais de la Casbah d'Alger. Ahmed Moulay, le père, 42 ans, va être soumis à la "question" sous les yeux de ses six enfants et de sa jeune femme.
Supplice de l'eau, torture à l'électricité... Le calvaire va durer plusieurs heures. C'est l'ère de "la torture à domicile" mise en œuvre par l'armée française pendant la "bataille d'Alger". Ahmed Moulay refuse de donner les noms de son réseau du FLN. Il va en mourir.
PIÈCE À CONVICTION POUR PROCÈS PERDU
Quand Le Pen quitte le domicile des Moulay, à l'aube, laissant derrière lui un cadavre, il oublie sur place un poignard. L'un des jeunes fils du supplicié, Mohamed, 12 ans à l'époque, le trouve et le cache dans le placard du compteur électrique, "sans bien savoir pourquoi". Le lendemain et le surlendemain, Jean-Marie Le Pen et ses hommes reviennent et mettent la maison à sac pour retrouver le poignard. En vain. L'enfant se tait.
Devenu adulte, Mohamed Moulay gardera l'arme chez lui, pendant quarante ans. Le poignard arrivera en France, début 2003, dans la valise de l'envoyée spéciale du Monde à Alger. Il servira de pièce à conviction dans le procès que le leader du Front national a intenté au journal pour "diffamation".
Jean-Marie Le Pen perdra ce procès. Il perdra également son appel et verra son pourvoi en cassation rejeté. Le poignard se trouve toujours à Paris, dans le coffre-fort de l'avocat du Monde, Yves Baudelot. Il va repartir en Algérie d'un mois à l'autre pour rejoindre le musée des moudjahidine. C'était le vœu de Mohamed Moulay. Il s'agit d'un couteau des Jeunesses hitlériennes, fabriqué dans la Ruhr dans les années 1930. Sur le fourreau, on peut lire distinctement : J.M. Le Pen, 1er REP.
UNE IMMENSE AFFECTION POUR LA FRANCE
En dépit des circonstances de la mort de son père, qui l'avaient traumatisé à vie, Mohamed Moulay avait toujours gardé une immense affection pour la France, comme ses deux oncles, Ali et Rachid Bahriz, eux aussi affreusement torturés pendant la guerre d'Algérie. Au lendemain de cette fameuse nuit du 3 mars 1957, Mohamed Moulay avait arrêté l'école pour prendre le maquis jusqu'à l'indépendance de son pays, en 1962, ce qui allait faire de lui le plus jeune moudjahidine.
Une fois revenu à la vie civile, il était entré à la Sonelgaz, à Alger, mais ses activités de syndicaliste l'avaient emporté sur son emploi de cadre. Intègre, désintéressé et courageux, Mohamed Moulay avait une mémoire exceptionnelle, ce qui faisait de lui l'un des témoins les plus fiables de la guerre d'Algérie. Marié à une française d'origine algérienne, il a eu cinq enfants, aujourd'hui tous installés dans le sud de la France, comme leur mère.
Lui était resté à Alger, y compris après sa retraite de la Sonelgaz. " J'aime trop l'Algérie pour pouvoir la quitter ", disait-il en souriant, tout en ne cachant pas sa tristesse de voir ce qu'était devenu son pays, si loin de ses rêves de jeune combattant indépendantiste.
Par Florence Beaugé
Publié le 02 mai 2012 à 14h42, modifié le 15 mars 2023 à 14h32https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2012/05/02/mohamed-moulay-l-homme-au-poignard-de-le-pen-est-mort_1694213_3382.html.
La wilaya de Mascara a commémoré, mardi, le 66e anniversaire de la bataille de « Djebel Menaouer » qui a eu lieu dans la localité éponyme, par la mise en service de plusieurs projets de développement.
La cérémonie de commémoration de cet évènement historique, présidée par le wali, Amar Rouabhi en présence des autorités civiles et militaires et de membres de la famille révolutionnaire, a été marquée par l’entonnement de l’hymne national, la pose d’une gerbe de fleurs devant la stèle commémorative érigée au cimetière des martyrs sur le site de la bataille, ainsi que la récitation de la Fatiha à la mémoire de Chouhada.
Dans une allocution pour la circonstance, le représentant de la famille révolutionnaire de la wilaya, Behilil Abdelkader a mis l’accent sur « l’importance de commémorer cet évènement historique qui permet à la génération d’aujourd’hui de s’imprégner des sacrifices des Chouhada et moudjahidine ».
Les autorités de wilaya ont procédé, à l’occasion, à la mise en service d’une cantine scolaire à l’école primaire « Benzerram Abdelkader » sise dans la zone « Zerama » dans la commune d’El Bordj, de même que la mise en service d’un chauffage central à l’école primaire « Laroussi Mustapha » dans la commune de « Khalouia ».
Il a été procédé également à la mise en service d’une opération d’aménagement urbain à la rue « Abed Ahmed » de la ville d’El Bordj, dans le cadre du plan communal de développement (PCD) de l’année en cours, en plus du lancement de travaux de réhabilitation de la RN7 au douar « El Bouazid » dans la commune d’El Menaouer sur une distance de 1.700 mètres.
Cet évènement a été ponctué également par une visite des autorités de wilaya au domicile du moudjahid Oualef Benali, sis au groupement rural « Ouled Boualem » relevant de la commune d’El Menaouer.
La bataille de « Djebel Menouer » a eu lieu le 5 septembre 1957, lorsque l’armée d’occupation coloniale effectuait un grand ratissage mobilisant des milliers de soldats et des dizaines d’avions, de l’artillerie et de véhicules militaires pour assiéger des moudjahidine de l’Armée de libération nationale (ALN).
Dirigée par le commandant Si Redouane en 1957 à Djebel Menouer comptant un petit nombre de combattants dotés d’armes modestes, selon la direction des moudjahidine et ayants droits, cette bataille héroïque a enregistré la mort de 69 moudjahidine aux champs d’honneur de même que 10 habitants de la région, ainsi que 23 blessés dont le commandant Si Redouane, qui décéda plus tard en martyr dans la wilaya de Relizane.
En revanche, les forces de l’armée coloniale française ont subi de lourdes pertes (650 soldats tués et un grand nombre de blessés, en plus de 6 avions abattus et 17 autres endommagés).
Le 18 octobre 1980, cité de la Busserine, dans le nord de Marseille, Lahouari Ben Mohamed, dit « Houari », 17 ans, est tué par un CRS à l’issue d’un simple contrôle routier. Son petit frère Hassan, devenu policier, a enquêté sur sa mort. « L’Obs » l’a rencontré.
A la mort de « Houari », Hassan Ben Mohamed n’avait que 4 ans. « J’ai grandi en ne sachant pratiquement rien de l’histoire de mon frère », raconte-t-il, mi-juillet, au premier étage du centre social des Flamants, dans le nord de Marseille. Pour préserver leur petit dernier, ses parents, qui ont sept autres enfants, l’avaient envoyé quelque temps chez une tante à Nice. A son retour, personne ne lui parle de Lahouari. Jamais. Trop douloureux. Hassan sait seulement que son frère a été tué par un CRS. « Comment et pourquoi, je l’ignorais », précise cet homme de 46 ans, devenu lui-même, vingt ans après le drame, policier.
