iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
[Document muet] Ce document montre les suites des manifestations nationalistes du 8 mai 1945, en particulier la répression menée les jours suivants par l'armée française à l'encontre des populations civiles algériennes.
Date de diffusion :
17 mai 1945
Date d'événement :
08 mai 1945
Source :
Lieux :
Afrique > Algérie > Sétif
Éclairage
Si la date du 8 mai 1945 est celle de l'armistice et de la victoire sur le nazisme, elle représente en Algérie un tournant fondamental suite aux massacres coloniaux dans le Nord Constantinois.
Ce jour-là, dans la ville de Sétif, alors que les cérémonies et les festivités marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale se mettent en place, la manifestation organisée par les nationalistes du PPA – MTLD (Parti du peuple algérien – Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) dégénère. Les forces de police entendent retirer les drapeaux algériens et les banderoles appelant à la libération de Messali Hadj, le leader nationaliste arrêté le 23 avril 1945 puis emprisonné à Brazzaville, et réclamant l'indépendance de l'Algérie. C'est l'élément déclencheur d'une explosion de colère populaire longtemps contenue. Celle-ci s'explique notamment par une forte implantation du nationalisme dans la région, grâce à la diffusion depuis février 1943 du Manifeste peuple algérien par les Amis du Manifeste et de la liberté de Ferhat Abbas et le succès du PPA – MTLD, mais aussi en raison de la répression une semaine plus tôt des manifestations nationalistes du 1er mai à Alger et à Oran. Dans un contexte plus global, l'espoir d'obtenir le droit du peuple à disposer de lui-même dans le cadre de la conférence de San Francisco et de la Charte des Nations unies en cours de rédaction, sans oublier la constitution de la Ligue arabe, constituent un arrière-plan déterminant.
La manifestation de Sétif se transforme en émeutes meurtrières au cours desquelles plusieurs Français d'Algérie sont tués, puis des Algériens au cours de la répression. Un véritable mouvement insurrectionnel s'étend ensuite dans la région et se poursuit plusieurs jours. Ainsi à Kherrata, (Petite Kabylie), la révolte des paysans naît de façon spontanée dans l'après-midi, lorsque leur parviennent les informations de la ville. Des bandes d'hommes issus d'une population paysanne très pauvre, armés de quelques fusils, mais surtout d'outils agricoles et d'armes blanches, tuent sans distinction des Français d'Algérie, dans un esprit de vengeance du 8 mai. Le 12 mai, l'insurrection reflue mais le bilan affiche 90 Européens tués. L'état de siège est proclamé et l'armée doit réprimer 40 000 insurgés d'après ses propres estimations.
Selon l'historien Jean-Pierre Peyroulou : « les opérations militaires dépassèrent la simple activité de répression. Il y eut donc dans cette région une véritable guerre contre des civils très faiblement armés qui dura jusqu'au 24 mai, soit dix jours après que les assassinats d'Européens eurent cessé » (Jean-Pierre Peyroulou, « Les massacres du Nord-Constantinois de 1945, un événement polymorphe » , in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault (sous dir.), Histoire de l'Algérie à la période coloniale 1830-1962, La Découverte – Barzakh, 2012, page 503).
C'est cette répression impitoyable, souvent aveugle, qui nous est en partie restituée par les images de ces rushes tournées le 17 mai 1945 par l'armée française. Les exécutions, comme celle qui est filmée au début du sujet, ont été nombreuses, généralement sans distinction entre populations armées ou civils désarmés. Les cadavres, tels ceux filmés ici, sont généralement abandonnés, sans déclaration. En plusieurs endroits, des milices européennes ont rejoint l'action des militaires. Nulle trace explicite dans ces rushes, même si une séquence montre des soldats s'entretenir avec des civils au bord d'une route.
Le bilan des événements fait apparaître 102 morts côté français, dont 90 dans la région de Sétif. Il est beaucoup plus difficile à établir concernant les Algériens. Le bilan diffusé par les autorités françaises fait apparaître 1165 morts, mais il est très éloigné de la réalité. Le PPA annonce 45 000 morts et l'amplifie parfois à 80 000. L'historien Jean-Pierre Peyroulou, en reprenant notamment d'autres sources militaires britanniques ou du renseignement ou encore le journal de Ferhat Abbas, estime que l'ordre de grandeur est de 15 000 à 20 000 victimes. Ce chiffre n'est pas celui d'une répression mais bien d'un massacre colonial de populations civiles.
Résumé :
[Document muet] Ce document montre les suites des manifestations nationalistes du 8 mai 1945, en
Éclairage
Si la date du 8 mai 1945 est celle de l'armistice et de la victoire sur le nazisme, elle représente en Algérie un tournant fondamental suite aux massacres coloniaux dans le Nord Constantinois.
Ce jour-là, dans la ville de Sétif, alors que les cérémonies et les festivités marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale se mettent en place, la manifestation organisée par les nationalistes du PPA – MTLD (Parti du peuple algérien – Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) dégénère. Les forces de police entendent retirer les drapeaux algériens et les banderoles appelant à la libération de Messali Hadj, le leader nationaliste arrêté le 23 avril 1945 puis emprisonné à Brazzaville, et réclamant l'indépendance de l'Algérie. C'est l'élément déclencheur d'une explosion de colère populaire longtemps contenue. Celle-ci s'explique notamment par une forte implantation du nationalisme dans la région, grâce à la diffusion depuis février 1943 du Manifeste peuple algérien par les Amis du Manifeste et de la liberté de Ferhat Abbas et le succès du PPA – MTLD, mais aussi en raison de la répression une semaine plus tôt des manifestations nationalistes du 1er mai à Alger et à Oran. Dans un contexte plus global, l'espoir d'obtenir le droit du peuple à disposer de lui-même dans le cadre de la conférence de San Francisco et de la Charte des Nations unies en cours de rédaction, sans oublier la constitution de la Ligue arabe, constituent un arrière-plan déterminant.
La manifestation de Sétif se transforme en émeutes meurtrières au cours desquelles plusieurs Français d'Algérie sont tués, puis des Algériens au cours de la répression. Un véritable mouvement insurrectionnel s'étend ensuite dans la région et se poursuit plusieurs jours. Ainsi à Kherrata, (Petite Kabylie), la révolte des paysans naît de façon spontanée dans l'après-midi, lorsque leur parviennent les informations de la ville. Des bandes d'hommes issus d'une population paysanne très pauvre, armés de quelques fusils, mais surtout d'outils agricoles et d'armes blanches, tuent sans distinction des Français d'Algérie, dans un esprit de vengeance du 8 mai. Le 12 mai, l'insurrection reflue mais le bilan affiche 90 Européens tués. L'état de siège est proclamé et l'armée doit réprimer 40 000 insurgés d'après ses propres estimations.
Selon l'historien Jean-Pierre Peyroulou : « les opérations militaires dépassèrent la simple activité de répression. Il y eut donc dans cette région une véritable guerre contre des civils très faiblement armés qui dura jusqu'au 24 mai, soit dix jours après que les assassinats d'Européens eurent cessé » (Jean-Pierre Peyroulou, « Les massacres du Nord-Constantinois de 1945, un événement polymorphe » , in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault (sous dir.), Histoire de l'Algérie à la période coloniale 1830-1962, La Découverte – Barzakh, 2012, page 503).
C'est cette répression impitoyable, souvent aveugle, qui nous est en partie restituée par les images de ces rushes tournées le 17 mai 1945 par l'armée française. Les exécutions, comme celle qui est filmée au début du sujet, ont été nombreuses, généralement sans distinction entre populations armées ou civils désarmés. Les cadavres, tels ceux filmés ici, sont généralement abandonnés, sans déclaration. En plusieurs endroits, des milices européennes ont rejoint l'action des militaires. Nulle trace explicite dans ces rushes, même si une séquence montre des soldats s'entretenir avec des civils au bord d'une route.
Le bilan des événements fait apparaître 102 morts côté français, dont 90 dans la région de Sétif. Il est beaucoup plus difficile à établir concernant les Algériens. Le bilan diffusé par les autorités françaises fait apparaître 1165 morts, mais il est très éloigné de la réalité. Le PPA annonce 45 000 morts et l'amplifie parfois à 80 000. L'historien Jean-Pierre Peyroulou, en reprenant notamment d'autres sources militaires britanniques ou du renseignement ou encore le journal de Ferhat Abbas, estime que l'ordre de grandeur est de 15 000 à 20 000 victimes. Ce chiffre n'est pas celui d'une répression mais bien d'un massacre colonial de populations civiles.
Depuis quelques jours, l’horrible assassinat par décapitation du professeur de Conflans-Sainte-Honorine, Samuel Paty, est sur toutes les lèvres. Ce n’est malheureusement pas la première fois que la France est ainsi frappée, mais la violence du geste et du symbole – la tête coupée, celle d’un professeur d’histoire – risque de marquer les esprits fortement… avant l’oubli et l’abandon.
N’y a-t-il pas eu, déjà, les innocentes petites vies des enfants de Toulouse, ou le martyre du Père Hamel, égorgé à Saint-Etienne-du-Rouvray, ou les centaines de suppliciés du Bataclan, de Nice ou d’ailleurs ? Ces morts n’ont manifestement pas servi à grand-chose.
Nous assistons à un déchaînement indécent de déclarations publiques, à temps et à contre-temps. Bougies, ballons, banderoles : tout l’attirail du militantisme frelaté est de sortie. Un soupçon d’indignation, un zeste de fermeté, à l’image de Gérald Darmanin qui vient de décréter – il n’est jamais trop tard ! – la fermeture de la mosquée de Pantin et l’expulsion de 231 radicalisés. Est-ce une plaisanterie ? Le Renseignement annonce 540 mosquées radicales en France, chacun sachant qu’il y en a probablement cinq à six fois plus. Ainsi, sur plusieurs milliers de mosquées, l’on a dénombré 15 fermetures en 3 ans. Quant aux apprentis décapiteurs, on dénombre 4 111 étrangers signalés pour radication à caractère terroriste, dont 851 immigrés clandestins. Pourquoi donc s’arrêter à 231 ?
La « tragédie de Conflans-Sainte-Honorine », qui vient s’ajouter au « drame de Nice », ou à « l’horreur du Bataclan », ne peut s’expliquer que par la méconnaissance obtuse, irresponsable, de la part de nos dirigeants, de l’implacable réalité de la situation : il ne s’agit pas d’actes isolés de déséquilibrés, ou de gens aveuglés par une idéologie, pour reprendre les éléments de langage journalistiques. Persister dans cette analyse des faits est un mensonge avéré : nous sommes en guerre. Point. Et comme dans toute guerre, il y a dans notre camp, celui de la France, des traîtres qui font œuvre de sape et travaillent pour l’ennemi : ceux que l’on nommait, à l’époque de la guerre d’Algérie, les « porteurs de valise ». Ce rapprochement historique n’est pas anodin : l’événement fondateur de la guerre d’Algérie fut la Toussaint rouge, le 1e novembre 1954, qui vit le pays submergé par une vague de 70 attentats. Parmi les toutes premières victimes, une mort, symbolique entre toutes : Guy Monnerot, jeune instituteur venu de Limoges, abattu à coups de pistolet-mitrailleur avec son épouse Jeannine, et laissé sur le bord de la route. Samuel Paty est l’héritier de Guy Monnerot.
Aujourd’hui, les porteurs de valise sont innombrables.
La classe politique de gauche, qui manifestait il y a quelques mois contre l’islamophobie, et vient verser aujourd’hui sa petite larme, alors qu’elle a ouvert tout grand les vannes de l’immigration, puis permis aux organisations terroristes de prospérer sur notre sol au nom de l’antiracisme.
Les politiciens de droite qui, par peur du qu’en-dira-t-on, se sont toujours rangés bien sagement dans les cortèges des manifestations derrière leurs collègues de gauche pour éviter d’apparaître comme fascistes, et se sont bien gardés, quand ils étaient au pouvoir, d’inverser la vapeur, ouvrant également tout grand les portes de l’immigration incontrôlée, et inaugurant à tour de bras des mosquées un peu partout en France.
Les média, bien sûr, soumis comme jamais, champions du pas d’amalgame, toujours si prompts à décerner des certificats de bonne conduite aux radicalisés, ou des diagnostics de déséquilibre psychique aux assassins.
L’Éducation nationale, qui a érigé en principe éducatif la soumission à l’envahisseur, et qui n’a jamais voulu soutenir ses professeurs attaqués, méprisés, menacés, au motif que le multiculturalisme était l’avenir de tous et qu’il ne fallait pas faire de vagues, jusqu’à ce que l’un d’entre eux finisse par le payer de sa vie.
En queue de cortège, n’oublions pas enfin la dangereuse pente prise par la hiérarchie de l’Église catholique, inconditionnellement immigrationniste, qui a préféré ouvrir des asiles aux migrants musulmans plutôt que de recueillir des Chrétiens d’Orient persécutés, et qui se méfie comme de la peste de la mission et de la conversion des mahométans, s’illusionnant d’un possible dialogue avec les imams au nom d’une image dévoyée de la fraternité.
