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Au titre des sections coloniales de l’Exposition universelle se dressent côte à côte sur l’esplanade des Invalides, le pavillon du Cambodge représenté sous forme d’une pagode d’Angkor-Wat grandeur nature; le Palais de la Cochinchine conçu dans un style typique de l’architecture propre à cette région du monde, le Palais de l’Annam et du Tonkin flanqué d’un théâtre annamite, les comptoirs de l’Inde française que symbolise la pagode de Villenour avec sa statuaire dense et raffinée.
Les territoires d’outre-mer sont représentés par des villages traditionnels où les figurants, des kanaks et guadeloupéens ramenés de leurs lointaines îles du pacifique par des chefs d’expédition, vivent en autarcie dans des sortes d’enclos, le corps demi-nu offert à la curiosité des visiteurs dont certains leur jetaient de la nourriture ainsi que les animaux d’un zoo.
Les noirs africains, tous réduits au terme générique de « nègre » fortement connoté de racisme, sont parqués dans plusieurs villages quadrillés et cadastrés, reproduits à l’identique ou presque, avec leurs cases de toutes grandeurs et de toutes formes, éventuellement la mosquée ou un mur d’enceinte en terre, et leurs habitants, quelques échantillons parfaitement sélectionnés, assignés à demeure fixe dans leurs espaces respectifs. Il s’y trouve aussi des animaux sauvages, des singes surtout, ou des chiens du pays; le tout au milieu d’une grande variété d’ustensiles et d’objets du quotidien où les idoles en bois, les tambours et autres instruments de musique occupent une place de choix. Ainsi se côtoient le village Pahouin d’une ethnie du Gabon, le village Louango d’une tribu du Congo, le village sénégalais dominé par la reconstitution de la Tour de Saldé, partie d’un ouvrage militaire aux proportions imposantes édifié aux premiers temps de la conquête du Fouta-Djalon par le commandant Faidherbe qui prit part en 1851 à l’expédition de la petite Kabylie, attaché aux troupes du général Bosquet.
Les villages indigènes, villages exotiques, villages d’exposition et d’exhibition, étaient censés reconstituer la vie quotidienne de ces peuples lointains soumis à la France. C’était des lieux de vie imposés et des lieux de spectacle obligés, sans pratiquement possibilité d’en sortir, sous peine de punition, pendant les six mois que va durer l’Exposition universelle. Quatre cent indigènes auront ainsi été déplacés de leur pays d’origine pour faire le spectacle et peupler des décors montés de toute pièce.
Les indigènes noirs eurent le plus à souffrir des conditions de vie déplorables lors de leur séjour en métropole. Le dépaysement, le climat, les contraintes inhérentes à des exhibitions journalières (danses, chants, simulation d’activités collectives...) qui les exposaient au public, comme des animaux de foire ou des ours savants, les épuisaient physiquement et moralement.
Dans une scénographie intentionnellement perverse, les villages nègres donnaient l’image de zoos humains. C’était l’attraction la plus courue avec ces hommes et ces femmes dont la couleur de peau était la première des curiosités. A leur insu, ils assumaient par eux-mêmes la fonction légitimatrice à la fois de la colonisation à vocation civilisatrice et des thèses qui prônaient une hiérarchie des races. Le visiteur mesurait les efforts redoublés que devait déployer l’administration coloniale pour civiliser ces peuplades primitives. Le mythe du « sauvage cannibale » devant évoluer vers celui du « bon sauvage ».
Le Pavillon de l’Algérie, partie intégrante de la France
L’Algérie a été de toutes les expositions universelles, depuis la première, celle de 1851 à Londres, puis les suivantes qui se tinrent dans les grandes villes du monde au 19éme siècle, tel que Vienne en 1873, Philadelphie en 1873 et Melbourne en 1880. A partir de l’Exposition universelle de Paris de 1867, l’Algérie disposait de son propre pavillon. En tant que colonie de peuplement, l’objectif était non seulement d’exposer ses richesses agricoles, minières et industrielles, mais aussi d’attirer des capitaux et une population européenne, surtout française.