Une histoire singulière, personnelleet nationale, qu’est venue raviver la mort de Nahel, fin juin, tué par un policier lors d’un contrôle routier après un refus d’obtempérer à Nanterre. « Je me suis dit : “Mais c’est pas vrai, ça se répète !” s’exclame, à ses côtés, Mourad Bekkis, travailleur social et ami d’Hassan. Je me suis revu, du haut de mes 10 ans, sauter du bus et courir vers les Flamants. »
Ce dimanche 19 octobre 1980, c’est la fête de l’Aïd el-Kébir. Mais dans le quartier, tout le monde pleure. « C’était la première fois que je voyais cela, raconte cet homme de 52 ans, avec une émotion intacte. Comme s’il pleuvait des larmes. Pas un habitant ne pleurait pas, même mon grand-père, que je n’avais jamais vu pleurer. Ça m’a marqué à vie. »
La veille au soir, à la Busserine, au pied d’une des tours claires construites une dizaine d’années plus tôt pour accueillir près de 900 logements sociaux, Lahouari Ben Mohamed, 17 ans, dit « Houari », a été tué par un policier, au pistolet-mitrailleur, lors d’un banal contrôle routier.
L’abyssale douleur d’un quartier toujours traumatisé
A l’époque, entre son jeune âge et le silence de sa famille, Hassan ne prend pas la mesure du retentissement de ce drame. La mort de son frère sera un élément déclencheur de la Marche pour l’Egalité et contre le Racisme qui reliera trois ans plus tard Marseille à Paris. Adolescent, dans un livre d’école, il tombe sur la photo d’une personne brandissant le portrait de son frère lors d’une manifestation. Il se tait mais garde précieusement cette unique photo du disparu. Ce n’est qu’en 2010, lorsqu’un journaliste contacte sa famille, qu’il décide d’enquêter.
« Il en savait bien plus que moi sur l’histoire de mon propre frère », dit Hassan Ben Mohamed, qui en tirera un livre, « la Gâchette facile » (en collaboration avec Majid el Jarroudi, éd. Max Milo, octobre 2015).
Il contacte policiers, témoins et habitants, fouille dans les archives… Quatre ans de recherches qui le plongent dans l’abyssale douleur de ses proches et d’un quartier toujours traumatisé. Certains sont intarissables, d’autres ne peuvent en parler sans s’effondrer.
Deux policiers de la CRS 53, présents ce soir-là aux côtés de celui qui a tué Houari, acceptent de le rencontrer. « Trente-cinq ans après, il n’y avait aucune contradiction dans les déclarations des uns et des autres », souligne le Marseillais, qui parvient à reconstituer cette soirée où tout a basculé.
Samedi 18 octobre 1980. Après le dîner, Lahouari descend faire un tour. « Tu rentres avant 22 heures », lui lance sa mère, Fatma. En bas, il croise Zahir, le frère de son copain Djamel. Zahir a 19 ans, le permis et une Renault 12 rouge quasi neuve. Il embarque Houari et Djamel à l’arrière, son ami Cherif à l’avant. La nuit tombe. L’autoradio diffuse « Upside Down », le tube de Diana Ross.
Vers 21 heures, quatre CRS en mission de sécurisation en cette veille de l’Aïd les arrêtent. Vérifications des papiers du véhicule et du conducteur. Armé d’un pistolet-mitrailleur MAT 49, un CRS de 23 ans, plus nerveux que les autres, lance : « Attention les jeunes, je ne sais pas si c’est le froid, mais ce soir j’ai la gâchette facile ! »
Agité, il va jusqu’à fouiller la boîte à gants avec le canon de son arme. Puis Lahouari, qui n’a sur lui qu’un paquet de cartes à jouer. Tout est en règle. Zahir peut repartir. Mais, alors que les autres CRS s’éloignent, celui qui tient le pistolet-mitrailleur ouvre le feu sur Lahouari, toujours assis à l’arrière, et le tue de deux balles dans la tête, à bout portant.
« La France nous a trahis ! »
Le lendemain, le maire de Marseille, Gaston Defferre, sonne chez les Ben Mohamed. « Il nous avait promis que ce crime ne resterait pas impuni », expliquera plus tard Farida Ben Mohamed à son petit frère Hassan.
Inculpé pour « homicide involontaire » et placé sous mandat de dépôt, le CRS, révoqué de la police peu après, est d’abord jugé en mai 1983 devant le tribunal correctionnel de Marseille. Il varie dans ses déclarations, dit d’abord s’être senti en danger, puis assure que « le coup est parti tout seul ».
Il ne convainc pas la présidente, qui déclare son tribunal incompétent à juger « des tirs manifestement délibérés ». Direction les assises pour un « homicide volontaire ». Une victoire pour les Ben Mohamed et leur avocat marseillais, Gilbert Collard. Quatre ans plus tard, le 23 septembre 1987, le procès de l’ancien CRS, en liberté provisoire depuis six ans et demi, s’ouvre à Aix-en-Provence. La défense plaide l’accident.
L’avocat général aussi. « Malgré son rôle d’accusateur public, malgré les faits, malgré l’expertise psychiatrique, malgré les dépositions accablantes des collègues de Taillefer [le policier, NDLR], malgré les aveux même du criminel, [André Viangalli] défend la thèse de l’accident ! » écrit la journaliste Chantal de Rudder dans les colonnes du « Nouvel Observateur ». Selon lui, le CRS n’a pas voulu tirer.
Quand il requiert deux ans de prison, la mère de Houari et une de ses sœurs quittent l’audience en larmes. Dans la soirée, le verdict tombe : dix mois de prison dont quatre avec sursis. « La France nous a trahis ! » hurle la mère de Houari à la sortie. Impossible alors de faire appel d’un verdict de cour d’assises. C’est l’indignation.
« On a peur de comprendre qu’à Aix il était socialement difficile de condamner un policier français pour la mort d’un jeune Arabe », écrit dans « Libération » Laurent Joffrin, pour lequel « cette décision de justice est une parfaite injustice ».
Pour les Ben Mohamed, c’est la double peine. « Ma mère a toujours dit que mon frère était mort deux fois : le soir du contrôle et le soir du verdict », raconte Hassan, qui apprend bien plus tard que le policier, en sus, a été amnistié.
En 1986, Malik Oussekine
Agée de 87 ans, Fatma Ben Mohamed vit toujours aux Flamants. Dès le lendemain de la mort de Houari, elle était sur la Canebière avec d’autres mères. En 1987, elle se rend à Paris avec son mari pour dénoncer le matraquage à mort du jeune Malik Oussekine un an plus tôt par deux « voltigeurs » de la préfecture de police.
« On pouvait se permettre, à l’époque, de tuer un Arabe en toute impunité, lâche Hassan. Mon frère s’inscrit malheureusement dans cette partie de l’histoire de la France. » Mais il est convaincu que la société a évolué.
