Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 11:26 | Last update:5 hours 29 secs ago
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Le drame a choqué toute l’Algérie. Le 26 septembre, en Kabylie, Ryma Anane, 28 ans, enseignante de français, a été attaquée par son voisin alors qu’elle s’apprêtait à prendre le bus pour aller à son travail. Il l’a aspergée d’essence et brûlée vive à l’aide d’un briquet.
La nouvelle s’est répandue très vite sur les réseaux sociaux. Selon des sources locales, l’agresseur a fini par se rendre à la police quelques heures après l’attaque. D’après ses aveux, il aurait agi ainsi parce que la jeune femme avait refusé de se marier avec lui et choisi un autre futur époux.
« Son dos et son cou en flammes, Ryma s’empresse d’aller chercher de l’aide. Arrivée chez elle, elle s’effondre, et bredouille quelques mots : ‘’Il a brûlé mon avenir !’’ », rapporte le site d’information TSA.
Après son transfert à l’hôpital de Tizi Ouzou (Kabylie), les médecins ont jugé que son état nécessitait une prise en charge rapide à l’étranger au regard de la gravité des brûlures (60 % de son corps).
Rapidement, la solidarité s’est organisée à travers les réseaux sociaux et une cagnotte a été lancée pour payer les frais d’un transfert en Europe.
« La famille s’est d’abord tournée vers l’hôpital Saint-Louis à Paris, connu pour son expertise des grands brûlés. D’après le devis consulté par France 24, l’hôpital demandait plus de 316 000 euros pour 70 jours d’hospitalisation en réanimation », relate France 24.
Mais l’établissement n’a pas accepté l’échelonnement de la facture. « Qui peut faire ça ? Cela a retardé la prise en charge de Ryma à l’étranger. Et pendant ces quelques jours, elle aurait pu y passer », témoigne toujours sur France 24 un ami de la victime.
Faute d’avoir pu obtenir un visa pour la France, l’entourage de Ryma s’est tourné vers l’Espagne, qui a accepté de lui en délivrer un. Et grâce à une société d’assistance médicale, ADM international, la famille a pu trouver un hôpital à Madrid qui proposait un devis moins onéreux, avec par ailleurs la possibilité de payer par tranches.
Ryma a donc été transférée en Espagne par avion médicalisé grâce aux efforts de ses proches et des nombreux donateurs en Algérie et à l’étranger. Selon les dernières informations, son état se serait stabilisé.
La cellule de veille indépendante Féminicides Algérie relève qu’une jeune femme, mère de quatre enfants, a été assassinée, brûlée vive, par son époux le 16 avril 2022. Depuis le début de l’année, 32 cas de féminicides ont été recensés par les militantes.
Par
MEE
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« Manière de voir » #186, décembre 2022 - janvier 2023
Faut-il se résigner à voir disparaître le prodigieux patrimoine de milliers de langues ? La menace est bien réelle, comme celle de voir des peuples las d’être niés dans leur identité profonde reprendre le chemin de la guerre. La soumission à la logique de marché culturel conduit vers un monde monochrome. Outils d’influence, les langues sont aussi des outils de partage. L’histoire démontre leur capacité d’adaptation et de résistance.
On a longtemps opposé arabe classique et formes dialectales. D’un côté, une langue strictement codifiée mais très peu utilisée en dehors des cercles officiels et savants. De l’autre, des variantes nationales si distinctes qu’elles marquent une rupture linguistique d’un pays à l’autre. Mais les nouveaux médias satellitaires et Internet bouleversent cet ordre et contribuent à l’émergence d’une langue panarabe.
Les Arabes se comprennent-ils ? Dans un ensemble géographique composé de vingt-deux pays, on dénombre autant sinon davantage de langues nationales, qui possèdent chacune leurs particularités lexicales et grammaticales, cela sans oublier celles des minorités linguistiques (berbère, kurde, etc.). Souvent qualifiées de dialectes par opposition à l’arabe coranique ainsi qu’à l’arabe classique moderne (ou standard) — tous deux très peu employés dans la vie quotidienne à l’exception de certains médias, notamment officiels —, ces langues arabes nationales évoluent de manière séparée, ayant été souvent façonnées par des contextes historiques distincts, dont celui de la colonisation. Il existe toutefois des convergences régionales. Au Maghreb, les darja ou darija — comme on appelle les langues vernaculaires locales — ne sont pas hermétiques les unes aux autres.
Entre Algériens, Marocains et Tunisiens, on arrive aisément à se comprendre, même si l’un des jeux préférés est de pointer les faux amis
Entre Algériens, Marocains et Tunisiens, on arrive aisément à se comprendre, même si l’un des jeux préférés est de pointer les faux amis, dont certains peuvent créer l’embarras. Par exemple, si le mot tabboune désigne le pain, ou le four à pain, en Algérie et en Tunisie, il prend une tout autre signification au Maroc, où il fait référence à la vulve ou au vagin, selon le contexte. On comprend la gêne des journalistes marocains qui à l’écran ou à la radio doivent prononcer le nom du président algérien Abdelmadjid Tebboune…
Au Proche-Orient, le chami unit, à quelques variantes locales près, Jordaniens, Libanais, Palestiniens et Syriens. Le hedjazi rayonne quant à lui dans toute la péninsule arabique, néanmoins des particularismes existent ici et là, notamment au Yémen. En Irak, l’influence conjointe de l’héritage bédouin et de l’arabe classique donne à la langue nationale un caractère unique, mais cette dernière demeure facilement compréhensible au Machrek comme dans le Khalidj (Golfe). Enfin, le parler égyptien bénéficie d’une audience qui dépasse les frontières du pays, s’étant diffusé dans tout le monde arabe grâce aux célèbres feuilletons télévisés mais aussi aux pièces de théâtre et à la chanson.
Pas de barrière étanche
Le passage d’une région à l’autre pose souvent problème. Un Marocain qui s’exprime en darija à Beyrouth ou Amman aura du mal à se faire comprendre. La solution la plus pratique est de recourir à l’arabe standard, ce qui n’est pas toujours un gage de succès. Un reporter de la télévision tunisienne qui interrogeait dans une langue soutenue de jeunes Koweïtiens s’est ainsi vu reprocher de « parler comme au temps des califes abbassides ». Pour autant, il n’existe pas de barrière étanche, car le socle commun joue encore un grand rôle, comme en témoigne cet épisode du Hirak algérien : le 11 mars 2019, le président Abdelaziz Bouteflika annonce qu’il renonce à briguer un cinquième mandat. Tardive, cette concession ne calme pas la contestation populaire. Alors qu’elle s’exprime en direct d’une rue d’Alger, la correspondante de la chaîne arabophone d’information en continu émiratie Sky News Arabia est brusquement interrompue par un jeune homme. « Yetnahaw gaâ ! » (« Qu’on les arrache tous ! »), s’exclame M. Sofiane Bakir Torki avec véhémence pour signifier que le départ du seul Bouteflika ne suffit pas. « Bel ‘ârbiya ! ‘ârbiya ! » (« Dis-le en arabe ! En arabe ! »), le presse alors la journaliste, qui veut que l’intéressé s’exprime en arabe standard pour être compris de tous, ce à quoi il répond qu’il vient de parler dans « sa » langue, comprendre l’algérien.
Les images de l’échange deviennent très vite virales sur Internet et « Yetnahaw gaâ » ne tarde pas à s’installer comme l’un des slogans majeurs du Hirak. Si au Maghreb l’expression est comprise sans difficulté, tel n’est pas le cas au Proche-Orient et dans le Golfe. Sur les réseaux sociaux, des internautes saoudiens et bahreïnis s’interrogent. M. Torki parlait-il en langue amazighe (berbère) ou son propos était-il une nouvelle preuve du caractère singulier, pour ne pas dire hétérodoxe, des parlers arabes de ce Maghreb si lointain ? Au fil des échanges, il apparaît que le premier mot, « yetnahaw », puise ses racines dans la fossha, l’arabe classique le plus souvent réservé aux discours officiels, mais que c’est sa forme, très caractéristique de la darja algérienne, qui déroute.
La « darja » algérienne est truffée de mots français impossibles à saisir pour un Égyptien ou
un Qatari
C’est donc grâce à une connaissance de l’arabe littéraire et au prix d’une réflexion étymologique plus ou moins poussée que nombre de mots propres aux dialectes maghrébins peuvent être compris par les habitants du Machrek ou du Khalidj. Et inversement. Mais il faut aussi faire la chasse aux emprunts, la darja algérienne étant, par exemple, truffée de mots français arabisés. « Krazatou tomobile » signifie ainsi « une automobile l’a écrasé ». Impossible à un Égyptien ou à un Qatari de le saisir.
Mais revenons au slogan du Hirak. À l’inverse de yetnahaw, le mot gaâ a divisé les internautes du Machrek. Mot berbère ? Mot « fossile » hérité des tribus Banu Hilal, qui, entre le Xe et le XIIIe siècles, abandonnèrent la péninsule arabique pour envahir — et arabiser en partie — l’Afrique du Nord ? Les avis continuent de diverger, toutefois des internautes irakiens font valoir que des bédouins du « triangle sunnite » l’utilisent et qu’on le retrouve dans certaines poésies populaires.
Émergence d’une langue moderne
Ces échanges plus ou moins cordiaux ne sont pas rares mais ils cachent une évolution de fond consécutive aux bouleversements médiatiques que connaît le monde arabe depuis le milieu des années 1990. Bien avant cela, il faut d’abord mentionner les politiques d’arabisation des systèmes éducatifs mises en place à partir des années 1970. L’arabe classique comme langue d’enseignement jusqu’à la fin du cycle secondaire a peu à peu supplanté le français ou l’anglais. Même si les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes pédagogiques, les jeunes générations sont plus aptes à comprendre et à parler la fossha que leurs aînés. Par la suite, l’apparition des chaînes télévisées satellitaires de divertissement, dont Middle East Broadcasting Center (MBC), aujourd’hui installée à Dubaï, et d’information en continu comme la qatarie Al-Jazira a favorisé l’émergence d’une langue moderne, débarrassée des lourdes contraintes grammaticales qui corsètent l’arabe classique.
Dans un essai publié en 2012 (Arabités numériques. Le printemps du Web arabe, Actes Sud, 2012), le chercheur Yves Gonzalez-Quijano, observateur attentif de l’évolution des sociétés arabes, note qu’un « nouvel arabe a fini par s’imposer : la syntaxe s’est simplifiée et le vocabulaire s’est modernisé ». Quiconque suit un débat sur une chaîne télévisée tunisienne ou libanaise s’en rendra aisément compte. Cette nouvelle langue arabe, qui ne craint ni les emprunts ni les innovations, est en constante expansion. Et il arrive même que des internautes l’écrivent avec des caractères latins et des chiffres. Ainsi, le slogan du Hirak mentionné précédemment peut aussi s’écrire « Yetna7aw ga3 ». L’« arabizi », comme on appelle cette écriture, témoigne que l’arabe est tout sauf une langue morte.
par Akram Belkaïd
Manière de voir » #186, décembre 2022 - janvier 2023
Le raï algérien est entré, jeudi 1er décembre, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. C’est une énorme consécration pour ce genre musical séculaire, rendu célèbre à travers le globe dans les années 1990 grâce à des artistes algériens comme Cheb Khaled, Cheb Hasni ou encore Cheb Mami. Pour Tarik El-Kébir, cogérant du mythique studio de musique Disco Maghreb, le label décerné par l’institution onusienne est une « récompense méritée ». « Le raï a toute sa place dans le classement du patrimoine culturel mondial. Il a traversé les années et les frontières et a su fédérer un très grand nombre de personnes grâce aux thématiques abordées dans les chansons comme l’amour impossible », se réjouit le producteur de musique, heureux de voir le genre musical décrié pour ses textes crus, voire vulgaires, enfin réhabilité. « Pendant longtemps, le raï était interdit sur les ondes de radio et les antennes de télévision. Voilà que l’Etat algérien défend cet art populaire. C’est un juste retour des choses », se félicite-t-il.
Dans son dossier de candidature, l’Algérie a rappelé que le raï, qui signifie littéralement « mon opinion » en arabe, est apparu à la fin du XIXe siècle. Pratiqué à l’origine « au milieu des populations paysannes et de pasteurs nomades des hautes plaines steppiques et de l’atlas saharien à l’ouest du pays », il s’est épanoui après l’indépendance en 1962. Au cours de l’important exode rural vers les centres urbains qui a suivi, Oran en est devenu la capitale. La note de présentation précise aussi que le raï « s’est imposé au niveau international grâce à la communauté algérienne installée à l’étranger, principalement en France ».
Nasreddine Touil, directeur artistique et cofondateur du festival de raï à Oran dans les années 1980, espère que l’inscription au patrimoine culturel mondial de l’Unesco apportera un nouveau souffle à un genre musical mis à mal depuis le début des années 2000 par le piratage massif. La production est artisanale et les représentations en public sont confinées dans les cabarets. « Cette reconnaissance mondiale du raï va permettre non seulement de préserver ce patrimoine, mais aussi de restructurer l’industrie musicale et de relancer la production, en faisant revenir sur le devant de la scène les anciens compositeurs, en rouvrant des studios d’enregistrement et en accompagnant la nouvelle génération de chanteurs », souhaite ce membre actif de l’association Art-cultures et protection du patrimoine musical oranais (ACPPMO), qui a participé à l’élaboration du dossier de candidature.
