S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
C’est un épisode de la guerre d’Algérie presque passé sous silence que nous conte l'écrivain bastiais Gilles Zerlini : la répression sanglante de Philippeville.
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L’idée de ce livre ?
- J’ai toujours voulu écrire sur l’Algérie. Mon père a combattu en Algérie. C’est une sorte d’hommage à nos pères. Un épisode catastrophique de cette guerre. Et gamin j’avais vu une photo terrible, celle de dizaines de corps allongés en blanc. La bataille d’une armée régulière contre des paysans sous prétexte de maintien de l’ordre. Un récit basé sur des éléments véridiques et qui concernent de jeunes appelés d’une vingtaine d’années
- Justement, le personnage central, un certain Ferracci …
- J’ai changé son nom. C’est d’ailleurs mon seul livre où je change les noms. C’est son histoire, de son incorporation à son retour en France. Un jeune qui vient de Corse, de Corse du sud. Appelé comme tant d’autres, à Philippeville il devra se livrer à des actes de massacre et de torture. Un récit sur des faits, hélas vrais. Son rapatriement en France, se fera par l’asile psychiatrique de Marseille. A Philippeville ces jeunes vivaient dans le non-droit. Ils en reviendront brisés, traumatisés. Je ne prends pas parti dans ce livre. Je rapporte simplement comment des hommes ont été utilisés et en sont revenus complètement bousillés. Durant cette guerre, ce sont près de 1,5 millions de jeunes, dont de nombreux corses, qui sont partis en Algérie. C’est aussi un hommage à tous les morts, des deux côtés.
- Que sait-on de cet épisode de Philippeville ?
- Alors qu’on était en pleine guerre, les renseignements français apprennent l’imminence d’une action du FLN à Philippeville. L’insurrection est donc matée en quelques heures. En répression, le FLN massacre des gens dans des villages européens. La répression sera terrible. Les faits étant peu glorieux des deux côtés, ni le FLN, ni l’armée française ne s’en vanteront. D’où un épisode peu connu de cette guerre. C’est d’ailleurs le moment où la guerre bascule.
- Cette lutte contre l’insurrection du FLN aura d’ailleurs des suites dans d’autres coins du monde …
- Les officiers français qui avaient mené cette répression contre l’insurrection de Philippeville l’ont exportée en Amérique du sud dont ces assassinats par hélicoptères, les prisonniers dans les stades...
- On n’y trouve quand même une petite histoire d’amour …
- Une toute petite histoire de Ferracci avec une jeune arabe, mais elle ne durera pas. Il repartira d’ailleurs en France sans elle.
- Des projets ?
- J’ai déjà deux livres qui sont presque finis. L’un évoquera le bagne de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane.
Synopsis
« Algérie 1955. Le gouvernement français qui vient de décréter l’état d’urgence, envoie le contingent pour « pacifier » l’Algérie en pleine insurrection. Le jeune appelé Ferracci débarque à Philippeville pour y découvrir l’ampleur d’une répression qui ne figurera dans aucun livre d’histoire : massacres de populations civiles et torture systématique, avec son cortège de morts par milliers ». Gilles Zerlini vit à Bastia. Il est l’auteur de Mauvaises nouvelles (2012), de Chutes (2016) et de Sainte Julie de Corse et autres nouvelles (2019) parus aux éditions Materia Scritta. Dans Épuration, paru en 2021 aux Éditions Maurice Nadeau, il met en scène un épisode dramatique de son histoire familiale, de son grand-père. Dans son dernier livre qui vient de paraitre aux Editions Maurice Nadeau*, c’est une partie de l’histoire de son père qui l’a inspiré. L’auteur nous entraîne dans une œuvre de fiction bâtie sur l’expérience de ces jeunes appelés corses qui, rentrés dans leurs foyers, ne se remettront pas d’avoir participé à une telle violence. Gilles Zerlini rend compte d’une histoire sensible, sans prendre parti entre les différents acteurs de cette tragédie, où tous sont les victimes d’une guerre injuste...
Philippe Jammes le Dimanche 25 Septembre 2022 à 11:40
Le samedi 20 août 1955 à midi, premier jour de Moharem du nouvel an Hégirien 1375, un mouvement insurrectionnel a été déclenché dans vingt-cinq villes du Nord-Constantinois, telles que Khroubs, Bizot, Aïn Abid, Condé Smendou, Catinat, El Harrouch, les mines de fer d’El Halia, Héliopolis, Saint Charles, Robert ville, Oued Zenati, Collo, Jemmapes, Gastonville.
Le plan d’attaque des responsables de la zone 2 (future Wilaya II) avait été minutieusement dressé. L’état-major de l’ALN du Nord-Constantinois savait qu’une partie des forces françaises stationnées dans la région avait été dirigée vers le Maroc où l’anniversaire du 20 août laissait présager de graves désordres. Le 17 août, des djounoud en civil pénétrèrent dans les villes, les militants du F.L.N. étaient mis au courant de l’attaque et avaient reçu l’ordre d’appuyer les djounoud. Le jour « J » tout le monde est en place. Chaque groupe avait une mission bien précise. Le vendredi 19 août à 5 h du matin, Youcef Zighout, chef de la zone 2 du Nord-Constantinois, fixait l’heure de l’assaut généralisé pour le samedi 20 août à midi.
La date choisie (celle qui correspond au deuxième anniversaire de la déposition du sultan du Maroc, Sidi Mohamed Benyoucef) permit aux milieux politiques de saisir la réalité de l’unité de destin de l’Algérie et du Maroc.
Après avoir longuement discuté le projet avec certains de ses lieutenants, dont Lakhdar Bentobbal et Ammar Benaouda dans la presqu’île de Collo, Youcef Zighout avait pris la décision de lancer des unités de l’A.L.N. et surtout la population de plusieurs régions contre toute présence coloniale. La situation dans la région était relativement préoccupante.
Après la mort de Mourad Didouche, le 18 janvier 1955 dans le combat d’Oued Boukerker, la relation avec les autres zones étaient quasi inexistantes, surtout avec la zone 1 (Aurès) où les grandes opérations de ratissage « Violette » et «Véronique » isolèrent les maquis. Parallèlement, au mois de mai 1955, le colonel du Corneau, chef d’un régiment de parachutistes, installa son P.C. à Condé-Smendou et déclencha une série d’opérations dans la région où plusieurs douars furent rasés, de nombreuses personnes abattues froidement, sans compter les humiliations, les bastonnades et les viols. Dans la même semaine, le gouvernement français examina la situation en Algérie avec le maréchal Alphonse Juin et décida d’accorder 15 milliards de francs (anciens) pour la guerre d’une part, et d’étendre l’état d’urgence à tout le Constantinois d’autre part. Le général Parlange, qui avait fait parler de lui au Maroc s’installa également à Cons-tantine avec les pleins pouvoirs, civils et militaires. Les effectifs furent portés à 100.000 hommes et une division fut transférée d’Allemagne en Algérie.
Tout ceci constitua aux yeux des dirigeants de la Révolution non pas un plan de sécurité, comme l’avaient dénommé les autorités françaises, mais un plan pour la destruction de la Révolution dans l’Est algérien et la reprise en main de la population, d’abord par la violence, ensuite par les moyens politiques. Cette offensive allait réellement juguler le mouvement révolutionnaire dans toute la région orientale du pays, qui jusque-là constituait le véritable front, et permettre au gouverneur général Jacques Soustelle de choisir parmi les représentants politiques des anciens partis des « interlocuteurs valables », c’est-à-dire des éléments dociles à ériger en troisième force. Ce qui n’échappa pas à la vigilance des responsables politico-militaires de la « Zone 2 » qui ordonnèrent l’attaque pour fausser les calculs français.
En lançant la population civile dans un affrontement direct, Youcef Zighout visait plus d’un objectif.
Sur le plan opérationnel :
– Noyer le travail de recherche et d’investigations des autorités coloniales dans la masse populaire.
