iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
La France a décidé de faciliter l’accès aux archives de la guerre d’Algérie. Dans un communiqué diffusé ce mardi 9 mars, l’Élysée annonce que le président français, Emmanuel Macron, avait donné l’ordre de « permettre aux services d’archives de procéder dès demain aux déclassifications des documents couverts par le secret de la Défense nationale », dont ceux appartenant à la guerre d’Algérie.
Dans son communiqué, l’Élysée révèle que la France va faciliter l’accès aux archives classifiées de plus de 50 ans, notamment celles relatives à la guerre d’Algérie. Une décision qui entrera en vigueur à partir de mercredi 10 mars. « Le chef de l’Etat a ainsi pris la décision de permettre aux services d’archives de procéder dès demain aux déclassifications des documents couverts par le secret de la Défense nationale selon le procédé dit “de démarquage au carton” jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse », lit-on dans le communiqué de la présidence française.
Faciliter le travail des chercheurs…
La même source souligne que « cette décision sera de nature à écourter sensiblement les délais d’attente liés à la procédure de déclassification, s’agissant notamment des documents relatifs à la guerre d’Algérie ». En effet, il faut noter que seuls les documents antérieurs à l’année 1954 sont concernés par cette mesure. « Il s’agit de renforcer la communicabilité des pièces, sans compromettre la sécurité et la défense nationales », explique l’Elysée.
Cette annonce intervient une semaine après qu’Emmanuel Macron a reconnu que l’avocat et militant algérien Ali Boumendjel avait été « torturé et assassiné » par l’armée française pendant la guerre d’Algérie d’Algérie en 1957. Ce qui a valu au président de la France de vives critiques de la part de certains partis de l’extrême droite, dont le RN. La présidente de ce parti, Marine Le Pen, a jugé « irresponsable » « le fait de pointer directement la responsabilité de l’armée française comme le fait le président ».
En octobre 1870, sous l’impulsion du ministre de la Justice, Adolphe Crémieux, la France décide de naturalier les 35 000 juifs de sa colonie algérienne, jusqu’alors considérés comme des « indigènes ».
Adolphe Crémieux, en 1856. (Artokoloro / Quint Lox / Aurimages via AFP)
Quand les troupes françaises du roi Charles X débarquent dans la bne fois par mois, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France (BNF), « l’Obs » revient sur un épisode de l’histoire coloniale en Afrique raconté par les journaux français. Aujourd’hui, retour sur le décret Crémieux.aie de Sidi-Ferruch (aujourd’hui Sidi-Fredj), située à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Alger, en juin 1830, il y a 25 000juifs en Algérie, berbères et sépharades, organisés en « nation ». Avec un « roi », un mokadem, responsable des impôts, et des tribunaux rabbiniques chargés de la justice. Ce sont essentiellement des petits artisans, tailleurs, cordonniers, menuisiers, des boutiquiers, des colporteurs et quelques bourgeois enrichis par le commerce.
Cela fait trois siècles que la régence turque, un Etat autonome de l’Empire ottoman, est installée dans le nord de l’Algérie et impose aux juifs le statut de dhimmis (« sujets protégés »), comme aux chrétiens, autre religion du Livre. Pas le droit de porter du vert, la couleur réservée aux musulmans, mais du noir ; pas le droit de posséder des armes ou de circuler avec un falot allumé la nuit, ni de monter un cheval, animal trop noble, mais uniquement sur un mulet ou un âne, et sans selle… La plupart des juifs d’Algérie se jettent dans les bras de la France. L’intégration va se mettre en marche. Elle démarrera quarante ans plus tard.
Il faut les civiliser tous ces « indigènes israélites » qui vivent si chichement, qui comprennent mal le français et parlent arabe en famille, qui ont des bicoques délabrées en guise de synagogues et qui pratiquent leur religion de façon si peu orthodoxe, avec des superstitions, des amulettes pour éloigner les sorciers, des cris et des pleurs pendant les cérémonies. La communauté juive française, qui se structure peu à peu (l’Alliance israélite universelle est créée en 1860), dépêche des émissaires de l’autre côté de la Méditerranée pour étudier ces drôles de coreligionnaires et voir comment les faire « évoluer ». Ils reviennent abasourdis d’avoir entendu des femmes juives pousser, comme les musulmanes, des youyous stridents aux mariages et aux enterrements et des hommes évoquer leur peur du diable.
Leur conviction est faite : les juifs d’Algérie doivent suivre le chemin de leurs homologues français, eux qui se sont pliés aux lois de leur pays et se sont assimilés. Le sénatus-consulte (décision émanant du Sénat et ayant valeur de loi) de juillet 1865, sous le Second Empire, prévoit des possibilités de naturalisation à titre individuel pour les indigènes juifs et musulmans. Mais devenir citoyen français est rendu compliqué par d’interminables procédures administratives et reste l’apanage des plus aisés. Un homme de 74 ans, franc-maçon né dans une famille juive provençale, avocat, député de la gauche républicaine et président de l’Alliance israélite universelle, va faire de la naturalisation des juifs algériens un des derniers combats de sa vie. Il s’appelle Isaac Moïse Crémieux, mais est resté dans l’histoire sous le nom d’Adolphe Crémieux.
Adolphe Crémieux déploie tous ses talents d’avocat pour convaincre ses collègues parlementaires et les élites métropolitaines. Partout, il multiplie les lettres ouvertes, les tribunes et les prises de parole. « Quelques mots sur la naturalisation qu’il faut accorder aux israélites algériens, écrit-il dans les colonnes du “Siècle” le 7 juillet. […] Les juifs mâles ont, d’après la loi mosaïque, le droit de répudiation et le droit d’héritage ; les époux juifs ont le droit de divorcer. Au moment où notre chère Algérie voit commencer les réparations qui lui sont si légitimement dues, au moment surtout qui voit naître pour elle le droit électoral, faut-il décréter leur naturalisation qui va les soumettre à la loi française, les privant et du droit de répudiation, et du droit d’ héritage, et du droit au divorce ? Les israélites de l’Algérie réclament la naturalisation, leur assimilation aux Français, le titre de citoyens français, c’est leur vœu le plus ardent. »
Le 24 octobre 1870, alors que Napoléon III a abdiqué et que les troupes prussiennes campent autour de Paris, Adolphe Crémieux, alors ministre de la Justice, soumet neuf décrets au gouvernement de la Défense nationale. Le plus célèbre porte le numéro 136 : « Les israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français. En conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française ; tous droits acquis jusqu’à ce jour restent inviolables. Toute disposition législative, tout sénatus-consulte, décret, règlement ou ordonnance contraires sont abolis. » Du jour au lendemain, les juifs ne sont plus des « indigènes », ils deviennent français et tombent sous les lois de la République. Ils votent désormais aux élections, n’ont plus le droit d’être polygames ou de divorcer, les garçons font leur service militaire, les filles héritent de leurs parents, et plus seulement les fils.
Le décret est pris à Tours en Conseil du gouvernement de la Défense nationale. Il est signé d’Adolphe Crémieux, de Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, de Léon Martin Fourichon, à la Marine et aux Colonies, et d’Alexandre Glais-Bizoin, député des Côtes-du-Nord. Le « Bulletin de la République française » en fait, le 30 octobre, une très brève mention de deux lignes, avec une faute de frappe : « Un Décret du même jour, déclare citoyens français lss Israélites indigènes des départements de l’Algérie. » Il est publié dans son intégralité au « Bulletin officiel de la ville de Tours » le 7 novembre 1870.
En cette fin de XIXe siècle, la naturalisation des juifs d’Algérie est suivie d’une vague d’antisémitisme sans précédent chez les Européens installés dans la colonie. Emeutes, pogroms, pillages de magasins, interdictions aux juifs de pénétrer dans certains lieux publics… Le point culminant, amplifié par l’affaire Dreyfus, est atteint en mai 1898 avec l’élection des « quatre mousquetaires gris », des militants antisémites, dans les fauteuils de députés d’Alger, d’Oran et de Constantine. Parmi eux, Edouard Drumont, l’auteur du pamphlet « la France juive », le best-seller de l’époque.
Le décret Crémieux va attiser aussi la désunion entre les communautés juives et musulmanes. Il met un terme au destin commun des deux populations indigènes, juive et musulmane, elles qui vivaient jusqu’alors dans les mêmes quartiers, parlaient la même langue et pratiquaient les mêmes coutumes. La séparation ainsi installée ne fera que croître jusqu’à l’indépendance. Le décret 136 est complété par un autre, le numéro 137, qui reprend la disposition du sénatus-consulte de 1865 et permet aux musulmans de plus de 21 ans de devenir citoyens français, à condition de renoncer au droit coutumier. Mais les accessions à la citoyenneté française restent difficiles. Des émeutes musulmanes éclatent trois mois après le décret Crémieux. Elles sont vite qualifiées d’« antijuives » par la presse qui préfère ne pas voir d’autres causes, comme les revendications liées à la répression, à la faim, aux conditions de vie des musulmans et à la reconnaissance de leurs droits.