« La même affaire serait traitée différemment aujourd’hui, j’y crois, assure-t-il. Et, même si les faits ne sont pas exactement les mêmes dans le cas du jeune Nahel, alors que le policier était mis en examen pour “homicide volontaire”, le ministre de l’Intérieur et le président ont assez rapidement marqué leur détachement. »
« J’ai grandi en pensant que les policiers étaient tous des racistes et qu’il ne fallait surtout pas que je m’en approche », poursuit-il. Il a ensuite changé d’avis : à la fin des années 1990, Hassan Ben Mohamed, d’abord chauffeur routier, est devenu policier (il est actuellement en disponibilité).
Arrivé d’Algérie en 1965, son père, Ahmed, ouvrier, voulait qu’il fasse son service militaire. Alors à sa mort, en 1998, Hassan s’y décide. C’est là qu’on lui parle des postes d’adjoint de sécurité (aujourd’hui appelés « policiers adjoints »).
« Devenir policier, je m’y suis d’abord refusé. Puis je me suis dit : “Pourquoi pas ? Peut-être que je peux faire changer un peu les mentalités.” Si, dans une patrouille, un policier n’est pas blanc, cela se passera sans doute différemment. Au pire, je prendrai la place d’un raciste. »
Reste à obtenir l’assentiment de sa mère, qui accuse le coup. « Elle en a parlé avec mes frères puis m’a dit : “Si tu veux, mais pas CRS.” » Ce sera le commissariat de la cité Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement de Marseille, puis la BAC (brigade anti-criminalité) à Paris, avant un retour en commissariat, toujours dans la capitale, où il vit.
Longtemps, le policier Ben Mohamed ne révèle pas qui il est. Il tente une fois, quand il croise un ancien de la CRS 53 : « Ça l’a scotché, on n’en a plus parlé. » Quand il publie son livre, en 2015, il informe sa supérieure, qui, elle non plus, n’en revient pas. « Elle m’a lancé : “Et vous finissez dans la police ?” »
La rencontre avec l’ancien policier
Hassan Ben Mohamed décrit à ses proches, surpris, l’esprit de camaraderie et la solidarité des policiers, si semblables aux valeurs du quartier. « Finalement, de quoi est mort Lahouari ? conclut-il dans son livre. Du climat raciste de l’époque ? De l’héritage de la guerre d’Algérie et de la décolonisation ? De l’incompétence et de la haine d’un CRS 53 ? De la malchance ? » Lui n’a jamais utilisé son arme.
« Ouvrir le feu est la hantise de tout policier, on n’a qu’une fraction de seconde pour décider. »
Soumis à son devoir de réserve, il ne s’étend pas davantage sur son métier. Son enquête ne l’a pas laissé indemne, mais l’a « allégé d’un poids ».
Comment toutefois tourner la page sans contacter le CRS qui a tué son frère ? « Pour moi, il était le diable », dit Hassan, qui se décide finalement à l’appeler. L’ancien policier accepte immédiatement de le rencontrer. Un moment compliqué. D’emblée, l’homme refuse d’évoquer les faits, insiste sur le « cauchemar » que fut cette affaire pour sa famille et lui, se défend de tout acte raciste.
L’ancien CRS blêmit quand Hassan lui apprend ce que sa mère vient alors de lui avouer : le lendemain de la mort de Houari, deux inconnus se sont présentés chez ses parents. « Ils ont dit à mon père qu’ils avaient des contacts aux Baumettes et que, s’il le voulait, le CRS était mort. » « La justice fera son travail », leur répond Ahmed Ben Mohamed en refusant. « Je voulais qu’il sache que s’il était toujours vivant, c’était grâce à mon père. »
Après la mort de Nahel, un supermarché Aldi tout près des Flamants a été pillé puis incendié, un car et des Abribus ont été détruits. « A l’époque, je m’attendais à des émeutes, les politiques craignaient le pire, reprend Mourad Bekkis, l’ami d’Hassan. Mais pas du tout. Plusieurs amis de Houari avaient même eu cette réaction géniale de répondre par le théâtre, avec la pièce “Ya oulidi”, “Mon fils” en arabe, qu’ils avaient créée à l’ancien centre social des Flamants et jouée en mars 1981 au Théâtre du Merlan devant une salle comble. »
Trente ans plus tard, ceux qui y avaient participé l’ont rejouée, continuant ainsi à faire vivre la mémoire de Houari et du quartier. Son frère Hassan y veille particulièrement. Avec diverses actions puis l’association Flamants Rise, qu’il a ensuite créée, il organise notamment des rencontres avec des policiers.
« Les petits adorent », assure Hassan en montrant sur son téléphone des photos d’enfants essayant des casques. Elles ont lieu à côté de l’ancien stade de foot, détruit lors du projet de réhabilitation du quartier, et qui portait le nom de Houari. La plaque a été sauvée in extremis des débris. Hassan en a vite revissé une autre :
« A la mémoire de Lahouari Ben Mohamed, décédé le 18 octobre 1980. “Plus jamais ça !” »
Hassan aimerait que la rue qui passe devant prenne le nom de son frère. Et qu’on cesse, comme après la mort de Nahel, d’« opposer systématiquement deux camps » : « Peut-être pourrait-on proposer à des acteurs sociaux de patrouiller avec des policiers, dans certaines conditions, pour qu’ils comprennent mieux leurs problématiques, et vice versa ? » avance-t-il.
Il pense souvent à ce qu’ont enduré ses parents. Quand il s’est plongé dans le dossier judiciaire de son frère, y découvrir pour la première fois sa carte d’identité l’a bouleversé. Au lendemain de sa mort, leur père l’avait portée en main propre à l’hôtel de police : « Il leur avait dit : “Vous la vouliez, je crois.” Et la leur avait donnée. »
Attention, ce soir j’ai la gâchette facile ! » : en 1980, Lahouari, 17 ans, mourait tué par un policier
ARCHIVE. Dans cet article paru dans « le Nouvel Observateur » en 1987 et intitulé « Bavure : un meurtre sans assassin », le magazine revenait sur la mort, sept ans plus tôt, du jeune Lahouari Ben Mohamed, tué par un CRS, Jean-Paul Taillefer, lors d’un contrôle routier. La famille s’est battue pendant sept ans et attendait beaucoup de ce procès. Verdict : dix mois de prison dont quatre avec sursis, et une loi d’amnistie qui permettra au meurtrier de ressortir libre.
Devant les caméras avides, après l’énoncé du verdict de la cour d’assises d’Aix-en-Provence, elle a poussé un cri immense comme un appel au secours : « La France nous a trahis ! » Le 24 septembre, sept ans après l’assassinat de son fils Houari par un CRS excité [Jean-Paul Taillefer, NDLR], la justice refusait à Fatma Ben Mohamed l’apaisement qu’elle attendait avec une irréprochable patience. Sept ans d’un deuil impossible qu’une sentence inique rend impossible à jamais. Quelle mère au monde pourrait s’y résigner ?
