iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
Ce lundi, on commémore l’anniversaire des massacres coloniaux de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie, qui firent des dizaines de milliers de morts, et dont la mémoire continue d'être effacée chaque année.
Le 8 mai 1945 est aussi l’anniversaire caché et mis sous le tapis par l’État français d’un des nombreux épisodes de sanglante répression coloniale. A l’époque, à plusieurs centaines de kilomètres de la liesse populaire qui s’exprime dans les rues de Paris, l’État colonial répond à une mobilisation indépendantiste par le massacre de dizaines de milliers d’Algériens.
Le 1er mai 1945, le Parti populaire algérien, appelle le peuple algérien à manifester pour son indépendance, à l’occasion de la journée Internationale des travailleurs. La mobilisation se poursuit le 3 mai à Annaba, jour de la reprise en main de Berlin par les Alliés, le 4 à Guelma, etc. Le 8 mai 1945, à huit heures du matin, plusieurs milliers de manifestants « indigènes » se rassemblent à Sétif. A 9h25, Saal Bouzid, jeune homme algérien est assassiné par un policier français.
Il est coupable d’avoir osé, avec des milliers d’autres « Arabes », revendiquer l’indépendance et la liberté pour le peuple algérien, ainsi que la libération du leader nationaliste, Messali Hadji. Cet assassinat donne lieu à des révolte dans les jours qui suivent, cristallisant plus d’un siècle d’humiliations et de privations. En face, la répression, menée par le général Duval, engageant l’aviation et la marine, est une véritable boucherie.
L’armée coloniale procède de la manière la plus brutale face aux manifestations. Comme le rappelle le Monde Diplomatique : « Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis ». Quant à l’armée, son action a fait dire à un spécialiste, Jean-Charles Jauffret, que son intervention « se rapproche plus des opérations de guerre en Europe que des guerres coloniales traditionnelles ». Dans la région de Bejaia, 15 000 femmes et enfants doivent s’agenouiller, à Kherrata, les cadavres des manifestants ont été jetés dans le fleuve par des camions de l’armée coloniale.
Au total, plus de 45 000 algériens sont assassinés sur tout le territoire d’après le PPA. Des chiffres dont l’ordre de grandeur est confirmée par les historiens, alors que l’État français n’aura de cesse de les minimiser. 78 ans plus tard, celui-ci n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les massacres. Et Macron, malgré ses gesticulations autour du rapport Benjamin Stora, n’aura rien eu à dire ce 8 mai 2023, comme les précédents, sur la répression coloniale et sanglante initiée à partir du 8 mai 1945.
A l’inverse, pour le chef de l’État, comme pour ses prédécesseurs, il faudrait, à grand renfort de drapeaux tricolore et de Marseillaise, « entretenir la mythologie hexagonale selon laquelle la France, fille aînée de la Révolution et des droits de l’Homme, a su rester, malgré les épreuves et l’Occupation, fidèle à des glorieuses traditions » comme le note O.Lecour Grandmaison dans un billet pour le Club de Mediapart. Et faire oublier, « en même temps », que le déchaînement de la répression de mai 1945 dans le Constantinois a exprimé la réalité crue de l’État colonial français.
La sauvagerie dont les colons firent preuve tout au long de ce mois sanglant préfigura la guerre d’Algérie à venir, ainsi que l’acte de naissance du FLN, le 1er novembre 1954. Le peuple algérien avait « appris », c’est-à-dire pris conscience de l’impossibilité du dialogue et du pacifisme face à la barbarie coloniale.
En 1962, Ferhat Abbas déclarait : « Quand un Algérien se disait Arabe, les juristes français lui répondaient : non, tu es Français. Quand il réclamait les droits des Français, les mêmes juristes lui répondaient : non, tu es Arabe ! ». Etude du droit de vote des Algériens durant la colonisation et la guerre. Par Fatna et Farah.
Le second tour de l’élection présidentielle française approche à grands pas. Naturellement, et comme il est de coutume, les Français sont invités à faire valoir leur droit fondamental, tellement fondamental, qu’on l’apparente souvent à un devoir citoyen : le droit de vote. Source de fierté pour certains, pris pour acquis pour d’autres, et même parfois source de contrariété ou de négligence, peu importe, la question du droit de vote ne se pose plus. Le vote apparaît pour chaque Français comme un droit inébranlable qui découle de la nationalité française, acquise dès la naissance ou via naturalisation. Cependant, ce lien entre nationalité et droit de vote n’a pas toujours été évident. Notamment dans les colonies françaises et plus spécifiquement en Algérie, où l’étude des lois et textes juridiques spécifiques aux “indigènes” démontre le refus de l’Etat français d’accorder aux Algériens les mêmes droits civils que les Français. Essayons de retracer les contours de cette acquisition du droit de vote.
Les débuts de la colonisation : l’assujettissement des indigènes
Avant l’arrivée des français en 1830, l’Algérie était une province autonome de l’Empire ottoman. Les Algériens étaient sujets à leurs propres normes souvent coutumières et religieuses, qu’ils soient Musulmans ou Juifs. Ils disposaient d’un « statut juridique personnel spécifique, d’origine religieuse [1]» dont le respect était garanti par la France après la conquête. Concrètement, cela permettait aux Algériens musulmans de se baser sur le droit musulman et les préceptes coraniques, et aux Algériens juifs de se référer au droit mosaïque pour régir leur communauté. En effet, à l’occasion de la signature de l’acte de capitulation du 5 juillet 1830, la France s’est engagée « à ne pas porter atteinte à la liberté des habitants de toutes classes et à leur religion [2]»
Convention franco-algérienne de 1830 aussi appelée Acte de Capitulation du 5 juillet 1830
Néanmoins Patrick Weil, politologue français et spécialiste du droit des immigrés, alerte sur
cet octroi de libertés, qui n’apparaît bienveillant qu’en façade. Il écrit : « Un tel statut pouvait paraître l’octroi par le vainqueur d’un privilège au vaincu : le droit de s’auto-administrer. Très vite il apparaît qu’il ne s’agit que de laisser les musulmans sous l’application des lois personnelles et successorales dépendant des perceptions du Coran. Dans tous les autres domaines, ils se voient soumis à un statut juridique d’infériorité ». Effectivement, quelques années plus tard, le 22 juillet 1834, est promulguée une ordonnance d’annexion mettant un terme au statut juridique personnel des indigènes. Le droit français a maintenant l’exclusivité en Algérie, les autochtones sont entièrement rattachés à la France et le lien de sujétion à l’Empire ottoman est alors rompu. Au sujet de l’ordonnance, Patrick Weil commente : « Les indigènes musulmans ou juifs sont français. Mais ils ne jouissent ni des droits civils, ni des droits politiques : ils ont une nationalité de sujet, par défaut en quelque sorte, fondée non pas sur l’attribution de droits mais sur le fait que « placés sous la souveraineté directe et immédiate de la France, ils sont dans l’impossibilité de pouvoir en aucun cas revendiquer le bénéfice ou l’appui d’une autre nationalité : d’où il suit nécessairement que la qualité de Français pouvait seule désormais être la base et la règle de leur condition civile et sociale ». En 1848, la Constitution française, dans son article 109, affirme que : « l’Algérie est une terre française (…) le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution »[3]. Ce court article affiche la volonté du législateur d’assujettir les indigènes à des règles spécifiques et non universelles, ce qui les détache, de facto, des Français de métropole.
Le sénatus-consulte de 1865 : l’octroi d’une nationalité dépourvue de citoyenneté pour les indigènes
Le 14 juillet 1865, le sénatus-consulte sur l’état des personnes et la naturalisation en Algérie instaure un premier statut aux Algériens et aux étrangers vivant en Algérie. Dès lors, tous les Algériens, qu’ils soient juifs ou musulmans, et tous les étrangers vivant en Algérie, sont considérés comme des sujets français toutefois privés de certains droits civils et politiques. Une forme de “nationalité dénaturée” pour Patrick Weil, ou encore de “nationalité sans citoyenneté” pour Hervé Andrès, docteur en sciences juridiques et politiques français [4].
Le sénatus-consulte admet cette nationalité partielle en expliquant qu’il est possible d’envisager une pleine nationalité en suivant une procédure spécifique mais aussi en échange d’une renonciation par les indigènes de leur statut « personnel » précédent. Il s’agit, par exemple, de renoncer à la vie sous un régime islamique ou judaïque car ce statut serait incompatible avec certaines lois et mœurs françaises en matière de mariage ou de divorce par exemple. L’accès à la pleine nationalité est strictement individuel et ouvert uniquement aux indigènes ayant 21 ans et plus. La procédure est toutefois laborieuse, les indigènes se voient confrontés à plusieurs étapes administratives pour obtenir la pleine nationalité, semblable à la naturalisation des étrangers. Du côté de l’administration, l’attribution de cette nationalité française est perçue comme une faveur de l’Etat français et n’est donc pas garantie. Le sujet algérien qui souhaite voir cette procédure aboutir doit rendre un dossier avec une déclaration faite auprès du maire de sa commune affirmant sa volonté de se soumettre aux lois françaises et d’abandonner son statut personnel, un acte ou preuve d’état civil et un casier judiciaire, ainsi que des pièces complémentaires telles qu’un certificat de bonnes mœurs complété par une enquête effectuée sur le demandeur et sa famille. Ce sont ensuite les institutions françaises (préfecture, le gouvernement général, le ministère de la Justice…) qui se prononcent sur l’accord ou le rejet de la naturalisation. Durant toute la période coloniale ce sont seulement entre 5000 et 10 000 naturalisations de sujets algériens qui ont été prononcées. Cependant ce chiffre, très insignifiant, est à nuancer en raison d’abord des nombreux obstacles à l’acquisition de la pleine nationalité et plus particulièrement car il semblerait que les Algériens eux-mêmes n’aient pas recherché massivement à se faire naturaliser.
Les Algériens, sujets français vivant sur le territoire français, disposent ainsi d’un statut inférieur, encore plus même que celui des étrangers. Car ces derniers, s’ils sont naturalisés, transmettent automatiquement la pleine nationalité à leurs descendants. Par opposition, les descendants des sujets algériens ayant un statut personnel spécifique devront, eux, toujours passer par la procédure de pleine nationalité. Les ouvrages contemporains désignent aujourd’hui ces normes discriminatoires comme des “monstres juridiques” [5].
Le décret Crémieux de 1870 : la naturalisation des “Israélites indigènes”
Les indigènes juifs d’Algérie ont également été soumis aux discriminations liées à leur statut d’indigène. L’affaire Enos est une bonne illustration des difficultés auxquelles ils pouvaient être confrontés. L’affaire tire son nom d’Elie Enos, avocat né à Alger, juif, qui a fait la demande d’inscription au barreau d’Alger. Le 28 novembre 1861, le Conseil de l’ordre des avocats du barreau d’Alger rejette sa demande au motif qu’il n’a pas la nationalité française. La profession d’avocat est ainsi réservée aux seuls Français, et l’indigène qui ne justifie pas de cette nationalité s’en voit privé.
Dans ce contexte discriminatoire, 10 000 Juifs signent une pétition demandant leur naturalisation collective, remise en mai 1865 à Napoléon III lors de sa visite en Algérie. C’est ensuite le 24 octobre 1870 que le décret Crémieux est adopté, attribuant d’office aux “Israélites indigènes” la nationalité française. Pour les autorités, cette assimilation collective est vue comme un moyen de fidéliser la population juive d’Algérie et aura logiquement pour effet direct l’augmentation de la population française : 35 000 personnes, nombre d’indigènes juifs vivant à l’époque en Algérie, étant désormais naturalisées.
Ces indigènes gagnent donc la pleine nationalité et les droits qui en découlent, dont le droit de vote, mais ils perdent en conséquence leur statut personnel. Une partie des Juifs d’Algérie, attachés à leurs normes religieuses, s’est opposée à cette privation. Le décret est également remis en question par certains colons, militaires et administrateurs qui y voient la menace d’une présence “étrangère”et “indigène” forte, pouvant prendre le dessus en se prévalant de nouveaux droits.
Des propositions d’abrogation se matérialisent dès 1871, et le décret est modifié avec notamment une restriction de son champ d’application. Désormais, seuls les Juifs pouvant prouver qu’ils sont nés en Algérie avant la colonisation ou qu’ils sont enfants de Juifs nés en Algérie avant 1830 peuvent se prévaloir du texte et ainsi s’inscrire sur les listes électorales, participer aux élections etc… Sont en conséquence exclus les indigènes juifs du Sahara, conquis plus tard que les autres. La montée progressive de l’antisémitisme en métropole et l’arrivée du régime de Vichy affaiblira fortement le décret, dont l’abrogation est prononcée le 7 octobre 1940. Les Juifs naturalisés perdent alors la citoyenneté française et retrouvent leur statut personnel.
Décret numéro 136, dit Décret Crémieux, attribuant la citoyenneté française aux “indigènes israélites”
1881-1946 : L’application du Code de l’indigénat, un régime discriminatoire et discrétionnaire
Mis en place le 28 juin 1881 en Algérie et étendu en 1887 à l’ensemble des colonies françaises, le Code de l’Indigénat soumettait les « indigènes » à des règles différentes que les citoyens français, les Algériens musulmans se voyant appliquer des peines spéciales. Par exemple, interdiction de quitter sa commune sans permis de voyage, de tenir des propos offensant envers un agent de l’autorité, obligation d’obéir aux ordres de corvées, de transport ou de réquisition d’animaux, règles vestimentaires à respecter. Le Code de l’indigénat représente l’établissement d’un régime discriminatoire et discrétionnaire. Cet ensemble de normes spécifiques aux populations indigènes va davantage creuser le fossé entre le statut des indigènes et celui des plein-Français. Ce mécanisme fait des indigènes des justiciables spécifiques, différents des autres. « Les actes visés par le code ne sont pas réprimés en raison de leur nature, mais en raison de la qualité de leur auteur : tout à fait licites en temps ordinaire, ils deviennent répréhensibles si leur auteur est un « Arabe », autre nom de l’indigène musulman [6] ». 27 infractions spéciales sont mises en évidence : retard de 8 jours pour déclarer une naissance/décès, réunion sans autorisation, départ du territoire de la commune sans permis de voyage, actes irrespectueux envers les agents même en dehors de leurs fonctions etc…). Découlant de ces infractions, des sanctions sont aussi prévues allant du séquestre, à l’internement administratif, l’amende individuelle et même le travail forcé. Les indigènes ne peuvent faire appel de ces décisions. La moyenne des punitions entre 1898 et 1910 est de 20 000 punitions par an dont 600 000 jours de travail forcé. Sur le sujet des droits des Algériens, Ferhat Abbas, premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne, et ancien chef nationaliste algérien écrira : « Quand un Algérien se disait Arabe, les juristes français lui répondaient : non, tu es Français. Quand il réclamait les droits des Français, les mêmes juristes lui répondaient : non, tu es Arabe ! » [7].
1919-1962 : D’un droit de vote partiel des indigènes à l’auto-détermination des Algériens
Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France est consciente d’avoir une “dette de sang” aux indigènes qui ont combattu pour son drapeau. Le législateur rédige alors en 1919 la loi Jonnart, qui octroie certains droits politiques aux indigènes et ouvre à près de 500 000 Algériens la possibilité d’occuper quelques emplois subalternes de la fonction publique. Le droit de vote est également étendu à 100 000 indigènes musulmans, soit 10,5% de la population totale des plus de 25 ans, mais ne concerne que les élections des conseils généraux et délégations financières. Le champ est plus large pour les élections des conseils municipaux (45% soit 425 000 personnes).
Cet octroi du droit de vote est néanmoins soumis à des conditions d’âge : avoir au moins 25 ans, avoir réalisé son service militaire (avoir servi soi-même ou être père d’un fils ayant servi), être propriétaire, maîtriser la langue française, être de carrière (travailler ou avoir travaillé dans la fonction publique, avoir été élu pour un mandat quelconque ou décoré) et enfin avoir un parent ou un époux indigène naturalisé français. Les conditions sont donc nombreuses et difficilement, si ce n’est rarement, atteignables. De même, les femmes sont implicitement exclues du champ d’application de cette loi. En effet, elles ne participent pas aux campagnes militaires et ne peuvent détenir un mandat électif. Une femme a aussi moins de chance d’être propriétaire qu’un homme.
