iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
En décembre 2021, le gouvernement canadien a signé "le plus important accord d'indemnisation dans l'Histoire du Canada", mettant fin à une saga judiciaire de près de 15 ans. Il devra payer 40 milliards de dollars pour avoir imposé un système discriminatoire et raciste de services à l'enfance depuis les années 1990. Une somme colossale destinée à des réparations financières et une réforme du système. Dans les communautés autochtones, l'accord est accueilli avec prudence, tant la confiance en Ottawa est faible.
Entre la France et la régence d’Alger, qui dépend de l’Empire ottoman, les relations se dégradent depuis le début du siècle, notamment pour des raisons commerciales. En 1827, la France bloque le port d’Alger. En 1830, 37.000 soldats français débarquent sur la presqu’île de Sidi-Ferruch. L’armée d’Hussein Pacha, le dey (chef) de la régence, est vaincue le 5 juillet. Au moins 10.000 habitants fuient la ville. Le trésor de la Casbah est transféré en France.
1848 : rattachement de l'Algérie à la France
L’Algérie devient officiellement territoire français et est divisée en trois départements : Alger, Oran et Constantine. Dans les années suivantes, des rébellions se poursuivent partout dans le pays (insurrection des Zibans, révolte de Chérif Boughabla…).
Octobre 1870 : naturalisation des Juifs d’Algérie
Le décret Crémieux attribue officiellement la citoyenneté française aux 37.000 Juifs algériens, créant un déséquilibre inédit avec les 3 millions de musulmans.
16 mars 1871 : révolte de Mokrani
Depuis les montagnes des Bibans en Kabylie, le cheikh el-Mokrani lance une révolte qui s’étend à une grande partie de l’Algérie, dans un contexte d’accélération de la confiscation des terres et de l’arrivée de colons européens. Elle est durement réprimée.
28 juin 1881 : instauration du Code de l'indigénat
Un régime juridique d’exception est instauré pour les autochtones d’Algérie, avec des infractions et peines particulières, des droits restreints, faisant d’eux des "sujets" plutôt que des citoyens. A l’origine limité dans le temps, le Code de l’indigénat, outil majeur de la domination coloniale, ne sera officiellement aboli qu’en 1944 puis abrogé en 1946.
1914-1918 : l’Algérie française dans la Première Guerre mondiale
L’Algérie coloniale est fortement mise à contribution dans le conflit mondial. 173.000 militaires indigènes sont recrutés pour la guerre, dont 25.000 ne reviendront pas, de même que 22.000 pieds-noirs (Européens d’Algérie) tombés au front. En outre, 119.000 Algériens sont réquisitionnés pour remplacer la main-d’œuvre française en métropole ou… creuser des tranchées. C’est le début de l’immigration maghrébine en France. Des conscrits et déserteurs musulmans lancent une révolte armée dans le sud du Constantinois et les Aurès en 1916-1917, matée par des soldats français. La guerre contribue à la naissance d’une conscience d’indépendance nationale en Algérie.
1936 : projet Blum-Viollette
Le projet Léon Blum-Maurice Viollette (ancien gouverneur d’Algérie de 1925 à 1927, ministre d’Etat du gouvernement Blum) prévoit d’octroyer la pleine citoyenneté française à une élite de 20.000 indigènes musulmans (diplômés, fonctionnaires…), avec droit de vote aux législatives. Il est rejeté par les colons comme par les indépendantistes.
10 février 1943 : manifeste du peuple algérien
Ferhat Abbas publie le Manifeste du peuple algérien, qui réclame l’égalité entre musulmans et Européens, une réforme agraire, la reconnaissance de la langue arabe et une "République autonome".
Mai et juin 1945 : émeutes et massacres dans le Constantinois
Le 8 mai, jour de la victoire sur l’Allemagne nazie, des manifestations indépendantistes ont lieu dans les villes algériennes. A Sétif, dans le département de Constantine, un policier tire sur un manifestant et le tue. L’affaire provoque des émeutes qui font 103 morts du côté des Européens, puis une répression sanglante de l’armée qui fait entre 2.000 et 40.000 morts algériens (le chiffre reste encore débattu).
1er novembre 1954 : la Toussaint rouge
En une nuit, une trentaine d’actions terroristes sont commises sur le territoire algérien, faisant une dizaine de morts. Elles sont revendiquées par un groupe inconnu, le Front de libération nationale (FLN), lancé par de jeunes activistes au sein du MTLD, le parti nationaliste de Messali Hadj. Il prône l’indépendance et le passage à l’action directe, via l’Armée de libération nationale (ALN). Cette insurrection coordonnée est l’aboutissement du durcissement d’une partie du mouvement indépendantiste. A Paris, le gouvernement est pris de court. Le ministre de l’Intérieur François Mitterrand envoie des renforts pour des opérations de "pacification". C’est le début de la guerre d’Algérie.
