Loin des théories générales, des analyses globales, c’est en explorant les itinéraires individuels que Patrick Rotman tente de trouver une réponse. Pendant des mois, il a recueilli des témoignages d’hommes qui avaient été confrontés à la vioIence extrême. Ces témoignages concrets, parfois insupportables, tissent la face sombre d’une guerre affreuse. Ils forment un récit où une trentaine de destins s’entremêlent avec l’histoire de la guerre d’Algérie.
Photo de la bombe atomique " Gerboise bleue " remplacée par Michel Dandelot
Il y a 64 ans jour pour jour, la France a déclenché une explosion nucléaire dans le Sahara. Elle a été suivie par une série d’autres essais jusqu’en 1966, et ce alors même que l’Algérie a accédé à l’indépendance en 1962. Sputnik Afrique revient sur ce dossier très sensible qui empoisonne encore aujourd’hui la relation entre Paris et Alger.
Le 13 février 1960, dans le cadre de l’opération baptisée Gerboise bleue, la France a réalisé son tout premier essai nucléaire dans le désert du Sahara, à Reggane.
L’explosion a atteint une puissance d’environ 60 à 70 kilotonnes, soit quatre fois celle d’Hiroshima, au Japon.
En 1962, l’Algérie a obtenu son indépendance, mettant fin à la colonisation française. Toutefois, Paris a continué ses essais pendant plusieurs années après cette date.
Entre 1960 et 1966, la France a effectué 17 autres expérimentations nucléaires: 4 explosions aériennes dans la région de Reggane et 13 explosions souterraines à In Ecker.
À l’époque, les forces d’occupation françaises ont prétendu que les essais avaient eu lieu dans des zones inhabitées, alors qu’elles comptaient plusieurs milliers de civils.
Le bilan total des explosions nucléaires françaises entre 1960 et 1966 en Algérie est de 600 kilotonnes, soit plus de 46 fois la bombe d’Hiroshima et plus de 28 fois celle de Nagasaki.
Des quantités importantes de plutonium ont été dispersées sur des milliers d’hectares.
L’armée française a utilisé 150 cobayes algériens lors de l’explosion de la bombe «Gerboise blanche», 101 autres cobayes algériens pour «Gerboise rouge» et enfin 195 cobayes français pour «Gerboise verte». Les éléments d’une unité militaire française ont été également utilisés comme cobayes dans «l’Opération Pollen».
Les habitants de ces régions souffrent toujours des séquelles des explosions, avec le recensement chaque année de plusieurs cas de cancer, de malformations congénitales et de stérilité.
Les essais nucléaires ont également causé des dommages environnementaux importants, contaminant les sols et les nappes phréatiques de la région.
Six accidents majeurs ont été répertoriés entre 1962 et 1965 : deux à Reggane et quatre à In Ecker. Huit autres essais souterrains au Tan Affela ont provoqué des fuites de gaz radioactifs de moindre importance.
Le fait le plus marquant s’est produit le 1er mai 1962, lors de l’explosion souterraine répertoriée sous le nom de code Béryl. C’est le premier accident nucléaire, surnommé Tchernobyl 1 par les experts. La puissance de la bombe était de 30 kilotonnes et les parois de l’enceinte de confinement ont cédé. Une lave radioactive s’est formée et s’est répandue sur un rayon de 300 mètres, libérant un nuage radioactif qui a franchi la frontière algérienne avec la Libye. Pas moins de 2000 civils et militaires, qui ont aussi assisté à l’explosion, et des habitants de la région ont été contaminés. Actuellement, cette région est gravement affectée par les déchets radioactifs, ce qui a un impact sur la santé de ses habitants.
Les autorités algériennes n’ont obtenu aucune carte ou plan des sites d’enfouissement des matériaux radioactifs pour procéder à une décontamination.
La seule carte concernant la première explosion atmosphérique, «Gerboise bleue», déclassifiée il y a dix ans, montre au moins 26 pays africains contaminés. Même le sud de l’Europe, à savoir les côtes espagnoles et la Sicile ont vu arriver le nuage radioactif.
Paris n’a pas non plus versé de compensations aux victimes algériennes ni à leurs familles, malgré le vote en 2010 d’une loi qui prévoit de dédommager les victimes des essais nucléaires français. Depuis, une seule victime «habitant en Algérie» a pu obtenir réparation.
Les Algériens «attendent une reconnaissance totale de tous les crimes commis par la France coloniale», a déclaré à la presse le chef d’État Abdelmadjid Tebboune. Il a insisté sur l’obligation pour la France de «nettoyer les sites des essais nucléaires» et de soigner ses victimes.
Vu l’impossibilité pour l’Algérie d’assumer seule la tâche de décontamination d’un territoire s’étalant sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés, la nécessité d’une coopération internationale est indiscutable. Par exemple, le Royaume-Uni, qui a mené des essais nuc
Dans les années 1970, la mobilisation des travailleurs immigrés pour la Palestine a été importante dans la cité phocéenne. En 1973, cette ville a aussi été l’épicentre d’une vague de criminalité raciste sans précédent. Aujourd’hui, alors que la municipalité de gauche maintient son soutien à l’UNRWA, les initiatives s’inscrivent dans la mémoire collective anticoloniale d’une partie des Marseillais.
re 1973 contre le consulat d’Algérie à Marseille revendiqué par le Groupe Charles Martel. STF/AFPLe 16 décembre 1973, des milliers de personnes accompagnent les dépouilles des Algériens victimes de l’attentat à la bombe du 14 décemb
Une histoire qui se répète, ou plutôt se reflète. C’est ce que l’on saisit en filigrane de l’engagement pour la Palestine de nombreux jeunes Français issus de l’immigration. À Marseille, Dalal, 23 ans, descend chaque semaine dans la rue pour demander un cessez-le-feu : « J’ai été très tôt sensibilisée par ma famille à la cause palestinienne, mes grands-parents et arrières grands-parents ayant vécu sous le joug colonial français ». Tout comme Sarah, étudiante algérienne à la faculté de droit d’Aix-Marseille, qui lie son soutien à son histoire personnelle et se dit « très sensible aux questions de lutte indépendantiste et de libération des peuples en raison de l’histoire de l’Algérie ».
