Z'hor Zerari (1937-2003) est une combattante pour l'indépendance de l'Algérie, arrêtée et torturée par les soldats du général Schmidt, déshabillée et violée devant des prisonniers de l'ALN, elle est aussi poète. Après l'indépendance, déçue par le sort fait aux femmes condamnées à rester à la maison, elle tenta de se battre, comme journaliste, pour la promotion des femmes.
Je ne sais pas, les mots sont impuissants, ils ne réussissent pas à dire cette femme, cette combattante de la libération, cette journaliste, Zhor Zerari. Je ne me pardonne jamais le fait de ne pas avoir cherché à l‘approcher, beaucoup plus, par pudeur, elle était lumineuse, fortement diminuée par les tortures qu’elle avait subies à la prison coloniale de Barberousse et ailleurs. Elle était journaliste à l’hebdomadaire algérien, Algérie Actualité, elle passait au journal, moi-même, j’y étais, je la voyais de loin. Elle était rayonnante, elle marchait difficilement, mais les mots, la poésie arrivaient à lui apporter, au-delà de la désillusion, quelque espoir. Elle trainait encore les séquelles des tortures pratiquées au nom de la « civilisation », réglée par le sinistre général Schmitt. Elle ne pouvait oublier l'opprobre, l'horreur, mais sans aucune haine comme ses sœurs Zohra Drif, Djamila Boupacha, Bouhired, Bouazza, Mimi Maziz et de nombreuses autres combattantes. Elle est la sœur de ces Françaises qui ont soutenu la lutte pour l'indépendance. Même si elle voulait oublier, elle ne pouvait pas, les séquelles physiques lui rappelaient ce traumatisme. Elle perdait souvent l’équilibre et souffrait de lancinantes douleurs à la colonne vertébrale, aux membres supérieurs et inférieurs, provoquant de brutales chutes. Le corps blessé, meurtri, la mémoire en éveil. Tout lui rappelle ces sinistres généraux tortionnaires Shmidt et Aussaresses. Elle faisait bien la différence.
Zhor Zerari, on en parlait, entre journalistes, de cette moudjahida (combattante)-poétesse qui a tant souffert dans les geôles coloniales, comme d’ailleurs, d’un ami, un immense reporter, Halim Mokdad, les deux s’appréciaient, ils avaient tous les deux pris les armes contre l’occupant colonial. On savait aussi que presque toute la tribu Zerari avait pris fait et cause pour la révolution, vivant au quotidien exactions et tortures. Son père allait disparaître durant la grève des huit jours. "C’était un symbole, un mythe, il faisait partie, écrit-elle, de cette longue liste de milliers de ceux qu'on a appelés les portés disparus de la grève des 8 jours ». Son oncle, Rabah, le Commandant Azzedine, était l’un des organisateurs de cette entreprise de mobilisation du peuple et aussi de déstabilisation de l’organisation coloniale.
Toute la famille Zerari a connu les pires sévices, les souffrances et d’indélébiles blessures. Le père fut torturé à plusieurs reprises, subissant les pires actes de ses tortionnaires qui ne pouvaient avoir le statut d’humains, elle raconte au journaliste algérien Boukhalfa Amazit ce qu’a enduré son père qui a, par la suite appris dans sa chair la dure entreprise de souffrir tout en résistant à la peur : « Quand il a été arrêté la première fois pendant la guerre, il avait été atrocement torturé, ils nous l'ont « jeté » sur le seuil de la porte. C'était la première fois que j'avais vu des larmes dans les yeux de mon père. Il m'a dit : « Tu sais ma fille, c'est dur, c'est très dur, lorsqu'ils me torturaient j'avais l'impression de t'entendre à côté de moi ».
Elle savait que c’était dur, que ça allait être dur, mais se battre pour l’indépendance n’était pas un jeu, elle le savait. Elle le savait, elle qui avait connu les discriminations coloniales, alors qu’elle était brillante élève, elle fut expulsée de l’école. Elle était consciente de la réalité mortifère du colonialisme. Ses parents PPA (Parti du Peuple Algérien, structure nationaliste du temps de la colonisation) ne pouvaient que lui indiquer le chemin à suivre. Une femme, ce n’était pas facile à accepter, elle en était consciente. Son père était son véritable modèle. Elle avait d’ailleurs écrit ces vers pour lui alors qu’elle quittait la prison de Rennes en mars 1962 : « Qu’importe le retour ; Si mon père ; N’est pas sur les quais de la gare ».
