Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
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Le drame a choqué toute l’Algérie. Le 26 septembre, en Kabylie, Ryma Anane, 28 ans, enseignante de français, a été attaquée par son voisin alors qu’elle s’apprêtait à prendre le bus pour aller à son travail. Il l’a aspergée d’essence et brûlée vive à l’aide d’un briquet.
La nouvelle s’est répandue très vite sur les réseaux sociaux. Selon des sources locales, l’agresseur a fini par se rendre à la police quelques heures après l’attaque. D’après ses aveux, il aurait agi ainsi parce que la jeune femme avait refusé de se marier avec lui et choisi un autre futur époux.
« Son dos et son cou en flammes, Ryma s’empresse d’aller chercher de l’aide. Arrivée chez elle, elle s’effondre, et bredouille quelques mots : ‘’Il a brûlé mon avenir !’’ », rapporte le site d’information TSA.
Après son transfert à l’hôpital de Tizi Ouzou (Kabylie), les médecins ont jugé que son état nécessitait une prise en charge rapide à l’étranger au regard de la gravité des brûlures (60 % de son corps).
Rapidement, la solidarité s’est organisée à travers les réseaux sociaux et une cagnotte a été lancée pour payer les frais d’un transfert en Europe.
« La famille s’est d’abord tournée vers l’hôpital Saint-Louis à Paris, connu pour son expertise des grands brûlés. D’après le devis consulté par France 24, l’hôpital demandait plus de 316 000 euros pour 70 jours d’hospitalisation en réanimation », relate France 24.
Mais l’établissement n’a pas accepté l’échelonnement de la facture. « Qui peut faire ça ? Cela a retardé la prise en charge de Ryma à l’étranger. Et pendant ces quelques jours, elle aurait pu y passer », témoigne toujours sur France 24 un ami de la victime.
Faute d’avoir pu obtenir un visa pour la France, l’entourage de Ryma s’est tourné vers l’Espagne, qui a accepté de lui en délivrer un. Et grâce à une société d’assistance médicale, ADM international, la famille a pu trouver un hôpital à Madrid qui proposait un devis moins onéreux, avec par ailleurs la possibilité de payer par tranches.
Ryma a donc été transférée en Espagne par avion médicalisé grâce aux efforts de ses proches et des nombreux donateurs en Algérie et à l’étranger. Selon les dernières informations, son état se serait stabilisé.
La cellule de veille indépendante Féminicides Algérie relève qu’une jeune femme, mère de quatre enfants, a été assassinée, brûlée vive, par son époux le 16 avril 2022. Depuis le début de l’année, 32 cas de féminicides ont été recensés par les militantes.
Par
MEE
Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
Le terme oumma arabiya, à connotation religieuse, avait été emprunté pour rallier les peuples arabo-musulmans et les amener progressivement au rêve unificateur de la grande communauté des croyants. Une idéologie totalitaire à base de charia qui nargue toutes les frontières. Elle se nourrit principalement de nostalgies soigneusement sélectionnées à travers l’histoire.”
Ces dernières années, d’effroyables secousses font tanguer la destinée des peuples arabo-musulmans. Ce qui amène à poser beaucoup de questions dont la suivante : les pays du Golfe ont-ils reconquis l’espace arabo-musulman ? Al foutouhat al islamiya sonnent plus douces à certaines oreilles que conquête militaire ou colonisation. Les Arabes jouissent d’atouts majeures dans leur approche martiale du monde ; une langue qui s’est confondue jusqu’à la fusion à une religion, imposant au passage une rude mise en concurrence aux langues locales des conquis. Celles-ci se retrouvent obsolètes et méprisées. Elles traînent le poids de la mécréance et finissent volontairement marginalisées ou omises par les peuples soumis. De facto, la culture, l’autre pan que véhicule la langue, se greffe à l’effort de guerre et de conquête.
Comment refuser la langue que Dieu a choisie pour s’exprimer ? Ne résistent à cette domination absolue que les civilisations ayant fait preuve de la même fougue dominatrice. Les Perses et les Turcs n’ont pas renoncé à leurs langues respectives, néanmoins ils en ont arabisé les transcriptions pour mieux fédérer et soumettre par la religion. Au moins à certaines périodes de leurs histoires. Il ne serait pas non plus exagéré d’allouer au peuple d’Arabie une autre grande caractéristique ; elle se trouve dans le regard de l’autre.
En effet, l’homme du désert est souvent apprécié avec condescendance. Cette tendance au mépris persiste jusqu’à nos jours. L’attachement de l’Arabe à son mode de vie ancestral, ses chameaux, ses “khaïmas” et ses traditions font souvent oublier ses habilités foudroyantes à la conquête et à la soumission des autres peuples. Au lieu de questionner cette force de traverser les temps et de dominer avec des outils d’apparences arriérées, on verse dans le dédain. Ce qui entraîne un défaut fatal de jugement. Résultat, personne ne les voit venir ! L’effet de surprise est toujours garanti. Un avantage décisif dans toute entreprise prédatrice. Toutefois, il est primordial, avant d’aller plus loin dans l’analyse, de définir ce qui est désigné ci-dessous par le terme arabe.
Selon certaines définitions étymologiques, le mot arabe vient du grec Ereb, ce qui signifie ténèbres, ou occident. En sanscrit, le terme dérive d’Arvasthan, c’est-à-dire le pays des chevaux. Ethniquement, le terme définit les habitants de la péninsule Arabique. Historiquement, il englobe tous les pays ayant adopté l’arabe classique comme langue officielle. Ces pays seraient au nombre de vingt-cinq États dont l’Algérie.
Il s’agira dans cet écrit uniquement des Arabes de “souche”. Ceux issus précisément de la péninsule Arabique et dont l’Arabie Saoudite constitue les quatre-vingts pour cent. Les pays dits arabes subissent ces dernières décennies des spasmes continus. Après les heureux épisodes des guerres de libération émancipatrices des colonisations franco-britanniques, des territoires importants allant du Mashreq au Maghreb avaient adopté une administration séculière.
On a vu fleurir des républiques laïques qui s’imposaient en lieu et place d’anciennes gouvernances jugées archaïques et obsolètes car fabriquées sur mesure par les puissances étrangères. Les nouvelles républiques dites arabes, fortes de leurs victoires sur les anciens occupants, s’étaient vite opposées aux monarchies constitutionnelles de la région. Elles avaient poussé l’ambition jusqu’à vouloir éradiquer tout régime monarchique chez leurs voisins. Ces républiques ayant été situées dans le bloc Est de la guerre froide, le camp Ouest avait vite volé au secours des monarchies en danger de sécularisation.
Le terme oumma arabiya, à connotation religieuse, avait été emprunté pour rallier les peuples arabo-musulmans et les amener progressivement au rêve unificateur de la grande communauté des croyants. Une idéologie totalitaire à base de charia qui nargue toutes les frontières. Elle se nourrit principalement de nostalgies soigneusement sélectionnées à travers l’histoire. On y interprète au gré des fantasmes et surtout des besoins géostratégiques les ambitions des pays puissants et leurs vassaux dans la région.
Une armée d’imams serviles et repus de haine œuvrait à contrer les discours des taghouts ainsi que de toute velléité progressiste. Le panislamisme voulait contrer le panarabisme prôné par les nationalistes. Ce dernier, qui était tout aussi despotique, a fait émerger des régimes militaires auréolant des dictatures aussi cruelles qu’absolues. Les pays dits arabes étaient désormais libres, mais pas leurs peuples. L’effroi et la peur que faisaient régner les despotes localement finirent par s’étendre. Ils ont gangrené les relations des pays arabo-musulmans entre eux. Méfiances, complots et tentatives de coup d’État se tramaient allègrement.
Les discours des nationalistes étaient belliqueux et enflammés. Staliniens. La volonté d’en finir avec les vieilles monarchies du Golfe était devenue un secret de Polichinelle. La méfiance et la suspicion atteignirent leur paroxysme parmi les souverains wahhabites et chérifiens. La haine de Khaddafi et de Nasser pour les Saoudiens était connue de tous les observateurs. Celle de Saddam envers la monarchie du Koweït avait fourni le casus belli rêvé à la première guerre du Golfe.
La revanche des autocrates Ce fut la guerre, non pas froide mais givrée, des pays dits arabes entre eux. La vénérable Ligue arabe était devenue la scène ubuesque des relations empoisonnées qu’entretenaient les dirigeants entre eux. Une institution stérile que cimentaient artificiellement la cause palestinienne et un simulacre de solidarité.
La suite, tout le monde la connaît ! Les interventions musclées des Occidentaux suivies des mal nommés “printemps” arabes ont éliminé les despotes dans les pires circonstances. Ils ruinèrent les infrastructures et les institutions des jeunes républiques pour des décennies. Le chaos et l’islamisme sous ses formes les plus fascisantes s’y sont implantés tels des phytoplasmes. À l’instar de cette bactérie capable de transformer les plantes en zombies, l’extrémisme religieux a vidé les nations dites arabes de leur sève créatrice. La “oumma” n’est plus qu’un immense marché idéologique mercenaire que se disputent des autoproclamés modérés et des terroristes sanguinaires qui sèment la terreur dans leur pays et à l’étranger.