– Permettre aux Aurès de desserrer l’étau militaire.
– Etaler le front sur une aire beaucoup plus large afin de faire diluer la concentration des troupes ennemies.
– Eliminer les traîtres.
Sur le plan politique :
– Créer une situation irréversible, en creusant le fossé entre colonisateurs et colonisés.
– Dissuader tout élément tenté par l’idée de « jouer à l’interlocuteur valable ».
– Convaincre les hésitants de la détermination du peuple.
Ces objectifs furent atteints presque entièrement. Néanmoins la répression fut particulièrement dure et rappela celle du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma.
L’« insurrection » du 20 Août 1955 est le résultat d’une situation politique et militaire dans une région déterminée, l’Est Constantinois. Elle s’inscrit dans la trajectoire du 1er Novembre 1954 et sa stratégie qui s’appuie sue les campagnes où se déroule le drame. La création de l’Armée de libération s’est faite correctement dans la masse paysanne. De ce fait, le 20 Août 1955 n’est en définitive qu’une reprise du souffle du 1er Novembre 1954. La perte de Mourad Didouche, en janvier 1955, n’arrête pas la consolidation de l’organisation dans le Nord-Constantinois, qui sera l’une des zones inexpugnables de l’A.L.N. avec le massif de Collo et de l’Edough couverts de chênes lièges aux pentes raides.
Youcef Zighout, ancien forgeron et ancien conseiller municipal M.T.L.D. de Condé-Smendou, ex-membre de l’Organisation spéciale (O.S.), arrêté et évadé de la prison de Annaba en 1951, a pour adjoint militaire Lakhdar Bentobbal, ancien de l’O.S., et comme adjoint politique Brahim Mezhoudi, ancien dirigeant de l’Association des Oulémas.
La zone 2 comprend alors trois « régions ». La région de l’Ouest dont le tracé englobe Djidjeli, Saint-Arnaud, Châteaudun du Rhummel et El-Milia, dirigée par Ali Kafi. Ancien enseignant et futur chef de la Wilaya 2, il fera de sa région une place forte de l’A.L.N. qui aura ses quartiers dans cette région montagneuse et boisée. Hocine Rouibah dirige la région du centre, autre base imprenable, où figurent Philippeville, et les hautes plaines constantinoises. La région de l’est qui va de Bône à Guelma, région frontalière de La Calle et Souk-Ahras, donc névralgique, est dirigée par Amar Benaouda, membre des « 22 ». Au mois de mai 1955, Bentobbal arrive à El-Milia, les troupes qui tentent d’y pénétrer sont bloquées par des tirs d’armes automatiques. La ville d’El-Harrouch où une forte garnison de paras est stationnée est attaquée peu de temps après, fournissant le prétexte à l’armée française d’exercer des représailles contre la population civile, faute de pouvoir accrocher l’A.L.N. Un peu plus tard, Collo est isolée totalement, on doit l’approvisionner par mer et un destroyer ancré dans la baie, canons braqués sur la montagne.
Après l’Indépendance de notre pays, lors du deuxième congrès des Moudjahidine, tenu en juillet 1965, il a été décidé la création d’une journée du «Moudjahid» dont la date a été fixée le vendredi 20 août 1965.
Abdou Benamar et Tahar El Hocine
Le ministère des AE célèbre l’événement
La Journée nationale du Moudjahed a été célébrée jeudi dernier au ministère des Affaires étrangères par un lever des couleurs nationales et la récitation de la Fatiha à la mémoire des martyrs de la glorieuse Révolution de Novembre 54. Une gerbe de fleurs a été déposée devant une stèle commémorative lors d’une cérémonie présidée par le secrétaire général du ministère, M. Boudjemaa Dilmi, en présence de moudjahidine et cadres du secteur. Dans une brève allocution, un orateur a rappelé le sacrifice des chouhada pour l’indépendance et la souveraineté de l’Algérie, appelant à conjuguer les efforts pour l’édification du pays.
L’offensive héroïque
“L’offensive généralisée des moudjahidine dans le Nord-Constantinois, le Congrès de la Soummam et la conquête de La Mecque”, tel est le thème de la conférence-débat organisée jeudi dernier par le Centre culturel islamique d’Alger, et animée par le Dr Mohamed Lamine Belghith, professeur d’histoire à l’université d’Alger.
Dates historiques, ces trois événements importants ont la particularité d’être survenus un 20 août, a relevé le conférencier d’emblée avant d’inviter l’assistance à une plongée dans l’histoire de la conquête musulmane, en rappelant avec force détails la grande victoire sur les païens qoraïchites remportée par l’armée du Prophète Mohamed (QSSSL), en l’an 8 de l’Hégire. Ce succès retentissant de la conquête de La Mecque, et ses significations profondes, ont été longuement soulignés par Dr Mohamed Lamine Belghith avant de revenir en Algérie, 14 siècles après pour évoquer les hauts faits de la glorieuse Révolution de Novembre 1954. Nous avons cité l’offensive généralisée du Nord-Constantinois en 1955 et le Congrès historique de la Soummam en 1956.
Dans ce contexte, le conférencier a rappelé également les circonstances et les causes du déclenchement de cette action armée de grande envergure, menée par les moudjahidine le 20 août 1955 à midi, contre une trentaine de positions de l’armée coloniale dans le Nord-Constantinois, sans oublier de mettre l’accent sur les résultats obtenus par la Révolution grâce à cette offensive, et les lourdes représailles de l’ennemi sur la population civile. Une année plus tard, jour pour jour, la glorieuse Révolution de Novembre a frappé un grand coup en organisant l’historique Congrès, un second souffle à la lutte de Libération nationale à travers les importantes résolutions auxquelles il a abouti, notamment les priorités accordées au politique sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur, l’organisation et la consolidation des rangs de la Révolution, a expliqué l’universitaire à cet égard.
Mourad A.
Il est décédé le 21 août 2010
Lakhdar Bentobbal, un des artisans de la Révolution
Lakhdar Bentobbal, dit Si Abdallah, un des dirigeants historiques de la Révolution, est décédé le 21 août 2010 à l’âge de 87 ans. Lakhdar Bentobbal, né en 1923 à Mila, a entamé son activité militante au sein du Mouvement national dès 1940. Il adhère au Parti du peuple algérien (PPA) et devient responsable du parti dans la région de Mila. Membre de l’Organisation spéciale (OS) en 1947-1948 dans le Nord-Constantinois, il est recherché par les autorités coloniales et est condamné par contumace en 1951, dans le procès des membres de l’OS. Lakhdar Bentobbal est devenu membre du Conseil national de la révolution (CNRA), issu du congrès de la Soummam, en août 1956, puis du Comité de coordination et d’exécution (CCE). En septembre 1956, il est responsable de la Wilaya II, succédant à Zighoud-Youcef, tombé au Champ d’honneur, puis accède au grade de colonel. En avril 1957, Bentobbal rejoint Tunis en compagnie de Krim Belkacem et Benyoucef Benkhedda et en août de la même année il fait partie du deuxième Comité de coordination et d’exécution (CCE). En avril 1958, il est chargé du département de l’intérieur et membre du 3e CCE au Caire. Il est ensuite nommé ministre de l’Intérieur dans le premier Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) le 19 septembre 1958, au Caire (Egypte), avant d’être reconduit le 18 janvier 1960 à Tripoli (Libye). Lakhdar Bentobbal était membre de la délégation du GPRA aux négociations des “Rousses”, près de la frontière suisse, du 11 au 19 février 1962 et à Evian en mars 1962.