En 1936, une distinction est opérée par le législateur entre les indigènes et “l’élite indigène” composée d’indigènes militaires, diplômés, élus etc. Pour cette catégorie, la loi Blum-Violette avait prévu l’octroi de la pleine nationalité française, et il leur était également permis de conserver leur statut personnel. L’élite indigène bénéficiait ainsi du droit de vote et de son statut personnel. Mais cette loi a été un échec du fait du très faible nombre de personnes concernées, à peu près 24 000, et d’une forte opposition des institutions et des colons français.
L’ordonnance du 7 mars 1944 opère un tournant juridique en mettant un terme au Code de l’indigénat. En principe, les Algériens sont désormais soumis aux mêmes lois et institutions juridiques que les Français. Un nouveau collège électoral est créé pour les élections municipales et générales, il regroupe les indigènes « non-citoyens » de plus de 21 ans. L’élite indigène est aussi élargie (aux personnes décorées par exemple), ce qui augmente le nombre de membres du premier collège électoral. Par ailleurs, la loi Lamine Guèye du 7 mai 1946 vient reconnaître la citoyenneté française à « tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (Algérie comprise) [8]». Tous les Algériens de plus de 21 ans peuvent profiter du droit de vote : « Tous les ressortissants des territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d’outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exercent leurs droits de citoyens ». [9]
Le 20 septembre 1947, un nouveau statut est introduit dans le but, en principe, d’instaurer l’égalité politique et civique et l’égal accès aux fonctions publiques pour les Algériens et la création d’une Assemblée algérienne. Néanmoins, celle-ci est dotée de deux collèges : 60 délégués pour le million d’habitants d’origine européenne, 60 autres pour les 9 millions de musulmans. Plus encore, tandis que le premier collège est choisi au suffrage universel, les deux tiers du second sont désignés directement par l’administration coloniale. On ne parle plus d’indigènes mais de « Français musulmans » même s’ils sont régis par un « statut local » à l’inverse du statut civil pour les « Français ». Le critère de séparation de ces deux catégories est désormais géographique. Concernant les femmes algériennes, celles-ci n’ont pas de droit de vote ni de droits politiques, même si les femmes françaises peuvent en profiter depuis 1944.
1954, la guerre éclate. La France adopte une série d’ordonnances pour apaiser les tensions. Les ordonnances du 15 novembre 1958 mettent un terme au système du double collège, il n’existe dorénavant qu’une seule catégorie de Français grâce à la fusion des populations. Des efforts sont aussi effectués en matière de représentation politique, des députés algériens peuvent maintenant être candidats aux élections législatives, le nombre est calculé en fonction des 18 circonscriptions algériennes.
Tableau représentant la répartition des députés à élire pour les circonscriptions d’Algérie
Avec l’indépendance, vient l’heure de faire les comptes. Les Algériens naturalisés ne regroupent qu’entre 5 000 et 10 000 personnes (chiffres approximatifs), et ce, pendant toute la période de colonisation jusqu’à l’indépendance [11]. Pour les autres, la possibilité de rester Français existe « à condition de souscrire en France (c’est-à-dire en métropole ou dans les départements d’outre-mer), avant le 22 mars 1967, une déclaration de reconnaissance de la nationalité régulièrement enregistrée par le ministre chargé des Naturalisations [12]».
L’étude du statut des indigènes d’Algérie et des droits qui en découlent n’est pas évidente. Y a-t-il vraiment eu un réel droit de vote pour les Algériens pendant la colonisation ? Oui et non. Oui, ce droit a été octroyé de manière universelle vers la fin de l’occupation, entre 1946 et 1947, 16 ans avant l’indépendance. Mais qu’en est-il des 116 autres années sous domination française ? Les lois de 1946 et 1947 elles-mêmes, ont-elles une vocation universelle ? Il apparait évident que non. Les femmes algériennes sont exclues, les voix des indigènes ne valent pas celles des autres Français. En ce qui concerne les années précédentes, les indigènes, dans leur ensemble, ont systématiquement été exclus du suffrage. Entre manipulation des textes juridiques, instauration de statuts spécifiques et inférieurs, de procédures complexes, d’une administration réticente, l’exclusion de certains et l’accord de privilèges à d’autres, l’Etat français a bien mis en évidence le constat émis par Ferhat Abbas au début de cet article. Concernant les chercheurs français, Patrick Weil énonce : “Jamais ailleurs qu’en Algérie, le régime républicain n’avait poussé aussi loin la confusion entre les mots du droit et les choses du vécu et vidé de leur contenu les termes mêmes de nationalité et d’égalité” [14]. Benjamin Stora écrit également en ce sens que : “Les Algériens Musulmans, les plus nombreux et majoritaires, sont dans cette Algérie francaise, de faux citoyens d’une République assimilationniste. Pendant longtemps, ils ne peuvent accéder à la pleine citoyenneté qu’en abandonnant leur « statut personnel » de musulman. Une série de décrets, de lois, de mesures, relevant d’un droit parallèle, les place en porte à faux vis-à-vis de la République pourtant décrite comme « une et indivisible ». Les ordonnances de 1944, le statut de 1947 concernant l’Algerie instituent enfin le droit de vote. Mais dans le cadre d’un « double collège » : une voix d’Européen vaut huit voix d’Algériens”. [15]
[1] Blévis Laure, « En marge du décret Crémieux. Les Juifs naturalisés français en Algérie (1865 – 1919) », Archives Juives, 2012/2 (Vol. 45), p. 47-67. DOI : 10.3917/aj.452.0047.
[2] Weil Patrick, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », Histoire de la justice, 2005/1 (N° 16), p. 93-109.
[4] ANDRES Hervé, Droit de vote : de l’exclusion des indigènes colonisés à celle des immigrés
[5] Jean Mélia, Le triste sort des musulmans indigènes d’Algérie, Paris, Mercure de France, 1935, p. 33-34.
[6] Olivier Le Cour Grandmaison, De l’indigénat — Anatomie d’un monstre juridique : Le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français, Paris, La Découverte, 2010, 197 p.
[7] Ferhat Abbas, Guerre et révolution, La Nuit coloniale, 1962
[8] Laura Blévis, “Les avatars de la citoyenneté en Algérie coloniale ou les paradoxes d’une catégorisation”, Droit et société, vol. 2 no 48, 2001, p. 557-581
[9] Mohamed Sahia Cherchari, « Indigènes et citoyens ou l’impossible universalisation du suffrage », Revue française de droit constitutionnel, vol. 4, no 60, 2004, p. 741-770
[10] Article 80, Constitution de 1946
[11] Bernard Droz, “L’élection législative du 30 novembre 1958 en Algérie”, Outres-Mer, Revue d’Histoire, 2008
[12] Blévis Laure, “La citoyenneté française au miroir de la colonisation: étude des demandes de naturalisation des “sujets français” en Algérie coloniale, Belin, “Genèses”, 2003/4 no53, pages 25 à 47
[13] Patrick Weil, ibid.
[14] Weil Patrick, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », Histoire de la justice, 2005/1 (N° 16), p. 93-109.
[15] Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie, Editions La Découverte, p. 21
En 1962, Ferhat Abbas déclarait : « Quand un Algérien se disait Arabe, les juristes français lui répondaient : non, tu es Français. Quand il réclamait les droits des Français, les mêmes juristes lui répondaient : non, tu es Arabe ! ». Etude du droit de vote des Algériens durant la colonisation et la guerre. Par Fatna et Farah.
Le second tour de l’élection présidentielle française approche à grands pas. Naturellement, et comme il est de coutume, les Français sont invités à faire valoir leur droit fondamental, tellement fondamental, qu’on l’apparente souvent à un devoir citoyen : le droit de vote. Source de fierté pour certains, pris pour acquis pour d’autres, et même parfois source de contrariété ou de négligence, peu importe, la question du droit de vote ne se pose plus. Le vote apparaît pour chaque Français comme un droit inébranlable qui découle de la nationalité française, acquise dès la naissance ou via naturalisation. Cependant, ce lien entre nationalité et droit de vote n’a pas toujours été évident. Notamment dans les colonies françaises et plus spécifiquement en Algérie, où l’étude des lois et textes juridiques spécifiques aux “indigènes” démontre le refus de l’Etat français d’accorder aux Algériens les mêmes droits civils que les Français. Essayons de retracer les contours de cette acquisition du droit de vote.
Les débuts de la colonisation : l’assujettissement des indigènes
Avant l’arrivée des français en 1830, l’Algérie était une province autonome de l’Empire ottoman. Les Algériens étaient sujets à leurs propres normes souvent coutumières et religieuses, qu’ils soient Musulmans ou Juifs. Ils disposaient d’un « statut juridique personnel spécifique, d’origine religieuse [1]» dont le respect était garanti par la France après la conquête. Concrètement, cela permettait aux Algériens musulmans de se baser sur le droit musulman et les préceptes coraniques, et aux Algériens juifs de se référer au droit mosaïque pour régir leur communauté. En effet, à l’occasion de la signature de l’acte de capitulation du 5 juillet 1830, la France s’est engagée « à ne pas porter atteinte à la liberté des habitants de toutes classes et à leur religion [2]»
Convention franco-algérienne de 1830 aussi appelée Acte de Capitulation du 5 juillet 1830
Néanmoins Patrick Weil, politologue français et spécialiste du droit des immigrés, alerte sur cet octroi de libertés, qui n’apparaît bienveillant qu’en façade. Il écrit : « Un tel statut pouvait paraître l’octroi par le vainqueur d’un privilège au vaincu : le droit de s’auto-administrer. Très vite il apparaît qu’il ne s’agit que de laisser les musulmans sous l’application des lois personnelles et successorales dépendant des perceptions du Coran. Dans tous les autres domaines, ils se voient soumis à un statut juridique d’infériorité ». Effectivement, quelques années plus tard, le 22 juillet 1834, est promulguée une ordonnance d’annexion mettant un terme au statut juridique personnel des indigènes. Le droit français a maintenant l’exclusivité en Algérie, les autochtones sont entièrement rattachés à la France et le lien de sujétion à l’Empire ottoman est alors rompu. Au sujet de l’ordonnance, Patrick Weil commente : « Les indigènes musulmans ou juifs sont français. Mais ils ne jouissent ni des droits civils, ni des droits politiques : ils ont une nationalité de sujet, par défaut en quelque sorte, fondée non pas sur l’attribution de droits mais sur le fait que « placés sous la souveraineté directe et immédiate de la France, ils sont dans l’impossibilité de pouvoir en aucun cas revendiquer le bénéfice ou l’appui d’une autre nationalité : d’où il suit nécessairement que la qualité de Français pouvait seule désormais être la base et la règle de leur condition civile et sociale ». En 1848, la Constitution française, dans son article 109, affirme que : « l’Algérie est une terre française (…) le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution »[3]. Ce court article affiche la volonté du législateur d’assujettir les indigènes à des règles spécifiques et non universelles, ce qui les détache, de facto, des Français de métropole.
Le sénatus-consulte de 1865 : l’octroi d’une nationalité dépourvue de citoyenneté pour les indigènes
Le 14 juillet 1865, le sénatus-consulte sur l’état des personnes et la naturalisation en Algérie instaure un premier statut aux Algériens et aux étrangers vivant en Algérie. Dès lors, tous les Algériens, qu’ils soient juifs ou musulmans, et tous les étrangers vivant en Algérie, sont considérés comme des sujets français toutefois privés de certains droits civils et politiques. Une forme de “nationalité dénaturée” pour Patrick Weil, ou encore de “nationalité sans citoyenneté” pour Hervé Andrès, docteur en sciences juridiques et politiques français [4].
Le sénatus-consulte admet cette nationalité partielle en expliquant qu’il est possible d’envisager une pleine nationalité en suivant une procédure spécifique mais aussi en échange d’une renonciation par les indigènes de leur statut « personnel » précédent. Il s’agit, par exemple, de renoncer à la vie sous un régime islamique ou judaïque car ce statut serait incompatible avec certaines lois et mœurs françaises en matière de mariage ou de divorce par exemple. L’accès à la pleine nationalité est strictement individuel et ouvert uniquement aux indigènes ayant 21 ans et plus. La procédure est toutefois laborieuse, les indigènes se voient confrontés à plusieurs étapes administratives pour obtenir la pleine nationalité, semblable à la naturalisation des étrangers. Du côté de l’administration, l’attribution de cette nationalité française est perçue comme une faveur de l’Etat français et n’est donc pas garantie. Le sujet algérien qui souhaite voir cette procédure aboutir doit rendre un dossier avec une déclaration faite auprès du maire de sa commune affirmant sa volonté de se soumettre aux lois françaises et d’abandonner son statut personnel, un acte ou preuve d’état civil et un casier judiciaire, ainsi que des pièces complémentaires telles qu’un certificat de bonnes mœurs complété par une enquête effectuée sur le demandeur et sa famille. Ce sont ensuite les institutions françaises (préfecture, le gouvernement général, le ministère de la Justice…) qui se prononcent sur l’accord ou le rejet de la naturalisation. Durant toute la période coloniale ce sont seulement entre 5000 et 10 000 naturalisations de sujets algériens qui ont été prononcées. Cependant ce chiffre, très insignifiant, est à nuancer en raison d’abord des nombreux obstacles à l’acquisition de la pleine nationalité et plus particulièrement car il semblerait que les Algériens eux-mêmes n’aient pas recherché massivement à se faire naturaliser.
Les Algériens, sujets français vivant sur le territoire français, disposent ainsi d’un statut inférieur, encore plus même que celui des étrangers. Car ces derniers, s’ils sont naturalisés, transmettent automatiquement la pleine nationalité à leurs descendants. Par opposition, les descendants des sujets algériens ayant un statut personnel spécifique devront, eux, toujours passer par la procédure de pleine nationalité. Les ouvrages contemporains désignent aujourd’hui ces normes discriminatoires comme des “monstres juridiques” [5].
Le décret Crémieux de 1870 : la naturalisation des “Israélites indigènes”
Les indigènes juifs d’Algérie ont également été soumis aux discriminations liées à leur statut d’indigène. L’affaire Enos est une bonne illustration des difficultés auxquelles ils pouvaient être confrontés. L’affaire tire son nom d’Elie Enos, avocat né à Alger, juif, qui a fait la demande d’inscription au barreau d’Alger. Le 28 novembre 1861, le Conseil de l’ordre des avocats du barreau d’Alger rejette sa demande au motif qu’il n’a pas la nationalité française. La profession d’avocat est ainsi réservée aux seuls Français, et l’indigène qui ne justifie pas de cette nationalité s’en voit privé.
Dans ce contexte discriminatoire, 10 000 Juifs signent une pétition demandant leur naturalisation collective, remise en mai 1865 à Napoléon III lors de sa visite en Algérie. C’est ensuite le 24 octobre 1870 que le décret Crémieux est adopté, attribuant d’office aux “Israélites indigènes” la nationalité française. Pour les autorités, cette assimilation collective est vue comme un moyen de fidéliser la population juive d’Algérie et aura logiquement pour effet direct l’augmentation de la population française : 35 000 personnes, nombre d’indigènes juifs vivant à l’époque en Algérie, étant désormais naturalisées.
Ces indigènes gagnent donc la pleine nationalité et les droits qui en découlent, dont le droit de vote, mais ils perdent en conséquence leur statut personnel. Une partie des Juifs d’Algérie, attachés à leurs normes religieuses, s’est opposée à cette privation. Le décret est également remis en question par certains colons, militaires et administrateurs qui y voient la menace d’une présence “étrangère”et “indigène” forte, pouvant prendre le dessus en se prévalant de nouveaux droits.