« Nous avons eu une petite émeute à Alger, écrit ainsi “la Liberté” le 10 mars 1871, le sang a coulé ; il y a eu quelques morts parmi les indigènes arabes. Si la municipalité avait pris des précautions, cet orage aurait pu être conjuré. M. Crémieux ayant décrété la naturalisation en masse de tous les israélites indigènes, les Arabes sont furieux : ils disent que depuis plus de trente années ils mêlent leur sang au nôtre sur tous les champs de bataille et qu’aujourd’hui, pour prix de leurs sacrifices, ils sont bien moins traités que les juifs qui n’ont fait autre chose que du commerce à nos dépens et aux leurs. Depuis leur naturalisation, les juifs sont devenus insolents à l’égard de tout le monde et particulièrement des Arabes. […] Les Arabes, qui ont toujours considéré la race juive avec mépris, se sont révoltés à l’idée qu’ils avaient été jugés par le gouvernement supérieurs en droits à eux-mêmes ; leur dignité et leur orgueil s’en sont offensé. Samedi 25 février, les tirailleurs israélites de la garde nationale ont maltraité quelques musulmans ; l’affaire a été portée devant le tribunal de police correctionnelle, et, à tort ou à raison, deux Arabes ont été condamnés à 16 francs d’amende. Cette condamnation a été le signal de l’émeute. Un millier […] de portefaix, de Kabyles se sont répandus dans les rues vers quatre heures du soir, en poussant des hurlements et en brandissant d’énormes bâtons. Ils se sont rués sur tous les malheureux disciples de Moïse qu’ils ont rencontrés. Les coups retentissaient d’un bout d’une rue à l’autre sur le dos de ces infortunés. Bientôt ils ont enfoncé les devantures des magasins juifs et se sont livrés au pillage avec un ensemble et un enthousiasme parfaits. »
En fait, comme plus tard, au lendemain des Première et Seconde guerres mondiales, la supposée supériorité de la France et de son armée a été sérieusement ébranlée par le conflit franco-allemand de 1870. La chute du Second Empire, la Commune de Paris et les problèmes de récolte dans les campagnes algériennes ont également attisé la révolte. Le printemps 1871 est le théâtre del’une des plus importantes insurrections depuis le début de la conquête militaire : la révolte dite des Mokrani, menée par le cheikh El Mokrani et son frère Boumezrag, dont la famille détient depuis le XVIe siècle la citadelle de la Kalâa, dans les Bibans, en Kabylie. Deux-cent-cinquante tribus se soulèvent à travers toute l’Algérie.
En métropole, les opposants, nombreux, à la naturalisation des juifs d’Algérie vont vite se saisir de l’opportunité de la rébellion algérienne pour accuser le décret Crémieux d’en être responsable et réclamer son abrogation. Les pétitions se succèdent. En juillet, Félix Lambrecht, tout juste nommé ministre de l’Intérieur, dépose un projet d’abrogation à l’Assemblée nationale. Adolphe Crémieux monte de nouveau au front pour défendre son décret. Il s’insurge contre les théories qui le rendent seul responsable de la révolte musulmane.
« Je ne cache pas que l’honneur de donner le titre de citoyens français à trente milles de mes coreligionnaires a été une des plus grandes joies de ma vie, écrit-il dans “le Temps”, en réponse à une pétitition anti-décret déposée par Charles du Bouzet, le préfet d’Oran, que le journal vient de publier. […] Tous les juifs éclairés de la France et de l’Algérie, les consistoires en tête, disaient au gouvernement : faites 33000 Français des 33000 israélites indigènes. Ne leur dites pas : “Soyez Français si vous le voulez” car, volontairement, ils n’abdiqueront pas la loi de Dieu. Déclarez qu’ils sont Français par la loi, ils obéiront, ils seront Français, ils suivront la loi française. »
« Et, poursuitAdolphe Crémieux, n’ est-ce pas une déplorable objection que l’objection fondamentale contre ce décret ? Les musulmans se voyant traités en inférieurs des juifs, se révolteront !… Quoi ? L’empire n’avait pas même eu la pensée de cette révolte ? Quoi ? Les musulmans se révolteront parce qu’on ne les fait pas Français par force quand on impose aux juifs cette qualité ! Ils se regarderont comme inférieurs à ceux à qui l’ont ordonne d’être Français, eux qui conserveront leur liberté entière, à qui on donne le droit sans imposer l’obligation ! Mais les musulmans veulent rester complètement musulmans. Ils veulent leurs lois, leurs tribunaux, leur état civil, leurs statuts, leurs habitudes religieuses […]. Tous les musulmans se regardent comme supérieurs à vous : leur naturalisation, ils la regardent comme une atteinte à leur religion bien supérieure à la vôtre. Non, les musulmans ne s’occupent pas des juifs, devenus Français. En voici la preuve décisive. Le décret existait depuis trois mois, quand éclata, vers la fin de janvier, cette insurrection. […] Tout marchait en Algérie sans le moindre trouble. […] Misérable prétexte que vous invoquez contre un décret qui vous blesse, parce que vous êtes imbu des préjugés contre les juifs […]. Nous aurions moins insisté ; mais nous avons vu dans certains journaux de l’Algérie, malheureusement aussi dans quelques autres journaux mal inspirés, l’insurrection rattachée au décret de naturalisation des juifs. Quand finiront ces indignes attaques contre l’émancipation des juifs ? Ils sont, nous répète-t-on sans cesse, en dehors de la civilisation. Mais dans quel pays ? Dans ceux où l’émancipation leur est refusée. Dans tous les Etats qui les ont accueillis comme citoyens, faut-il le redire encore, dans notre chère France, ne se sont-ils pas élevés au niveau des chrétiens ? Manquons-nous des vertus civiques? Quels sacrifices refusons-nous à notre patrie bien-aimée? Finissons. Notre décret du 24 octobre donne à la France trente-trois mille citoyens qui ne susciteront pas le moindre trouble à notre chère Algérie. […] Quelques années encore et la fusion complète de cet élément nouveau produira en Algérie, comme nous l’avons vu en France, ses excellents résultats.»
Peu de temps après, les « Archives israélites de France » renchérissent :
« Les israélites algériens seront victimes, si le rapport du décret du 24 octobre est décidé, d’un acte qui n’a guère de précédent dans l’histoire de la France. Il est triste de voir de pareils faits s’accomplir en plein XIXe siècle dans un pays éclairé et civilisé comme la France. »
L’Assemblée nationale décide finalement de ne pas se prononcer sur l’abrogation du décret Crémieux. Adolphe Crémieux arrivera à convaincre le président Adolphe Thiers d’enterrer le projet. Ami de Victor Hugo, de l’abbé Grégoire et de la tragédienne Rachel, il meurt dix ans après la publication du décret qui porte son nom et a droit à des funérailles nationales. C’est bien plus tard, le 7 octobre 1940, sous le régime de Vichy, que les juifs d’Algérie perdent la citoyenneté française. Ils retrouvent leur vieux statut d’indigène. Les enseignants et les élèves sont chassés des écoles. La haute fonction administrative, la magistrature, la direction d’entreprises publiques et le journalisme leur sont désormais interdits. Ils n’ont plus droit non plus d’être commerçants, agents immobiliers, exploitants forestiers, gardiens de nuit dans les théâtres… Les soldats, revenus du front, mais devenus des étrangers au sein des unités des forces françaises d’Afrique du Nord, sont internés près de Sidi-Bel-Abbès, en Oranie, dans le camp de Bedeau dont le fronton porte l’inscription : « Entrez lions, sortez moutons ». Le retour à l’indigénat dure trois ans, jusqu’à ce qu’en octobre 1943, le Comité français de la libération nationale rétablisse le décret Crémieux.
A l’indépendance de l’Algérie, en 1962, les quelque 150 000 juifs sont français depuis moins de cent ans. Mais ils choisissent de quitter leur terre. Ils traversent la Méditerranée, débarquent en métropole, un territoire parfaitement inconnu pour la majorité d’entre eux, et se fondent dans la masse des pieds-noirs − Français d’origine, Espagnols, Italiens, Maltais… − désormais uniformisée sur l’autre rive. « En moins d’un siècle, ils sont sortis par trois fois de ce qui était jusque-là leur univers familier, écrit l’historien Benjamin Stora, dans « les Trois exils. Juifs d’Algérie » (Stock, 2006). Ils se sont éloignés de leur vie en terre d’islam, quand le décret Crémieux de 1870, faisant d’eux des citoyens français, les a mis sur la voie de l’assimilation. Ils ont été rejetés hors de la communauté française de 1940 à 1943 avec les lois de Vichy. Et ils ont quitté les rives algériennes avec l’exode de 1962. »
Pendant plus d’un siècle, le « code de l’indigénat » a soumis les sujets coloniaux à une répression particulière échappant aux garanties du droit commun.
Pour circuler en Algérie, les autochtones devaient obtenir un permis de voyage. Ici, en 1903, une caravane, avec femmes et enfants, dans le désert du sud-algérien. (MEPL/Rue des Archives)
Interdiction de quitter sa commune sans permis de voyage, obligation d’obéir aux ordres de corvées, de transport, de réquisition d’animaux et d’hébergement des agents du gouvernement… On l’a appelé le « code de l’indigénat ». Un régime réservé aux seules populations autochtones. Aux « indigènes ».
Amendes, séquestre, internement
Des infractions spéciales punissables sans enquête, sans défense, sans procès, sans passer par la case justice. Des sanctions qui n’étaient même pas délivrées par des professionnels du droit jusqu’en 1874 : amendes collectives, séquestre des biens, internement administratif… Pendant plus d’un siècle, le régime de l’indigénat a dérogé « aux principes républicains, en soumettant les sujets coloniaux à une répression particulière échappant aux garanties du droit commun », écrit l’historienne Sylvie Thénault, dans « Histoire de l’Algérie à la période coloniale » (La Découverte, 2012).
Les premières législations « spéciales » sont mises en place dès le début de la conquête. En 1834, quatre ans après le débarquement des troupes françaises à Sidi-Ferruch, le commandement militaire et le gouverneur général se voient attribuer des pouvoirs de « haute police ». Ils peuvent désormais prononcer internements, amendes ou séquestres comme bon leur semble.
Dix ans plus tard, le maréchal Bugeaud, devenu gouverneur général, établit une première liste des infractions et de leurs sanctions, comme le refus d’accepter de la monnaie française ou la voie de fait contre un chaouch. Le soulèvement en Kabylie en 1871 et le passage à un pouvoir davantage administratif que militaire pousse la Troisième République à renforcer le dispositif.
600 000 jours de travail forcé par an
Au printemps 1881, un projet de loi arrive au Parlement : il « confère aux administrateurs des communes mixtes en territoire civil [communes gérées par un administrateur et des adjoints indigènes et où vivent la majorité des Algériens, NDLR] la répression, par voie disciplinaire, des infractions spéciales à l’indigénat ». Le texte est promulgué le 28 juin, applicable pour une durée initiale de sept ans et sera plusieurs fois renouvelé.