Heureusement, il existe encore des voix courageuses qui s’efforcent, inlassablement et au prix de la censure, de dénoncer le scandale. Elles sont trop rares, mais la vérité finit par toujours par triompher, aussi douloureux cela soit-il. Il faut simplement espérer qu’il ne soit pas trop tard !
par François Billot de Lochner, le 20 octobre 2020
Ammar Mansouri est né en 1957. C'est un chercheur en génie nucléaire. Titulaire du baccalauréat technique - mathématiques, d'un diplôme d'études supérieures en chimie organique, d'un magistère et d'un doctorat en génie nucléaire, le docteur Mansouri a assumé plusieurs responsabilités dans les associations estudiantines. Il a enseigné à l'université et assumé plusieurs responsabilités au niveau de l'administration universitaire et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Membre fondateur de certaines sociétés savantes à caractère scientifique et technologique, il a participé à l'organisation de dizaines de séminaires et colloques scientifiques et historiques nationaux et internationaux. Il a également participé à la réalisation de plusieurs films documentaires sur les multiples crimes du colonialisme. Actuellement, il exerce la fonction de chercheur permanent et s'intéresse à l'écriture de l'Histoire nationale. Il publie des dossiers et des articles dans des revues nationales, notamment le dossier des «Explosions et essais nucléaires français au Sahara algérien». Et c'est sur ce sujet que nous avons réalisé notre entretien.
L'Expression: Le débat sur les explosions et les essais nucléaires français dans le sud du pays occupe la scène médiatique depuis ces derniers mois. Des ONG ont invité la France à faciliter au plus vite le nettoyage des sites où se sont déroulés les essais. Question simple, mais stratégique: de quels types de déchets nucléaires s'agit-il exactement? Docteur Ammar Mansouri: Tout d'abord ce dossier demeure un sujet d'actualité jusqu'à l'obtention, de la France, la reconnaissance de ce crime nucléaire, l'indemnisation des victimes et le nettoyage et la réhabilitation des sites pollués au niveau du Sahara; c'est notre condition sine qua none. Par ailleurs, il y a lieu de noter que le nucléaire civil ou militaire génère des déchets radioactifs, sous forme gazeuse, liquide et solide, nocifs et dangereux pour toutes formes de vie. En ce qui concerne les explosions, les essais et les expérimentations nucléaires la situation est beaucoup plus dramatique. Les effets des explosions et des essais nucléaires sont connus à travers le monde (dégâts environnementaux et victimes) et comme le précise Albert Einstein: «Quoi qu'il en soit, l'atome ne pardonne pas?» Donc Einstein avait raison! Il faut ajouter aussi que les rayonnements ionisants émis par les sources radioactives n'ont ni odeur, ni couleur, ni saveur, ils sont invisibles et silencieux, donc dangereux pour toute forme de vie (humains, faune et flore). Il y a lieu de rappeler qu'il y a eu 2060 explosions nucléaires dans le monde dont 573 atmosphériques, très polluantes et 1487 souterraines réalisées entre le 16 juillet 1945 (Etats-Unis) et le 9 septembre 2017 (Corée du Nord). Ces explosions nucléaires ont causé des millions de victimes des cancers variés des malformations et la pollution gratuite de la planète Terre!!! 21 pays ou régions sont concernés par les conséquences de ces explosions nucléaires dont l'Algérie. Aussi, il ne faut pas oublier la gestion des déchets nucléaires qui est considérée comme le cauchemar du nucléaire. à Hammoudia (Reggan), suite aux quatre explosions atmosphériques: des centaines d'hectares de sable vitrifié hautement contaminé; Taouriret Tan Affela (In Ekker) suite à l'accident de l'explosion souterraine «Béryl» du 1er mai 1962: des tonnes de lave hautement contaminée et Taouriret Tan Attaram (In Ekker): zone de centaines d'hectares des cinq essais de «l'opération pollen» contaminée par du plutonium dont la demi-vie est de 22410 années!!! Il y a aussi des zones contaminées sur un rayon de 700 km (434,96 miles), selon la loi américaine. Une carte de l'armée française de 1960 déclassifiée le 4 avril 2013 montre que les retombées radioactives de «Gerboise bleue» ont été beaucoup plus importantes que celles admises à l'époque, s'étendant à toute l'Afrique de l'Ouest et au sud de l'Europe, selon le document publié vendredi 14 février 2014 par Le Parisien. Enfin, il y a lieu e rappeler les tentatives de restauration environnementale demandée par l'Agence internationale à l'énergie atomique (Aiea). En effet, en date du 22 septembre 1995, lors de sa conférence générale annuelle, l'Agence internationale à l'énergie atomique (Aiea) a demandé aux Etats concernés par les essais nucléaires, à «assumer toutes leurs responsabilités pour que les sites où ils avaient effectué des essais nucléaires soient surveillés scrupuleusement et que des mesures appropriées soient prises pour qu'il n'y ait pas d'effets néfastes sur la santé, la sécurité et l'environnement». Certaines puissances nucléaires ont répondu favorablement à cet appel: les USA avec les Îles Marshal, UK avec l'Australie, la Russie avec le Kazakhstan, la France avec la Polynésie...), mais malheureusement, comme toujours, la France avec l'Algérie est passée outre cet appel jusqu'au jour d'aujourd'hui!!! Il faut rappeler aussi que si les explosions nucléaires appartiennent au passé, leurs conséquences sur la santé et l'environnement s'étalent sur des siècles, voire même des millénaires. Enfin, l'Algérie sera confrontée à l'avenir au problème concernant la gestion des déchets nucléaires de la France coloniale qui illustre le vrai cauchemar des conséquences durables du nucléaire!!!
Sentez-vous une volonté chez les autorités françaises d'avancer sur ce dossier comme cela a été le cas auprès des mines posées aux frontières tunisiennes et marocaines, la restitution d'archives audiovisuelles de l'INA de la période 1940? Toutes ces mesures prises, d'ailleurs très en retard, ne représentent que de la poudre aux yeux parce que ça n'impliqué pas des incidences financières qui sont le nerf de la guerre. À titre indicatif, pour les mines c'était en 2007 que le voile a été levé sur ce dossier après que l'Algérie a recensé des milliers de victimes humaines et animales!!! Donc, la volonté de la France n'y est pas, surtout avec l'épineux dossier des explosions et des essais nucléaires français au Sahara algérien. Ce crime nucléaire demeure un héritage colonial empoisonné pour le Sahara et lourd pour l'Algérie, qu'on peut résumer en quatre points essentiels: Victimes sans reconnaissance et sans indemnisations, dégâts environnementaux sans précédent, disparus «Cobayes» sans traces et archives Secret-défense et incommunicables. En effet, le Sud algérien a été le théâtre de 57 explosions, essais et expérimentations, selon les termes inscrits dans des documents de la France coloniale elle-même, entre 1960 et 1966 au niveau de trois sites à savoir: -en plus des laboratoires du Commissariat à l'Energie atomique français (CEA), composés de 14 tunnels; au niveau de Reggane plateau où il y a eu la manipulation de la radioactivité à grande échelle.
En 2010, la France a voté une loi selon laquelle les archives des essais nucléaires ont été classées dans la catégorie de celles qui sont «incommunicables», sans limitation de temps. Comment avancer sur ce dossier quelque part verrouillé? C'est le nerf de la guerre, car tout repose sur les archives pour la reconnaissance du crime nucléaire pour l'indemnisation, la connaissance des puissances réelles des explosions, la connaissance des lieux d'enfouissement et d'enterrement, sous le sable au Sahara, des déchets nucléaires, des engins ainsi que du matériel contaminés. La France, a eu recours à un vice de forme de faire des archives de son programme nucléaire dans le cadre de la révision de la loi sur les archives en 2008 pour rendre les archives du nucléaire «incommunicable» sous prétexte de protéger la fabrication de la bombe atomique, c'est comme on a affaire à une bombe de type cocktail Molotov!!! Il faut signaler, qu'aux Etats-Unis, les opérations de déclassification des documents secrets sur les explosions nucléaires américaines ont commencé en 1994 suite à la décision prise par le gouvernement Clinton le 7 décembre 1993, et elles se poursuivent encore aujourd'hui.
Les États-Unis admettent que leurs expériences nucléaires ont fait des victimes; ils ont voté en 1988 une loi pour indemniser tant les vétérans civils et militaires que les populations voisines de leurs anciens sites d'essais. Il se trouve que des officiels français continuent à affirmer que ces essais ont été «propres» et sans conséquences sur la santé des personnes. Pourquoi ce déni à votre avis? De son côté la France aussi a reconnu que ses explosions nucléaires ont fait des victimes algériennes, polynésiennes et françaises. Mais, elle a voté en 2010, 50 ans après son crime nucléaire, une loi de reconnaissance et d'indemnisation des victimes militaires et civiles y compris les populations voisines des anciens sites d'explosions nucléaires.
Mais qu'en est-il sur le terrain? Sur les 150000 militaires et civils qui ont participé ou assisté aux explosions du programme nucléaire de De Gaulle (dont 24000 en Algérie et 126000 en Polynésie), auxquels s'ajoutent les travailleurs algériens, polynésiens et autres ainsi que les populations vivant à proximité des différents sites des explosions nucléaires qui sont potentiellement atteints par les conséquences des 250 explosions et essais nucléaires français qui se sont déroulés de 1960 à 1966 au Sahara algérien puis de 1966 à 1996 en Polynésie, seules 224 victimes françaises (zone Polynésie) et 75 (zone Algérie) et 63 victimes polynésiennes et une seule victime algérienne (veuve ayant droit) ont été indemnisées entre 2010 et 2019 selon le rapport d'activité 2019 du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Quelle indemnisation après 60 années d'attente et de souffrances! Effectivement, des officiels français continuent à affirmer que leurs explosions nucléaires étaient «propres» et sans conséquences sanitaires et environnementales car elles étaient conduites par des apprentis sorciers sur un territoire d'indigènes colonisés, d'une part, et la politique française en la matière repose sur deux principes: le mensonge et la perte de temps, d'autre part. Ceci est partagé par Bruno Barrillot (décédé le 25 mars 2017) qui, dans son dernier message qui m'a été adressé le 11 janvier 2017, m'a écrit: «Je lis que vous avez bien résumé la situation...» Sept ans de perte de temps» et je pense que le gouvernement français continue sur cette lancée. En fait, il s'agit de tergiversations du gouvernement français pour faire perdre un temps précieux à tous ceux qui se battent pour les droits des victimes des essais nucléaires. La logique officielle française semble être d'attendre que nous ayons tous disparu, tant les victimes que ceux qui comme vous et moi et tant d'autres» Aussi, il y a lieu de préciser les maladies radio-induites reconnues et indemnisées par les différentes législations: 48 pour le Japon, 36 pour les USA et l'Angleterre et seulement 21 pour la France à travers la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français dite «loi Morin» promulguée le 5 janvier 2010. Cette loi a été révisée en 2013: articles 53/54 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014-2019 avec extension des zones d'indemnisation à toute la Polynésie. Puis révisée en 2017: article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique: avec suppression du risque négligeable. Aussi, trois décrets d'application ont été promulgués: le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010, le décret n° 2010-604 du 30 avril 2012 et le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014.
Que doit-on conclure? En guise de conclusion, je dirais que tous les peuples victimes des explosions et des essais nucléaires ont de grandes difficultés à faire reconnaître la violation de leurs droits par les grandes puissances nucléaires. Ainsi, vu la dimension internationale des conséquences des explosions, des essais et des accidents nucléaires, et à l'instar des conférences internationales ayant trait à la protection de l'environnement, aux changements climatiques, etc..., il nous semble nécessaire qu'un appel soit lancé à la communauté internationale pour l'organisation d'une conférence internationale sous l'égide de l'ONU pour la prise en charge du dossier des explosions, des essais et des accidents nucléaires à travers le monde.
Il est de tradition de présenter les relations franco-algériennes depuis l’indépendance comme marquées du sceau de la difficulté, de l’incompréhension, de la méfiance. Comment en effet ne pas évoquer les crises — du vin en 1967-1968, du pétrole en 1970-1971, de l’émigration ensuite — qui jalonnèrent ces rapports que des divergences en politique étrangère ont encore aigris à partir de 1975 ? La France giscardienne intervenait alors activement en Afrique pour aider ses amis et clients « conservateurs » alors que l’Algérie de Boumediène aspirait à être le chef de file du camp progressiste. Alger parlait volontiers des « occasions manquées » par une France, figée dans un esprit de domination hérité du passé, qui n’avait pas su établir une « coopération exemplaire » et agir en commun avec l’Algérie dans l’arène internationale contre le tête-à-tête des deux superpuissances.