Des propositions d’abrogation se matérialisent dès 1871, et le décret est modifié avec notamment une restriction de son champ d’application. Désormais, seuls les Juifs pouvant prouver qu’ils sont nés en Algérie avant la colonisation ou qu’ils sont enfants de Juifs nés en Algérie avant 1830 peuvent se prévaloir du texte et ainsi s’inscrire sur les listes électorales, participer aux élections etc… Sont en conséquence exclus les indigènes juifs du Sahara, conquis plus tard que les autres. La montée progressive de l’antisémitisme en métropole et l’arrivée du régime de Vichy affaiblira fortement le décret, dont l’abrogation est prononcée le 7 octobre 1940. Les Juifs naturalisés perdent alors la citoyenneté française et retrouvent leur statut personnel.
Décret numéro 136, dit Décret Crémieux, attribuant la citoyenneté française aux “indigènes israélites”
1881-1946 : L’application du Code de l’indigénat, un régime discriminatoire et discrétionnaire
Mis en place le 28 juin 1881 en Algérie et étendu en 1887 à l’ensemble des colonies françaises, le Code de l’Indigénat soumettait les « indigènes » à des règles différentes que les citoyens français, les Algériens musulmans se voyant appliquer des peines spéciales. Par exemple, interdiction de quitter sa commune sans permis de voyage, de tenir des propos offensant envers un agent de l’autorité, obligation d’obéir aux ordres de corvées, de transport ou de réquisition d’animaux, règles vestimentaires à respecter. Le Code de l’indigénat représente l’établissement d’un régime discriminatoire et discrétionnaire. Cet ensemble de normes spécifiques aux populations indigènes va davantage creuser le fossé entre le statut des indigènes et celui des plein-Français. Ce mécanisme fait des indigènes des justiciables spécifiques, différents des autres. « Les actes visés par le code ne sont pas réprimés en raison de leur nature, mais en raison de la qualité de leur auteur : tout à fait licites en temps ordinaire, ils deviennent répréhensibles si leur auteur est un « Arabe », autre nom de l’indigène musulman [6] ». 27 infractions spéciales sont mises en évidence : retard de 8 jours pour déclarer une naissance/décès, réunion sans autorisation, départ du territoire de la commune sans permis de voyage, actes irrespectueux envers les agents même en dehors de leurs fonctions etc…). Découlant de ces infractions, des sanctions sont aussi prévues allant du séquestre, à l’internement administratif, l’amende individuelle et même le travail forcé. Les indigènes ne peuvent faire appel de ces décisions. La moyenne des punitions entre 1898 et 1910 est de 20 000 punitions par an dont 600 000 jours de travail forcé. Sur le sujet des droits des Algériens, Ferhat Abbas, premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne, et ancien chef nationaliste algérien écrira : « Quand un Algérien se disait Arabe, les juristes français lui répondaient : non, tu es Français. Quand il réclamait les droits des Français, les mêmes juristes lui répondaient : non, tu es Arabe ! » [7].
1919-1962 : D’un droit de vote partiel des indigènes à l’auto-détermination des Algériens
Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France est consciente d’avoir une “dette de sang” aux indigènes qui ont combattu pour son drapeau. Le législateur rédige alors en 1919 la loi Jonnart, qui octroie certains droits politiques aux indigènes et ouvre à près de 500 000 Algériens la possibilité d’occuper quelques emplois subalternes de la fonction publique. Le droit de vote est également étendu à 100 000 indigènes musulmans, soit 10,5% de la population totale des plus de 25 ans, mais ne concerne que les élections des conseils généraux et délégations financières. Le champ est plus large pour les élections des conseils municipaux (45% soit 425 000 personnes).
Cet octroi du droit de vote est néanmoins soumis à des conditions d’âge : avoir au moins 25 ans, avoir réalisé son service militaire (avoir servi soi-même ou être père d’un fils ayant servi), être propriétaire, maîtriser la langue française, être de carrière (travailler ou avoir travaillé dans la fonction publique, avoir été élu pour un mandat quelconque ou décoré) et enfin avoir un parent ou un époux indigène naturalisé français. Les conditions sont donc nombreuses et difficilement, si ce n’est rarement, atteignables. De même, les femmes sont implicitement exclues du champ d’application de cette loi. En effet, elles ne participent pas aux campagnes militaires et ne peuvent détenir un mandat électif. Une femme a aussi moins de chance d’être propriétaire qu’un homme.
En 1936, une distinction est opérée par le législateur entre les indigènes et “l’élite indigène” composée d’indigènes militaires, diplômés, élus etc. Pour cette catégorie, la loi Blum-Violette avait prévu l’octroi de la pleine nationalité française, et il leur était également permis de conserver leur statut personnel. L’élite indigène bénéficiait ainsi du droit de vote et de son statut personnel. Mais cette loi a été un échec du fait du très faible nombre de personnes concernées, à peu près 24 000, et d’une forte opposition des institutions et des colons français.
L’ordonnance du 7 mars 1944 opère un tournant juridique en mettant un terme au Code de l’indigénat. En principe, les Algériens sont désormais soumis aux mêmes lois et institutions juridiques que les Français. Un nouveau collège électoral est créé pour les élections municipales et générales, il regroupe les indigènes « non-citoyens » de plus de 21 ans. L’élite indigène est aussi élargie (aux personnes décorées par exemple), ce qui augmente le nombre de membres du premier collège électoral. Par ailleurs, la loi Lamine Guèye du 7 mai 1946 vient reconnaître la citoyenneté française à « tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (Algérie comprise) [8]». Tous les Algériens de plus de 21 ans peuvent profiter du droit de vote : « Tous les ressortissants des territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d’outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exercent leurs droits de citoyens ». [9]
Le 20 septembre 1947, un nouveau statut est introduit dans le but, en principe, d’instaurer l’égalité politique et civique et l’égal accès aux fonctions publiques pour les Algériens et la création d’une Assemblée algérienne. Néanmoins, celle-ci est dotée de deux collèges : 60 délégués pour le million d’habitants d’origine européenne, 60 autres pour les 9 millions de musulmans. Plus encore, tandis que le premier collège est choisi au suffrage universel, les deux tiers du second sont désignés directement par l’administration coloniale. On ne parle plus d’indigènes mais de « Français musulmans » même s’ils sont régis par un « statut local » à l’inverse du statut civil pour les « Français ». Le critère de séparation de ces deux catégories est désormais géographique. Concernant les femmes algériennes, celles-ci n’ont pas de droit de vote ni de droits politiques, même si les femmes françaises peuvent en profiter depuis 1944.
1954, la guerre éclate. La France adopte une série d’ordonnances pour apaiser les tensions. Les ordonnances du 15 novembre 1958 mettent un terme au système du double collège, il n’existe dorénavant qu’une seule catégorie de Français grâce à la fusion des populations. Des efforts sont aussi effectués en matière de représentation politique, des députés algériens peuvent maintenant être candidats aux élections législatives, le nombre est calculé en fonction des 18 circonscriptions algériennes.
Tableau représentant la répartition des députés à élire pour les circonscriptions d’Algérie
Avec l’indépendance, vient l’heure de faire les comptes. Les Algériens naturalisés ne regroupent qu’entre 5 000 et 10 000 personnes (chiffres approximatifs), et ce, pendant toute la période de colonisation jusqu’à l’indépendance [11]. Pour les autres, la possibilité de rester Français existe « à condition de souscrire en France (c’est-à-dire en métropole ou dans les départements d’outre-mer), avant le 22 mars 1967, une déclaration de reconnaissance de la nationalité régulièrement enregistrée par le ministre chargé des Naturalisations [12]».
L’étude du statut des indigènes d’Algérie et des droits qui en découlent n’est pas évidente. Y a-t-il vraiment eu un réel droit de vote pour les Algériens pendant la colonisation ? Oui et non. Oui, ce droit a été octroyé de manière universelle vers la fin de l’occupation, entre 1946 et 1947, 16 ans avant l’indépendance. Mais qu’en est-il des 116 autres années sous domination française ? Les lois de 1946 et 1947 elles-mêmes, ont-elles une vocation universelle ? Il apparait évident que non. Les femmes algériennes sont exclues, les voix des indigènes ne valent pas celles des autres Français. En ce qui concerne les années précédentes, les indigènes, dans leur ensemble, ont systématiquement été exclus du suffrage. Entre manipulation des textes juridiques, instauration de statuts spécifiques et inférieurs, de procédures complexes, d’une administration réticente, l’exclusion de certains et l’accord de privilèges à d’autres, l’Etat français a bien mis en évidence le constat émis par Ferhat Abbas au début de cet article. Concernant les chercheurs français, Patrick Weil énonce : “Jamais ailleurs qu’en Algérie, le régime républicain n’avait poussé aussi loin la confusion entre les mots du droit et les choses du vécu et vidé de leur contenu les termes mêmes de nationalité et d’égalité” [14]. Benjamin Stora écrit également en ce sens que : “Les Algériens Musulmans, les plus nombreux et majoritaires, sont dans cette Algérie francaise, de faux citoyens d’une République assimilationniste. Pendant longtemps, ils ne peuvent accéder à la pleine citoyenneté qu’en abandonnant leur « statut personnel » de musulman. Une série de décrets, de lois, de mesures, relevant d’un droit parallèle, les place en porte à faux vis-à-vis de la République pourtant décrite comme « une et indivisible ». Les ordonnances de 1944, le statut de 1947 concernant l’Algerie instituent enfin le droit de vote. Mais dans le cadre d’un « double collège » : une voix d’Européen vaut huit voix d’Algériens”. [15]
[1] Blévis Laure, « En marge du décret Crémieux. Les Juifs naturalisés français en Algérie (1865 – 1919) », Archives Juives, 2012/2 (Vol. 45), p. 47-67. DOI : 10.3917/aj.452.0047.
[2] Weil Patrick, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », Histoire de la justice, 2005/1 (N° 16), p. 93-109.
[4] ANDRES Hervé, Droit de vote : de l’exclusion des indigènes colonisés à celle des immigrés
[5] Jean Mélia, Le triste sort des musulmans indigènes d’Algérie, Paris, Mercure de France, 1935, p. 33-34.
[6] Olivier Le Cour Grandmaison, De l’indigénat — Anatomie d’un monstre juridique : Le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français, Paris, La Découverte, 2010, 197 p.
[7] Ferhat Abbas, Guerre et révolution, La Nuit coloniale, 1962
[8] Laura Blévis, “Les avatars de la citoyenneté en Algérie coloniale ou les paradoxes d’une catégorisation”, Droit et société, vol. 2 no 48, 2001, p. 557-581
[9] Mohamed Sahia Cherchari, « Indigènes et citoyens ou l’impossible universalisation du suffrage », Revue française de droit constitutionnel, vol. 4, no 60, 2004, p. 741-770
[10] Article 80, Constitution de 1946
[11] Bernard Droz, “L’élection législative du 30 novembre 1958 en Algérie”, Outres-Mer, Revue d’Histoire, 2008
[12] Blévis Laure, “La citoyenneté française au miroir de la colonisation: étude des demandes de naturalisation des “sujets français” en Algérie coloniale, Belin, “Genèses”, 2003/4 no53, pages 25 à 47
[13] Patrick Weil, ibid.
[14] Weil Patrick, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », Histoire de la justice, 2005/1 (N° 16), p. 93-109.
[15] Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie, Editions La Découverte, p. 21
Une contribution de Khider Mesloub – A la suite de la publication de mon article, intitulé «Les Comoriens sont plus chez eux que les colonisateurs français», certains commentateurs algériens ont défendu «le droit de la France à expulser les Comoriens. Car, selon eux, Mayotte lui appartient». «Légalement, la France est chez elle à Mayotte puisque ses habitants (Mahorais) ont voté pour rejoindre la France lors d’un référendum. Les Comoriens n’ont aucun droit légal sur Mayotte. On doit respecter ce droit», écrit un commentateur.
Ces Algériens, probablement établis en France, comme la majorité des Français, ont fait de l’ignorance une vertu. Et de la xénophobie leur morale. Aussi piétiner l’histoire et écraser les peuples de couleur s’intègrent-ils dans la même logique et entreprise coloniales.
L’ignorance de la véritable histoire portant sur l’indépendance de l’archipel des Comores, conjuguée avec leur conditionnement par la propagande néocolonialiste française, expliquerait leur fourvoiement. Leur dévoiement. Et donc leur dévouement à la cause coloniale et impérialiste française.
Un rappel historique sur les tenants et aboutissants du processus d’indépendance de l’archipel des Comores leur permettra probablement d’infléchir leur jugement néocolonial, de changer d’opinion.
Dans le sillage des décolonisations initiées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quoique tardivement, l’archipel des Comores décide d’enclencher le processus d’autodétermination.
Il est utile de rappeler que l’archipel des Comores est composé de quatre grandes îles comprenant Mayotte, Anjouan, Mohéli et la Grande Comore. Un archipel uni par l’appartenance ethnique, l’histoire et la religion (l’islam). Autrement dit, ces populations forment un même et seul peuple d’obédience musulmane. Les Mahorais sont des Comoriens. L’appellation même de Mahorais, en tant qu’entité autonome, a été créée par la France coloniale. Ainsi, les quatre îles de l’archipel des Comores partagent la même langue, la même religion, la même culture.
Au début des années 1970, des accords sont passés avec la France relatifs à l’accession à l’indépendance des Comores. Sur les quatre îles, une île se distingue par son inclination francophile cultivée par quelques lettrés : Mayotte, habitée par ce que l’on désigne improprement par le néologisme Mahorais, terme confectionné par la France coloniale à des fins de séparatisme. Autrement dit, la France applique le séparatisme (cette position politique visant à la séparation d’un groupe culturel, ethnique, tribal, religieux, racial, politique ou autre d’un groupe plus large, en vue de se constituer en communauté distincte ou «nation» indépendante) depuis des décennies. Non pas sur son territoire mais sur un territoire d’un pays étranger (Liban, Comores, etc.), qu’elle convoite, qu’elle compte occuper ou contrôler. Avec la France impérialiste, c’est diviser la population, non pas seulement pour mieux régner, mais pour bien rogner le territoire d’un pays souverain.
Le 22 décembre 1974, lors du référendum d’autodétermination des Comores, cette «élite mahoraise» obtient à Mayotte un vote à 63,8% contre l’indépendance. Les trois autres îles votent à près de 100% en faveur de l’indépendance. Pour l’ONU, seul le résultat du référendum pour l’ensemble des Comores est valide. Donc, l’indépendance de l’archipel des Comores est reconnue par toutes les instances internationales. Y compris par la France. Avant, par un de coup de théâtre dont elle est coutumière, de se raviser. De réviser sa position.
Lorsque, le 6 juillet 1975, l’Assemblée des Comores proclame l’indépendance des quatre indissociables îles formant l’archipel des Comores, le gouvernement français, par la voix de son porte-parole, entérine la position officielle française : «Le gouvernement se déclare disposé à entamer avec les nouvelles autorités les pourparlers concernant les transferts de responsabilités. S’agissant de l’île de Mayotte, le gouvernement tiendra compte de la volonté ainsi manifestée.» Ainsi, pour autant qu’on puisse en juger par les déclarations officielles du porte-parole du gouvernement, l’Etat français reconnaît la souveraineté de la nouvelle République des Comores sur Mayotte, quoiqu’une des îles ait voté pour son maintien au sein de la France. Car la France s’était prononcée favorablement pour le décompte global des suffrages sur l’ensemble de l’archipel, et non île par île.
A cette date, aucun dirigeant français n’évoque une division ultérieure du territoire comorien. Y compris Valéry Giscard d’Estaing, fraîchement élu président de la République. Au mois d’octobre 1974, lors d’une conférence, il rappelle avec insistance la position officielle de l’Etat français concernant l’archipel des Comores : «Pour ce qui est de l’île Mayotte, le texte a été évoqué par l’Assemblée nationale, il s’agit de l’archipel des Comores (…). C’est une population qui est homogène, dans laquelle n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, ou un peuplement très limité. Etait-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. Il est naturel que leur sort soit un sort commun, même si, en effet, certains d’entre eux pouvaient souhaiter (et ceci naturellement nous touche), eh bien que nous ne puissions pas, ne devions pas en tirer les conséquences, même si certains pouvaient souhaiter une autre solution ? Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores.» Telle est la position officielle de la France relativement à l’indépendance de l’archipel des Comores, dont l’intangibilité des frontières est également reconnue. Elle ne souffre aucune ambiguïté.