Le nombre d’infractions est fixé à 41. Au sein de la longue liste, on trouve la réunion sans autorisation pour un pèlerinage ou un repas public et le rassemblement de plus de 25 personnes de sexe masculin.
Sylvie Thénault écrit ainsi :
« Un homme s’obstinant à labourer une parcelle de terre que les lois foncières lui avaient retirée écopa, entre 1889 et 1894, de sept peines, notamment pour “inexécution des ordres donnés à propos des opérations relatives à l’application des lois du 26 juillet 1873 et du 28 avril 1887” mais aussi pour “tapage et scandale”. Au total, il s’acquitta de 125 francs d’amende et fut emprisonné trente-neuf jours, avant d’être interné par le gouverneur général pour sa persévérance. »
Entre 1898 et 1910, il y aura, d’après l’historienne, une moyenne de 20 000 punitions par an et un total de 600 000 journées de travail forcé (à la place d’amendes ou de peines de prisons « reconverties » par l’administration).
Une clémence due à la victoire
L’ampleur des sanctions diminue après 14-18. Les Algériens sont de plus en plus réfractaires à ce régime qui leur est réservé et la France se montre plus clémente en raison de la contribution des soldats indigènes à la victoire. La loi d’exception cesse d’être renouvelée en 1927 et ne résistera pas à la Seconde Guerre mondiale.
Le 7 mars 1944, cent dix ans après la mise en place des premières législations « spéciales », le Comité français de Libération nationale (CFLN) met fin au régime de l’indigénat en Algérie, puis dans le reste de l’empire. C’est l’une des premières mesures du gouvernement provisoire.
Notre dossier « Quand la France occupait l’Algérie »
Retrouvez les articles de notre dossier « Quand la France occupait l’Algérie » publié dans « l’Obs » du 15 août 2019 :
En 1830, Charles X décidait de prendre Alger aux Turcs. Les débuts de cette conquête marqueront à jamais l’imaginaire collectif algérien. Retour sur l’histoire méconnue de la colonisation du plus grand pays d’Afrique.
Nés des deux côtés de la Méditerranée, le maréchal vénéré par ses soldats et le père du nationalisme algérien se sont affrontés pendant plus de dix ans au cours de la conquête.
En 1881, le quotidien « le Gaulois » envoie Guy de Maupassant couvrir un soulèvement anti-Français qui agite l’Algérie. Ses « Lettres d’Afrique » dénonceront la colonisation.
Eclairé et influent, le théologien musulman, qui est considéré comme l’un des pères du nationalisme algérien, a joué un rôle décisif dans le chemin vers l’indépendance.
Des disciples du socialiste Charles Fourier ont créé dans la région d’Oran la communauté agricole collectiviste la plus aboutie. Retour sur une utopie.
Ecoles séparées, manque d’établissements, enseignement discriminants... A la veille de l’indépendance, le taux de scolarisation des enfants arabes reste faible.
En 1930, plus de six mois de festivités sont organisés des deux côtés de la Méditerranée pour célébrer le centenaire du débarquement des troupes françaises à Sidi-Ferruch.
À la date anniversaire de son assassinat, nous rappelons au reste du monde la manière abjecte avec laquelle le sinistre système colonial français s'en est servi pour venir à bout d'un grand stratège de la guerre de Libération Nationale du 1er novembre 1954, en la personne de Larbi Ben M'hidi.
Larbi Ben M'hidi, est natif de Aïn M'lila dans l'actuelle wilaya d'Oum El Bouaghi, en 1923. Un militant nationaliste algérien, membre du PPA, puis du MTLD, et un des membres fondateurs du FLN en 1954.
En 1956, il se voit désigné membre du conseil national de la Révolution. Il délégua le commandement de la Wilaya V dans l'Oranais à son Lieutenant Abdelhafid Boussouf, avant d'être nommé au courant de la même année à la tête de la Zone Autonome d'Alger (ZAA)
ll participe à l'organisation des premiers attentats dans la capitale notamment ceux du 30 septembre 1956.
En janvier 1957, Robert Lacoste gouverneur général d'alors, lance la bataille d'Alger, et attribua aux parachutistes du général Massu les pleins pouvoirs de police dans la Zone Alger-Sahel.
Il est arrêté en février 1957, et exécuté sans jugement par l'armée française dans des conditions obscures en pleine bataille d’Alger, en dépit des règlements interdisant le recours à la liquidation systématique déjà en vigueur à cette époque.
Pour avoir nargué l'ordre colonial établi par son calme, sa sérénité, son silence et surtout sa façon de mettre en dérision ses bourreaux rien qu'avec un sourire aux coins des lèvres, ont eu raison de l'homme, brave guerrier qu'il était.
Refusant de parler, il est tué par un groupe de soldats français aux ordres du futur général tortionnaire Paul Aussaresses, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957.
Témoignage du lieutenant Jacques Allaire à l'endroit de Ben M'hidi lors de sa capture par celui-ci :
« Si je reviens à l’impression qu’il m’a faite, à l’époque où je l’ai capturé, et toutes les nuits où nous avons parlé ensemble, j’aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté, j’aurais aimé avoir beaucoup d’hommes de cette valeur, de cette dimension, de notre côté.
Parce que c’était un seigneur Ben M’hidi. Et Ben M’hidi était impressionnant de calme, de sérénité, et de conviction. Lorsque je discutais avec lui et que je lui disais: « Vous êtes le chef de la rébellion, vous voilà maintenant entre nos mains, la bataille d’Alger est perdue », et j’extrapolais un peu : « La guerre d’Algérie, vous l’avez perdue maintenant ! ».
Il dit : « Ne croyez pas ça ! » Et il me rappelait les chants de la résistance, le chant des Partisans: un autre prendra ma place. Voilà ce qu’il m’a dit. Ben M’hidi. Ça m’a fait de la peine de le perdre».
Allah yarham chouhadas qui se sont sacrifiés pour la libération du pays le 5 juillet 1962. D'autres par contre me rétorqueront : « Heureux les martyrs qui n'ont rien vu».
Z'hor Zerari (1937-2003) est une combattante pour l'indépendance de l'Algérie, arrêtée et torturée par les soldats du général Schmidt, déshabillée et violée devant des prisonniers de l'ALN, elle est aussi poète. Après l'indépendance, déçue par le sort fait aux femmes condamnées à rester à la maison, elle tenta de se battre, comme journaliste, pour la promotion des femmes.
Je ne sais pas, les mots sont impuissants, ils ne réussissent pas à dire cette femme, cette combattante de la libération, cette journaliste, Zhor Zerari. Je ne me pardonne jamais le fait de ne pas avoir cherché à l‘approcher, beaucoup plus, par pudeur, elle était lumineuse, fortement diminuée par les tortures qu’elle avait subies à la prison coloniale de Barberousse et ailleurs. Elle était journaliste à l’hebdomadaire algérien, Algérie Actualité, elle passait au journal, moi-même, j’y étais, je la voyais de loin. Elle était rayonnante, elle marchait difficilement, mais les mots, la poésie arrivaient à lui apporter, au-delà de la désillusion, quelque espoir. Elle trainait encore les séquelles des tortures pratiquées au nom de la « civilisation », réglée par le sinistre général Schmitt. Elle ne pouvait oublier l'opprobre, l'horreur, mais sans aucune haine comme ses sœurs Zohra Drif, Djamila Boupacha, Bouhired, Bouazza, Mimi Maziz et de nombreuses autres combattantes. Elle est la sœur de ces Françaises qui ont soutenu la lutte pour l'indépendance. Même si elle voulait oublier, elle ne pouvait pas, les séquelles physiques lui rappelaient ce traumatisme. Elle perdait souvent l’équilibre et souffrait de lancinantes douleurs à la colonne vertébrale, aux membres supérieurs et inférieurs, provoquant de brutales chutes. Le corps blessé, meurtri, la mémoire en éveil. Tout lui rappelle ces sinistres généraux tortionnaires Shmidt et Aussaresses. Elle faisait bien la différence.
Zhor Zerari, on en parlait, entre journalistes, de cette moudjahida (combattante)-poétesse qui a tant souffert dans les geôles coloniales, comme d’ailleurs, d’un ami, un immense reporter, Halim Mokdad, les deux s’appréciaient, ils avaient tous les deux pris les armes contre l’occupant colonial. On savait aussi que presque toute la tribu Zerari avait pris fait et cause pour la révolution, vivant au quotidien exactions et tortures. Son père allait disparaître durant la grève des huit jours. "C’était un symbole, un mythe, il faisait partie, écrit-elle, de cette longue liste de milliers de ceux qu'on a appelés les portés disparus de la grève des 8 jours ». Son oncle, Rabah, le Commandant Azzedine, était l’un des organisateurs de cette entreprise de mobilisation du peuple et aussi de déstabilisation de l’organisation coloniale.
Toute la famille Zerari a connu les pires sévices, les souffrances et d’indélébiles blessures. Le père fut torturé à plusieurs reprises, subissant les pires actes de ses tortionnaires qui ne pouvaient avoir le statut d’humains, elle raconte au journaliste algérien Boukhalfa Amazit ce qu’a enduré son père qui a, par la suite appris dans sa chair la dure entreprise de souffrir tout en résistant à la peur : « Quand il a été arrêté la première fois pendant la guerre, il avait été atrocement torturé, ils nous l'ont « jeté » sur le seuil de la porte. C'était la première fois que j'avais vu des larmes dans les yeux de mon père. Il m'a dit : « Tu sais ma fille, c'est dur, c'est très dur, lorsqu'ils me torturaient j'avais l'impression de t'entendre à côté de moi ».
Elle savait que c’était dur, que ça allait être dur, mais se battre pour l’indépendance n’était pas un jeu, elle le savait. Elle le savait, elle qui avait connu les discriminations coloniales, alors qu’elle était brillante élève, elle fut expulsée de l’école. Elle était consciente de la réalité mortifère du colonialisme. Ses parents PPA (Parti du Peuple Algérien, structure nationaliste du temps de la colonisation) ne pouvaient que lui indiquer le chemin à suivre. Une femme, ce n’était pas facile à accepter, elle en était consciente. Son père était son véritable modèle. Elle avait d’ailleurs écrit ces vers pour lui alors qu’elle quittait la prison de Rennes en mars 1962 : « Qu’importe le retour ; Si mon père ; N’est pas sur les quais de la gare ».