La paternité de ce monstre qui gangrène des territoires aussi vastes que désolés échoit ici et là dans le cynisme et l’hypocrisie. Les autocrates du Golfe ont remporté la partie contre les anciens dictateurs. Ils ont eu leur revanche. Toutes les têtes qui leur cherchaient des noises ont été éliminées, mais à quel prix ! Tous ceux qui ont voyagé à travers le monde dit arabe ont pu constater les différences flagrantes entre pays du Golfe et ceux dits républicains. Tout dénote l’urbanisme, la propreté, la gestion des différents corps de métier. Les questions des droits de l’homme mises à part, presque tout est géré dans le professionnalisme et l’exigence les plus pointus.
Les pays dits républicains du Liban à l’Algérie, en passant par l’Égypte croulent sous des tonnes de déchets domestiques et autant de corruption. Hormis cette administration optimale dont ont fait preuve les dirigeant khalijis à l’intérieur de leur pays, d’autres projets plus ambitieux les uns que les autres ont vu le jour. Les pétromonarchies cumulent des intérêts économiques dans les plus grandes capitales du monde. Elles règnent sur le secteur médiatique sans concurrents dans tout le monde arabo-musulman. Qu’il soit destiné à l’information ou au divertissement d’ailleurs. Prêches ou clips dénudés, les monarchies ont la tolérance magnanime quand il s’agit de gérer les affaires. Des annexes d’universités prestigieuses mondiales sont implantées pour dynamiser l’enseignement supérieur.
Des musées avec des collections de tableaux à faire pâlir le Louvre ou le Tate Modern. L’anglais est en passe de supplanter la langue arabe à Dubaï, quand dans nos pays plongés dans la médiocrité on polémique et on vocifère contre les langues déjà possédées. On ne compte plus les festivals du cinéma de renommée mondiale. Les salons et les compétitions sportives internationales. Bref, les pays du Golfe font preuve d’une flexibilité et d’un dynamisme cruellement absents en Algérie et dans le reste des pays dit arabes.
“C’est grâce au pétrole”, diraient certains. Nous sommes aussi un pays de pétrodollars, nonobstant les slogans gauchistes dont on nous a bernés pendant des décennies. La différence est que les monarchies compensent le manque de liberté individuelle de leur population par la distribution de la richesse nationale et le développement structurel afin de légitimer leur pouvoir. Les systèmes républicains des pays dits arabes subissent le syndrome du pilleur.
Ils sont gangrenés de responsables chapardeurs s’évertuant à planquer leur butin dans les paradis fiscaux. Il ne s’agit pas de tresser des lauriers sur la tête des autocrates arabes, mais de souligner le pragmatisme politique de ces pays. Ils pèsent actuellement sur le sort de tous les pays dit arabo-musulmans et même au-delà. Qu’ils soutiennent les Frères musulmans ou les groupes les plus obscurs. Ce n’est là qu’un marché idéologique mercenaire au service de leurs intérêts et de ceux qui les protègent. L’implantation de l’islam politique en Europe prouve qu’à travers le prosélytisme religieux ils réussissent à marquer leur influence partout dans le monde. Ils ne craignent pas les alliances quelle qu’en soit leur nature.
En somme, il faudrait sortir des schémas et stéréotypes réducteurs auxquels on se livre en parlant des Arabes du Golfe. Ils sont bien plus rompus aux affaires du monde et à la realpolitik que nous le sommes. Le terme “bédouinisation” qu’on entend ici et là pour qualifier nos dérives gestionnaires et nos incivismes n’est ni juste ni approprié. C’est une errance sémantique qui n’empêchera pas nos responsabilités. “Connais l’adversaire et surtout connais-toi toi-même et tu seras invincible”, disait San Tzu, le célèbre général chinois.
Je m’en sers rarement. C’est peut être ma langue mère qui m’ôte toute envie de faire usage de cette langue de vipère… qui opère souvent de façon binaire : high or low : top ou flop ; 1 ou 0. To be or not to be… telle n’est pas la question… et si on vous affirme que c’en est une, il ne faut surtout pas y répondre… sous peine de vous rendre, de capituler, de céder au démon de la modernité, au démon de la Perversité. Examinons ce qu’il y a dedans de si haut, de si bas… de si gros, de si gras dans ce vocabulaire éminemment ingrat.
Rappelons que tout jugement comporte toujours une ligne de démarcation qu’on trace pour distinguer entre les torchons et les serviettes… c’est un travail de distinction, de haute définition, c’est le H.D de notre entendement… qui ne peut rien réaliser sans hiérarchiser, en désignant le haut et le bas… Ce qui vaut et ce qui ne vaut pas, ce qui est au dessus ou en dessous de tout soupçon.
High or Low ? C’est une question plus digne de Machiavel que de Rimbaud. Elle est politique et n’a rien de poétique. Je la vois bien aussi sous la plume d’Edgar Allan Poe, comme la genèse d’un poème en prose qui prétendrait envers et contre tout, que tout est politique : Force et rapports de force. Autrement dit, une histoire de désirs qui s’affrontent… les uns qui se réalisent, les autres qui se déréalisent. Les High et les Low, autrement dit les forts et les faibles.
Qui sont les forts ? Qui sont les faibles ? Darwin répond : que les forts sont les plus aptes à vivre, les plus durs à suivre. Marx répond : que les forts sont ceux qui réalisent leurs fins sans utiliser les autres comme moyens. Freud répond que les forts sont ceux qui ont pacifié le rapport entre l’extérieur et leur for intérieur. Les High sont forts, les Low sont faibles. Réussite induite pour les uns, conduite d’échec pour les autres.
Force est de constater que « la force » est le mot-clé. Merci La Fontaine : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Là comme ailleurs. C’est basique, tonique et architectonique : c’est la base et le sommet de tout l’édifice. On y tient parce que ça nous maintient… en vie, en place… en forme. Parce que c’est le fond… le seul et unique interface.
De force on n’en a jamais assez nous dit Rousseau car nul n’est assez fort pour être toujours le maître. Ce que l’on peut traduire en disant que ce sera toujours la guerre de tous contre tous…. On ne cessera pas de se battre, on s’affrontera toujours parce qu’on ne peut pas faire autrement pour avoir toujours plus de pouvoir, se faire valoir, accéder à la gloire… nous sommes de haut en bas et de bas en haut des forçats, innocents ou pas!
En somme c’est la force qui nomme. C’est la force qui dégomme. Mais qu’est-ce qui fait la force ? Dieu, répondent ceux qui distinguent le jus de l’écorce. L’histoire, rétorquent ceux qui boivent le jus et jettent l’écorce. Nietzsche a un joli critère de distinction : un critérium pour distinguer la force du fort de la force du faible. L’affirmation de soi désignerait selon lui, l’homme fort… la négation de soi, l’homme faible, infirme, l’homme de l’infirmation… qui n’ose pas dire oui, qui n’ose pas dire non à la vie et à ses péripéties.
Qui domine ? Le High. Qui est dominé ? Le Low Et pourtant cette géométrie est seulement spatiale, elle n’est pas temporelle… elle est dans l’espace, non dans le temps. Souvenons-nous de la fable du Lièvre et de la Tortue ou du conte du Petit Poucet qui se joue de l’ogre, ou du récit biblique qui met aux prises David et Goliath… parce que la force avant d’être physique, elle est d’abord métaphysique… avant d’être assimilée au corps, elle est d’abord mêlée à l’esprit… non de géométrie mais de finesse.
Alors quand on cherche ce qui est haut (high) et ce qui est bas (low), on risque de ne rien trouver si on ne fait pas référence à une plus haute distinction : entre quantité et qualité. Et on comprendra très vite que ce n’est pas la quantité de force qui importe mais la qualité…. Nietzsche dirait : sa rareté. La quantité est sans portée. La qualité est de haute volée. Gage de valeur et de vitalité. Et pourtant dans l’histoire, c’est la quantité qui l’a toujours emporté… la loi du plus grand nombre, celle des plus nombreux… non pas celle des plus forts renchérit Nietzsche mais celle des plus faibles… C’est ce qui explique son plus beau mot : « Qu’il faut défendre les forts contre les faibles » les High contre les Low et non le contraire comme le croient tous les moutons!
Mohsen Abdelmoumen : Pourquoi la France tolère-t-elle sur son sol la présence de différentes mouvances djihadistes et des terroristes ?