Et pourtant, pour d’évidentes raisons géostratégiques et sous la pression du lobby militariste, la France va trahir ses engagements diplomatiques. La France opère un virage à 180 degrés. Selon la puissance impérialiste française, Mayotte doit à tout prix demeurer dans le giron néocolonial tricolore. Pour la France impérialiste, cet archipel de l’océan Indien, du moins l’île de Mayotte, constitue un intérêt capital pour sa situation géostratégique sur la route maritime de l’Est africain. C’est un axe majeur du commerce mondial. Implantée dans une région centrale de l’océan Indien et au nord du Canal du Mozambique, l’île de Mayotte représente un enjeu militaire pour l’impérialisme français et un poste avancé de sa domination dans la région. Au reste, dès 1975, la base de la Légion étrangère, auparavant établie dans la Grande Comore, est transférée à Mayotte. En 1976 est installée une base navale d’une dimension plus étendue.
En violation du droit international, des résolutions de l’ONU et des engagements explicitement formulés par le président Valéry Giscard d’Estaing lors de sa conférence d’octobre 1974, la France décide d’organiser en février 1976 un référendum d’annexion pour la seule Mayotte, car celle-ci avait voté lors du scrutin pour l’indépendance de l’archipel en 1974 pour son maintien dans la France. (Comme si, après les deux référendums sur l’autodétermination de l’Algérie organisés les 8 janvier 1961 et le 1er juillet 1962, tous deux ayant approuvé largement l’indépendance, par un retournement de situation, le gouvernement français avait décidé d’organiser un troisième référendum uniquement en Algérie. C’est-à-dire où seuls les pieds-noirs auraient eu le droit de se prononcer sur l’indépendance de l’Algérie. Le résultat serait totalement différent : 99% auraient voté pour le maintien du statu quo, autrement dit l’Algérie française.)
C’est dans un climat émaillé de violences (déjà !), d’affrontements, d’intimidations, voire d’expulsions des Comoriens partisans de l’unité de l’archipel que l’illégal référendum d’annexion de Mayotte est organisé par l’Etat colonial français. Avec une population locale analphabète à 80%, conditionnée par l’élite mahoraise francophile, un scrutin cornaqué de main de maître par les services secrets français, le résultat atteint, sans surprise, un chiffre brejnévien : 99,4% des votes exprimés se portent en faveur du maintien au sein du domaine français.
Cela étant, ce référendum d’annexion n’a jamais été reconnu par les instances internationales. Ni par l’ONU. Aussi la France, depuis 1976, est hors la loi. Elle est considérée comme une force d’occupation. Depuis lors, l’ONU réaffirme en permanence la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mohéli et, bien sûr, de Mayotte.
Ainsi, sous l’instigation criminelle de la France, c’est-à-dire en violation du droit international, Mayotte (mentalement colonisée) fait sécession, sur la base d’un référendum illégitime et illégal, voté par une population analphabète dont la majorité ne parle absolument pas français, ni ne sait où est située la France. Qui est plus, un référendum d’annexion avalisé par seulement 17 850 votants. Question : à supposer que la Corse veuille redevenir italienne, et organise, avec l’aide de l’Italie, un référendum de rattachement à l’Italie. Comment la France réagirait-elle ? Reconnaîtrait-elle ce rattachement ?
La République des Comores continue naturellement de contester ce qu’elle considère comme une annexion, une occupation coloniale de son territoire. Le rattachement de Mayotte a immédiatement été suivi par l’adoption de nombreuses résolutions de l’ONU visant la France. De même, la communauté internationale est toujours demeurée unanime pour reconnaître cette évidence : le caractère comorien de l’île comorienne de Mayotte. Pour l’ensemble des instances internationales, la France a violé le droit international en arrachant Mayotte à son archipel comorien. Condamnée plus de vingt fois par l’ONU et l’Union africaine, cette occupation demeure illégale.
Pis. Selon certains juristes français, «l’intégration de Mayotte au territoire français est non seulement contraire au droit international, elle bafoue également le droit français». Car, selon ces constitutionnalistes «la République ne peut s’augmenter de portions de territoire par le vote unilatéral d’une entité extranationale ou territoriale. Il faut, selon l’article 3 de la Constitution, l’assentiment du peuple français dans son entier». Autrement dit, seul le peuple français, consulté par voie référendaire, dispose du droit d’avaliser l’extension territoriale. Or, les Français n’ont jamais été sollicités pour approuver l’annexion de Mayotte. Comme le soulignent les juristes, les habitants de Mayotte ne constituant pas un peuple à part entière, conformément à la définition du droit international, ils sont donc comoriens depuis la déclaration d’indépendance de l’archipel des Comores»…
Pis. D’après ces juristes, «les actes juridiques des référendums de 1976 et celui de mars 2009 relatif à la départementalisation (laquelle est devenue effective le 1er mars 2011) sont des actes juridiquement inconstitutionnels et, par conséquent, nuls de plein droit». Notamment le «visa Balladur» qui a supprimé la liberté de circulation entre Mayotte et le reste de l’archipel des Comores.
Pis. L’hypocrisie de l’Etat français se dévoile sur le registre religieux. Pour ménager les Mahorais (acheter leurs voix et leur asservissement colonial), majoritairement musulmans, et continuer à se ménager une place dorée sur l’île de Mayotte, l’Etat français impérialiste a dû faire d’énormes concessions. Quitte à enfreindre la loi. A piétiner la Constitution. A bafouer ses «principes républicains et laïcs».
En effet, pendant que les dirigeants français, depuis plus de quarante ans, au nom de la laïcité, pourchassaient, dans l’Hexagone, toute entorse aux principes «républicains», condamnaient des citoyens français de confession musulmane pour de vénielles infractions à caractère religieux, Mayotte, censément département français, était livrée aux confréries islamiques. A la charia (désignée sous la locution euphémistique «droit coranique»). Par exemple, l’Etat civil était/est encore géré par les cadis. Les juges de paix sont musulmans et souvent illettrés. La polygamie est restée une pratique courante. La loi restreint l’héritage des femmes à la moitié de celui dévolu aux hommes, telle qu’elle est en vigueur dans les pays musulmans. Le code civil est en arabe. Les noms de famille sont pratiquement inexistants (générant des problèmes pour l’état-civil français). Seuls 45% des Mahorais parlent français et entre 30 et 40% sont analphabètes.
Voilà, pour ses intérêts géostratégiques et militaires, la bourgeoisie française est disposée à piétiner ses hypocrites valeurs laïques, comme elle le prouve, du reste, avec les pays du Golfe, épicentre de l’islamisme et du financement du terrorisme, pays avec lesquels elle entretient d’étroites relations.
Ironie de l’histoire, l’Etat impérialiste français promettait aux Comoriens de Mayotte, baptisés Mahorais, de transformer leur île en eldorado. Or, aujourd’hui, Mayotte est devenue une immense favela, disposant d’un revenu par habitant équivalent à certains pays sous-développés. C’est le «département» le plus pauvre de France. 84% des «Mahorais» vivent sous le seuil de pauvreté à Mayotte.
Les relents néocoloniaux de la France et ses politiques ségrégationnistes s’illustrent par la condition sociale misérable des habitants mahorais de Mayotte.
Mayotte, si on la considère comme un département français, se classe à la dernière place dans pratiquement tous les domaines. On y relève le produit intérieur brut par habitant le plus faible du pays, avec seulement 9 241 euros en 2018 contre 22 359 pour la Réunion et 38 900 pour la Seine-Saint-Denis. Selon l’INSEE, la moitié de la population de Mayotte a un niveau inférieur à 3 140 euros par an et 80% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté (dans l’Hexagone, ce taux est de 14% : preuve que les Mahorais sont considérés comme des «citoyens français» de seconde zone). Le taux de chômage y est de 34% (six fois plus qu’en métropole). Et pourtant, en dépit de cette cruelle précarité, et de la cherté des produits dans l’île dans la mesure où ils sont massivement importés,
Les minima sociaux ne sont toujours pas alignés sur ceux des autres Français de la métropole. En 2021, pour l’indigène mahorais, le RSA y est de 282 euros pour une personne seule contre 565 euros en France métropolitaine. De même, le salaire minimum n’est qu’à 7,74 euros brut de l’heure contre 10,25 au niveau national. Au plan scolaire, Mayotte détient le plus faible taux de réussite au baccalauréat : 71,49% en 2019 contre 88,1% au niveau national. Par conséquent, c’est le territoire français le moins diplômé avec 68,5% des habitants peu ou pas diplômés contre 28,4% au niveau national.
Cela rappelle étrangement la situation de l’Algérie à l’époque coloniale. A la veille de l’indépendance, en 1961, seuls 12% de la population étaient rudimentairement scolarisés. Le nombre de bacheliers très faible (assurément, si l’Algérie était demeurée française, la condition sociale de l’indigène algérien serait aujourd’hui vraisemblablement similaire à celle des Mahorais de Mayotte).
Pareillement, sur le plan médical, Mayotte cumule plusieurs pathologies potentiellement létales. Symptomatiques d’un contexte colonial délibérément entretenu par l’Etat français, des maladies disparues en métropole, comme la lèpre ou la tuberculose, se propagent toujours sur l’île, sur fond de pénurie d’eau. Le nombre de médecins est déficient. A Mayotte, il y a cinq fois moins de médecins par 100 000 habitants que dans un département français de l’Hexagone.
Pis, Mayotte est en proie à une insécurité chronique. Face aux difficultés économiques et sociales, la délinquance et la criminalité flambent. Mayotte est devenue une «poudrière, une bombe à retardement, c’est un Titanic à la dérive».
En dépit de ce bilan socioéconomique colonial dramatique pour la population autochtone, de l’explosion de la criminalité, de l’implosion de la société, sans aucun doute, la France impérialiste ne semble pas près de rétrocéder Mayotte. Et pour cause. L’île occupée abrite un régiment de la légion étrangère et peut accueillir navires et avions de guerre en cas d’alerte militaire. Elle abrite également un centre d’écoute qui permet à la France de surveiller l’ensemble de l’océan Indien. Et une bonne partie du continent africain. Qui plus est, la région recèle aussi de nombreuses ressources, tant halieutiques qu’énergétiques. D’importants gisements gaziers y ont été découverts ces dernières années. L’occupation de Mayotte permet également à la France de pérenniser un semblant de puissance maritime au niveau planétaire.
La France accuse la Russie d’avoir organisé un référendum illégal dans le Donbass pour s’approprier illégalement cette région ukrainienne. Pour contrer la politique annexionniste de la Russie, la France aide militairement le régime néonazi de Kiev, notamment par l’envoi d’armes.
De toute évidence, la France ne peut faire la leçon à la Russie au sujet de la Crimée ou du Donbass (ou à la Turquie au sujet de Chypre). Car, elle-même, depuis bientôt un demi-siècle, colonise ce territoire de l’océan Indien, Mayotte, située, non pas à ses frontières, mais à 8 000 km de Paris.
Aujourd’hui nous revenons, dans le cadre des commémorations des massacres de Sétif, Guelma, et Kherrata, sur le regard de deux grands auteurs de la littérature contemporaine des deux côtés de la Méditerranée : Kateb Yacine et Albert Camus. Le premier a alors 16 ans au moment de cet événement déterminant dans sa vie et sa production littéraire ; le second a 32 ans et est déjà un intellectuel engagé reconnu. Les auteurs choisissent deux prismes différents, l’un le roman pour sa catharsis, l’autre la presse pour dénoncer l’urgence de la situation, pour évoquer ce que le 8 mai 1945 fait à l’Algérie.
Kateb Yacine et le 8 mai 1945 : la promesse de liberté
Grosso modo, c’était la fin de la guerre, la victoire sur les nazis. C’était un grand événement, c’était la fête, on entendait sonner les cloches puis tout de suite la rumeur s’est répandue que le lendemain on serait libre. C’était un jour de liberté. Donc, le 8 mai au matin, il y avait une manifestation officielle, prévue au centre de la ville, et il y avait une manifestation populaire. C’était un jour de grande espérance dans un sens, pour les Algériens. À Sétif, c’était jour de marché, c’était un mardi, et il y avait une foule énorme.
Kateb Yacine décrit ce qui devait être en Algérie et en France, un jour de fête. Les Alliés l’avaient emporté sur les nazis, et la France avait promis aux Algériens, aux Indigènes, plus de droits. Ainsi, le 8 mai 1945 était un jour parfait pour parader dans la rue au nom de la liberté. Cependant, il n’en est rien. Kateb Yacine n’a alors que 16 ans lorsqu’il se joint avec ses amis au cortège. Étudiants, militants et scouts paradent fièrement pour célébrer la victoire de la liberté, mais aussi pour réclamer leurs droits. Soudain, la panique envahit la rue. La population déferle, la foule inonde l’espace dans un brouhaha incessant, fuyant de toute part. L’incompréhension habite les jeunes gens : que se passe-t-il ? Le doute laisse place aux rumeurs : les Turcs débarquent à Bougie, ou encore enfin ! L’Algérie s’est libérée ! La fièvre les habite tous. Le réflexe de l’enfant est alors immédiat : rentrer chez lui. En prenant le car, ce sont des scènes atroces qui s’exposent au regard du jeune adolescent.
Le 8 mai 1945 devient le jour des promesses non tenues.
Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus personne autour de moi.
Ce jour-là, ce n’est pas un collier de fleurs que reçoit le peuple algérien, mais un collier de balles. Le massacre est violent, les cadavres jonchent le sol, des scènes de viol prennent place dans cette pièce de théâtre inimaginable. Sétif se transforme en ville fantôme.
Ici sont étendus dans l’ombre des cadavres que la police ne veut pas voir ; mais l’ombre s’est mise en marche sous l’unique lueur du jour, et le tas de cadavres demeure en vie, parcouru par une ultime vague de sang, comme un dragon foudroyé rassemblant ses forces à l’heure de l’agonie, ne sachant plus si le feu s’attarde sur sa dépouille entière ou sur une seule des écailles à vif dont s’illumine son antre ; ici est la rue de Nedjma mon étoile, la seule artère où je veux rendre l’âme ; C’est une rue toujours crépusculaire, dont les maisons perdent leur blancheur comme du sang, avec une violence d’atomes au bord de l’explosion.
La rue, témoignant de l’horreur absolue, se transforme alors en un espace anthropomorphe. Kateb Yacine, à son retour, est arrêté par la police. Il est emprisonné au camp militaire de Sétif – devenu bagne de Lambèse dans son roman Nedjma – torturé et menacé d’exécution. Sa mère devient folle. Dans ses romans cette figure maternelle devient le catalyseur d’un univers hanté par les massacres et les traumatismes qui viennent à la fois nourrir la révolte mais incitent à l’oubli. La ville, marquée de manière indélébile par l’inimaginable, est le théâtre de l’histoire malgré cet oubli forcé.
Cependant, la ville porte en elle l’espoir, articulant en son sein une réalité oxymorique : vie et mort se conjuguent pour annoncer un lendemain meilleur, celui de l’indépendance. Le flambeau de la révolte, l’espoir, est sans cesse transmis. Dans Les ancêtres redoublent de férocité/Nedjma, lorsque Lakhdar meurt, c’est Ali qui poursuit le combat. Malgré l’atrocité des événements, Kateb Yacine veut écrire une tragédie optimiste en 1956. Il croit en l’indépendance.
C’est la terreur coloniale que donne à lire Kateb Yacine dans ses travaux. Une terreur qui cependant ne saurait arrêter le peuple algérien en marche vers la liberté.