Au cours d’un contrôle injustifié dans une cité marseillaise, Jean-Paul Taillefer éclate la tête de Houari d’une rafale de PM [pistolet-mitrailleur, NDLR] à bout portant. Parce qu’il était contrarié. Qu’il avait peur. Qu’il était nerveux. Qu’il possédait un flingue. Le véhicule dans lequel le jeune Ben Mohamed était assis venait pourtant de recevoir la permission de repartir. « Attention ! avait ricané l’homme à l’uniforme. Ce soir, j’ai la gâchette facile. » Le juge d’instruction concluait à un homicide involontaire par maladresse, imprudence et inobservation des règlements.
Un crétin, président d’une quelconque commission de sécurité, enfonçait le clou : « De toute façon, tout ça, c’est de la graine de voyou. » Aucun service de police n’avait jamais entendu parler d’aucun membre de la famille Ben Mohamed. Mais qu’importe ! Le meurtrier sortait de détention provisoire au bout de trois mois et l’affaire était portée au tribunal correctionnel entre une histoire d’assurances et un vol de Mobylette.
Pour les Ben Mohamed commencent alors sept ans de bataille. Leurs seules armes : le respect de la loi et la dignité. Leur seul appui : la cité des Flamants (un de ces ghettos marseillais des quartiers nord qui chatouillent la parano des « braves gens ») qui les porte à bout de bras. Ils réussissent à obtenir des magistrats du tribunal correctionnel qu’ils se déclarent incompétents pour juger Taillefer. Puis la cour d’appel d’Aix et la Cour de Cassation en font autant. Qu’un flic assassin soit traduit devant la cour d’assises pour le meurtre d’un Arabe – ce qu’on appelle ordinairement une bavure – dans cette région de France, ce n’est plus une évidence. C’est devenu une victoire de la démocratie !
« La vie de mon fils vaut moins que celle d’un chien »
Mais dans le prétoire l’avocat général décide qu’il faut tempérer cet égalitarisme qui ne correspond pas à la réalité sociale locale. Et malgré son rôle d’accusateur public, malgré les faits, malgré l’expertise psychiatrique, malgré les dépositions accablantes des collègues de Taillefer, malgré les aveux mêmes du criminel, il défend la thèse de l’accident ! Le jury accorde carrément les circonstances atténuantes : dix mois de prison dont quatre avec sursis pour Jean-Paul Taillefer, qui, bénéficiant d’une loi d’amnistie, est désormais entièrement libre de ses mouvements. « Maintenant, s’indigne Me Pons de Poli, représentante de la Ligue des Droits de l’Homme, nous savons qu’il y a deux catégories de Français : ceux qui sont protégés par le pouvoir et ceux qui ont le teint basané. »
Dans son HLM des Flamants, Fatma Ben Mohamed ne crie plus. Ne pleure plus. Son beau visage est immobile. Sa voix reste feutrée. Mais ses tempes et sa gorge battent la chamade : « Ce n’était pas un voyou… Il avait 17 ans… Je leur faisais confiance… Mais ils me l’ont tué une seconde fois… » Inlassablement, elle répète l’intolérable irruption du malheur. Dans la maison impeccablement tenue, les petits-enfants que les frères et sœurs de Houari lui ont donnés écoutent silencieusement leur grand-mère. Des voisins viennent l’assurer de leur sympathie. Des journalistes entrent et sortent. Le téléphone sonne sans arrêt. Mais inlassablement, Fatma répète à qui lui demande l’intolérable déni de justice :
« La vie de mon fils vaut moins que celle d’un chien… J’ai peur pour tous les jeunes qui ont la figure d’un Maghrébin… C’est pour ça que je ne me tairai jamais… Raconter le mal, la folie… »
Samedi dernier, Fatma la discrète, qui ne sortait d’ordinaire que pour aller faire ses courses, se place en tête de la manifestation qui arpente les trottoirs de la Canebière. Sans une larme, refusant les bras qui s’offrent pour la soutenir, elle marche pour l’exemple. Et elle exhibe son désespoir terrible et silencieux comme celui des mères de la place de Mai sur le bitume argentin. Sur sa robe, elle a accroché une cible.
Le combat par les voies légales
Pendant ce temps, les jeunes des quartiers nord distribuent des tracts et font signer des pétitions pour obtenir une révision du procès. Tant pis si Gilbert Collard, l’avocat des Ben Mohamed [élu député européen en 2019 après avoir rejoint le Front national en 2017, et avant de rejoindre Eric Zemmour en 2022], leur répète depuis plusieurs jours qu’elle est légalement impossible. Vox populi, vox Dei. Ils ne veulent pas l’accepter. « Il faut continuer, s’exclame naïvement Messaoud, 21 ans et l’accent de Pagnol. Il se peut que la justice se rattrape… Ça m’angoisse, ce mort qui n’a pas droit à un assassin. Dire que personne n’a tué Houari, c’est comme dire que tout le monde était d’accord pour qu’il meure ! C’est l’intégration des beurs qu’on assassine. »
Aidés par SOS-Racisme et Me Collard, les jeunes préparent un livre noir de l’instruction. « Pour démonter mécanisme par mécanisme tous les rouages de ce simulacre de justice. » Pas une soirée sans réunion dans le centre social des Flamants : « Faut empêcher l’oubli », décrète Djamel. De nombreuses associations ont rejoint le comité de soutien à la famille Ben Mohamed. Drifa, 30 ans, la sœur de Houari, relève la tête à nouveau après le choc du verdict : « Je renvoyais tout le monde dos à dos. Et puis, j’ai lu la presse. Les journalistes n’avaient pas le droit de critiquer une décision de justice. Et pourtant, ils l’ont fait ! Même “le Quotidien de Paris”… » Drifa ne renonce pas à la démocratie : « Je suis bien placée pour savoir que la violence est la pire des solutions. » Et le combat continue par les voies légales…
Le 18 octobre, septième anniversaire de la mort de Houari, Me Gilbert Collard déposera une plainte contre l’Etat français au nom de la famille Ben Mohamed. « L’Etat, déclare le jeune avocat, doit assumer sa part de responsabilité dans la manière dont il forme ses fonctionnaires. C’est pourquoi nous engageons une action en responsabilité civile contre lui. »
Même si l’on accepte la thèse du « regrettable accident » défendue par le parquet, le ministère de l’Intérieur devra quand même répondre de ses critères de recrutement. Qui a-t-il engagé pour veiller sur notre sécurité ? A qui a-t-il confié le privilège exorbitant de porter un fusil-mitrailleur et de représenter l’autorité ? A « un grand émotif et un grand immature… incapable de maîtriser son agressivité dans une situation délicate… qui n’aurait jamais dû être CRS ». Telles sont les conclusions présentées par l’expert-psychiatre au cours du procès d’Aix. Comment s’est défendu Jean-Paul Taillefer ? En imputant la cause du drame à son inexpérience : « Je n’avais tiré que deux fois avec ce type d’arme au cours de mon stage chez les CRS. », affirmait-il pendant l’audience. Incompétent et incapable. Combien de Taillefer la police compte-t-elle encore dans ses rangs ?