Août 1956 : premier congrès du FLN
Le premier congrès clandestin du Front de libération nationale se tient dans la vallée de la Soummam, en Kabylie. Seize délégués y participent. C’est l’acte majeur permettant d’organiser la révolution. Il aboutit à la création du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) et du Comité de coordination et d’exécution (CCE). Depuis 1955, le FLN a obtenu le ralliement des autres partis nationalistes, sauf celui du Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj. Entre les deux, une lutte fratricide commence. Côté français, l’Assemblée nationale a accordé les "pouvoirs spéciaux" au gouvernement de Guy Mollet. Les effectifs militaires en Algérie sont portés à 400.000 hommes. De nombreux appelés manifestent en province et à Paris en faveur de la paix.
Janvier à octobre 1957 : bataille d'Alger
Suite aux nombreux attentats du FLN, le pouvoir civil donne tous pouvoirs au général Massu, chef de la 10e division de parachutistes, pour traquer les cellules indépendantistes dans la capitale. La loi martiale est déclarée, les arrestations se multiplient, la Casbah est isolée par des barbelés, la torture est utilisée… Le FLN répond par des centaines d’attentats. La "Zone autonome d’Alger" (la structure du FLN dans la ville) est démantelée et ses chefs arrêtés ou éliminés. La victoire militaire est nette, mais les méthodes employées déclenchent une crise de conscience dans l’opinion française.
Mai et juin 1958 : coup d'Etat à Alger et retour de De Gaulle
Alors que Pierre Pfimlin, ouvert à la négociation avec le FLN, doit être nommé président du Conseil à Paris, quatre généraux français lancent un coup d’Etat pour imposer le maintien de l’Algérie française. Les insurgés prennent le contrôle du Gouvernement général d’Alger et constituent un Comité de salut public. La crise entraîne le retour du général de Gaulle, à la retraite depuis douze ans, vu comme le seul apte à sortir la France de l’impasse algérienne. Le 1er juin, il est investi président du Conseil. Le 4, il est accueilli triomphalement par les pieds-noirs à Alger. Au balcon du Gouvernement général, il lance son célèbre "Je vous ai compris !". A Paris, l’Assemblée nationale lui accorde les pleins pouvoirs pour six mois et le charge d’élaborer une nouvelle Constitution.
19 septembre 1958 : naissance du GPRA
Proclamation depuis Le Caire du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), branche gouvernementale du FLN, dirigé par Ferhat Abbas. Il sera reconnu par les pays arabes et le bloc de l’Est. Les premiers pourparlers officiels entre le gouvernement français et le GPRA s’ouvrent à Melun le 25 juin 1960. Ils se soldent par un échec, mais créent un espoir de paix en France.
8 janvier 1961 : référendum sur l'autodétermination
Un scrutin est initié par de Gaulle pour valider le principe de l’autodétermination. Alors que l'annonce en septembre 1959 d'un tel référendum avait poussé les partisans de l'Algérie française à crier à la trahison, le "oui" l’emporte avec 75,25 % des suffrages en métropole et 69,09 % en Algérie.
11 février 1961 : création de l'OAS
L’Organisation de l’armée secrète (OAS), une structure politico-militaire clandestine et pro-Algérie française, voit le jour à Madrid. Le général Raoul Salan est l’un de ses chefs. Parmi ses nombreuses actions terroristes : des tentatives répétées pour assassiner de Gaulle.
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21 avril 1961 : putsch des généraux
Des généraux de l’armée française, menés par Challe, Jouhaud, Salan et Zeller, décident de lancer un putsch contre de Gaulle et pour la sauvegarde de l’Algérie française. Dans la nuit du 21 au 22 avril, les paras du 1er REP s’emparent du Gouvernement général, de l’aérodrome, de l’hôtel de ville et du dépôt d’armes. A Paris, on craint un coup d’Etat militaire. De Gaulle active l’article 16 de la Constitution, qui lui donne les pleins pouvoirs, et dénonce dans une allocution "un quarteron de généraux en retraite". L’essentiel des officiers et les appelés du contingent ne se rallient pas au putsch, qui échoue quelques jours plus tard. Les généraux sont arrêtés ou partent dans la clandestinité.