N’y a-t-il que le crime pour assassiner l’injustice ? Ici est la rue des Vandales, des fantômes, de la marmaille circoncise et des nouvelles mariées ; ici est notre rue. Pour la première fois, je la sens palpiter comme la seule artère en crue où je puisse rendre l’âme sans la perdre. C’est un canon qu’il faut désormais pour m’abattre. Si le canon m’abat, je serai encore là, lueur d’astre glorifiant les ruines, et nulle fusée n’atteindra plus mon foyer à moins qu’un enfant précoce ne quitte la pesanteur terrestre pour s’évaporer avec moi dans un parfum d’étoile, en un cortège intime où la mort n’est qu’un jeu. Sétif, mon étoile, morte sans l’être au demeurant, vivante, corps interdit aux canons, Sétif, c’est l’étoile muée en canon futur…
Kateb Yacine dira alors que cette boucherie a donné naissance à son nationalisme.
Les textes tirés de cette partie proviennent essentiellement de Nedjma (1956) et de la pièce Le cadavre encerclé (1959). Partie essentiellement tirée de l’article d’Ahmed Chenikii sur le blog Mediapart.
Albert Camus et le 8 mai 1945 : un problème de justice
Les médias français ne font aucune mention de l’autre 8 mai 1945. La censure militaire est féroce : ces derniers ne sont autorisés à couvrir l’événement qu’à partir du 12 mai. La tragédie est ignorée ou au pire encensée, reprochant aux nationalistes comme Ferhat Abbas de nourrir le complot antifrançais. Seuls L’Humanité et Combat dénoncent ce qu’il se passe au-delà de la Méditerranée en publiant une série d’articles, du 15 au 30 mai, issus d’une enquête de terrain réalisée par Albert Camus.
Dans une série de cinq articles (« Crise en Algérie », « La famine en Algérie », « Des bateaux et de la justice », « Le Malaise politique », « Du Parti du Manifeste ». Aujourd’hui, l’ensemble de ces textes sont publiés sous le titre de Actuelles III. Chroniques algériennes, 1939-1958), Camus nous livre une analyse détaillée, mais surtout accessible à un large public, de ses observations. L’écrivain est catégorique : « le peuple arabe existe ». Il reconnaît son identité propre, sa culture, son histoire, affirmant que l’Algérie était un pays avant de tomber sous le joug colonial. Loin d’être un simple incident, ce dernier dénonce alors les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata comme une crise algérienne qui interroge directement les fondements du système colonial, menant aux événements du 8 mai 1945.
Tout d’abord, elle se veut selon lui d’ordre économique et social, la population dite indigène vivant dans une misère absolue. Il écrit : « ce peuple n’est pas inférieur sinon par la condition de vie où il se trouve ».
Mais c’est avant tout une crise juridique : le peuple réclame ses droits. Il demande que le gouvernement exporte en Algérie « le régime démocratique dont jouissent les Français », si ce dernier souhaite maintenir sa présence. Il poursuit: « C’est la force infinie de la justice, et elle seule, qui doit nous aider à reconquérir l’Algérie et ses habitants. ». Le gouvernement français ignorera totalement les recommandations de l’écrivain, sonnant ainsi le glas de son Empire. La question de la justice est alors centrale dans la question de la colonisation et de la Guerre d’Algérie, Albert Camus en a conscience. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de se pencher sur cet aspect occulté par les accords d’amnistie.
En 2005, la France reconnaissait pour la première fois les atrocités commises lors de ces massacres. Aujourd’hui, ce dont la France a besoin, c’est une dénonciation de ces derniers comme crimes d’État, étant directement orchestrés par le corps militaire français.
SETIF, VILLE BLESSÉE, MASSACRÉE UN 8 MAI 1945, RACONTÉE PAR L’ÉCRIVAIN KATEB YACINE
Les massacres de mai 1945 ont fait des dizaines de milliers de morts du côté des manifestants algériens sortis exprimer leur joie pensant que les autorités coloniales allaient tenir la promesse de leur octroyer l'indépendance. Ce texte donne à lire comment Kateb Yacine a évoqué ces massacres dans son œuvre. Lui-même, il avait été arrêté, il avait 16 ans, sa mère était devenue folle. Une
Ça a été un massacre, un véritable massacre, qui n’a pas manqué de laisser des traces, d’autant plus que pour moi j’ai été touché dans ces deux villes. Ça s’est produit… j’étais jeune, j’avais 15 ans, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait, mais enfin, bon… Grosso modo, c’était la fin de la guerre, la victoire sur les nazis. C’était un grand événement, c’était la fête, on entendait sonner les cloches puis tout de suite la rumeur s’est répandue que le lendemain on serait libre. C’était un jour de liberté. Donc, le 8 mai au matin, il y avait une manifestation officielle, prévue au centre de la ville, et il y avait une manifestation populaire. C’était un jour de grande espérance dans un sens, pour les Algériens.
À Sétif, c’était jour de marché, c’était un mardi, et il y avait une foule énorme. Moi, j’ai vu venir le cortège. Au début, il y avait les scouts puis après des étudiants, des militants, et j’ai reconnu parmi eux des copains de classe. Ils m’ont fait signe et je me suis joint au cortège sans trop savoir ce que cela signifiait et puis tout de suite ça a été les coups de feu. Coups de feu, la panique, parce que cette foule énorme qui reflue, j’ai vu une petite fille qui a été écrasée devant moi, c’était vraiment terrible. Parce qu’il y a eu vraiment la panique parce que les gens voulaient se sauver dans tous les sens. Puis, bon, il fallait que je rentre chez moi parce que j’habitais dans un village à 45 kilomètres de là. Je suis monté à l’avant du car et j’ai vu alors à ce moment-là des choses terribles parce que le peuple venait de toutes parts. J’ai vu cela vraiment comme une fourmilière. La terre devenait une véritable fourmilière, vraiment je me demandais d’où venaient tous ces gens comment j’avais pu ne pas le voir avant ! On avait l’impression qu’ils sortaient de la terre, c’était de toutes parts, ça grouillait de partout. Et puis, il y avait des rumeurs folles. Je ne sais pas, certains disaient que les Turcs avaient débarqué à Bougie, je ne sais pas moi, d’autres disaient : ça y est, toute l’Algérie s’était libérée. On racontait des tas d’histoire. Et puis il y avait une grande fièvre naturellement parce qu’on sentait qu’il s’était passé quelque chose quoi. L’arrivée au village, ça a été encore plus dur parce que c’est là qu’a commencé la répression. Dans ce village on a amené les Sénégalais. Bon, ça, c’est une vieille pratique d’utiliser les uns contre les autres. Il y a eu des scènes de viols, il y a eu encore des massacres. On voyait les corps allongés dans les rues. Puis, au retour, j’ai été arrêté. Parce qu’en débarquant du car, naturellement : « qu’est-ce qui s’est passé, etc. ? » Moi, j’ai fait un récit épique de ce qui venait de se passer : le peuple sans armes, avec des cannes de paysans a réussi… J’ai fait un récit révolutionnaire de ce qui venait de se passer. Après, on m’a reproché ça.
Kateb Yacine était encore enfant, il rêvait de choses, de belles choses, malgré la cruauté de la colonisation. Il n’avait que 16 ans, ce jeune garçon qui gribouillait des poèmes, avec le sourire qui va par la suite, après ce massacre, s’obscurcir. Le 8 mai1945 devait être une journée importante, c’est-à-dire celle d’une promesse non tenue. Au lieu de l’indépendance, ce furent des balles qui trouèrent des corps à jamais marqués du sceau des horreurs coloniales. C’est aussi le début d’une vraie prise de conscience.
Parler de ce que certains historiens ont appelé avec une grande légèreté les « événements » de mai 1945, c’est convoquer obligatoirement une ville, Sétif, des lieux de mémoire, des éléments d’Histoire et des blessures. C’est évoquer inévitablement le plus grand écrivain nord-africain, Kateb Yacine, c’est aussi revisiter les massacres de 1945, la folie, l’horreur et la rupture définitive avec le colonialisme. Comment justement cette ville de Sétif, les graves événements de mai 1945 travaillent l’œuvre de Kateb Yacine et aussi sa vie ? Sa propre mémoire, c’est-à-dire celle de son « peuple », s’égare-t-elle définitivement ou apparait-elle comme un système de signes latents dans les espaces interstitiels de l’écriture ?
L’auteur n’a jamais réussi à se détacher de cette période qui a fondamentalement marqué l’auteur, son œuvre et l’Histoire de l’Algérie. Que s’est-il passé lors de ces événements de mai 1945 ? Les nationalistes algériens pensaient que cette journée de célébration de la libération allait-être un jour-lumière qui allait voir le colonialisme français tenir sa promesse d’accorder leur indépendance aux Algériens. Dans ce défilé pacifique, les drapeaux alliés étaient déployés, avec des revendications nationalistes et indépendantistes. Vite, le drame survint, des milliers de morts, Sétif allait connaître le jour le plus sombre de son Histoire. L’état de siège est instauré. L’armée, la police, la gendarmerie et des milices de colons organisées sillonnent les quartiers arabes. La loi martiale est proclamée, et des armes sont distribuées aux Européens. La répression sera terrible. La presse française soutenait la répression, à l’exception de l’Humanité (du 15 au 30 mai) et de Combat (du 13 au 23 mai) qui a publié une série d’articles d’Albert Camus qui dénonçait cette chasse à l’homme appelant le pouvoir en place à appliquer aux Algériens « le régime démocratique dont jouissent les Français ». Camus ne pouvait accepter ce type de situations. C’est l’homme révolté qui a fréquenté les couloirs du même journal que Kateb Yacine, Alger Républicain.
Ici sont étendus dans l’ombre des cadavres que la police ne veut pas voir ; mais l’ombre s’est mise en marche sous l’unique lueur du jour, et le tas de cadavres demeure en vie, parcouru par une ultime vague de sang, comme un dragon foudroyé rassemblant ses forces à l’heure de l’agonie, ne sachant plus si le feu s’attarde sur sa dépouille entière ou sur une seule des écailles à vif dont s’illumine son antre ; ici est la rue de Nedjma mon étoile, la seule artère où je veux rendre l’âme ; C’est une rue toujours crépusculaire, dont les maisons perdent leur blancheur comme du sang, avec une violence d’atomes au bord de l’explosion.
Kateb Yacine, alors collégien de 16 ans, participait aux manifestations. Il fut emprisonné au camp militaire de Sétif - devenu bagne de Lambèse dans son roman, Nedjma - torturé et menacé d’exécution. Libéré, Kateb n’oubliera jamais ces moments terribles qu’il a vécus en compagnie de la multitude. Les traces sont indélébiles, sa mère devient folle. Ce n’est pas sans raison que la folie et l’image de la mère vont marquer tragiquement l’œuvre de l’auteur. Il s’en souvient : « Je suis né d’une mère folle. Très géniale, elle était généreuse, simple et des perles coulaient de ses lèvres. Je les ai recueillies sans savoir leur valeur. Après les massacres de 1945, je l’ai vue devenir folle. Elle est la source de tout. ».
La mère investit le territoire tragique d’un univers hanté par le souvenir de massacres et de traumatismes qui, paradoxalement, incitent à l’oubli, mais aussi à la révolte. Dans Nedjma, cette mère qui sombre dans la folie à Sétif, au bruit et aux rumeurs du massacre du 8 mai 1945 tissera une sorte de « camisole du silence », « ne sait plus parler sans se déchirer le visage » tout en n’arrêtant pas de psalmodier la prière des morts et de maudire ses enfants.
Nous sommes morts, exterminés à l’insu de la ville…Une vieille femme suivie de ses marmots nous a vus la première. Elle a peut-être ameuté les quelques hommes valides qui se sont répandus à travers nous, armés de pioches et de bâtons pour nous enterrer par la force.
Dans tous ses textes ( Nedjma, le poème ou le couteau, Nedjma, Le cercle des représailles, Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Monceau), Sétif associé aux événements tragiques de mai 1945 allaient investir le récit, orientant fondamentalement son discours. Sétif est un lieu d’une mémoire tragique marquée par les jeux de l’oubli que seule peut-être la littérature, selon Kateb Yacine, pourrait libérer. La ville porte et produit l’histoire dans tous les sens du terme, structure les textes, devient Texte. Elle a connu l’inimaginable. La fiction est incapable de saisir le réel.
Les événements de 1945 se drapent des malheurs d’une cité blessée, drapeau du sceau d’une mère jamais consolée. Le cadavre encerclé, texte paru en 1959 aux éditions du Seuil, met en scène des femmes en quête de traces, de souvenirs et d’une mémoire décidément absente, ce qui les incite à ne plus reconnaitre leurs enfants. L’exposition de la pièce donne à lire le lieu où s’était déroulée la manifestation, Sétif qui exhibe ses rues se muant en corps atrocement mutilés, structuré en un cercle de représailles où les corps sont enfermés dans un espace, certes, encerclé, mais ouvert à une grande espérance. L’histoire, le passé viennent à la rescousse d’une mémoire vacillante, oublieuse. L’oubli est parfois volontaire. Aujourd’hui, ces « événements » restent marqués par une sorte d’oubli forcé des deux côtés de la méditerranée.
Ainsi, sont convoqués les ancêtres, les origines qui sont impuissants devant l’ignominie d’une mort annoncée. Les champs lexicaux de la violence caractérisent le discours théâtral et romanesque. Le sang, les geôles, la mort rodent dans cette ville de Sétif sauvée peut-être par la voix des femmes, Marguerite et Nedjma. C’est une impasse qui dessine les contours scénographiques d’une tragédie structurée en une sorte de cercle paradoxalement ouvert. Ainsi s’ouvre le texte : « Ah ! l’espace manque pour montrer dans toutes ses perspectives la rue des mendiants et des éclopés, pour entendre les appels des vierges somnambules, suivre des cercueils d’enfants, et recevoir dans la musique des maisons closes le bref murmure des agitateurs. Ici je suis né, ici je rampe encore pour apprendre à me tenir debout, avec la même blessure ombilicale qu’il n’est plus temps de recoudre ; et je retourne à la sanglante source, à notre mère incorruptible (…). Je ne suis plus un corps, mais je suis une rue ».
La mémoire est vive, toujours béante, drapée du sceau de la « blessure ombilicale » et ravivée par les bruissements incessants d’une mère-source et d’une rue qui porte et produit l’Histoire, Matière paradoxalement en mouvement, le corps se fond dans la rue qui devient l’élément central du récit. C’est dans la rue qu’il découvre cadavres et blessés et c’est là qu’il est arrêté. Dès la didascalie, l’auteur annonce la couleur, il donne à lire la terreur coloniale et les différentes menées répressives, à partir de l’exposition de corps sans vie, jetés dans la rue. Cette ouverture inaugure le protocole de lecture et expose les différents lieux-mémoires d’une ville meurtrie par la répression et la guerre.
Le prologue de la pièce, Le cadavre encerclé, esquisse dès le début les lieux emblématiques de la ville blessée, meurtrie, la mettant en rapport avec d’autres espaces historiques et géographiques : « l’impasse natale », la « rue des Vandales », mais donnant à lire ce grand traumatisme marqué par la mort et l’errance qui investissent une rue où gisent morts et blessés, mais qui s’identifie aux gens de ce pays qui célébraient innocemment la fin de la guerre. La mort enfante la vie et annonce l’insurrection future, la rue renforce ce sentiment d’éternité. Quand le personnage, Lakhdar, meurt, c’est son fils qui prend la relève : « Je suis plus un corps, mais je suis une rue. C’est un canon qu’il faut désormais pour m’abattre. Si le canon m’abat je serai encore là, lueur d’astre glorifiant les ruines, et nulle fusée n’atteindra plus mon foyer à moins qu’un enfant précoce ne quitte la pesanteur terrestre pour s’évaporer avec moi dans un parfum d’étoile, en un cortège intime où la mort n’est qu’un jeu… ».