Mi-novembre 2023, les manifestations en soutien à Gaza essaiment les rues de Marseille depuis plus d’un mois quand des étudiants décident de lancer le Comité étudiant Palestine. Une initiative qui coïncide dans la cité phocéenne avec les cinquante ans d’une page sombre de l’histoire française. En 1973, une vague de meurtres racistes cible ses immigrés maghrébins, noyés, tués à l’arme blanche, ou battus à mort. La ville devient l’épicentre d’une « chasse à l’Arabe », comme nommera rétrospectivement Le Monde cette période de meurtres en série qui fit une cinquantaine de victimes en France, dont au moins 17 dans la région. Une flambée de violences qui intervient au terme d’années de diabolisation de la figure de l’Arabe.
Car le racisme est une histoire française qui s’accorde aux contrecoups du conflit au Proche-Orient. Dès la guerre de juin 1967, l’opinion publique rejette dans sa grande majorité les puissances arabes opposées à Israël dans la région. Aux avant-postes du soutien écrasant à Israël, des associations de pieds-noirs rapatriés d’Algérie instrumentalisent le conflit pour attaquer les immigrés arabes en France.
MÉMOIRES COLONIALES
« En France, le fait que la parole coloniale n’ait jamais été dite joue beaucoup dans le soutien occidental à Israël. Pour les Occidentaux, Israël est un exemple réussi de reconquête coloniale ». Depuis le 7-Octobre, Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), multiplie les interventions en soutien à la Palestine. Il clame son antisionisme comme prolongement de ses convictions anticoloniales. Le 16 octobre 2023, la militante gazaouie du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) Mariam Abou Daqqa quitte son appartement à Marseille quand elle est arrêtée par la police à la gare Saint-Charles. « On assiste à une criminalisation de la Palestine par l’État français », s’insurge Pierre Stambul.
Fils de Yakov Stambul, résistant et rescapé juif du groupe Manouchian déporté à Buchenwald, survivant des camps, sa parole jaillit régulièrement des manifestations en soutien à la cause palestinienne à Marseille. Pour lui, mal nommer les choses ajoute au malheur de Gaza :
Ce n’est pas une guerre raciale, ni communautaire ni religieuse, mais coloniale. Et nous faisons face à un colonialisme particulier, puisque le colonialisme sioniste n’a jamais visé à exploiter l’indigène mais à l’expulser et à le remplacer.
Le colonialisme est une histoire partagée entre Israël et la France. Les mémoires à vif héritées du règlement de la « guerre d’Algérie » ancrent le conflit israélo-arabe dans le débat français dès la guerre de juin 1967. Elle « correspond à l’un des moments les plus stupéfiants de l’histoire des passions françaises (…). Un véritable vent de folie s’est alors levé sur le pays, saisi par un déchaînement de haine anti-arabe qui n’allait pas retomber de sitôt »1.
En amont de la guerre de juin 1967, les comparaisons entre Gamal Abdel Nasser et Hitler se multiplient. Ainsi que les manifestations en soutien à Israël. À gauche, comme au Parti communiste, on s’inquiète du caractère anti-arabe qu’elles prennent. Sur les Champs-Élysées, différentes organisations de rapatriés d’Algérie « fournissent d’amples contingents » pour klaxonner sur les cinq notes le slogan « Al-gé-rie fran-çaise » rebaptisé « Is-ra-ël vain-cra ». Selon un sondage SOFRES d’octobre 1967, 44 % des personnes interrogées se considèrent plus fortement hostiles envers les Arabes qu’envers les juifs, contre 3 %2.
RANCUNES D’APRÈS-GUERRE
À Marseille en particulier, les fractures identitaires qui survivent au conflit algérien nourrissent la haine contre l’immigré et cristallisent les mémoires coloniales françaises. Ainsi le 7 septembre 1972, le quotidien marseillais Le Méridional qualifiait, en réaction à l’attentat de Munich, l’immigration algérienne de « gangrène ». La veille, un commando de l’organisation palestinienne Septembre noir3 avait pris en otage la délégation israélienne aux Jeux olympiques, à l’issue de quoi 11 de ses athlètes seront tués. Un an plus tard, un épisode de violences racistes sans précédent marquera la France.
Dès sa création en octobre 1972 par des anciens de la Waffen-SS4, le Front national de Jean-Marie Le Pen s’attelle à séduire l’électorat pied-noir. En 1973, lors des élections législatives, son programme propose d’indemniser les rapatriés d’Algérie tout en dénonçant les Accords d’Évian. À Marseille, son candidat Roland Soler, ancien membre de l’Organisation armée secrète (OAS), prétend porter la voix des 100 000 pieds-noirs que compte la ville. Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’afflux des rapatriés Français d’Algérie et des travailleurs immigrés font de la cité phocéenne l’épicentre des flux migratoires en France. En 1973, des statistiques du ministère de l’intérieur font état d’un million deux cent mille Maghrébins en France dont environ 18 % dans le sud-est.
À l’époque, le mythe du retour s’éloigne pour beaucoup d’entre eux qui finissent par s’installer en France. Un mouvement qui coïncide avec Mai 68 et le climat de révolution anti-impérialiste qui oriente les luttes de classe, notamment en France. Après la défaite arabe de juin 1967, la cause palestinienne s’ancre à gauche. « Encouragée par ce souffle international, la résistance palestinienne se voudra l’alternative aux échecs du nationalisme arabe nassérien (…) et véhiculera une idéologie révolutionnaire universalisante »5.
En 1970, des Comités Palestine s’organisent au lendemain des massacres de « Septembre noir »6 contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en Jordanie. Des militants immigrés se saisissent de l’événement pour unir leurs revendications. À Marseille, le comité local est pourchassé par les forces de police, convaincues de trouver parmi leurs militants une cellule clandestine du FPLP. Le soutien à la cause palestinienne par les immigrés est appréhendé par les autorités françaises comme un trouble à l’ordre public. L’expérience des Comités Palestine dure deux ans, avant leur intégration dans le nouveau Mouvement des travailleurs arabes (MTA) en 1972 : « C’était une manière de prendre acte de la transformation de la nature même de notre action, qui a dépassé le soutien aux Palestiniens pour devenir presque entièrement centrée sur la problématique des droits et de la lutte contre le racisme », avance Driss El-Yazami, alors étudiant marocain à Marseille7.