18 mars 1962 : accords d'Evian
A l’issue de pourparlers secrets avec le GPRA, la conférence d’Evian s’ouvre le 7 mars. Les accords sont conclus onze jours plus tard. Aux concessions du GPRA, par exemple pour l’attribution des permis d’exploitation des hydrocarbures du Sahara à des sociétés françaises, répond l’engagement français d’une aide économique et financière à l’Algérie indépendante. Mais des 93 pages du document, on retient surtout le cessez-le-feu déclaré dès le lendemain. Les accords d’Evian sont approuvés par référendum en métropole le 8 avril (90,81 % de oui) puis en Algérie le 1er juillet (99,7 %). Mais ils ne signifient pas la fin de la guerre…
23 mars 1962 : bataille de Bab El Oued
A Alger, la bataille de Bab El Oued et la fusillade de la rue d’Isly opposent l’armée française aux partisans de l’Algérie française, faisant des dizaines de morts. De nombreux autres épisodes de violences ont lieu dans les mois qui suivent, malgré le cessez-le-feu : exactions contre les pieds-noirs, massacres des harkis, poursuite des actions de l’Organisation armée secrète…
5 juillet 1962 : indépendance de l'Algérie
Le pays proclame son indépendance. Le GPRA arrive à Alger. L’exode massif des pieds-noirs se poursuit (environ 800.000 en 1962). Le bilan de la guerre, incertain, serait de près de 500.000 morts (près de 400.000 Algériens musulmans, 30.000 militaires français, 4.000 Européens d’Algérie, 15.000 à 30.000 harkis).
S'il ne rejette pas la terminologie de «colonie de peuplement», l'historien français Benjamin Stora exclut l'idée d'une stratégie délibérée: «il n'y avait pas de pensée élaborée de substitution de la population», «ce n'était pas une politique de remplacement». (AFP)
En particulier, les 70 premières années qui suivirent le débarquement en 1830 des troupes françaises en Algérie furent marquées par des tueries massives, dont les sinistres «enfumades»
A partir de 1840, alors que la France affronte une grave crise économique, «le gouvernement opte pour la colonisation totale de l'Algérie et son peuplement par le "surplus de population française"», explique un historien
TUNIS: Un enjeu de peuplement, dont la mise en oeuvre s'est faite au prix de massacres, était au coeur de la conquête française au 19ème siècle de l'Algérie, qui célèbre mardi son 60ème anniversaire d'indépendance, selon des historiens.
En particulier, les 70 premières années qui suivirent le débarquement en 1830 des troupes françaises en Algérie furent marquées par des tueries massives, dont les sinistres "enfumades", et par le déplacement forcé de centaines de milliers d'autochtones.
"Au départ, ce fut une logique de remplacement nommée alors +refoulement des Arabes+, puis une logique d'exploitation et de spoliation des terres", explique Olivier Le Cour Grandmaison, spécialiste français de l'histoire coloniale.
"Il s'agissait d'une politique de remplacement d'un peuple par un autre", abonde son confrère algérien Hosni Kitouni, chercheur à l'université britannique d'Exeter. "Ce fut fondamentalement une politique de remplacement. Une politique de peuplement".
S'il ne rejette pas la terminologie de "colonie de peuplement", l'historien français Benjamin Stora exclut l'idée d'une stratégie délibérée: "il n'y avait pas de pensée élaborée de substitution de la population", "ce n'était pas une politique de remplacement".
C'était plutôt "semblable à la politique expérimentée dans l'ouest américain. On installe des colons pour prendre le pays. Il n'y a pas de stratégie. C'est une colonie de peuplement progressive, par addition de populations arrivant dans le désordre", dit-il.
«Enfumades»
"La conquête de l'Algérie a été terrible. Elle s'est faite dans la violence", confirme M. Stora. En Algérie, "l'armée d'Afrique reprend (la technique) des +colonnes infernales+ utilisées contre les Vendéens, au début de la Révolution française... On massacre des populations et on les déplace".
C'est le cas à Blida, près d'Alger, où en novembre 1830, "plus de six cents femmes, enfants, vieillards sont passés par les armes", rappelle l'historien Kitouni.
A partir de 1840, alors que la France affronte une grave crise économique, "le gouvernement opte pour la colonisation totale de l'Algérie et son peuplement par le +surplus de population française+", explique-t-il.
Selon M. Kitouni, entre 1830 et 1930, l'administration coloniale s'empare de 14 millions d'hectares dont une partie sont cédés gracieusement à des migrants européens, qui passeront de 7 000 en 1836 à 881 000 en 1931.
Ce qui a été appelé "+pacification+ de l'Algérie débute véritablement avec la nomination du général Bugeaud au poste de gouverneur général en 1840", précise M. Grandmaison.
C'est une période de "guerre totale", dit l'historien, où disparaît "la distinction entre civils et militaires et entre champs de bataille et sanctuaires", profanés même lorsque s'y réfugient des civils.
Les troupes coloniales inventent "l'enfumade". Deux ont été particulièrement documentées par les historiens: celle des Sbéhas (11 juin 1844) et celle du Dahra (18 juin 1845) avec l'extermination de tribus entières réfugiées dans des grottes et asphyxiées par des feux allumés sur ordre de généraux français, raconte Mansour Kedidir, du Centre de recherche Crasc d'Oran.