Les civils tendent à percevoir la guerre comme doublement éloignée de leur normalité : un temps totalement séparé de la paix et une affaire essentiellement militaire. Aussi, lorsque la guerre surgit, non seulement elle interrompt la normalité mais elle apparaît d’autant plus scandaleuse qu’elle affecte les civils. Ainsi, les frappes contre les populations sont soit présentées comme des « dommages collatéraux » s’il s’agit de les excuser, soit comme des crimes de guerre s’il s’agit de les dénoncer. Dans les deux cas comme une règle brisée à l’intérieur de la violence extrême que suppose la guerre. Ce double éloignement rassurant (temps de la guerre et chose circonscrite au militaire) ne correspond cependant pas du tout à la façon dont se pense la guerre dans les lieux de pouvoir où elle se décide, surtout quand la stratégie adoptée est contre‑insurrectionnelle. Car, alors, la population civile en devient l’enjeu central et les méthodes de contre‑insurrection s’insèrent dans le tissu de son quotidien qu’elle perçoit comme « en paix ». Pour saisir ce propos moins rassurant sur notre présent, nous proposons ici de dresser une histoire de cette façon de concevoir la guerre, celle de l’une des plus virulentes et influentes parmi les doctrines contre‑insurrectionnelles : la « doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR).
Celle‑ci peut être d’abord définie comme une réponse, surgie au sein de l’armée française, au mouvement de décolo‑ nisation qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans cette période, de 1954 à 1960, elle a en effet été la doctrine militaire officielle, enseignée aux officiers à l’École de guerre de Paris1. Et elle a été appliquée, de façon spectaculaire, lors de la « bataille d’Alger » de 1957, ainsi que lors de la « guerre secrète » au Cameroun de la fin des années 1950 à la fin des années 1960. Puis elle le sera plus tard dans nombre d’autres armées – notamment étatsuniennes et latino‑américaines dans les années 1960 et 1970, mais aussi… algérienne dans les années 1990 (puis à nouveau en Irak et en Afghanistan par les Américains dans les années 2010). Cette doctrine militaire est caractérisée par l’objectif de conquérir « les cœurs et les esprits » des populations, par la combinaison variable de diverses techniques, certaines affichées (action psychologique, œuvres sociales…) et d’autres plus occultes : déplacements forcés de population, torture comme instru‑ ment de terreur, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, infiltrations des forces adverses, faux maquis…
Malgré son importance, toujours d’actualité, son histoire est difficile à établir et reste largement méconnue. Depuis les années 2000, les articles académiques et études ponctuelles sur la question se sont certes multipliés, ce qui marque une rupture bienvenue après des décennies de quasi‑absence dans les productions scientifiques sur l’histoire militaire contempo‑ raine. Mais ces travaux ne s’adressent pour l’essentiel qu’aux spécialistes, et il n’existe pas encore d’ouvrage présentant de façon rigoureuse et accessible les grandes lignes de l’histoire de cette doctrine militaire, dans toutes ses dimensions2.
Dans une première acception étroite, la DGR serait née durant la guerre d’Indochine et se serait imposée durant celle d’Algérie, connaissant une fulgurante ascension dans la seconde moitié des années 1950 et une brève hégémonie stratégique (1957‑1960). Elle désignerait alors un corpus relativement succinct de textes et serait identifiée à un nombre assez limité d’officiers français, dont les parcours suffiraient à saisir les influences à l’origine de la doctrine et indiqueraient ses exportations au sein d’autres armées.
Cette approche restrictive présuppose cependant une définition surtout théorique, strictement militaire, de la doctrine. Or elle se caractérise par une conception totale de la guerre, qui inclut les champs politique, économique, social et culturel, si bien qu’elle interagit nécessairement avec le monde civil qu’elle imprègne, ce qui élargit déjà considé‑ rablement le champ de l’enquête visant à faire l’histoire de cette « doctrine ». De plus, elle n’est pas stable mais, tout au contraire, adaptable à l’envi, de sorte que certains de ses éléments peuvent être repris isolément tout en gardant sa logique générale (c’est le cas parmi les polices qui s’en abreuvent, mais aussi dans des campagnes médiatiques ou de relations publiques d’entreprises ou d’organisations civiles). Il s’agit donc de saisir la DGR dans ses multiples dimensions, ce qui amène à explorer ses influences dans des domaines apparemment très éloignés du militaire. Nous la verrons par exemple se saisir de la justice conçue comme arme psycho‑ logique ou des relations publiques du patronat français.
Par ailleurs, les origines de la DGR ne peuvent se limiter à la seule guerre d’Indochine, alors que les premiers officiers français qui la formalisent et la pratiquent sont souvent issus de l’armée coloniale et ont tous vécu la Seconde Guerre mondiale dans l’armée d’armistice ou de la France libre. Ce genre d’expériences ne laisse pas indemne. Aussi, à l’extension fonctionnelle de la définition de la DGR, il faut ajouter une extension chronologique pour mieux en saisir les origines.
Apparemment, ces officiers sont des militaires qui ne connaissent pratiquement que des défaites (1940, l’Indochine, l’Algérie) ; et la seule période durant laquelle ils occupent le pouvoir militaire est caractérisée par une armée particu‑ lièrement agitée, en partie responsable de crises de régime à répétition (1958, 1960‑1961). Pourtant, loin de les discré‑ diter, ces échecs sont interprétés de manière à ce que la « doctrine » sorte indemne de ses fiascos, avec des formules telles que « la guerre d’Algérie a été militairement gagnée mais politiquement perdue » dont nous verrons la parfaite inanité. Cette capacité à se raconter lui permet de rester attractive pour de nombreuses armées à travers le monde. Quant à sa responsabilité dans l’instabilité de la République française, elle n’affecte en rien sa séduction pour d’autres armées qui n’hésiteront pas à prendre le pouvoir dans leurs pays respectifs.
Que ce soit dans l’armée française ou dans celles qui l’importent, la DGR est notablement plus prégnante parmi les « forces spéciales » (commandos parachutistes, bérets verts, différents services « Action », « gardes présidentielles », voire troupes mercenaires). Il s’agira donc de comprendre les liens existant entre la DGR et ces « forces spéciales ». Nous verrons en quoi la doctrine est tributaire du déploiement de ces troupes d’élite, surgies principalement à partir de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les rôles qu’elles jouent par la suite dans ses applications.
Un outil central identifié à la DGR est l’« arme psycho‑ logique ». L’incursion des militaires dans ce champ soulève une série de questions aux évidentes résonances dans l’actua‑ lité, dont celles sur les manipulations, le statut de la vérité, la guerre des récits et autres fakenews. Il s’agira dès lors de limiter autant que possible le sujet, en se demandant comment précisément la DGR a défini et utilisé cette « arme » et s’il est possible de dresser un bilan de ses effets sur ses différentes cibles (les militaires eux‑mêmes, leurs ennemis et les différentes populations visées). En l’état actuel des connaissances sur le sujet et vu la difficulté a priori insurmontable d’un bilan précis, il s’agira surtout de repérer les structures officiellement dédiées à cette arme et son évolution à travers ses multiples importations, puis de s’interroger sur les nombreuses passerelles qu’elle dresse avec le monde civil.
On observe également que les crises politiques imputées à la DGR, entre autres l’apparition en 1961 de l’Organisation armée secrète (OAS) en Algérie et en France, puis des régimes dictatoriaux qui l’appliqueront implacablement dans diverses parties du monde, sont toutes identifiées à l’extrême droite. Existe‑t‑il un lien entre la DGR et un courant politique parti‑ culier ? Pourquoi plusieurs idéologies de droite intègrent‑ elles cette doctrine militaire parmi leurs références ? Et, plus fondamentalement, la DGR est‑elle bien une doctrine militaire ou, plus largement, une conception politique du monde ?