L’ENGRENAGE DE VIOLENCES
Mais en 1973, c’est l’escalade8. Le 25 août, en plein centre-ville de Marseille, un chauffeur de bus est tué par un déséquilibré d’origine algérienne. Le lendemain, le rédacteur en chef du Méridional, Gabriel Domenech, signe un éditorial qui fera date : « Assez des voleurs algériens, assez des casseurs algériens, assez des fanfarons algériens, assez des trublions algériens, assez des syphilitiques algériens, assez des violeurs algériens (…) ».
Le 28 août 1973, l’assassinat de Ladj Lounès, 16 ans, abattu de trois balles, provoque une grève générale des travailleurs immigrés à l’initiative du MTA. C’est sur son cercueil, rapatrié en Algérie depuis la gare maritime de la Joliette, que l’appel est lancé. Entre août et décembre 1973, une cinquantaine d’agressions et 17 meurtres d’immigrés algériens sont comptabilisés dans la région, informations brièvement évoquées dans les pages des faits divers de la presse locale : « En une ou deux lignes, il est seulement question de crânes fracturés, de morts par balles ou à coups de hache, de coups de feu tirés depuis des voitures, de noyés retrouvés dans le Vieux-Port (…) »9.
Les violences sont si graves que le président algérien Houari Boumédiène décide de suspendre les départs des travailleurs : « Si la France ne veut pas de nos ressortissants, qu’elle nous le dise, nous les reprendrons ! » Le 14 décembre, un attentat revendiqué par le Groupe Charles Martel vise le consulat d’Algérie à Marseille. Le bilan est de 4 morts et 16 blessés. Mais l’antiracisme politique hérité de la mobilisation pour la Palestine est déjà ancré dans l’expérience politique des immigrés arabes en France. En 1974, le sujet du vote des immigrés est notamment posé lors du premier congrès des travailleurs étrangers à Marseille.
LUTTES EN MARCHE
La création de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) en 1982 marque une étape dans l’approche politique de la question de l’immigration. À l’origine nommée Association des Marocains en France (AMF), fondée par Mehdi Ben Barka, elle prend acte de l’abrogation du décret de 193910. À l’époque la création d’associations dites « étrangères » se fait sur une base nationale et reste subordonnée à l’autorisation du ministre de l’intérieur. Les immigrés de nationalités différentes pouvaient difficilement s’unir au sein d’une même organisation. Une barrière que les Comités Palestine puis le MTA ont contribué à commencer de lever.
Mais à l’heure des 40 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, partie de Marseille le 15 octobre et arrivée en fanfare à Paris le 3 décembre 1983, le bilan des luttes antiracistes convoque une mémoire coloniale encore étouffée. La gauche socialiste s’inquiète alors des revendications portées par des jeunes de banlieues arborant le keffieh palestinien. Pour Antoine, 20 ans, étudiant en cinéma à Marseille, « les raisons des violences, physiques ou institutionnelles, qui sont perpétuées sur les immigrés et descendants d’immigrés sont liées idéologiquement au soutien (français) apporté à un État génocidaire »11. Dalel pointe pour sa part les récentes « interdictions de manifester début octobre qui s’inscrivent dans le continuum colonial français ».
Ce que montre tristement la participation du Rassemblement national (RN) et de Reconquête ! à la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023 à Paris, Éric Zemmour ne lésinant pas devant les micros des chaînes d’info en continu sur les prétendus dangers de « l’immigration venue des contrées musulmanes » qui entretiendrait l’antisémitisme en France.
Lundi 5 février 2024, plus d’une semaine après l’annonce par un certain nombre de pays de leur suspension à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), Benoît Payan, le maire (ex-socialiste) de Marseille, déclarait maintenir les 80 000 euros d’aide de la ville à l’UNRWA. L’agence onusienne avait révélé fin janvier avoir licencié 12 employés accusés d’être impliqués dans les attaques du Hamas du 7-octobre. À l’origine de ces allégations, Israël refuse néanmoins de partager avec l’organisme ses éléments de preuves. Une pétition avait invité l’édile marseillais à ne pas participer à une « punition collective » pour Gaza. Message reçu, contrairement à plusieurs pays occidentaux dont les États-Unis.
Un rapport de la police scientifique que Mediapart a consulté apporte de nouveaux éléments. S’il accable certains des policiers qui, en juillet 2023 à Marseille, ont fracassé le crâne d’Hedi, il ne mentionne pas la présence de la commandante. Elle était pourtant sur les lieux.
ansDans l’affaire Hedi, les images de vidéosurveillance n’ont pas fini d’éclairer sur l’extrême violence des quatre policiers qui ont tiré au lanceur de balles de défense (LBD) et se sont acharnés sur le jeune homme, alors âgé de 21 ans, dans la nuit du 1er au 2 juillet 2023, à Marseille, en marge des révoltes liées à la mort de Nahel. Hedi, dont le crâne a été fracassé et le cerveau grièvement touché, avait dû subir une amputation partielle et temporaire du crâne. Il a depuis pu être réopéré.
À la demande du juge, les experts de la police scientifique ont retravaillé sur les enregistrements des caméras de surveillance de la ville, sur celles d’un lieu de culte et sur celles de la vidéo d’un témoin. Ils ont eu à vérifier le rôle de chacun des policiers dans les violences, à préciser la scène qui précède le tir de LBD et celle du passage à tabac du jeune homme et, enfin, ont dû apporter « tout élément susceptible d’être utile à la manifestation de la vérité ».
Dans leurs conclusions, datées de novembre 2023 et que Mediapart a pu consulter, les techniciens du laboratoire de criminalistique numérique confirment la chronologie des faits et la mise en cause des quatre policiers, précédemment établie par les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
Ils apportent néanmoins des précisions sur les coups portés et leurs auteurs, en particulier le gardien de la paix David B., déjà visé par d’autres affaires de violences. Selon les experts, ce policier est celui qui porte la majorité des coups sur Hedi avec un « objet non identifié »,vraisemblablementune matraque télescopique.