La rue se mue en lieu de mémoire qui témoigne, certes, des horreurs du massacre, se transforme en un espace anthropomorphe, prenant parti pour les militants. Rue, corps, mémoire, mère, tout porte les résidus de scènes vécues par l’écrivain lui-même qui n’a jamais arrêté de témoigner de ce massacre. Le corps connait une transposition symbolique, s’assimilant et se confondant avec la rue, devenant le lieu essentiel d’un ensemble oxymorique, mort-vie qui caractérise le discours de l’auteur marqué par la désillusion d’un jour-fête transformé en jour-deuil-résurrection. Le corps-barricade, le corps-multitude se meut en rue d’une ville mutilée, mais devenant, par la force du drame, un espace ouvert. La violence du ton traverse le discours romanesque et met à nu la violence de la répression dans Nedjma.
Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus personne autour de moi.
Dans les déclarations de Kateb Yacine, des images reviennent souvent : la folie de la mère, la rue où gisent des blessés et des morts, l’espoir d’une indépendance possible après la fin de la guerre. Ces thèmes travaillent profondément tous les textes de l’auteur : « On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues… La répression était aveugle ; c’était un grand massacre. (…) Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. ».
La ville est porteuse d’espoir, elle est le lieu d’articulation de réalités apparemment contraires, mort et vie, mais qui fusionnent pour conjuguer l’espoir et annoncer des lendemains de libération. La ville devient un acteur fondamental dans la détermination des instances discursives et du mouvement narratif. Elle est anthropomorphe, elle apporte une certaine protection aux personnages. Mais il suffit d’un moment d’inattention de la ville faite actrice pour se retrouver dans une situation de victime : « Nous sommes morts, exterminés à l’insu de la ville ».
Tous les textes de Kateb Yacine décrivent la tragédie de l’Algérie durant la colonisation. Le Cercle des Représailles, publié en 1959, qui est une sorte de suite tétralogique, se compose de trois pièces et un poème dramatique. La première, intitulée Le Cadavre encerclé, une tragédie en trois actes, raconte le drame des événements de mai 1945. Dans la rue des Vandales (titre initial du texte), cadavres et blessés sont par terre ; Lakhdar et Mustapha, éternels amants d’une insaisissable Nedjma, se trouvent parmi les révoltés. Blessé, Lakhdar est sauvé par la fille du commandant, Marguerite qui n’arrive pas à se faire admettre par le groupe d’amis. Mais quelque temps après, Tahar le poignarde et laisse son cadavre au milieu d’un polygone tragique, l’Algérie, une nation qui « n’a pas fini de venir au monde ». Les ancêtres redoublent de férocité, de veine tragique, met en situation deux personnages, Hassan et Mustapha à la quête du chemin du Ravin de la Femme Sauvage, lieu mythique où se trouve Nedjma, hantée par le vautour incarnant Lakhdar. Mustapha et Hassan réussissent à délivrer la Femme Sauvage, enlevée par un ancien soldat de l’Armée Royale marocaine. Hassan meurt, Mustapha est arrêté par l’armée ennemie.
Cet ensemble dramatique puisé dans l’Histoire de l’époque avec ses contradictions et ses ambiguïtés, caractérisé par la présence de traits lyriques et l’utilisation d’une langue simple, ne s’arrête pas uniquement à la dimension politique, mais la dépasse et interroge l’être algérien déchiré, mutilé tout en le mettant en rapport avec d’autres espaces, donnant naissance à un texte tiers, mettant ainsi en pièces la logique binaire, une sorte de « supplément d’origine » pour reprendre Jacques Derrida.
L’identité devient l’otage des configurations historiques, c’est ce que tente d’expliquer d’ailleurs Edward Said dans son texte consacré à la lecture du parcours de Camus, « Un homme moral dans un monde immoral ». Elle est variable, mais aucunement réductible aux espaces mythiques essentialistes. C’est une sorte d’identité-rhizome qui n’exclut nullement la singularité de l’appropriation de la violence en période d’oppression. Dans L’homme aux sandales de caoutchouc, paru en 1972, Sétif se trouve jumelé avec Hanoï, puis, par la suite, dans son dernier texte, Le sans-culotte ou le spectre du parc Monceau, paru en 1989, une commande du ministère français de la culture, les rues de Sétif retrouvent le Paris de 1789 et de 1871, avec ses cadavres, ses mutilés, ses éclopés, ses exilés et des femmes-symboles, Nedjma dialoguant avec Louise Michel.
Sétif subit de sérieuses transfigurations, devenant le lieu de cristallisation d’un espace porteur et producteur d’une Histoire qui le lie à d’autres villes et d’autres événements emblématiques, Hanoï, Paris, Palestine…Cette démultiplication spatiale et temporelle s’inscrit en droite ligne dans la perspective politique et artistique de l’auteur qui considère que toutes les révolutions ont des points de rencontre et concourent au même objectif.
La structure circulaire, en spirale, la fragmentation du récit, la scénographie et les jeux de situation ne sont pas étrangers aux manifestations politiques et aux actions répressives de mai 1945 à Sétif, donnant à voir plusieurs univers structuraux et de nombreuses instances spatiotemporelles, engendrant une unité discursive disséminée, c’est-à-dire cultivant une certaine méfiance. Sétif, 1945 se voient ainsi dans ses textes démultipliés, s’identifiant à d’autres espaces, provoquant un processus de transmutation spatio-temporelle. Le temps épouse les contours d’objectifs politiques et idéologiques, dépassant l’événementiel et mettant en œuvre une entreprise transfrontalière.
La géographie représentée par les blessures de la ville convoque l’Histoire, se muant en mythe libérateur investi d’historicité, devenant le lieu d’articulation de métaphores obsédantes, pour reprendre la belle formule de Charles Mauron. Le lieu de mémoire fonctionne ainsi comme une thérapie contre l’oubli. La mémoire, lieu de latence, grâce à la médiation de l’écriture, se transforme en un espace d’ouverture, enfantant d’autres territoires et porteur d’insurrections futures, le 1 novembre 1954. Sétif se démultiplie et déplace la quête dans d’autres territoires jumeaux. Ce processus de reterritorialisation et de démultiplication des lieux s’inscrire dans le discours internationaliste de l’auteur.
La tragédie est, chez Kateb Yacine, paradoxalement vouée à l’optimisme ; la mort donne naissance à la vie. Ainsi, quand le personnage central, Lakhdar meurt, c’est Ali qui poursuit le combat. Nous avons affaire à une tragédie optimiste qui associe la dimension épique au niveau de l’agencement dramatique et de l’instance discursive. Le « je » singulier (relation amoureuse de Lakhdar et de Nedjma par exemple) alterne avec le « nous » collectif (inscription du personnage dans le combat collectif) prisonnier des blessures béantes d’une ville-mémoire. La mort n’est pas marquée du sceau de la négativité, elle arrive à créer les conditions d’un sursaut et d’un combat à poursuivre. Mai 1945 constitue selon les historiens et Kateb Yacine le prélude à l’insurrection de 1954. Lakhdar, parmi les victimes, est le lieu d’articulation de plusieurs temps (passé, présent et futur virtuel), il prophétise l’à-venir. Ses paroles prémonitoires sont le produit de son combat. Le chœur prend en charge le discours du peuple et s’insurge contre les sournoises rumeurs de la ville : « Non, ne mourrons pas encore, pas cette fois ».
L’histoire de Sétif et de mai 1945 s’inscrit comme élément de lecture d’une réalité précise, d’un vécu algérien ambigu, piégé par ses propres contradictions. Ce n’est ni le passé, ni le présent qui sont surtout valorisés mais le futur, lieu de la quête existentielle et politique de l’Algérie incarnée par Nedjma ou la Femme Sauvage, ce personnage écartelé entre deux voies différentes, sinon opposées. Le paradigme féminin, noyau central des textes de Kateb Yacine, fonctionne comme un espace ambigu, mythique. Nedjma, étoile insaisissable autour de laquelle tourne tous les protagonistes masculins, incarnerait l’Algérie meurtrie, terre à récupérer, témoin des différents massacres visant ses compagnons. Elle se confond avec la ville.
Dans Le Cadavre encerclé et Les Ancêtres redoublent de férocité, l’histoire, espace réel côtoie la légende, lieu du mythe. Histoire et histoire s’entrechoquent et s’entremêlent. Le discours sur la nation suppose une diversité et une multiplicité des réseaux spatio-temporels, convoquant tantôt Sétif, mais aussi d’autres lieux emblématiques des luttes révolutionnaires dans le monde. Le temps historique, paysage des référents existentiels (Commune de Paris de 1871, Octobre 1917, mai 1945, Vietnam, Palestine, guerre de libération…), localisé dans des lieux clos (prison…) ou dans la ville laisse place au temps mythique, instance occupée sur le plan géographique par la campagne, le désert ou le ravin de la Femme Sauvage. Le déplacement de l’histoire à la légende se fait surtout par le retour à la tribu, source du vécu populaire et territoire-refuge de tous les personnages qui reviennent à cet espace afin de retrouver leur force. Le jeu avec le temps et l’espace, un des éléments essentiels de la dramaturgie en tableaux, est lié à la quête de la nation encore perturbée et insaisissable. La légende, lieu d’affirmation- interrogation de l’histoire, investit l’univers dramatique de Kateb Yacine.
Les tenants du discours postcolonial qui reprennent parfois des idées de Frantz Fanon et d’Edward Said qui, malgré le magistral démontage du fonctionnement du discours colonial, tombent parfois dans le travers qu’ils dénoncent en rejetant l’ « Occident » dans sa totalité, privilégiant les jeux trop peu clairs de la géographie dans la définition des rapports entre un « Tiers-monde » censé être pur et un « Occident » corrompu et violent. Comme l’a fait Sartre dans sa préface à l’Anthologie de la poésie nègre et malgache, Orphée noir, célébrant une poésie noire, la seule révolutionnaire, selon lui. Comme d’ailleurs Homi Bhabha qui, dans sa proposition de mettre en œuvre l’idée d’hybridité en lui donnant le sens de « coexistence consensuelle des différences », semble oublier que l’hybridité caractérise tout discours social et littéraire. Bhabha semble oublier les pratiques du colonisateur et met sur une ligne horizontale colonisateur/colonisé. Pour Kateb Yacine, Sétif est en accord avec les populations exploitées, colonisées, partout dans le monde.
N'y a-t-il que le crime pour assassiner l’injustice ? Ici est la rue des Vandales, des fantômes, d. e la marmaille circoncise et des nouvelles mariées ; ici est notre rue. Pour la première fois, je la sens palpiter comme la seule artère en crue où je puisse rendre l’âme sans la perdre. C’est un canon qu’il faut désormais pour m’abattre. Si le canon m’abat, je serai encore là, lueur d’astre glorifiant les ruines, et nulle fusée n’atteindra plus mon foyer à moins qu’un enfant précoce ne quitte la pesanteur terrestre pour s’évaporer avec moi dans un parfum d’étoile, en un cortège intime où la mort n’est qu’un jeu. Sétif, mon étoile, morte sans l’être au demeurant, vivante, corps interdit aux canons, Sétif, c’est l’étoile muée en canon futur…
P.S : Les passages en italique sont tirés de la pièce, Le cadavre encerclé (Le Seuil, 1959) et du roman, Nedjma (Le Seuil, 1956)
Avec son effort de mémoire la France s’honore. Reste que cette date importante de l’histoire de l’humanité ne doit pas être utilisée à des fins politiciennes avec une mémoire partiale des victimes et des auteurs.
La France avec la loi Taubira a circonscrit sa loi, qui « … tend à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. »
Article 1 : La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.
Article 2 : Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent…
Notre loi et nos programmes scolaires ont oublié parmi les victimes 1 million d’esclaves blancs et leurs esclavagistes d’Alger, et la traite des arabo-musulmans plus grands esclavagistes et génocidaires de l’humanité a également été oubliée. Les quelques lignes qui suivent veulent contribuer à réparer cette défilade républicaine.
Que cette commémoration conduise à une repentance élargie de tous les esclavagistes dont la majorité cache ses responsabilités.
A cette fin, les lignes qui suivent sont donc republiées en ce jour anniversaire en attendant la grande repentance des pays silencieux.
« … Ecoutant avec compassion les récits poignants de la décolonisation de l’Algérie, je mesurais que cent quatre-vingt-dix ans nous séparaient de la cause et plus d’un demi-siècle de son issue avec la guerre d’Algérie. Je découvrais ainsi combien la période écoulée entre ces événements agit sur l’oubli et influe sur nos appréciations.
Un aperçu quant aux origines de cette histoire s’impose, et se pose aussi la question de la date de péremption des horreurs, faits de guerre et de leurs conséquences. Du vivant des témoins, l’oubli est un outrage à leur faire, mais après quelle règle guide l’oubli ? Si personne ne se sent responsable des guerres napoléoniennes, la France du XXIe s. se mortifie de plus en plus pour celle d’Algérie. Moins les générations qui décident aujourd’hui ont eu à connaître de l’événement plus elles culpabilisent et jugent des événements, à courte vue pour certains. Les causes, pourtant pires encore que les conséquences, sont occultées parce que trop anciennes ou peu glorieuses. Il est précisé que l’objet ici n’est pas d’excuser l’une par l’autre, mais de se demander jusqu’où notre mémoire admet qu’on l’interroge pour porter un jugement en conscience.
Minés par l’héritage de l’Algérie, nos représentants nationaux traînent comme un boulet le souvenir d’une guerre coloniale que de l’autre côté de la méditerranée on évoque toujours, oubliant les événements un peu plus anciens qui prévalaient au début de cette histoire ; la piraterie et l’esclavagisme pratiqués par les Barbaresques d’Afrique du nord.
Les discussions franco-algériennes se focalisent donc sur la période la plus récente des événements. Ainsi en 2012 à Alger, François Hollande reconnaissait à juste titre les "souffrances que la colonisation française a infligées à ce pays … au peuple algérien ". Mais il avait prévenu qu’il n’y aurait ni « repentance » ni « excuses » de la France, sans en donner la raison. Provocant le courroux de nombreux partis politiques algériens dont ceux religieux (islamistes), qui attendaient des « indemnisations matérielles et morales ». Avait-il en arrière-pensée que la repentance et les excuses devraient-être réciproques selon la période à considérer ? Un peu plus tard il s’exprimera dans les mêmes termes au Mémorial ACTe (*) dédié à l’esclavagisme aux Antilles concomitant avec celui des Barbaresques.
Changement de ton avec Emmanuel Macron sûr de lui, qui en février 2017 à Alger, déclare que "La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes". (*****) Utilisant opportunément le terme de barbarie, dans la cité des « Barbaresques d’Alger », il laissait sous silence les crimes contre l’humanité dont étaient responsables ses hôtes plus tôt. Était-ce un effet collatéral de la loi Taubira (**) qui a contourné la traite arabo-musulmane dont les européens ont été victimes si nombreux aussi ?
La voie s’ouvrait pour la suite. Le Conseil constitutionnel s’exécutait le 8 février 2018 avec la décision (plus de cinquante ans après) d’ouvrir les droits à pensions à toutes les victimes de la guerre d’Algérie qui résidaient dans le pays alors et à leurs ayants droit, au motif qu’il n’est pas possible de discriminer les victimes. Dans la foulée, Tarik ABHARI avocat au barreau de Paris laissera entendre que les victimes algériennes, des forces algériennes de libération pourraient également avoir droit à ces pensions payées par la France (***).
E. Macron prend à son compte cette repentance, nécessité morale des sociétés occidentales. Est-elle pour autant partagée ? Certainement pas. Y-a-t-il une date de péremption ? A l’évidence pour l’histoire qui nous occupe, à moins que d’autres calculs masquent cette histoire (**).
Le cas de l’Algérie est exemplaire en ce qu’il démontre que les actes de barbarie précédents la présence française en Algérie, sont sortis du champ des discussions franco-algériennes, parce que trop anciens et en ce qu’ils seraient de nature à modifier possiblement le discours actuel. En effet, si les actes perpétrés par la France ont nourri de nombreux récits au fil de ces cinquante dernières années et sont désormais en filigrane dans nos consciences, les tragédies qui les ont précédés pendant plus de deux siècles envers l’Occident chrétien sont totalement occultés malgré leur intrication dans l’histoire franco-algérienne des débuts ;
Plus d’un million de blancs chrétiens seront réduits en esclavage par les Barbaresques, de Tunis, de Tripoli et d’Alger principalement. Et encore davantage tués.