La visite à Alger en avril 1975 de M. Giscard d’Estaing, premier chef d’État français à se rendre en Algérie en voyage officiel depuis l’indépendance, avait suscité des espoirs à la mesure des désenchantements qui suivirent, lorsque Paris prit le parti de Rabat dans le conflit du Sahara occidental. Cette nouvelle crise atteignit son paroxysme lorsque les Jaguar attaquèrent les maquisards du Polisario, lesquels, il est vrai, avaient enlevé plusieurs techniciens français travaillant en Mauritanie ; leur libération à la Noël 1977, après plusieurs mois de détention, fit retomber la tension, mais une fois de plus se vérifiait la formule de Boumediène : « Les relations entre la France et l’Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, elles ne peuvent être banales. »
M. Claude Cheysson, ministre des relations extérieures, entrait dans cette logique lorsqu’en août 1981, venu préparer une visite de M. Mitterrand, il parlait à Alger d’un « coup de passion » entre les deux pays. Passionnées, certes, les relations franco-algériennes l’ont été tout au long de ces vingt dernières années. Elles n’ont même été que cela. Pouvait-il en être autrement ? Y a-t-il eu dans le monde — Vietnam mis à part — décolonisation plus complexe et plus traumatisante ?
En France, la droite n’a toujours pas vraiment accepté ce qui lui apparaît encore comme une défaite, un renoncement, une amputation. Les « pieds-noirs » entretiennent le souvenir d’une Algérie qui était trop exclusivement la leur. La gauche, communistes inclus en dépit de leurs efforts pour récrire l’histoire et en supprimer des passages gênants, tel le vote en 1956 des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, reste culpabilisée. Le P.S. lui-même, bien qu’il compte dans ses rangs nombre de militants de la lutte anticoloniale venus de l’UNEF, du P.S.U. ou de la C.F.T.C., ne peut totalement ignorer l’héritage de la S.F.I.O., de l’envoi du contingent en Algérie à l’expédition de Suez en 1956. C’est aussi dans les rangs de cette gauche que l’Algérie a trouvé des « compagnons de route » romantiques ou honteux qui ont contribué à former l’image d’une révolution algérienne mythique, pure et dure, bâtissant à marches forcées un paradis socialiste.
Les gaullistes ont contribué à l’entreprise : sans doute ont-ils eu le courage d’avoir mené à son terme la décolonisation, mais ils ne peuvent ignorer qu’elle s’est achevée dans un bain de sang et au prix d’équivoques peu glorieuses. Ils avaient rêvé d’une Algérie indépendante étroitement liée à la France par la coopération et où subsisterait une importante minorité française. Or les accords d’Évian (18 mars 1962) ont été vidés de leur contenu par l’exode massif des Européens au printemps et à l’été 1962, exode que les éléments « durs » du F.L.N. n’ont rien fait pour freiner, bien au contraire.
Des plaies à vif
La guerre d’Algérie, pour toutes les familles politiques françaises, constitue une des pages les plus noires de leur histoire contemporaine, page d’autant plus douloureuse qu’elle a été marquée du sceau infamant de la torture. Que les plaies soient encore à vif au bout de deux décennies, il n’est pas permis d’en douter. En témoignent les polémiques suscitées par les récentes mesures gouvernementales d’amnistie pour les faits liés à la guerre. En témoignent encore les débats suscités par le film de Pierre Schoendorfer l’Honneur d’un capitaine, qui raconte l’histoire d’un officier qualifié publiquement de tortionnaire vingt ans après sa mort sur la ligne Morice, à la frontière tunisienne, et dont la veuve veut laver la mémoire. (Lirel’articlede Christian Zimmer.)
En témoigne aussi la tempête soulevée par l’initiative d’un ministre socialiste proposant innocemment d’ériger au rang de date de « recueillement national » l’anniversaire du 19 mars 1962, qui vit l’entrée en vigueur du cessez-le-feu en Algérie. Comment d’ailleurs oublier ce que furent les « départements français d’Algérie » alors que les séquelles en sont encore présentes au cœur même de la société française ? Si les rapatriés sont intégrés, économiquement et socialement sinon psychologiquement, il n’en est pas de même des harkis, ces supplétifs « coupables » d’avoir « choisi » la France, moisissant aux marches de la société française et dont les fils rejoignent dans une même frustration et une identique révolte les émigrés de la « seconde génération », ballottés, eux aussi, entre deux cultures et rejetés des deux côtés de la Méditerranée.
L’Algérie reste donc un problème intérieur français, vivace et douloureux. Elle va jusqu’à constituer un thème décisif dans certaines élections locales. C’est une liste « Algérie française » qui, en juin 1978, a chassé les socialistes de la mairie d’Aix-en-Provence. Les rapatriés constituent toujours un enjeu, et leurs voix sont sollicitées dans toutes les consultations. Déçus par M. Giscard d’Estaing, hostiles par tradition aux gaullistes « qui les ont trompés », ils n’ont sans doute pas été tout à fait étrangers à la victoire socialiste du 10 mai 1981.
En va-t-il différemment de l’autre côté de la Méditerranée ? Les relations avec la France jouent un rôle majeur dans le débat interne, même si l’opacité d’un régime qui ne tolère pas d’expression autre qu’officielle ne permet pas de cerner exactement l’importance du phénomène. Le pouvoir se réclame plus que jamais aujourd’hui de l’ « héritage de novembre » (du 1er novembre 1954) et célèbre d’autant plus les vertus des moudjahidin que ceux-ci végètent souvent dans d’humbles emplois administratifs lorsqu’ils n’ont pas choisi, comme nombre d’anciens dirigeants de la fédération de France du F.L.N., de vivre dans l’ancienne métropole. La presse exalte périodiquement les exploits des combattants, justifiant du même coup le rôle dominant joué par l’armée dans la vie politique depuis l’indépendance. Le régime fonde de plus en plus sa légitimité sur le combat libérateur. Les Français sont-ils les mieux placés pour s’en étonner ou s’en scandaliser, la référence à la résistance contre l’occupation allemande constituant encore une donnée politique essentielle et la collaboration avec les nazis une tache infamante ? Paradoxalement, les adversaires les plus résolus d’hier sont ceux qui ont aujourd’hui à l’égard de la France la plus grande marge de manœuvre. Les responsables qui, au contraire, n’ont rejoint que tardivement le F.L.N. n’hésitent pas toujours à recourir à la surenchère nationaliste pour se faire pardonner leurs tiédeurs passées.
De façon générale, les dirigeants algériens se sont abstenus — et cela mérite d’être souligné — de cultiver démagogiquement la haine et d’entretenir ou de susciter les rancœurs. « Certes, nous disait l’un d’entre eux, il faut que les jeunes générations sachent de quel prix a été payée l’indépendance nationale, non pas pour entretenir un stérile esprit de vengeance, mais pour se montrer dignes des aînés et consentir les sacrifices nécessaires pour donner à cette indépendance un contenu économique, social et culturel. »
La presse algérienne n’exploite pas les macabres découvertes faites en différents points du territoire dans d’anciens camps de détention ou des centres d’interrogatoire de l’armée française. Récemment encore, en janvier 1982, la mise au jour d’un immense charnier à Khenchela, dans l’est du pays, sur les contreforts des Aurès, a été rapportée par El Moudjahid en termes sobres, sans insistance. Mais les responsables algériens n’ont pas été mécontents de l’écho donné à cette affaire en France par une enquête de Libération qui a suscité de vives controverses et a révélé aux jeunes Français un aspect soigneusement occulté de la guerre d’Algérie.
L’accueil de la population aux Français, coopérants, techniciens des sociétés privées, rares touristes, est empreint de dignité et souvent même de chaleur, surtout chez les plus de trente ans. Le ton change avec les jeunes qui n’ont pas connu la guerre et ont de la colonisation une vision manichéenne. Ils ne peuvent imaginer la complexité de la société coloniale et l’ambiguïté des rapports qui existaient entre colonisateurs et colonisés dans un système caractérisé par la présence d’une forte population européenne — modèle et repoussoir à la fois — et par une volonté d’intégration et donc une politique d’acculturation des « indigènes » qui, par son ampleur, n’a sans doute pas eu d’équivalent ailleurs.
Bilinguisme de fait
Dans la société algérienne elle-même, les attitudes face à la France, pour n’être pas mesurables — faute de pouvoir se manifester publiquement — n’en sont sans doute pas moins très diverses. Il est impossible d’évaluer le rôle et la place des familles qui s’étaient jadis « compromises » avec le colonisateur et ont été écartées du pouvoir politique. De même, il est difficile de cerner l’importance et l’influence de courants ou de sensibilités incarnés dans le passé par des hommes comme Messali Hadj ou Ferhat Abbas. Il est douteux cependant qu’ils aient un impact sur une jeunesse « désinformée » par quinze ans de boumediénisme. L’ancien chef de l’Etat ne tolérait qu’une histoire du nationalisme algérien expurgée et ne faisait pas mystère de son aversion pour la notion de « chefs historiques », sans doute, disent ses adversaires, parce qu’il n’en faisait pas partie. Ces jeunes, en revanche, peuvent être sensibles aux discours des intellectuels arabes tournés vers le Proche-Orient. Ils militent pour un « retour » à une « authenticité » et à une « identité » arabes, vivement contestées d’ailleurs par les berbérophones, tout en affichant, leur hostilité à la langue et à la culture françaises.
Le français garde, pourtant, de très fortes positions malgré la politique d’arabisation officiellement proclamée. Il a fallu attendre, il est vrai, la mise en place d’une nouvelle équipe sous la houlette du président Chadli Bendjedid pour que se manifeste concrètement la volonté d’appliquer la partie de la Charte nationale de 1976, qui fait de l’arabisation l’axe de la révolution culturelle. Mais, en raison des tensions qui se sont manifestées dans la rue en 1980 par une double agitation des étudiants arabisants et des Kabyles berbérophones et francisants, les autorités n’avancent que pas à pas, avec une grande prudence.
L’objectif poursuivi est d’instaurer un bilinguisme de fait. Il est loin d’être atteint, le français restant très largement dominant dans les circuits économiques, la plupart des administrations, à l’Université et dans les moyens d’information. « Nous avons plus fait pour répandre la langue française que la colonisation en cent trente ans », nous disait, non sans raison, un responsable de l’éducation nationale. Le français est enseigné partout — grâce à la politique de scolarisation — à raison de deux heures par jour au moins dès la quatrième année de scolarité lorsque commence, à l’âge de dix ans, le second cycle de l’école fondamentale (1). Il constitue la langue de travail des universités et des instituts scientifiques et technologiques où se trouvent la majeure partie des étudiants. Le principal quotidien du pays, El Moudjahid, rédigé en français, tire à plus de 300 000 exemplaires, soit près du double des trois quotidiens en arabe. L’hebdomadaire Algérie-Actualités, réalisé par une équipe jeune et dynamique, vend chaque semaine quelque 100 000 numéros. La télévision, en revanche, est largement arabisée, et le bulletin d’information du soir, le plus important, car largement écouté sur tout le territoire, est présenté en arabe. Mais une station de radio, la chaîne 3, dite « internationale », fait la part du lion au français, les émissions en espagnol et en anglais n’occupant qu’un court créneau d’une heure chaque soir. Les ministères de la justice et de l’intérieur mis à part, l’emploi du français est largement répandu dans les administrations. Il suffit pour s’en convaincre de lire les circulaires internes affichées sur les panneaux placés dans les halls d’entrée. Enfin, nombreux sont les Algériens qui écoutent Radio-Monte-Carlo ou France-Inter. Sur le littoral, les gens aisés se procurent, en général par l’intermédiaire d’émigrés, un téléviseur bistandard et une antenne spéciale permettant de capter TF 1 et Antenne 2 (2).
Cette pratique du français explique pour une très large part la familiarité des relations bilatérales telles qu’elles sont vécues au niveau populaire. Pour nombre d’Algériens des classes moyennes, la France constitue un prolongement naturel de leur pays : ils en connaissent les produits et rêvent devant les publicités dans les hebdomadaires féminins français des derniers gadgets ménagers. La communauté émigrée en France, forte de près de 1 million de personnes, sert de relais, de point d’appui, de base d’accueil. Tel jeune fonctionnaire, par ailleurs très nationaliste et partisan des options du régime, passe chaque année ses vacances à Quimper. Depuis plusieurs années, le gouvernement n’importe plus de voitures françaises, préférant conclure des contrats avec le Brésil, les pays de l’Est et, plus récemment, le Japon. Mais les Renault et les Peugeot ramenées et vendues par les émigrés n’en restent pas moins très prisées : elles constituent encore l’essentiel du parc automobile algérien (3). On pourrait multiplier les exemples de ce type. Toutes ces importations invisibles ne sont pas prises en compte par la balance commerciale officielle, mais représentent des montants très élevés, que l’on pouvait chiffrer, en 1980, à quelque 4 ou 5 milliards de francs.