Derrière ces nombreuses questions s’en pose une plus centrale. La population est au cœur de la DGR : elle est à la fois son terrain de bataille et son arme principale. Or la population est, par ailleurs, sinon le souverain dans les cas de peuples institués (par exemple dans les régimes se revendiquant de la démocratie), du moins l’objet et l’enjeu central du politique dans notre modernité, laquelle définit la nature des régimes politiques en fonction, précisément, de la place qu’y occupent les peuples. De sorte que faire l’impasse sur la signification en termes de régime politique que la DGR propose ou induit conduirait à ignorer l’une de ses conséquences essentielles. Évacuer cette question sous prétexte qu’il s’agirait d’une doctrine militaire séparée du champ politique n’est pas recevable, entre autres parce que l’imbrication entre population civile et guerre est posée par la DGR elle‑même. Cette imbrication qui va à l’encontre des conceptions traditionnelles de la guerre, dont la sépara‑ tion entre combattants et population civile est une arête (du moins théorique, depuis les premières esquisses de « droit de la guerre » érigées par l’Église dès le Moyen Âge), interroge aussi sur ce que serait la paix pour la DGR.
Pour tenter de répondre aux nombreuses questions posées ici, nous raconterons une histoire incarnée par des hommes en particulier, et non pas seulement des grands mouvements historiques. Aussi, nous attacherons une grande attention aux parcours de certains officiers (dont de rares travaux statistiques confirmeront en partie la représentativité), ce qui nous permettra notamment de saisir les distances et les liens entre les théories et les pratiques. Pour bien saisir les logiques mises en œuvre par la DGR, nous tâcherons aussi d’identifier des récurrences dans ses diverses applications à travers le monde, au‑delà des contextes particuliers locaux qui seront néanmoins restitués le plus fidèlement possible afin de comprendre les raisons des différentes importations de cette « école française » de la contre‑insurrection.
Table
Introduction. Une doctrine pour la guerre moderne 5
ORIGINES ET APPLICATIONS DE LA DGR JUSQU’EN 1962
Lesorigines:maintenirl’ordrecolonial 13
Le parrainage ambigu du maréchal Lyautey, 13.
Terreur et politique : Bugeaud, Gallieni, Lyautey, trois phases combinées de la colonisation, 17.
Les bureaux arabes, une police politique, 23.
La Coloniale, une armée frondeuse, 28.
– Les officiers de la Coloniale, théoriciens de la DGR,34.
– Les enseignements majeurs de la guerre du Rif, 38
SecondeGuerremondialeetguerrepsychologique 44
Münzenberg, Goebbels, Bernays : trois maîtres de l’action psychologique dans les années 1920 et 1930, 45.
– Un savoir‑faire global, 52.
– La propagande d’État française en 1940, 54.
– Armée d’armistice et armée de la France libre : deux armées françaises, deux sources d’influence, 56.
– 1944 : la « révélation de Casablanca » de Michel Frois, 60
SecondeGuerremondialeetcommandos 64
Aux origines des forces spéciales « à la française » : le modèle britannique, 65.
– L’expérience très politique de l’opération Jedburgh, 69.
– À l’école du terrorisme, 73.
– Les fortes têtes des commandos, méfiants des hiérarchies, 76
Laguerred’Indochine, mythefondateurdelaDGR 81
La référence des éphémères maquis français d’Indochine en 1945, 82.
– 1951 : une nouvelle stratégie maquisarde, financée par le trafic d’opium,
– Derrière une insubordination surjouée, le triomphe progressif des officiers de la DGR, 89.
De nouvelles méthodes de maîtrise de l’image : la fabrication du mythe Bigeard, 93. – Une connaissance du communisme sous le prisme des camps viêtminh, 98
La jeune écrivaine algérienne Kaouther Adimi s'est montrée très critique quant à la politique de l'immigration que mène le Président français Emmanuel Marcon. Selon elle, c'est une « politique islamophobe portée par un ministère de l'Intérieur d'extrême droite, raciste, qui, chaque jour, contribue à faire de la France un pays de plus en plus dangereux pour les musulmans ».
L'écrivaine, interviewée par Jeune Afrique[1], n'a pas hésité à faire un parallèle avec le passé colonial de la France. « Il est naïf de croire qu'il n'y a pas là un héritage colonial. Certains discours de Marlène Schiappa ne sont pas sans rappeler les discours des femmes de généraux à l'époque de la guerre. La façon de vouloir réglementer la vie des musulmans est directement inspirée de la colonisation », a déclaré l'auteur d'Au vent mauvais. Assurant ne pas croire à « une possibilité d'une relation apaisée entre l'Algérie et la France si le sujet n'est pas traité avec lucidité et courage », Kaouther Adimi accuse l'État algérien de ne pas se préoccuper de la manière dont les ressortissants algériens sont traités. « Ce n'est pas un enjeu pour lui », dit-elle.
À lire aussi :Abdelmadjid Tebboune réagit aux nouvelles déclarations de Pedro Sánchez sur le Sahara occidental
Guerre d'Algérie : une épine dans le pied de la France
À la question de savoir quelle est la place de la Guerre d'Algérie dans les relations franco-algériennes, Kaouther Adimi répond : « C'est une épine dans le pied de la France et dans beaucoup de familles françaises, souvent avides d'histoires et de réponses, une épine qui s'est infectée ». Là aussi, elle charge Marcon qu'elle accuse de ne pas aller au fond des choses. « Emmanuel Macron ne veut pas retirer les épines, il veut seulement calmer les douleurs de manière superficielle, alors qu'il faudrait regarder le pied, examiner la plaie et arracher l'épine », dit-elle. Et d'ajouter : « L'Algérie comme la France font mine de ne pas voir que la question de la Guerre d'Algérie concerne aussi la manière dont l'État français a construit sa relation avec les Algériens sur son sol et avec les Français d'origine algérienne ».
Jeune plume de la littérature algérienne francophone, Kaouther Adimi questionne dans ses livres l'histoire contemporaine de l'Algérie et fait se confronter différentes générations. Elle a à son actif cinq romans : L'Envers des autres, Des pierres dans ma poche, Nos richesses, Les petites de décembre et, enfin Au vent mauvais.
Abdelhamid Hakkar, victime des crimes commis par la France coloniale. D. R.
Une contribution d’Abdelhamid Hakkar – Pourquoi je n’attendrai pas la commission d’historiens sur les crimes de l’occupation et de la Guerre d’Algérie ? Enfant âgé d’à peine deux ans et demi, j’ai été, un matin de 1958, bombardé au napalm par un bombardier MD Dassault assassin, enflammant et détruisant ma demeure qui avait été prise froidement pour cible. Ses ruines et vestiges sont encore visibles ici : 35.40036197558687, 7.089849443554202. Des témoins sont encore vivants.
Enseveli sous les décombres de pierres enflammées, à flanc de montagne du Douar Bouderhem, situé dans l’agglomération de la ville de Khenchela, je devais être mort calciné n’étaient, à la vue du bombardier en piqué et au sifflement de sa bombe, le reflexe salvateur de ma défunte grand-mère de me protéger en me blottissant sous son ventre avant qu’elle ne succombe elle-même des suites de ses blessures. Je serai, rescapé et brûlé, secouru par ma mère et des proches accourus du ruisseau plus bas où ils allaient au matin chercher de l’eau.
Ce crime d’Etat impuni, je le porte toujours en moi. Plus que dans ma chair, il continue de me brûler l’âme – un crime de surcroît commis contre des populations civiles.
Plus tard, adulte, la France des «droits de l’Homme» m’afflige de nouveau et me condamne à une peine de réclusion criminelle à perpétuité par contumace, sans avocat, sans mandat de dépôt et sur le fondement d’un dossier falsifié. Elle m’enfermera 28 années durant dans ses basses-fosses indignes, dont douze années à l’isolement total qualifiées de torture. Comble de l’inversion accusatoire ! Ce serait de nos jours non en France mais en Algérie qu’on torture !
De fait, l’Etat français n’a pas attendu une «commission d’historiens» pour me juger et me condamner, en décembre 1989, de manière aussi inique qu’expéditive.