C’est grâce à son cousin Abdelouahab qu’elle réussit à rejoindre le MTLD. C’est là qu’allait commencer sa formation politique. Partout, on parlait de Messali. Elle écrivait des poèmes où le terme résistance alimentait de sa sève les mots qu’elle ciselait de si belle manière et elle militait au sein de cette structure nationaliste. Pour elle, c’est tout à fait normal, la nature des choses. Un événement allait lui permettre d’espérer davantage, c’est la défaite française à Dien Bien Phu en mai 1954, quelques mois avant le déclenchement de la lutte armée. Elle était aux anges. A partir de ce moment, elle était certaine de la nécessité de l’action révolutionnaire. Elle comptait les jours quand elle apprit le déclenchement de la lutte de libération. C’était une fête, elle était psychologiquement prête. Elle avait fait un pas pour se retrouver dans la révolution. C’était beau.
Comme beaucoup d’autres militantes, Louisette Ighilahriz, Mimi Maziz et de nombreuses autres, elle avait commencé par des opérations apparemment simples, le transport du courrier, d'armes, de munitions et d'explosifs, puis elle allait-être confrontée à l’action concrète. C’est à l’âge de 19 ans , le 18 juillet 1957, elle avait déposé trois bombes sous des voitures en stationnement.
Puis juste après, elle est arrêtée le 25 août 1957 et condamnée à la perpétuité, elle a connu plusieurs prisons, les pires tortures, elle est sauvagement maltraitée dans un établissement scolaire, l’école Sarrouy, le lieu, disait-on de la « civilisation ». Elle parle ainsi de cette école transformée en lieu de torture et des séquelles provoquées par les tortures infligées à un corps-témoin, elle ne comprend pas pourquoi son pays ne l’a pas pris en charge comme d’autres moudjahidine qui ont souffert le martyre dans les prisons coloniales : « Ce n'était pas la seule école qui servait de centre de torture en Algérie. « J'ai été torturée », quatre mots. Pour moi, ce n'est pas l'instant des tourments qui me torture aujourd'hui. Ce sont les terribles séquelles que j'en garde. Des séquelles qui ont gâché tout le restant de ma vie. J'en profite pour dire que c'est honteux pour les autorités de mon pays, les pouvoirs publics qui, après l'indépendance, après notre libération auraient pu nous prendre en charge nous soigner, nous permettre de poursuivre nos études, et qui ne l'ont pas fait. Nous nous sommes quand même sacrifiés ! Depuis les séances de torture de Schmitt, aujourd'hui général à la retraite de l'armée française, je n'ai pas cessé de souffrir. Il m'arrive de m'effondrer brutalement, de perdre connaissance. Ces crises qui surviennent depuis 1960/1961 peuvent durer une semaine comme elles peuvent se prolonger six mois durant. Ce con de Schmitt a gâché ma vie ».
Elle ne comprenait pas comment après l’indépendance, les uns profitaient de la rente, alors que d’autres continuaient à porter les séquelles des tortures tout en portant l’Algérie au cœur. Elle ne comprenait pas. Elle savait, par contre, qu’elle s’était battue pour une autre Algérie : « Nous vivions au futur. Nous rêvions de joie, de bonheur au futur. Nous ferons ceci, nous dirons cela, nous irons là-bas... C'est ça qui nous a sauvés et nous a maintenus en vie ». Elle n’a jamais regretté son combat, elle n’a jamais eu peur parce qu’elle croyait en un idéal de justice, elle savait que le jour allait poindre, que la victoire était proche, elle le savait. Une fois, l'indépendance acquise, les femmes ont été exclues des postes de responsabilité, elles étaient effacées, inexistantes.
Zhor conjuguait poésie et révolution, littérature et espoir. J’ai beaucoup aimé ce recueil fabuleux que tous ceux qui voudraient connaître un peu plus sur les terribles exactions coloniales devraient lire, Poèmes de prison . Ses textes usant de métaphores marquées par la présence de mots puisés dans le champ de la souffrance arrivent à communiquer la douleur et à donner à lire l’espoir qui irrigue obsessionnellement les différentes constructions. On retrouve un peu l’influence de poètes espagnols comme Lorca, Machado, Alberti, mais également de l'écrivain algérien, Kateb Yacine. La poésie était, pour elle, un « exutoire », disait-elle.
Elle écrivait aussi des nouvelles qui disent le mal de vivre durant la colonisation, la prison est un lieu essentiel qui peuple ses récits, elle qui, l’indépendance acquise, elle allait se retrouver exclue parce qu’elle était femme. Ce qui me rappelle le personnage de Arfia dans La danse du roi de Mohamed Dib, ancienne cheffe maquisarde durant la guerre de libération, mais, par la suite, elle est marginalisée, envoyée voir ailleurs. C’est le désenchantement, c’est ce que Zhor Zerari a raconté à Boukhalfa Amazit : « D'abord la libération. Puis ensuite la ou les libertés. Il n'y a pas les autres sans l'une. C'est pour cela que je parlais de désillusion. Nous, les femmes, sommes tombées de haut, d'avoir été renvoyées aux réchauds le jour même qui a succédé à l'indépendance. Sans attendre ! Oust ! Aux cuisines. Le 3 juillet, il y avait un meeting sur le référendum qui se déroulait à Sidi Fredj, il était animé par le colonel Si Mohand Ouel Hadj et mon oncle le commandant Azzedine. Tôt le matin je m'y suis rendue, et je voyais les gens qui, par vagues successives, arrivaient et couvraient peu à peu une petite colline. J'étais avec mon frère et un de ses amis. A un moment, un jeune en tenue militaire, toute neuve, s'est approché de moi et m'a dit d'un ton aussi autoritaire que hargneux : « Vas avec les femmes », cela se passait le 3 juillet 1962...1962... « Vas avec les femmes te dis-je », vitupérait le jeune ... « Je me trouve bien ici, pourquoi irai-je ailleurs », ai-je répondu... Il a insisté, je me suis obstinée. « Donne-moi tes papiers ! » poursuivit-il. « Je n'en ai pas, je viens de sortir de prison », lui ai-je dit. « Toi ? Toi tu as la tête d'une moudjahida ? Dégage d'ici, dégage ! », me dit-il, me menaçant de son arme... ... J'ai dévalé la colline les yeux brouillés de larmes et dans mon dos, lardée par un poignard de glace, j'entendis le cliquetis caractéristique de la culasse qu'il manipulait pour engager une balle dans le canon de son arme... ».
Zhor marche difficilement, des douleurs, elle marche quand-même, elle s’arrête un moment, scrute le ciel puis…
Guerre d'Algérie. Témoignages. Des femmes et des hommes qui ont subi les exactions des soudards du général Massu et du colonel Bigeard se souviennent.
La question de la torture pratiquée de manière systématique par l'armée française revient hanter les mémoires. Alors que les tortionnaires tentent aujourd'hui de la justifier, leurs victimes algériennes, malgré la douleur, rappellent un épisode infamant trop longtemps tu. Reportage.
De notre envoyé spécial en Algérie.
Durant la bataille d'Alger, en 1956-1958, ils étaient très jeunes. Ourida Medad est morte sous la torture à seize ans. Baya Hocine, décédée le 3 mai dernier, avait dix-sept ans quand elle a été condamnée à mort en 1957. Zhor Zerari, dix-neuf ans, était condamnée à la perpétuité, M. El Badji, vingt-quatre ans, condamné à mort, Zoubir M, dix-sept ans, à 20 ans de prison, Danielle Minne avait dix-huit ans. Aujourd'hui, âgés entre soixante et soixante-cinq ans, ils sont redevenus anonymes. Pour des raisons diverses, les jeunes Algériens ne savent rien de leur passé.
Zhor Zerari
L'histoire de cette femme, âgée de dix-neuf ans en 1957, rappelle celle de Louisette Ighilahriz, qu'elle connaît bien. Ancienne journaliste à l'hebdomadaire Algérie Actualités durant les années soixante et soixante-dix, auteur du recueil Poèmes de prison (1), Zhor marche difficilement car elle souffre de troubles de l'équilibre. " J'ai une pièce qui est défectueuse au niveau du cerveau ", dit-elle en souriant. Elle faisait partie d'un groupe de l'ALN (Armée de libération nationale) à Alger, dirigé par Saïd Igranaïssi.