Sur les sept policiers de cet équipage de la brigade anticriminalité (BAC) impliqués dans les faits, quatre ont été mis en examen, en juillet, pour violences volontaires aggravées par trois circonstances (« avec arme », « en réunion », « par personne dépositaire de l’autorité publique ») ayant entraîné plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT).Trois d’entre eux sont encore suspendus. Un cinquième, Mario S., n’a pas participé aux violences.
David B., principal auteur des coups portés sur Hedi
Comme nous l’avions révélé à partir des images des caméras de vidéosurveillance, le 2 juillet à 1 h 56 dans le centre-ville de Marseille, alors qu’il n’avait commis aucune infraction et ne présentait aucun danger, Hedi a été grièvement blessé par une balle de LBD, tirée par le policier Christophe I. L’analyse des images par les techniciens de la police scientifique confirme que lorsque le « porteur de LBD stabilise ses appuis », il « est vraisemblable que ce soit à cet instant que le tir de LBD ait été effectué », soit à 1 h 56 et 14 secondes.
À terre, Hedi est relevé par le major Boris P. qui le conduit à l’abri des regards, dans une petite rue où il retrouve deux autres de ses collègues, David B. et Gilles A. Alors qu’Hedi semble tituber et met « une main à hauteur de sa tête », le policier David B. lui donne un premier « coup de pied dans les membres inférieurs et le fait chuter ». Au sol, « deux coups de pied en direction des fesses ou des cuisses sont assenés » toujours par David B. et « sont bien moins puissants que celui qui a déséquilibré la victime ».
À cet instant, le policier Boris P. « se penche » vers Hedi. Les experts expliquent que « ses actions et attitudes envers la victime » sont impossibles à discerner, alors que, dans son rapport, l’IGPN a bien identifié « un coup de poing avec son bras droit » mais dont la trajectoire ne permet pas de savoir s’il a touché sa cible, un poteau cachant la suite du coup.
Certains coups éventuellement portés n’ont donc pu être étayés par les techniciens, du fait « des conditions de prises de vue ». Mais d’autres le sont. Comme le « coup (audible) » qu’assène David sur « le côté gauche de la tête » d’Hedi avec « un objet longiforme non identifié observé dans le prolongement de la main gauche qui porte le coup », probablement une matraque télescopique.
Lorsque Hedi se relève, à 1 h 56 et 50 secondes, c’est au tour du policier Gilles A., porteur de gants coqués, de lui donner un « coup de pied (audible) au niveau de la cuisse gauche ». À 1 h 56 et 55 secondes, Hedi s’éloigne et n’est plus visible des caméras. Du tir de LBD au dernier coup de pied, une minute seulement s’est écoulée. En une minute, Hedi a eu le crâne ouvert, le cerveau grièvement touché et la mâchoire fracturée. Un déferlement d’une extrême violence.
Comme nous l’avions révélé, David B. est déjà visé par des enquêtes pour violences. Il a été inquiété dans l’affaire d’Angelina (précédemment connue sous le pseudonyme de Maria), en 2018, rouée de coups de pied et de poing par des policiers qui lui ont fracturé le crâne et grièvement touché le cerveau. Comme Hedi, elle a frôlé la mort et, comme elle l’a confié à Mediapart, elle garde encore aujourd’hui, plus de cinq ans après les faits, de lourdes séquelles.
L’enquête avait ciblé quelques policiers, parmi lesquels David B. qui, en détachement militaire au Togo, n’avait pu être auditionné et perquisitionné que plus d’un an après les faits. À l’époque, la hiérarchie de David B. n’avait déclenché aucune enquête administrative. Après avoir été classée sans suite, une instruction a été rouverte en juin 2023.
Quelques mois avant de tabasser Hedi, dans la nuit du 10 avril 2023, David B. a frappé un autre jeune homme, Thomas*, 20 ans. Là encore, sans raison. Pour ces faits, ayant entraîné cinq jours d’ITT, le policier doit être jugé en mai.
Dans l’affaire Hedi, plusieurs expertises sont encore attendues. En particulier celles des médecins qui doivent déterminer parmi les différentes violences, les coups et le tir de LBD, lesquelles sont à l’origine des multiples fractures et plus précisément celles du crâne et de la mâchoire. Les graves atteintes au cerveau d’Hedi ont-elles été causées par le tir de LBD ou par les coups de poing ?
La commandante Virginie G. présente près de ses hommes
Reste enfin à déterminer le rôle de la commandante Virginie G. Dans leurs conclusions écrites, les techniciens ne mentionnent pas sa présence au moment des faits. Elle est pourtant bien à proximité de ses hommes, comme en attestent les images (la commandante est entourée de rouge sur les images ci-dessous lorsque Hedi est tabassé).
Le soir des faits, Virginie G. était la cheffe de toutes les BAC. Elle avait sous son commandement direct l’équipage composé de six hommes avec lequel elle patrouillait. Sur les vidéos, elle et ses hommes sont clairement identifiés. Très facilement traçable, avec sa queue-de-cheval tressée et son sac à dos, la commandante est également reconnue sur plusieurs clichés par certains de ses subordonnés.
Malgré cela, elle déclare aux enquêteurs de l’IGPN : « Quand j’observe ces clichés, je ne me reconnais pas du tout. » Tout au long de son audition, comme nous l’avions relaté, la commandante ne sait rien, n’a rien vu et rien entendu. Alors qu’un témoin déclare l’avoir vue à côté du policier Christophe I. lorsqu’il tire au LBD sur Hedi, elle affirme ne « pas avoir vu cette scène ». Selon elle, lorsque Hedi a été touché et tabassé, elle serait rentrée, avec un des policiers de son unité, Gilles A., dans un magasin dont la porte avait été fracturée. Or, Gilles A. dément. Et pour cause, il participe aux violences et c’est lui qui porte à Hedi le dernier coup de pied.