Mieux ! Condamné à son tour en 1995 par la Cour européenne des droits de l’Homme, à l’unanimité des juges, pour m’avoir illégalement emprisonné, l’Etat français refusera de s’exécuter et de me remettre en liberté. De nouveau qualifié à l’unanimité par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe de parodie de procès, il persistera dans son mépris.
Pis, tandis que le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris s’apprêtait, en mai 2000, à prononcer ma mise en liberté immédiate assortie d’une indemnisation de trois millions d’euros pour mes seize années de détention abusive et le refus d’exécuter la décision européenne, l’Etat français, via son ministre de la Justice a – fait inédit ! – dépêché le préfet de police de Paris venu en personne au tribunal dessaisir le juge du dossier, au prétexte de soumettre la question au Tribunal des conflits pour qu’il tranche un prétendu «conflit d’attribution», quand aussi bien en matière de liberté individuelle il est constant que la compétence d’attribution relève constitutionnellement exclusivement du seul juge judiciaire.
Résultat cousu de fil blanc : le Tribunal des conflits n’a jamais statué, la procédure dont s’était emparé le préfet s’étant commodément «égarée» entretemps entre le bureau du procureur général de Paris et la chancellerie.
Ressaisi quelques mois plus tard pour qu’il purge sa saisine et prononce ma libération, le président du TGI de Paris a été soudainement muté et promu à la tête du TGI de Nice.
Jusqu’à aujourd’hui, cette affaire n’a pas été purgée ; je resterai encore enfermé douze années.
Saisi en mars 2021 de demandes de réparations pour mon bombardement au napalm, tant le président de la République française, Emmanuel Macron, que sa ministre des Armées, Florence Parly, n’ont pas daigné me consentir la moindre réponse.
Pourtant, le président Macron a dernièrement affirmé lors de son séjour en Algérie, je le cite : «J’entends souvent que, sur la question mémorielle et la question franco-algérienne, nous sommes sommés en permanence de choisir entre la fierté [!] et la repentance. Moi, je veux la vérité, la reconnaissance, sinon on n’avancera jamais». Alors, oui, on n’avancera jamais si on ne m’accorde pas «vérité» et «reconnaissance».
Même si je n’en attends pas grand-chose, j’entends introduire une action judiciaire pour ces faits pour ne serait-ce qu’elle puisse me donner la possibilité de les soumettre ensuite à des organes et institutions supranationaux.
Qui a parlé de «détermination à promouvoir l’amitié entre la France et l’Algérie et approfondir la coopération bilatérale dans les domaines d’intérêt commun» ? Qui a parlé de «partenariat renouvelé, concret et ambitieux» ? Qui a parlé d’«intensifier la coopération à tous les niveaux» ? Et qui nous parle encore de «partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie» ? L’Etat français, «fier» de bombarder des populations civiles sans défense, qui plus est avec des armes de destruction massives interdites par le doit international.
Selon Matignon, «les membres des gouvernements français et algérien se réuniront pour réaffirmer leur détermination à promouvoir l’amitié entre la France et l’Algérie et approfondir la coopération bilatérale dans les domaines d’intérêt commun». Cet «intérêt commun» ne se limiterait-il qu’au seul gaz dans le déni assourdissant de devoir rendre justice ?
Le président Emmanuel Macron et son homologue algérien, le président Abdelmadjid Tebboune, ont acté, ce 27 août 2022, dans une déclaration commune, «la relance des liens bilatéraux». Vœu pieux si celle-ci ne s’accompagne pas dès aujourd’hui de gestes concrets.
Bon gré mal gré, je mènerai campagne seul s’il le faut. Je crierai sur le toit du monde dussé-je jusqu’à mon ultime souffle pour que la France me rende justice. Et je jure qu’on m’entendra !
Dixit Fiodor Dostoïevski : «L’histoire ne révèle sa propre essence qu’à ceux qu’elle a au préalable exclus d’elle-même».
A.H.
(Besançon, France)
septembre 26, 2022 -https://www.algeriepatriotique.com/2022/09/26/lettre-ouverte-a-letat-francais-votre-crime-impuni-je-le-porte-en-moi/
(2) Le Moment est venu de dire ce que j'ai vu Philippe de Villiers. « J’ai été un homme politique. Je ne le suis plus. Ma parole est libre. Je suis entré en politique par effraction. Et j’en suis sorti avec le dégoût.
Le désastre ne peut plus être maquillé. Partout monte, chez les Français, le sentiment de dépossession. Nous sommes entrés dans le temps où l’imposture n’a plus ni ressource ni réserve. La classe politique va connaître le chaos. Il n’y a plus ni précaution à prendre ni personne à ménager. Il faut que les Français sachent. En conscience, j’ai jugé que le moment était venu de dire ce que j’ai vu. »
Philippe de Villiers
(3) Georges Hollande, un père politiquement encombrant
Le père de François Hollande, Georges Hollande, a été médecin ORL avant de prendre sa retraite. L'homme s'est laissé séduire par la politique locale, tentant de se faire élire aux municipales de Rouen en 1959, sur une liste d'extrême droite. Proche de l'OAS dans les années 1961-1962, de conviction nationaliste, Georges Hollande ne souhaitait pas que son fils entre en politique, encore moins au sein du Parti socialiste.
(4) Douars et prisons
Jacqueline Guerroudj
Livre-témoignage qui rend compte du parcours de l'engagement d'une femme européenne pour l'indépendance de l'Algérie, de la prise de conscience à l'action concrète. "Je n'ai pas essayé de faire une analyse de la situation, je raconte seulement ce dont j'ai été témoin", dit-elle ; c'est ainsi que Jacqueline Guerroudj explique son livre. Mais ce qu'elle raconte, ce qu'elle et ses camarades ont vu et fait, est raconté avec une telle vérité que ce qui est dit donne toute leur profondeur et leur signification aux événements. Le récit est divisé en deux parties. Dans la première, l'auteure relate la prise de conscience de la colonisation algérienne d'une jeune institutrice française, qui la conduit à l'engagement politique pour l'indépendance de l'Algérie jusqu'à la lutte armée. La seconde partie est consacrée à son parcours dans les prisons françaises et algériennes. Interrogatoires, condamnation à mort, exécutions, brimades, débats politiques entre détenues, solidarité aussi, sont narrées avec la même lucidité. Ce livre est une immense leçon de courage, de tolérance et d'humanisme. Résistante durant la seconde guerre mondiale, Jacqueline Guerroudj part en 1948 enseigner en Algérie. Frappée par les ravages de la colonisation, elle s'engage auprès des combattants algériens pour l'indépendance de l'Algérie. Ses activités militantes au sein du PCA, puis du FLN, conduisent à son arrestation et à sa condamnation à mort. Graciée le 8 mars 1962, elle restera dans l'Algérie devenue indépendante jusqu'à sa mort en 2015, et sera élue député à l'Assemblée nationale algérienne.
Originaire de l'agglomération de Rouen, Arthur Lamboy-Martin a livré un mémoire de Master sur les prisons normandes pendant la Guerre d'Algérie. On y apprend beaucoup de choses.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Normandie compte une vingtaine d’établissements pénitentiaires. Entre 1953 et 1955, 10 d’entre eux seront fermés définitivement pour cause d’insalubrité. Les autres de 1954 à 1964, seront occupés dans un premier temps par des détenus, militants du FLN et du Mouvement national algérien puis par les condamnés politiques de l’OAS, Organisation de l’Armée secrète.
La cohabitation avec les détenus de droit commun ne fut pas facile. C’est ce qu’a cherché à analyser pour un mémoire universitaire Arthur Lamboy-Martin, un étudiant de Mont-Saint-Aignan, près de Rouen (Seine-Maritime).