Elle se souvient de sa première action : le dépôt d'un engin explosif face à l'entrée de la Radio d'Alger en février 1957. " On avait ordre de ne pas faire de victimes civiles, alors je l'ai déposé sous une voiture face à l'entrée de la radio gardée par plusieurs gardes mobiles. " Après l'exécution à la guillotine de quatre combattants de l'ALN à la prison Barberousse, elle participe à une série d'attentats qui ont touché tout Alger le 18 juillet 1957. " Yacef Saadi (le chef du FLN), qui avait décrété une trêve après sa rencontre avec Germaine Tillon contre la promesse d'arrêt des exécutions et de la torture, avait donné ordre de mener une série d'actions psychologiques destinée à démontrer la détermination du FLN. " Son arrestation ? " En août 1957, on était dans un appartement situé face au mausolée Sidi Abderahmane, à la Casbah. L'artificier, Saïd Bouzourène, était en train de vérifier le mécanisme des bombes à retardement qu'on devait déposer devant des commissariats et des postes militaires, quand l'une d'elles lui a pété entre les mains. J'étais dans la pièce à côté. J'ai vu Saïd se tenir le ventre et hurler : Sauvez-vous ! sauvez-vous ! J'ai fui par la fenêtre, avec du plâtre sur ma robe et sur mes cheveux, pris un taxi qui m'a déposée chez mes parents à Belcourt. Je ne savais pas que l'on nous avait repérés et que nous étions recherchés. Ce soir-là, j'ai dormi et j'ai décidé d'aller à la plage le lendemain. Mais tôt le matin, le quartier était bouclé par les paras. Impossible de fuir, et pas d'arme pour se défendre. Après avoir défoncé la porte, ils ont demandé après moi, et m'ont conduite directement à l'école Sarouy, dans la Casbah. " Elle est emmenée dans une salle de classe où les tables étaient encore en place, mais où il y avait une dizaine de personnes en piteux état, du sang partout. " Je voulais aller aux toilettes, dit-elle. Le caporal présent sur les lieux me rétorque : Patience, ma petite chérie, tu vas faire pipi dans un moment. " Et de lui demander de se déshabiller. " Pour moi, me mettre nue en présence de deux de mes compagnons masculins a été pire que la torture qu'ils m'ont infligée par la suite. " S'approchant d'elle, le même soudard lui lance : " Tu es vierge ? De toute façon vierge ou pas, ce soir tu passeras à la casserole. " Ce à quoi Zhor a rétorqué : " Ne me touche pas, salopard ! " C'est alors, raconte-t-elle, qu'elle a été sauvée du viol par un jeune para, du nom de Jean Garnier, venu s'enquérir de la raison de ses larmes. Il s'est retourné vers son collègue lui intimant l'ordre de ne pas la toucher. " Il lui a même foutu une sacrée raclée dans la cour de l'école ", ajoute Zhor. Il n'empêche, dans cette école dont le colonel Bigeard fit son PC, elle a été torturée. " On m'a bâillonnée avec un maillot de corps plein d'urine et d'excrément, avant de me torturer à la gégène, par les lieutenants Flutiaux et Schmidt, en présence du capitaine Chabanne, et cela pendant trois nuits. Puis on a ramené deux membres de mon réseau. L'un d'eux [dont elle tait le nom] , méconnaissable suite aux sévices subis, m'a alors dit : Zhor, ils savent tout. C'est alors que j'ai tout endossé. " Transférée à Birtraria, elle subit un nouvel interrogatoire. Là, c'est un vieux gradé CRS qui lui rend visite, lui offre une fleur, et lui dit : " De la part d'un con obligé de faire ce foutu métier. ".
Zhor Zerari est condamnée une première fois à 15 ans de prison puis, lors d'un second procès, à la perpétuité. Emprisonnée à la prison Barberousse d'Alger, elle est transférée à Pau, en France, qu'elle quitte en avril 1962. De son passé, elle dit : " C'était super d'avoir participé à la libération du pays. J'ai vécu cette période intensément. " Mais cette mère de deux enfants en a gardé des séquelles : troubles neurologiques, troubles mnésiques, difficultés de l'équilibre. Le bulletin médical indique que " son état de santé nécessite l'assistance permanente d'une tierce personne ".
Quant à Bigeard et Massu : " Quand j'ai lu que Massu s'est dit désolé, j'ai frappé le mur avec mes poings. Ah bon ! me suis-je dis, c'est tout ce que ça lui fait, ça le désole ! " Comme Louisette Ighilahriz, Zhor ne veut pas pardonner et demande la traduction de tous les tortionnaires pour crimes de guerre, parce que, ajoute-t-elle, " j'ai un profond respect pour tous ceux qui ont subi la torture ".
Mohamed El Badji.
Né en 1933 à Alger, il est connu comme chanteur-compositeur de chaabi (musique populaire algéroise). Mais peu de gens savent qu'il a été condamné à mort en 1957, après avoir été affreusement torturé.
Le 28 janvier 1957, le FLN venait de décréter la grève des " huit jours ", à l'occasion du débat sur l'Algérie à l'Assemblée générale de l'ONU. Dénoncé, il est arrêté par une patrouille de parachutistes et emmené à l'école des filles du quartier de la Redoute (Alger), transformée en centre de tortures. Durant deux jours, il est torturé à l'électricité, flagellé. Puis il est emmené à la villa Susini, où sévissent le capitaine Faulques qui se surnommait " capitaine SS ", réputé, selon Henri Alleg, pour sa férocité, et le tortionnaire d'origine allemande, Feldmayer du 3e REP (parachutistes étrangers). El Badji sera torturé durant huit nuits, avant d'être conduit au tribunal militaire pour être condamné à mort pour actes terroristes. Il est enfermé dans l'aile réservée aux condamnés à mort de la prison Barberousse. Aujourd'hui, c'est un homme qui a du mal à trouver le sommeil. " Quand on a été habitué à rester éveillé toute la nuit, attendant son tour d'aller à la guillotine, ça ne disparaît pas du jour au lendemain ", explique l'ancien condamné à mort dont plusieurs de ses compagnons de cellule ont été guillotinés. Gracié par de Gaulle, sa peine est commuée en condamnation à perpétuité. El Badji, qui a depuis été victime de plusieurs dépressions nerveuses, a été contraint de prendre une retraite prématurée au ministère des Moudjahidine (anciens combattants), où il travaillait. Depuis sa sortie de prison, il se soigne aux antidépresseurs.
Dahmani Mokhtar.
Connu comme Mokdad, cet ancien champion de boxe junior était ce qu'on appelle un " terroriste ", membre de l'ALN. Né à Alger, il avait dix-sept ans quand il a été appréhendé, par des agents de la DST accompagnés de paras, en mars 1957. " Ce soir-là, j'ai décidé de dormir, alors que d'habitude je restais éveillé parce que je savais que les arrestations avaient lieu à l'aube ", explique Mokdad, rencontré dans son café-kiosque de la place du 1er mai, à Alger. Aujourd'hui âgé de soixante ans, cheveux châtains, yeux clairs, c'est une force de la nature. Il raconte : " Il était cinq heures du matin quand j'ai été réveillé par de grands coups portés à la porte de la maison, dans le quartier de Belcourt. À peine ma mère a-t-elle ouvert la porte qu'elle a été bousculée. Mon père a été jeté à terre et roué de coups, ainsi que mon oncle, par les bérets verts (parachutistes étrangers). Ils se sont rués sur moi, m'ont attaché les mains au dos, puis mis une corde au cou avec laquelle ils m'ont traîné dans la rue, à coups de crosse au dos et à la tête, jusqu'à la Jeep. Ma mère s'est agrippée à la vareuse d'un officier, lui expliquant que je n'étais qu'un enfant. Elle ne savait pas que j'étais membre de l'ALN. ".
Mokdad explique ensuite qu'il a été emmené dans une grande villa de deux étages, située à Birtraria, dans la banlieue d'Alger. Là, après vérification de son identité, un officier parachutiste, surnommé Gandi, lui dit : " Fiston, on sait tout, tu as intérêt à tout nous dire. " Bien sûr, il nie. Il est alors déshabillé, attaché sur une échelle que ses tortionnaires placent sur des tréteaux. Des électrodes, branchées directement sur une prise du mur de la pièce où il se trouvait, sont placés sur ses oreilles, puis sur les parties génitales.
Après quelques jours, le même officier demande qu'on le détache et qu'on le laisse en tête-à-tête avec lui. " Il faisait nuit, il faisait chaud, c'était l'été 1957. On était tous les deux. Je n'ai pas hésité un instant. J'ai assommé l'officier, sauté par la fenêtre, fui par le jardin. J'ai couru, couru... " Par la suite, Mokdad reprend contact avec le FLN et gagne le maquis dans la wilaya IV. Son geste, il l'explique : " À l'idée d'être torturé de nouveau, je n'avais rien à perdre en risquant le tout pour le tout. " Il ne regagnera Alger qu'en 1962. L'histoire de Mokdad est connue de tous les anciens de Belcourt. À leurs yeux, il fait figure de héros, car peu nombreux sont ceux qui ont réussi à échapper à leurs tortionnaires.
Zoubir M, son ami, n'a pas eu cette chance. Lui avait dix-sept ans également quand il a été arrêté par les paras dans la Casbah d'Alger. " J'ai été arrêté chez moi dans la Casbah ", dit-il. Conduit à " l'intendance ", un centre de tri tenu par les paras de Bigeard, rue Bruce, dans la Casbah, il a eu affaire au fameux capitaine Graziani. " Il tenait dans la main un pistolet 11.43. Dès qu'il m'a vu, il m'a frappé violemment avec au visage. Vous vous rendez compte, j'étais mineur, ils ont torturé un mineur ! ", s'écrit Zoubir au souvenir de ce qu'il a subi. Dans la rue, son ami Bouziane, bien qu'il ait les mains attachés dans le dos, prend la fuite. Il est abattu d'une rafale de mitraillette sous ses yeux. " Bouziane avait une peur bleue de la torture. Il nous avait juré qu'il ne serait pas torturé. ".
À " l'intendance ", il est torturé nu, attaché sur une planche déposée sur des tréteaux, torturé à l'électricité, puis dans une baignoire remplie d'eau usée, d'urines et d'excréments, battu, pendu par les pieds avec les mains ligotées au dos, puis enfermé durant deux jours dans un placard, sans boire ni manger. Zoubir n'avait rien à avouer puisque tout son groupe (sept) avait été neutralisé. Dans la cour de " l'intendance ", il rencontre un ami, Hamid : " Tu ne me connais pas, tu ne m'as jamais vu ", lui chuchote-t-il à l'insu des gardes. Le lendemain, dans la même cour, il voit son ami, étalé dans un coin, mort : " Il n'a pas dû résister à la torture. Il avait mon âge : dix-sept ans. ".
Zoubir M. sera condamné à 20 ans de réclusion par le tribunal militaire et incarcéré à la prison de Barberousse. Lui aussi souffre de troubles psychomoteurs, de céphalées à répétition, mais répète, à l'en croire, qu'il se porte comme un charme. Bigeard, Massu : Zoubir demande leur jugement pour avoir torturé des mineurs !.
Tous les témoins rencontrés citent de mémoire les noms des capitaines Graziani, Chabanne, Faulques, Devis, Lenoir, un certain Gandi, les lieutenants Flutiaux, Schmidt, Erulin, un certain Le Pen, et leurs chefs qu'ils surnomment par dérision " les médécins-chefs " de la torture, le général Massu et l'ex-colonel Bigeard.