Un double sentiment d’attraction-répulsion
Dans le domaine de la santé, la Sécurité sociale algérienne n’accepte, en principe, de prendre en charge les frais entraînés par une hospitalisation en France que pour des cas ne pouvant être traités en Algérie, faute de spécialistes ou de moyens. En fait, les dérogations se multiplient, le citoyen algérien ne manifestant qu’une confiance limitée au système hospitalier national, pourtant entièrement gratuit. Il en résulte des charges financières lourdes pour l’Etat, elles-mêmes génératrices de contentieux.
La proximité géographique, les liens créés par l’histoire — les familles comptant des membres ayant opté à l’indépendance pour la nationalité française sont plus nombreuses qu’on ne le pense, — la densité des relations économiques, conduisent à une situation qui n’a sans doute pas d’équivalent dans le monde. Les nouvelles générations, particulièrement, éprouvent une double réaction d’attraction-répulsion mêlées. Lors du congrès de l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA), en janvier 1979, un orateur exprimait à sa façon ce sentiment en se prononçant contre l’octroi de bourses en France à des étudiants. « Ils sont victimes du racisme, disait-il, doivent subir de perpétuelles vexations et brimades », et il dressait un sombre tableau des conditions de vie en France avant de conclure : « De surcroît, cet investissement n’est pas rentable, car nombre de ces étudiants, une fois leur diplôme acquis, ne reviennent pas au pays. » A trop vouloir prouver !
Certains dirigeants rêvent de trancher dans le vif, de baisser un « rideau de fer » qui isolerait enfin leur pays et donnerait toutes ses chances à la politique d’arabisation afin de préserver et de développer l’"héritage arabo-islamique".
Mais l’Algérie n’est pas la Chine ou l’U.R.S.S. Et comment traiter la France en pays étranger au même titre que les autres alors qu’existe une telle osmose, que des romanciers algériens — et non des moindres — comme Mouloud Mammeri, leur doyen, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, des historiens comme Mohamed Harbi et même un ancien président du G.P.R.A. comme Ferhat Abbas éditent leurs œuvres à Paris ; que des hommes d’affaires par centaines investissent en France, achetant des boutiques, des stations-service, des agences de voyages ; et qu’existe désormais dans l’ancienne métropole une communauté algérienne profondément enracinée pour qui la réinsertion outre-Méditerranée ne relève plus que du mythe pieusement entretenu par les aînés ? "S’agissant des familles, explique le sociologue algérien Ahsène Zehraoui, les parents disent : « Nous attendons, pour rentrer, la fin des études des enfants », et ces derniers répondent : "Nous verrons quand les parents seront à la retraite. Et il conclut : « La présence de cette communauté interroge la société française sur ses capacités à être pluriethnique et pluriculturelle, à vivre et à accepter les différences. »
Les relations entre les deux pays vont sans doute évoluer d’ici à la fin du siècle vers une plus grande complexité et poser de part et d’autre de redoutables problèmes humains et culturels. Deux facteurs surtout vont y contribuer. L’évolution des techniques de communication et leur développement conduisent à la mise en place, en principe à partir de 1985, de satellites au-dessus de la Méditerranée. Ils vont permettre la diffusion sur les côtes d’Afrique du Nord de programmes télévisés français qui atteindront ainsi toutes les couches de la population avec toutes les incidences que cela suppose. En revanche, le poids de la démographie algérienne — la population du pays devrait atteindre au minimum trente-cinq millions dans vingt ans — va inévitablement se faire sentir sur une France en proie à la dénatalité, et que tout prédispose à être une terre d’accueil préférentielle.
Telle est la toile de fond permanente des relations algéro-françaises. Ignorer ces réalités ne peut conduire qu’à des impasses. L’Algérie le sait, qui est toujours restée prudente dans ses rapports avec Paris, défendant avec pugnacité ses intérêts, tentant constamment d’obtenir le maximum de concessions sans jamais pousser les différends trop loin. Le poids de la France est trop grand dans la société algérienne pour qu’une rupture soit possible, si souhaitée soit-elle par certains. Mais tous sont animés par le souci constant de limiter autant que faire se peut une influence gênante : modèle culturel pour beaucoup, la France peut être aussi un modèle politique (4).
A Paris, M. Giscard d’Estaing, après avoir adopté une ligne d’action « dure », contrant l’Algérie au Sahara occidental et tentant d’obtenir le départ des travailleurs immigrés, avait assoupli son attitude après l’effondrement, en juillet 1978, du régime de M. Ould Daddah en Mauritanie et la mort de Boumediène en décembre de la même année. L’arrivée au pouvoir d’un nouvel interlocuteur, M. Chadli Bendjedid, facilitait la reprise du dialogue souhaitée de part et d’autre. Le souci du nouveau chef de l’Etat, désireux de sortir son pays d’un certain isolement, en pratiquant une politique de « bon voisinage actif », ne pouvait exclure la France.
Un échange de visites — M. Jean François-Poncet, ministre des affaires étrangères, à Alger en juin 1979, et M. Benyahia, à Paris en janvier 1980 — permit d’enclencher une négociation marathon pour normaliser les relations et liquider les contentieux qui s’étaient accumulés dans tous les domaines. Rude tâche, menée inlassablement dans le secret durant quinze mois par une petite équipe (5) décidée à conclure. Ces discussions aboutissaient, en septembre 1980, lors d’un déplacement à Alger de M. François-Poncet, à la signature d’une série d’accords. Du côté français, on renonçait à obtenir un départ massif des travailleurs émigrés, alors que M. Stoléru voulait programmer trente-cinq mille retours par an. Les deux cent quatre-vingt mille ressortissants algériens installés en France avant le 1er juillet 1962 se voyaient reconnaître un statut « privilégié » ; leur certificat de résidence étant automatiquement prolongé pour dix ans, conformément aux dispositions de l’accord sur la main-d’œuvre de 1968. Les autres, quatre cent mille environ, obtenaient un sursis de trois ans et trois mois qui arrivera à expiration le 31 décembre 1983. La France s’engageait à ne prendre que des mesures « incitatrices » au retour et à déployer un effort exceptionnel en matière de formation professionnelle. D’autres textes permettaient de liquider de vieux contentieux en matière financière et de Sécurité sociale. Au-delà de ces dispositions, on se félicitait de part et d’autre de la sincérité et de la qualité des discussions.
Un élan nouveau
L’arrivée au pouvoir de la gauche en mai 1981 a donné un élan nouveau à cette évolution et elle a surtout permis, ainsi que le souhaitait M. Mitterrand, de créer un climat de confiance, de dissiper les suspicions anciennes. Les mesures immédiatement prises par M. Defferre, ministre de l’intérieur et de la décentralisation, pour stopper toute expulsion de jeunes Algériens nés en France ou y résidant depuis plus de dix ans, fussent-ils délinquants, les déclarations officielles reconnaissant l’importance de la contribution apportée par l’immigration au développement économique français, la régularisation de la situation des clandestins, dont quinze mille Algériens ont bénéficié, tout cela a fait à Alger la meilleure impression. Ont été appréciées également les options « tiers-mondistes » du nouveau chef de l’Etat et son désir de relancer le dialogue Nord-Sud par une négociation globale aux Nations unies.
Le voyage à Alger de M. Mitterrand en novembre 1981, suivi deux mois plus tard d’un accord sur le prix du gaz naturel donnant satisfaction aux thèses algériennes, a concrétisé de façon décisive la volonté de Paris d’entretenir avec l’Algérie des relations de qualité fondées sur l’amitié dans le respect des options réciproques et la prise en considération des préoccupations de chacun. Sur le plan extérieur, les efforts déployés par le président Chadli Benjedid pour prendre une certaine distance à l’égard de l’U.R.S.S. et revenir à un non-alignement rigoureux sont suivis avec sympathie par Paris, où l’on se dit prêt à faciliter cette évolution. A l’inverse, la réelle neutralité française dans l’affaire du Sahara occidental comme les efforts déployés par M. Mitterrand pour aider à une solution du problème palestinien font l’objet à Alger de jugements positifs.
Le climat est donc meilleur qu’il n’aura jamais été. Les visites ministérielles se succèdent de part et d’autre. Mais... mais le problème délicat de la nationalité des jeunes Algériens nés en France après l’indépendance n’est toujours pas résolu, l’Algérie refusant la notion de double nationalité. Les jeunes sont donc condamnés soit à faire un choix douloureux, et souvent impossible à leur âge, soit à effectuer un double service militaire tant que les discussions en cours n’auront pas abouti. Mais... les dispositions prises pour les immigrés prennent fin dans un an sans que les principales données du dossier aient évolué, la situation de l’emploi restant en France préoccupante : quatre mille huit cents travailleurs seulement ont bénéficié des dispositions « incitatrices » de l’"aide au retour", et la formation professionnelle a encore moins de succès.
La police algérienne filtre elle-même les voyageurs partant en France (6) pour détecter les « faux touristes », chômeurs espérant y trouver du travail, et il faut désormais en Algérie justifier d’un emploi pour obtenir un passeport. Cela n’empêche pas le nombre des « refoulements » opérés dans les aéroports français d’augmenter dans des proportions considérables. Le dispositif mis en place est par ailleurs inefficace contre la fuite des « cerveaux », intellectuels ou cadres qui décident de s’expatrier sacrifiant pour des raisons culturelles et politiques une situation confortable pour repartir de zéro.
Le réchauffement des relations n’a pas permis non plus, en dépit des engagements pris sur ce point par l’Algérie, de régler les problèmes de la petite communauté « pied-noir » restée en Algérie après l’indépendance et dont les effectifs, composés pour l’essentiel de personnes âgées, fondent un peu plus chaque année. Ils ne sont plus que trois mille cinq cents et ne peuvent toujours pas, en pratique, vendre leurs biens, appartements, villas ou commerces pour rentrer finir leurs jours en France. Les conditions de vie et de travail des coopérants français, enfin, se sont largement détériorées au fil des années et leur nombre va diminuant sans cesse.
On retrouve là, au-delà des déclarations optimistes des dirigeants, la réalité prosaïque et quotidienne des relations franco-algériennes vouées pour très longtemps encore à l’ambiguïté et à la difficulté, des relations telles que peuvent en entretenir des couples séparés après une longue vie commune et qui n’en finiraient pas de régler les problèmes nés de leur divorce, éprouvant entre des crises d’exaspération, et parfois de colère, de subits accès de tendresse et d’émotion.
Daniel Junqua
Journaliste, auteur de « La Presse écrite », CFPJ-Editions, Paris, 1995
Emmanuel Macron a été le premier président à qualifier la colonisation de "crime contre l'humanité", plus de soixante ans après les guerres d'indépendance. Comment expliquer ces années de silence ? Entretien avec Christelle Taraud, historienne spécialiste de la colonisation.
Emmanuel Macron a lancé en juillet 2020 une mission sur la mémoire de la colonisation et la guerre d'Algérie. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND/FRANCEINFO)
"Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte." Dans son Discours sur le colonialisme en 1950, l'écrivain et homme politique martiniquais Aimé Césaire dénonçait puissamment l'idéologie colonialiste européenne et accusait ses "maîtres" d'être incapables de regarder en face et de résoudre le "problème colonial" qu'ils avaient créé. Soixante-dix ans après cet écrit, après la fin des guerres d'indépendance, l'histoire de la colonisation française et les processus de décolonisation restent partiellement connus et étudiés.
Pourtant, les débats autour du passé colonial français se multiplient ces dernières années : appels à reconnaître les massacres et leurs victimes, restitution des œuvres d'art, déboulonnage de statues… Il faudra attendre 2017 pour qu'Emmanuel Macron soit le premier président français à qualifier la colonisation de "crime contre l'humanité" et à lancer, trois ans plus tard, une mission sur la mémoire de la colonisation et la guerre d'Algérie. Lors de son discours sur les "séparatismes", le 2 octobre dernier, il a évoqué les "traumatismes" du passé colonial, que la France n'a "toujours pas "réglés". Assiste-t-on à la fin d'un tabou ? Peut-on "réconcilier" les mémoires ? Franceinfo a interrogé Christelle Taraud, historienne spécialiste de la colonisation et des décolonisations. Elle a notamment publié Idées reçues sur la colonisation (Le Cavalier bleu, 2018).
Franceinfo : Tout d'abord, lorsque l'on parle de colonisation puis des décolonisations, de quelle période parle-t-on ?
Christelle Taraud : La question coloniale en Europe remonte à la période dite des "Grandes explorations" à partir du XVe siècle, lorsque les premiers empires, portugais et espagnol pour l'essentiel, ont commencé à se constituer en Afrique et en Amérique. Mais aujourd'hui, dans le débat public, les personnalités politiques, les chercheurs, se réfèrent assez rarement à ces empires, sauf lorsqu'est évoqué l'histoire de l'esclavage, puisque la traite atlantique est le produit direct de ce partage du monde.