Né au Belvédère, ancien élève du lycée Corneille, à Rouen, Arthur Lamboy-Martin, 23 ans, se passionne pour l’histoire et consacre une grande partie de ses journées à la lecture d’ouvrages historiques tout en pratiquant pendant le temps qui lui reste l’escalade, la course à pied et la natation. Étudiant depuis 2016 à l’Université de Rouen, licencié d’histoire, il a trouvé sur sa route du Master Valorisation du Patrimoine L2, deux professeurs captivants : Yves Bouvier, venu de la Sorbonne professeur en histoire contemporaine et Marc André, maître de conférences, un des meilleurs connaisseurs de l’Histoire de la prison en France aux XIXe et XXe siècles. Il publiera en septembre prochain chez ENS Editions Une prison pour mémoire, Montluc de 1944 à nos jours. Il prend la direction du mémoire de master d’histoire d’Arthur sur Les prisons normandes pendant la guerre d’Algérie, 1954/1964.
Pendant deux ans, l’étudiant, véritable fourmi, va se plonger dans les archives conséquentes sur le sujet, aux Archives Nationales et aux Archives départementales de Seine-Maritime, lire les ouvrages parmi d’autres de Benjamin Stora sur la colonisation et la Guerre d’Algérie (en janvier 2021, il avait remis au Président Macron un rapport sur le sujet) ; de Jean-Pax Méfret, 1962, l’été du malheur paru en 2007, il fut détenu politique à 18 ans à Rouen ; de Jacqueline Gerroudj Douars et prisons. Cette militante, enseignante en Algérie, épousa la cause des combattants algériens pour l’indépendance. Arrêtée, condamnée à mort, graciée le 8 mars 1962, elle est morte en 2015.
Neuf prisons normandes
L’étudiant résume : « De novembre 1954 à juillet 1962, la France est bouleversée par la Guerre d’Algérie. Durant ce conflit, à travers les territoires d’Algérie et de métropole, des dizaines de milliers d’individus sont emprisonnés dans divers lieux : des commissariats, des camps, des hôpitaux, des prisons… L’état d’urgence en avril 1955 et les pouvoirs spéciaux votés en mars 1956 permettent à la France de se doter d’un arsenal judiciaire puissant et de condamner aisément des militants politiques. Nombre d’entre eux furent incarcérés à Rouen Bonne nouvelle, capacité de 500 places, Le Havre et Maison centrale de Caen, 400 places. Neuf prisons au total en Normandie. Les prisons normandes renvoient à tous types d’établissements dans lesquels des individus auraient pu être détenus ; des prisons classiques comme des maisons d’arrêt, des centrales, des centres de triage et d’observation mais aussi des camps, des hôpitaux, des écoles. La Guerre d’Algérie engendre une profusion d’incarcérations en Normandie car les prisons parisiennes sont rapidement encombrées. »
Dès les Accords d’Evian, les militants algériens sont libérés, en revanche, une part considérable des détenus OAS demeure en prison après 62, ainsi que certains objecteurs de conscience. Ils seront libérés en décembre 1964 puis en 1965 et 1966, les derniers en 1968.
La famille Hollande
Pour son mémoire, l’étudiant normand aurait aimé mener des enquêtes orales. Contacté, Jean-Pax Méfret, devenu journaliste et auteur-compositeur-interprète, n’a pas répondu. Philippe de Villiers a décliné. Ce dernier, dans son livre Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, évoque les visites qu’il rendait en famille, hiver 1964, à son père Jacques à la maison d’arrêt de Rouen. Ce dernier était incarcéré pour son rôle au sein de l’OAS. Philippe de Villiers indique que Georges Hollande, père de l’ancien Président de la République, médecin ORL à Bois-Guillaume, organisait des collectes de vêtements à Rouen que Jacques de Villiers, délégué des embastillés, distribuait à Bonne-Nouvelle aux officiers morts de froid.
Interrogé au cours d’un entretien accordé à Arthur Lamboy à Paris, il confirme : « Je me souviens des conversations à la maison et du soutien que mon père apportait aux partisans de l’Algérie française. Ces collectes étaient ponctuelles. Il était grandement investi dans les actions de solidarité. Je me souviens que certains détenus activistes, après leur libération, étaient accueillis chez nous. Certains y ont même dormi une nuit avant de repartir dans leur famille »
Constat final : la Guerre d’Algérie a beaucoup transformé les prisons françaises et notamment les normandes. Transformé aussi sans doute l’étudiant en histoire qui aimerait bien trouver plus tard un métier lié au patrimoine. Nul doute que ce travail sera livré un jour prochain au public.
ALGER- Le 25 septembre 1962 était proclamée la République algérienne démocratique et populaire, aboutissement d'un long et âpre combat du peuple algérien contre le colonialisme français qui, 132 ans durant, a tout fait pour asservir le peuple algérien en le dépossédant de sa terre et en le maintenant dans un état d'arriération.
Le texte proclamant la naissance de la République algérienne, adopté par l'Assemblée nationale constituante, énonce que "l'Algérie est une République démocratique et populaire assurant aux citoyennes et aux citoyens l'exercice de leurs libertés fondamentales et de leurs droits imprescriptibles".
L'Assemblée nationale constituante déclare dans la proclamation que la République algérienne, "en tant qu'organisme représentatif du peuple algérien", est "seule dépositaire et gardienne de la souveraineté nationale à l'intérieur et à l'extérieur".
Cette proclamation a mis fin définitivement et de manière irrévocable au déni par la France de la réalité algérienne et à ses prétentions de faire de l'Algérie un territoire français.
Elle a donné de la visibilité à l'Algérie en tant qu'entité politique et juridique sur la scène internationale. Quinze jours après l'annonce de la naissance de la République algérienne par le président de l'Assemblée nationale constituante, Ferhat Abbas, l'Algérie était devenu le 109ème pays membre de l'Organisation des Nations unies.
La proclamation faisait suite, aussi, à la signature, le 18 mars 1962, des Accords d'Evian entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et les représentants du gouvernement français, et au référendum d'autodétermination en Algérie, le 1er juillet de la même année, par lequel le peuple algérien s'était prononcé pour l'indépendance de l'Algérie.
Sur le plan institutionnel, elle signifiait qu'il était mis fin aux attributions et pouvoirs respectifs de deux organismes transitoires, en l'occurrence le GPRA et à l'Exécutif provisoire, issues du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), attributions et pouvoirs transférés à la République algérienne.
C'est dans ce cadre que le 29 septembre, Ahmed Ben Bella, un des dirigeants historiques de la Révolution, était investi par l'Assemblée nationale constituante premier président du Conseil des ministres.
La proclamation de la République algérienne a marqué, surtout, le début de la mise en place des institutions de l'Algérie indépendante et du processus d'édification nationale, dans un pays exsangue, ravagé par un colonialisme prédateur qui a bâtit une économie basée sur le pillage des ressources au service exclusif des intérêts économiques de la France.
Redressement et reprise du processus d'édification
L'Algérie a repris, aujourd'hui, sa marche vers le progrès et le développement socio-économique, grâce au parachèvement du processus d'édification institutionnel et à la consolidation de sa stabilité.
Le processus de redressement a commencé avec l'élection de M. Abdelmadjid Tebboune, à la présidence de la République, le 12 décembre 2019, qui a marqué le début de la concrétisation de ses 54 engagements pour une Nouvelle République.
Cette démarche a été entamée par la révision, le 1er novembre 2020, de la Constitution, dont les principaux amendements ont porté sur la limitation du renouvellement du mandat présidentiel à une seule fois, pour prévenir les dérives autocratiques, et la séparation et l'équilibre des pouvoirs pour consacrer l'Etat de droit, suivie d'élections législatives, le 12 juin de la même année, et d'élections locales, le 27 novembre de l'année suivante.
Dans le même temps, le Président Tebboune à pris plusieurs mesures pour relancer l'économie et la libérer des contraintes bureaucratiques (des centaines de projets d'investissement ont été ainsi débloqués), tout en veillant à préserver le pouvoir d'achat des citoyens, dans une conjoncture marquée par le renchérissement des prix des matières premières, comme conséquence de la pandémie de la Covid-19 et la crise en Ukraine.