Les éditions Tafat, à leur tête le jeune écrivain Tarik Djerroud, ne cessent d’enrichir la scène éditoriale algérienne par des livres très intéressants qui prospectent l’actualité ainsi que l’histoire contemporaine de notre pays.
Au mois de juillet dernier, un opus intitulé « Sartre et l’Algérie » de l’auteur Kamal Guerroua vient de voir le jour. C’est un travail d’orfèvre jusque-là inédit en Algérie. Le défi est immense : revenir sur l’épopée du philosophe existentialiste et de son rapport engagé avec l’Algérie d’alors en révolution contre l’une des grandes puissances coloniales du XXe siècle.
L’essayiste Salah Guemriche qui a préfacé l’ouvrage signale en incipit que l’essai de Kamal Guerroua est unique en son genre et qu’il réalise un focus particulier sur l’engagement anticolonial de l’auteur de L’Être et le Néant. L’arrivée de ce nouveau-né sur le marché du livre est, sans doute, une aubaine pour l’immersion de la nouvelle génération et du public intéressé dans les convulsions de la IVe et de la Ve République, en guerre contre les Indigènes-la qualification des Algériens à l’époque, révoltés. Par-delà cette dimension-là, c’est une sorte d’hommage amplement mérité au philosophe germanopratin.
Dans l’introduction, Kamal Guerroua met longuement l’accent sur l’apport de Sartre à l’Algérie combattante et l’oubli dont il est victime, que ce soit en France ou en Algérie. « Il n’est nullement, précise-t-il en page 17, dans mon intention de porter Sartre au pinacle ni de mythifier son combat philosophique, médiatique ou politique engagé, mais seulement de lui rendre justice ».
Rendre justice à Sartre, c’est, paraît-il, le but avoué de l’écrivain-journaliste. Jean-Paul Sartre demeure, pour lui, une personnalité très peu connue par les Algériens et cela pose problème, toujours d’après lui, à la connaissance de notre mémoire collective.
Tout au long des quatorze chapitres de cet essai de 240 pages, du reste bien denses et référencées, K. Guerroua revient sur les principales escales du parcours sartrien : le Congrès de la salle Wagram en 1956, le Manifeste des 121, Francis Jeanson et les Porteurs de valises, la question de la torture notamment avec les affaires Audin et Alleg, les manifestations du 17 octobre 1961 et le rôle éminemment important qu’avait joué Sartre dans la prise de conscience des Français du gouffre dans lequel les a mené la politique va-t-en-guerre socialiste, puis gaulliste, etc.
En ce sens, la vie du philosophe est piochée avec soin et parfois dans le moindre des détails. On sent, au fil de la lecture, comme une sorte de fusion dans la narration, dans la mesure où, dans certains chapitres où il y a comparaison entre Sartre et bien d’autres intellectuels de la IVe et de la Ve République, à l’image de Camus, Raymond Aron, André Malraux, et tant d’autres, Guerroua met en relief de façon particulière l’influence de la pensée de Sartre : existentialisme, approche sur la violence révolutionnaire, la praxis marxiste, etc.
Et puis, tout un chapitre est réservé à Frantz Fanon, sur le mode comparatif avec le philosophe existentialiste. Logique qui, en parallèle, creuse, mais d’une autre manière, toute la différence entre la pensée sartrienne et camusienne, bien discutée auparavant. Sartre qui fut, pour rappel, un indépendantiste convaincu a privilégié l’usage de la contre-violence révolutionnaire du FLN à l’encontre de la violence des Colons.
« Le déni en demi-teinte de Camus du fait colonial, sinon son refus d’engagement avait donné, dixit K. Guerroua en page 100, à la gauche, en général, et à Sartre en particulier, un avant-goût d’ersatz de la trahison des idéaux républicains de la France de la résistance sous le régime du Vichy ». Ce qui lui a coûté l’adversité du milieu intellectuel parisien et du gouvernement français. Si, au cri de « fusillez Sartre » prononcé par les Colons, de Gaulle a opposé en 1961 : « on ne tue pas Voltaire », il n’en demeure pas moins que l’aversion de l’élite hexagonale du philosophe était autrement très forte et elle est due, en grande partie, à son soutien à l’Algérie.
Toutefois, ce qui étonne l’auteur Kamal Guerroua, c’est l’oubli algérien. Un oubli incompréhensible, ambigu, ingrat! « Mais osons quelques questions, finit ce dernier dans sa conclusion en page 192, sur notre oubli, nos oublis, nos ingratitudes à l’égard de notre mémoire collective. Parlons-en entre Algériens, en toute honnêteté, avec sérénité! La première des questions que je me pose, à moi-même, et que je voudrais poser aux miens : pourquoi a-t-on oublié Sartre? »
Dans la foulée, l’auteur cite le problème palestinien dans lequel la position de Sartre était un peu ambigüe. Ce qui aurait pu susciter peut-être, à l’en croire, tout le ressentiment officiel de l’Algérie indépendante qu’on connaît à l’égard de tout ce qui est en rapport avec Jean-Paul Sartre.
En revanche, en remontant le fil des événements, Kamal Guerroua a comme éclairé, avec des références appuyées, sur la cohérence de la pensée sartrienne sur beaucoup de sujets, dont la résistance palestinienne soutenue aussi avec force par le philosophe. Ainsi incite-t-il les Algériens à redécouvrir cette icône mondiale pour qui l’anticolonialisme n’est, en fin de compte qu’un humanisme, en proposant de baptiser en son nom écoles, jardins, métros et théâtres, rues et boulevards, etc. En gros, Sartre et l’Algérie est une mine d’or à ne pas rater, décidément…
Pour les militants de l’Algérie française, Charles de Gaulle est un traître. Ils ne lui pardonnent pas les accords d’Evian de mars 1962. En France, des activistes s’organisent : le 22 août, ils abattront le Général.
Mai 1958. Face au désengagement de plus en plus évident du gouvernement français, les partisans de l’Algérie française en appellent à l’insurrection. Dans un discours prononcé à Alger le 4 juin 1958, Charles de Gaulle – promu président du Conseil des ministres quelques jours plus tôt – tonne son célèbre "Je vous ai compris" et apaise pour un temps la colère. Mais en septembre 1959, dans une allocution télévisée, il se prononce en faveur de l’autodétermination. Les Français d’Algérie se sentent trahis. Les insurrections de la "semaine des barricades", fin janvier 1960, et la tentative de putsch fomentée en avril 1961 par le "quarteron" de généraux Salan, Jouhaud, Zeller et Challe n’y changeront rien, ils ont perdu la bataille : le 18 mars 1962, à la suite des accords d’Evian, l’Algérie obtient son indépendance. Dans les semaines qui suivent, les supplétifs musulmans de l’armée française, les harkis, sont massacrés par le FLN et la population.