C’est grâce à son cousin Abdelouahab qu’elle réussit à rejoindre le MTLD. C’est là qu’allait commencer sa formation politique. Partout, on parlait de Messali. Elle écrivait des poèmes où le terme résistance alimentait de sa sève les mots qu’elle ciselait de si belle manière et elle militait au sein de cette structure nationaliste. Pour elle, c’est tout à fait normal, la nature des choses. Un événement allait lui permettre d’espérer davantage, c’est la défaite française à Dien Bien Phu en mai 1954, quelques mois avant le déclenchement de la lutte armée. Elle était aux anges. A partir de ce moment, elle était certaine de la nécessité de l’action révolutionnaire. Elle comptait les jours quand elle apprit le déclenchement de la lutte de libération. C’était une fête, elle était psychologiquement prête. Elle avait fait un pas pour se retrouver dans la révolution. C’était beau.
Comme beaucoup d’autres militantes, Louisette Ighilahriz, Mimi Maziz et de nombreuses autres, elle avait commencé par des opérations apparemment simples, le transport du courrier, d'armes, de munitions et d'explosifs, puis elle allait-être confrontée à l’action concrète. C’est à l’âge de 19 ans , le 18 juillet 1957, elle avait déposé trois bombes sous des voitures en stationnement.
Puis juste après, elle est arrêtée le 25 août 1957 et condamnée à la perpétuité, elle a connu plusieurs prisons, les pires tortures, elle est sauvagement maltraitée dans un établissement scolaire, l’école Sarrouy, le lieu, disait-on de la « civilisation ». Elle parle ainsi de cette école transformée en lieu de torture et des séquelles provoquées par les tortures infligées à un corps-témoin, elle ne comprend pas pourquoi son pays ne l’a pas pris en charge comme d’autres moudjahidine qui ont souffert le martyre dans les prisons coloniales : « Ce n'était pas la seule école qui servait de centre de torture en Algérie. « J'ai été torturée », quatre mots. Pour moi, ce n'est pas l'instant des tourments qui me torture aujourd'hui. Ce sont les terribles séquelles que j'en garde. Des séquelles qui ont gâché tout le restant de ma vie. J'en profite pour dire que c'est honteux pour les autorités de mon pays, les pouvoirs publics qui, après l'indépendance, après notre libération auraient pu nous prendre en charge nous soigner, nous permettre de poursuivre nos études, et qui ne l'ont pas fait. Nous nous sommes quand même sacrifiés ! Depuis les séances de torture de Schmitt, aujourd'hui général à la retraite de l'armée française, je n'ai pas cessé de souffrir. Il m'arrive de m'effondrer brutalement, de perdre connaissance. Ces crises qui surviennent depuis 1960/1961 peuvent durer une semaine comme elles peuvent se prolonger six mois durant. Ce con de Schmitt a gâché ma vie ».
Elle ne comprenait pas comment après l’indépendance, les uns profitaient de la rente, alors que d’autres continuaient à porter les séquelles des tortures tout en portant l’Algérie au cœur. Elle ne comprenait pas. Elle savait, par contre, qu’elle s’était battue pour une autre Algérie : « Nous vivions au futur. Nous rêvions de joie, de bonheur au futur. Nous ferons ceci, nous dirons cela, nous irons là-bas... C'est ça qui nous a sauvés et nous a maintenus en vie ». Elle n’a jamais regretté son combat, elle n’a jamais eu peur parce qu’elle croyait en un idéal de justice, elle savait que le jour allait poindre, que la victoire était proche, elle le savait. Une fois, l'indépendance acquise, les femmes ont été exclues des postes de responsabilité, elles étaient effacées, inexistantes.