Lors de l’Exposition universelle de 1889, le « Palais de l’Algérie » est implanté sur l’esplanade des Invalides, un espace entièrement réservé aux pavillons et villages des « Sections coloniales », mais il se trouve un peu en retrait, à l’angle du quai d’Orsay et de la rue de Constantine, là où se situe le Ministère des Affaires étrangères. De par son intérêt stratégique pour l’économie française, c’est le pavillon le plus important et le plus visible dans cette partie coloniale de l’Exposition universelle. D’ailleurs, le chemin de fer intérieur, une des attractions phare, marque un arrêt devant le Palais de l’Algérie parmi les neuf stations que compte la ligne.
Le pavillon de l’Algérie et ses annexes occupent 6300 mètres carrés, soit un peu plus du cinquième de la superficie totale de l’esplanade des Invalides. L’Algérie, partie intégrante de la France, jouit de ce fait, d’un statut privilégié par rapport aux autres colonies.
La composition architecturale du pavillon de l’Algérie rappelle à la fois la mosquée par son minaret de 22 mètres surplombé du drapeau tricolore, et le palais de style mauresque dont des éléments esthétiques modernes ont été ajoutés à la construction, selon une démarche conceptuelle néo-mauresque, une sorte d’appropriation par le colonisateur des caractères distinctifs du patrimoine traditionnel algérien, modélisé d’après l’image mentale que celui-ci se fait de l’assimilation culturelle.
A l’intérieur du Palais de l’Algérie, les exposants présentent des articles du pays ; vins et autres boissons fermentées, produits agricoles, miels et spécimens de produits alimentaires, lièges et bois divers, minéraux, marbres, tapis, maroquinerie... Les organisateurs de l’Exposition universelle ont conçu un discours adapté aux différents types de colonies et possessions, en fonction de l’ancienneté de l’implantation française. Pour le cas de l’Algérie, le discours misait essentiellement sur son potentiel économique et les bénéfices que la métropole pouvait en tirer, une manière de justifier les dépenses importantes consacrées à la pérennisation de la présence française.
Sur le terre-plein situé derrière le Palais de l’Algérie ont été reconstitués :un souk traditionnel, lieu de rassemblement hebdomadaire des populations rurales, animé par des marchands indigènes et des petits artisans qui s’adonnent à leurs tâches habituelles; une habitation typique du Djurdjura; un campement nomade où s’élèvent de vastes tentes à larges rayures multicolores avec un peu plus loin des chevaux de la jumenterie de Tiaret attachés à des pieux ; et pour le spectacle, un café maure où la secte des Aïssaouias avec bannières et étendards se livre à des rituels d’automutilation, lors de danses extatiques au son du tambourin et de la gheita. C’était là une mise en scène délibérément archaïque et caricaturale de l’Algérie colonisée. Pour les visiteurs l’illusion était complète. Ces reconstitutions qui se voulaient d’un caractère didactique pour faire connaître un pays mal connu, en disaient davantage sur la perception qu’avait le pouvoir colonial du peuple algérien, faute de le montrer sous son véritable jour et dans toute son authenticité.
Situation de l’Algérie colonisée à l’époque de l’Exposition universelle de 1889
Tandis que festivités fastueuses, cérémonies mondaines ponctuent chaque jour de l’Exposition universelle, le peuple algérien vit depuis plus d’un demi-siècle sous le joug colonial. Il est dans ce monde, mais il n’existe pas en tant que tel. Les indigènes musulmans ne sont pas des citoyens à part entière, mais des sujets français soumis au Code de l’indigénat adopté le 28 juin 1881. Par volonté discriminatoire, le régime de l’indigénat fait des libertés individuelles et collectives dont jouissent les Français de la colonie, de véritables infractions lorsqu’il s’agit des indigènes-musulmans, alors passibles de mesures punitives spéciales tout aussi dégradantes les uns que les autres.