« Dossier commun »
Ironie du sort, le comité du patrimoine culturel de l’Unesco, qui examine depuis lundi une cinquantaine de candidatures, parmi lesquelles la harissa tunisienne et la baguette de pain française, est présidé pour cette dix-septième session par le Maroc. Depuis longtemps, le voisin de l’Est, grand rival politique, diplomatique et culturel, dispute à l’Algérie la paternité du raï. Au point d’avoir laissé planer le doute sur une éventuelle candidature en 2020 avant d’y renoncer. La même année, les autorités algériennes avaient déposé leur dossier de candidature auprès de l’institution onusienne, après une première tentative inaboutie en 2016, suscitant une polémique au royaume chérifien.
La démarche continue de faire grincer des dents au Maroc. L’ambassadeur marocain auprès de l’Unesco, Samir Addahre, a ainsi regretté de ne « pas avoir pu présenter un dossier commun » avec l’Algérie étant donné la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. En 2020, Rabat et Alger s’étaient entendus pour déposer une candidature conjointe, avec la Tunisie et la Mauritanie, pour inscrire le couscous, plat emblématique du Maghreb, au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Du côté algérien, on espère que la décision prise jeudi mettra un terme à la querelle « inutile » sur l’origine de ce genre musical. « Le débat est clos. De grands artistes marocains reconnaissent eux-mêmes que le raï est 100 % algérien », estime Nasreddine Touil. « La polémique doit prendre fin, car il est indiscutable que le raï est né dans l’ouest de l’Algérie. Mais cela n’empêche pas les artistes marocains d’exceller dans ce genre musical et de continuer à produire des chansons que nous prendrons plaisir à écouter », avance Tarik El-Kébir.
Avant l’entrée du raï dans la liste du patrimoine mondial immatériel de l’Unesco, qui rend hommage aux pratiques, traditions et savoir-faire à conserver, l’Algérie avait déjà fait inscrire six « éléments culturels » : l’Ahelil du Gourara (en 2008), pratiqué notamment lors des mariages berbères, le costume nuptial féminin de Tlemcen (en 2011), le pèlerinage du Rab de Sidi Cheikh (en 2013), l’Imzad, sorte de violon touareg (en 2013), la fête de la Sbeiba à Djanet (en 2014) et les cérémonies de commémoration du Sbouh à Timimoun (en 2015).
Célia Zouaoui(Alger, correspondance)
Par Célia Zouaoui(Alger, correspondance)
Publié le 01 décembre 2022 à 14h17, mis à jour hier à 11h54
Depuis plus de dix ans, la plateforme est l’endroit de référence pour les appels à manifester et les campagnes urgentes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Sa fermeture éventuelle inquiète vivement les défenseurs des droits de l’homme de la région.
Lorsque Rahaf Mohammed a tenté de fuir les abus dont elle était victime en Arabie saoudite en 2019 et s’est retrouvée piégée dans un hôtel de Bangkok sous la menace d’une expulsion imminente vers son pays, elle s’est tournée vers Twitter.
« Je ne peux rien faire parce qu’ils ont mon passeport et demain, ils me forceront à y retourner », plaidait la jeune fille de 18 ans. « S’il vous plaît, aidez-moi. Ils vont me tuer. »
À l’autre bout du monde, la journaliste Mona Eltahawy a commencé à traduire ses messages. En quelques heures, Rahaf Mohammed faisait la une des journaux. En quelques jours, elle a obtenu l’asile au Canada.
Alors que des centaines d’employés de Twitter ont démissionné jeudi dernier et que les utilisateurs racontent leurs belles rencontres via le site, partagent leur nouveau compte Mastodon et rendent hommage virtuellement (peut-être de manière anticipée) à la plateforme à coup de hashtag #RIPTwitter (« repose en paix Twitter »), les activistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord sont secoués.
« En une minute, des millions de personnes interagissent avec vous. Tout ce travail est désormais en péril »
- Khalid Ibrahim, Gulf Centre for Human Rights
Depuis plus de dix ans, Twitter est le réseau social de référence où les gens de la région s’expriment, même si de manière anonyme.
Avec 237,8 millions d’utilisateurs quotidiens dans la région selon les estimations, Twitter est l’une des principales plateformes – si ce n’est la principale : un forum pour les appels à manifester, les campagnes contre les guerres et pour les prisonniers politiques, les appels à l’aide divers et variés.
Si le rachat par Elon Musk – et le soutien du prince saoudien al-Walid ben Talal et de sa société d’investissement – a fait trembler la communauté des activistes, les démissions de masse de jeudi dernier ont semblé être le coup de grâce pour certains.
« On est tellement inquiets », confie Khalid Ibrahim, directeur général du Gulf Centre for Human Rights, une organisation basée au Liban.
« On discute actuellement pour savoir où on va. Pourrait-on simplement avoir une nouvelle application ? Quelles sont les applications disponibles ? Seront-elles mieux ? »
Des activistes arabes influents affirment que pour eux « Twitter et Facebook ne sont plus des endroits sûrs »
Mohamed Najem, directeur général de Social Media Exchange (Smex), organisation caritative basée à Beyrouth qui défend et plaide pour les droits numériques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, affirme que Twitter est un espace critique pour l’expression dans la région.
« Il n’y a pas de parti politique. Il n’y a pas de syndicat. Aucune de ces choses n’existe dans la majorité de ces pays. Et s’ils existent, ils sont totalement contrôlés par l’État ou les agences affiliées à l’État », explique-t-il à Middle East Eye.
Najem précise avoir anticipé les changements provoqués par le rachat de Twitter par Elon Musk mais que ceux-ci se produisent bien plus vite que prévu et que cela est « inquiétant ».
« Il y a eu énormément de licenciements dans les différents services [y compris] le service Droits de l’homme », déplore-t-il. « Nous n’avons plus vraiment accès aux gens que nous connaissons chez Twitter. »
Khalid Ibrahim abonde en son sens. Son organisation comptait elle aussi sur le service Droits de l’homme de Twitter pour les aider sur des problèmes tels que les discours de haine, et ils ont désormais perdu ce contact.
Des vies sont en jeu
Au niveau mondial, les organisations et activistes pour les droits de l’homme doivent désormais tout reprendre à zéro et rebâtir des réseaux et profils qui leur ont demandé des années de travail, analyse Marc Owen Jones, professeur adjoint à l’Université Hamad ben Khalifa au Qatar et auteur de Digital Authoritarianism in the Middle East.
« [Pour] les activistes qui ont construit des audiences et des réseaux, et ont acquis la capacité de maîtriser cette plateforme qui leur permet de disséminer l’information et mettre à jour des événements en temps réel, [… son éventuel effondrement] sera quelque chose d’énorme », prédit-il.
Khalid Ibrahim souligne qu’étant donné la capacité unique de Twitter à attirer l’attention rapidement sur des urgences en matière de droits de l’homme, les changements actuels pourraient mettre des vies en jeu.
« Si Twitter s’effondre, ce sera une crise pour les activistes des droits de l’homme à travers le monde »
- Ghanem al-Masarir, dissident et satiriste saoudien
Il cite l’exemple de la défenseure saoudienne des droits de l’homme Israa al-Ghomgham, qui avait été condamnée à mort en 2018 pour sa participation à des manifestations antigouvernementales dans la province orientale de Qatif en 2011.
Son exécution était imminente, ajoute-t-il, et c’est alors qu’une campagne Twitter en soutien à la jeune militante a attiré l’attention sur son cas.
« Nous lui avons sauvé la vie. Nous avons contraint le procureur à apparaître en public et à affirmer qu’elle n’encourait plus la peine de mort », raconte-t-il.
« Imaginez, on tweete simplement quelque chose à propos des droits de l’homme et on obtient plus de quatre millions de réactions. En une minute, des millions de personnes interagissent avec vous. Tout ce travail est désormais en péril. »
Plusieurs activistes indiquent à MEE que la révélation en 2018 de la présence d’espions saoudiens au sein de Twitter, qui ont partagé des données des utilisateurs avec le gouvernement saoudien, avait déjà constitué un signal d’alarme pour eux.
Comment Facebook nuit à la liberté d’expression en Égypte sept ans après la révolution
Les données partagées par ces espions, dont un a été condamné au mois d’août, auraient conduit à l’arrestation de twittos anonymes dans le royaume.
En fait, les questions concernant la sécurité de Twitter et des autres réseaux sociaux sont soulevées par les activistes de la région depuis des années, sans qu’ils ne migrent pour autant vers d’autres plateformes.
L’une des raisons à cela, selon Ghanem al-Masarir, dissident et satiriste saoudien qui vit à Londres et compte plus de 461 000 abonnés sur Twitter, c’est que cette plateforme ne peut être aisément copiée.
« Si Twitter s’effondre, ce sera une crise pour les activistes des droits de l’homme à travers le monde », estime Masarir.
L’infiltration de Twitter par des espions saoudiens, dit-il, a montré l’importance prise par cette plateforme.
« Je ne peux la comparer à d’autres. C’est la meilleure et, avec de la chance, elle restera la meilleure. J’espère qu’Elon Musk continuera à la gérer telle quelle. »
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Le milliardaire égyptien et son fils, mort aux côtés de la princesse Diana, figurent au programme de la saison 5 de la série à succès de Netflix.
Dodi al-Fayed (à gauche, interprété par l’acteur Khalid Abdalla) et son père le milliardaire égyptien Mohamed (Salim Daw) dans la saison 5 de The Crown (Netflix)
La reine Elizabeth II côtoyait d’importantes personnalités du Moyen-Orient.
Au cours de ses 70 ans de règne, elle a fréquenté de nombreux dirigeants de la région – dont certains ont fini exécutés, exilés ou sont devenus des parias de la communauté internationale.
Mais l’une des plus importantes personnalités du monde arabe à entrer dans l’orbite de la famille royale britannique ces dernières décennies n’était pas un roi ni un président mais un milliardaire égyptien.
Mohamed al-Fayed et son défunt fils Dodi sont largement présents dans la dernière saison de la série à succès de Netflix The Crown qui dépeint la vie de la reine, avec un épisode complet dédié à leur histoire.
Middle East Eye revient sur la vie de ce magnat qui a courtisé puis fui l’establishment britannique et son fils mondain décédé tragiquement aux côtés de Diana, la princesse de Galles.
Mohamed al-Fayed et les Khashoggi Mohamed al-Fayed (interprété dans The Crown par l’acteur palestinien Salim Daw) est né à Alexandrie en 1929, à une époque où l’Égypte venait d’obtenir son indépendance et de se libérer de la domination britannique, mais était toujours très influencée par l’ancienne puissance coloniale.
Si Mohamed al-Fayed a raconté de nombreuses histoires, souvent fausses, sur la richesse dynastique de ses ancêtres, son père était probablement enseignant ou inspecteur scolaire.
EN IMAGES : La reine Elizabeth II et le Moyen-Orient Lire En 1952, Mohamed al-Fayed a rencontré le jeune Saoudien Adnan Khashoggi, qui allait devenir un célèbre vendeur d’armes milliardaire.
Le père d’Adnan Khashoggi, Mohamed, était le médecin personnel de Ibn Saoud, premier roi d’Arabie saoudite.
Impressionné par le sens des affaires de Fayed, Adnan Khashoggi lui a donné un emploi dans sa société, et il n’a pas fallu longtemps pour que l’Égyptien l’aide à générer de gros profits.
En 1954, il a épousé la sœur de Khashoggi, Samira, âgée de 18 ans à l’époque. L’année suivante, elle a donné naissance à leur fils unique Emad El-Din Mohamed Abdel Mena’em Fayed, plus connu sous le nom de Dodi. Tous deux ont divorcé alors que Dodi n’avait que 4 ans.
Parmi les neveux de Samira et cousins de Dodi figurait le journaliste de MEE Jamal Khashoggi, assassiné par des agents saoudiens à Istanbul en 2018.
Empire commercial La révolution égyptienne de 1952, qui a conduit à la présidence de Gamal Abdel Nasser et à la crise de Suez en 1956, a permis à Mohamed al-Fayed d’acheter une entreprise de transport maritime à prix réduit à la fin des années 1950.
Lors de la décennie suivante, il a déménagé au Royaume-Uni, d’où le magnat en plein essor est devenu un conseiller du sultan de Brunei – alors parmi les plus riches du monde.
Il a également conseillé l’ancien dirigeant de Dubaï Rachid ben Saïd al-Maktoum, l’aidant à construire les infrastructures de la ville et à lui présenter des sociétés britanniques, bénéficiant d’importantes commissions au passage en tant qu’intermédiaire.
Il a ensuite acheté plusieurs actifs très médiatisés : le Ritz à Paris en 1979, le grand magasin Harrods à Londres en 1984 (vendu à un fonds souverain qatari en 2010) et le club de foot de Fulham en 1997 (vendu en 2013).
Mohamed al-Fayed a épousé l’ancienne mannequin finlandaise Heidi Wathen en 1985 et le couple a eu quatre enfants.
La dernière saison de The Crown comporte l’épisode « Mou » (d’après le surnom de Fayed), axé sur les tentatives du milliardaire pour s’intégrer dans la haute société britannique et, en particulier, courtiser la famille royale.
Le milliardaire Mohamed al-Fayed montre la couverture grand format d’un passeport britannique lors d’une conférence de presse à Londres, le 13 novembre 1996 (Reuters) Le milliardaire Mohamed al-Fayed montre la couverture grand format d’un passeport britannique lors d’une conférence de presse à Londres, le 13 novembre 1996 (Reuters) Ainsi, en 1986, il a loué l’ancienne demeure d’Edward VIII, l’ancien roi qui avait abdiqué en 1936. Avec le valet de l’ancien monarque Sydney Watson, Fayed a rénové la demeure et l’a rebaptisée « Villa Windsor », dans l’espoir supposé de s’attirer les faveurs de la reine.
Mais ces tentatives d’assimilation n’ont pas toujours fonctionné : un rapport du gouvernement britannique a conclu qu’il avait menti sur ses origines et sa richesse et la nationalité britannique lui a été refusée par deux fois.