Zhor conjuguait poésie et révolution, littérature et espoir. J’ai beaucoup aimé ce recueil fabuleux que tous ceux qui voudraient connaître un peu plus sur les terribles exactions coloniales devraient lire, Poèmes de prison . Ses textes usant de métaphores marquées par la présence de mots puisés dans le champ de la souffrance arrivent à communiquer la douleur et à donner à lire l’espoir qui irrigue obsessionnellement les différentes constructions. On retrouve un peu l’influence de poètes espagnols comme Lorca, Machado, Alberti, mais également de l'écrivain algérien, Kateb Yacine. La poésie était, pour elle, un « exutoire », disait-elle.
Elle écrivait aussi des nouvelles qui disent le mal de vivre durant la colonisation, la prison est un lieu essentiel qui peuple ses récits, elle qui, l’indépendance acquise, elle allait se retrouver exclue parce qu’elle était femme. Ce qui me rappelle le personnage de Arfia dans La danse du roi de Mohamed Dib, ancienne cheffe maquisarde durant la guerre de libération, mais, par la suite, elle est marginalisée, envoyée voir ailleurs. C’est le désenchantement, c’est ce que Zhor Zerari a raconté à Boukhalfa Amazit : « D'abord la libération. Puis ensuite la ou les libertés. Il n'y a pas les autres sans l'une. C'est pour cela que je parlais de désillusion. Nous, les femmes, sommes tombées de haut, d'avoir été renvoyées aux réchauds le jour même qui a succédé à l'indépendance. Sans attendre ! Oust ! Aux cuisines. Le 3 juillet, il y avait un meeting sur le référendum qui se déroulait à Sidi Fredj, il était animé par le colonel Si Mohand Ouel Hadj et mon oncle le commandant Azzedine. Tôt le matin je m'y suis rendue, et je voyais les gens qui, par vagues successives, arrivaient et couvraient peu à peu une petite colline. J'étais avec mon frère et un de ses amis. A un moment, un jeune en tenue militaire, toute neuve, s'est approché de moi et m'a dit d'un ton aussi autoritaire que hargneux : « Vas avec les femmes », cela se passait le 3 juillet 1962...1962... « Vas avec les femmes te dis-je », vitupérait le jeune ... « Je me trouve bien ici, pourquoi irai-je ailleurs », ai-je répondu... Il a insisté, je me suis obstinée. « Donne-moi tes papiers ! » poursuivit-il. « Je n'en ai pas, je viens de sortir de prison », lui ai-je dit. « Toi ? Toi tu as la tête d'une moudjahida ? Dégage d'ici, dégage ! », me dit-il, me menaçant de son arme... ... J'ai dévalé la colline les yeux brouillés de larmes et dans mon dos, lardée par un poignard de glace, j'entendis le cliquetis caractéristique de la culasse qu'il manipulait pour engager une balle dans le canon de son arme... ».
Zhor marche difficilement, des douleurs, elle marche quand-même, elle s’arrête un moment, scrute le ciel puis…
- 7 JANV. 2021
- PAR AHMED CHENIKII
- https://blogs.mediapart.fr/ahmed-chenikii/blog/070121/zhor-la-combattante-poete-ou-le-corps-qui-temoigne-des-exactions-coloniales
Paroles de torturés
Guerre d'Algérie. Témoignages. Des femmes et des hommes qui ont subi les exactions des soudards du général Massu et du colonel Bigeard se souviennent.
La question de la torture pratiquée de manière systématique par l'armée française revient hanter les mémoires. Alors que les tortionnaires tentent aujourd'hui de la justifier, leurs victimes algériennes, malgré la douleur, rappellent un épisode infamant trop longtemps tu. Reportage.
De notre envoyé spécial en Algérie.
Durant la bataille d'Alger, en 1956-1958, ils étaient très jeunes. Ourida Medad est morte sous la torture à seize ans. Baya Hocine, décédée le 3 mai dernier, avait dix-sept ans quand elle a été condamnée à mort en 1957. Zhor Zerari, dix-neuf ans, était condamnée à la perpétuité, M. El Badji, vingt-quatre ans, condamné à mort, Zoubir M, dix-sept ans, à 20 ans de prison, Danielle Minne avait dix-huit ans. Aujourd'hui, âgés entre soixante et soixante-cinq ans, ils sont redevenus anonymes. Pour des raisons diverses, les jeunes Algériens ne savent rien de leur passé.