Hassane Zerrouky.
(1) Zhor Zerari, Poèmes de prison, Éditions Bouchène. Alger 1988.
L’écrivain et journaliste Philippe Labro décrit une génération, la sienne, envoyée « faire une guerre dont il fallait taire le nom » et à laquelle ils ne comprenaient rien.
Philippe Labro, en septembre 2020. (DAMIEN GRENON/PHOTO12 VIA AFP)
« J’ai été soldat 730 jours pendant la guerre d’Algérie. L’armée m’a appelé en 1959, je travaillais déjà comme journaliste à “France-Soir”. J’avais 22 ans. J’ai passé les douze premiers mois à Paris, près des Invalides, à la revue militaire “Bled”, avec Jacques Séguéla qui n’était pas encore publicitaire, Just Jaeckin le futur cinéaste, Francis Weber bientôt réalisateur de comédies… On se prenait pour des petits mecs malins capables d’échapper à la guerre. Mais on savait bien qu’on allait devoir partir. Je me suis donc retrouvé soldat deuxième classe de la 52-B à Alger (je n’ai jamais voulu faire l’Ecole des officiers de réserve).
Quatre mois à patrouiller, avec la peur d’être pris pour cible par l’OAS. C’était quasiment la guerre civile. Un jour, notre brigade s’est fait tirer dessus. On s’est précipité dans l’immeuble d’où venaient les tirs. Le maréchal des logis de la patrouille, le “margi” comme on disait, un curieux petit bonhomme avec une petite moustache, je me souviens très bien de son visage, a tué le tireur. Je me rappelle aussi être arrivé avec cette même patrouille rue d’Isly, après la fusilladele 26 mars 1962 [l’armée française mitraille une foule de partisans de l’Algérie française, faisant 80 morts]. Il y a d’abord eu un extraordinaire silence, puis les sirènes. Et puis, le cri des oies sauvages au-dessus des quais.
Beaucoup de pieds-noirs avaient fui. Il fallait les remplacer. Tous les soldats qui avaient un métier susceptible d’être utile pour les tâches “civiles” étaient réquisitionnés. L’état-major est venu me chercher dans ma caserne pour me mettre à la radio. J’ai passé le reste de mon service comme responsable de la rédaction de l’antenne gaulliste, F5. Elle aussi était dans le viseur des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française. J’ai appris bien plus tard, en croisant un ancien de l’OAS qui sortait de la prison de Fresnes, que j’avais failli me faire flinguer. Ils avaient une liste de “suspects”.
Une guerre à laquelle on n’avait rien compris
A notre retour, on n’a pas eu droit à une parade. On ne s’est pas occupé de nous. La guerre n’était même pas appelée comme telle. On disait “les événements”. On entrait dans les “trente glorieuses”. Il ne s’agissait pas de nous demander ce que nous avions fait là-bas. Il fallait oublier. Nous ne nous sommes pas plaints. Un million d’anciens d’Algérie, une multitude de solitudes. Ma génération, toute ma génération, des gamins qui entraient dans la vingtaine, étudiants, ouvriers, menuisiers, chauffeurs, on a dû accepter l’idée qu’on nous avait envoyés faire une guerre dont il fallait taire le nom et à laquelle on n’avait rien compris.
Ça nous a fait vieillir vite. Mon frère aîné, Jean-Pierre, était lieutenant dans l’Oranais où il a connu les pires horreurs. Dans son régiment, un jeune sous-officier, qui ne supportait plus la guerre, s’est tiré une balle dans la tête avec son arme de service. Ça l’a traumatisé. Il a mis des années à s’en remettre. Spleen, alcool, impossibilité de s’intégrer dans un bureau.
Quand je suis revenu à la vie civile, je me suis enivré de reportages, d’avions, d’hôtels, je fuyais les retours de mémoire, c’était ma thérapie, ma façon de me guérir. J’ai écrit “Des feux mal éteints” en 1967, cinq ans après la fin de la guerre, vite, comme une pulsion, frénétique. Je ne pouvais pas attendre. Comment voulez-vous qu’on oublie ? Le temps ne compte pas. Soixante ans, ce n’est rien. On nous appelait “le contingent”. Dans le dico, la définition, c’est “qui peut arriver, qui peut être ou ne pas être”. C’est arrivé. L’innocence était partie depuis longtemps. 730 jours… »
Propos recueillis par Nathalie Funès
Philippe Labro, né en 1936 à Montauban, est journaliste, écrivain et réalisateur. « Des feux mal éteints », son deuxième roman paru en 1967, portait sur son expérience d’appelé en Algérie. Il a publié en 2020 chez Gallimard « J’irai nager dans plus de rivières ».
Le mathématicien et député Cédric Villani, qui a œuvré pour la reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin par la France, raconte comment sa famille, présente en Algérie durant les 132 ans de colonisation, a vécu sa double identité, parfois comme un « rêve », parfois comme un « fardeau ».
A l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, une semaine après la remise du rapport Stora, « l’Obs » publie une trentaine de témoignages de personnalités dont l’histoire s’entremêle avec celle du pays. L’album complet « Nos mémoires d’Algérie », en kiosque le 28 janvier, est à consulter ici. Lisez les souvenirs de Faïza Guène, Alice Zeniter, Arnaud Montebourg. Ou de Cédric Villani, relié à l’Algérie par ses grands-parents, mais aussi par l’affaire Maurice Audin, mathématicien engagé dans la lutte anti-coloniale, assassiné en 1957.
« Quand une famille est confrontée à des événements historiques tragiques, ses membres ne réagissent pas tous de la même façon. Il y a ceux qui n’en parlent pas. Mes parents n’évoquaient jamais l’Algérie, surtout mon père qui détestait l’appellation “pied-noir”… Il avait comme tout effacé. Il y a ceux qui d’un coup se réveillent. Mon oncle, durant l’enterrement de son frère aîné, s’est mis à évoquer comme un possédé ses souvenirs de gamin, des images de cauchemar, de cadavres que l’on enjambe… Tous les présents étaient stupéfaits, y compris ses propres enfants qui ne l’avaient jamais entendu raconter ces scènes. Comme si une digue venait de céder après plus d’un demi-siècle de silence.
Le silence, et pourtant… L’Algérie fait partie de l’histoire de ma famille tout au long des cent trente-deux ans de colonisation. Nos origines italiennes, espagnoles, corses, grecques, allemandes, de toutes les régions de France, se sont mêlées sur de nombreuses générations… Les miens étaient conducteur de diligence, médecin, employé de mairie, trafiquant, etc. Ils avaient planté leurs racines aux quatre coins de cette terre : Alger, Oran, Philippeville, Téfeschoun, Misserghin, Tlemcen… Ils étaient français et algériens.
Certains ont vécu cette double identité comme un rêve, d’autres comme un fardeau. Le père de ma mère me racontait les discriminations que ses origines lui ont values dans la marine. Soixante-dix ans après, on sentait encore, dans sa voix, la rage causée par ce sentiment d’injustice. Il me parlait aussi de son père compositeur, rêvant de grands orchestres parisiens, mort d’ennui à Oran. La mère de mon père évoquait la terre de son enfance avec une infinie nostalgie : une ambiance accueillante, généreuse, voire luxuriante. Elle était la mémoire de la famille. Elle tenait un journal de bord quotidien et y consignait ses souvenirs avec une grande précision.
Mario et Simone, les grands-parents de Cédric Villani, en 1940. (COLLECTION PERSONNELLE)
Dans le même temps, il y avait dans ma famille la conviction que les situations en Algérie étaient contrastées, que parmi la “population musulmane”, la vie n’était pas rose. Ma grand-mère racontait des histoires dures, d’injustices et de mort. Mon grand-père défendait une citoyenneté renforcée pour les Arabes. Tout cela était indissociable de la détestation que le général de Gaulle inspirait à mes grands-parents. A leurs yeux,il avait trahi l’intérêt public.
Tu es des nôtres !
Je suis le seul membre de ma famille à avoir remis les pieds en Algérie. J’ai fait le voyage à de multiples reprises. Ma grand-mère m’avait indiqué l’immeuble où elle vivait, adresse fréquentée par des artistes et des intellectuels tels que le peintre orientaliste Armand Assus et, à l’occasion, Albert Camus. Parallèlement à mes obligations professionnelles, mes voyages revêtaient une dimension de pèlerinage familial sur les lieux qu’avaient fréquentés mes aïeux : l’université Bab Ezzouar, les rues d’Oran, ce fameux immeuble de la rue Littré à Alger, le cimetière Saint-Eugène où j’ai pu retrouver la tombe de mon arrière-grand-père, soigneusement préservée. Partout où j’allais, quand je disais que mes parents étaient nés en Algérie, la réaction était unanime : tu es des nôtres !
Au lycée de jeunes filles d’Alger de Simone, 1932-1932. (COLLECTION PERSONNELLE)
Pour ma grand-mère, le départ d’Algérie à l’indépendance, y laissant au passage, comme tant de familles pieds-noirs, l’essentiel de sa fortune, est resté la grande blessure de sa vie, jamais réparée. Il y avait chez elle la conviction d’appartenir à une communauté “pied-noir” qui avait été méprisée, mal accueillie, que tout le monde a voulu oublier. Quand j’ai reçu la médaille Fields, ce fut une très grande fierté pour ma grand-mère et ses amis pieds-noirs, qui y ont vu une forme de revanche, de reconnaissance qui rejaillissait sur la communauté.