En 1994, dans le cadre de ce qu’on a appelé l’affaire « cash for questions », il a révélé qu’il avait payé des députés pour poser des questions pour son compte au Parlement. Cela a mis fin aux carrières de deux députés et une commission a été établie par la suite pour empêcher que de tels procédés ne se reproduisent à nouveau.
Le réalisateur mondain Après la séparation de ses parents à un jeune âge, Dodi a passé son enfance autour du monde, d’une prestigieuse école privée à l’autre.
Il a étudié à l’internat huppé Le Rosay en Suisse avant d’être inscrit à l’académie militaire de Sandhurst dans le Sud-Est de l’Angleterre. Il a par la suite brièvement rejoint l’armée de l’air des Émirats arabes unis en tant que sous-officier stationné à Londres.
Charles III : comment le nouveau roi est devenu le monarque le plus islamophile de l’histoire britannique Lire Dans la capitale, Dodi s’est attiré la réputation de mondain doté d’un penchant pour les voitures de luxe et les femmes célèbres.
Il a fréquemment été photographié avec – et selon certaines rumeurs aurait fréquenté – des personnalités médiatiques comme Brooke Shields, Julia Roberts, Winona Ryder et Tina Sinatra.
Mais des sources proches de lui ont déclaré au Guardian que s’il avait embauché un publicitaire pour s’assurer d’être photographié avec des célébrités, il pourrait ne pas avoir vraiment eu de relations avec elles. Il a épousé le mannequin Suzanne Gregard en 1986, mais ils ont divorcé seulement huit mois plus tard.
Dodi est interprété dans The Crown par l’acteur Khalid Abdalla, ami de longue date du prisonnier britanno-égyptien Alaa Abdel Fattah, qui a récemment mis un terme à sa grève de la faim en prison.
Khalid Abdalla refuse de qualifier Dodi de « playboy », expliquant dans une interview que c’était plutôt une « sorte de Hugh Hefner truculent », en référence au fondateur et propriétaire américain du magazine de charme Playboy ; c’était une personne attachante « aimant la sentimentalité ».
Après son passage dans l’armée, Dodi a fait carrière dans l’industrie cinématographique, devenant producteur exécutif de plusieurs films dont Les Chariots de feu, qui a remporté quatre Oscars en 1982.
Pendant son discours de remise de l’Oscar, le producteur David Puttnam a remercié Mohamed et Dodi al-Fayed pour « avoir mis leur argent là où se trouve ma bouche ».
Puttnam a ensuite déclaré avoir renvoyé Dodi du plateau de tournage pour avoir supposément donné de la cocaïne à des membres du casting.
Dodi et Diana Dodi et la princesse Diana se seraient d’abord brièvement rencontrés lors d’un match de polo en 1986, à l’époque où elle était encore mariée au prince Charles.
Mais c’est à l’été 1997, après le divorce de Diana, qu’ils ont passé du temps ensemble pour la première fois. Diana avait été invitée par le père de Dodi sur son yacht à Saint-Tropez, amenant avec elle les jeunes princes William et Harry.
Diana est retournée sur le yacht, baptisé Jonikal, quelques semaines plus tard sans ses enfants. C’est alors qu’elle a été photographiée en train d’embrasser Dodi, faisant les unes du monde entier.
Diana, princesse de Galles, et l’homme d’affaires égyptien Dodi al-Fayed au large de Saint-Tropez, en France, le 22 août 1997 (Reuters) Diana, princesse de Galles, et l’homme d’affaires égyptien Dodi al-Fayed au large de Saint-Tropez, en France, le 22 août 1997 (Reuters) Ils ont passé des vacances ensemble dans le Sud de la France et en Sardaigne. C’est à leur retour à Paris par la suite qu’ils ont tous les deux perdu la vie dans l’accident fatal.
Après avoir quitté le Ritz à Paris le 31 août 1997, ils ont été tués avec leur chauffeur Henri Paul dans un accident dans le tunnel du pont de l’Alma.
Des funérailles musulmanes ont été organisées pour Dodi dans une mosquée du centre de Londres et il a d’abord été inhumé dans un cimetière de la capitale britannique avant d’être transféré dans la propriété de son père dans le Surrey.
En 2005, Mohamed al-Fayed a érigé une statue de bronze de Dodi et Diana dansant à Harrods, avec la légende « victimes innocentes ». La statue a été retirée et rendue au milliardaire en 2018.
Midnight in Cairo : l’extravagance, le glamour et le cran des grandes dames d’Égypte Lire Pendant des années, Mohamed al-Fayed a soutenu que ce n’était pas un accident et est devenu un partisan de la thèse conspirationniste selon laquelle la famille royale britannique était impliquée. Il a engagé une équipe de détectives privés pour enquêter.
Il a également affirmé que Diana était enceinte de Dodi et que tous deux avaient l’intention de se marier, des rumeurs démenties par les proches de la princesse.
Ce n’est qu’après que l’enquête officielle en 2008 a conclu à un « homicide involontaire » provoqué par le chauffeur en état d’ébriété que Mohamed al-Fayed a renoncé, par respect pour William et Harry.
« Je me remets à Dieu pour obtenir vengeance », a-t-il déclaré à l’époque.
Mohamed al-Fayed, aujourd’hui âgé de 93 ans, partage actuellement son temps entre ses propriétés du Surrey et d’Écosse. Il s’est retiré de la vie publique ces dernières années, surtout après plusieurs accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles. Selon Forbes, la fortune de Mohamed al-Fayed était estimée à 1,6 milliard de livres (1,84 milliard d’euros) en mai.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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En mission à la tête d'une délégation parlementaire française à Oran, le sénateur des Français établis à l'étranger Olivier Cadic s'est prêté à une interview accordée au Quotidien d'Oran. Un exercice qu'il affectionne. Et dans les deux rôles, cet homme aux multiples facettes ayant travaillé un temps dans le monde de la presse et de la communication. L'occasion donc pour faire un petit tour d'horizon des axes et des thématiques autour desquels s'articule ce séjour officiel de la délégation sénatoriale française dans l'Oranie. Une visite pas comme les autres, doit-on dire.
Faisant partie, certes, du menu ordinaire du programme d'activités du Sénat français à l'étranger, cette énième visite en Algérie -qui a dû être décalée dans l'intervalle pour des raisons en relation avec le Covid- intervient aujourd'hui dans un contexte qui «s'y prête» et qui est «beaucoup plus favorable», et ce au lendemain de la visite d'Etat effectuée par le Président français Emmanuel Macron en Algérie, fin août, et celle du Premier ministre Elisabeth Borne, début octobre. Dans cet entretien, le sénateur des Français établis hors de France fait le point, à grand trait, sur la teneur des discussions à bâtons rompus qu'il a eues avec nombre de ressortissants français à Oran, mais également des députés algériens et autres élus locaux. Quoi de plus normal quand on sait que, pour les Français hors de France, le Sénat est un lieu si central pour qu'on l'appelle parfois la «Maison des Français à l'étranger».
C'est bien connu, les sénateurs sont pour les Français établis hors de France des interlocuteurs essentiels. Olivier Cadic était tout au long de son séjour dans l'Oranie dans ce rôle-là. Mais pas seulement. Il faisait aussi, de temps à autre, la promotion de la France auprès des autorités publiques algériennes. Une campagne de marketing politique qui ne dit pas son nom au profit des grandes entreprises françaises. Notamment, auprès des walis d'Oran et de Tlemcen, deuxième ville qu'il a visitée durant son séjour. Dans ce segment à cheval entre la mission du diplomate politique et du promoteur du savoir-faire entrepreneurial, le sénateur-entrepreneur, comme il aime à se définir, avait fort à faire.
Car aujourd'hui, Oran, en particulier, intéresse plus que jamais les Français. L'émergence d'un pôle d'industrie automobile y est pour beaucoup. Pôle au sein duquel le terrain est déjà balisé pour le constructeur italien Fiat à la faveur de la signature d'un accord-cadre entre le ministère de l'Industrie et le groupe multinational Stellantis. Ceci alors que non loin du même site, l'usine Renault s'apprête à reprendre son activité à brève échéance. Mais il y a bien plus : deux hyper-zones industrielles à Tafraoui et à Bethioua en attente d'aménagement et au moins trois mini-zones d'activités dédiées pour la startup.
Indéniablement, l'entretien qu'a eu le sénateur Olivier avec le wali d'Oran, Saïd Sayoud, aura été l'un des moments forts de la visite. Et peut-être aussi les plus intéressants, sur le plan concret. L'identité linguistique et la langue identitaire -sujet qui lui tient à cœur- , la francophonie, l'usage de la langue française dans les pays francophones, les écoles françaises à l'étranger et plus en particulier l'enseignement de la langue française et le dispositif bilingue (et parfois trilingue) francophone adopté dans les établissements d'enseignement français installés à l'étranger... autant de sujets évoqués par le sénateur Olivier Cadic, qui porte aussi le costume du président de l'Association nationale des écoles françaises à l'étranger. Petite et légère séquence de grincements de dents d'Olivier Cadic au cours de cet entretien, en l'occurrence lorsqu'il a eu à exprimer son désaccord avec son interlocuteur du jour sur certains «griefs» reprochés à l'investissement français en Algérie, et par une translation sous-entendue dans le reste du monde. D'autant qu'il y avait dans l'assertion avancée et le raisonnement développé en face une sorte d'antagonisme implicite «modèle français/modèle chinois» en matière d'investissement à l'étranger.
De quoi apporter de l'eau au moulin du sénateur-entrepreneur, qui n'a pas manqué l'occasion pour déconstruire les «préjugés» et les «idées toutes faites» non sans dire -dans les limites des thèmes et de l'espace proposés par cet entretien, s'entend- tout le mal qu'il pensait du modèle chinois.
Olivier Cadic en quelques lignes
Sénateur-entrepreneur comme il se plait à le dire, Olivier Cadic, né le 22 avril 1962 à Clichy (Seine), présente un parcours atypique dans le milieu politique. Il a eu une carrière de créateur d'entreprises avant de s'engager en politique. Ayant l'entreprise dans la peau, lui qui a monté plusieurs petites boites notamment dans les domaines de la communication, l'internet et la bande dessinée (BD), il n'a pas tardé à intégrer le monde politique dès son jeune âge. Européen convaincu, il part s'installer en Angleterre où il fonde une association «La France libre... d'entreprendre». Succès immédiat auprès de la communauté française de Grande-Bretagne qu'il le conduise naturellement, en 2006, sur les bancs de l'Assemblée des Français de l'étranger, après avoir conduit la liste UFE au Royaume-Uni.
A l'automne 2012, il rejoint l'Alliance Centriste présidée par Jean Arthuis et participe, en tant que membre fondateur, à la création de l'Union des Démocrates et Indépendants (UDI) présidée par Jean-Louis Borloo. Il se présente pour ce parti aux élections sénatoriales où il est élu. En mai 2014, il est réélu conseiller consulaire à Londres, puis réélu à l'AFE pour la circonscription d'Europe du Nord en juin de la même année. En octobre 2014, il devient le premier sénateur UDI des Français établis hors de France. Il a occupé plusieurs postes, parmi lesquels : sénateur des français établis hors de France, membre de la commission des affaires sociales, vice-président de la délégation sénatoriale aux entreprises, vice-président du groupe d'étude Tourisme et loisirs, co-président de la Fédération UDI-Monde, secrétaire national UDI au commerce extérieur.
Le Quotidien d'Oran : Le nombre de Français en Algérie inscrits sur les registres consulaires tourne autour de 42.000 ressortissants. Cependant, ils sont nombreux à disposer de la nationalité française tout en n'étant pas inscrits sur ces registres. Parmi les inscrits, il y a les expatriés des grandes entreprises françaises, soit des cadres envoyés auprès de leurs filiales en Algérie, soit des cadres démarchés par des entreprises algériennes venus pour étoffer leurs équipes de main-d'œuvre. Monsieur Olivier Cadic, en votre qualité de sénateur des Français établis hors de France, pouvez-vous nous dire quelle est l'approche adoptée par la France pour, dans un premier temps, quantifier pour ainsi dire la catégorie des Français non inscrits et, par la suite, faire en sorte que ceux-ci soient réellement sur un même pied d'égalité que les autres en matière de droits ?
Le sénateur Olivier préfère céder d'abord la parole au Consul général de France à Oran, Alexis Andres, pour enchainer sur le même sujet par la suite.