Sur la scène internationale, l'Algérie, qui s'apprête à accueillir le Sommet de la Ligue arabe, joue de nouveau un rôle de premier plan.
Forte de sa position de principe traditionnelle de non ingérence dans les affaires internes des autres pays et de son action diplomatique au service de la paix et du développement dans le monde, sa voix est écoutée et respectée.
Sa médiation dans les dossiers malien et libyen, entre-autres, est hautement appréciée, car s'opérant dans le respect de la souveraineté des pays concernés et ne s'inscrivant nullement dans les agendas de puissances étrangères.
Né à Lyon de parents originaires de Sétif, en Algérie, Azouz Begag n’a évidemment pas manqué de suivre de près les déclarations du président français, qui doit terminer ce samedi 27 août une visite officielle de trois jours en Algérie, et celles de son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune. Ancien ministre français délégué à la Promotion de l’égalité des chances du gouvernement de Dominique de Villepin, il a désormais tourné la page de la politique politicienne, et revendique une liberté de parole retrouvée. Mais pour l’écrivain, scénariste et chercheur, la création et le politique se côtoient dans son œuvre comme dans son parcours.
Pour Azouz Begag, l’année littéraire a d’ailleurs été faste. Il a d’abord publié L’Arbre ou la maison (éd. Julliard, 2021), roman dans la veine autobiographique de son immense succès Le Gone du Chaâba (éd. Seuil, 1986). Puis Les Français ont encore leur mot à dire (éd. Plon, 2022), essai qui prend le pouls de la société française en proie à la montée de l’extrême droite. Pour Jeune Afrique, il livre également son regard sur les relations complexes entre l’Algérie et la France, en insistant particulièrement sur la question mémorielle.
Jeune Afrique : Dans votre dernier livre, Les Français ont encore leur mot à dire, le chapitre « L’Algérie, toujours et encore » commence par : « Soixante ans après son indépendance, l’Algérie fait encore jaser en France. » Emmanuel Macron s’apprête à clore, ce samedi, trois jours d’une visite officielle très attendue. Comment expliquer que les relations entre la France et l’Algérie soient aussi tendues ?
Azouz Begag : On n’efface pas cent-trente-deux ans de brutale colonisation en soixante ans ! Il y a tant de non-dits, de choses non-avouées, non-reconnues, qui sont encore enfouis dans les mémoires de là-bas et d’ici. La colonisation et la guerre qui a suivi ont créé des traumatismes de longue durée. À leur propos, chaque mot prononcé hier et aujourd’hui – « évènement », « crime contre l’humanité », « repentance » – a une charge émotionnelle insoupçonnable. L’hypersensibilité française et algérienne est encore très forte.
L’histoire de la colonisation et de la guerre sont-elles bien transmises en France et en Algérie ?
Bien sûr que non ! Qui connaît en France l’émir Abdelkader ? Qui sait ce que signifie « smala » ? Aux États-Unis, dans l’État de l’Iowa, une ville a été dédiée à l’émir Abdelkader : Elkader city ! Pour lui rendre hommage. En France, le maréchal Bugeaud est bien plus célébré que l’émir. Et pourtant…
Pensez-vous que le nouveau contexte géopolitique peut avoir un impact sur ces relations et, plus généralement, sur la politique étrangère algérienne ?
La manne gazière, qui a pris une valeur encore plus stratégique en raison des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, est en train de changer la donne pour le pouvoir et le peuple. L’Algérie est aujourd’hui courtisée pour ses richesses gazières. Elle a les cartes en main. J’espère qu’elles vont être utilisées pour améliorer le sort des millions de jeunes qui veulent se construire un avenir dans leur pays.
Le peuple algérien, en particulier sa jeunesse, s’est révolté en 2019, mais, malgré la chute de Bouteflika, nombreux sont ceux qui considèrent que l’ancien régime est resté en place, sous une nouvelle forme. Le Hirak a-t-il été un échec ou un premier jalon vers un véritable changement ?
Actuellement, le pouvoir en place ne peut pas ignorer la colère qui gronde chez nombre d’Algériens frustrés par leur sort et qui ne veulent plus s’y résigner. En ce sens, le Hirak laissera des traces dans l’histoire. Notamment celle d’un beau mouvement populaire cité en exemple dans le monde entier.
Comment sortir de ce qui ressemble à une impasse dans les relations entre le Maroc et l’Algérie ?
Les peuples algérien et marocain sont frères. Dans leur cœur, il n’y a pas de frontières. Le bon sens populaire va aider à la solution politique des différends qui minent ces deux pays depuis des décennies.
Vous portez un regard très critique sur l’évolution du débat politique en France. Dans votre livre, vous évoquez le « grand remplacement ». Comment a-t-on pu en arriver là en France ?
Comme « race », « islamo-gauchisme », la formule « grand remplacement » est d’une perversité effrayante. Elle voudrait rendre compte d’une invasion des barbares qui se ferait par les canalisations de la société. L’antisémitisme s’est toujours nourri de ces odieuses imageries. « On n’est plus chez nous ! » J’entends ce slogan depuis une génération. Qui sont les « nous » qui se revendiquent légitimes chez eux et souhaiteraient purifier la France et son identité ?
Le zemmourisme s’est abreuvé depuis une dizaine d’années à cette source profonde et féconde du racisme élémentaire. Zemmour est enterré, mais 89 députés du Rassemblement national sont entrés à l’Assemblée nationale pour défendre ses idées au sein même de la République. La France a tellement changé. C’est anxiogène.
Vous parlez également de « l’islamo-gauchisme » en dénonçant le flou du terme. Certains l’ont utilisé pour dénoncer son influence dans le milieu universitaire que vous connaissez bien. De quoi ce mot est-il le nom ?
C’est vraiment un vocable nauséabond. Il ne veut rien dire du tout, mais signifie beaucoup dans les esprits des gens qui le colportent. Quand je pense que Frédérique Vidal, l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur voulait commander une étude au CNRS pour cerner l’ampleur de ce soi-disant fléau qui gangrènerait l’université. Pure folie !
L’écrivain Salman Rushdie a été victime d’une attaque au couteau. Êtes-vous inquiet quant aux atteintes à la liberté d’expression ? Que pensez-vous du droit au blasphème ?
Personnellement, je ne pratique jamais le blasphème. Je respecte trop les croyants de toutes religions. En tant qu’écrivain, cependant, j’interdis quiconque d’interdire à un artiste la totale et libre expression de sa vision du monde. Je suis voltairien. Je suis un amoureux éperdu de la liberté.
Quels sont vos projets littéraires ?
Je termine un roman d’amour sur la jalousie maladive et ses terribles conséquences sur l’équilibre d’un couple.
Et vos projets politiques ?
C’est fini depuis longtemps. J’en suis content. Je suis libre !
ttérature peut-elle nuire ? C’est l’une des questions qui traversent le cinquième roman de Kaouther Adimi, « Au vent mauvais », qui se déroule sur fond d’histoire de l’Algérie au XXe siècle.
Tarek et Leïla sont mis en scène par leur ami d’enfance, Saïd, dans un livre. Une publication qui transforme leur vie, percutée par ailleurs par la colonisation, la guerre mondiale, les luttes d’indépendance et la guerre civile.
Un récit fictionnel où l’on croise aussi Frantz Fanon, les Black Panthers, Yacef Saadi, la musique de Warda Al-Jazaïria, un récit qui nous entraîne, en un souffle, d’Alger à Rome en passant par Paris. Rencontre avec son autrice, Kaouther Adimi.
Jeune Afrique : Au vent mauvais s’inspire de l’histoire de vos grands-parents. Quand commence la fiction ?
Kaouther Adimi : Il y a une idée de départ : moi, qui reconnais dans un roman publié en Algérie mes grands-parents, car ils sont nommés et qu’il s’agit du même village où j’ai passé du temps. Après, j’ai imaginé tout le reste. Je dédie le livre à mes grands-parents car ils sont en quelque sorte à l’origine de cette idée, mais passée la dédicace, il n’y a que le roman. L’écrivaine disparaît – du moins jusqu’aux ultimes pages.