Maintenant, lorsqu'on parle de colonisations européennes, on se réfère surtout aux empires coloniaux qui ont été bâtis à partir du début du XIXe siècle, où l'on assiste à une occupation totale des territoires – ce qui n'était pas le cas dans les phases d'expansion coloniale précédentes – et on évoque presque exclusivement les empires français et anglais, alors qu'il y a aussi eu des empires portugais, néerlandais, belge ou allemand.
Quant à "l'ère des indépendances", elle débute, officiellement, juste après la Seconde Guerre mondiale. Pour la France, elle démarre avec la guerre d'Indochine (1946-1954) et se termine avec la guerre du Cameroun (1955-1961) et la guerre d'Algérie (1954-1962). D'autres territoires, appelés dans le langage impérialiste "des confettis d'empire", ont obtenu leur indépendance bien après. Il faudra attendre 1977 pour Djibouti, et rappelons qu'il y a eu un référendum pour l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie cette année.
Après la fin des guerres d'indépendance, quelle a été l'attitude des dirigeants français vis-à-vis de ce passé colonial ?
Je pourrais la résumer en une formule lapidaire : glorification de l'œuvre, déni des crimes. La politique de l'Etat a été de mettre en avant les "bienfaits" de la "mission civilisatrice" française, tout en taisant les crimes. Juste après les accords d'Evian en 1962 [qui entérinent l'indépendance de l'Algérie] et jusqu'en 1982, l'Etat fait passer deux décrets et trois lois qui empêcheront toute poursuite concernant les crimes commis durant cette guerre. Ces textes ont imposé une chape de plomb sur tout ce qui a été réalisé par l'armée française en Algérie, mais aussi le rôle et les actions de l'Organisation de l'armée secrète (OAS).
L'attitude de l'Etat français concernant la guerre d'Algérie a été celle de la terre brûlée.Christelle Taraudà franceinfo
Le début de la période dite postcoloniale se traduit également par toute une série d'assassinats de leaders indépendantistes. Je pense à Félix Moumié, grande figure de l'indépendance du Cameroun français, assassiné en 1960 à Genève, mais aussi à l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, enlevé en plein Paris et probablement tué en région parisienne en 1965. Ou à l'affaire Maurice Audin, qui n'est toujours pas réglée. Sa veuve est morte en 2019 sans savoir où se trouve le corps de son époux et sans avoir pu lui donner une sépulture.
Cette politique plus néocoloniale que postcoloniale a aussi perduré sous d'autres formes, comme ce que l'on a appelé la "Françafrique" : un système d'interdépendances que la France a construit vis-a-vis de ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne dans le but d'y maintenir son pré carré.
Hormis la guerre d'Algérie, l'histoire des guerres et des massacres coloniaux (Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie en 1945, Haïphong au Vietnam en 1946…) est très peu connue, tout comme l'enrôlement de peuples colonisés dans l'armée française. Comment l'expliquer ?
Une nation a toujours plus de mal à parler des guerres ou des massacres qu'elle a commis que des choses bénéfiques qu'elle a apportées. Lors de la libération de Paris, le récit officiel est que la France continentale se libère par elle-même ; on en a exclu, de facto, tous les Français non blancs et/ou non chrétiens.
On a pendant longtemps été incapables de se rappeler que des tirailleurs sénégalais et algériens, des goumiers marocains, des soldats indochinois, malgaches, antillais, avaient été au cœur de la libération de la France.Christelle Taraudà franceinfo
Tout cela a conduit, d'une part, à un "blanchiment" de l'armée française et, d'autre part, au déni des crimes coloniaux commis par cette institution. Celui de Thiaroye[en 1944, près de Dakar, l'armée française ouvre le feu sur des tirailleurs sénégalais qui réclament le paiement de leur solde] est l'une des plus grandes hontes de notre histoire contemporaine.
En dehors des silences pesants de l'Etat et de ses institutions, l'un des obstacles majeurs pour raconter ces événements est aussi l'accès aux archives. Concernant la guerre d'Algérie, mais aussi le génocide rwandais, il y a toujours des demandes, notamment issues de la communauté historienne, pour qu'un certain nombre de documents classés secret-défense soient rendus publics. Empêcher ou restreindre l'accès aux archives, c'est une autre façon d'être dans le déni. Pour d'autres endroits, comme le Cameroun, les sources ont été très majoritairement détruites, ce qui rend cette écriture encore plus compliquée et le rôle des témoins encore plus important qu'ailleurs.
Ce manque de ressources peut-il expliquer les actes de déboulonnage de statues qu'on a pu voir dans plusieurs pays cette année ?
C'est de l'histoire très récente, mais le déboulonnage de statues de généraux ségrégationnistes ou coloniaux [qui ont eu lieu après la mort de George Floyd, un Américain noir tué par un policier blanc] est un exemple et le résultat de ce déni du passé raciste et colonial. Pour moi, le problème, ce n'est pas d'avoir une statue du maréchal Bugeaud sur une place en France, si l'on explique qui il était et qu'on contextualise cette présence. Ce n'est pas parce qu'on fait disparaître l'objet qu'on fait disparaître l'histoire. Mais le problème, c'est toujours le récit national et la glorification de ces hommes en son sein.
Nous pourrions nous réapproprier un espace commun, des noms de places, de rues, qui incluent une diversité de genres, d'ethnies, de confessions. Notre pays n'a pas été construit que par des hommes blancs riches et il n'est pas non plus habité aujourd'hui que par eux.Christelle Taraudà franceinfo
A chaque débat sur l'histoire coloniale, une partie de la classe politique et intellectuelle dénonce ce qu'elle appelle la "repentance". Que signifie ce discours ?
Je ne suis pas certaine que les anciens colonisés et leurs enfants demandent à la France de se repentir mais plutôt de réparer, ce qui est très différent. En réalité, derrière ce discours, en France, il y a la question du nationalisme. Le nationalisme fait la promotion d'une vision binaire : ceux qui peuvent faire partie de la nation, et les autres. On peut s'interroger : n'est-ce pas même l'un des problèmes, justement, qui empêchent de regarder notre passé colonial en face ? Quelle place veut-on donner aux descendants de l'histoire coloniale dans la nation aujourd'hui ?
Mais ce n'est pas nouveau – dès la Révolution française, on se posait la question, quand les révolutionnaires ont exclu les femmes de la citoyenneté active – et pas spécifique à la France : tous les anciens pays colonisateurs, du Royaume-Uni à la Belgique, en passant par le Portugal, sont aujourd'hui confrontés à ces questions.
En France, il faudra attendre les années 1990 pour que des reconnaissances officielles aient lieu…
En 1999, une loi est en effet votée sur la reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie, puis, en 2005, Jacques Chirac reconnaît officiellement le massacre de Madagascar[en 1947, l'armée réprime des indépendantistes malgaches, faisant entre 80 000 et 90 000 morts] et François Hollande, en 2012 à Dakar, le massacre de Thiaroye [dont le bilan est encore inconnu]. Ces reconnaissances interviennent dans un contexte particulier : les Français issus de l'immigration postcoloniale demandent avec de plus en plus d'insistance à être réintroduits dans le récit national, pas seulement dans l'histoire, mais aussi au travers des luttes contre les discriminations, comme la marche pour l'égalité et contre le racisme en 1983.
Les enfants de harkis, de pieds-noirs, commencent aussi à poser des questions : pourquoi sommes-nous traités comme ça ? Qu'avons-nous fait ? De nombreuses communautés se mettent à interroger l'Etat français. Depuis la départementalisation de 1946, les habitants des DOM-TOM se révoltent régulièrement et demandent aussi des comptes à la France face aux inégalités et discriminations qu'ils subissent.
Le contexte international a aussi changé. Lors de son discours à La Baule en 1990, lors de la 16e conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France, François Mitterrand parle de la "démocratisation de l'Afrique", marquant une transition vers la fin d'une relation très privilégiée – et inégalitaire – entre la France et son pré carré en Afrique. Et puis, au fur et à mesure, une nouvelle génération d'hommes politiques va arriver au pouvoir, qui n'a pas été formée par le modèle "françafricain" de Charles de Gaulle et Jacques Foccart [secrétaire général de l'Elysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974]. Cela ne sera pas la fin pour autant des stéréotypes. On se souvient par exemple du discours de Nicolas Sarkozy en juillet 2007 à Dakar, où il déclare que "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire".
Malgré ces avancées, en 2005, le gouvernement présente un projet de loi pour inscrire le "rôle positif" de la colonisation française dans les manuels scolaires. Pourquoi ?
Dans le fond, l'Etat français a toujours du mal à sortir de la glorification de son "œuvre coloniale". Cette loi demandait aux historiens et enseignants de privilégier les "aspects positifs de la colonisation, en particulier en Afrique du Nord", c'est-à-dire l'Algérie, qui a été la seule colonie de peuplement de tout l'empire depuis 1848 ! Il fallait dire que l'Algérie n'était pas une colonie, mais bien la France, et qu'elle avait bénéficié d'un réel "apport civilisationnel". Ce n'est pas si étonnant car l'enseignement en France, en particulier depuis la Révolution française, structure en profondeur notre récit national.
L'enseignement du fait colonial en France est d'ailleurs très insuffisant. Je suis sûre que si l'on demande aux Français quelles guerres coloniales ils connaissent, ils ne citeraient au mieux que l'Algérie et l'Indochine, jamais celle du Cameroun ! De la même manière, lorsqu'on parle des inégalités dans les systèmes coloniaux, du Code de l'indigénat, on les évoque comme des épiphénomènes, sans lien avec les inégalités dans nos sociétés aujourd'hui.
Connaître la colonisation est essentiel pour comprendre la France d'aujourd'hui.Christelle Taraudà franceinfo
Je crois que ce déni s'explique parce qu'il questionne les valeurs fondatrices de notre pays et nos difficultés à les appliquer. La Révolution française a inscrit dans le marbre que "tous les hommes naissent libres et égaux en droits", alors comment la France a-t-elle pu donner naissance à la colonisation ? Comment peut-on être républicain et colonialiste ? Comment peut-on expliquer le racisme systémique hier et aujourd'hui ? Ces questionnements perdurent, font mal, et c'est pourquoi il est toujours très difficile d'en parler.
Pour "réparer" les mémoires, il faudrait commencer par réécrire les livres d'histoire ?
Il faudrait revoir les programmes, car on ne peut plus enseigner l'histoire de la colonisation comme il y a trente, quarante ans, il faut former les enseignants du secondaire. J'en vois beaucoup qui sont démunis, qui font face à des élèves qui se demandent pourquoi l'histoire de leurs parents et grands-parents est absente des livres d'histoire.
La France d'aujourd'hui est très différente de celle de 1789, 1848, 1962… Elle est le produit d'une recomposition démographique composite où les immigrations postcoloniales ont une place importante. Ce qui semblait très important à raconter aux Français d'hier l'est peut-être moins – ou doit l'être différemment – pour ceux d'aujourd'hui. Mais ce qui est certain, c'est que l'histoire a toujours été écrite par les dominants, et que les colonisés en ont été le plus souvent exclus.
Il est nécessaire de penser une nouvelle histoire, sortir d'une vision européocentrée, masculine et blanche de l'histoire. Il faut redonner aux anciens pays colonisés leur place et aux peuples leur complexité.Christelle Taraudà franceinfo
Certains historiens parlent de "guerre des mémoires", pour évoquer la volonté de chaque groupe (harkis, pieds-noirs, descendants d'esclaves…) d'avoir son propre récit.
Cette "guerre des mémoires" me paraît logique, puisque notre histoire est exclusive et non pas inclusive. Mais ce dont nous avons besoin, ce n'est pas que chacun fasse son histoire, mais réussir à écrire une histoire commune ensemble. Ne pas faire une histoire des colons d'un côté, une des colonisés de l'autre, mais plutôt une histoire de la relation coloniale et postcoloniale. Ecouter les témoignages, prendre au sérieux les deux côtés, et ce, sur plusieurs générations.
Ce que nous disent ces groupes, c'est "nous n'existons pas", "quelle est notre place ? Nous sommes des fantômes de l'histoire". Tout cela produit des douleurs individuelles et collectives terribles mais aussi des rancœurs pérennes.Christelle Taraudà franceinfo
A force de ne pas parler de ces histoires, on abîme durablement les individus et la société, c'est comme un cancer qui nous ronge de l'intérieur et empêche tout avenir commun.
L'art, la littérature, le cinéma, le théâtre peuvent-ils pallier ce manque ?
Le rôle des artistes est absolument déterminant. Ce sont des "facilitateurs", ils nous aident à "donner à voir", à sortir du récit officiel, et peut-être aussi à "cautériser" blessures et traumatismes. Le film Indigènes, de Rachid Bouchareb, sorti en 2006, a été très important car il a mis à mal ce mythe de la libération de la France orchestrée uniquement par des Français blancs. La Libération, en réalité, s'est nourrie de la relégation des soldats issus de l'Empire. Sans eux, aurions-nous pu retrouver notre liberté ?