Zhor Zerari
L'histoire de cette femme, âgée de dix-neuf ans en 1957, rappelle celle de Louisette Ighilahriz, qu'elle connaît bien. Ancienne journaliste à l'hebdomadaire Algérie Actualités durant les années soixante et soixante-dix, auteur du recueil Poèmes de prison (1), Zhor marche difficilement car elle souffre de troubles de l'équilibre. " J'ai une pièce qui est défectueuse au niveau du cerveau ", dit-elle en souriant. Elle faisait partie d'un groupe de l'ALN (Armée de libération nationale) à Alger, dirigé par Saïd Igranaïssi.
Elle se souvient de sa première action : le dépôt d'un engin explosif face à l'entrée de la Radio d'Alger en février 1957. " On avait ordre de ne pas faire de victimes civiles, alors je l'ai déposé sous une voiture face à l'entrée de la radio gardée par plusieurs gardes mobiles. " Après l'exécution à la guillotine de quatre combattants de l'ALN à la prison Barberousse, elle participe à une série d'attentats qui ont touché tout Alger le 18 juillet 1957. " Yacef Saadi (le chef du FLN), qui avait décrété une trêve après sa rencontre avec Germaine Tillon contre la promesse d'arrêt des exécutions et de la torture, avait donné ordre de mener une série d'actions psychologiques destinée à démontrer la détermination du FLN. " Son arrestation ? " En août 1957, on était dans un appartement situé face au mausolée Sidi Abderahmane, à la Casbah. L'artificier, Saïd Bouzourène, était en train de vérifier le mécanisme des bombes à retardement qu'on devait déposer devant des commissariats et des postes militaires, quand l'une d'elles lui a pété entre les mains. J'étais dans la pièce à côté. J'ai vu Saïd se tenir le ventre et hurler : Sauvez-vous ! sauvez-vous ! J'ai fui par la fenêtre, avec du plâtre sur ma robe et sur mes cheveux, pris un taxi qui m'a déposée chez mes parents à Belcourt. Je ne savais pas que l'on nous avait repérés et que nous étions recherchés. Ce soir-là, j'ai dormi et j'ai décidé d'aller à la plage le lendemain. Mais tôt le matin, le quartier était bouclé par les paras. Impossible de fuir, et pas d'arme pour se défendre. Après avoir défoncé la porte, ils ont demandé après moi, et m'ont conduite directement à l'école Sarouy, dans la Casbah. " Elle est emmenée dans une salle de classe où les tables étaient encore en place, mais où il y avait une dizaine de personnes en piteux état, du sang partout. " Je voulais aller aux toilettes, dit-elle. Le caporal présent sur les lieux me rétorque : Patience, ma petite chérie, tu vas faire pipi dans un moment. " Et de lui demander de se déshabiller. " Pour moi, me mettre nue en présence de deux de mes compagnons masculins a été pire que la torture qu'ils m'ont infligée par la suite. " S'approchant d'elle, le même soudard lui lance : " Tu es vierge ? De toute façon vierge ou pas, ce soir tu passeras à la casserole. " Ce à quoi Zhor a rétorqué : " Ne me touche pas, salopard ! " C'est alors, raconte-t-elle, qu'elle a été sauvée du viol par un jeune para, du nom de Jean Garnier, venu s'enquérir de la raison de ses larmes. Il s'est retourné vers son collègue lui intimant l'ordre de ne pas la toucher. " Il lui a même foutu une sacrée raclée dans la cour de l'école ", ajoute Zhor. Il n'empêche, dans cette école dont le colonel Bigeard fit son PC, elle a été torturée. " On m'a bâillonnée avec un maillot de corps plein d'urine et d'excrément, avant de me torturer à la gégène, par les lieutenants Flutiaux et Schmidt, en présence du capitaine Chabanne, et cela pendant trois nuits. Puis on a ramené deux membres de mon réseau. L'un d'eux [dont elle tait le nom] , méconnaissable suite aux sévices subis, m'a alors dit : Zhor, ils savent tout. C'est alors que j'ai tout endossé. " Transférée à Birtraria, elle subit un nouvel interrogatoire. Là, c'est un vieux gradé CRS qui lui rend visite, lui offre une fleur, et lui dit : " De la part d'un con obligé de faire ce foutu métier. ".