Dr Eric Denécé(*) : Vous posez là une question essentielle pour laquelle je ne parviens pas à trouver de réponse valable… La France lutte, en effet, officiellement contre les extrémistes et les terroristes islamistes… mais les laisse développer leurs activités sur notre sol. Il y a probablement plusieurs explications. En premier lieu, la faible connaissance de l’islam qu’ont la très grande majorité de nos dirigeants politiques, qui ne savent pas faire la différence entre ses différents courants, ceux qui sont respectables et ceux qui représentent un danger. Ensuite, il ne faut pas négliger la stratégie d’entrisme et de propagande habile que mènent les Frères musulmans et qui porte en partie ses fruits, notamment en raison de la naïveté de nos élites, lesquelles pensent qu’en s’alliant avec eux elles auront «la paix» dans nos banlieues… Enfin, la culpabilité postcoloniale est un autre élément qui tétanise de plus en plus une société qui doute de ses valeurs et qui ne sait plus comment réagir face à certaines évolutions qui menacent sa cohésion nationale et son devenir.
Dans un de vos éditoriaux, vous avez évoqué la Turquie comme étant un Etat voyou. Comment expliquez-vous l’alliance des Occidentaux avec cet Etat voyou, alors que la Turquie a armé et financé des groupes terroristes qui ont détruit la Syrie et l’Irak ? Ne pensez-vous pas que les Occidentaux ont joué avec le feu en s’alliant avec Erdogan, le chef des Frères musulmans, qui n’a qu’un seul objectif : établir un califat ? Et comment expliquez-vous le jeu trouble que joue Erdogan en Libye ?
La Turquie, pas seulement celle d’Erdogan – qui est, certes, de loin la pire – est un Etat qui bafoue depuis 1974, date de son invasion d’une partie de l’île de Chypre, les lois internationales. A l’époque, les Turcs auraient dû être chassés de l’OTAN pour avoir envahi un autre Etat membre. Mais nous étions en pleine Guerre froide et nous n’avons rien fait car l’Alliance atlantique, sous-direction américaine, privilégiait la menace soviétique. Cette première lâcheté a été une véritable trahison vis-à-vis de nos amis grecs et a commencé à laisser penser aux Turcs que tout était possible. Depuis l’arrivée d’Erdogan, leader totalement mégalomane et membre du bureau international des Frères musulmans, Ankara n’a cessé de poursuivre une politique agressive et néo-ottomane : effacer toute trace de l’héritage kémaliste, s’en prendre aux non-musulmans en Turquie, envahir en toute illégalité – sans que la communauté internationale ne proteste – une partie du territoire syrien, soutenir des groupes djihadistes et terroristes ultraradicaux, ravitaillant en armes les Frères musulmans égyptiens (dont l’accession au pouvoir n’a rien eu de démocratique, contrairement à ce que l’on continue de croire en Occident) et désormais soutenant un régime libyen inféodé à la confrérie terroriste, l’armant et intervenant militairement à ses côtés, en lui envoyant, notamment, des mercenaires djihadistes qui ont déjà travaillé sous son contrôle en Syrie.
La Turquie est aujourd’hui un Etat malfaisant et représente un risque véritable pour la paix et la stabilité en Méditerranée et au Proche-Orient. Mais encore une fois, les Occidentaux se refusent de prendre les décisions qui s’imposent, toujours sous l’influence des Américains et des Britanniques qui continuent de voir Moscou comme une menace et craignent que si la Turquie était mise au ban de l’Occident – ce qui s’impose – elle n’aille se jeter dans les bras de la Russie.
Certaines de nos sources évoquent un déplacement des djihadistes de Syrie et d’Irak vers la Libye, devenue un sanctuaire des terroristes. Ne pensez-vous pas que ce qui se passe en Libye menace la stabilité de tout le bassin méditerranéen, voire du monde ? L’intervention en Libye de Sarkozy et de son allié Cameron sous l’égide de l’OTAN n’a-t-elle pas été une faute politique grave dont on subit les conséquences en ce moment ?
Evidemment, la situation actuelle a pour origine l’intervention occidentale de 2011, totalement injustifiée, improductive et, par certains aspects, illégale (en outrepassant la résolution 1973 de l’ONU). Sarkozy, Cameron mais aussi Obama en portent l’entière responsabilité. Ils ont tous les trois joué aux apprentis sorciers et déstabilisé l’Afrique du Nord et le Sahel… puis désormais la Méditerranée. La destruction de la Libye a créé un véritable foyer terroriste et criminel (passeurs et migrants) qui ne cesse de prendre de l’ampleur et que nous mettrons des années à éliminer. Et plus préoccupant, cela pourrait devenir un théâtre d’affrontements entre puissances régionales : Egypte et Emirats, Turquie et Qatar…
Dès le printemps 2011, de retour de Libye où nous avions visité les deux camps (Tripoli et le CNT), nous n’avons cessé d’alerter sur la politique irresponsable et déplorable que l’Occident conduisait et sur ses effets prévisibles… Malheureusement, nous avons eu raison.
J’ai vu l’une de vos interviews où vous avez parlé d’un groupe que vous aviez constitué au lendemain des Printemps arabes et j’ai lu votre livre collectif La Face cachée des révolutions arabes, édité par le CF2R et consacré au Printemps arabe, devenu hiver islamiste. Vous avez évoqué des noms comme ceux de notre amie la regrettée Anne-Marie Lizin que j’ai interviewée à plusieurs reprises et de Mme Saïda Benhabylès. Cette dernière a été attaquée et accusée d’être un agent des Français et le nom de la famille Benhabylès a été traîné dans la boue sur les réseaux sociaux par des organisations islamistes activant en Europe et par des individus liés au terrorisme et à la thèse du «qui tue qui», thèse qui cible l’armée algérienne et les services de renseignement algériens. Comment expliquez-vous que des personnages douteux puissent se permettre d’attaquer un élément de votre groupe et de déformer vos propos, sachant que ces éléments ont eux-mêmes des liens avec des services de renseignement occidentaux, saoudiens, marocains, qataris, et turcs ?
Mme Saïda Benhabylès est une femme pour laquelle j’ai un très grand respect et une amie que j’apprécie beaucoup. Elle a été victime ces dernières semaines d’actions de déstabilisation orchestrées par des individus membres ou proches des Frères musulmans, dans un objectif que je ne perçois pas bien encore. Naturellement, tout cela est de la diffamation et du mensonge. J’ai pu observer la manière dont ces islamistes ont falsifié certains de mes interviews, les traduisant en arabe avec des propos totalement faux ou fantaisistes.
J’avoue ne pas mesurer les liens entre ces individus et les «promoteurs» du «qui tue qui ?». Mais ces derniers restent actifs en France, après être parvenus à donner une vision totalement déformée de la réalité algérienne de la «décennie noire». Il est bien sûr évident que les islamistes les plus radicaux, cherchant à imposer leurs «valeurs» stupides et infondées aux autres musulmans, ont toujours cherché à prendre le pouvoir et donc à attaquer tous ceux qui représentaient un obstacle à leur stratégie. Heureusement, l’Algérie n’est pas tombée, la Syrie non plus et l’Egypte, grâce au maréchal Sissi, a pu les chasser du pouvoir. Mais ils sont au pouvoir en Turquie et dans les monarchies du Golfe – en dépit de leurs différences doctrinales – et continuent de répandre à travers le monde leur idéologie mortifère.
Des éléments de l’organisation Rachad, organisation affiliée au congrès de l’Oumma lié aux Frères musulmans d’Erdogan et basé à Istanbul, n’ont pas hésité à inciter les Algériens à prendre les armes contre leur armée et leur Etat. Et Mohamed Larbi Zitout, un des dirigeants de Rachad, qualifie les groupes terroristes actifs au Sahel de «groupes de libération nationale». Ces individus vivent dans des pays comme la Grande-Bretagne et la France. Comment expliquez-vous qu’ils ne soient pas inquiétés, malgré leur prosélytisme au profit d’Erdogan et des Frères musulmans ? Ces individus liés au terrorisme n’utilisent-ils pas votre système «démocratique» pour répandre leurs idées terroristes ?
Vous donnez-là un exemple très clair de leur stratégie : prosélytisme, propagande et tromperie, appel à la lutte armée et au meurtre, le tout avec le soutien des ÉEtats islamistes cités plus haut… et la passivité totale de l’Occident.
Les «élites» européennes – et cela est particulièrement vrai en France – sont sans réaction pour plusieurs raisons :
– elles ne savent pas comment agir face à ce phénomène, car elles se caractérisent par leur absence de vision, de culture, leur manque de courage et leur médiocrité ;
– elles sont «endormies» par l’argent, les promesses et les mensonges de monarchies du Golfe… et des Américains qui persistent à les soutenir ;
– elles veulent rester au pouvoir et se disent que si le «vote musulman» (5 à 10% en moyenne en Europe) leur est acquis, elles ont des chances d’y parvenir. Ainsi, elles ferment les yeux ou acceptent des comportements qui contreviennent à nos règles, valeurs et lois ;
– elles sont obnubilées par le risque de l’extrême-droite qui a, en réalité, beaucoup moins de fondement qu’on ne l’imagine, parce que les partis qui l’incarnent seraient incapables de gouverner. Mais en revanche, à chaque élection, ils attirent plus de votes de tous ceux qui sont outrés de l’inaction des autorités. Ce sont là les ingrédients d’une situation explosive.