Ce film a également entraîné un débat sur les soldes des anciens soldats, et a conduit à une revalorisation des pensions pour eux ou leur famille. Même si elle vient bien tard et que la grande majorité des hommes qui auraient pu en bénéficier sont morts, cette revalorisation est, d'un point de vue symbolique, très importante.
De manière générale, l'art incarne quelque chose de très puissant, c'est notre culture, ce qui nous lie. La question du lien créé par l'art est essentielle, comme le montre le débat sur la restitution par la France des œuvres d'art issues de l'Afrique. On a oublié à quel point la prédation culturelle pendant la colonisation a été terrible. L'Afrique subsaharienne a vu 90% de ses artefacts disparaître. Quand on arrache la culture, c'est l'âme qu'on emporte.
Je trouve qu'il y a une certaine obscénité à dire que restituer des œuvres d'art conduirait à 'vider les musées français', car le vide, ce n'est pas chez nous qu'il se trouve. Et comment une nation pourrait-elle se construire sur du vide ?Christelle Taraudà franceinfo
Aujourd'hui, si une Sénégalaise, un Ivoirien, une Camerounaise… souhaite accéder à des pièces artistiques provenant de son histoire, elle ou il doit se déplacer – quand c'est possible – à Paris, Londres, Washington. Nous devons faire en sorte que cela ne soit plus le cas, mais pas de façon paternaliste. La restitution des œuvres fait partie d'une nécessaire réparation.
Au-delà des objets et de l'histoire, vous évoquez également une "décolonisation des esprits".
La décolonisation est officiellement actée car nous avons signé des traités, mais surtout parce que des personnes se sont battues pour l'indépendance de leur pays. Rien n'a été donné, tout a été conquis ! C'est important de le rappeler. Mais est-ce que ces processus sont terminés ? Non, ils prennent des formes sournoises. La colonisation n'est plus officiellement dans les territoires, mais dans nos esprits, nous interagissons constamment avec des stéréotypes, en confortant des rapports de domination hérités de cette époque.
Dans les relations de genre, l'exotisme colonial est toujours présent. A partir des années 1980, l'imaginaire de la "beurette" est très important dans les médias, la publicité, la télévision, le cinéma, y compris pornographique. Récemment, le débat sur les femmes asiatiques a bien montré l'uniformisation à laquelle ces dernières étaient confrontées : qu'elles soient thaïlandaises, japonaises, vietnamiennes… seule compte leur supposée propension à la "soumission". Cet imaginaire néocolonial et masculin est une force de frappe terrible que nous devons absolument déconstruire, car n'oublions jamais à quel point il est producteur de violences, physiques, psychologiques, sexuelles contre les minorités et contre les femmes.
Lors de son discours sur les "séparatismes", Emmanuel Macon a évoqué le passé colonial de la France et ses traumatismes "toujours pas réglés". Il a également commandé une mission sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Est-ce le début d'une nouvelle étape ?
Depuis le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017, on sent poindre une volonté de faire différemment, même si l'on tâtonne encore. Mais, selon une formule consacrée : les paroles, c'est bien, les actes, c'est mieux ! Parmi les actes possibles rapidement, il y a la création d'un musée consacré à l'histoire coloniale en France et l'intégration, dans les universités, des études postcoloniales, qui sont toujours la cible d'intenses controverses.
Il ne s'agit en effet pas, comme certains en ont peur, de plaquer sur la France une grille de lecture états-unienne, mais de considérer les postcolonial studies comme une "boîte à outils" – à l'instar des études de genre – que l'on peut utiliser pour mieux comprendre notre histoire et la rendre plus inclusive, c'est-à-dire vraiment universelle.
LGER- Le film "Héliopolis" du réalisateur Djaâfar Gacem a été retenu pour représenter l'Algérie à l'Oscar du meilleur long métrage international (film non-anglophone) qu'organise l'Acadamy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS), a indiqué le Comité de sélection algérien, présidé par le réalisateur Mohamed Lakhdar Hamina.
Inspiré de faits réels dans l'Algérie des années quarante (1940), le film traite des deux visions, assimilationniste véhiculée par le fils d'un Gaid, et indépendantiste à travers les idées d'un jeune étudiant, fils d'un propriétaire terrien dans la bourgade d'"Héliopolis" à Guelma (Est d'Algérie).
Le film qui détaille les raisons qui ont mené aux manifestations du peuple algérien le 8 mai 1945 au lendemain de la fin de la deuxième Guerre mondiale, se veut une condamnation expresse des massacres auxquels s'est livrée la France coloniale en Algérie.
Selon le réalisateur, le film "est prêt depuis fin février passé", mais sa projection avait été reportée à plusieurs reprises par la partie en charge de sa production, le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), relevant du ministère de la Culture et des Arts.
A l'affiche de ce premier long métrage du réalisateur Djaâfar Gacem des acteurs algériens, tel Aziz Boukrouni, Mehdi Ramdani et Fodhil Assoul en plus d'acteurs français.
Egalement scénariste, Djaâfar Gacem s'est rendu célèbre à travers la réalisation de plusieurs sitcoms et séries à succès, à l'instar de Nass Mlah City ( 2001), Djemai Family (2008) et Soltane Achour Acher (2015).
Pour qu'un film figure sur sa première liste du meilleur long métrage international, l'AMPAS exige, entre autre, une projection commerciale, durant au moins une semaine, dans le pays d'origine.La remise des Oscars de la 93 édition (2021) aura lieu le 25 avril prochain au lieu de 28 février (rendez-vous habituel), et ce en raison de la pandémie de Coronavirus.
La 92e Cérémonie a vu la consécration du film sud-coréen "Parasite", qui a raflé le prix du meilleur film long métrage international. L'Algérie avait décroché ce prestigieux prix en 1969 pour le film franco-algérien "Z" du réalisateur franco-grec Costa-Gavras.
Au titre des sections coloniales de l’Exposition universelle se dressent côte à côte sur l’esplanade des Invalides, le pavillon du Cambodge représenté sous forme d’une pagode d’Angkor-Wat grandeur nature; le Palais de la Cochinchine conçu dans un style typique de l’architecture propre à cette région du monde, le Palais de l’Annam et du Tonkin flanqué d’un théâtre annamite, les comptoirs de l’Inde française que symbolise la pagode de Villenour avec sa statuaire dense et raffinée.
Les territoires d’outre-mer sont représentés par des villages traditionnels où les figurants, des kanaks et guadeloupéens ramenés de leurs lointaines îles du pacifique par des chefs d’expédition, vivent en autarcie dans des sortes d’enclos, le corps demi-nu offert à la curiosité des visiteurs dont certains leur jetaient de la nourriture ainsi que les animaux d’un zoo.
Les noirs africains, tous réduits au terme générique de « nègre » fortement connoté de racisme, sont parqués dans plusieurs villages quadrillés et cadastrés, reproduits à l’identique ou presque, avec leurs cases de toutes grandeurs et de toutes formes, éventuellement la mosquée ou un mur d’enceinte en terre, et leurs habitants, quelques échantillons parfaitement sélectionnés, assignés à demeure fixe dans leurs espaces respectifs. Il s’y trouve aussi des animaux sauvages, des singes surtout, ou des chiens du pays; le tout au milieu d’une grande variété d’ustensiles et d’objets du quotidien où les idoles en bois, les tambours et autres instruments de musique occupent une place de choix. Ainsi se côtoient le village Pahouin d’une ethnie du Gabon, le village Louango d’une tribu du Congo, le village sénégalais dominé par la reconstitution de la Tour de Saldé, partie d’un ouvrage militaire aux proportions imposantes édifié aux premiers temps de la conquête du Fouta-Djalon par le commandant Faidherbe qui prit part en 1851 à l’expédition de la petite Kabylie, attaché aux troupes du général Bosquet.
Les villages indigènes, villages exotiques, villages d’exposition et d’exhibition, étaient censés reconstituer la vie quotidienne de ces peuples lointains soumis à la France. C’était des lieux de vie imposés et des lieux de spectacle obligés, sans pratiquement possibilité d’en sortir, sous peine de punition, pendant les six mois que va durer l’Exposition universelle. Quatre cent indigènes auront ainsi été déplacés de leur pays d’origine pour faire le spectacle et peupler des décors montés de toute pièce.
Les indigènes noirs eurent le plus à souffrir des conditions de vie déplorables lors de leur séjour en métropole. Le dépaysement, le climat, les contraintes inhérentes à des exhibitions journalières (danses, chants, simulation d’activités collectives...) qui les exposaient au public, comme des animaux de foire ou des ours savants, les épuisaient physiquement et moralement.
Dans une scénographie intentionnellement perverse, les villages nègres donnaient l’image de zoos humains. C’était l’attraction la plus courue avec ces hommes et ces femmes dont la couleur de peau était la première des curiosités. A leur insu, ils assumaient par eux-mêmes la fonction légitimatrice à la fois de la colonisation à vocation civilisatrice et des thèses qui prônaient une hiérarchie des races. Le visiteur mesurait les efforts redoublés que devait déployer l’administration coloniale pour civiliser ces peuplades primitives. Le mythe du « sauvage cannibale » devant évoluer vers celui du « bon sauvage ».
Le Pavillon de l’Algérie, partie intégrante de la France
L’Algérie a été de toutes les expositions universelles, depuis la première, celle de 1851 à Londres, puis les suivantes qui se tinrent dans les grandes villes du monde au 19éme siècle, tel que Vienne en 1873, Philadelphie en 1873 et Melbourne en 1880. A partir de l’Exposition universelle de Paris de 1867, l’Algérie disposait de son propre pavillon. En tant que colonie de peuplement, l’objectif était non seulement d’exposer ses richesses agricoles, minières et industrielles, mais aussi d’attirer des capitaux et une population européenne, surtout française.
Lors de l’Exposition universelle de 1889, le « Palais de l’Algérie » est implanté sur l’esplanade des Invalides, un espace entièrement réservé aux pavillons et villages des « Sections coloniales », mais il se trouve un peu en retrait, à l’angle du quai d’Orsay et de la rue de Constantine, là où se situe le Ministère des Affaires étrangères. De par son intérêt stratégique pour l’économie française, c’est le pavillon le plus important et le plus visible dans cette partie coloniale de l’Exposition universelle. D’ailleurs, le chemin de fer intérieur, une des attractions phare, marque un arrêt devant le Palais de l’Algérie parmi les neuf stations que compte la ligne.
Le pavillon de l’Algérie et ses annexes occupent 6300 mètres carrés, soit un peu plus du cinquième de la superficie totale de l’esplanade des Invalides. L’Algérie, partie intégrante de la France, jouit de ce fait, d’un statut privilégié par rapport aux autres colonies.
La composition architecturale du pavillon de l’Algérie rappelle à la fois la mosquée par son minaret de 22 mètres surplombé du drapeau tricolore, et le palais de style mauresque dont des éléments esthétiques modernes ont été ajoutés à la construction, selon une démarche conceptuelle néo-mauresque, une sorte d’appropriation par le colonisateur des caractères distinctifs du patrimoine traditionnel algérien, modélisé d’après l’image mentale que celui-ci se fait de l’assimilation culturelle.
A l’intérieur du Palais de l’Algérie, les exposants présentent des articles du pays ; vins et autres boissons fermentées, produits agricoles, miels et spécimens de produits alimentaires, lièges et bois divers, minéraux, marbres, tapis, maroquinerie... Les organisateurs de l’Exposition universelle ont conçu un discours adapté aux différents types de colonies et possessions, en fonction de l’ancienneté de l’implantation française. Pour le cas de l’Algérie, le discours misait essentiellement sur son potentiel économique et les bénéfices que la métropole pouvait en tirer, une manière de justifier les dépenses importantes consacrées à la pérennisation de la présence française.
Sur le terre-plein situé derrière le Palais de l’Algérie ont été reconstitués :un souk traditionnel, lieu de rassemblement hebdomadaire des populations rurales, animé par des marchands indigènes et des petits artisans qui s’adonnent à leurs tâches habituelles; une habitation typique du Djurdjura; un campement nomade où s’élèvent de vastes tentes à larges rayures multicolores avec un peu plus loin des chevaux de la jumenterie de Tiaret attachés à des pieux ; et pour le spectacle, un café maure où la secte des Aïssaouias avec bannières et étendards se livre à des rituels d’automutilation, lors de danses extatiques au son du tambourin et de la gheita. C’était là une mise en scène délibérément archaïque et caricaturale de l’Algérie colonisée. Pour les visiteurs l’illusion était complète. Ces reconstitutions qui se voulaient d’un caractère didactique pour faire connaître un pays mal connu, en disaient davantage sur la perception qu’avait le pouvoir colonial du peuple algérien, faute de le montrer sous son véritable jour et dans toute son authenticité.