Zhor Zerari est condamnée une première fois à 15 ans de prison puis, lors d'un second procès, à la perpétuité. Emprisonnée à la prison Barberousse d'Alger, elle est transférée à Pau, en France, qu'elle quitte en avril 1962. De son passé, elle dit : " C'était super d'avoir participé à la libération du pays. J'ai vécu cette période intensément. " Mais cette mère de deux enfants en a gardé des séquelles : troubles neurologiques, troubles mnésiques, difficultés de l'équilibre. Le bulletin médical indique que " son état de santé nécessite l'assistance permanente d'une tierce personne ".
Quant à Bigeard et Massu : " Quand j'ai lu que Massu s'est dit désolé, j'ai frappé le mur avec mes poings. Ah bon ! me suis-je dis, c'est tout ce que ça lui fait, ça le désole ! " Comme Louisette Ighilahriz, Zhor ne veut pas pardonner et demande la traduction de tous les tortionnaires pour crimes de guerre, parce que, ajoute-t-elle, " j'ai un profond respect pour tous ceux qui ont subi la torture ".
Mohamed El Badji.
Né en 1933 à Alger, il est connu comme chanteur-compositeur de chaabi (musique populaire algéroise). Mais peu de gens savent qu'il a été condamné à mort en 1957, après avoir été affreusement torturé.
Le 28 janvier 1957, le FLN venait de décréter la grève des " huit jours ", à l'occasion du débat sur l'Algérie à l'Assemblée générale de l'ONU. Dénoncé, il est arrêté par une patrouille de parachutistes et emmené à l'école des filles du quartier de la Redoute (Alger), transformée en centre de tortures. Durant deux jours, il est torturé à l'électricité, flagellé. Puis il est emmené à la villa Susini, où sévissent le capitaine Faulques qui se surnommait " capitaine SS ", réputé, selon Henri Alleg, pour sa férocité, et le tortionnaire d'origine allemande, Feldmayer du 3e REP (parachutistes étrangers). El Badji sera torturé durant huit nuits, avant d'être conduit au tribunal militaire pour être condamné à mort pour actes terroristes. Il est enfermé dans l'aile réservée aux condamnés à mort de la prison Barberousse. Aujourd'hui, c'est un homme qui a du mal à trouver le sommeil. " Quand on a été habitué à rester éveillé toute la nuit, attendant son tour d'aller à la guillotine, ça ne disparaît pas du jour au lendemain ", explique l'ancien condamné à mort dont plusieurs de ses compagnons de cellule ont été guillotinés. Gracié par de Gaulle, sa peine est commuée en condamnation à perpétuité. El Badji, qui a depuis été victime de plusieurs dépressions nerveuses, a été contraint de prendre une retraite prématurée au ministère des Moudjahidine (anciens combattants), où il travaillait. Depuis sa sortie de prison, il se soigne aux antidépresseurs.
Dahmani Mokhtar.
Connu comme Mokdad, cet ancien champion de boxe junior était ce qu'on appelle un " terroriste ", membre de l'ALN. Né à Alger, il avait dix-sept ans quand il a été appréhendé, par des agents de la DST accompagnés de paras, en mars 1957. " Ce soir-là, j'ai décidé de dormir, alors que d'habitude je restais éveillé parce que je savais que les arrestations avaient lieu à l'aube ", explique Mokdad, rencontré dans son café-kiosque de la place du 1er mai, à Alger. Aujourd'hui âgé de soixante ans, cheveux châtains, yeux clairs, c'est une force de la nature. Il raconte : " Il était cinq heures du matin quand j'ai été réveillé par de grands coups portés à la porte de la maison, dans le quartier de Belcourt. À peine ma mère a-t-elle ouvert la porte qu'elle a été bousculée. Mon père a été jeté à terre et roué de coups, ainsi que mon oncle, par les bérets verts (parachutistes étrangers). Ils se sont rués sur moi, m'ont attaché les mains au dos, puis mis une corde au cou avec laquelle ils m'ont traîné dans la rue, à coups de crosse au dos et à la tête, jusqu'à la Jeep. Ma mère s'est agrippée à la vareuse d'un officier, lui expliquant que je n'étais qu'un enfant. Elle ne savait pas que j'étais membre de l'ALN. ".