Le roman a pour décor l’histoire politique de l’Algérie au XXe siècle. Saïd, qui a fait de ses amis d’enfance, Tarek et Leïla, des héros de roman, dit qu’il s’agit de » « personnages dont les trajectoires ont été déterminées par les bouleversements du pays ».
Je crois que le XXe siècle fracasse Tarek et Leïla. Ils subissent la seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie, puis la parution du roman de Saïd qui les force à fuir et, enfin, la guerre civile. S’ils ne sont pas déterminés uniquement par les bouleversements de l’Algérie, ils sont en prise avec ces événements. Que faire à l’intérieur de ce cadre ? Tarek comme Leïla vont dévier de leur trajectoire initiale. Le premier en partant à Rome, la seconde en apprenant à lire. La parution du livre de Saïd va les forcer à prendre une nouvelle voie.
Vous faites référence à plusieurs pages de l’Histoire, dont la mutinerie de Versailles de 1944. Pouvez-vous revenir sur cet épisode méconnu ?
Le roman est constitué d’ellipses car ce n’est pas un roman historique. Je ne voulais pas que la grande histoire prenne le pas sur les trajectoires des personnages, mais pour autant, je ne pouvais pas faire abstraction de certains événements. Il me fallait par exemple trouver une façon de raconter le début et la fin de la seconde guerre mondiale sans être expéditive ni convenue. Lors de recherches, j’ai lu un article d’Emmanuel Blanchard sur une révolte de soldats nord-africains à Versailles, en décembre 1944. J’ai contacté les archives départementales des Yvelines et fouillé des tas de boîtes de documents. J’ai pu lire la correspondance du ministère de l’Intérieur, des militaires et officiels de l’époque.
L’histoire m’a semblé extraordinaire : il y avait ces centaines de soldats africains cantonnés à Versailles au lendemain de la libération de la ville, qui attendaient de pouvoir rentrer chez eux après deux ou trois ans au front ou dans les camps et qui vivaient dans des conditions déplorables. Peu à peu, le cinéma, les cafés, l’alcool leur ont été interdits par toute une série d’arrêtés, jusqu’à l’arrestation de trois d’entre eux et la mutinerie d’une partie des soldats. Ce qui donne lieu quelques semaines plus tard à une rafle organisée par le ministère de l’Intérieur. Tarek est au centre de cette révolte.
Le film La Bataille d’Alger et sa fabrication est une autre page importante racontée dans Au vent mauvais. Pourquoi ?
J’ai été marquée par le fait que ce tournage a eu lieu au lendemain de l’indépendance dans les lieux mêmes de la bataille d’Alger, filmé avec des acteurs non professionnels, des gens qui avaient connu la guerre. La réception du film est intéressante aussi : la France a mis des années à délivrer le visa d‘exploitation, les rares cinémas à l’avoir programmé ont dû faire face à une hostilité importante orchestrée par l’extrême droite et les nostalgiques de la colonisation… Pour Tarek, le tournage de La Bataille d’Alger, c’est ce moment où il réalise que la guerre perdure, à Alger dans les lieux de la guerre, mais aussi en banlieue parisienne.
Suite à une agression à Paris, Tarek décide de laisser derrière lui « la France, l’Algérie et tout ce merdier ». À quoi sert sa parenthèse à Rome ?
C’est un temps suspendu et le seul coup de folie que s’autorise Tarek, une folie nécessaire car il peut enfin mettre de côté ses démons, oublier un temps les guerres. C’est aussi, peut-être, une façon de dire que s’éloigner de l’axe Algérie-France permet une distance salutaire.
Votre année de résidence à la villa Médicis à Rome a-t-elle permis cela ?
J’ai été heureuse de pouvoir m’éloigner un peu, de ne pas être en France pendant l’année électorale, même si les débats puants sont tout de même arrivés jusqu’à moi. Rome a été pour moi, en revanche, un moment important de rencontre avec des artistes exceptionnels.
Le récit s’ouvre avec la mention des essais nucléaires effectués par la France en Algérie. Le premier « vent mauvais ». Dans quelle mesure le « vent mauvais » est à la fois l’absence de récits tout autant que la dominance de certains autres ?
Le vent mauvais c’est surtout cette chose présente dans les airs et autour de nous, malgré le temps qui passe, et auquel on ne peut échapper.
Ai-je le droit à un joker ? Son déplacement s’inscrit dans une relation entre l’Algérie et la France, qui, quoiqu’on en dise, est importante de par les liens humains, commerciaux, historiques, etc. Ce qui est perturbant dans la position d’Emmanuel Macron, c’est l’évolution du discours : il parlait de crime contre l’humanité lorsqu’il était candidat et aurait pu faire espérer beaucoup. Une ouverture réelle des archives, une approche différente sur les questions d’indemnités pour tous ceux et celles qui ont subi les essais nucléaires, les tortures, les crimes de guerre…
Quelle est la place de la guerre d’Algérie, aujourd’hui, dans les relations franco-algériennes ?
C’est une épine dans le pied de la France et dans beaucoup de familles françaises, souvent avides d’histoires et de réponses, une épine qui s’est infectée. Emmanuel Macron ne veut pas retirer les épines, il veut seulement calmer les douleurs de manière superficielle, alors qu’il faudrait regarder le pied, examiner la plaie et arracher l’épine. Par ailleurs, l’Algérie comme la France font mine de ne pas voir que la question de la guerre d’Algérie concerne aussi la manière dont l’État français a construit sa relation avec les Algériens sur son sol et avec les Français d’origine algérienne.
L’État algérien actuel ne se préoccupe pas de la manière dont nous sommes traités, ce n’est pas un enjeu pour lui. Quant à Emmanuel Macron, il mène une politique islamophobe, portée par un ministère de l’Intérieur d’extrême droite, raciste, qui, chaque jour, contribue à faire de la France un pays de plus en plus dangereux pour les musulmans, les Français originaires du Maghreb, etc. Il est naïf de croire qu’il n’y a pas là un héritage colonial. Certains discours de Marlène Schiappa ne sont pas sans rappeler les discours des femmes de généraux à l’époque de la guerre. La façon de vouloir réglementer la vie des musulmans est directement inspirée de la colonisation. Je ne crois pas de mon côté à une possibilité de relation apaisée entre l’Algérie et la France si ce sujet n’est pas traité avec lucidité et courage.
« Qu’héritent nos enfants de nos peines ? » demande justement Leïla. Vos fictions sont-elles une manière de transmettre les impossibilités de dire ?
L’impossibilité de dire, de parler, de communiquer, d’interagir et en même temps d’oublier sont des thèmes récurrents de mes romans. C’était déjà le cas dans mon premier livre, Des ballerines de Papicha, où chaque membre d’une famille racontait sa journée et se racontait, tout en étant incapables, les uns avec les autres, de la moindre interaction. La difficulté d’être soi, d’exister en tant qu’individu à part entière, de trouver le bon équilibre entre pudeur et parole, sont très présents dans Au vent mauvais.
Quels mots et quels silences vous ont été transmis ?
Je viens d’un pays où le silence est une forme de prolongement de la pudeur. On parle peu de nos douleurs et de nos drames, et c’est l’un des sujets du roman : que gardons-nous et que transmettons-nous des guerres que nous vivons ? Tarek et Leïla en subissent trois, dont ils ne parlent jamais à leurs enfants. Et leurs enfants et petits-enfants feront de même : moi-même, je n’évoque que rarement la guerre civile et ce que nous avons vécu dans les années 1990. Pour autant, ne rien dire ne signifie pas ne rien transmettre. Le silence est une forme d’héritage. Important, car il pousse celui qui le reçoit à essayer de découvrir ce qu’il recouvre.
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