Olivier Cadic : Je l'ai dit hier à table pour les binationaux : vous n'êtes pas 50%-50%, vous êtes deux fois 100%. Quand on est Franco-Algérien, on n'est pas 50% Français et 50% Algérien mais plutôt 100% Français et 100% Algérien. En Algérie, un Franco-Algérien n'a ni plus ni moins de droits qu'un Algérien à ce que je sache. C'est pareil en France, un Franco-Algérien a autant de droits que moi. C'est ce que je m'efforçais à expliquer hier à la personne qui me disait qu'elle se trouvait coincée entre deux chaises, en lui rétorquant qu'elle était plutôt dans une position privilégiée ; elle avait tout loisir de s'assoir sur l'une ou l'autre des deux chaises, à sa guise. Je l'ai souvent dit à la tribune du Sénat : la question de la francophonie, c'est fondamentale. Un Français qui ne parle pas français, c'est pour le moins très compliqué. Parce qu'un Français, c'est celui qui peut choisir le président de la République, son député, ses élus... Comment peut-il faire ce choix s'il ne parle pas la langue de ceux qui se présentent à lui aux élections ? Pour moi, à titre personnel, c'en est un grand enjeu. Depuis le début de mandat, et vous pouvez voir sur la plaquette, cette question-là, j'en ai fait mon cheval de bataille. D'ailleurs, je l'ai dit à Jean-Yves Le Drian : la moitié des Français nés aux Etats-Unis ou en Australie, par exemple, ne savent pas parler français. En Amérique latine, les deux tiers des Français natifs de ce continent ont ce même problème de langue. La situation est bien pire dans d'autres régions du monde. Tenez par exemple, pas si loin d'ici, à Annaba, 80% des ressortissants français ne parlent pas français. La problématique existe un peu partout dans les quatre coins du globe, quoiqu'à des proportions différentes. J'ai dit à Le Drian que mon objectif était de voir tous les Français parler français. Et j'ai demandé à l'époque au même ministre (de l'Europe et des Affaires étrangères, Ndlr) qu'est-ce qu'il en pensait. Est-ce qu'il faut le faire ? Il m'a répondu en me disant : Bien-sûr qu'il faut le faire'. Je lui ai alors répliqué : Ben alors vous attendez quoi ?'. Je m'en souviens, quand je suis parti à Dakar il n'y a pas si longtemps, en juin dernier en fait, j'ai fait toute une tournée en compagnie du conseiller culturel sur le thème de la francophonie. Il s'avère qu'au Sénégal, où le français est la langue officielle, 50% des Français nés dans ce pays ne savent pas parler le français. J'ai alors posé la question au Consul général qui m'a, à titre illustratif, raconté l'histoire d'un jeune de 18 ans, qui ne parlait rien d'autre que le wolof (langue nigéro-congolaise, la plus parlée au Sénégal), qui était venu chercher son passeport français pour prendre l'avion vers Paris. Mais enfin que va-t-il faire à Paris s'il ne parle aucun mot du français ?... Au final, la question centrale est de savoir qu'est-ce que nous allons laisser aux générations suivantes. Il y a manifestement une coupure de lien. Si quelqu'un prétend à un passeport français et qu'il ne parle pas français, que va-t-il faire avec ? S'il prévaut de sa nationalité française pour obtenir un passeport français, alors à quoi cela lui servirait-il s'il n'a absolument aucun lien avec la langue et la culture françaises ? Là est la question ! Et donc on est là pour travailler sur cette appartenance, sur ces valeurs.
C'est cela qu'on doit partager tous en tant que Français. Pour moi, le côté francophone est un vrai enjeu. Quand on m'a dit qu'il y avait, ici en Algérie, des universités francophones, mais qu'il y'avait en revanche des difficultés dans la langue française chez bon nombre d'étudiants, cela m'a interpellé et préoccupé au plus haut point. Vous avez des jeunes qui ont du talent, ils pourront être de bons médecins ou de bons architectes dans un proche avenir. Mais il va leur manquer le français à tous les coups.
C'est donc une responsabilité partagée aussi bien pour la France que pour l'Algérie. On doit leur donner un outil pour réussir leur vie. Leur procurer une corde à leur arc. C'est fondamental de parler français si l'on veut avoir la nationalité française car, entre autres, c'est ce qui fait que l'on puisse choisir en son âme et conscience ses représentants en France.
Le Q.O.: Justement, en parlant de la francophonie, qui désigne au sens large du terme l'ensemble des peuples ou des groupes de locuteurs qui utilisent partiellement ou entièrement la langue française dans leur vie quotidienne ou leurs communications, et plus explicitement de l'usage actuel de la langue française, notamment dans les pays dits francophones, comment avez-vous perçu la décision des pouvoirs publics algériens d'introduire l'anglais dès l'école primaire, à partir de cette année scolaire ?
Olivier Cadic : C'est une décision souveraine.
Le Q.O.: Bien évidemment qu'elle l'est. Telle n'est pas la question. Pour dire franchement les choses, en fervent défenseur de la francophonie et -cela va de soi- de la langue française, que vous êtes, et par ailleurs sénateur des Français établis hors de France et aussi président de l'Association nationale des écoles françaises à l'étranger, ne percevriez-vous pas cette décision comme étant un début, on ne peut plus clair, de supplantation du français par l'anglais en Algérie et, par là même, un signe de détachement graduel de ce grand pays francophone de la francophonie et, par effet d'entraînement, de la culture française ?
Olivier Cadic : Franchement et honnêtement, c'est l'avenir qui nous dira si c'est une décision pertinente ou si elle ne l'est pas. En tout cas, pour la mise en œuvre d'une telle décision il faut avoir d'abord et surtout les enseignants (de la langue anglaise). C'est un vrai engagement. Si c'est une visée politique politicienne, l'avenir nous dira si c'était juste ou pas de s'y engager.
Là, aujourd'hui, le fait d'avoir des universités francophones et de voir que cela correspond... Vous avez bien des enseignants pour enseigner le français. C'est une question de cohérence. Moi, personnellement, je crois beaucoup à la francophonie en Algérie. Après, c'est vrai que l'anglais est indiscutablement la première langue internationale. Donc, le fait que le gouvernement algérien se préoccupe de faire apprendre l'anglais à ses enfants, dans l'absolu cela me semble pertinent. Mais il faut bien entendu avoir la capacité de mettre en place le corps enseignant. Moi je crois beaucoup à l'enseignement bilingue, voire trilingue.
Là, justement, je viens de voir le Lycée international franco-taïwanais (lors de la visite d'une délégation de sénateurs français effectuée au Taïwan début septembre dernier). On y apprend en trois langues : le français, l'anglais et la langue taïwanaise. C'est cela le concept de la double culture franco-taïwanaise. C'en est l'objectif même. Les enfants sont plus forts s'ils apprennent en deux langues simultanément, c'est prouvé aujourd'hui. A Londres, on a voulu créer un deuxième collège en plus du premier annexé au Lycée international français de Charles de Gaulle. Et bien, nous avons ouvert ainsi en 2011 le Collège français bilingue de Londres (CFBL) où on enseigne toutes les matières en deux langues, le français et l'anglais. C'est une première.
Les enfants sont donc totalement bilingues. C'est très drôle, je m'en souviens, lors d'une visioconférence à l'occasion du 10ème anniversaire du CFBL, il y avait cet élève de 10 ans, en classe sixième, qui me posait la question de savoir qu'est-ce que j'en pensais à propos de l'enseignement bilingue. Je lui ai répondu : Toi qui as 10 ans, le même âge de l'école bilingue que j'ai voulue, tu me poses la question sur ce que j'en pense'. Et ben je lui ai répondu : La réponse est en toi. C'est toi qui es ma plus belle récompense'. Et c'est ça la magie de la politique de faire les choses concrètes. Alors je dis que s'il y a une politique de faire apprendre l'anglais, pour moi c'est une chose positive. Dans l'idée, c'est ce qu'on fait, nous, au Lycée international franco-taïwanais par exemple... Dans quelques années, vous aurez en Algérie plein de jeunes Algériens qui maîtriseront et l'arable et le français et l'anglais.
Le Q.O.: Il y a eu par le passé un moment d'énorme recul de l'investissement français, pour ne pas dire un quasi-désinvestissement, en Algérie. Entre-temps, l'Algérie s'est tournée vers d'autres partenaires comme l'Italie et la Turquie, sans oublier la Chine. Toutefois, ces derniers temps, et notamment depuis la visite du président français Emmanuel Macron en Algérie fin août dernier, suivie près d'un mois et demi plus tard par celle du Premier ministre Elisabeth Borne, il y a visiblement une volonté partagée pour intensifier la coopération bilatérale, spécialement dans le domaine économique, et ce sur fond d'un «partenariat renouvelé». Néanmoins, vous ne croyez pas Monsieur le sénateur que c'est aux entreprises françaises de démonter maintenant qu'elles veulent et peuvent apporter une valeur ajoutée en Algérie. Notamment à travers le transfert d'expertise et de savoir-faire, la diffusion technologique vers les agents économiques du territoire d'accueil (les employés de la filiale, les employés des fournisseurs locaux de la filiale, etc.), la possibilité de mobilité et d'extension sur d'autres territoires locaux, etc.
Olivier Cadic : Je ne fais pas la même lecture ni la même observation. Je suis venu à Alger en 2021 et j'ai visité Sanofi (le plus grand complexe pharmaceutique d'Afrique du groupe français Sanofi) qui fabrique, distribue des médicaments et en exporte une partie vers des pays d'Afrique. Or c'est exactement la stratégie souhaitée par l'Algérie comme cela m'a été clairement expliqué par le wali d'Oran tout à l'heure. Voilà l'industrie automobile qui arrive à Oran et qui veut se relancer sur de bonnes bases. Il y a déjà l'usine Renault et ils sont maintenant en train de discuter avec Fiat et Stellantis en vue de mettre toute la chaîne de valeur automobile. Mais qu'est-ce qu'est en fin de compte l'industrie automobile si ce n'est de l'assemblage ? Ce n'est pas Fiat ou Renault qui font toutes les pièces. C'est une complexité compte tenu du nombre de parties prenantes à l'origine de milliers de composants intégrés dans un seul véhicule et compte tenu du degré de conformité aux normes de qualité les plus élevés requis... Vous me parlez de pays qui récoltent localement les fruits des investissements chinois. Je vous invite à faire le bilan de telles expériences et si cela a apporté réellement quelque chose de positif pour les pays réceptifs. Moi, j'ai assez d'expérience en la matière et je peux vous dire que j'ai confiance en la capacité de la France à partager ses modèles avec ses partenaires. Elle a démontré que ses entreprises ne viennent pas dans les pays pour uniquement transférer des devises mais y laissent des choses bénéfiques et durables. Elles partagent. Certes, il y a des compétiteurs, on n'est pas tout seul. Nous n'avons pas l'arrogance de prétendre que nous sommes les meilleurs.
On est dans la compétition, en espérant que la compétition soit loyale. Mais parfois, on l'a vu dans certains pays, la concurrence est déloyale. C'est d'ailleurs la grande question qui a récemment focalisé les débats lors du rassemblement mondial des conseilleurs du commerce extérieur à Nice et Monaco (évènement organisé du 19 au 21 octobre dernier sous le thème : Le bouleversement du monde, nouvelles clés pour nos entreprises'). Et je l'ai dit d'ailleurs par rapport à certains investissements où on a vu que pour les infrastructures, par exemple, réalisées dans certains pays d'Afrique, ce n'est pas du tout loyal. On met en place une autoroute et on dit en même temps au gouvernement du pays : c'est moi qui l'exploite et c'est moi qui m'occupe de la concession et de tout ce qui va avec, sous condition de m'en assurer le trafic automobile (pour rentabiliser l'investissement). Alors je dis qu'à la sortie, c'est la double peine.
Non seulement le pays concerné se retrouve endetté pour l'infrastructure autoroutière mais, en plus, il se voit imposer des dispositifs contraignants pour optimiser le flux automobile sur la desserte sous peine de devoir remettre les crédits ou l'infra en cas de refus de paiement de péage par les usagers. Il n'y a pas si longtemps, j'ai dit lors d'une séance plénière au Sénat que win-win' pour les Chinois, ça veut dire que je gagne deux fois. La première fois quand ils construisent, la deuxième fois quand ils exploitent. Et moi je dis qu'il n'y a pas de raison que je sois diplomate : je le constate, je le dénonce. En revanche, je suis très fier des réalisations des entreprises françaises aux quatre coins du monde et j'en fais la promotion. Lors de notre entretien, le wali d'Oran m'a longuement parlé du marché de la nouvelle route du port gagné par les Turcs (par le biais du groupe Makyol qui s'est fait confier en 2014 la réalisation d'une méga-infrastructure autoroutière de près de 100 millions d'euros, qui longe le rivage par enrochement sur mer et se fraye un long tunnel en falaise avec plein d'autres ouvrages d'art de haute technicité, ayant pour but principal de contourner vers l'extra-muros le trafic lié au transport routier de marchandises généré par le port commercial d'Oran).
Ben c'est ça, c'est la vie ! S'ils ont eu ce projet, c'est parce qu'ils étaient les meilleurs parmi les postulants. Il n'y a rien à redire là-dessus. Il faut accepter la concurrence, on ne gagne pas à tous les coups. Et si pour l'automobile ce seront les Italiens qui gagneront, tant mieux pour eux, ce sont de vrais compétiteurs et des Européens en plus. Maintenant si Renault revient en force et ramène avec elle des fournisseurs ça sera encore mieux. Si Oran veut effectivement avoir une porte d'entrée, elle aura sa place sur le marché de l'industrie automobile. Et elle se muera en exportatrice vers l'Afrique. Ça ne m'empêchera pas de contribuer à ce dynamisme parce qu'il y a aussi à Oran une communauté française. Il y a dans cette ville des entrepreneurs qui aiment faire des partenariats avec des compagnies françaises. On veut tous travailler ensemble.
Le Q.O.: Le wali d'Oran vous a-t-il soufflé un mot à l'oreille s'agissant de Peugeot ?
Olivier Cadic : Non. Il m'a cité Renault, Fiat et Stellantis. Mais il ne faut pas oublier que ce dernier groupe multinational (fondé en janvier 2021 et issu de la fusion du groupe français PSA Peugeot-Citroën et de Fiat Chrysler Automobiles) exploite et commercialise plusieurs marques, dont Peugeot et Citroën. Le wali m'a dit qu'il aimait les projets, mais qu'il aimait encore davantage les concrétiser. Il reste très prudent. On sent que c'est un homme d'expérience. Il écoute bien ce qu'on lui propose. Il était en discussion avec des responsables (du groupe Stellantis : Ndlr) qui lui ont proposé 4.000 emplois directs et 3.000 emplois indirects. Lui, il est là en tout cas pour concrétiser ce qui va le mieux pour son pays et sa ville. Il a si bien plaidé les atouts dont dispose désormais l'Algérie et, plus en particulier, la ville d'Oran. Personnellement, il m'a convaincu de l'intérêt d'y investir. J'ai pris acte et j'en ferai part à nos entreprises françaises. Et comme me l'avait dit le jour d'avant le wali de Tlemcen, on veut côté algérien faire des investissements avec les Français et il faut qu'il y ait des établissements d'enseignement français à côté. Ça va avec, l'un appelle l'autre. Moi je crois beaucoup au futur d'Oran. C'est une ville qui a prouvé qu'elle avait un business model qui fonctionne.