Confrontée à ses contradictions par l’IGPN, la commandante déclare : « Je ne suis pas une menteuse. » Aurait-elle alors mauvaise mémoire ? Les enregistrements de vidéosurveillance attestent qu’elle n’est pas loin de Christophe I. lorsqu’il tire au LBD, vers 1 h 56 et 14 secondes. Les experts, curieusement, ne signalent pas la présence de la commandante à quelques mètres des policiers lorsqu’ils tabassent Hedi.
Une fois qu’il a tiré au LBD, Christophe I. et un autre agent traversent et rejoignent leurs collègues qui frappent le jeune homme. Les experts du laboratoire scientifique précisent que, lorsqu’il traverse la rue, Christophe I. est accompagné de Mario S. et non de la commandante, comme l’avait mentionné l’IGPN. Or, il suffit de faire défiler la vidéo, moins de dix secondes, pour constater que leur cheffe Virginie G. les suit également, traverse à son tour et, à moins de cinq mètres des policiers cogneurs, elle n’intervient pas pour faire cesser les violences.
Sur une autre vidéo, quelques minutes après les violences commises sur Hedi, deux des policiers sont identifiés par les enquêteurs de l’IGPN. L’un d’entre eux plaque au sol un homme muni d’un objet lumineux et lui assène plusieurs coups. Sur les images, on voit encore la commandante Virginie G. à proximité, et là encore elle laisse faire.
À ce jour, Virginie G. a été entendue sous le statut de témoin assisté. Sa hiérarchie a néanmoins décidé de la muter. Écartée du terrain, elle n’est plus à la BAC mais affectée à des missions administratives, côté CRS.
Un hommage national est rendu mercredi à l’ancien garde des Sceaux, disparu le 9 février à l’âge de 95 ans. Mais l’apparente unanimité ne saurait faire oublier la violence des attaques que lui ont valu, de la part de l’extrême droite, ses combats pour l’égalité des droits et contre la haine de l’humanité.
13 février 2024 à 19h13
LaLa mort est souvent consensuelle, parfois jusqu’à l’oubli. Elle l’est d’autant plus quand la vie du disparu en impose à ses contempteurs par sa cohérence et sa rectitude. Ainsi de Robert Badinter, qui a même eu droit aux hommages convenus – « une figure marquante du paysage intellectuel et juridique » qui « a défendu toute sa vie ses idéaux, avec constance et éloquence » – des deux principales figures de l’extrême droite française, Marine Le Pen, qui se voit déjà présidente en 2027, et Jordan Bardella, président de son parti, le Rassemblement national.
Signe supplémentaire de son ascension en respectabilité, la famille politique dont Robert Badinter a, toute sa vie, farouchement combattu les idées n’a donc pas hésité à saluer sa mémoire. Mais, plutôt qu’à ces hommages – de bienséance hypocrite et de tactique politicienne –, c’est à l’intensité et à la constance des attaques venues de l’extrême droite que l’on mesure la justesse des combats qui ont animé la vie de Robert Badinter.
En octobre 1983, jeune journaliste au Monde – j’avais 31 ans –, je me suis retrouvé, avec une consœur, rare témoin extérieur d’une « Journée d’amitié française » dont la haine était le refrain, haine des juifs au premier chef, haine de Robert Badinter au premier rang, lequel était alors ministre de la justice depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence, deux années plus tôt (le récit est ici, sur mon blog).
Toutes les composantes militantes de l’extrême droite y étaient représentées, communiant autour d’un credo maurrassien sur les « quatre superpuissances [qui] colonisent la France », soit « le marxiste, le maçonnique, le juif, le protestant ». L’antisémitisme s’y exprimait sans frein ni réserve, selon ses ressorts les plus éculés : « Les juifs sont aux deux pôles de la société contemporaine : fondateurs du capital financier et détracteurs les plus véhéments. »
Dans l’assistance, on pouvait croiser Jean-Marie Le Pen qui, l’année suivante, aux européennes de 1984, allait commencer l’ascension électorale et la banalisation idéologique de sa famille politique, dans une revanche sur sa double défaite, de 1944 – la Libération – et de 1962 – l’indépendance de l’Algérie.
Peu de mois avant cette journée parisienne, non pas d’amitié mais de haine, quelques milliers de policiers avaient manifesté sans rencontrer d’obstacles, le 3 juin 1983, jusque sous les fenêtres du ministère de la justice, pour réclamer la démission du garde des Sceaux, qualifié de « ministre de la délinquance ». « Badinter au poteau ! », avait-on entendu dans ce défilé factieux mené par les syndicats policiers de droite et d’extrême droite à l’issue des obsèques, dans la cour de la préfecture de police, de deux de leurs collègues tués avenue Trudaine, assassinat commis par le groupe terroriste Action directe. Là encore, Jean-Marie Le Pen était présent, circulant comme chez lui dans les rangs de ce rassemblement séditieux.
Robert Badinter était alors l’incarnation de tout ce que combat, aujourd’hui encore, l’extrême droite, c’est-à-dire une exigence radicalement démocratique de la République et une défense intransigeante de l’égalité des droits. Au-delà du symbole historique de l’abolition de la peine de mort, dont il porta avec panache la promesse en 1981, il représentait cette conception politiquement libérale d’un État de droit qui protège les citoyens et citoyennes des abus de pouvoir de l’État, de ses administrations, de sa police, de sa justice, à rebours de la vision rabougrie qui a aujourd’hui cours, celle du droit presque absolu d’un État autoritaire et répressif.
Abolissant les juridictions d’exception, mettant fin à la criminalisation de l’homosexualité, veillant à la condition de la population pénitentiaire, critiquant l’impasse du tout-carcéral, refusant la politisation des faits divers, défendant la réinsertion des délinquants, se dressant contre discriminations et racismes, appelant à une déontologie policière, etc. : toute la philosophie juridique et politique de ses actes le ferait passer, dans nos polémiques contemporaines marquées par une hégémonie idéologique réactionnaire, pour un dangereux laxiste, doublé d’un promoteur néfaste des minorités.