On remontera le temps pour appréhender les germes des événements entre le XVIe s. et 1830, date de la campagne militaire française contre la régence d’Alger. Cet épisode s’inscrit dans celui plus large de l'esclavage arabo-musulman entre le VIIe et le XXe siècle qui aura conduitplus de quinze millions d’esclaves à passer entre leurs chaînes.
Après la Reconquista, les Maures chassés d’Espagne s’installent au Maghreb. Voulant alors développer des activités commerciales maritimes, ils en sont empêchés par les Espagnols qui au début du XVI e s. envahissent le Maghreb pour être finalement chassés par les ottomans appelés par les "algériens". En 1541, la flotte de Charles Quint est battue devant Alger. Les ottomans musulmans, dans le lit de l’arabisation islamique réalisée du Maghreb, organisent les territoires avec des régences dont celle d’Alger en 1587, dirigée par un dey qui rend compte au sultan Ottoman.
Les cités Barbaresques se développent alors, pillant les flottes commerciales et les territoires côtiers de la méditerranée et des côtes atlantiques jusqu’aux côtes sud de l’Angleterre, en Irlande et en Islande. La piraterie participe du djihad et se justifie à l’encontre de ceux qui n’adoptaient pas leur religion, les musulmans morts au combat sont assurés de rejoindre le paradis, de nombreux renégats y participaient également.
La puissante flotte Barbaresque avec celle des ottomans domine la méditerranée ; celle de la « Sainte ligue » qui réunissait plusieurs états chrétiens, est défaite en 1538. Plus tard en 1571, les ottomans sont battus à leur tour à la bataille de Lépante, mais leur flotte n’est pas anéantie. Naviguer en méditerranée reste dangereux. Les captifs en bonne santé sont échangés contre rançon ou réduits à l’esclavage et finissent dans les mines ou les galères pour une mort certaine, les autres sont systématiquement tués. Devenu manchot à Lépante quatre ans plus tôt, Cervantès alors capitaine représentant donc une valeur marchande, sera otage pendant cinq ans.
Vers 1650, trente mille chrétiens sont captifs d’Alger, beaucoup se suicident. En 1795, George Washington paye un tribut annuel aux Barbaresques pour naviguer en méditerranée. Le commerce affecté par les guerres napoléoniennes affaiblira de facto la piraterie. Las de payer ce qui représente 20% de leur budget annuel, les Etats-Unis envoient leur flotte en 1801 et 1815 et finissent par se défaire de l’emprise des corsaires du pacha de Tripoli. Les britanniques et les hollandais suivent.
Le sort des Barbaresques est scellé par les français qui mettent un point final à la piraterie de la régence d’Alger en 1830 après trois années de blocus, au motif de "coups de chasse-mouche" reçus par le consul de France, qui ponctuent un passif commercial entre la France et le dey d’Alger. Ils prennent possession de la cité et délivrent les derniers esclaves. Il n’est pas encore question de colonialisme, l'Algérie n'existe pas encore.
Ainsi l’épisode franco-algérien montre bien que le temps efface les responsabilités des coupables anciens. Un million d’européens chrétiens réduits en esclavage et davantage tués par les Barbaresques resteront des victimes oubliées, elles n’auront jamais leur place dans les tractations politico-économiques de la France avec son ancienne colonie oublieuse d’une histoire qui la desservirait.
C’est une constante de notre justice. A la Haye aussi, les faits sont jugés sans considération des causes historiques. Mladic lors de la tragédie de Srébrénica parlera six siècles après, d’une « revanche contre les Turcs ». La mémoire des événements impacte différemment les individus. La justice de l’Occident s’est substituée à l’équité primitive de celle des sumériens (œil pour œil…) qui n’a plus cours dans nos cours. Ne sont jugées que les exactions commises récemment, les responsabilités même actées par l’Histoire sont omises. L’épopée coloniale de la France en Algérie aurait-elle eu lieu sans ces actes de barbarie qu’il lui était demandé de cesser (****) ? C’est un autre sujet.
Pour l’Algérie comme ailleurs (Balkans..) on juge avec les vivants, les victimes du passé n’ont pas voix à la barre, c’est une constante ; les cris des disparus demeurent étouffés. Sauf dans l’Espagne à la mémoire multiséculaire, où en 1492 les juifs chassés, se voient reprocher plus de sept siècles après d’avoir favorisé l’arrivée des musulmans dans la péninsule, et où en 2013, un gouvernement à repentance sélective conclu à la dette de son pays pour ses agissements en 1492 ; l'expulsion des juifs sépharades après la Reconquista.
Si les siècles n’étaient plus un obstacle, alors à quand la repentance d’Alger ? Cette hypothèse sera difficile pour des sociétés qui ont abandonné l’esclavage contraintes par la modernité occidentale imposée avec les colonisations.
Elles auront fini par faire perdre à l'homme sa valeur marchande.
La France abolira l'esclavage en 1848. Les esclaves de Tunis seront libérés. »
(*) Le 10 mai 2015, jour de la commémoration nationale de l'abolition de l'esclavage, F. Hollande a inauguré à Pointe-à-Pitre, le Mémorial ACTe ou Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la Traite et de l'Esclavage transatlantique. Œuvre d’une France pénitente, il est comme un théâtre où chaque pas rapproche le visiteur de la douloureuse réalité du passé des Antilles. Ce n’est cependant pas un monument humanitaire, c’est un acte de contrition que la métropole adresse à ses victimes. La France par la vocation de ce lieu, a différencié les victimes de son esclavagisme de celles européennes victimes de l’esclavagisme arabo-musulman de méditerranée, qui sévissait au même moment. La responsabilité des négriers arabo-musulmans et africains (quatorze millions d’esclaves) que l’UNESCO peine à révéler, n’est pas abordée.
par L’apostilleur (son site) vendredi 28 avril 2023
e colon Darmanin félicite les forces d'occupation françaises à Mayotte. D. R.
Une contribution de Khider Mesloub – A Mayotte, depuis quelques jours, pour rétablir l’ordre colonial, le gouvernement et le ministère de l’Intérieur français ont dépêché des renforts de gendarmes et de policiers mobiles pour accroître la répression sur l’île, multiplier les expulsions des Comoriens, considérés indûment comme étrangers par les autorités coloniales françaises. Ces opérations de répression policières contre les Comoriens sont complétées, depuis plusieurs mois, par de fréquentes chasses aux «étrangers» organisées par des collectifs d’individus «mahorais». Ces collectifs se livrent à des exactions contre les Comoriens, à la destruction de leurs habitations précaires. Ces derniers mois, ces agissements se sont multipliés. Probablement encouragés par le laxisme des autorités coloniales françaises. Et, surtout, par les élites mahoraises qui alimentent un climat de xénophobie envers les Comoriens.
Ainsi, face à la population soi-disant «immigrée» comorienne établie à Mayotte, le gouvernement colonial français choisit la manière forte, c’est-à-dire la répression et l’expulsion. Selon plusieurs sources, dimanche 23 avril, les policiers auraient fait usage de leur arsenal de guerre à Mayotte avec des tirs à balles réelles face à des jeunes de quartiers informels. Le lendemain 24 avril, le premier vice-président du département de Mayotte, Salime Mdéré, n’a pas hésité, sur un plateau télévision, lors d’une émission diffusée en direct sur une chaîne locale «française», à lancer un appel au meurtre contre des jeunes «immigrés» : «Je refuse de les appeler des gamins, ce sont des délinquants, des terroristes, des voyous. A un moment donné, il faut peut-être en tuer… Je pèse mes mots. Il faut peut-être en tuer pour qu’ils ne puissent pas…» Le journal Le Monde rapporte que pour leur premier jour d’opération militaire coloniale, «ce ne sont pas moins de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement, 60 tirs de LBD et surtout 12 tirs à balles réelles de pistolets automatiques qui ont été utilisés contre des jeunes d’un quartier de Tsoundzou».
Prétendument 101e département français, Mayotte est en proie à la chasse aux «clandestins» menée par des hordes de policiers et de gendarmes français dépêchés depuis la métropole. En effet, quelque 1 800 policiers et gendarmes, dont plusieurs centaines venues de métropole, ont été déployés ces dernières semaines à Mayotte pour une opération baptisée «Wuambushu». Selon plusieurs associations humanitaires, c’est une opération ouvertement xénophobe et raciste. Pour information, l’opération «Wuambushu», commanditée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a pour mission la déportation massive de près de 24 000 «immigrés», principalement des Comoriens, ainsi que la destruction d’une partie de l’habitat informel de l’île. L’opération est censée durer près de deux mois, durant lesquels 400 expulsions par jour sont prévues.
En tout cas, l’opération «Wuambushu» menée à Mayotte est une abomination politique, doublée d’une infraction criminelle du droit international. Imposant sa souveraineté sur Mayotte en violation flagrante des résolutions de l’ONU, la France impérialiste monte cette opération spectaculaire d’expulsion massive d’habitants au motif qu’ils seraient étrangers, alors même qu’ils appartiennent au même peuple autochtone. Au vrai, les habitants de l’archipel, notamment les Comoriens, sont plus légitimement chez eux à Mayotte que les colons français.
L’opération «Wuambushu» n’est pas seulement une intervention policière brutale, mais une véritable opération militaire. Sa motivation principale vise la stabilisation de l’île de Mayotte, pièce maîtresse des intérêts de l’impérialisme français dans l’Océan Indien. Implantée dans une région centrale de l’Océan Indien et au nord du Canal du Mozambique, l’île de Mayotte constitue un enjeu militaire pour l’impérialisme français et un poste avancé de sa domination dans la région. De là s’explique l’enjeu pour l’Etat impérialiste français, non pas de procéder au développement économique de Mayotte ou d’assurer la prospérité de la population autochtone, mais plutôt de préserver par la force et les armes une certaine stabilité sociale, malmenée par l’explosion de l’insécurité et la violence, provoquée par la situation extrêmement critique sur le plan social et économique.
Toutefois, l’opération connaît son premier revers. Mardi 26 avril, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a suspendu l’opération d’évacuation et de destruction d’un bidonville, prévue le jour même. Un camouflet pour le gouvernement Macron pour sa politique xénophobe et de déportation. En outre, les autorités comoriennes, qui revendiquent la souveraineté de Mayotte, ont refoulé l’accostage de bateaux de ressortissants expulsés. Qui plus est, la compagnie maritime comorienne qui assure les liaisons entre les deux îles a annoncé «suspendre les rotations jusqu’à nouvel ordre, compte tenu du contexte actuel». Un blocage qui empêche l’expulsion.
Il est utile de rappeler que les quatre îles formant l’archipel des Comores ont une géographie et une grande partie de leur peuplement en commun. Autrement dit, ces populations forment un même et seul peuple. Les Mahorais sont des Comoriens. L’appellation même de Mahorais, en tant qu’entité autonome, a été créée par la France coloniale.
Et l’Assemblée générale des Nations unies, de 1975 à 1995, a toujours affirmé la souveraineté de la République fédérale des Comores sur l’île de Mayotte, petite île de 375 km2. Cependant, depuis les années 1990, sous l’instigation de la France (dont les services secrets ont joué un rôle décisif dans les multiples coups d’Etat successifs, fomentés par Bob Denard et ses sbires, entraînant la désagrégation du pouvoir comorien), l’ONU a tempéré ses exigences à l’égard de la puissance occupante (la France). Néanmoins, la souveraineté française sur Mayotte n’a jamais été explicitement reconnue au plan international. En dépit de cette non-reconnaissance, la France a procédé à la partition de l’archipel, induisant des restrictions à la circulation entre les îles depuis les années 1990.
Globalement, Mayotte conserve encore sa structure sociale néocoloniale, caractérisée par des inégalités sociales entre la population autochtone et les expatriés métropolitains («Français de souche»), et par d’innombrables ségrégations. En effet, les populations indigènes, victimes de discrimination, survivent dans une misère effroyable, enrôlées au service des catégories sociales privilégiées «blanches» venues de la métropole (exploitants agricoles, hauts fonctionnaires, commerçants, etc.). Pour occulter la dimension coloniale de l’occupation française, quelques «supplétifs», élus locaux noirs, servent de paravent ethnique à l’administration locale. Ces supplétifs mahorais remplissent leurs fonctions administratives au service de la France coloniale.
Cela étant, dans ce territoire occupé, dépourvu d’infrastructures industrielles, frappé par un chômage endémique, la principale activité des expatriés métropolitains officiels français, notamment les forces de l’ordre, se cantonne à traquer les «clandestins» comoriens, qui affluent à bord d’embarcations de fortune depuis les îles limitrophes. Les policiers français, venus tous de métropole, secondés par des radars et quelques hélicoptères, effectuent régulièrement des opérations musclées dans les bidonvilles pour rafler les populations comoriennes afin de les déporter vers des centres de rétention en vue de leur «reconduite à la frontière». En tout cas, la brutalité de ces expulsions choque profondément les Mahorais. Car ils ont de nombreux liens de parenté avec les habitants de l’ensemble de l’archipel des Comores.
Par ailleurs, en raison du sous-développement de Mayotte, dont la population, livrée à elle-même, sans perspective d’intégration économique, l’île est en proie à un chômage endémique. Quoique «département français», Mayotte, comparée aux départements de la métropole, demeure un territoire dans lequel 80% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, 34% sont au chômage. Régulièrement, éclatent des émeutes contre la cherté de la vie. Mayotte est fréquemment le théâtre de révoltes sociales contre la misère et le chômage.
L’île connaît une insécurité quotidienne périlleuse et des flambées de violences récurrentes. Cette insécurité est attribuée à la population venue des trois autres îles voisines, population considérée indûment par les autorités coloniales françaises comme «étrangère», «clandestine», alors qu’elle fait partie du même peuple autochtone. Aussi, pour dévoyer le mécontentement social, l’Etat français orchestre des campagnes idéologiques ségrégationnistes contre les «migrants» comoriens, jetés à la vindicte populaire. Organisent des opérations policières contre les habitations de fortune de ces «migrants» comoriens, parqués dans des bidonvilles.
Pire. Pour empêcher les habitants des îles voisines de se déplacer vers Mayotte, île où résident des membres de leur famille, la France accorde d’importantes aides financières au régime comorien, en contrepartie d’une lutte contre le départ de ressortissants vers Mayotte. Comme si, demain, on interdisait aux Bretons ou aux Normands de se rendre dans les autres villes de France, au motif d’une nouvelle loi injuste et illégale édictée par le gouvernement français.
En dépit de ces mesures restrictives à la circulation, la force des liens familiaux et économiques multiséculaires entre les habitants de cet archipel est tellement forte que ni l’absence de visa, ni les poursuites en mer n’entravent les communications, ne freinent les «migrations naturelles» ancestrales. Les médias français se font fréquemment l’écho des noyades des réfugiés africains et maghrébins en Méditerranée. Or, en raison de la militarisation des côtes mahoraises et du quadrillage policier de la mer, les soixante-dix kilomètres séparant l’île d’Anjouan de celle de Mayotte sont devenus un véritable cimetière marin, où des milliers de personnes y auraient été englouties ces dernières années pour avoir tenté d’échapper à l’interception de leurs embarcations de fortune.
Par ailleurs, preuve du caractère colonial de Mayotte, pourtant département français : l’île manque cruellement d’infrastructures. Les services hospitaliers sont insuffisants pour soigner la population. Dans les établissements scolaires les salles de classe sont surchargées. Pire : les structures sanitaires, rares, sont comparables à celles des pays sous-développés. Du fait de l’extrême pauvreté des élèves, ils sont incapables de suivre une scolarité normale, d’être réceptifs à l’instruction scolaire.