Pour l’ingénieur de l’armement Jean Bastien-Thiry, ces tueries ont un seul responsable, Charles de Gaulle. Il en est convaincu : l’éliminer est le seul moyen de les venger. "Mon père n’a jamais fait partie de l’OAS ni fait de politique, plaide sa fille ainée Hélène Bastien-Thiry. Il était révolté face à ce qu’il considérait comme un abandon envers ceux qui nous avaient fait confiance, c’était une question d’honneur pour lui". L’attentat du Petit-Clamart, que son chef a baptisé "opération Charlotte Corday", constitue la 17e tentative pour tuer le chef de l’Etat.
Mars 1962 : un plan sans accroc
Surtout ne pas reproduire les erreurs de l’attentat de Pont-sur-Seine dans l’Aube. Dans son bureau du ministère de l’Air à Paris, l’ingénieur en chef de deuxième classe (équivalent au grade de lieutenant-colonel) Jean Bastien-Thiry échafaude un nouveau plan d’assassinat du chef de l’Etat. La dernière fois, le 8 septembre 1961, la DS Citroën présidentielle qui, depuis l’Élysée, rejoignait la résidence secondaire du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises en Haute Marne, était passée au travers de l’explosion. A peine déportée de l’autre côté de la chaussée par la déflagration, elle avait réussi à poursuivre son chemin. La charge de 40 kilos de plastic, dissimulée sous un tas de sable par l’équipe de Germain, le pseudonyme de Bastien-Thiry, avait été en partie neutralisée par l’humidité du sol. L’organisation du prochain attentat devra être millimétrée. Il lui faut une nouvelle équipe, plus nombreuse, compétente et bien armée. Le mode opératoire va changer lui aussi, décide le polytechnicien. Plus question de bombe cette fois-ci, il s’agira d’arrêter la voiture du général et de le descendre. Propre et sans bavures.
Juillet 1962 : une équipe de pros, des moyens limités
La seule donnée tangible entre les mains des complotistes est l'invariable départ de De Gaulle en week-end à Colombey-les-Deux-Eglises. Depuis l’Elysée, le convoi présidentiel, composé de deux DS noires encadrées par deux motards, emprunte alternativement deux itinéraires. Pour rejoindre l’aéroport de Villacoublay d’où le général s’envole vers Saint-Dizier, le premier passe par le pont de Sèvres, Meudon et la RN 18. Le second trajet part de la porte de Châtillon et rejoint Clamart par la RN 306. Pour le reste, c’est aléatoire. Il faudra se débrouiller avec des guetteurs et les communications téléphoniques incertaines depuis des cabines et des cafés.
Des cinq membres de l’équipe de Pont-sur-Seine, le seul assez habile pour rejoindre le nouveau commando est Armand Belvisi. Depuis ce ratage, il a eu le temps de participer à deux autres "tentatives d’approches" du général, en avril puis en mai 1962. Des échecs à chaque fois. Mais le garagiste pied-noir, qui dans un premier temps avait réussi à échapper à la police, a finalement été arrêté dans sa planque de la rue de Sontay à Paris le 30 mai. Jean Bastien-Thiry réussit malgré tout à constituer un commando expérimenté, et plus nombreux que la fois précédente, seize membres au total. Il recrute comme adjoint un membre de l’OAS, Alain Bougrenet de la Tocnaye, lieutenant d’artillerie en Algérie. Il s’entoure également de proches de Belvisi : l’ingénieur Georges Watin, l’ex-sous-officier Serge Bernier, le sous-lieutenant de réserve Louis de Condé, ainsi que de trois Hongrois, le pilote Lajos Marton, Lazlo Varga et le légionnaire Gyula Sari. En revanche, le commando pèche côté matériel. Mis à part deux pistolets mitrailleurs modernes volés dans un dépôt de l’armée française, le reste de l’armement date de la Deuxième Guerre mondiale. Pas de véhicules rapides non plus. Ils se contenteront d’une Citroën DS 19, d’une Peugeot 403 et d’une fourgonnette Renault.
22 aout 1962 : opération Charlotte Corday
Il est 19h45 quand, depuis un café proche de l’Elysée, un guetteur prévient Bastien-Thiry. Le général vient de quitter le palais. Il empruntera le deuxième parcours, assure la sentinelle. Le chef du commando alerte aussitôt l’équipe logée à Meudon dans l’appartement de Monique Bertin, la sœur de l’un des factieux. L’ "opération Charlotte Corday" démarre. Le groupe se scinde en trois et fonce en direction du rond-point du Petit-Clamart, à environ 5 kilomètres de là : le convoi n’a que quelques minutes pour se mettre en position. "L’ambiance était guerrière et électrique dans l’estafette, chacun à sa place, armes prêtes à faire feu, se souvient Lajos Marton, un des derniers survivants du commando avec Louis de Condé. Nous sentions que l’attente de six mois touchait à sa fin". Sur la RN 306 où sont postées les voitures, les minutes s’égrènent et le jour commence à tomber. A 20h10, pensant que le convoi ne viendra plus, Lazlo Varga, le chauffeur de la camionnette, sort uriner… lorsqu’il aperçoit DS et motos arriver à vive allure. Le Hongrois hurle "Itt vannak, Itt vannak" (Ils sont là). Bastien-Thiry, posté sur le trottoir à l’avant du dispositif, fait le signal convenu, il lève son journal, mais dans la pénombre son geste est perçu trop tard. Le convoi déboule si vite que le tireur Jacques Bertin est pris de court dans la première voiture, la 403. A bord de l’estafette, qui n’a pas eu le temps de bloquer le convoi comme prévu, le PM Thompson de Marton s’enraye. A ses côtés, Varga réussit à vider le chargeur de son pistolet PPK, mais sans atteindre ses cibles. Les tirs de Jacques Prevost et de Georges Watin depuis le dernier véhicule, la DS 19, manquent aussi leur but. L’attentat du Petit-Clamart a duré moins d’une minute. Sur les 187 balles tirées par le commando, seuls quatorze impacts seront retrouvés sur les voitures présidentielles. Le général est sain et sauf et les poulets en gelée de chez Fauchon, qui se trouvaient dans le coffre, n’ont pas été touchés non plus à la grande satisfaction d’Yvonne de Gaulle.
7 mois plus tard : Bastien-Thiry, le dernier fusillé
Quand Bastien-Thiry revient d’un salon aéronautique en Angleterre, en septembre, l’un des complotistes, Pierre Magade, arrêté lors d’un contrôle routier dans l’Isère, est passé aux aveux. "Ma grand-mère Geneviève a eu juste le temps de faire disparaître des documents dans les toilettes avant que les gendarmes ne viennent arrêter mon grand-père à son domicile de Bourg-la-Reine, explique Benoit Gauthier, le petit-fils de Bastien-Thiry. Il n’a opposé aucune résistance comme s’il avait à cœur d’expliquer son geste devant un tribunal aux yeux de la France entière". Tous les membres du commando sont condamnés mais seul Bastien-Thiry est exécuté. Le 11 mars 1963, il est fusillé au fort d’Ivry. Il fut le dernier mort de l’Algérie française.