Le Q.O.: En dehors des affaires, votre séjour à Oran ?
Olivier Cadic : Je sors de la maison natale d'Yves Saint-Laurent. J'y étais avec l'architecte et j'ai beaucoup apprécié le travail de restauration qui a été fait. J'en sors avec beaucoup d'émotions. Ce qu'il a recréé et partagé, extraordinaire ! Il a ressuscité l'âme du jeune génie.
A mon sens, cette œuvre, il n'y a pas plus beau témoignage positif de ce que va être le futur d'Oran. C'est aussi un symbole positif de la relation entre la France et l'Algérie que le mécène a fait émerger du passé pour en faire un trait d'union avec le futur. Je suis sûr qu'il y aura de plus en plus de touristes de France, d'Europe et d'ailleurs à venir voir cette maison-musée du grand créateur qu'est Yves Saint-Laurent.
Tout à l'heure, j'étais avec le Consul général et il me montrait le gymnase où le mythique champion du monde de la boxe, Marcel Cerdan, présenta sa ceinture devant le public. Là aussi, ce que j'ai vu me donne énormément de confiance pour l'avenir d'Oran. Et si vous voulez une parole de conclusion pour cet entretien, je dirai que je vais repartir avec pleine de confiance pour l'avenir de la relation entre l'Algérie et la France. Car, oui, maintenant, on peut dire qu'on est reparti sur la bonne voie.
La guerre entre Cheb Khaled et son fils « caché » Anyss ne semble pas connaître d'épilogue. Lancés depuis plusieurs années par médias interposés, les échanges d'accusations entre le fils et le père ont pris une tournure alarmante. En effet, dans une vidéo publiée sur Instagram, celui qui se présente comme le fils de Cheb Khaled a accusé ouvertement son père de vouloir le « mettre en prison ».
Anyss Hadj Brahim, comme l'a reconnu la justice française, est le fils biologique du chanteur algérien Cheb Khaled. Toutefois, la star du raï ne veut pas reconnaître ce fils « caché » né d'une ancienne relation amoureuse. Anyss, âgé aujourd'hui de 27 ans, ne rate aucune occasion pour affirmer son affiliation non sans égratigner au passage son géniteur.
La relation tumultueuse entre Cheb Khaled et son fils « caché » Anyss, souvent étalée sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux, est aujourd'hui connue de tous. Mais ce conflit qui dure depuis des années a pris une autre tournure. En effet, dans une vidéo partagée le vendredi 11 novembre sur son compte Instagram, Anyss Hadj Brahim a accusé ouvertement son père, Cheb Khaled, de vouloir l'envoyer en prison.
« Je me présente devant vous dans un contexte particulier, car je sors tout juste d'une garde à vue plus un déferrement devant le tribunal correctionnel de Nanterre », lâche d'emblée le fils caché de Cheb Khaled. « J'ai été convoqué au commissariat de Colombe. C'était mercredi suite à une plainte déposée contre moi. Je m'y suis rendu immédiatement, car je ne suis pas un fugitif », ajoute le jeune Anyss dans sa vidéo.
Cheb Khaled dépose plainte contre son fils « caché » Anyss
Ce n'est qu'une fois au commissariat qu'Anyss va connaître les raisons de sa convocation. « J'aurais commis dans le territoire du Val-d'Oise, entre le 1er décembre 2021 et le 8 novembre 2022, un harcèlement contre Hadj Brahim Khaled, connu sous le nom d'artiste Cheb Khaled, par des propos ou des comportements répétés ayant pour objet une dégradation dans ses conditions de vie, se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale », explique-t-il avec un large sourire.
Le jeune Anyss est poursuivi en justice pour avoir « publié de nombreux messages insultants et dégradants visant Khaled Hadj Brahim et sa compagne Samira en divulguant son adresse privée et en invitant quiconque à s'y rendre tout en accompagnant cette invitation de menaces en se réjouissant publiquement de la perceptive de sa mort », relate-t-il.
Après plus de 24 heures de garde à vue au commissariat, Anyss affirme que le juge des libertés et de la détention lui a signifié de ne pas se rendre au domicile de la victime – c'est-à-dire Cheb Khaled – et se présenter au commissariat périodiquement. « S'abstenir de rentrer en relation avec la victime de quelque façon que ce soit », ajoute-t-il. « Je ne suis qu'un fils qui cherche à contacter son père et je ne vois pas où est le harcèlement », se défend Anyss en montrant son passeport au nom de Hadj Brahim.
Tout en se réjouissant qu'il ne sera pas placé sous contrôle judiciaire, Anyss annonce que son procès est prévu le 20 mars 2023 à 13 h 30 devant la 20e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre. « Je serais au procès face à mon père Khaled Hadji Brahim qui, d'ailleurs je suis certain, ne sera pas à l'audience », précise-t-il.
« Après ce cirque du 20 mars, je vais l'attaquer en justice aussi et on va taper là où ça fait mal », promet Anyss. « Je m'exprimerai là-dessus dans quelques médias avec mon super avocat (sic). Je vais me battre jusqu'au bout et on va avoir gain de cause ». « Toute ma vie, on m'a vu comme un illégitime et ça continue […] Je ne cherche pas la fortune, je veux juste être reconnu à ma juste valeur et parler à ce qui me reste de famille », conclut Anyss.
Comment, par la magie de l’État profond marocain, une affaire soi-disant de droit commun s’est transformée en une affaire d’État.
Mohamed Baâssou est notamment responsable d’Al Adl Wal Ihsane pour la région de Meknès et Fès (Twitter)
Le mardi 1er novembre au matin, on apprenait par la presse marocaine de la vocifération et de la diffamation qu’une grosse pointure de la jamaât (mouvement) islamiste Al Adl Wal Ihsane (Justice et spiritualité, non reconnue mais tolérée) avait été arrêtée en flagrant délit, le lundi 31, « en compagnie d’une femme divorcée », lors d’un « banal contrôle de police », dira-t-on plus tard.
Apparemment, quelqu’un avait décidé de jeter en pâture à l’opinion publique toutes ces données dans un but précis : salir la jamaât au moment précis où elle fêtait en grandes pompes les 40 années de sa fondation
Alors que l’investigation était toujours en cours, qu’elle était placée sous le sceau du secret et que le prévenu devait être considéré comme innocent jusqu’à preuve du contraire, rien ne lui a été pourtant épargné.
Dans les heures qui ont suivi son interpellation, on a appris son nom – Mohamed Baâssou –, sa fonction – administrateur responsable des ressources humaines à la délégation du ministère de l’Éducation nationale à Meknès –, son affiliation politique – responsable d’Al Adl Wal Ihsane pour la région de Meknès et Fès –, et surtout la charge retenue contre lui – adultère. Tout a été divulgué.
Apparemment, quelqu’un avait décidé de jeter en pâture à l’opinion publique toutes ces données dans un but précis : salir la jamaât au moment précis où elle fêtait en grandes pompes les 40 années de sa fondation.
Au tout début de l’affaire, personne n’était dupe sur la portée politique de cette énième affaire à connotation « sexuelle », une méthode utilisée par le régime pour tenter d’abattre ses contempteurs, journalistes (Hicham Mansouri, Taoufik Bouachrine, Hajar Raissouni, Soulaiman Raissouni et Omar Radi), activistes (Nadia Yassine, Fouad Abdelmoumni et le chanteur Rachid Gholam) et autres (l’ancien champion du monde de kickboxing Zakaria Moumni et le bâtonnier Mohamed Ziane).
L’adultère et le pénal
Mais le commun des mortels n’en pensait pas moins que tout est possible en ce bas monde, que l’homme reste homme et qu’il ne peut s’empêcher parfois de commettre ces petits « péchés » de la chair, comme on dirait en pays chrétiens.
Partout ailleurs, et ce depuis des lustres, l’adultère ne relève plus du pénal.
Les affaires de mœurs, la technique du régime marocain pour faire taire les voix critiques
Lire
Au Maroc, où le code pénal lui consacre encore quatre articles, tout dépend de la condition de tout un chacun. Si vous êtes riche et influent, que vous soyez marocain ou étranger, vous n’avez, sauf scandale public et encore, rien à craindre.
Marrakech en est la preuve éclatante. Combien de notabilités étrangères ont été arrêtées en compagnie de mineurs des deux sexes et relâchées après vérification de leur illustre condition ?
Mais si vous êtes pauvre, journaliste, activiste, dissident ou simplement casse-pied, faites attention !
On l’oublie souvent, le Maroc est un État autoproclamé « commanderie des croyants » mais qui n’en possède pas moins la plus grande Sodome du monde arabo-musulman, Marrakech, où la chair des femmes, des hommes et des enfants se vend et s’achète à l’air libre. Impunément.
Autre paradoxe, dans un pays musulman où l’homosexualité est officiellement prohibée et où l’article 489 du code pénal prévoit de six mois à trois ans de prison pour « tout acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe », il n’est pas rare de trouver, à Marrakech et ailleurs, des riads affichant ouvertement le label gay-friendly.
On l’oublie souvent, le Maroc est un État autoproclamé « commanderie des croyants » mais qui n’en possède pas moins la plus grande Sodome du monde arabo-musulman, Marrakech
Donc, pourquoi un responsable d’Al Adl Wal Ihsane ne commettrait-il pas une petite peccadille d’adultère ?
C’est seulement après, quand les surprises ont commencé à se multiplier dans les tribunaux, qu’on a su que cette affaire ne relevait pas de la faute morale mais qu’il s’agissait en fait d’une énième machination étatique contre un adversaire politique du makhzen (pouvoir). Les faits ne mentent pas.
Mohamed Baâssou a été arrêté le lundi 31 novembre, vers 20 h. Entre son arrestation, sa conduite au commissariat de police, son long interrogatoire et son placement en garde à vue, il s’est passé plusieurs heures.
Un « complot d’État »
Or, dès le lendemain, au matin du 1er novembre, des sites web clairement identifiés comme de connivence avec l’appareil sécuritaire ont publié la nouvelle de l’arrestation. Avec pratiquement les mêmes mots, des détails des procès-verbaux et quelques faits vulgairement grossis.
Au Maroc, pour qu’une affaire d’adultère prospère devant la justice, il faut que l’un des deux conjoints dépose formellement plainte auprès de la police ou de la justice.
L’article 491 du code pénal est on ne peut plus explicite : « Est puni d’emprisonnement d’un à deux ans toute personne mariée convaincue d’adultère. La poursuite n’est exercée que sur plainte du conjoint offensé. »
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La loi prévoit que le ministère public puisse poursuivre d’office la diligence contre le conjoint adultère, mais seulement si le conjoint offensé se trouverait « éloigné du territoire du royaume ».
Or, selon notre investigation, Mme Baâssou a été contactée par la police deux heures après l’arrestation de son mari. À 22 h exactement. Elle se trouvait à Tanger, à l’intérieur donc du « territoire du royaume ». Et elle a non seulement refusé de porter plainte, mais elle a demandé la libération de son mari.
L’article 492 du Code pénal stipule clairement que dans tous les cas de figure, « le retrait de la plainte par le conjoint offensé met fin aux poursuites exercées contre son conjoint pour adultère ».
S’il s’agissait vraiment d’une simple affaire de droit commun, la police aurait dû en rester là. L’action de la justice devait s’éteindre sur le champ et Mohamed Baâssou devait être relâché. Sinon le lundi, le lendemain mardi. Ce qui ne fut pas le cas.
Parmi la foule, l’épouse de M. Baâssou réitérait devant une caméra que son mari était innocent et surtout qu’elle avait reçu des « pressions » pour porter plainte
C’est le refus de la police, et donc du procureur du roi de Meknès, de le relâcher, comme le stipule la loi, qui a convaincu les dirigeants d’Al Adl Wal Ihsane qu’il ne s’agissait d’aucune « peccadille d’adultère » mais bel et bien d’un « complot d’État ». Cette formule a été lâchée par un dirigeant de la jamaât dans une conversation avec l’auteur de ces lignes. Les faits qui vont suivre vont confirmer cette accusation.
Le mercredi 2 novembre, quelques heures avant que ne se terminent les 48 heures de garde à vue, une manifestation était organisée devant le tribunal de première instance de Meknès, où l’accusé devait comparaître devant le procureur du roi.
Parmi la foule, l’épouse de M. Baâssou réitérait devant une caméra que son mari était innocent et surtout qu’elle avait reçu des « pressions » pour porter plainte. « Énormes », ajoutera un témoin, pour qualifier ces pressions.
Quoi qu’il en soit, la messe était dite. Mohamed Baâssou devait être libéré à la fin de sa garde à vue. C’est à ce moment qu’est survenue une autre surprise.
Un « crime grave »
Le procureur du roi a informé les avocats de la défense que le prévenu n’allait finalement pas comparaître.
« Le dossier Baâssou n’est plus entre mes mains », a-t-il expliqué un peu gêné, en avançant qu’il l’avait transmis au bureau du procureur général de Meknès après s’être déclaré « incompétent ».
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« Mais pourquoi ? », « Qu’est-ce qui se passe ici ? », ont demandé les avocats. Le procureur s’est défaussé avec de vagues explications, en argumentant qu’il s’agissait d’un « crime grave ».
« Mais un crime de quoi ? », ont répliqué les avocats qui, faute de réponse satisfaisante, ont immédiatement pris le chemin de la cour d’appel où siège le parquet général de Meknès.