Les individus qui ont vendu la thèse du «Qui tue qui ?» aux services de renseignement occidentaux concernant l’Algérie n’avaient-ils pas plusieurs objectifs stratégiques parmi lesquels, entre autres, utiliser Taqiya et cacher le vrai potentiel de nuisance des djihadistes en Occident, sachant qu’après on a vu les attentats de Bruxelles, de Paris, de Londres, de Berlin, etc. et qui contredisent les thèses du «Qui tue qui» ? N’est-il pas temps de révéler la vérité à vos peuples, à savoir que le djihadisme et son idéologie existent dans votre société et qu’ils sont alimentés par différents pays comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie ?
Depuis au moins une décennie, de plus en plus de voix se sont élevées pour dénoncer ces dangers et l’idéologie véritable de ces mouvements sectaires et nuisibles. Mais les politiques, pour les raisons que je viens d’évoquer, ne veulent pas l’entendre. Je vais vous donner deux exemples édifiants : au cours de l’été 2016, François Fillon, futur candidat de la droite à la présidentielle, s’est opposé lors d’un votre à l’Assemblée nationale à ce que des mesures soient prises contre les Frères musulmans en France. Et en 2016 également, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense d’un gouvernement de gauche, publie un livre intitulé Qui est l’ennemi ? dans lequel il se demande si la France est en guerre mais ne dénonce ni l’islamisme radical, ni les monarchies archaïques du Golfe… il n’en parle même pas ! Est-ce de la cécité, de la complicité, de la bêtise ? Voilà où en est la France aujourd’hui…
Les services de renseignement, qu’ils soient français, algériens ou autres, n’ont-ils pas le même ennemi, à savoir le djihadisme et son idéologie mortifère, qu’elle provienne des salafistes ou des Frères musulmans ? Ne pensez-vous pas que la coopération entre les services de renseignement doit s’améliorer dans une optique gagnant-gagnant ?
Si, évidemment. D’ailleurs, ils coopèrent étroitement en la matière… mais pas dans tous les domaines, ni sur tous les sujets. Cela est normal car les intérêts nationaux demeurent différents. L’antiterrorisme est le domaine dans lequel la coopération est la plus poussée, non seulement entre Occidentaux, mais aussi avec les pays arabes, dont les Etats du Golfe. Ce qui peut signifier qu’une partie des informations échangées sont orientées. En effet, jamais l’Arabie Saoudite, le Qatar ou la Turquie ne donneront d’informations sur «leurs» terroristes, vu que ces régimes adhèrent eux-mêmes au salafisme ou à la doctrine des Frères musulmans. Ils ne transmettront des renseignements que sur les groupes qui menacent leur régime.
Vous êtes un expert en renseignement et un fin connaisseur de la géopolitique. Les gouvernements occidentaux ne se sont-ils pas trompés dans la gestion du dossier syrien ?
Totalement. Il y a eu une erreur majeure d’évaluation de la situation : penser que Bachar allait tomber rapidement en 2011 montrait une méconnaissance de la réalité syrienne ; il y a eu par ailleurs une influence majeure des États du Golfe voulant faire tomber la Syrie «laïque», pays dans lequel la cohabitation des religions insupportait les régimes islamistes radicaux du Qatar et d’Arabie saoudite. Ainsi, les Américains, les Britanniques et les Français, via leurs services spéciaux, ont soutenu des terroristes qui, par ailleurs, organisaient des attentats sur notre sol ou luttaient contre nos forces au Mali. Bel exemple de cohérence politique… Heureusement, l’intervention russe a permis de faire échouer cette stratégie délirante.
Ne pensez-vous pas que la solution en Libye doit être politique et que si jamais il y a une guerre, tout le monde sera perdant ?
Cela serait évidemment l’idéal, mais je ne vois guère que nous en prenions le chemin. Il faudrait pour cela que les belligérants acceptent de négocier… ainsi que leurs soutiens extérieurs. Or, ni les islamistes libyens, ni la Turquie qui les soutient ne le souhaitent, et les milices et les réseaux criminels de Misrata et d’ailleurs ont tout intérêt à ce que la situation demeure chaotique, ce qui permet à leurs «affaires» de prospérer. Et l’Egypte ne peut accepter qu’un régime islamiste, refuge de terroristes et de criminels, s’installe à ses portes… pas plus que l’Algérie, évidemment.
Les Occidentaux, à leur tête les Etats-Unis, ne devraient-ils pas revoir leur alliance avec les Saoudiens, les Qataris et les Turcs ?
Absolument, notre politique étrangère et nos alliances doivent être totalement reconsidérées. Arabie Saoudite, Qatar, Bahreïn, Koweït et Turquie sont autant d’Etats dont les valeurs et la politique sont aux antipodes de celles de la France. Ce ne sont ni nos amis ni nos alliés, contrairement à ce qu’une partie de nos dirigeants persistent à croire, espérant des contrats mirobolants pour notre industrie de défense… Heureusement, la Turquie n’a pas pu intégrer l’Union européenne et il faut tout faire pour que cela ne se fasse jamais. Si elle demeure dans l’OTAN, je pense indispensable que nous remettions en cause l’utilité de cette alliance… qui n’a plus rien d’atlantique… ni de pacifique !
Ne pensez-vous pas que les Européens devraient cesser de s’aligner sur la politique américaine ? A votre avis, l’OTAN n’est-elle pas devenue une coquille vide qui ne sert plus à rien ?
L’OTAN n’a plus de raison d’être depuis la fin de la Guerre froide et aurait dû être dissoute, c’est une évidence. Mais cela reste pour les Américains un moyen d’influence, de contrôle et de pression essentiel sur des Européens qui ne veulent pas assurer eux-mêmes le coût de leur défense. C’est surtout une aubaine pour l’industrie de défense américaine qui peut imposer ses armements à ses alliés et tuer toute concurrence européenne en la matière.
Mais cela ne serait pas possible sans la complicité des Européens, lesquels ont, pour l’essentiel, accepté d’importantes pertes de souveraineté politique et économique. La France a été pendant plusieurs décennies la seule nation «poil à gratter» dans cette alliance. Mais la décision de Nicolas Sarkozy de rejoindre l’organisation militaire intégrée de l’OTAN a sonné le glas de toute indépendance véritable. Or, aujourd’hui, il faudrait soit dissoudre l’OTAN, soit que la France s’en retire.
En tant que professionnel du renseignement, quelle est votre analyse concernant l’opération Rubicon où la CIA et le BND ont espionné le monde entier, y compris leurs alliés européens. D’après vous, l’espionnage de masse est-il utile dans la lutte antiterroriste ou est-ce plutôt, comme l’a révélé Snowden, un outil de contrôle de masse ?
Il y a deux aspects à considérer. D’une part, l’espionnage extérieur que pratiquent tous les Etats. J’oserai dire que celui-ci reste légitime, en tout cas qu’il ne disparaîtra jamais car il permet de lire dans le jeu des autres (amis, alliés, adversaires) pour conduire sa politique internationale et défendre les intérêts nationaux (politiques, économiques, militaires). C’est ainsi.
D’autre part, il y a les «alliances». Le fait que les Etats-Unis espionnent avec autant d’acharnement leurs propres alliés, et que les Etats européens acceptent eux-mêmes de coopérer avec Washington pour intercepter les communications de leurs voisins est une contradiction qui montre que l’Europe n’existe pas, qu’il n’y a aucune conscience d’un intérêt commun. Souvenons-nous à ce titre de l’attitude des Européens lors de l’invasion illégale de l’Irak, en 2003, par les Américains. La France, qui s’est opposée à cette opération – et l’Allemagne qui ne l’a pas soutenue – ont été trahies par tous leurs autres partenaires européens.
Enfin, il y a le mythe de contrôle mondial des données. Je parle de mythe car, aujourd’hui, la croissance des datas va infiniment plus vite que les progrès des moyens de traitement, pourtant déjà extrêmement performants. Les Américains dépensent des sommes considérables, ont obtenu des résultats indéniables, mais ne sont capables que de traiter une partie infime des informations qu’ils ont recueillies.
Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de danger. C’est en cela que nous ne remercierons jamais assez Edward Snowden pour son action. D’ailleurs, l’obsession des autorités américaines à son encontre illustre parfaitement l’embarras de Washington au regard des pratiques d’espionnage électronique que Snowden n’a pas encore toutes révélées…
Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen
(*) Eric Denécé est docteur en sciences politiques et directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il a exercé comme officier-analyste à la Direction de l’évaluation et de la documentation stratégique du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN).
Mohsen Abdelmoumen : Pourquoi la France tolère-t-elle sur son sol la présence de différentes mouvances djihadistes et des terroristes ?