De fait, la haine de l’homme se révélant toujours une poupée gigogne, les refrains antisémites de cette réunion publique d’octobre 1983 dont Robert Badinter fut la cible privilégiée introduisaient d’autres haines qui, depuis, ont proliféré jusqu’à avoir désormais micro ouvert. L’un des orateurs, auteur d’un pamphlet intitulé Ce canaille de Dreyfus, y déclara que « nous sommes sous l’œil des barbares », car les immigrés « se reproduisent comme des lapins » au point que l’avènement d’un « président musulman » guette la France.
Sidéré par ce que j’avais entendu ce jour-là, qui ne me semblait pas anecdotique mais hélas prophétique sur l’empuantissement à venir de notre vie publique, j’ai voulu rencontrer Robert Badinter afin de lui confier mon inquiétude. Je me suis trouvé devant un homme qui avait choisi de faire face à ces ignominies avec autant de hauteur que de raideur. Aussi silencieusement que fermement.
Plutôt que de leur faire le cadeau de s’abaisser à entrer dans l’arène, à riposter et à polémiquer, il préférait poursuivre sa route de serviteur du droit, indissociable d’une esthétique de droiture qui campait le personnage. Fussent-ils louangeurs, les portraits qui lui ont été consacrés depuis sa mort soulignent son caractère hautain, sa carrière individualiste, sa condition de grand bourgeois, son réformisme peu porté au chamboule-tout révolutionnaire et, bien sûr, sa passion de la justice depuis qu’il avait choisi la profession d’avocat.
Juif et républicain, républicain et juif
Mais il y a une autre dimension. Pour mieux saisir quel homme fut Robert Badinter et quel héritage il lègue, il est bon de se replonger dans un maître ouvrage de Pierre Birnbaum, Les Fous de la République (Fayard, 1992). C’est une histoire d’émancipation au cœur de la République, grâce à elle et, parfois, malgré elle : l’histoire de ceux que l’historien nomme ces « Juifs d’État » qui, sous la IIIe République, ont pu assumer une existence publique de hauts fonctionnaires, dans tous les corps de l’État, tout en restant fidèles en privé à leurs traditions juives. Sans les renier ni les cacher. Juifs et républicains, républicains et juifs, les deux à la fois, et pas l’un sans l’autre.
De même que de nombreux autres de ces serviteurs de la République, alors dans sa jeunesse, étaient protestants, confirmant combien ce sont les minorités qui, sans cesse, en réinventent la promesse, à rebours des conformismes majoritaires. Et c’est bien pourquoi, à l’instar des théorisations maurrassiennes évoquées précédemment, les conservatismes les diaboliseront toujours.
En ce sens, les derniers mots de l’hommage rendu sur le réseau social X par Emmanuel Macron sont un contresens total : Robert Badinter était « l’esprit français », conclut le président, comme si la République relevait d’une identité racinée, originelle et immobile, alors même que sa promesse émancipatrice a toujours avancé grâce aux vents du large et, notamment, d’hommes et de femmes issu·es ou venu·es d’ailleurs.
Jusqu’à la trahison de Vichy, son antisémitisme d’État et sa participation au génocide, ces « fous » firent donc le pari absolu de la République, « heureux comme Dieu en France », selon le proverbe qui magnifiait ce pays, celui de l’affaire Dreyfus, capable de se battre pour le sort d’un juif, qui plus est d’un seul, victime de l’antisémitisme moderne.
Né en 1928 à Paris de parents ayant fui les pogroms de Bessarabie, l’actuelle Moldavie, Robert Badinter est de la génération qui a survécu à la Shoah – son père et d’autres membres de sa famille y ont disparu –, désormais lucide sur la fragilité de la promesse républicaine mais d’autant plus convaincu qu’il faut la faire vivre, avec ce même zèle que ses prédécesseurs. Un zèle entier, sans concession jusqu’à la rigidité, que l’on retrouvera, plus tardivement, dans ses réticences intellectuelles à la faire évoluer sous la pression de nouvelles revendications – régionalistes, féministes, antiracistes, internationalistes…
Pour autant, le résumer à des positions tardives plus conservatrices – notamment sur le sort de la Palestine au regard du droit international – ne serait pas rendre justice à sa vie. En 2011, avant que notre débat public ne bascule durablement dans une crispation obsessionnelle sur l’islam, on avait pu entendre Robert Badinter s’émouvoir, sur les ondes de France Inter, dans l’une de ces colères froides dont il avait le secret, du sort fait aux musulmans de France, prenant leur défense au nom d’une République authentique, celle de l’égalité pour toutes et tous, sans distinction d’origine, de croyance ou d’apparence. Une position qui rappelait son engagement, trop méconnu, dans la cause anticoloniale, notamment auprès du Comité Maurice Audin pendant la guerre d’Algérie (il en rend compte dans cette vidéo).
Examinez cette balance : toutes les jouissances dans le plateau du riche, toutes les misères dans le plateau du pauvre. Les deux parts ne sont-elles pas inégales ?
Victor Hugo (« Claude Gueux », 1834)
La vérité authentique de Robert Badinter est dans ces années 1980 où il donna toute sa mesure et qui furent celles de son entrée dans la carrière d’homme d’État – jusqu’à la présidence du Conseil constitutionnel (1986-1995), puis au Sénat (1995-2011). Les revisiter, c’est aussi prendre la mesure de ce qui nous manque aujourd’hui avec la disparition de cette figure qui ne fut sans doute pas au-dessus de la critique mais qui fut assurément d’une haute tenue, notamment par comparaison avec ce que sont devenues aujourd’hui notre vie publique et sa représentation médiatique dans leurs expressions dominantes.
À la fin de sa vie, Robert Badinter, profondément hugolien dans son universalisme républicain, se prit de passion pour un court et admirable texte publié en 1834 par Victor Hugo, Claude Gueux, dont il fit un opéra. Un récit dont la justice n’est qu’en apparence le propos, tant son ressort est la question sociale, ses injustices, ses inégalités. « Examinez cette balance,écrit Hugo tout à la fin : toutes les jouissances dans le plateau du riche, toutes les misères dans le plateau du pauvre. Les deux parts ne sont-elles pas inégales ? » Rien de révolutionnaire, certes, mais tout de même, chez l’écrivain comme chez l’avocat, tous deux ayant pris stature de « justes » au Panthéon de la République, il y a là comme l’expression d’un scrupule ou d’un remords, à rebours des officialités qui les figent.