Certes Mayotte manque cruellement d’infrastructures industrielles, sanitaires, éducatives et culturelles. De nombreux secteurs sont délaissés. Mais exception faite de la gendarmerie et de la police. Ces deux «secteurs» cinétiques sont dotés d’abondants moyens répressifs, de matériels sophistiqués pour traquer les frêles embarcations empruntées par les habitants de l’archipel pour échapper à la misère de leur île encore plus pauvre que Mayotte. Au cours de ces dernières années, les effectifs de la police et de la gendarmerie ont presque triplé. L’objectif de ces forces de police françaises, épaulées par des radars et des vedettes, est d’entraver la circulation des habitants des autres îles, interdits de séjour dans Mayotte, une île qu’ils considèrent comme la leur. Il est vrai, historiquement, comme nous l’avons rappelé plus haut, les habitants de l’archipel, notamment les Comoriens sont plus chez eux à Mayotte que les colons français.
Quoi qu’il en soit, selon le droit international, Mayotte n’appartient absolument pas à la France. Aussi ses lois ne s’appliquent-elles pas aux populations autochtones colonisées. Eu égard aux résolutions de l’ONU, s’il y a bien des hors-la-loi à Mayotte, ce sont les Français colonisateurs.
Mayotte est un territoire occupé par la France. Mayotte est le Polisario de l’Océan Indien. Et l’Etat français le Makhzen de l’archipel des Comores. Pire. L’Etat colonial français condamne l’occupation de la Crimée et du Donbass par la Russie, deux régions pourtant historiquement russes, mais elle feint oublier son occupation illégale de Mayotte, une île située à 8 000 km de Paris. Pourquoi l’Europe et les Etats-Unis ne condamnent-ils pas la colonisation de Mayotte ? N’édictent-ils pas des sanctions contre la France ? N’envoient-ils pas une force armée pour libérer Mayotte ?
Par ailleurs, la France porte une responsabilité coloniale historique dans le sous-développement du sud-ouest de l’Océan Indien et tout particulièrement de l’Archipel des Comores. La misère de l’archipel, alimentée par la politique françafricaine, a favorisé des flux migratoires qui, par ailleurs, ont toujours existé entre les différentes îles, notamment entre Mayotte et Anjouan. Une chose est sûre : ce ne sont ni les Comoriens, ni les jeunes qui sont responsables de la misère sociale de l’île, mais l’Etat français.
Ironie de l’histoire, l’Etat impérialiste français promettait aux Comoriens de Mayotte, baptisés Mahorais, de transformer leur île en eldorado. Or, aujourd’hui, Mayotte est devenue une immense favela, disposant d’un revenu par habitant équivalent à certains pays sous-développés. Pire, une île dévorée par l’insécurité. Face aux difficultés économiques et sociales, la délinquance et la criminalité flambent. Mayotte est devenue une «poudrière, une bombe à retardement, c’est un Titanic à la dérive». Et pour cause. La France coloniale n’a jamais développé cette île occupée illégalement.
Depuis le début de la conquête, pour l’Etat impérialiste français, de tout temps indifférent au sort des populations autochtones, cet archipel de l’Océan Indien n’a pas d’autre intérêt que sa situation géostratégique sur la route maritime de l’Est africain. C’est un axe majeur du commerce mondial. Sans nul doute, cette opération militaro-policière à Mayotte rappelle étrangement les sinistres opérations de pacification menées par l’armée coloniale française en Algérie.
Aussi, d’aucuns, plaidant la cause de l’ensemble des populations de l’archipel, réclament l’abrogation du meurtrier «visa Balladur», le respect du droit à la circulation au sein de l’archipel des Comores, voire la fin de l’occupation coloniale de Mayotte par la France, donc le retrait immédiat des troupes françaises de l’Océan Indien et d’Afrique.
Début avril 2023, l’Algérie a pu récupérer un manuscrit islamique datant du XVIIe siècle et qui avait été saisi par les autorités coloniales françaises en 1842. Un document qui devait être mis aux enchères en France. Mais une mobilisation de binationaux algériens en a décidé autrement. Explications.
C’est un pas de plus dans la restitution de son patrimoine : l'Algérie a récupéré début avril 2023 un manuscrit islamique datant du XVIIe siècle.
Ce document avait été saisi par les autorités coloniales françaises en 1842, après une attaque de l'armée françaises dans les montagnes d'Ouarsenis. Une attaque dirigée contre l'émir Abdelkader, figure de la résistance anticoloniale aujourd'hui érigée en héros national.
Le 5 avril, dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères s’était félicité de cette restitution. D'autant que le manuscrit était initialement destiné à être vendu aux enchères en France.
Mobilisation et cagnotte en ligne
C'est sur la toile que la mobilisation pour récupérer ce manuscrit avait débuté. Tout était parti d'une annonce de vente aux enchères, postée par la maison Ruellan Auction. Plusieurs membres de la diaspora, principalement des jeunes binationaux, s’étaient alors organisés : ils ont sollicité la maison de vente, le consulat le plus proche, celui de Nantes dans l'ouest de la France, et les pouvoirs publics algériens.
Certains ont même lancé une cagnotte en ligne, pour tenter de racheter le document, au cas où il serait impossible d'empêcher sa mise en vente.
Leurs efforts ont payé, puisque la vente a finalement été annulée et le document est désormais entre les mains des autorités algériennes. Alger salue un « élan nationaliste qui honore les membres de [la] communauté [algérienne] à l'étranger ».
Le ministère des Affaires étrangères y voit un « haut sentiment de patriotisme », signe d'un « attachement à l'histoire » de l'Algérie et « à l'héritage [des] grands ancêtres ». Il souligne également la « rareté » de ce manuscrit, qu’il juge « d'une grande valeur historique » et « symbolique ».
« Ce manuscrit est important pour l’ensemble des Algériens »
« Ce manuscrit est important pour l’ensemble des Algériens, déjà parce qu’il appartient, et il a appartenu, à l’émir Abdelkader qui est la figure tutélaire de l’Algérie moderne, confirme Harrys Brikh, représentant de l'Union algérienne, un collectif actif sur les réseaux sociaux, qui s'est mobilisé pour la restitution de ce document. Il est le père de la nation algérienne. C’est un grand héros pour tous les Algériens, un grand résistant, un grand homme, croyant, farouchement attaché aux bons traitements des prisonniers, un homme exemplaire pour tous les Algériens où qu’ils se trouvent de par le monde. »
Harrys Brikh poursuit : « C’est un manuscrit qui est écrit en langue arabe. Il est l’œuvre de Al-Hadi Abu Srour Ibn Abd al-Rahman al-Abbadi al-Shafi'i qui vient du Caire. Et le contenu en lui-même, les autorités vont pouvoir l’examiner de manière plus concrète. Il va être donné à des historiens algériens. Il va avoir sa place dans un musée. Nous, en tant que diaspora algérienne, nous avions vocation à récupérer ce manuscrit et nous avons œuvré pour cela, parce que justement, parce que comme je vous le disais, il a appartenu au père de la nation algérienne. Souvent, on pense que les jeunes ne sont pas attachés au patrimoine. Les jeunes Algériens sont très attachés au patrimoine historique de l’Algérie ».
Sollicitée, la maison de vente Ruellan Auction n'a, de son côté, pas souhaité commenter cette restitution.
Aujourd’hui, Iliès dresse le portrait de l’émir Abdelkader, grande figure algérienne de la résistance contre l’occupation française.
Abdelkader ibn Muhieddine, aussi connu comme Abdelkader El Djezairi, a mené une période de lutte et de résistance intense envers la royauté française. Il a effectué cette mission en défendant une identité maghrébine et musulmane, en déclarant le Jihad en tant qu’Émir et Commandant des Croyants, élu par les tribus de sa région. Résistant reconnu par ses ennemis français comme le Général Desmichels, il deviendra même l’un des proches de Napoléon III après sa captivité en France lors de son exil à Damas. Exil où il gardera un rôle politique et intellectuel important.
L’invasion de la Régence d’Alger par les Français se déroule dans un contexte de politique intérieure défavorable pour le roi français Charles X, souverain durant la restauration (1824-1830), qui va chercher à recréer l’image d’un pouvoir fort à travers cette expédition.
Abelkader, fils de Zohia et Muhieddine Al Hassani est né en 1808, dans la willaya de Mascara. Son père, lié à la généalogie du prophète (sws), est chef d’une confrérie soufi, la Quadirriya. Sous l’influence de ses parents, le futur émir pris gout à l’éducation religieuse. A ses 14 ans, il fut capable de réciter le Coran par cœur, son père l’envoya alors approfondir son savoir à Oran afin d’étudier les sciences.
Dû à sa maturité, Muhhiedine privilégia Abdelkader plutôt que ses fils ainés afin de réaliser le Hajj (pèlerinage à la Mecque) en 1827 avec tout une escorte de cheikh de la région tout en visitant diverses villes importantes du monde Arabe de l’époque. Ainsi, il découvrit Tunis, Alexandrie, Le Caire, Damas et Bagdad, différentes villes comprenant un brassage de culture et de population qui éblouirent Abdelkader.
La Résistance
De retour dans sa région natale, Alger est touchée par une crise diplomatique avec la France. Anciennement fournisseur de blé sous le directoire, Dey Hussein, délégataire du pouvoir ottoman sur la régence d’Alger, se trouva mécontent du non remboursement de ses services. Une crise diplomatique éclata entre le Dey d’Alger et Charles X. Cette crise justifia l’invasion d’Alger par l’armée française. Suite à cet évènement, Muhieddine, au vu de son influence, rassembla les différents chefs des tribus de sa région pour entamer la résistance en 1832. Le père du jeune homme, voyant son âge avancé comme un poids, refusa le titre de Sultan qu’on lui accorda. L’assemblée désigna alors Abdelkader, au vu de son savoir et son charisme ; il reçut le titre d’Émir et Commandeur des Croyants.
La résistance se formant dans l’Ouest Algérien, les premiers contacts entre l’armée de l’Émir et les français eurent lieu près d’Oran. Il signa d’ailleurs en 1834, le Traité Desmichels. Ce traité intervient à un moment où le Général Desmichels, après avoir mené des razzias sur les tribus de la région oranaise, et suite à une disette à Oran, préféra discuter avec l’Émir plutôt qu’avec le pouvoir ottoman pour pacifier la région. Ce traité met fin aux hostilités entre population arabe et française, ré-ouvre les routes commerciales, mais surtout reconnait Abdelkader comme le Sultan des arabes dans cette région.
Le pouvoir Français, mécontent de ce traité, révoqua Desmichels et relancera sa politique de conquête en Algérie dès 1835. Les différentes victoires de l’Émir face aux troupes françaises du général Bugeaud et Clauzel amènera les deux parties à la signature d’un nouveau traité, celui de la Tafna en 1837. Ce traité est encore plus favorable que celui signé avec Desmichels. En reconnaissant la souveraineté de la France en Afrique, l’Émir Abdelkader devient souverain reconnu sur les deux tiers du territoire algérien.
Mais cette paix ne fut que provisoire, et les hostilités reprendront deux ans plus tard suite au non-respect du traité de la part des français. L’Émir décida alors de déclarer le Jihad, la guerre sainte. Face aux difficultés de consolider une capitale politique et culturelle, Hajj Abdelkader décidera de renouer avec ses traditions bédouines. Pour unir le lien entre les tribus résistantes et lutter contre l’avancée des troupes françaises sur ses terres, il créa la Smalah. Une ville nomade, avec son école, son hôpital et sa bibliothèque. La mobilité gagnée par cette tactique militaire décupla le champ d’action d’Abdelkader, lui permettant de surgir et d’agir à n’importe quel moment.
Plan de la Smalah d’après les indications du Général Daumas
Du côté de l’ennemi, le ton se durcit, Bugeaud est nommé gouverneur général de l’Algérie. Dès 1841, des politiques de terre brulée et de massacre de population sont mis en place par son armée afin d’empêcher un quelconque ravitaillement mais aussi pour faire peur aux autres tribus et villages encore résistants.
Durant 2 années, une escalade de la violence naitra du côté français, n’hésitant pas à s’en prendre aux civils alors même que l’Émir Abdelkader tenu à respecter au mieux les prisonniers de guerre. Un véritable déclin sonna du côté de la résistance malgré tous les moyens mis en œuvre pour continuer le combat. Le 14 mai 1843, le Duc d’Aumale, fils du roi Louis Phillipe, utilisa les renseignements donnés par un traitre connaissant la position de la Smalah. Il en profita pour attaquer, piller et détruire la ville mouvante alors même qu’Abdelakder et son armée s’y trouvèrent. La bibliothèque de l’érudit fut détruite, la population fut emprisonnée, laissant l’Émir sans aucun autre choix que de se réfugier au Maroc. Bugeaud le déclarera hors la loi en 1844, même année où le Maroc est défait lors de la bataille d’Isly. La France interdit tout soutient à Abdelkader sur les terres marocaines. Pourchassé et combattu par le souverain marocain, l’Émir continue à se battre malgré une armée réduite et appauvrie par le contexte.
L’étau franco-marocain se renfermant sur Abdelkader, il n’avait plus d’autre choix que de se rendre s’il voulait protéger ses proches et ses acolytes. Il accepta la reddition le 23 décembre 1847 sous une condition : l’exil à Alexandrie.
“C’est un ennemi actif, intelligent et rapide, qui exerce sur les populations arabes le prestige que lui ont donné son génie et la grandeur de la cause qu’il défend. C’est plus, beaucoup plus qu’un prétendant ordinaire ; c’est une espèce de prophète, c’est l’espérance de tous les musulmans fervents.”
Maréchal Bugeaud, 1er janvier 1846, dans “La vie d’Abd-El-Kader” (1867),Charles-Henry Churchill.
L’Exil
Hajj Émir Abdelkader El Djezairi se rendit au Duc d’Aumale (nouveau gouverneur général de l’Algérie) tout en espérant le respect des conditions passées avec l’ennemi. Encore une fois, la France ne respecta pas ses promesses envers Abdelkader. Entouré de ses proches et ses acolytes de guerre, il fut enfermé en premier lieu à Toulon au fort Lamalgue en 1848. Le pouvoir français craignait une chose : le retour d’Abdelkader en Algérie.
Les prisonniers de guerre ont ensuite été transférés dans le donjon du Château de Pau dans des conditions insalubres. La population, connaissant le respect d’Abdelkader pour ses ennemis (notamment grâce au traitement qu’il accorda à ses prisonniers de guerre durant la résistance), noua une amitié avec ce dernier.
Malgré la nomination de Lamoricière en tant que Ministre de la guerre, anciennement général en Algérie à qui Abdelkader lui promit le respect des conditions de reddition, les prisonniers furent déplacés à Bordeaux puis au Château d’Ambroise.
La France accorda plus de liberté aux prisonniers et le général Bugeaud tenta même de négocier une riche installation en France contre l’abandon d’un retour en terre d’Orient.
Continuant d’attendre son exil, Abdelkader organisa sa vie autour de sa vie spirituelle, en tenant des correspondances et des relations avec des ecclésiastiques français. Suite au coup d’Etat de Napoleon III et sa proclamation de l’Empire en 1852, le nouveau souverain français put décider seul du sort des prisonniers algériens. Abdelkader fut libérable et reçut à Paris par Napoléon III la même année.
Abdelkader protégeant les chrétiens de Damas durant les émeutes de juillet 1860 (Artiste : Jean-Baptiste Huysmans)
Exilé définitivement à Damas en 1855, Abdelkader mènera une vie pieuse et savante. Il édita les livres de son mentor spirituelle Ibn Arabi, grand théologien musulman du XIIè siècle originaire de Damas. Son influence fut telle qu’il réussit à lever une armée pour protéger les chrétiens de la ville durant les émeutes du 9 au 14 Juillet 1860.
Abdelkader put mener une fin de vie paisible à Damas malgré les remords d’une défaite contre un adversaire à deux visages, à la fois colonisateur mais aussi pays des Lumières. Le chef de la résistance meurt de maladie le 25 Mai 1883 à Damas. Il fut enterré auprès de son mentor soufi Ibn Arabi. S’il est bien le fondateur de l’Etat Algérien, reconnu comme le premier à s’être soulevé contre les forces françaises, c’est aussi comme savant pieux et grand diplomate que l’on peut voir l’image d’Abdelkader dans sa postérité.
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