Dr. Éric Denécé : Vous posez là une question essentielle pour laquelle je ne parviens pas à trouver de réponse valable… La France lutte en effet officiellement contre les extrémistes et les terroristes islamistes… mais les laisse développer leurs activités sur notre sol. Il y probablement plusieurs explications. En premier lieu, la faible connaissance de l’islam qu’ont la très grande majorité de nos dirigeants politiques, qui ne savent pas faire la différence entre ses différents courants, ceux qui sont respectables et ceux qui représentent un danger. Ensuite, il ne faut pas négliger la stratégie d’entrisme et de propagande habile que mènent les Frères musulmans et qui porte en partie ses fruits, notamment en raison de la naïveté de nos élites, lesquelles pensent qu’en s’alliant avec eux elles auront « la paix » dans nos banlieues… Enfin, la culpabilité post-coloniale est un autre élément qui tétanise de plus en plus une société qui doute de ses valeurs et qui ne sait plus comment réagir face à certaines évolutions qui menacent sa cohésion nationale et son devenir
Dans un de vos éditoriaux, vous avez évoqué la Turquie comme étant un État voyou. Comment expliquez-vous l’alliance des Occidentaux avec cet État voyou, alors que la Turquie a armé et financé des groupes terroristes qui ont détruit la Syrie et l’Irak ? Ne pensez-vous pas que les Occidentaux ont joué avec le feu en s’alliant avec Erdogan, le chef des Frères musulmans, qui n’a qu’un seul objectif : établir un califat ? Et comment expliquez-vous le jeu trouble que joue Erdogan en Libye ?
La Turquie, pas seulement celle d’Erdogan – qui est certes de loin la pire – est un État qui bafoue depuis 1974, date de son invasion d’une partie de l’île de Chypre, les lois internationales. À l’époque, les Turcs auraient dû être chassés de l’OTAN pour avoir envahi un autre État membre. Mais nous étions en pleine Guerre froide et nous n’avons rien fait car l’Alliance atlantique, sous direction américaine, privilégiait la menace soviétique. Cette première lâcheté a été une véritable trahison vis-à-vis de nos amis Grecs et a commencé à laisser penser aux Turcs que tout était possible. Depuis l’arrivée d’Erdogan, leader totalement mégalomane et membre du bureau international des Frères musulmans, Ankara n’a cessé de poursuivre une politique agressive et néo-ottomane : effacer toute trace de l’héritage kémaliste, s’en prendre aux non-musulmans en Turquie, envahir en toute illégalité – sans que la communauté internationale ne proteste – une partie du territoire syrien, soutenir des groupes djihadistes et terroristes ultra-radicaux, ravitaillant en armes les Frères musulmans égyptiens (dont l’accession au pouvoir n’a rien eu de démocratique, contrairement à ce que l’on continue de croire en Occident) et désormais soutenant un régime libyen inféodé à la confrérie terroriste, l’armant, et intervenant militairement à ses côtés, en lui envoyant, notamment, des mercenaires djihadistes qui ont déjà travaillé sous son contrôle en Syrie.
La Turquie est aujourd’hui un État malfaisant et représente un risque véritable pour la paix et la stabilité en Méditerranée et au Proche-Orient. Mais encore une fois, les Occidentaux se refusent de prendre les décisions qui s’imposent, toujours sous l’influence des Américains et des Britanniques qui continuent de voir Moscou comme une menace et craignent que si la Turquie était mise au ban de l’Occident – ce qui s’impose – elle n’aille se jeter dans les bras de la Russie.
Certaines de nos sources évoquent un déplacement des djihadistes de Syrie et d’Irak vers la Libye, devenue un sanctuaire des terroristes. Ne pensez-vous pas que ce qui se passe en Libye menace la stabilité de tout le bassin méditerranéen, voire du monde ? L’intervention en Libye de Sarkozy et de son allié Cameron sous l’égide de l’Otan n’a-t-elle pas été une faute politique grave dont on subit les conséquences en ce moment ?
Évidemment, la situation actuelle a pour origine l’intervention occidentale de 2011, totalement injustifiée, improductive et par certains aspects illégale (en outrepassant la résolution 1973 de l’ONU). Sarkozy, Cameron mais aussi Obama en portent l’entière responsabilité. Ils ont tous les trois joué aux apprentis sorciers et ont déstabilisé l’Afrique du Nord et le Sahel… puis désormais la Méditerranée. La destruction de la Libye a créé un véritable foyer terroriste et criminel (passeurs et migrants) qui ne cesse de prendre de l’ampleur et que nous mettrons des années à éliminer. Et plus préoccupant, cela pourrait devenir un théâtre d’affrontement entre puissances régionales : Égypte et Émirats, Turquie et Qatar…
Dès le printemps 2011, de retour de Libye où nous avions visité les deux camps (Tripoli et le CNT), nous n’avons cessé d’alerter sur la politique irresponsable et déplorable que l’Occident conduisait et sur ses effets prévisibles… Malheureusement, nous avons eu raison.
J’ai vu l’une de vos interviews où vous avez parlé d’un groupe que vous aviez constitué au lendemain des printemps arabes et j’ai lu votre livre collectif « La face cachée des révolutions arabes » édité par le CF2R et consacré au printemps arabe, devenu hiver islamiste. Vous avez évoqué des noms comme ceux de notre amie la regrettée Anne-Marie Lizin que j’ai interviewée à plusieurs reprises et de Madame Saïda Benhabylès. Cette dernière a été attaquée et accusée d’être un agent des Français et le nom de la famille Benhabylès a été traîné dans la boue dans les réseaux sociaux par des organisations islamistes activant en Europe et par des individus liés au terrorisme et à la thèse du « Qui tue qui », thèse qui cible l’armée algérienne et les services de renseignement algériens. Comment expliquez-vous que des personnages douteux puissent se permettre d’attaquer un élément de votre groupe et de déformer vos propos, sachant que ces éléments ont eux-mêmes des liens avec des services de renseignement occidentaux, saoudiens, marocains, qataris, et turcs ?
Madame Saïda Benhabylès est une femme pour laquelle j’ai un très grand respect et une amie que j’apprécie beaucoup. Elle a été victime ces dernières semaines d’actions de déstabilisation orchestrées par des individus membres ou proches des Frères musulmans, dans un objectif que je ne perçois pas bien encore. Naturellement, tout cela est de la diffamation et du mensonge. J’ai pu observer la manière dont ces islamistes ont falsifié certains de mes interviews, les traduisant en arabe avec des propos totalement faux ou fantaisistes.
J’avoue ne pas mesurer les liens entre ces individus et les « promoteurs » du « Qui tue qui ? ». Mais ces derniers restent actifs en France, après être parvenus à donner une vision totalement déformée de la réalité algérienne de la « décennie noire ». Il est bien sûr évident que les islamistes les plus radicaux, cherchant à imposer leurs « valeurs » stupides et infondées aux autres musulmans, ont toujours cherché à prendre le pouvoir et donc à attaquer tous ceux qui représentaient un obstacle à leur stratégie. Heureusement, l’Algérie n’est pas tombée, la Syrie non plus et l’Égypte, grâce au maréchal Sissi a pu les chasser du pouvoir. Mais ils sont au pouvoir en Turquie et dans les monarchies du Golfe – en dépit de leurs différences doctrinales – et continuent de répandre à travers le monde leur idéologie mortifère.
Des éléments de l’organisation Rachad, organisation affiliée au congrès de l’Oumma lié aux Frères musulmans d’Erdogan et basé à Istanbul, n’ont pas hésité à inciter les Algériens à prendre les armes contre leur armée et leur État. Et Mohamed Larbi Zitout, un des dirigeants de Rachad, qualifie les groupes terroristes actifs au Sahel de « groupes de libération nationale ». Ces individus vivent dans des pays comme la Grande Bretagne et la France. Comment expliquez-vous qu’ils ne soient pas inquiétés, malgré leur prosélytisme au profit d’Erdogan et des Frères musulmans ? Ces individus liés au terrorisme n’utilisent-ils pas votre système « démocratique » pour répandre leurs idées terroristes ?
Vous donnez-là un exemple très clair de leur stratégie : prosélytisme, propagande et tromperie, appel à la lutte armée et au meurtre, le tout avec le soutien des États islamistes cités plus haut… et la passivité totale de l’Occident.
Les « élites » européennes – et cela est particulièrement vrai en France – sont sans réaction pour plusieurs raisons :
– elles ne savent pas comment agir face à ce phénomène, car elles se caractérisent par leur absence de vision, de culture, leur manque de courage et leur médiocrité
– elles sont « endormies » par l’argent, les promesses et les mensonges de monarchies du Golfe… et des Américains qui persistent à les soutenir
– elles veulent rester au pouvoir et se disent que si le « vote musulman » (5 à 10% en moyenne en Europe) leur est acquis, elles ont des chances d’y parvenir. Ainsi, elles ferment les yeux ou acceptent des comportements qui contreviennent à nos règles, valeurs et lois.
– elles sont obnubilées par le risque de l’extrême-droite, qui a en réalité beaucoup moins de fondement qu’on ne l’imagine, parce que les partis qui l’incarnent seraient incapables de gouverner. Mais en revanche, à chaque élection, ils attirent plus de votes de tous ceux qui sont outrés de l’inaction des autorités. Ce sont là les ingrédients d’une situation explosive.