L’arrière-grand-père de Cédric Villani, Ernest, en 1914. (COLLECTION PERSONNELLE)
L’affaire Audin me relie à l’Algérie
Mon lien avec l’Algérie s’est forgé aussi à travers un certain nombre d’événements scientifiques. J’y ai enseigné et j’y ai intégré une communauté de mathématiciens qui m’ont accueilli comme l’un des leurs. Ce dialogue se serait établi même sans mes racines familiales. Je connaissais Pierre et Michèle Audin avant de savoir qu’ils étaient les enfants de Maurice Audin. Très engagé dans la vulgarisation mathématique, Pierre m’avait présenté à des amis algériens qui m’ont impliqué dansdes projets au carrefour de la science et de la société. À l’ENS de Lyon, j’étais le collègue du mathématicien algérien réputé Abdelghani Zeghib. J’en ai rencontré beaucoup d’autres ! Après avoir obtenu la médaille Fields, j’avais décidé que j’ouvrirais largement les discussions, que j’irais dans tous les pays qui m’inviteraient. J’ai naturellement été amené à m’investir dans la relation franco-algérienne pour travailler à une véritable réconciliation.
Enfin, un troisième lien me rattache à l’Algérie : l’affaire Maurice Audin, que j’ai découverte au travers de mon mandat de directeur à l’Institut Henri Poincaré. Mon prédécesseur, Michel Broué, s’était beaucoup investi dans cette cause. Il m’avait transmis sa détermination à faire éclater la vérité sur le sort de ce mathématicien, enseignant à l’université d’Alger, militant communiste en faveur de l’indépendance algérienne, qui avait été enlevé et assassiné par l’armée française en 1957. Toute une chaîne d’intellectuels s’était mobilisée et s’était transmis le flambeau : Laurent Schwartz, premier mathématicien français à avoir décroché la médaille Fields en 1950, qui fut le directeur de thèse d’Audin et un militant des droits de l’Homme, l’historien Pierre Vidal-Naquet, l’avocat Roland Rappaport, le militant communiste Pierre Mansat, ou encore le mathématicien Gérard Tronel… Je me suis tout naturellement retrouvé dans ce groupe et dans cette cause.
Qu’est-il arrivé à Maurice Audin ?
L’affaire Audin, c’est le martyre d’un homme arrêté dans des conditions opaques pour son engagement dans la lutte anti-coloniale aux côtés d’une communauté algérienne dont il n’était pas originaire mais dont il se sentait intimement solidaire. C’est aussi l’histoire d’un mensonge, couvert par des représentants de l’État, qui a duré soixante ans : Maurice Audin, expliquait-on, s’était enfui, l’État n’avait donc rien à dire à son sujet ! Soixante ans pendant lesquels Josette, sa veuve, et ses soutiens, ses avocats, n’ont cessé de poser la question que Laurent Schwartz avait formulée publiquement dès 1957 : Qu’est-il arrivé à Maurice Audin ?
La thèse de Maurice Audin, soutenue in absentia, a eu un énorme retentissement par sa charge émotionnelle, et son cas a tout de suite été célèbre. Mais Audin représente aussi tous ceux qui ont été enlevés dans le secret, tous ceux qui sont morts sous la torture, et dont les noms ont pour la plupart été perdus. Il représente la souffrance enfouie de cette guerre qui ne disait pas son nom, où l’héroïsme et la barbarie se sont manifestés dans les deux camps. Il représente aussi le progrès scientifique qui va de pair avec le progrès social, et c’est pourquoi il est célébré tant par sa famille communiste que par sa famille mathématicienne, et par le peuple algérien tout entier. Je me souviendrai toujours du regard de l’officier de sécurité qui nous a accueillis quand Pierre Audin et moi avons débarqué dans un aéroport algérien… C’est tout juste s’il ne s’est pas jeté au cou du fils du grand homme !
Aujourd’hui la place Maurice-Audin à Alger est celle où les Algérois se rassemblent dès qu’ils veulent manifester leur attachement à la liberté. La mémoire de Maurice Audin, restituée grâce au devoir de vérité, nous encourage à travailler ensemble. Le prix Maurice-Audin est un outil hautement symbolique de réconciliation et de foi en l’avenir : il permet de financer le voyage d’un mathématicien algérien en France, et vice versa, et de parrainer des chaires franco-algériennes.
Dans mon bureau, quelques témoignages de mes voyages en Algérie m’accompagnent : un flacon de sable du Sahara, une clé de ville offerte par un maire près de Ouargla, une petite broche araignée offerte par un wali, une grande affiche annonçant une tournée de conférences organisée par mes collègues algériens, à Oran, à Alger, à Sidi Bel Abbes, à Bejaïa. L’Algérie fait partie de l’histoire de France pour le passé et pour le futur. »
Dans son film « Good Luck Algeria » inspiré de son histoire familiale, le réalisateur Farid Bentoumi évoquait l’aventure de son frère, binational comme lui, qui a représenté l’Algérie aux jeux Olympiques d’hiver à Turin en 2006 en ski de fond.
A l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, une semaine après la remise du rapport Stora, « l’Obs » publie une trentaine de témoignages de personnalités dont l’histoire s’entremêle avec celle du pays. L’album complet « Nos mémoires d’Algérie », en kiosque le 28 janvier, est à consulter ici. Lisez les souvenirs de Faïza Guène, Alice Zeniter, Arnaud Montebourg. Ou de Farid Bentoumi, Savoyard qui garde une image lumineuse des étés en Algérie. Avant que ne se déclenche la « décennie noire ».
« Cela tient à peu de chose, une vie. En 1976, l’année de ma naissance, mon père, Algérien, et ma mère, Française aux yeux bleus, ont tenté de s’installer en Algérie. Mais ils n’ont jamais trouvé de logement. Ils sont donc restés en France et c’est là que je suis né. Un parfait petit Savoyard, alors que j’aurais pu être Algérien.
Mon père est arrivé en 1962 dans le port de Marseille, avec sa valise et, dans sa poche, l’adresse d’un cousin à Saint-Etienne. A l’époque, chaque famille de la campagne envoyait un gamin dans un bateau direction Marseille, pour travailler en France et ramener de l’argent. C’est tombé sur mon père. Au départ, c’était pour trois mois, afin de payer le mariage de sa sœur. Et ça s’est éternisé. Il a travaillé dans les mines de charbon de Saint-Etienne. Puis comme ouvrier chez Pechiney. Il a rencontré ma mère, institutrice, communiste, cégétiste, qui lui a appris le français. C’était vraiment un couple militant ! Et nous sommes nés là, des petits Français, qui parlaient super mal l’arabe, moins bien que ma mère, qui l’a appris pour ne pas être perdue quand nous rentrions en Algérie.
Mon film “Good Luck Algeria” est évidemment inspiré de notre histoire familiale. Notamment de l’aventure folle, mais vraie, de Noureddine, mon frère, ingénieur, qui, à 35 ans, a décidé de concourir comme binational pour l’Algérie aux épreuves de ski de fond lors des jeux Olympiques d’hiver [en 2006]. Cette aventure a été kafkaïenne. Je me souviendrai toute ma vie du trajet en bus vers Turin, en Italie, pour assister à la course, avec la famille et les amis. Voir mon frère entrer dans le stade avec le drapeau algérien, tandis que résonnait l’hymne : émouvant et surréaliste !
Nos cousins portaient nos anciens habits
L’Algérie est pour moi liée à des souvenirs très lumineux. Les vacances d’été, c’était la fête, on partait au pays, on voyait les cousins, on sautait dans les rivières, on allait à la mer. Mon père venait d’un milieu rural. Pas d’électricité, pas d’eau courante, il fallait mettre des bidons sur le dos d’un âne pour aller la chercher. On passait nos étés à aider mon père à couler du ciment pour construire notre maison… On avait un statut spécial : celui de l’immigré. Mon père était attendu comme le messie. C’est lui qui achetait les sacs de semoule, les provisions, tout, en fait. A la maison, le défilé était permanent, ceux qui venaient demander de l’argent, des conseils, de l’aide. Je voyais nos anciens habits portés par nos petits-cousins jusqu’à ce qu’ils soient troués. Nous avons passé nos vacances en Algérie chaque année, jusqu’en 1988, début de la “décennie noire”. Mon père y est retourné ensuite mais sans nous. Il avait peur pour ma mère, avec ses yeux bleus. Et pour nous, ses fils, binationaux : on pouvait nous obliger à rester pour faire notre service militaire. Pendant quinze ans, nous n’avons plus remis les pieds en Algérie.
Mon père nous parlait peu du passé. De la guerre, notamment. Certains épisodes sont encore si douloureux que c’est difficile pour lui de les évoquer. Deux de ses sœurs sont mortes de faim pendant la guerre. Son frère, engagé dans le FLN (Front de libération nationale), a perdu une jambe. Mon père n’a jamais eu un discours manichéen sur la guerre. Pour lui, il n’y avait pas les héros et les bourreaux. La guerre était juste horrible. Avec ma mère, ils ont milité toute leur vie au Mouvement de la Paix. On a grandi avec, dans le salon, un immense poster d’une colombe blanche portant un rameau d’olivier. Mon père parlait des “porteurs de valises” français qui avaient aidé les nationalistes algériens et il a toujours été reconnaissant au Parti communiste, à la CGT, sa deuxième famille. Le mot “traître” n’existait pas, je ne l’ai jamais entendu dire de choses négatives sur les harkis. Il avait été traumatisé par leur sort, à l’indépendance, il nous racontait comment ils avaient été massacrés. En 1958, mon père a été emprisonné dans un camp de travail forcé, pour éviter qu’il ne soit recruté par le FLN comme son frère. Il avait alors 15 ans. Il n’a jamais pu aller à l’école. C’est en France qu’il a appris à lire l’arabe, à 40 ans.
Des menaces de mort
Le lien avec l’Algérie était permanent. Mon père, avec ses réseaux militants, sa position de délégué CGT, de responsable de plusieurs amicales algériennes, était très actif au sein de la communauté. Toute mon enfance et mon adolescence, j’ai entendu ce mot : “Certificat d’hébergement”. Il passait sa vie à aider des compatriotes à venir visiter leurs familles, à régler leurs problèmes de papiers. Il avait toujours sa sacoche sur lui, son bien le plus précieux, avec toute cette paperasse, ses documents d’identité, ceux des autres aussi. J’ai hérité ça de lui, je suis terrorisé à l’idée de me faire contrôler, je suis toujours en règle. Jamais je ne suis sorti sans attestation pendant le confinement !