Scrupule et remords dont, par contraste, semble totalement dépourvue notre actuelle politique présidentielle. Or, dans Claude Gueux, on peut lire ceci, qui y fait écho : « L’entêtement sans l’intelligence, c’est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge. Cela va loin. En général, quand une catastrophe privée ou publique s’est écroulée sur nous, si nous examinons, d’après les décombres qui en gisent à terre, de quelle façon elle s’est échafaudée, nous trouvons presque toujours qu’elle a été aveuglément construite par un homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et qui s’admirait. Il y a par le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences. »
Je laisse lectrices et lecteurs méditer cette mise en garde, en pensant aux principaux acteurs de notre médiocre scène politique française, telle qu’elle survit désormais à Robert Badinter qui, lui, fut d’une tout autre trempe.
Lundi 12 février à 19h, Vincent Gibert, vice-président en charge de l’Éducation, Vie associative, Valeurs de la République et Mémoire, ouvrira la soirée ciné-débat intitulée “Maurice Audin, une histoire française”, organisée à l’Hôtel du Département, dans le cadre des Chemins de la République, en collaboration avec le Musée départemental de la Résistance & de la Déportation.
Le Conseil départemental rend hommage, à travers cette soirée, à l’histoire de Maurice Audin, brillant mathématicien, membre du parti communiste algérien, combattant pour l‘Algérie indépendante et mort à 25 ans suite à son arrestation par des parachutistes français du Général Massu, pendant la bataille d’Alger.
Arrêté le 11 juin 1957 devant sa femme, Josette et ses trois enfants, Maurice Audin est ensuite emmené dans un centre de torture, personne ne l’a plus revu vivant. Dix jours après l’arrestation, les militaires essaient de faire croire à sa femme, Josette, à son évasion lors d’un transfert. Plus de 60 ans après, Emmanuel Macron reconnaît, le 13 septembre 2018, que Maurice Audin a été torturé et tué par les militaires français qui l’avaient enlevé. Avant lui, François Hollande avait été le premier président à faire un pas vers cette reconnaissance.
Cette soirée débutera par la projection du film “Maurice Audin, une histoire de mathématiciens”, en présence de son réalisateur François Demerliac, consacré au rôle des mathématiciens et des historiens dans le combat pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la mort de Maurice Audin, jeune mathématicien.
La projection sera suivie d’une table ronde “Maurice Audin Une histoire française”, qui réunira le mathématicien Cédric Villani, président de l’association Josette et Maurice Audin, l’historien Benjamin Stora, co-président de la commission mixte d’historiens algériens et français chargée d’étudier la colonisation et la guerre d’Algérie, l’historien Gilles Manceron, historien, spécialiste de l’histoire de la guerre d’Algérie et Catherine Teitgencolly, professeure émérite de l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS).
À l’issue des échanges, des séances de dédicaces seront organisées avec Benjamin Stora pour son dernier ouvrage “L’arrivée” (éditions Tallandier), et avec Gilles Manceron et Catherine Teitgen-Colly pour leur dernier livre “Les disparus de la guerre d’Algérie” (éditions l’Harmattan), en partenariat avec la librairie Renaissance.
"Le petit quimpérois s'en va en guerre" vient de paraitre chez Palémon éditions. Les années traumatisantes d'un conscrit en Algérie de 1960 à 1962, qui se voyait déjà écrivain mais qui ne vivra sa passion qu'à partir de 1990, après avoir été dactylo rédacteur à l'armée puis mareyeur en Finistère.
"Le petit quimpérois s'en va en guerre" de Jean Failler - éditions du Palémon
Après "Mémoires d'un petit quimpérois", voici le second volet des mémoires de Jean Failler, avec les années 1960-1962 en Algérie. L'écrivain quimpérois aux racines douarnenistes et bigoudènes a déjà imaginé 62 aventures - dont certaines vendu à 200 000 exemplaires - pour sa policière Mary Lester depuis 25 ans, dont les 2 derniers tomes en 2023 "Le Château des âmes perdues" emmènent le lecteur dans le Trégor. Jean Failler, roi du roman policier ancré en Bretagne, est aussi créateur des éditions du Palémon, du nom d'une crevette rose. Normal pour un ancien mareyeur ! Ce qu'il fut à Quimper avant l'armée et après son retour d'Algérie en 1962.
"J'ai la haine contre ceux qui nous ont envoyés dans cette guerre en Algérie"
Jean Failler dans ses mémoires raconte l'âge de la vie qui ne fut pas le plus beau pour lui : à 20 ans, il est déclaré bon pour le service en 1960, envoyé à Nantes, puis Fontenay le Comte en Vendée, traverse la Méditerranée vers l'Algérie au camp de Kherrata près de Sétif, en petite Kabylie pour...850 jours ! Dans un pays qu'on lui dit être la France mais dont il ignore tout, dans l'absurdité d'une guerre - "la riflette" - qui ne dit pas son nom, la guerre d'Algérie, officiellement "opération de maintien de l'ordre". La chaleur le jour, le froid la nuit, la neige, les orages, les tirs, les morts des 2 côtés, les massacres des algériens par les combattants fellaghas, il survit tant bien que mal à l'horreur. Quittant le bled en 1962 au bout de 2 ans pour enterrer sa jeune sœur à Quimper, Jean Failler ne terminera pas son service militaire en Algérie, là où quasiment tous ses camarades de régiment tomberont finalement sous les balles. Un choc supplémentaire pour le jeune finistérien.
"Si j'étais revenu en Algérie pour la fin de mon service, il y aurait eu un mort de plus"
L'écrivain quimpérois qui a eu le certificat d'études et étudié jusqu'à 16 ans, fut dactylographe, mais surtout rédacteur de rapports détaillés pour les gradés pendant son service. Jean Failler écrit donc et sait que sa vocation est d'être écrivain, mais la vie ne lui offrira la possibilité de vivre de sa passion qu'à partir de 1990, au moment de la crise de la pêche qui le met au chômage.