Les individus qui ont vendu la thèse du « Qui tue qui » aux services de renseignement occidentaux concernant l’Algérie n’avaient-ils pas plusieurs objectifs stratégiques parmi lesquels, entre autres, utiliser Taqiya et cacher le vrai potentiel de nuisance des djihadistes en Occident, sachant qu’après on a vu les attentats de Bruxelles, de Paris, de Londres, de Berlin, etc. et qui contredisent les thèses du « Qui tue qui » ? N’est-il pas temps de révéler la vérité à vos peuples, à savoir que le djihadisme et son idéologie existent dans votre société et qu’ils sont alimentés par différents pays comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie ?
Depuis au moins une décennie, de plus en plus de voix se sont élevées pour dénoncer ces dangers et l’idéologie véritable de ces mouvements sectaires et nuisibles. Mais les politiques, pour les raisons que je viens d’évoquer, ne veulent pas l’entendre. Je vais vous donner deux exemples édifiants : au cours de l’été 2016, François Fillon, futur candidat de la droite à la présidentielle, s’est opposé lors d’un votre à l’Assemblée nationale à ce que des mesures soient prises contre les Frères musulmans en France. Et en 2016 également, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense d’un gouvernement de gauche, publie un livre intitulé « Qui est l’ennemi ? », dans lequel il se demande si la France est en guerre mais ne dénonce ni l’islamisme radical, ni les monarchies archaïques du Golfe… il n’en parle même pas ! Est-ce de la cécité, de la complicité, de la bêtise ? Voilà où en est la France aujourd’hui…
Les services de renseignement qu’ils soient français, algériens, ou autres, n’ont-ils pas le même ennemi, à savoir le djihadisme et son idéologie mortifère, qu’elle provienne des salafistes ou des frères musulmans ? Ne pensez-vous pas que la coopération entre les services de renseignement doit s’améliorer dans une optique gagnant-gagnant ?
Si évidemment. D’ailleurs, ils coopèrent étroitement en la matière… mais pas dans tous les domaines ni sur tous les sujets. Cela est normal car les intérêts nationaux demeurent différents. L’antiterrorisme est le domaine dans lequel la coopération est la plus poussée, non seulement entre Occidentaux, mais aussi avec les pays arabes, dont les États du Golfe. Ce qui peut signifier qu’une partie des informations échangées sont orientées. En effet, jamais l’Arabie saoudite, le Qatar, ou la Turquie ne donneront d’informations sur « leurs » terroristes, vus que ces régimes adhèrent eux-mêmes au salafisme ou à la doctrine des Frères musulmans. Ils ne transmettront des renseignements que sur les groupes qui menacent leur régime.
Vous êtes un expert en renseignement et un fin connaisseur de la géopolitique. Les gouvernements occidentaux ne se sont-ils pas trompés dans la gestion du dossier syrien ?
Totalement. Il y a eu une erreur majeure d’évaluation de la situation : penser que Bachar allait tomber rapidement en 2011 montrait une méconnaissance de la réalité syrienne ; il y a eu par ailleurs une influence majeure des États du Golfe voulant faire tomber la Syrie « laïque », pays dans lequel la cohabitation des religions insupportait les régimes islamistes radicaux du Qatar et d’Arabie saoudite. Ainsi, les Américains, les Britanniques et les Français, via leurs services spéciaux, ont soutenu des terroristes qui, par ailleurs, organisaient des attentats sur notre sol ou luttaient contre nos forces au Mali. Bel exemple de cohérence politique… Heureusement, l’intervention russe a permis de faire échouer cette stratégie délirante.
Ne pensez-vous pas que la solution en Libye doit être politique et que si jamais il y a une guerre, tout le monde sera perdant ?
Cela serait évidemment l’idéal, mais je ne vois guère que nous en prenions le chemin. Il faudrait pour cela que les belligérants acceptent de négocier… ainsi que leurs soutiens extérieurs. Or, ni les islamistes libyens, ni la Turquie qui les soutient ne le souhaitent, et les milices et les réseaux criminels de Misrata et d’ailleurs ont tout intérêt à ce que la situation demeure chaotique, ce qui permet à leurs « affaires » de prospérer. Et l’Égypte ne peut accepter qu’un régime islamiste, refuge de terroristes et de criminels s’installe à ses portes… pas plus que l’Algérie, évidemment.
Les Occidentaux, à leur tête les États-Unis, ne devraient-ils pas revoir leur alliance avec les Saoudiens, les Qataris et les Turcs ?
Absolument, notre politique étrangère et nos alliances doivent être totalement reconsidérées. Arabie saoudite, Qatar, Bahrein, Koweit et Turquie sont autant d’États dont les valeurs et la politique sont aux antipodes de celles de la France. Ce ne sont ni nos amis, ni nos alliés, contrairement à ce qu’une partie de nos dirigeants persistent à croire, espérant des contrats mirobolants pour notre industrie de défense… Heureusement, la Turquie n’a pas pu intégrer l’Union européenne et il faut tout faire pour que cela ne se fasse jamais. Si elle demeure dans l’OTAN, je pense indispensable que nous remettions en cause l’utilité de cette alliance … qui n’a plus rien d’atlantique… ni de pacifique !
Ne pensez-vous pas que les Européens devraient cesser de s’aligner sur la politique américaine ? À votre avis, l’OTAN n’est-elle pas devenue une coquille vide qui ne sert plus à rien ?
L’OTAN n’a plus de raison d’être depuis la fin de la Guerre froide et aurait dû être dissoute, c’est une évidence. Mais cela reste pour les Américains un moyen d’influence, de contrôle et de pression essentiel sur des Européens qui ne veulent pas assurer eux-mêmes le coût de leur défense. C’est surtout une aubaine pour l’industrie de défense américaine qui peut imposer ses armements à ses alliés et tuer toute concurrence européenne en la matière.
Mais cela ne serait pas possible sans la complicité des Européens, lesquels ont, pour l’essentiel, accepté d’importantes pertes de souveraineté politique et économique. La France a été pendant plusieurs décennies la seule nation « poil à gratter » dans cette alliance. Mais la décision de Nicolas Sarkozy de rejoindre l’organisation militaire intégrée de l’OTAN a sonné le glas de toute indépendance véritable. Or, aujourd’hui, il faudrait soit dissoudre l’OTAN, soit que la France s’en retire.
En tant que professionnel du renseignement, quelle est votre analyse concernant l’opération Rubicon où la CIA et le BND ont espionné le monde entier, y compris leurs alliés européens. D’après vous, l’espionnage de masse est-il utile dans la lutte antiterroriste ou est-ce plutôt, comme l’a révélé Snowden, un outil de contrôle de masse ?
Il y a deux aspects à considérer. D’une part, l’espionnage extérieur que pratiquent tous les États. J’oserai dire que celui-ci reste légitime, en tout cas qu’il ne disparaîtra jamais car il permet de lire dans le jeu des autres (amis, alliés, adversaires) pour conduire sa politique internationale et défendre les intérêts nationaux (politiques, économiques, militaires). C’est ainsi.
D’autre part, il y les « alliances ». Le fait que les États-Unis espionnent avec autant d’acharnement leurs propres alliés, et que les États européens acceptent eux-mêmes de coopérer avec Washington pour intercepter les communications de leurs voisins est une contradiction qui montre que l’Europe n’existe pas, qu’il n’y a aucune conscience d’un intérêt commun. Souvenons-nous à ce titre de l’attitude des Européens lors de l’invasion illégale de l’Irak en 2003 par les Américains. La France, qui s’est opposée à cette opération – et l’Allemagne qui ne l’a pas soutenue – ont été trahies par tous leurs autres partenaires européens.
Enfin, il y a le mythe de contrôle mondial des données. Je parle de mythe car aujourd’hui, la croissance des datas va infiniment plus vite que les progrès des moyens de traitement, pourtant déjà extrêmement performants. Les Américains dépensent des sommes considérables, ont obtenu des résultats indéniables, mais ne sont capables que de traiter une partie infime des informations qu’ils ont recueillies.
Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de danger. C’est en cela que nous ne remercierons jamais assez Edward Snowden pour son action. D’ailleurs, l’obsession des autorités américaines à son encontre illustre parfaitement l’embarras de Washington au regard des pratiques d’espionnage électronique que Snowden n’a pas encore toutes révélées…
Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est le Dr. Éric Denécé ?
Éric Denécé, docteur en Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et de sa société de conseil en Risk Management (CF2R Services).
Auparavant, il a été successivement :
Officier-analyste à la direction de l’Evaluation et de la Documentation Stratégique du Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN) ; Ingénieur commercial export chez Matra Défense ; Responsable de la communication de la société NAVFCO, filiale du groupe DCI (Défense Conseil International) ; Directeur des études du Centre d’Etudes et de Prospective Stratégiques (CEPS) ; Fondateur et directeur général du cabinet d’intelligence économique ARGOS ; Créateur et directeur du département d’intelligence économique du groupe GEOS.
Éric Denécé a longtemps enseigné le renseignement ou l’intelligence économique dans plusieurs écoles de commerce et universités françaises et étrangères (ENA, Ecole de Guerre, Université de Bordeaux IV-Montesquieu, Université de Picardie-Jules Vernes, Bordeaux Ecole de Management).