Situation de l’Algérie colonisée à l’époque de l’Exposition universelle de 1889
Tandis que festivités fastueuses, cérémonies mondaines ponctuent chaque jour de l’Exposition universelle, le peuple algérien vit depuis plus d’un demi-siècle sous le joug colonial. Il est dans ce monde, mais il n’existe pas en tant que tel. Les indigènes musulmans ne sont pas des citoyens à part entière, mais des sujets français soumis au Code de l’indigénat adopté le 28 juin 1881. Par volonté discriminatoire, le régime de l’indigénat fait des libertés individuelles et collectives dont jouissent les Français de la colonie, de véritables infractions lorsqu’il s’agit des indigènes-musulmans, alors passibles de mesures punitives spéciales tout aussi dégradantes les uns que les autres.
En 1889, l’Algérie coloniale a de quoi se réjouir, et pour cause, l’œuvre de pacification est pratiquement achevée dans le nord du pays et les premières marche du Sud, après la longue chaîne des insurrections et révoltes de différente ampleur, réduites les unes que les autres par des répressions sauvages. La dernière en date, l’insurrection menée de mars 1871 à janvier 1872 par Cheikh El-Mokrani, avec le concours de son fils Boumezrag et l’appui de son allié Cheikh El-Haddad, chef de la confrérie Rahmaniya, a été écrasée dans le sang. S’en suivront peines de mort, déportations, confiscations de terres, séquestres et amendes collectives impressionnantes. Ce fut la dernière grande insurrection dans le nord de la colonie où le processus de colonisation était à son apogée.
Epuisé, exposé aux disettes et épidémies, le peuple algérien vit les heures les plus sombres de son histoire. Les populations n’ont plus le souffle pour poursuivre la résistance face au colonisateur français, qui à présent étendait sa politique de pacification en profondeur dans les zones sahariennes où Bouamama et les tribus du Sud Oranais, les Ouled Sidi Cheikh, vont prendre le relais de la résistance armée.
A l’heure où l’Exposition universelle faisait de la France la vitrine de la civilisation occidentale, le peuple algérien écrasé par la domination coloniale, endurait souffrances et misères, sans pour autant s’avouer vaincu. C’était bien ce même peuple si courageux, si vaillant qui suscita l’admiration de Napoléon III, à l’occasion d’un spectacle de fantasia auquel il assista le 19 septembre 1860 lors d’un voyage en Algérie. Ce jour-là, de fougueux cavaliers arabes, burnous au vent, se lançaient dans des courses folles sur leurs montures richement harnachées, tout en faisant tournoyer au-dessus de l’épaule leurs mousquets à silex qu’ils déchargeaient dans d’assourdissantes détonations en passant devant la tribune impériale. « Ce n’est pas un peuple, c’est une armée ! », s’exclama avec émerveillement Napoléon III.
Les indigènes de l’Exposition universelle, spectacle de la cérémonie de clôture
Le 29 septembre 1889, quarante-huit heures avant la clôture de l’Exposition universelle, le Président de la république procède dans la grande nef du « Palais des industries diverses », à la distribution des récompenses aux exposants. A cette occasion, l’Algérien Hamoud, fondateur de la société Hamoud Boualem, est récompensé d’une médaille d’or, catégorie hors concours, pour sa boisson « La Royale ». Le gouvernement de la métropole choyait les représentants de la vieille bourgeoisie citadine algéroise dans le secret espoir de l’associer aux élites indigènes favorables à son projet assimilationniste, clé d’une paisible cohabitation entre les communautés arabe et européenne.
Le 31 octobre 1889, une cérémonie est organisée en grande pompe pour la clôture de l’Exposition universelle. Une cérémonie haute en couleur. Les indigènes de l’Exposition universelle dans leurs tenues traditionnelles défilent en délégations devant la tribune officielle où sont présents tous les membres du gouvernement et le Président de la république Sadi Carnot. Encore une fois, les indigènes des colonies ; Indochinois, Kanak, Congolais ,Gabonais, Sénégalais, Cambodgiens, Algériens, Tunisiens...sont exhibés en guise de spectacle à la gloire de l’empire colonial de la France qui a retrouvé sa place parmi les grandes puissances.
A quatorze heures, sur un coup de canon tiré depuis le premier étage de la Tour Eiffel et enregistré sur le phonographe d’Edison, l’Exposition universelle de Paris avec un score de trente-deux millions d’entrées, ferme officiellement ses portes dans une effervescence festive. Elle se clôture sur l’image d’une France républicaine confiante en elle-même, plus conquérante que jamais. Au même moment, sur l’autre rive de la Méditerranée, le peuple algérien, plongé dans une longue nuit coloniale, attendait son heure avec la résignation active du croyant devant les fatalités de l’histoire.
par Djamal Kharchi Ex Directeur Général de la Fonction Publique - Ecrivain. Docteur en sciences juridiques
Le 1er novembre 2020 après 190 ans de captivité en France (1830-2020)
En vue de la libération prochaine et du rapatriement de Baba Merzoug, captif depuis 190 ans en France dont 187 ans à Brest, nous avons, suite à un sondage, l’honneur de soumettre aux autorités nationales, locales, aux organismes et associations du patrimoine et de la mémoire nationale, notre souhait de projet d’aménagement du site d’érection du canon Baba Merzougà la Place des Martyrs à Alger, sur l’emplacement de l’ex statue équestre d’Henri d’Orléans duc d’Aumale qui a été remise par l’Algérie à la France en 1963.
LETTRE DE BABA MERZOUG A SES ENFANTS
Brest, le 1er septembre 2020
Je vous salue et vous raconte mon histoire et celle de MadinaDzaïr :
Je suis né en 1542 à Dar Nhass, la fabrique d’armes, installée près de la porte de Bab El Oued, de mon père Sébastiano Cornova, originaire de Venise et de ma mère El Jazaïr, mariés par Kheireddine Barberousse, Sultan d’Alger, grand héros de la Marine Algérienne, qui a chassé les espagnols en 1529, détruit leur forteresse (Penon), construit le port d’Alger et fondateur de l’Etat Algérien dans ses frontières Est et Ouest actuelles.
Grâce au génie de mon père, je suis le plus grand canon, car je mesure 6,25 mètres de long et je tirais les obus sur 4.872 mètres.
En 1560, âgé de 18 ans, j’ai épousé la belle MadinaDzaïr (appelée improprement Casbah par les français du nom du Ksar-palais du Dey) et me suis installé sur le môle Kheireddine Barberousse, pour être à l’avant-garde de la défense de ma belle bien aimée convoitée par les Sultans de l’Europe.Avec mes frères canons plus petits mais tout aussi redoutables, nous défendions si bien MadinaDzaïr qu’elle a pris le nom d’El Mahroussa, la bien gardée.
Tellement bien protégée que les habitants m’ont honoré en me donnant par affection le nom de Baba Merzoug qui veut dire à la fois : « Le béni, bienfaiteur et porte bonheur » car je tirais juste et loin, empêchant tout bateau ennemi d’approcher de ma belle bien aimée MadinaDzaïr.
L’inviolabilité par sa baie, pendant des siècles a endormi le Dey Hussein et son armée, malgré les menaces depuis le 14 juin 1827 et le plan d’invasion du commandant-espion Boutin, commandé par Napoléon en 1808 et les menaces depuis 1827. La pénétration par la plage ouest de Sidi Fraj (Sidi Ferruch) des 37.000 Français, le 14 juin 1830 à l’aube et l’occupation d’Alger, le 5 juillet 1830 à 10 heures, ont été facilitées par l’inconscience du Dey et de son armée, qui n’ont pas su protéger leurs arrières.
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C’était le jour le plus triste de ma vie : retraité et désarmé, sous une voûte de l’Amirauté, je ne pouvais plus défendre ma maison, ma femme et mes enfants.
Ma grande réputation a fait que l’amiral Duperré, commandant la flotte d’invasion (675 navires), a décidé de me déporter en France comme trophée de guerre et de me donner un surnom féminin La Consulaire pour humilier le viril combattant que j’étais.
Prisonnier sous le numéro 221, j’ai été embarqué le 6 août 1830 à bord du bateau La Marie Louise, commandé par le capitaine Caspench. Dans la lettre adressée à son Ministre de la Marine, l’Amiral Duperré avait écrit : « C’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix ».
Après 3 ans de captivité à Toulon, on m’a transféré le 27 juillet 1833 à Brest.
Pour me torturer, on m’a érigé en colonne dans la cour de l’arsenal du port de Brest, face à l’Océan Atlantique, entouré de barreaux et suprême humiliation, on m’a mis un Serdouk (coq symbole de la France) sur ma bouche, cette bouche de feu qui a craché des milliers d’obus contre les flottes ennemies.
En 1919, j’étais heureux d’apprendre que mon retour à la Maison Algérie, avait été exigé par des Français Henri Klein et l’Amiral Cros, du Comité du Vieil Alger, association de défense du patrimoine de l’Algérie.
De 1940 à 1945, les Allemands qui occupaient la France, venaient m’admirer car eux aussi avaient pendant la 1ère guerre mondiale, un canon géant surnommé La Grosse Bertha.
Pourquoi ce surnom féminin pour des canons symboles de virilité ?
Au début, j’étais content de voir mes geôliers, colonisés et humiliés à leur tour mais j’ai vite compris que les nazis sont des fascistes qui oppriment le peuple de France et je pensais naïvement qu’une fois la France libérée, elle nous accordera à notre tour, la liberté.
Pendant l’occupation Allemande, les gens de Brest, me considérant Marabout, car venant d’Afrique, venaient solliciter ma Baraka, mes prières et mes incantations pour la liberté de la France et qui me disaient-ils, me rendra ma liberté.
Ils étaient tellement de bonne foi et sincères que j’y croyais et je priais pour nos libertés.
Lors du débarquement américain et anglais en Afrique du nord le 8 novembre 1942, suivi du débarquement sur les plages Françaises le 6 juin 1944, j’étais heureux pour la libération du peuple de France et à l’idée de notre proche liberté.
Rage et désespoir, quand j’ai appris les massacres du 8 mai 1945 et ses milliers de morts en Algérie, au moment où le peuple de France fêtait sa libération.
Et pourtant, les Américains avaient promis de libérer les pays d’Afrique du nord qui étaient sous le régime pro-nazi de Vichy, promesse écrite du Président Roosevelt et du Général Eisenhower !
(Tract bilingue Arabe / Français de l’Opération Torch / Débarquement Afrique du nord 1942).
Désillusion et incompréhension ont meublé ma triste solitude en cette année 1945. J’étais à la fois content de voir les Français fêtaient leur libération et jaloux de leur bonheur car je ne comprenais pas cette discrimination. Et c’est avec le Plan Marshal Américain et les armes Américaines que le colonialisme Français a pu mener les guerres d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962).
Il a fallu le déclenchement de la guerre de libération du 1er novembre 1954, pour qu’enfin je sente le début de la fin du colonialisme.
Le 3 juillet 1962, après 132 ans de captivité, l’Algérie est libre et indépendante.
Je savourais notre victoire et je me disais : enfin je vais rentrer à la Maison Algérie.
Grande désillusion, mes enfants devenus adultes, ivres de liberté et insouciants, m’ont oublié loin de la maison, moi leur grand-père qui a toujours veillé sur eux !
Déprimé et malheureux, je pleurais en entendant Cheikh El Ankachanter: « Lehmam li rabitoumchaaâlia » (Les pigeons « les enfants » que j’ai élevés, m’ont quitté).
L’espoir d’une liberté prochaine est vite revenu, soutenu en cela, par Cheikh Dahmane El Harrachi qui m’a toujours bercé d’espoir avec sa chanson : « Ya rayahtrouhtayawatouali » (Tôt ou tard, tu reviendras).
Captif depuis 190 ans, je subis depuis 187 ans à Brest, un véritable supplice, face à l’Océan Atlantique et aux rudes hivers qui ont altéré ma santé.
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Je suis triste aussi, de voir les Harraga, ensorcelés par la sirène Europa, quitter au péril de leur vie, leur pays dans de frêles embarcations, alors que de notre temps le terme Harraga qui vient de Harraqâ (brûleur) désignait un vaisseau de guerre, appelé ainsi car il brûlait les bateaux ennemis (Moulay Belhamissi- La Marine Algérienne).
Au couple Algérie / France, mariés de force le 5 juillet 1830, couple infernal de 132 hivers de tempêtes et 132 étés de sirocco, divorcés officiellement le 3 juillet 1962, mais condamnés à vivre ensemble, je leur dis :
« 58 ans après, voici venu, le temps de la réconciliation, dans l’intérêt de tous ».