A cause de son activisme, il recevait des menaces de mort racistes. Il disait : “Ce n’est rien, ce n’est rien.” Toujours positiver. Je n’ai su que plus tard qu’il tenait un petit carnet, où il comptabilisait tous les Algériens qui avaient été assassinés en France. Encore aujourd’hui, il répète qu’il faut arrêter avec le passé, la haine, la guerre qui continue, le racisme des Français contre les Arabes, des Arabes contre les Français. Immigré, il avait ce sentiment qu’on devait toujours faire mieux que les Français, être plus gentil, plus poli, toujours dire bonjour au péage, porter le sac de la vieille dame. Il nous répétait qu’on devait se concentrer sur nos études. L’intégration, pour nous, les enfants, ce n’était pas un sujet. On a tous été bons à l’école, mes frères ingénieurs, moi l’Essec avant de bifurquer vers le cinéma.
Cela a été une grande douleur pour mon père d’être écartelé entre ses deux pays : sa vie en France, son amour pour l’Algérie. La première fois que je lui ai montré un documentaire que j’avais réalisé sur les harragas, ces jeunes Algériens qui tentent de migrer clandestinement vers l’Europe, il m’a dit : “Ce sont des traîtres, ils quittent leur pays !” C’est étrange, car c’est un peu son histoire, quand on y pense. Sauf que lui, il a toujours répété qu’il ne voulait pas partir. Qu’il était venu travailler en France par devoir. Il n’a pas pu assister à l’enterrement de ses parents, en Algérie, et ça a été violent pour lui. Il y a un dicton qui dit : “Le paradis est sous le pied de ta mère.” Ne pas pouvoir s’occuper de ses parents, quotidiennement, quand ils deviennent vieux, c’est terrible.
La guerre des abricotiers
Et puis, le fait d’avoir construit une famille, en France, a distendu les liens. Dans les années 2000, il a réalisé que mes cousins et mon oncle ne le respectaient plus, car nous n’allions plus en Algérie, mes frères et moi, nous n’étions plus vus comme des héritiers crédibles des terres familiales. Quand il rentrait au village, le compteur électrique de sa maison avait été forcé, sa voiture démontée pièce par pièce. Par sa propre famille ! Plein d’humiliations. Le pire, ça a été l’épisode des abricotiers. La famille s’est disputée au sujet des terres, un neveu lui a dit qu’il l’attendrait avec un fusil s’il s’aventurait vers le terrain des abricotiers. Ces abricotiers que mon père avait plantés, pour lesquels il avait investi une fortune ! Il était devenu l’étranger, l’immigré, le Français… Il avait perdu le droit à sa terre. Un déclassement total. Comme si on l’effaçait de l’histoire de sa propre famille.
Mon père ne sait pas où il voudrait être enterré. Sa vie est en France, sa femme est en France, ses enfants et ses petits-enfants. Il s’est mobilisé pour créer un carré musulman à Saint-Jean-de-Maurienne. Ce sera peut-être la France. Pour qu’il reste près de nous. »
L’engagement et le combat (1936-1965), Alexis Sempé
Alors que la position du PCF par rapport à la guerre d’Algérie a fait l’objet de nombreuses études, l’histoire du Parti communiste algérien (PCA) est, elle, peu connue. Cet ouvrage qui présente des documents se rapportant à Gaston Revel permet de commencer à combler ce vide.
Alors que la position du PCF par rapport à la guerre d’Algérie a fait l’objet de nombreuses études, l’histoire du Parti communiste algérien (PCA) est, elle, peu connue. Cet ouvrage qui présente des documents se rapportant à Gaston Revel permet de commencer à combler ce vide. Alexis Sempé propose d’explorer la vie du PCA à Bougie à partir de la correspondance, des carnets et de photographies prises par G. Revel. En dépit de lacunes et de tris, ces sources, riches, permettent d’appréhender la vie politique dans l’Algérie coloniale de 1940 à 1965.
Né à 20 km de Carcassonne en 1915, Gaston Revel devient un républicain convaincu, laïque, qui se destine à l’enseignement. En septembre 1936, il intègre l’École normale de Bouzaréah, dans la banlieue d’Alger. Le premier contact de ce jeune homme avec l’Algérie n’est pas exempt de condescendance, convaincu de la « mission civilisatrice » de la France. C’est d’abord d’Afrique du Nord que Gaston Revel suit avec attention l’expérience du Front Populaire, qu’il soutient, ainsi que la guerre civile espagnole. Complétant sa formation politique par des lectures de Marx et de Lénine, il se rapproche du PCF vers 1937-1938 alors qu’il fait son service militaire à Paris. Pacifiste convaincu, il se trouve sous les drapeaux au moment de la déclaration de guerre en 1939. Après l’armistice, il retourne en Algérie, nommé enseignant à Aïn-Tabia. La période de la guerre est moins développée, « faute de sources » précise Alexis Sempé. Gaston Revel, dont la correspondance montre un certain antisémitisme et une incompréhension de ce qu’est réellement le nazisme qu’il perçoit comme un simple nationalisme, adhère un temps aux idées de la Révolution nationale très présentes parmi les colons d’Algérie. En septembre 1941, il participe à l’École des cadres, organisation pétainiste. Toutefois, cette proximité avec les idées de Vichy ne dure pas puisqu’en décembre 1942, il est incorporé à l’Armée d’Afrique où il côtoie des soldats « indigènes » et participe à la campagne de Libération. Après guerre, il redevient instituteur à Aïn-Tabia, puis à Bougie, et adhère au PCA et à la CGT. D’après Alexis Sempé, cette double affiliation s’explique car Revel « ne conçoit pas la lutte politique sans la lutte syndicale ». Revel affermit encore sa culture politique par des lectures et voyages comme à l’été 1947 lorsqu’il se rend en Europe de l’Est. L’engagement de Revel est multiforme : délégué de la CGT avec laquelle il soutient la grève des mineurs de Timezrit en 1948 et 1953, correspondant local d’Alger républicain, mais aussi élu municipal à partir de 1953. Revel se présente dans le deuxième collège, celui « réservé » aux « Français musulmans », et le PCA fait campagne à côté de l’Union démocratique du manifeste algérien de Ferhat Abbas. Alexis Sempé souligne toutes les difficultés rencontrées par les membres du PCA qui voient la répression s’abattre sur eux, avec la « drôle de justice » (S. Thénault) puis avec l’interdiction du Parti en septembre 1955. Le mois suivant, Gaston Revel est expulsé du Constantinois. Il rentre enseigner dans sa commune natale dans l’Aude. À l’indépendance de l’Algérie, il retrouve son poste à Bougie et y demeure jusqu’au coup d’État de Boumédiène en 1965
Si les historiens de l’enseignement regretteront que la vie professionnelle de Revel passe au second plan, cet ouvrage permet d’appréhender l’engagement d’un Français au sein du PCA. En attendant un tel ouvrage sur des militants algériens du PCA…
Le sable du Sahara arrivé début février dans des pays de l’Europe dont la France a rappelé à cette dernière ses essais nucléaires effectués dans le Sud de l’Algérie.
« Quand un nuage de sable jaune orangé nous rappelle le passé. Du sable ramassé dans le massif du Jura a été analysé par un laboratoire près de Rouen en Normandie. On y retrouve des traces des essais nucléaires français au Sahara au début des années 60 », a rapporté vendredi 26 février le « France 3 ».
Selon la même source, des scientifiques ont découvert dans le sable des résidus de Césium-137. Un élément qui était utilisé par la France dans les années 60 pour les essais nucléaires qu’elle effectuait dans le Sahara, au sud de l’Algérie. 17 essais nucléaires y avait été pratiqués.
Le même média a ajouté que le 6 février, Pierre Barbey, spécialiste de la radioprotection à l’Université de Caen, il est aussi conseiller scientifique bénévole du laboratoire ACRO, Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest de la France, a prélevé un peu de sable du Sahara qui s’étend alors sur une large partie de la France puis analysé par le laboratoire de l’ACRO.
« Le résultat de l’analyse est sans appel, du césium-137 est clairement identifié. Il s’agit d’un radioélément artificiel qui n’est donc pas présent naturellement dans le sable et qui est un produit issu de la fission nucléaire mise en jeu lors d’une explosion nucléaire » a expliqué l’ACRO, précisant que 80 000 Becquerels au kilomètre carré sont tombés sur la zone couverte par l’Acro. « Le nuage a déversé ses anciennes traces de césium-137 partout où il est passé en France », selon Pierre Barbey qui a rassuré que rien e danger sur la santé.
Il s’agit d’un radioélément artificiel qui n’est donc pas présent naturellement dans le sable et qui est un produit issu de la fission nucléaire mise en jeu lors d’une explosion nucléaire”, a ajouté l’Acro. Selon Pierre Barbey, le césium-137 a une période de vie de 30 ans. Tous les 30 ans, il perd la moitié de sa teneur radioactive. « Au bout de 7 cycles de 30 ans, on considère qu’il ne reste que 1% de substances radioactives », a-t-il expliqué.
« Il n’était pas question de dire qu’il y a une mise en danger de la population, mais de rappeler ce qu’a fait la France et d’autres pays » en terme d’essais nucléaires, selon l’Acro. Pierre Barbey a rappelé qu’au Sahara, dans le Sud algérien, « la population vit avec ces traces de césium-137 au quotidien, certains terrains sont toujours fortement contaminés, cela donne une idée de la contamination de l’époque ».
La chaîne française rappelle que près de Reggane dans le Sud de l’Algérie, la France réalise un premier essai nucléaire le 13 février 1960. La Gerboise bleue, nom de code de la bombe atomique explose à 7 heures du matin heures locales, sa puissance est de 70 kilotonnes, une explosion trois ou quatre fois plus puissante que celle des bombes d’ Hiroshima en août 1945.
Les accords d’Évian signés en mars 1962, à la suite de la guerre d’Algérie, n’autorisent des expérimentations dans le Sahara que jusqu’en juillet 1967.
L’Algérie a demandé récemment à la France de décon
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