C’est là que le bureau du procureur général leur a annoncé que la garde à vue avait été prolongée de 48 heures et qu’un juge venait d’être désigné pour instruire l’affaire.
« On est tombés des nues », explique un autre témoin à Middle East Eye. « Il était évident que quelque chose se tramait en haut lieu », a-t-il ajouté.
« On est tombés des nues. Il était évident que quelque chose se tramait en haut lieu »
- Un témoin à MEE
Selon des informations dignes de foi recueillies par MEE auprès de différents témoins de cette ténébreuse affaire, l’imprévu qui a grippé la machination politico-judiciaire, c’est évidemment la résistance de l’épouse de Mohamed Baâssou à porter plainte contre son mari.
Une donnée capitale qui, étrangement, n’a pas été rapportée par la presse aux ordres.
Juridiquement, sans la plainte du conjoint « offensé », la libération de l’adultère est automatique. Mais en haut lieu, on n’avait pas envie de lâcher cette grosse prise.
Quelqu’un a ordonné, comme cela arrive systématiquement dans les affaires dites sensibles, de chercher un « motif », comme on dit dans le jargon policier, pour impliquer Baâssou dans une autre affaire.
Le procédé de la contrainte
Avant que le procureur du roi de Meknès ne soit obligé d’ordonner la libération du prévenu, la police avait extrait du téléphone portable du prévenu des photos, banales, d’une femme avec qui il était en contact. Rien de scabreux ni d’indécent.
Cette deuxième femme était en relation avec le dirigeant adliste, un homme, assurent ses amis et connaissances, investi dans le travail humanitaire et social. Cette femme aurait été activement recherchée et retrouvée avec une rapidité surprenante par la police et probablement invitée à porter plainte contre Baâssou. Ce procédé de la contrainte a été utilisé ces dernières années dans plusieurs procès emblématiques.
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Mais pour quelle raison déposerait-elle plainte ? Parce qu’il lui aurait promis un travail et n’aurait jamais tenu sa promesse, a-t-on pu lire dans la presse. Mais quoi encore ? Bien qu’elle assure n’avoir jamais entretenu de relations sexuelles avec lui, cette femme aurait déclaré à la police qu’un jour il aurait « pris sa main lors d’une rencontre ».
C’est sur la base de ce témoignage brinquebalant que s’est construite la nouvelle stratégie politico-judiciaire pour accabler Baâssou avec une accusation pour le moins surréaliste.
Le jeudi 3 novembre, devant le juge d’instruction, Mohamed Baâssou et la femme qui se trouvait dans sa voiture ont été conduits devant le juge d’instruction.
Face au magistrat, l’accompagnatrice de Baâssou s’est présentée comme une domestique, a nié tout ce que la police lui reprochait dans les procès-verbaux et innocenté de tout manquement moral le dirigeant de la jamaât.
La grosse surprise est venue plus tard. Après interrogatoire, Mohamed Baâssou a été accusé par le juge non plus d’adultère mais de « trafic d’êtres humains »
Elle a néanmoins été accusée de « complicité d’adultère » selon l’article 492 du code pénal, qui stipule que « le retrait de la plainte ne profite jamais à la personne complice du conjoint adultère ».
Même si dans ce cas de figure, il n’y a jamais eu de plainte du conjoint dit « offensé ». Le juge a ordonné sa libération dans l’attente de son procès.
La grosse surprise est venue plus tard. Après interrogatoire, Mohamed Baâssou a été accusé par le juge non plus d’adultère mais de « trafic d’êtres humains ». Pour avoir promis un travail à la deuxième femme et avoir « pris sa main lors d’une rencontre ». Le juge a ordonné son placement en détention.
Selon plusieurs avocats spécialistes de droit pénal habitués à ce genre de procès politique, cette accusation, qui n’a ni queue ni tête, a pour unique but de garder l’accusé en prison.
C’est d’ailleurs la même invraisemblable accusation qui avait été portée contre le journaliste Taoufik Bouachrine en 2018, condamné depuis à quinze ans de prison.
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La dernière surprise qui présuppose que l’État est derrière cette machination est venue le soir même du jeudi 3 novembre. Alors que les interrogatoires et les débats devant le juge d’instruction ne s’étaient clos que vers 16 h, un journal arabophone de Casablanca, daté du lendemain, vendredi 4 novembre, a révélé la nouvelle accusation frappant le dirigeant adliste.
Il faut savoir que les journaux marocains bouclent leur édition du lendemain vers 15 h, ce qui leur permet d’imprimer le journal et de le distribuer dans les rues de Casablanca et de Rabat le soir même.
Il est donc techniquement impossible que ce journal ait pu avoir accès à cette information après 16 h, le moment où le juge d’instruction a donné pour conclu son premier interrogatoire et informé le prévenu de l’accusation portée contre lui.
À moins que cette fameuse « structure secrète », une entité hors-la-loi créée par l’État profond et composée de sécuritaires, de magistrats et de journalistes dans le but de signaler aux autorités des cibles, qui savait à l’avance de quoi allait être accusé formellement Mohamed Baâssou, n’ait fourni cette information à ce quotidien arabophone avant le bouclage. C’est-à-dire avant 15 h.
Enfin, ni ce journal ni aucun autre n’ont rapporté que la co-accusée de Mohamed Baâssou avait nié les faits devant le juge. Et surtout, que la deuxième femme, celle qui est à l’origine de cette accusation de « trafic d’êtres humains », a déclaré devant le juge qu’elle n’avait jamais entretenu de « relations sexuelles » avec lui.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Ali Lmrabet is a Moroccan journalist and the Maghreb correspondent for the Spanish daily El Mundo.
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Comme tout le monde le sait, c’est dans la forêt de Compiègne, plus précisément dans la clairière de Rethondes, que la convention d’Armistice est signée le 11 novembre 1918 à 5h15 entre les Alliés représentés par la France et la Grande Bretagne et les plénipotentiaires allemands.
Puis le Traité de Versailles signé le 28 juin 1919 fait suite à la signature de l’Armistice signé un an plus tôt et officialise la paix entre toutes les nations européennes.
Votre serviteur a eu l’occasion d’aller sur ces lieux plusieurs fois ayant habité durant 25 ans à Compiègne.
On ne sait pas toujours à quoi tient notre propre vie. Il y en a un qui l’a appris à ses dépends : Augustin Trébuchon. Pourquoi ? Parce que ce soldat de première classe et agent de liaison au sein du 415ème régiment d’infanterie a pris une balle en plein front, 10 minutes avant l’armistice du 11 novembre 1918. Il est considéré comme le dernier poilu tué au combat sur le territoire français lors de la Grande Guerre.
Nous sommes le lundi 11 novembre 1918 et il est 10h50. L’Armistice vient d’être signée, à 5h15, mais n’entre en vigueur qu’à 11 heures. Sur la rive droite de la Meuse, un petit village, Vrigne-Meuse (Ardennes), est occupé par les Allemands. Ils sont retranchés sur le Signal de l’Epine, la crête d’une colline dominant le fleuve. Mais impossible de savoir où précisément. Le temps est mauvais, le brouillard épais.
L’aviation est en effet clouée au sol en raison du brouillard. Qu’importe, les ordres sont les ordres. Dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10 novembre, Augustin Trébuchon et ses camarades s’élancent au-dessus de la Meuse sur un pont de fortune, fait avec des planches de bois. Sous une pluie battante et le feu ennemi, les soldats glissent, trébuchent, certains tombent dans le fleuve et s’y noient. 700 hommes parviennent sur l’autre rive. Augustin Trébuchon est l’un d’eux. Coriace le gaillard !
En face, à Dom-le-Mesnil, les troupes françaises sont stationnées, et se préparent à un assaut. Ce sera la dernière bataille de la guerre 14-18. En effet, le 415e régiment d’infanterie a pour mission de franchir le fleuve « à tout prix », selon les ordres. Pour l’état-major, il ne faut pas relâcher la pression sur l’ennemi, alors que se négocient au même moment les conditions de l’armistice. « L’ennemi hésite à signer l’armistice. Il se croit à l’abri derrière la Meuse. Il faut frapper son moral par un acte d’audace. Passez comme vous pourrez : au besoin sur les voitures de vos convois, mises en travers du fleuve », ordonne, le 9 novembre, le général Marjoulet, qui commande le 14e corps d’armée.
Bon, les ordres du général Marjoulet sont les ordres. Seulement voilà, à un instant précis avant même la proclamation de l’Armistice, le dernier tir d’une mitrailleuse allemande retentit. Un poilu, agent de liaison, s’effondre, seul, le crâne fracassé par une balle, avec dans sa main un morceau de papier, sur lequel est inscrit l’ultime message qu’il devait transmettre. Il s’agit d’Augustin Trébuchon qui vient de trébucher. Le berger de Lozère, si attaché à son pays et région n’est plus.
Né en Lozère, le 30 mai 1878 à Montchabrier, petit hameau de Lozère, le soldat de première classe Augustin Trébuchon, trapu de 1,61 m, est le fils d’un cultivateur. Joueur d’accordéon, il était « très réputé pour ses airs de bourrée et de brise-pied, et il animait toutes les soirées et les veillées du canton », explique Léon Bourrier, le fils d’un ami proche d’Augustin.
Il était berger, célibataire et soutien de famille. Depuis ses 16 ans, il avait la charge de ses cinq frères et sœurs après la mort de leurs parents. Cette situation l’exemptait de toute mobilisation. Mais il ne l’entendait pas ainsi, le bougre.
Dès le 4 août 1914, à 36 ans, le gars, au lendemain de la déclaration de guerre de l’Allemagne, il quitte sa famille, dit au revoir à sa fiancée Hortense et descend à Mende, à une cinquantaine de kilomètres de là, pour s’engager. Il ne reverra le Gévaudan que lors d’une unique permission. Votre serviteur ne sait pas de ce qu’il a fait de ses cinq frères et sœurs… mystère ! Ils avaient probablement grandi et étaient probablement devenus indépendant.
De plus, notre matriculé 13 002, en 1918, à l’âge de 40 ans, a fait toutes (ou presque) les batailles : la Somme, la Marne, Verdun, le Chemin des Dames… Il n’a été blessé que deux fois en quatre ans. C’est un miraculé car des engagés de 1914, il n’en restait plus beaucoup en 1918.
Notre Augustin Trébuchon saute de trous en abris pour délivrer les messages qui lui sont confiés faisant des allers-retours entre le poste de commandement, installé dans la cave du bureau des PTT à Dom-le-Mesnil, jusqu’aux soldats à quelques centaines de mètres de là, au pied du Signal de l’Epine.
Mais après la traversée meurtrière et l’avancée de la nuit, les Allemands contre-attaquent. Vers 10h30, ce dimanche 10 novembre, le brouillard se dissipe pour laisser place à une pluie d’obus. Les canons allemands tirent rageusement et l’assaut repousse le 415ème régiment derrière un talus de voie ferrée longeant la Meuse. Les mitrailleuses se déchaînent : au tac-tac sec et saccadé des Hotchkiss, les Maxim répondent ainsi que les fusils mitrailleurs dans ce concert meurtrier.
Le maréchal Foch annonce la fin de la guerre par télégraphe aux commandants en chef des différentes armées alliées.« Les hostilités sont arrêtées sur tout le front, à partir du 11 novembre, 11 heures (heure française). Les troupes alliées ne dépasseront pas, jusqu’à nouvel ordre, la ligne atteinte à cette date et à cette heure. »
Le message parvient au 415ème, celui de notre Augustin Trébuchon, à 8h30 sous les obus qui continuent de pleuvoir, et notre Augustin de courir. « Rassemblement à 11h30 à Dom-le-Mesnil pour le ravitaillement », c’est l’ordre qu’il doit transmettre à son capitaine sur la ligne de front.
Pourquoi envoyer Augustin sous les balles alors que la guerre doit prendre fin à 11 heures ? Mystère. Il franchit une nouvelle fois la passerelle du barrage sur la Meuse, bondit en direction de la voie de chemin de fer où s’est stabilisée la ligne de front.
Mais sa bonne étoile l’abandonne à 10h50. Sur les hauteurs, les Allemands arrosent les lignes françaises à la mitrailleuse. Augustin Trébuchon s’effondre dans la boue, touché par une balle en pleine tête. Il est considéré comme étant le dernier soldat français tué au combat sur le territoire français.
À dix minutes près, après plus de 1 560 jours de combats, Augustin manquera les réjouissances, l’armistice, la Marseillaise, les embrassades, la joie des vainqueurs, le retour en héros en Lozère.
Pour la Belgique, des recherches menées par des lycéens belges et une association bretonne ont révélé qu’un autre poilu, Auguste Renault, serait mort 8 minutes plus tard en Belgique, fauché par un obus français tiré par erreur.
Dans le silence qui suit l’armistice, on compte les morts tombés depuis le 9 novembre : 68 poilus du 415ème ont été fauchés et 97 blessés. Ils sont enterrés dans un carré du cimetière de Vrigne-Meuse, mais sur leurs tombes on peut curieusement lire « Mort le 10 novembre 1918 ». C’est également le cas sur la fiche individuelle d’Augustin Trébuchon.
Pourquoi la vraie date de la mort d’Augustin Trébuchon a-t-elle été modifiée, en l’antidatant, dans son livret militaire ? L’historien Jean-Yves Le Naour l’explique de la manière suivante : « Pour un certain nombre de soldats qui ont été tués le 11 novembre, leur décès a été retranscrit sur les fiches matricules pour le 10 novembre parce qu’il était trop difficile d’avouer et de dire aux familles que leur fils, leur mari, leur frère avait été tué le jour même de l’armistice ».