En 1889, l’Algérie coloniale a de quoi se réjouir, et pour cause, l’œuvre de pacification est pratiquement achevée dans le nord du pays et les premières marche du Sud, après la longue chaîne des insurrections et révoltes de différente ampleur, réduites les unes que les autres par des répressions sauvages. La dernière en date, l’insurrection menée de mars 1871 à janvier 1872 par Cheikh El-Mokrani, avec le concours de son fils Boumezrag et l’appui de son allié Cheikh El-Haddad, chef de la confrérie Rahmaniya, a été écrasée dans le sang. S’en suivront peines de mort, déportations, confiscations de terres, séquestres et amendes collectives impressionnantes. Ce fut la dernière grande insurrection dans le nord de la colonie où le processus de colonisation était à son apogée.
Epuisé, exposé aux disettes et épidémies, le peuple algérien vit les heures les plus sombres de son histoire. Les populations n’ont plus le souffle pour poursuivre la résistance face au colonisateur français, qui à présent étendait sa politique de pacification en profondeur dans les zones sahariennes où Bouamama et les tribus du Sud Oranais, les Ouled Sidi Cheikh, vont prendre le relais de la résistance armée.
A l’heure où l’Exposition universelle faisait de la France la vitrine de la civilisation occidentale, le peuple algérien écrasé par la domination coloniale, endurait souffrances et misères, sans pour autant s’avouer vaincu. C’était bien ce même peuple si courageux, si vaillant qui suscita l’admiration de Napoléon III, à l’occasion d’un spectacle de fantasia auquel il assista le 19 septembre 1860 lors d’un voyage en Algérie. Ce jour-là, de fougueux cavaliers arabes, burnous au vent, se lançaient dans des courses folles sur leurs montures richement harnachées, tout en faisant tournoyer au-dessus de l’épaule leurs mousquets à silex qu’ils déchargeaient dans d’assourdissantes détonations en passant devant la tribune impériale. « Ce n’est pas un peuple, c’est une armée ! », s’exclama avec émerveillement Napoléon III.
Les indigènes de l’Exposition universelle, spectacle de la cérémonie de clôture
Le 29 septembre 1889, quarante-huit heures avant la clôture de l’Exposition universelle, le Président de la république procède dans la grande nef du « Palais des industries diverses », à la distribution des récompenses aux exposants. A cette occasion, l’Algérien Hamoud, fondateur de la société Hamoud Boualem, est récompensé d’une médaille d’or, catégorie hors concours, pour sa boisson « La Royale ». Le gouvernement de la métropole choyait les représentants de la vieille bourgeoisie citadine algéroise dans le secret espoir de l’associer aux élites indigènes favorables à son projet assimilationniste, clé d’une paisible cohabitation entre les communautés arabe et européenne.
Le 31 octobre 1889, une cérémonie est organisée en grande pompe pour la clôture de l’Exposition universelle. Une cérémonie haute en couleur. Les indigènes de l’Exposition universelle dans leurs tenues traditionnelles défilent en délégations devant la tribune officielle où sont présents tous les membres du gouvernement et le Président de la république Sadi Carnot. Encore une fois, les indigènes des colonies ; Indochinois, Kanak, Congolais ,Gabonais, Sénégalais, Cambodgiens, Algériens, Tunisiens...sont exhibés en guise de spectacle à la gloire de l’empire colonial de la France qui a retrouvé sa place parmi les grandes puissances.
A quatorze heures, sur un coup de canon tiré depuis le premier étage de la Tour Eiffel et enregistré sur le phonographe d’Edison, l’Exposition universelle de Paris avec un score de trente-deux millions d’entrées, ferme officiellement ses portes dans une effervescence festive. Elle se clôture sur l’image d’une France républicaine confiante en elle-même, plus conquérante que jamais. Au même moment, sur l’autre rive de la Méditerranée, le peuple algérien, plongé dans une longue nuit coloniale, attendait son heure avec la résignation active du croyant devant les fatalités de l’histoire.
par Djamal Kharchi
Ex Directeur Général de la Fonction Publique - Ecrivain. Docteur en sciences juridiques
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