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et rapports consacrés au renseignement, à l’intelligence économique, au terrorisme et aux opérations spéciales. Ses travaux lui ont valu d’être lauréat du Prix 1996 de la Fondation pour les Etudes de Défense (FED) et du Prix Akropolis 2009 (Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure).
Il me faut écrire comme il me faut nager, parce que mon corps l’exige(1), parce que l’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.(2)
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais ma tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse.(3)
Il n'y a pas de vie sans dialogue, et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est aujourd'hui remplacé par la polémique, langage de l'efficacité. Le XXI siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l'insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, la place que tenait traditionnellement le discours réfléchi.
Mais quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l'adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent, et à refuser de le voir. Celui que j'insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d'hommes, mais dans un monde de silhouettes.(4) Ce qui me semble caractériser le mieux cette époque, c'est la séparation(5), la défiance et l’hostilité envers celui qui n’est pas un autre vous.
Or, je ne crois qu'aux différences, non à l'uniformité. Parce que les premières sont les racines sans lesquelles l'arbre de liberté, la sève de la création et de la civilisation, se dessèchent.(6) Loin d’être le seul, nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et l'amitié des hommes, ce silence est la fin du monde.(7)
On ne décide pas de la vérité d'une pensée selon qu'elle est à droite ou à gauche et encore moins selon ce que la droite et la gauche décident d’en faire. Si la vérité me paraissait à l’extrême-droite, j’y serais(8), mais gardons bien à l’esprit que nous finissons toujours par avoir le visage de nos vérités.(9)
La logique du révolté est de vouloir servir la justice pour ne pas ajouter à l'injustice de la condition.(10) Et je ne peux m'empêcher d'être tiré du côté de ceux, quels qu'ils soient, qu'on humilie et qu'on abaisse. Ceux-là ont besoin d'espérer, et si tout se tait, ou si on leur donne à choisir entre deux sortes d'humiliation, les voilà pour toujours désespérés et nous avec eux. Il me semble qu'on ne peut supporter cette idée, et celui qui ne peut la supporter ne peut non plus s'endormir dans sa tour. Non par vertu, mais par une sorte d'intolérance quasi organique, qu'on éprouve ou qu'on n'éprouve pas. J'en vois, pour ma part, beaucoup qui ne l'éprouvent pas, mais je ne peux envier leur sommeil.(11)
Je fus pour ma part placé à mi-distance de la misère et du soleil. La misère m'empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit que l'histoire n'est pas tout.(12)
L’injustice sépare, la honte, la douleur, le mal qu’on fait aux autres, le crime séparent. Tout homme est un criminel qui s’ignore, mais il y a quelque chose de plus abject encore que d’être un criminel, c’est de forcer au crime celui qui n’est pas fait pour lui.(13)
La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.(14) Vous avez cru que tout pouvait se mettre en chiffres et en formules ! Mais dans votre belle nomenclature, vous avez oublié la rose sauvage, les signes du ciel, les visages d'été, les instants du déchirement et la colère des hommes ! Ne riez pas. Ne riez pas, imbécile.(15)
L'amitié est la science des hommes libres. Et il n’y a pas de liberté sans intelligence et sans compréhension réciproques.(16) Mais la liberté est également un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi. J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice, qu’il fallait donner sa vie pour la combattre.(17)
Notre tâche est de trouver les quelques formules qui apaiseront l'angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste. Naturellement, c’est une tâche surhumaine, mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent du temps à accomplir, voilà tout.(18)
J’essaie, pour ma part, solitaire ou non, de faire mon métier. Et si je le trouve parfois dur, c’est qu’il s’exerce principalement dans l’assez affreuse société où nous vivons, où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coup de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence.
Si un journal est la conscience d’une nation, un média peut en être l’inconscience et vous en êtes l’illustration, le funeste symbole. C’est en retardant ses conclusions, surtout lorsqu’elles lui paraissent évidentes, qu’un penseur progresse, mais l’époque veut aller vite et la bêtise insiste toujours.(19) Par un curieux renversement propre à notre temps, le crime se pare ainsi des dépouilles de l'innocence, et c’est l’innocent, victime du condamné récidiviste, qui est sommé de fournir ses justifications.(20)
Je ne suis pas de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert bien la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice. Sans liberté vraie, et sans un certain honneur, je ne puis vivre.(21)
La liberté est le droit de ne pas mentir(22). Elle est aussi la chance de devenir meilleur, quand la servitude de la pensée est la certitude de devenir pire.
Le bacille du fascisme ne meurt, ni ne disparaît jamais, resté pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, attendant patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses.(23) Il mue, prend diverses formes, mais sa noirceur reste intacte. Vos réquisitoires quotidiens, obsessionnels et venimeux en sont la triste incarnation.
Vous et vos comparses, êtes un beau crépuscule, ce mensonge qui met chaque objet en valeur, quand la vérité, comme la lumière, aveugle.(24)
Je n’ignore rien de ce qui attend ceux que l’époque qualifie de ringards et de bien-pensants. Chaque fois qu'une voix libre s'essaie à dire, sans prétention, ce qu'elle pense, une armée de chiens de garde de tout poil et de toute couleur aboie furieusement pour couvrir son écho.(25)
Mais la paix est la seule bataille qui vaille d’être menée(26) et sur la terre de l’injustice, l’opprimé prend sa plume, telle une arme, au nom de la justice.(27)
Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l'âge de pierre, qui réclame à grands cris un oeil pour un œil(28). Mais les gens sont aussi des miracles qui s’ignorent(29) et je crois au soleil même quand il ne brille pas.
Qui ne donne rien n’a rien et le plus grand malheur n’est pas de ne pas être aimé mais de ne pas aimer(30).
Le contraire d’un humaniste, étant trop souvent un homme sans amour(31), puissiez-vous découvrir au milieu de votre hiver, un invincible été(32), pour aimer, donner, transmettre, enfin, autre chose que la peste.
Extraits choisis et texte construit par Sofia SOULA-MICHAL
(1) Carnets I (1935-1942)
(2) La Peste (1947)
(3) Discours de Stockholm (10 décembre 1957)
(4) Le Témoin de la Liberté (1948 Conférences et discours)
(5) Carnets II (1942-1951)
(6) Discours l’Appel pour une trêve civile en Algérie (22 janvier 1956)
(7) Le siècle de la peur (Combat, 1948)
(8) Lettre au Directeur des Temps modernes (30 juin 1952)
(9) Le mythe de Sisyphe (1942)
(10) L’homme révolté (1951)
(11) L’artiste et son temps (Actuelles II 1948-1953)
(12) L’Envers et l’endroit (1937)
(13) Les Justes (1952)
(14) Carnets III (1935-1942)
(15) L’État de siège (1948)
(16) Discours « Défense de l’intelligence » (1945)
(17) Les Justes (1942)
(18) Les Amandiers (l’Été, 1954)
(19) La Peste (1947)
(20) L’Homme révolté (1951)
(21) Discours prononcé devant des réfugiés espagnols (22 janvier 1958)
(22) Servitudes de la haine (Actuelles II, 1948-1953)
(23) La Peste (1947)
(24) La Chute (1956)
(25) Démocratie et modestie (Combat, 1947)
(26) Éditorial pour Combat (8 août 1945)
(27) Les raisons de l'adversaire (l'Express 28 octobre 1955)
C’est la dernière lettre de l’alphabet devant laquelle les niais vont jusqu’à se prosterner en croyant avoir achevé leur parcours de A à Z… Parcours De rêve, rêve de voir accomplie une vie qui joint la lettre à l’esprit.
ZED : c’est aussi le titre d’un projet d’émission d’actualité politique qui n’aura pas lieu et qui mettrait Zemmour et Dieudo dos à dos… car ils s’entendent même s’ils ne se regardent pas. Ce serait le plus haut niveau de la mauvaise bonne rencontre qui va à l’encontre de tout débat rituel qui préfère de près comme de loin, la danse du ventre. Les bébêtes et les courbettes. Et pendant que Zemmour nous entube, on vient d’interdire à Dieudo toute diffusion sur Youtube !
L’un est en passe de devenir passe-partout alors que l’autre ne passe plus nulle part… il est dans l’impasse… victime d’une disgrâce. Zemmour est au Zenith, Dieudo a fait faillite ! Et pourtant le sens du tragique de l’un, n’a d’égal que le sens du comique de l’autre. Lequel nous fait pleurer ? Lequel nous fait rire ? L’antimusulman ou l’antisémite ?
Y a-t-il une haine préférable à une autre ? Deux poids, deux mesures entre le mépris de l’un (compris comme une faute banale) et la méprise de l’autre (prise pour une erreur fatale). Je ne vois pas de différence lorsque je fais le point : je vois que l’un est blanc, l’autre noir ; l’un haineux, l’autre haïssable ; l’un s’en prenant au plus faible, l’autre s’en prenant au plus fort… Raison pour l’un, prison pour l’autre… Lequel se plaint de la vie, lequel ne craint pas la mort ? Les complotistes vous diront qu’une main invisible a scellé leur sort… Mais quel est le plus dangereux des deux matadors ? Le plus hideux ou le plus venimeux ? Sur lequel est-il le plus facile de faire feu ? Celui qui offense les hommes ou celui qui offense Dieu ?