Qui sont ces criminels ?
Jean Bastien-Thiry : le cerveau (1927-1963)
Brillant ingénieur de l’armement, ce catholique pratiquant est issu d’une longue lignée de militaires lorrains. Lors de son procès en février 1963, pour justifier son acte, Bastien-Thiry a comparé cet attentat à celui mené contre Adolph Hitler le 20 juillet 1944 par les conjurés de l’opération Walkyrie. Il est exécuté le 11 mars 1963.
Alain Bougrenet de la Tocnaye : le chef opérationnel (1926-2009)
Lieutenant d’artillerie en Algérie, il s’oppose à la politique d’auto-détermination souhaitée par le général de Gaulle. Maurassien et membre de l’OAS, pour lui, le chef de l’état est un crypto-communiste ! Adjoint de Bastien-Thiry dans l’attentat, La Tocnaye sera comme lui condamné à mort, avant de voir sa peine commuée en détention à perpétuité et d’être libéré en 1968.
Georges Watin : la boiteuse (1923-1994)
L’ingénieur agricole de la plaine de la Mitidja, en Algérie, qui doit son surnom à sa claudication, est un militant de la première heure. Également condamné à mort par coutumace pour sa participation à l’attentat, il s’enfuit en Suisse puis au Paraguay où il terminera sa vie.
Lajos Marton : le tireur (1931- )
Officier de l’armée de l’air, ce Hongrois participe à l’insurrection du printemps de Prague en 1956 contre les chars soviétiques venus rétablir l’ordre communiste. Lajos Marton, aujourd’hui âgé de 91 ans et vivant en région parisienne, était le tireur de l’estafette Renault qui devait barrer la route au convoi présidentiel. Condamné à 20 ans d’emprisonnement, il sera lui aussi libéré en 1968.
Reconnaissance posthume pour les Harkis
Il faudra attendre septembre 2020 pour qu’un président de la République, en l’occurrence Emmanuel Macron, demande pardon aux Harkis au nom de la France pour son attitude à leur égard il y a 60 ans. Après l’indépendance de l’Algérie en juin 1962, environ 60 000 supplétifs musulmans furent assassinés par les vainqueurs. Les officiers français encore sur place avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir, attentisme que plusieurs d’entre eux refusèrent de respecter.
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Après « Ni valise ni cercueil » ces pieds noirs restés en Algérie après l’Indépendance sorti en 2012, un nouveau livre de Pierre Daum « Le Dernier Tabou * Les harkis restés en Algérie après l’Indépendance" parution en librairie le 2 avril 2015.
On pense en général que les harkis, ces Algériens intégrés à l'armée française pendant la guerre d'Algérie, ont soit réussi à s'enfuir en France, soit été massacrés au moment de l'indépendance.
En réalité, la plupart d'entre eux n'ont pas été assassinés, et vivent en Algérie depuis un demi-siècle.
Une vérité difficilement acceptable des deux côtés de la Méditerranée...
On pense en général que les harkis, ces Algériens intégrés à l’armée française pendant la guerre d’indépendance, ont soit réussi à s’enfuir en France, soit été “massacrés” en 1962. En réalité, la plupart d’entre eux n’ont pas été tués, et vivent en Algérie depuis un demi-siècle. Une réalité historique difficilement acceptable en Algérie comme en France.
Pendant deux ans, Pierre Daum a parcouru des milliers de kilomètres à travers toute l’Algérie afin de retrouver les témoins de cette histoire occultée. Des témoins qui, pour la première fois de leur vie, ont accepté de parler.
La soixantaine de témoignages que l’auteur a recueillis – auprès d’anciens supplétifs, mais aussi d’anciens soldats de l’armée régulière, et d’anciens civils “profrançais” – bouleversent plusieurs idées reçues des deux côtés de la Méditerranée. Que ce soit sur leur nombre (450000), les motivations de leur engagement ou leur sort au moment de l’indépendance.
À travers ces récits de vie, on comprend que l’histoire des “harkis” (supplétifs et autres) s’inscrit au coeur d’un système colonial qui opprima le peuple algérien pendant cent trente-deux années. Aujourd’hui, un demi-siècle après la fin de l’occupation française en Algérie, ces hommes, leurs épouses et leurs enfants apparaissent comme les ultimes victimes d’un passé colonial dont les plaies ne sont toujours pas cicatrisées, ni en France, ni en Algérie.
Un sujet gênant
Parmi les sujets conflictuels liés à la guerre d'Algérie, le sort que la France a réservé aux anciens supplétifs "musulmans" est certainement celui qui provoque aujourd'hui les plus vifs débats. Or, dans ces controverses, la question des harkis restés en Algérie sans y être tués est complètement absente. Peut-être parce qu'elle constitue, en France comme en Algérie, une gêne beaucoup trop profonde. Gêne pour les harkis rapatriés et leurs amis d'admettre qu'il était peut-être possible de rester en Algérie. Gêne encore plus grande pour la société algérienne de reconnaitre l'ampleur du nombre d'Algériens qui se trouvaient du côté de l'armée française honnie. Et d'accepter que ces harkis et leurs descendants constituent une partie non négligeable de la population actuelle.
Oppression coloniale
Ceux qu'on appelle aujourd'hui les "harkis" sont le produit d'une occupation coloniale qui s'est étendue sur 132 années. En Algérie, comme dans ses autres colonies, l'Etat français s'est toujours appuyé sur certains éléments du peuple colonisé afin d'exercer son pouvoir sur l'ensemble de la population. D'où le très grand nombre et la très grande diversité de tous ceux qui ont participé au système d'oppression coloniale : militaires (spahis, goums, enfants de troupe, tirailleurs, soldats et officiers de carrière, appelés au service militaire, supplétifs, etc.) ; ou fonctionnaires dotés d'un pouvoir répressif (caïds, aghas, bachaghas, gendarmes, policiers, membres du corps préfectoral, etc.).
Idées reçues
Si on y intègre leur famille, on obtient un chiffre supérieur au million de personnes – sur une population de 9 millions d'Algériens en 1962. Dès lors, un livre sur les "harkis" (supplétifs et autres) restés en Algérie est non seulement d'une grande originalité, mais force toutes les parties à remettre en question leurs idées reçues. Que se soit sur leur nombre, les motivations de leur engagement, ou leur sort au moment de l’indépendance.
Une longue enquête
Pendant deux années, Pierre Daum a multiplié les séjours en Algérie, parcourant en bus et en voiture des milliers de kilomètres, munis de quelques vagues contacts disséminés aux quatre coins du pays – le plus souvent dans des villages reculés du bled (la campagne) et du djebel (la montagne). Au terme de cette vaste enquête totalement inédite, il a réussi à recueillir le témoignage d'une soixantaine d'anciens "harkis" qui n'avaient jusqu'alors jamais raconté leur passé. Confrontant ces récits à différents documents d'archives, ainsi qu'à quelques témoignages d'anciens moudjahidine qui n'avaient jamais parlé du sort réservé aux "harkis", le livre dévoile une réalité complètement différente de celle racontée jusqu'à présent.