Mokdad explique ensuite qu'il a été emmené dans une grande villa de deux étages, située à Birtraria, dans la banlieue d'Alger. Là, après vérification de son identité, un officier parachutiste, surnommé Gandi, lui dit : " Fiston, on sait tout, tu as intérêt à tout nous dire. " Bien sûr, il nie. Il est alors déshabillé, attaché sur une échelle que ses tortionnaires placent sur des tréteaux. Des électrodes, branchées directement sur une prise du mur de la pièce où il se trouvait, sont placés sur ses oreilles, puis sur les parties génitales.
Après quelques jours, le même officier demande qu'on le détache et qu'on le laisse en tête-à-tête avec lui. " Il faisait nuit, il faisait chaud, c'était l'été 1957. On était tous les deux. Je n'ai pas hésité un instant. J'ai assommé l'officier, sauté par la fenêtre, fui par le jardin. J'ai couru, couru... " Par la suite, Mokdad reprend contact avec le FLN et gagne le maquis dans la wilaya IV. Son geste, il l'explique : " À l'idée d'être torturé de nouveau, je n'avais rien à perdre en risquant le tout pour le tout. " Il ne regagnera Alger qu'en 1962. L'histoire de Mokdad est connue de tous les anciens de Belcourt. À leurs yeux, il fait figure de héros, car peu nombreux sont ceux qui ont réussi à échapper à leurs tortionnaires.
Zoubir M, son ami, n'a pas eu cette chance. Lui avait dix-sept ans également quand il a été arrêté par les paras dans la Casbah d'Alger. " J'ai été arrêté chez moi dans la Casbah ", dit-il. Conduit à " l'intendance ", un centre de tri tenu par les paras de Bigeard, rue Bruce, dans la Casbah, il a eu affaire au fameux capitaine Graziani. " Il tenait dans la main un pistolet 11.43. Dès qu'il m'a vu, il m'a frappé violemment avec au visage. Vous vous rendez compte, j'étais mineur, ils ont torturé un mineur ! ", s'écrit Zoubir au souvenir de ce qu'il a subi. Dans la rue, son ami Bouziane, bien qu'il ait les mains attachés dans le dos, prend la fuite. Il est abattu d'une rafale de mitraillette sous ses yeux. " Bouziane avait une peur bleue de la torture. Il nous avait juré qu'il ne serait pas torturé. ".
À " l'intendance ", il est torturé nu, attaché sur une planche déposée sur des tréteaux, torturé à l'électricité, puis dans une baignoire remplie d'eau usée, d'urines et d'excréments, battu, pendu par les pieds avec les mains ligotées au dos, puis enfermé durant deux jours dans un placard, sans boire ni manger. Zoubir n'avait rien à avouer puisque tout son groupe (sept) avait été neutralisé. Dans la cour de " l'intendance ", il rencontre un ami, Hamid : " Tu ne me connais pas, tu ne m'as jamais vu ", lui chuchote-t-il à l'insu des gardes. Le lendemain, dans la même cour, il voit son ami, étalé dans un coin, mort : " Il n'a pas dû résister à la torture. Il avait mon âge : dix-sept ans. ".
Zoubir M. sera condamné à 20 ans de réclusion par le tribunal militaire et incarcéré à la prison de Barberousse. Lui aussi souffre de troubles psychomoteurs, de céphalées à répétition, mais répète, à l'en croire, qu'il se porte comme un charme. Bigeard, Massu : Zoubir demande leur jugement pour avoir torturé des mineurs !.
Tous les témoins rencontrés citent de mémoire les noms des capitaines Graziani, Chabanne, Faulques, Devis, Lenoir, un certain Gandi, les lieutenants Flutiaux, Schmidt, Erulin, un certain Le Pen, et leurs chefs qu'ils surnomment par dérision " les médécins-chefs " de la torture, le général Massu et l'ex-colonel Bigeard.
Hassane Zerrouky.
(1) Zhor Zerari, Poèmes de prison, Éditions Bouchène. Alger 1988.
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