La date de la mort des blessés qui moururent les jours suivants a également été modifiée pour permettre à leurs épouses de toucher les pensions accordées aux veuves de guerre et ainsi s’éviter de longues contestations.
C’était l’époque où la Patrie existait et avait un sens profond. La gauche et les écolo-dinguos d’aujourd’hui ont tout fait pour faire voler en éclat toutes ces notions profondes de patriotisme et amour de son pays, conformément à la volonté du peuple français qui les met au pouvoir, sans relâche, depuis 50 ans.
« De l’Algérie sous Pétain, ni ma grand-mère ni mon père ne m’ont jamais parlé : ils ont échappé à la Shoah, un motif suffisant pour se taire. L’omerta familiale résonne avec la chape d’oubli qui s’est abattue sur cette période peu glorieuse pour la France. Pourtant, elle constitue un moment clé où d’autres destins semblaient possibles pour l’Algérie. » Par le biais du journal intime d’un personnage fictif (Maurice, 19 ans en 1940) constitué à partir de faits historiques et de souvenirs recueillis auprès de sa propre famille, la documentariste Stéphanie Monsénégo revient sur le contexte anti sémite de l’Algérie coloniale et détaille l’action méconnue du mouvement de résistance Géo-Gras, en soutien au débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942.
Une « égalité par le bas »
Au gré des événements qui défilent jusqu’en 1962, elle énumère aussi les occasions manquées qui auraient pu, en modifiant le statut des musulmans, changer le cours de l’histoire. Lorsque Pétain abroge le décret Crémieux le 7 octobre 1940, c’est un séisme pour les juifs, citoyens français depuis quatre générations, et une nouvelle preuve de racisme aux yeux des élites musulmanes clairvoyantes. Par la voix de Ferhat Abbas ou de Messali Hadj, elles dénoncent une « égalité par le bas » qui prive les juifs de leurs droits sans en accorder plus aux musulmans, maintenus dans le statut d’indigènes. Désormais exclus de l’école, de l’université, de la fonction publique, les juifs sont également spoliés de leurs biens, comme la famille de Maurice l’est de sa propriété agricole.
Afin de se défendre contre les groupuscules fascistes qui font régner la terreur dans les rues d’Alger, plusieurs centaines d’étudiants, en majorité juifs, se préparent secrètement à la Résistance. Le groupe Géo-Gras, dont d’anciens membres témoignent dans le film, s’alliera à d’autres réseaux clandestins pour permettre le succès de l’opération Torch. Mais leur action capitale ne les mettra pas pour autant à l’abri des soubresauts de l’histoire. Il leur faudra attendre le 20 octobre 1943, soit un an plus tard, pour recouvrer enfin leur pleine citoyenneté.
Il y a tout juste 80 ans, les forces alliées débarquaient dans les colonies françaises du Maroc et d’Algérie. Un tournant majeur de la seconde guerre mondiale qui doit beaucoup à 400 jeunes résistants algérois.
Sous le crachin têtu de ce samedi de septembre, entre les rangées de stands alignés pour la fête des associations du 14e arrondissement de Paris, soudain, une voix tonne : « Chefs français ! Soldats, marins, aviateurs, fonctionnaires ! Colons français d’Afrique du Nord, levez-vous donc ! Aidez nos alliés ! Joignez-vous à eux sans réserve. La France qui combat vous en adjure. » Un couple de quinquagénaires se retourne, un homme se fige sur sa canne. « Que par vous nous rentrions en ligne, d’un bout à l’autre de la Méditerranée, et voilà la guerre gagnée, grâce à la France ! » De l’ombre d’une tente surgit une femme, jean et sneakers, une liasse de prospectus à la main. Elle alpague les passants, interloqués : « Le 8 novembre 1942, ça vous dit quelque chose ? Le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, l’opération “Torch” ? Non ? C’était de Gaulle, ce soir-là, sur la BBC. » Hochements de tête. Il pleut.
Nicole Cohen-Addad se retire sous le barnum où trône un étendard tricolore avec la croix de Lorraine et le nom de l’association qu’elle préside : Les Compagnons du 8 novembre 1942 – Actes de résistance : mémoire et recherche. L’intitulé est long, mais elle y tient. Elle est la fille de l’un des quelque 400 jeunes civils qui aidèrent les troupes alliées à prendre Alger aux forces de Vichy. Médecin-chercheuse, héritière d’archives de ce réseau, c’est avec la volonté de « stimuler le travail scientifique sur l’opération “Torch” et ses acteurs » qu’elle a fondé l’association, en 2014.
Elle-même a réalisé des entretiens vidéo de résistants, tous aujourd’hui disparus ou trop âgés pour témoigner, monté trois colloques, dont le prochain, les 28 et 29 novembre, se tiendra au Musée de l’armée, à Paris. Le 7 novembre, date du début de l’opération « Torch », l’étendard brodé des Compagnons du 8 novembre 1942 flottera sous l’Arc de triomphe, lors de la cérémonie organisée, chaque année, par l’association. Pour ce 80e anniversaire, « nous serons quatre », prévient Nicole Cohen-Addad. L’hommage sera discret, à l’image de la place de cet événement dans la geste mémorielle de la seconde guerre mondiale.
Héroïsme et compromission
Deux lignes, parfois, dans les manuels scolaires, aucun mémorial… Le débarquement allié en Algérie et au Maroc vivote dans l’angle mort d’un récit où celui de Normandie tient la vedette, tandis que celui de Provence, réputé oublié, fut salué en divers temps par les présidents Chirac, Hollande, Sarkozy et Macron. Rien de tel pour « Torch ». « Son importance est minorée », confirme l’historien Olivier Wieviorka. Sa collègue Christine Levisse-Touzé, spécialiste de l’histoire de ce conflit et autrice de L’Afrique du Nord dans la guerre. 1939-1945 (Albin Michel, 1998), y voit pourtant un « tournant décisif ». Première action conjointe des armées de Churchill et de Roosevelt, « Torch » a permis, selon elle, le « basculement dans le camp allié de toute l’Afrique du Nord, qui devint dès lors le tremplin pour la campagne d’Italie, les débarquements en Sicile, en Corse, en Provence ». Dès lors, comment expliquer cet oubli ? « Un événement, pour avoir vocation à entrer dans la mémoire collective, doit être porteur d’un récit simple, manichéen même », estime un autre historien, Henry Rousso. Ce n’est pas le cas de « Torch », épisode nimbé d’héroïsme rocambolesque et mité de compromissions. Il raconte pourtant ce dont est faite, parfois, une victoire.
Le tableau est sombre, en cet été 1942, où Américains et Britanniques tentent de décider d’une offensive commune, en discussion depuis six mois. Les Allemands contrôlent la majeure partie de l’Europe, ils sont aux portes de Stalingrad et du pétrole caucasien. Les troupes germano-italiennes s’apprêtent à entrer en Egypte, les Japonais dominent l’Asie du Sud-Est. La victoire d’Hitler semble inéluctable. Pour s’y opposer, le président Roosevelt privilégie une offensive frontale à l’ouest de l’Europe, ouvrant ce « deuxième front » tant réclamé par un Staline aux abois. Churchill, lui, plaide pour une action plus modeste, en Algérie, tête de pont idéale pour contrer l’Axe en Tunisie, en Egypte, en Libye, et sécuriser l’accès au canal de Suez, porte des Indes. Fin juillet 1942, l’armée américaine n’étant pas encore prête à un affrontement majeur, la ligne britannique l’emporte : les Alliés débarqueront en Algérie, et aussi au Maroc, afin de se protéger d’une éventuelle riposte à partir de l’Espagne franquiste. L’Algérie et le Maroc, ces deux pièces de l’Empire français vichyste, recèlent une ressource précieuse : l’armée d’Afrique, 100 000 hommes, qu’il s’agira d’amener à reprendre le combat.
« Le plan est audacieux », relève Olivier Wieviorka. 107 000 hommes (84 000 Américains, 23 000 Britanniques) seront transportés et escortés par une armada de 300 navires au départ du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Ils devront débarquer de nuit, sur neuf sites de la côte, dispersant leurs forces sur 1 400 kilomètres.
Puissants mouvements antisémites d’Algérie
Six sites sont retenus au Maroc, trois du côté algérien (près d’Oran et à Alger). Les Américains auront la haute main sur l’opération, dirigée par le général Eisenhower. Une inconnue : comment réagiront les militaires français qui, tous, ont fait le serment au maréchal Pétain de « se défendre contre quiconque » ? La question se double d’un casse-tête : trouver le chef militaire français capable de « retourner » cette armée et de s’imposer à la société coloniale d’Algérie. L’enjeu est crucial, car ce pays est alors le centre du pouvoir civil et militaire de Vichy sur ce continent. Roosevelt ne veut pas de De Gaulle, qu’il méprise. Pour prévenir un tir de barrage comme pour harponner le général ad hoc, des appuis locaux seront précieux.
Washington n’ayant pas rompu avec Vichy, Roosevelt a un représentant personnel à Alger, le consul Robert Murphy, diplomate aux nombreuses oreilles… Il en faut, dans cette Algérie française, pour débusquer ses vrais amis. Car la minorité européenne, qui domine les 8 millions de musulmans, a massivement accueilli Vichy avec une docilité, voire un zèle inconnus en métropole. Comme le relève Jacques Cantier, historien de l’Algérie sous Vichy, « le projet pétainiste d’unEtat national, autoritaire, hiérarchique et social répondait aux aspirations de la fraction importante des Français d’Algérie votant à droite et à l’extrême droite ». Et lorsque le Maréchal a dénoncé les juifs comme « responsables de la défaite », il n’a fait qu’exciter la vieille revendication des puissants mouvements antisémites d’Algérie: abroger le décret Crémieux, qui, en 1870, a accordé collectivement aux juifs autochtones la citoyenneté française. Tel fut l’objet de la première loi de Vichy en Algérie, le 7 octobre 1940, suivie aussitôt de nombreuses mesures « raciales ».
A l’automne 1942, les 110 000 juifs d’Algérie vivent au ban de la société, privés de nationalité et de droits civiques. Comme ceux de métropole, ils ont été exclus de très nombreuses fonctions et métiers. Mais c’est en vertu d’un quota instauré par le pouvoir local qu’ils ont été également contraints de retirer leurs enfants des écoles et des lycées. Ils sont fichés, la spoliation de leurs biens vient de commencer. Dans tout le pays, la vie sociale est rythmée par les défilés des 180 000 adhérents à la Légion des anciens combattants, diligents propagandistes de la « révolution nationale » de Pétain, tandis que les volontaires du Service d’ordre légionnaire (SOL) traquent les « indésirables ». Communistes, nationalistes algériens, républicains espagnols, francs-maçons, gaullistes, soldats juifs bannis de l’armée d’armistice : ils sont 15 000, croupissant dans des camps algériens.
Le « groupe des 400 »
Dans ce monde quadrillé, les opposants à Vichy sont discrets. C’est ainsi que, dès l’automne 1940, s’est formé, dans un gymnase d’Alger, un des noyaux du réseau qui, grâce à une formidable ruse, va jouer un rôle décisif dans le succès du débarquement allié. A l’insu du patron du lieu, le boxeur Géo Gras, des jeunes s’entraînent, sous l’effigie du Maréchal, à riposter aux agressions antisémites. A la même époque, un étudiant de la faculté de médecine d’Alger, José Aboulker, rêve de voir débarquer ces Anglais pugnaces, capables de résister au Blitz. Il a 20 ans, il est le fils d’une lignée de médecins et de notables républicains juifs algérois. Son père, Henri Aboulker, professeur de médecine et grand blessé de guerre, président d’honneur du Parti radical, est gaulliste, comme toute la famille, qui vit suspendue à l’écoute clandestine de Radio Londres.
Quand les Etats-Unis entrent en guerre, en décembre 1941, le jeune homme ne doute plus : il faut se préparer à aider une opération alliée. Il en discute à mi-voix avec des copains de fac, des proches. Il est brillant, impressionnant de calme et de prestance. Il convainc. « La transformation de réunions d’amis pour parler en groupes pour agir s’est faite insensiblement », écrira-t-il dans ses Mémoires (La Victoire de 8 novembre 1942. La Résistance et le débarquement des Alliés à Alger, Le Félin, 2012).
Sous son impulsion, des groupuscules se forment, avec une règle : cinq membres et un chef, pas plus. José Aboulker connaît les chefs, qui ne se connaissent pas. Il apprend l’existence d’autres groupes à Alger, dont celui du gymnase. Dirigé par un parent de José, Raphaël Aboulker, il s’étoffe et se militarise avec pour instructeurs le lieutenant Jean Dreyfus, le capitaine Pillafort et le commissaire Achiary, chef du bureau de la surveillance du territoire. « Par facilité et sécurité, on recrute son frère, son cousin », expliquera-t-il. Les recrues ont entre 20 et 25 ans, leurs leaders, 35 ans au maximum.
Ainsi se monte, à Alger, un réseau en étoile dirigé par José Aboulker et dont plus des trois quarts des membres sont juifs. Il le désignera après guerre comme le « groupe des 400 ». Oran aussi dispose de son réseau, plus modeste, monté par l’industriel et officier Roger Carcassonne, un autre cousin de José.
Postes à neutraliser
En mars 1942, cette Résistance entre dans le grand jeu de l’aide au débarquement dont les Alliés examinent alors les diverses options. José Aboulker est présenté à Henri d’Astier de La Vigerie, l’un des métropolitains d’extrême droite et germanophobes venus en Algérie pour pousser les Américains à faire revenir l’Afrique française dans la guerre. Ce fut « l’entente parfaite, racontera Aboulker. Il était royaliste et antisémite. Il avait 45 ans. Je suis juif et antifasciste. J’avais 22 ans. Notre motivation commune était le patriotisme ».