Des parcours très divers
En 1962, des dizaines de millier de "harkis" sont rentrés chez eux, sans être véritablement inquiétés. D'autres sont passés par des tribunaux populaires devant lesquels une grande partie réussit à s'en sortir, expliquant n'avoir "rien fait de mal", ou avoir "été forcée par les Français". D'autres, reconnus coupables de violences à l'égard de la population civile, ont été soumis pendant quelques semaines à des travaux forcés. Certains passèrent plusieurs années en prison, avant d'être libérés. En général, seuls les plus coupables (de torture, de viols, d'exactions en toute genre) ont été exécutés. Mais cela n'empêcha pas, en cette période de chaos de l'été/automne 1962, de nombreux crimes aveugles, vengeances sordides, exécutions sommaires d'avoir lieu, sur des hommes bien plus innocents que d'autres.
Le fardeau de la honte
Quoiqu'il en soit, la grande majorité des "harkis" retournèrent habiter dans leur village où, laissés vivants, ils subirent cependant différentes formes de relégation sociale : refus d'accès aux emplois de l'Etat (les seuls stables et rémunérateurs) et aux logementx sociaux, brimades, stigmatisations, insultes, etc. Aujourd'hui, leurs enfants portent souvent ce fardeau de la honte, vivant souvent d'un seul espoir : que le passé de leur père leur offre un visa pour la France.
Ultimes victimes
A travers ce livre, on comprend que l’histoire des "harkis" s’inscrit au cœur d’un système colonial qui opprima le peuple algérien pendant 132 années. Aujourd’hui, un demi-siècle après la fin de l’occupation française en Algérie, ces hommes, leurs épouses et leurs enfants apparaissent comme les ultimes victimes d’un passé colonial dont les plaies ne sont toujours pas cicatrisées, ni en France, ni en Algérie.
Archives du colonialisme
Le dernier tabou, les "harkis" restés en Algérie après l'indépendance, est publié aux éditions Actes Sud, dans la collection "Archives du colonialisme", dirigée par Michel Parfenov.
Merci de cliquer sur la vidéo ci-dessous pour voir un interview
de Pierre Daum
Par micheldandelot1 dans Accueil le 4 Septembre 2023 à 07:58
Le court métrage «Hamassat El Fadjr» (Murmures de l’aube) du réalisateur Kamel Rouini, produit dans le cadre du soixantenaire du recouvrement de la souveraineté nationale, a été projeté en avant-première, samedi, à la Cinémathèque d’Alger.
Le film de 17 minutes, écrit par feu Mohamed Adlène Bekhouche et produit par le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), met en avant la participation et le rôle important des enfants durant la Glorieuse guerre de libération nationale.
Le court métrage raconte l’histoire du petit Hocine, incarné par Abdelfatah Ghouini, qui refuse l’abattage de son chien après la décision des révolutionnaires de se débarrasser des chiens du village dont l’aboiement la nuit attirait l’attention de l’ennemi.
Pour que son chien échappe à ce triste sort, Hocine l’emmène dans une cachette dans la montagne et continue de s’en occuper à l’insu de son père moudjahid.
Une nuit, alors qu’il se rendait dans la cachette pour nourrir son chien, Hocine aperçoit en chemin une patrouille de l’armée française en direction du village où se trouvaient les moudjahidine. Aussitôt, il s’empresse d’en avertir les révolutionnaires et réussit à le faire à temps.
A travers cette première expérience de réalisateur de cinéma, Kamel Rouini a plongé le spectateur dans un univers plein d’humanité, en montrant la contribution des enfants durant la Glorieuse guerre de libération nationale, lit-on sur l’APS.
Les plaies des essais nucléaires menés par la France coloniale dans le Sahara algérien ne se referment pas, et ne se refermeront jamais si on continue encore à feindre l'ignorance du crime et de ses effets qui s'inscrivent dans la longue durée. Cacher les preuves en fermant les archives et ne pas reconnaître le crime ne sert à rien quand les séquelles se perpétuent dans le temps. Les essais nucléaires français au Sahara algérien resteront à jamais des crimes imprescriptibles engageant une «responsabilité juridique», a indiqué le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) à travers un communiqué, publié à l'occasion de la Journée internationale contre les essais nucléaires, coïncidant au 29 août.
Le CNDH soutient que «toutes les circonstances ayant entouré ces explosions nucléaires et l'ampleur des effets des radiations qui en ont résultés sur la population de la région ne font aucun doute sur le caractère intentionnel et prémédité de ce crime».
La France, qui a fermé les archives liées aux essais nucléaires dans le Sahara algérien après une brève ouverture à la fin des années 90, tente-t-elle de dissocier ce dossier des actions visant la réconciliation mémorielle ? Ce n'est pas innocent qu'on garde la chape de plomb sur ces événements dans des moments où on parle de réconciliation des mémoires et d'assouplissement de l'accès aux archives devant les chercheurs.
La France a décidé d'ouvrir les archives dans les «affaires relatives à des faits commis en relation avec la guerre d'Algérie entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966», et les essais nucléaires dans le Sahara algérien ne font pas partie de ces faits. Un secret militaire qu'on ne veut pas livrer à l'opinion publique ? Toute la période coloniale, gérée par les militaires, en collaboration avec des civiles pour faire tourner la machine administrative, est empreinte de pleins de secrets militaires, qui n'ont pas résisté à l'éclatement de la vérité, à l'enseigne de la torture qu'on ne voulait pas reconnaître, mais on a fini par passer aux aveux.
Seuls ces essais nucléaires ne veulent pas livrer leur secret. Enfin, pas si secret que cela en a l'air, puisque des témoignages d'Algériens et de soldats français qui ont vécu cette époque, et qui en souffrent dans leur chair de nos jours, ont tout dit, tout ce qu'il y a lieu de savoir sur ces horreurs. Mais là où le bât blesse encore plus, c'est que la France persiste encore dans son crime en refusant de collaborer avec l'Algérie dans le cadre de la décontamination nécessaire des sites où ont eu lieu les essais nucléaires. Le minimum de son devoir. L'Algérie ne cherche pas «les indemnisations adéquates, mais seulement l'application des méthodes scientifiques pour trouver des solutions adaptées aux problèmes environnementaux qui exigent une décontamination totale», comme l'a relevé le communiqué du CNDH.
Il reste seulement à se demander s'il n'est pas plus entreprenant de se tourner vers d'autres parties pour effectuer cette décontamination. Et, tant qu'on y est, saisir les instances internationales pour la reconnaissance de ce crime contre l'Humanité. On ne doit plus rien attendre après soixante ans de silence.
Ouvrier pied-noir et anticolonialiste convaincu, Fernand Iveton rejoint le FLN dans les années 1950. En 1956, le jeune militant tente de faire sauter une bombe dans un local de son usine, après le départ des ouvriers. Dénoncé et arrêté, il fut le seul Européen guillotiné pendant la guerre d'Algérie.
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