Je suis le plus ancien déporté Algérien et je n’ai jamais compris pourquoi la France a tardé à me rendre ma liberté, malgré l’accueil chaleureux en Algérie des Présidents Giscard D’Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron qui a compris l’intérêt politique de la France de restituer leur patrimoine aux pays d’Afrique. Ainsi la restitution le 5 juillet 2020 des crânes des martyrs Algériens du 19ème siècle, a été un geste fort, geste qui m’a redonné espoir quant à ma prochaine libération et j’ai fait un rêve prémonitoire : ça sera le 1er novembre 2020.
Vieillard, je me sens si seul. Je veux rentrer chez moi à la Maison Algérie, je veux sentir la chaleur familiale qui me manque depuis 190 ans ; j’ai rêvé qu’au plus tard le 1er novembre 2020, je retournerai chez moi à la maison, par mer comme je suis parti, accompagné par notre Marine Nationale, digne héritière de notre glorieuse Marine Algérienne.
A cette occasion, je conseille à notre Marine Nationale de créer le grade d’ « Amiral » (Amir El Bahar), terme d’origine Arabe devenu universel, grade en usage dans toutes les marines du monde.
Je me vois arriver dans ma bien aimée baie d’Alger, sous les coups de canons et les sirènes des bateaux, entrer dans le port, saluer à ma droite le môle Kheireddine Barberousse où j’ai effectué mon service militaire et essayant de distinguer ma belle MadinaDzaïr, qui m’attend depuis le 3 juillet 1962.
Ancien combattant, je me vois arriver chez moi, entouré de marins vêtus de blanc et de soldats en grande tenue, avec la fanfare de la garde royale…pardon, je me trompe d’époque, garde républicaine.
Tabla et Zorna (instruments traditionnels de musique) seront de la fête.
Je me vois arriver chez moi, accueilli en héros national par des milliers d’enfants, agitant des drapeaux et scandant « Yahia Baba Merzoug » (Vive Baba Merzoug).
Je me vois arriver chez moi, accueilli par les youyous des Algériennes, gardiennes de notre culture et de nos traditions, descendantes des Dziryettes (Algéroises) qui ont chanté ma virilité et ma protection.
Je me vois arriver chez moi, accueilli par les Algériens, amoureux de leur patrie.
Pour mon premier dîner de Liberté, ma bien aimée MadinaDzaïr m’a promis un couscous royal au mouton, merguez et…Serdouk (coq)…Le soir venu, sur le môle Kheireddine Barberousse, spectacle son et lumière.
Les feux d’artifice illumineront le ciel et me rappelleront les batailles dans la baie et les fêtes de victoire.
Cette fête, je la souhaite fête de l’amitié, de la paix et de la concorde, entre le peuple d’Algérie et le peuple de France, avec des historiens et amis des deux rives de notre Mer (mère) Méditerranée.
Une fois à la Maison Algérie, faites-moi la promesse de ne pas m’enfermer dans une prison-musée car je souhaite respirer l’air de la Liberté et de la Mer Méditerranée, m’allonger à l’horizontale pour me reposer des 187 ans de position verticale à Brest, sans grille pour sentir les caresses des milliers de visiteurs qui viendront me rendre hommage et solliciter ma Baraka, face à la mer sur les hauteurs, dominant la baie d’Alger et à côté de Makam Chahid, le Grand héros de la Libération nationale qui veillera sur moi.
L’amitié est à portée de canon, libérez moi le 1er novembre 2020, chargez moi de message d’amitié, je serai l’émissaire de la paix.
A bientôt
Port de Brest, le 1er septembre 20
Baba Merzoug
Message recueilli par télépathie et transcrit par Smaïl Boulbina, scribe de Baba Merzoug, co-fondateur du Comité national pour la restitution de Baba Merzoug, présidé par Maître Fatima Benbraham.
Le comité rend hommage à feu Belkacem Babaci, qui a lutté pour le retour de Baba Merzoug en Algérie.
Les données historiques sont authentiques, puisées dans la riche bibliographie de feu Moulay Belhamissi.
Historien, auteur d’une thèse sur la Marine Algérienne et 1er contemporain à médiatiser Baba Merzoug.
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NOTES HISTORIQUES
Lettre de l’amiral Duperré, commandant la flotte d’invasion :
« Baie d’Alger, à bord du vaisseau l’Alger*, le 6 août 1830,
A Son Excellence, le Ministre de la Marine et des Colonies,
Monseigneur,
J’ai fait charger et j’expédie sur Toulon, par le transport La Marie Louise, Capitaine Caspench, n°221,
la pièce en bronze dite La Consulaire, provenant des batteries de la Marine d’Alger, contre lesquelles l’armée sous mon commandement a combattu.
C’est celle dans laquelle ou à la volée de laquelle fut placé le Consul de France, le père Le Vacher,lors du bombardement exécuté par Duquesne en 1683.
Comme amiral commandant l’armée navale, j’ose réclamer en son nom, et pour la marine, ce trophéede la marine française. Comme préfet maritime de Brest, j’oserai demander de plus que le don en soit faità ce port, dont les armements ont une si grande part à la campagne d’Alger.
Daignez, Monseigneur, ajouter encore au sentiment de reconnaissance que conservera la marine en soumettant au Roi cette nouvelle demande, dont le succès sera pour elle un honorable témoignage de la satisfaction de Sa Majesté : c’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix ».
A son tour, le Ministre de la Marine adressa au Roi, le 4 octobre 1830, un rapport sur la question et dans lequel il disait : « J’ai cru devoir accéder au désir exprimé par cet amiral et j’ai prescrit d’envoyer à Brestla pièce dite La Consulaire ».
* Le navire amiral La Provence, a été rebaptisé Alger le 14 juillet 1830.
Texte de l’inscription que présente le piédestal sur lequel repose Baba Merzoug à Brest.
LA CONSULAIRE Prise à Alger, le 5 juillet 1830 Jour de la conquête de cette ville Par les armées françaises, Le Baron Duperré commandant l’escadre. Erigée le 27 juillet : 1833 S. M. Louis-Philippe régnant. Le V. A. Comte de Rigny, ministre de la Marine. Le V. A. Bergeret, préfet maritime.
Smaïl Boulbina. Membre fondateur du comité national pour la restitution du canon Baba Merzoug : «Le retour de notre héros national doit être bien scénarisé»
29 SEPTEMBRE 2020
A la fois médecin, journaliste et écrivain, Smaïl Boulbina est l’un des membres fondateurs du comité national pour la restitution du canon en bronze Baba Merzoug. A quelques jours de l’échéance de son retour en Algérie, le chercheur Smaïl Boulbina nous renseigne un peu mieux sur le canon Baba Merzoug.
Propos recueillis par Nacima Chabani
-Après la restitution des crânes de martyrs algériens en juillet dernier, l’Algérie s’apprête à se voir restituer, le 1er novembre prochain à l’occasion du 76e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, le canon en bronze Baba Merzoug, et ce, après 190 ans de captivité en France. Pourriez-vous revenir sur la genèse de cette imposante artillerie en bronze ?
En 1541, le sultan Hassan Agha, fils adoptif et successeur (1534-1543) de Kheireddine Barberousse, Hassan le vainqueur (aidé par la tempête) de l’empereur Charles Quint et de son invincible armada des coalisés européens, avait commandé la fabrication d’un super canon à Dar Nhass, la fonderie de canons, installée près de la porte de Bab El Oued (mitoyenne du lycée Emir Abdelkader).
En 1542, Baba Merzoug, fabriqué par Sébastiano Cornova, originaire de Bundoqia (Venise), était le plus grand canon, 6,25 m de long qui tirait des obus d’une portée de 4872 m, installé à la pointe du môle Kheireddine, le redoutable canon interdisait toute approche par la mer. Madina Dzaïr (Casbah était le nom de la citadelle-palais du sultan, inexactement donné par les Français à toute la médina en 1830), était tellement bien gardée qu’elle a été surnommée El Mahroussa et ses habitants, heureux d’être si bien protégés, le surnommèrent Baba Merzoug (Père fortuné, béni, bienfaiteur).
En 1816, lors du bombardement anglo-hollandais, suite à une surchauffe, il fut mis hors service et relégué sous une voûte de l’Amirauté. En 1830, sa réputation internationale a fait que l’amiral Duperré, commandant de la flotte d’invasion, a décidé de le déporter en France comme trophée de guerre et de lui donner le surnom de La Consulaire. Prisonnier sous le numéro 221, il été embarqué le 6 août 1830 à bord du bateau La Marie Louise.
Dans la lettre adressée à son ministre de la Marine, l’amiral Duperré avait écrit : «C’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix.» Après trois ans de captivité à Toulon, Baba Merzoug fut transféré le 27 juillet 1833 à Brest où il est toujours. Après 190 ans de captivité, il est le plus ancien prisonnier algérien en France. Tous mobilisés pour son retour chez lui, à la Maison Algérie.
-En 1996, un comité algérien pour la restitution du canon Baba Merzoug a vu le jour, pour réclamer, également, 158 autres objets ?
Il faut rendre hommage au comité de la fondation Casbah, et à son ex-président, le défunt Belkacem Babaci, qui a été le premier à se lancer dans la bataille médiatique, tant en Algérie qu’en France, pour la restitution de tout notre patrimoine en général et en particulier des crânes des martyrs et le canon Baba Merzoug. En 2011, un comité national a vu le jour, fondé par le défunt Belkacem Babaci, Fatima Benbraham et Smaïl Boulbina.
Le comité de la fondation Casbah, actuellement présidée par Ali Mebtouche, et le comité national présidé par Fatima Benbraham, fiers de leur contribution pour le rapatriement des crânes des martyrs, n’ont jamais cessé d’interpeller les autorités algériennes et françaises sur Baba Merzoug. Il faut aussi saluer nos compatriotes et des amis français qui ont créé en France l’association Baba Merzoug qui milite pour sa restitution et qui programme, en France, un cycle de conférences et un rassemblement sur le site du canon à Brest.
-Cette restitution n’a pas été de tout repos puisque des pourparlers algéro-français ont duré à travers le temps…
La veille de la visite officielle du président Macron, El Watan a publié le 3 décembre 2017, notre lettre ouverte au président français, pour la restitution des crânes des martyrs et de Baba Merzoug et nous avions reçu un écho favorable.
Il faut rendre hommage au gouvernement algérien actuel pour son action décisive qui a permis le rapatriement des crânes des martyrs du XIXe siècle. La société civile demande à notre gouvernement de poursuivre ses efforts pour la restitution de tout notre patrimoine détenu en France et demande au gouvernement français de nous restituer Baba Merzoug qui représente un puissant symbole mémoriel pour les Algériens et sera le messager de la paix, la concorde et l’amitié entre nos pays.
-En tant que l’un des défenseurs du canon Baba Merzoug, vous avez soumis, dernièrement, une requête aux autorités algériennes afin d’aménager un emplacement pour le canon de Baba Merzoug au niveau de la place des Martyrs à Alger…
Une requête a été adressée au président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur, à la ministre de la Culture, au wali d’Alger, au wali délégué de Bab El Oued et au maire de La Casbah, pour suggérer l’érection de Baba Merzoug sur la place des Martyrs, meilleur choix de site, car près de Dar Nhas, son lieu de naissance, de La Casbah, sa ville natale, face à Bab El Bhar et à la mer et…presque à l’ex-emplacement de la statue équestre de l’envahisseur duc d’Orléans (placette El Aoud – place du Cheval, bien connue des vieux Algérois)… Cette situation est idéale pour la visite facilitée et libre de milliers de visiteurs à longueur d’année et viendra enrichir l’attrait touristique de La Casbah et de ses monuments.
-Comment voyez-vous le retour de Baba Merzoug à Alger ?
Le retour de notre héros national doit être bien scénarisé : il doit être rapatrié par mer à partir de Toulon, sa première destination en 1830, sur un vaisseau de la marine nationale.
Accueilli par les coups de canon et les sirènes des bateaux, des milliers d’enfants, agitant des drapeaux et scandant «Yahia Baba Merzoug», par les youyous des Algériennes, descendantes des valeureuses Dziryettes (Algéroises) qui ont chanté sa protection et par les Algériens, amoureux de leur patrie. Le soir venu, sur le môle Kheireddine, les feux d’artifice illumineront le ciel. Il faut dès à présent préparer le site par la construction du piédestal en béton, haut de 3 m et long de 8 m, pour recevoir le canon (6,25 m) et son affût, sa bouche face à la mer. La construction immédiate du piédestal, médiatisée, aura un impact psychologique important, dans l’attente de l’accueil de notre héros national.
-Pour mieux sensibiliser la jeunesse algérienne, vous comptez éditer et distribuer gracieusement un ouvrage consacré au canon de Baba Merzoug ?
Ce livre, qui est trilingue (arabe, tamazight et français) sur la vie de Baba Merzoug, est ma contribution bénévole pour la promotion de notre mémoire nationale. Parrainées par un grand éditeur, des dizaines de milliers d’exemplaires seront distribués gratuitement à l’occasion du 1er novembre. Vive Baba Merzoug ! Vive l’Algérie !
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