A chacun sa mission, d’ordre plutôt paramilitaire pour Aboulker, politico-diplomatique pour Astier et ses relations d’extrême droite. Le premiercontinueà recruter et à préparer la prise d’Alger, les seconds aident les Américains à trouver le chef idoine pour emmener l’armée d’Afrique. Le choix se portera, à l’automne, sur le général Giraud, pétainiste évadé d’Allemagne. Quant à la prise d’Alger, voilà des semaines que José Aboulker y travaille, inspiré par La Technique du coup d’Etat, de Malaparte, recensant les postes à neutraliser. Il est bientôt épaulé par un officier recommandé par Astier et qu’il découvre être… son voisin d’immeuble : le colonel Jousse.
Nommé en octobre chef de la garnison d’Alger, l’officier a une idée de génie alors qu’il prend connaissance du plan de maintien de l’ordre prévu en cas d’invasion : des volontaires du SOL, identifiés par un brassard et munis d’un ordre de mission, doivent relever la garde des postes stratégiques en attendant l’intervention de la troupe. Eurêka ! Telle sera la « mission » des insurgés quand les Alliés s’apprêteront à débarquer. Munis de brassards dérobés et d’ordres de mission signés par le colonel en personne, ils iront prendre sans violence le contrôle des centres du pouvoir civil et militaire et de leurs moyens de communication…
Enfermé dans un placard
Le 30 octobre, Robert Murphy, le représentant de Roosevelt, confie à José Aboulker la date du débarquement : la nuit du 7 au 8 novembre. Le moment est venu d’accélérer les préparatifs. Les Américains ont promis des armes, mais les deux tentatives de livraison effectuées sur les côtes algériennes ont échoué. Il faudra se contenter de fusils datant de la première guerre mondiale.
Le 7, José convoque les chefs de groupes au QG de la Résistance installé dans le vaste appartement familial. C’est là que sont distribués les ordres de mission. Là aussi que, dans une salle de bains, est installé l’émetteur radio destiné à assurer les communications entre Murphy et Eisenhower, à Gibraltar. Là encore qu’à 22 heures un chef de la police politique alerté par les va-et-vient est maîtrisé et enfermé dans un placard…
A 22 h 30, l’action commence, tandis que le débarquement est annoncé sur la BBC par des « Allô Robert ? Franklin arrive ». Les chefs de groupe filent vers un garage prendre des voitures et des fusils avant d’aller chercher leurs hommes et de partir les uns pour la ville, d’autres vers les plages pour guider l’arrivée de bateaux. Parmi ces derniers, Jean Daniel Bensaïd, connu plus tard sous ses deux prénoms comme journaliste. Chacun a sa feuille de route : José Aboulker au commissariat central, centre de commandement du « putsch » ; Astier au domicile du général Juin, commandant en chef des forces d’Afrique du Nord ; Raphaël Aboulker au 19e corps d’armée…
A 1 h 30, le 8 novembre, mission accomplie pour les « 400 », sans tirer un coup de feu. Les états-majors, la préfecture, le commissariat central, les centraux téléphoniques civils et militaires, Radio Alger, le palais du gouverneur général, les domiciles des principaux chefs militaires sont sous leur contrôle, avec leurs occupants. Juin est fait prisonnier, de même que le général Koeltz, chef du 19e corps d’armée, arrêté par le colonel Jousse. La surprise est totale pour les forces vichystes comme pour les renseignements allemands et italiens. Ils ont bien vu des navires faire route en Méditerranée, mais ils ont cru qu’ils allaient porter secours à Malte. « Le temps d’une nuit et d’une demi-journée, ces 400 jeunes sont l’honneur de la France », écrira, soixante-dix ans plus tard, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Français libre et historien.
Contretemps fâcheux
Ils tiennent, en effet. Mais les troupes américaines tardent. Les premiers soldats n’arrivent par la route qu’à 16 heures, après un prudent contournement de la ville. Entre-temps, les gardes mobiles et les chasseurs blindés ont repris des postes tenus par les insurgés. Deux d’entre eux, Jean Dreyfus et le capitaine Pillafort, sont tués par des vichystes.
Un autre contretemps fâcheux, politique celui-là, se produit : le général Giraud, censé prendre la relève à Alger, n’est pas là, mais à Gibraltar, où il négocie ses prérogatives avec Eisenhower. En revanche, l’amiral Darlan, dauphin de Pétain et chef des armées de Vichy, est présent par hasard, accouru au chevet de son fils. C’est donc avec lui que les Alliés traitent, après l’avoir fait prisonnier. Le 10 novembre, au nom du « Maréchal empêché » (qui lui ôtera sa nationalité), il ordonne à ses troupes de cesser le feu en Algérie et au Maroc. Il y a urgence. A Alger, l’armée vichyste a été maîtrisée quasi sans combattre grâce aux « 400 ». Mais elle s’est déchaînée à Oran et au Maroc, où les insurgés avaient misé, à tort, sur un ralliement volontaire des chefs militaires. Bilan de la résistance opposée par Vichy : côté français, 1 346 morts, dont 999 au Maroc ; côté américain, 479 tués. Au total, 1 825 morts et 2 717 blessés, selon Christine Levisse-Touzé.
nAlors que, le 11 novembre, l’Allemagne envahit la zone sud de l’Hexagone, que l’Axe envoie des avions et des troupes en Tunisie, s’ouvre à Alger un intermède qu’Yves-Maxime Danan, neveu de José Aboulker, a baptisé « Vichy sous protectorat américain ». Six mois de confusion nauséabonde issue du pacte entre Darlan et les Américains. Le premier assure le ralliement de l’armée d’Afrique. En échange, les seconds promettent de ne pas se mêler de la politique vichyste en Afrique du Nord. En privé, Roosevelt qualifie l’accord d’« expédient provisoire ». Il sera néanmoins durablement compromettant… Assassiné deux mois plus tard par le jeune Fernand Bonnier de La Chapelle, Darlan est remplacé par Giraud, qui montre sa ferveur pour la « révolution nationale ». Les Français et les musulmans d’Algérie et du Maroc sont mobilisés, mais Giraud exige l’envoi des appelés juifs dans des « compagnies de pionniers israélites » où ils casseront de la caillasse : il s’agit d’« éviter que la situation d’anciens combattants ne puisse être acquise par l’ensemble de la population juive », précise une circulaire. Des militaires qui ont tiré sur les Alliés sont décorés, des membres de la résistance d’extrême droite siègent dans le gouvernement de Giraud. Douze conjurés du 8 novembre – dont José Aboulker et son père – sont arrêtés et expédiés dans le Sud algérien, au prétexte qu’ils fomenteraient un putsch…
Liquider l’héritage vichyste
Un coup de trop ? « On surpasse Vichy, on croirait que l’idéal est d’imiter le nazisme », s’indigne le capitaine Beaufre, pourtant fidèle de Giraud. De Londres à Washington et New York, l’opinion s’émeut, réclame la démocratie. Sous pression américaine, Giraud libère les douze résistants. En mars, il annonce un prochain démantèlement de la législation vichyste… mais abroge, une seconde fois, le décret Crémieux. Toutefois, sa promesse de démocratie a permis un rapprochement avec de Gaulle, fort du soutien de toutes les composantes de la Résistance intérieure, auquel les Américains ne peuvent plus s’opposer. Le 30 mai 1943, le chef de la France libre arrive à Alger, acclamé par 10 000 manifestants considérés, il y a peu, comme « séditieux ».
En ce printemps 1943, un air de légèreté flotte sur l’Algérie. Les Allemands ont capitulé en Tunisie. L’Afrique du Nord est entièrement sous contrôle allié depuis le 13 mai. Alger, où 300 personnes sont mortes sous les bombardements de la Luftwaffe depuis le début de l’année, respire. Le déferlement de centaines de milliers de « Johnny » distribuant sodas, chewing-gums et nourriture au rythme du boogie-woogie a un avant-goût de libération… On apprend l’anglais à toute allure. Résistants de métropole et anciens députés affluent.
Aussitôt arrivé, de Gaulle forme avec Giraud un tandem contrarié à la tête d’un Comité français de libération nationale (CFLN), destiné à liquider l’héritage vichyste et à rétablir les lois de la République. Les juifs ne se verront toutefois restituer leur nationalité qu’en octobre, discrètement. Un an après « Torch », le 9 novembre 1943, Giraud évincé, de Gaulle devient le seul président du CFLN. L’ex-capitale de l’Afrique vichyste est désormais celle de la France résistante, en guerre. Fin novembre, de Gaulle nomme compagnons de la Libération, une distinction rare, six des résistants du 8 novembre 1942 : Henri d’Astier de La Vigerie, Germain Jousse, Roger Carcassonne, Jean Dreyfus, Alfred Pillafort et José Aboulker, qui a rejoint Londres en mai et travaille à organiser le service de santé du maquis.
Une opération aux oubliettes
Passé le temps des hommages à ses héros, que reste-t-il, de nos jours, de « Torch » ? Le souvenir de cette opération cruciale trébuche sur celui des vichystes en Algérie. « Après la guerre, on a estimé que Pétain agissait sous la pression, considérable, des Allemands. Mais l’Algérie en 1940-1943, c’est Vichy sans les Allemands», relève Henry Rousso. Ce constat gênant réveille les questions sur la nature du régime, sa représentation de la population, sa légitimité. Autre source d’embarras, la dimension coloniale du succès de l’opération : il rappelle que l’Algérie avait alors une position centrale pour la France et que son empire fut une base pour la France libre.
Outre-Atlantique aussi « Torch » est, pour ainsi dire, aux oubliettes. Il aura fallu attendre soixante-quinze ans, le 8 novembre 2017, pour que soit célébrée, à Washington, « la toute première commémoration de ce tournant critique de la guerre », selon les termes de l’hebdomadaire britannique The Economist. Il est vrai que l’épisode oblige à évoquer la raison pour laquelle les Américains avaient accepté de laisser en place le régime de Vichy : « Ils ne le reconnaissaient pas comme une puissance ennemie, rappelle Henry Rousso. Leur objectif, c’était la victoire contre les nazis. De surcroît, ils avaient parié contre de Gaulle et ils ont perdu. »
Quant à l’Algérie, « elle n’a aucune mémoire du débarquement allié, dit l’historien Benjamin Stora, spécialiste de ce pays. La deuxième guerre mondiale n’intéresse pas l’histoire officielle, alors même que le débarquement a joué un formidable rôle d’accélérateur du mouvement nationaliste ». La diffusion par les Américains de la Charte de l’Atlantique appelant les peuples à disposer d’eux-mêmes y a contribué. C’est à l’époque de leur présence, en février 1943, que les leaders Ferhat Abbas et Messali Hadj ont publié le Manifeste du peuple algérien réclamant, pour la première fois, « l’abolition de la colonisation ». Mais Messali Hadj puis Ferhat Abbas ont été mis à l’écart par le Front de libération nationale (FLN). Quant à la contribution des musulmans (60 % des effectifs) aux combats de l’armée d’Afrique, elle n’est pas valorisée. « Avoir servi dans l’armée française évoque les harkis, précise Benjamin Stora. Le seul souvenir attaché à cette guerre est celui de la répression sanglante des émeutes musulmanes à Sétif et Guelma, le 8 mai 1945, jour de la victoire. Il écrase tous les précédents. »
« C’étaient des patriotes, point »
En Algérie, une guerre s’achève, une autre se prépare, où l’on retrouve, pour comble, certains des mêmes acteurs, à front renversé. « Pour les aînés algériens, la résistance du 8 novembre 1942, c’est André Achiary, le commissaire devenu préfet de Guelma, responsable des massacres », raconte Nicole Cohen-Addad. On ignore, en revanche, qu’en juillet 1945 José Aboulker prononça un vibrant réquisitoire contre cette répression meurtrière à la tribune de l’Assemblée provisoire, à Alger.
« Aujourd’hui, c’est parmi les juifs originaires d’Algérie que la mémoire du débarquement allié est la plus vivace, estime l’historien Jacques Cantier. L’arrivée des Alliés leur a évité de connaître de nouvelles étapes dans les persécutions, voire le pire, à savoir des déportations, comme en Tunisie. » Leur recensement était achevé, la spoliation de leurs biens avait commencé, les brassards à étoile étaient commandés… Et puis, c’est le « groupe des 400 », constitué en très grande majorité de jeunes civils juifs, qui s’est illustré dans cette Résistance, avec pour figure tutélaire José Aboulker. Devenu par la suite chef du service de neurochirurgie de l’hôpital Beaujon, à Clichy-sur-Seine, il s’est éteint en 2009.
« La participation des juifs à la Résistance était très importante, relève l’historienne Renée Poznanski, même si c’était un fait tabou, car il ne fallait pas conforter la vulgate vichyste selon laquelle “la Résistance est manipulée par les juifs”. Mais je n’ai pas connaissance d’un réseau d’une telle homogénéité. » Pour José Aboulker, qui s’exprimait, en 1994, sur la « singularité juive » de son groupe, le sujet n’existait pas : « C’est Vichy qui comptait les juifs. Moi, je comptais les combattants. » Nicole Cohen-Addad est sur cette ligne : « C’étaient des patriotes, point. » Elle l’expliquera à nouveau, le jour anniversaire de l’opération, quand elle ira, comme chaque année, avec quelques « compagnons », déployer la carte du débarquement sur la discrète place du 8-Novembre-1942, à Paris, seul lieu en France rappelant ce moment-clé de la Libération.
Par Corinne Bensimon
Publié le 07 novembre 2022 à 05h45, mis à jour hier à 14h26https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/07/debarquement-en-afrique-du-nord-de-1942-la-memoire-trouble-de-l-operation-torch_6148764_3224.html.
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