Voir aussi : Lettre d’Albert CAMUS à Éric ZEMMOUR et autres injustes
L’enfant met ses mains devant ses yeux, pour ne pas être vu… Est-ce que c’est un réflexe de quelqu’un à la dérive, ou l’effet d’une réflexion naïve ? Voir et savoir sont pour lui synonyme. Il croit qu’il ne peut être vu à son insu… qu’à chaque fois qu’il a été vu, il l’a su. C’est lourd de conséquence parce qu’il y a là un sous-entendu pour l’enfant qui se comporte comme un roi : Ce qu’il ne voit pas, n’existe pas !
Un brin de Saint Thomas : je ne crois qu’à ce que je vois… et un soupçon de Berkeley : « Esse est percipi » : ce qui signifie en latin : être c’est être perçu… to be is to be perceived, comme il dit dans la langue de Shakespeare. L’enfant qui ne désire être vu se cache les yeux, alors que l’adulte que nous sommes devenus a peur de passer inaperçu !
La haute technologie l’a bien retenu… et s’emploie à rendre visible, tous les cœurs de cible… un peu trop risible comme dispositif…puisqu’il vous suffit désormais d’un petit clic sur son Smartphone pour voir et être vu… voir sans être vu… ne pas voir et se mettre à nu…
Cela va encore plus loin qu’un va et vient entre voyeurisme et exhibitionnisme… puisqu’il s’agit d’un existentialisme très particulier, que Hegel nous a légué et qui nous dit que c’est une question de vie ou de mort : besoin d’éclore. Désir de se manifester, volonté de s’extérioriser… d’être-dehors : ex-sistere… sortir pour s’en sortir… éloge du déconfinement… mais pas seulement… nous dit Hegel pour sauver le soldat humain ou songer à son salut, il faut le laisser être, lui permettre d’exister, de se faire connaître ou reconnaître. Soldat qui n’existe que si l’on sait qu’il existe. Sans exagérer, on peut dire que sans nos yeux, il n’a pas lieu d’être. Comme quoi il y a de l’enfant dans tout adulte, mais un enfant attardé qui passe le plus clair de son temps à rattraper son retard en faisant tout pour se faire voir.
D’où ma déception, lorsque je réalise que personne, absolument personne ne peut faire exception à cette règle… à part Dieu peut être ? Il est comme la rose, fleurit parce qu’il fleurit et ne désire ni surprendre, ni être surpris… Ce qui est surprenant justement avec le nouveau monde virtuel, c’est qu’il n’y a plus de différence entre voir croire et savoir… je ne vous vois pas, mais je crois savoir que vous êtes là même si vous n’y êtes pas… et je vous le fais savoir même si je n’y suis pas.
Sur les trois verbes clés, j’accorde mon hashtag au verbe croire… car n’existe que ce que je crois qui existe… ce que je ne crois pas, n’existe pas… les Grecs disaient « Pistis » pour caractériser cette croyance qui équivaut à un pipi de chat… dans le royaume de la mauvaise Foi.
Aïe ! J’ai dit aïe ! À cause d’une petite entaille que je viens de déceler dans ma façon de voir la canaille. J’ai dit Aïe ! Parce que je ne vois qu’un détail et non tout l’éventail Je ne vois que ce qui me semble et non tout l’ensemble Un tout petit bout et non le tout… Encore une fois, un détail et non tout l’éventail. Aï ! Aïe ! Aïe ! Nous ne voyons que des entailles et non les entrailles du ver de terre qui ronge les deux hémisphères de notre cerveau reptilien. En vérité nous dit l’auteur de la théodicée. Dieu est juste mais nos yeux ne le sont pas. Il n’y a aucune faille dans l’univers. Aucune. Il n’y a pas de mal… il n’y a que le bien. C’est tout ce que doit retenir la créature de son créateur. Il n’y a rien à refaire, rien à défaire : tout est parfait. Oui nous répète inlassablement Leibniz, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles…. N’en déplaise à Voltaire. De l’univers… ne dites pas qu’il est mauvais… parce que vous ne savez pas tout… mais seulement un tout petit bout… pour ainsi dire, rien du tout. Je peux certes rétorquer à Leibniz qui est persuadé que nous ne voyons qu’un détail et non tout l’éventail… qu’il n’en sait rien… après tout ! Comme Socrate : il n’en sait rien… ce qui veut dire qu’il sait au moins une chose : c’est qu’il ne sait rien… rien c’est quelque chose… Et cette idée nous fait du bien. Elle nous apprend à voir les choses autrement. De chasser le mal avec une lentille qui a une portée globale. Aïe ! Aïe ! Aïe ! Que des mots qui vous font mal : Mal métaphysique : croire que le monde c’est n’importe quoi Mal physique : avoir mal au foie à force de se rincer les doigts avec de l’eau hydro alcoolique Le mal éthique : faire du mal aux autres vers à soie… Ces trois maux nous ressemblent mais ne recouvrent pas l’ensemble… ce ne sont que des détails de l’histoire mal reçue ou mal perçue par une conscience qui baille. Aï ! Aïe ! Aïe !
Ratissage de l'armée française dans le nord du Mali. D. R.
Comme il fallait s’y attendre, à peine le chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, Abdelmalek Droudkel, a-t-il été abattu par l’armée française au Nord-Mali et son successeur désigné qu’un attentat terroriste a secoué ce pays, faisant plusieurs morts dans les rangs de l’armée malienne. La nouvelle de la liquidation physique de ce terroriste a été annoncée en grande pompe par les médias français et présentée par certains journalistes naïfs en France – mais aussi en Algérie –comme la fin d’Al-Qaïda dans le Sahel, alors que l’expérience de la décennie noire en Algérie a démontré qu’à chaque fois qu’un groupe terroriste est étêté, il renaît de ses cendres et redouble de fé rocité pour à la fois venger la mort du chef et prouver qu’il est toujours aussi nuisible.
Des médias français plus mesurés ont eu raison de mettre en garde contre un triomphalisme béat, en estimant que si une bataille a été gagnée, la guerre ne l’est cependant pas. Les groupes islamistes armés, rompus à la guerre asymétrique, sont organisés de sorte que la mort du chef soit immédiatement palliée par l’allégeance au remplaçant, le khalifa, désigné d’avance pour éviter que le «djihad» soit interrompu ou qu’une guerre de leadership éclate au sein de l’organisation. L’armée française, qui a voulu montrer l’élimination de Droudkel comme une opération censée mettre fin au terrorisme dans la région, n’ignore pourtant pas cette réalité.
«Les pays qui font face au terrorisme islamiste doivent tirer les leçons des années 1990 en Algérie où les services de sécurité algériens ont acquis une expérience inégalée dans la lutte antiterroriste», estiment des sources qui expliquent que «les cas de l’AIS, du GIA, du GSPC et de toute la nébuleuse islamiste qui a choisi la voie de la violence armée pour imposer leur vision rétrograde et obscurantiste de l’islam et un Etat théocratique à l’afghane, doivent être étudiés davantage pour comprendre le fonctionnement de ces factions qui, tout en étant elles-mêmes divisées au point de se livrer une guerre sans merci, n’en adoptent pas moins les mêmes codes de conduite empruntés à la guérilla».
La France et ceux qui ont applaudi des deux mains la neutralisation d’Abdelmalek Droudkel ont dû mettre de l’eau dans leur vin après cette nouvelle attaque terroriste – vigoureusement condamnée par l’Algérie – au centre du Mali où le groupe de Droudkel a dû se replier pour y signer des attentats spectaculaires contre des militaires et des civils maliens, confirmant ainsi l’échec total de l’opération Barkhane et la justesse de la position de l’armée algérienne qui a refusé de participer au G5 Sahel, mis sur pied pour sauvegarder ses intérêts dans la région.
Le 20 décembre 1943, un pilote de chasse allemand s'apprête à abattre un bombardier américain. Contre toute attente, il va risquer sa vie pour le sauver ! Découvrez l'histoire de Franz Stigler et de Charlie Brown, deux pilotes ennemis pendant la Seconde Guerre mondiale, qui se sont retrouvés 47 ans plus tard pour devenir amis. A Higher Call (Un excellent livre qui résume l'histoire) :
Réfugié dans la casbah d’Alger, Pépé le Moko, chef d’une bande de malfaiteurs, est émerveillé par la beauté d’une jeune femme, Gaby, dont il tombe amoureux. Malheureusement, leur idylle est de courte durée car Slimane, un indicateur, tend un piège à Pépé pour le faire quitter son repaire. Alors que ce dernier s’apprête à s’enfuir avec Gaby, il est arrêté par la police, sur le port d’Alger.
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