"La devise familiale m'a toujours accompagné : Dalc'h mat ha krog e-barzh, tiens bon et croche dedans"
Dans "Fier de ma Bretagne" Jean Failler vous fait écouter la chanson qui l'a hanté après son retour d'Algérie, "Mes hommes à moi" de Gilbert Bécaud, vous parle du livre qui l'accompagne depuis gamin et en Algérie "Les trois mousquetaires" d'Alexandre Dumas, mais aussi de la troménie de Locronan (29), "du folklore qui n'est pas du folklore". L'écrivain vous confie avec délectation la recette de la petite marmite de Mary Lester, une cotriade que son grand-père marin pêcheur faisait à bord lorsqu'il l'emmenait comme mousse. Ou encore de l’île Tudy (29) où il habite depuis 20 ans, qui était le seul port de pêche bigouden qui accueillait des pêcheurs douarnenistes à une époque. Finalement un havre de paix pour tous.
Jean Failler rencontre le public avec le Goéland Masqué le 17 février à 17h30 Chez Cathy, à Saint-Guénolé à Penmarc'h (29) avant le festival 2024 du Goéland Masqué, qui se tiendra du 17 au 20 mai.
Benjamin Stora travaille inlassablement sur la mémoire de la guerre d’Algérie.
L’historien Benjamin Stora participe ce lundi à une soirée ciné-débat organisée par le conseil départemental de la Haute-Garonne, autour du mathématicien Maurice Audin, soutien de la cause algérienne, enlevé, torturé et assassiné par l’armée française.
Que disent l’histoire et le destin de Maurice Audin de la guerre d’Algérie ?
Cette guerre est longtemps restée sans nom, sans visage, puisque l’Algérie était considérée comme intégrée à la France. Il était donc impossible de se déclarer en guerre contre soi-même. C’est pourquoi on parlait «d’événements», et non d’une guerre. Longtemps, le nom de Maurice Audin, mathématicien, militant communiste enlevé puis qui a disparu en juin 1957, et dont le corps n’a jamais été retrouvé, peut symboliser cette non-reconnaissance, cette absence de la guerre dans l’espace public. Dans son cas, il y avait aussi une volonté de cacher le fait que certains « Français » soutenaient le mouvement algérien.
Pourquoi la France a-t-elle mis tant de temps à reconnaître son martyr et sa responsabilité dans sa disparition ?
Plusieurs explications peuvent être données. D’abord, le fait que la France a voulu sortir d’une longue période de guerre commencée en…. 1939, poursuivie avec la guerre d’Indochine, et achevée par l’indépendance de l’Algérie. À cet oubli voulu par la société, s’est ajouté l’oubli organisé par l’Etat avec une série de lois d’amnistie qui ont empêché tous jugements possibles à propos des exactions commises. Ce double oubli évacue les responsabilités politiques personnelles, individuelles, mais aussi celui qui relève de la responsabilité de l’Etat. Je pense, ainsi, également, aux drames vécus par toutes les communautés liées à cette guerre, soldats, pieds-noirs ou harkis.
« Ce double oubli de la société et de l’Etat évacue les responsabilités politiques personnelles, individuelles »
Maurice Audin a une place et une statue à sa mémoire à Alger, pourrait-on imaginer, aujourd’hui, que lui soit rendu un même hommage en France ?
A gauche : Place Maurice-Audin à Alger *** A droite Place Maurice-Audin à Paris (Photos ajoutées par Michel Dandelot).
Il existe déjà une place Maurice Audin à Paris, inaugurée par le maire de l’époque Bertrand Delanoë. Mais l’action de reconnaissance par le président actuel Emmanuel Macron, est allée plus loin en reconnaissant la responsabilité de la France dans l’assassinat. À la suite de mon rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, il a également reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’assassinat de l’avocat algérien Ali Boumendjel, et proposé une ouverture plus grande des archives sur cette période.
Vous coprésidez la commission mixte d’historiens algériens et français chargée d’étudier la colonisation et la guerre d’Algérie, sera-t-il possible un jour d’avoir une vision commune (partagée) de cette histoire de part et d’autre de la Méditerranée ?
Depuis de nombreuses années déjà, les historiens français et algériens travaillent ensemble pour l’élaboration de récits. Ce qui n’était pas le cas lorsque j’ai commencé a travaillé sur l’histoire de l’Algérie en soutenant mon mémoire de maîtrise sous la direction de René Rémond et de Jean-Pierre Rioux en… 1974 (un demi-siècle déjà…). Mais votre question reste d’actualité. Le travail historien doit se poursuivre, en particulier par le biais de cette commission mixte, car les sentiments, les sensations ne sont pas les mêmes au niveau des deux sociétés dans le regard qu’elles portent sur le passé colonial. En France, certaines voix disent encore que la colonisation a été un acte positif, ce qui n’est pas envisagé de la même manière, de l’autre côté de la Méditerranée.
Cédric Vilani, un mathématicien en hommage à un mathématicien
Outre Benjamin Stora, qui présentera à cette occasion son nouveau livre «L’Arrivée», le président de l’association Josette et Maurice Audin, Cédric Vilani, participera à la soirée débat autour du film « Maurice Audin, une histoire de mathématiciens », en présence du réalisateur, François Demerliac. Avec également l’historien Gilles Manceron et la juriste et philosophe Catherine Teitgen-Colly, qui dédicaceront leur ouvrage « Les disparus de la guerre d’Algérie ». Tous animeront la table ronde consacrée à Maurice Audin. Membre du Parti Communiste Algérien qui combattait pour l‘Algérie indépendante, il avait été arrêté le 11 juin 1957, pendant la bataille d’Alger, à l’âge de 25 ans, par des parachutistes du Général Massu, chez lui, devant sa femme, Josette, et ses trois enfants, avant d’être emmené dans un centre de torture. Personne ne l’a plus revu vivant.
Lundi 12 février, soirée Ciné-débat à partir de 19 heures dans la salle République du Conseil départemental de la Haute-Garonne, au 1 boulevard de la Marquette.
Les commentaires récents