Ces épisodes relèvent du "terrorisme d'Etat: l'objectif était de massacrer pour faire un exemple et mieux soumettre les +indigènes+", explique M. Grandmaison, dénonçant "un crime contre l'humanité".
Aux enfumades, s'ajoutent, note-t-il, "la destruction de dizaines de villages et la déportation de milliers de civils", sans leur cheptel, vers des terres moins fertiles, entraînant famines et épidémies qui déciment ces populations.
«Dépossession identitaire»
Pour M. Kedidir, il y a eu dans la phase initiale de conquête, "une intention délibérée d'éradication, du moins de réduire la population (locale) pour qu'elle ne puisse plus présenter un danger pour l'armée d'occupation".
En 1880, le démographe français René Ricoux calculait que "la population +indigène+ a baissé d'environ 875 000 personnes entre 1830 et 1872".
Malgré cela, le nombre d'Algériens recommencera ensuite à progresser, parvenant même à doubler entre 1906 et 1948 pour atteindre 9 millions d'habitants.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a évoqué en octobre 2021 un bilan de "5,630 millions de morts algériens entre 1830 et 1962", soit une majorité de victimes pendant la conquête puisque la guerre d'indépendance aurait fait 3 à 400 000 morts algériens, selon les historiens français et 1,5 million selon les Algériens.
Au-delà de chiffres qui font encore l'objet de débats, "le plus important dans la conquête coloniale, c'était la dépossession identitaire", estime M. Stora.
"Quand on prenait la terre de quelqu'un, on lui faisait perdre son nom qui était lié à la terre", dit-il.
Après trois jours et trois nuits de combat du 23 au 26 septembre1845, l’Émir Abd El-Kader inflige une défaite militaire cuisante aux Français à Sidi Brahim
« Les chasseurs d’Orléans se font tuer mais ne se rendent jamais«
Bien que les troupes françaises colonisent l’Algérie depuis quinze ans, la conquête militaire en 1845 est loin d’être acquise. L’âme de la résistance s’appelle alors Abd el-Kader, considéré comme le père de l’indépendance de l’Algérie. Chef politique et religieux, militaire de premier ordre, il a levé une armée de de 10000 fantassins, 2000 cavaliers. Les troupes françaises s’échinent à l’éliminer. En septembre de cette même année, le lieutenant-colonel de Montagnac à la tête d’une colonne de 421 soldats croit cette heure arrivée.
Au terme de trois jours et trois nuits de combats acharnés autour de Sidi-Brahim, un hameau perdu à la frontière marocaine, seulement 16 de ses hommes parviendront, hagards, à regagner leur base. On tient là, avec « Camerone » pour la Légion étrangère, une des plus belles défaites de l’armée française.
Quant au vainqueur, Abd el-Kader, cet implacable ennemi des Français, il héritera quelques années plus tard de la légion d’honneur…
Un chef fougueux et aventureux…
« On voudrait mourir comme cela pour perpétuer l’honneur dans notre armée », commentera à chaud un officier au récit de ces journées tragiques. Quinze jours plus tôt, mi-septembre 1845, le lieutenant-colonel de Montagnac qui tient garnison à Djemaa Ghazaouet (aujourd’hui Ghazaouet) reçoit l’information d’un caïd local selon laquelle Abd el-Kadera franchi la frontière marocaine (derrière laquelle il s’abrite régulièrement) et séjourne dans sa tribu. Une occasion inespérée de mettre la main sur le chef rebelle…
Les renseignements fournis par l’informateur sont en réalité biaisés notamment sur l’importance des effectifs qui accompagnent Abd el-Kader. Par ailleurs, Montagnac a reçu la consigne stricte de sa hiérarchie de ne pas lancer d’opération avec ses effectifs insuffisants. Montagnac, décrit comme « un chef fougueux, violent, aventureux, mais fort courageux », n’en tient pas compte et mord à l’hameçon que le caïd lui a lancé.
Le 21 septembre, à 22 heures, à la tête de cinq compagnies du 8ebataillon de chasseurs d’Orléans (ancêtres des chasseurs alpins), d’un escadron du 2e de hussards (60 cavaliers), et de quatre escouades de carabiniers, soit une troupe de 421 hommes, il se lance à la recherche du camp d’Abd el-Kader afin de « surprendre » ce dernier.
Dans la nuit, après une marche d’une quinzaine de kilomètres, les Français repèrent les feux du camp ennemi, une force alors estimée entre 1000 et 2000 hommes.
10 000 guerriers algériens
Le 23 septembre, à l’aube, laissant une petite partie de ses troupes garder le bivouac et son ravitaillement, Montagnac marche à la rencontre de l’ennemi. Une nouvelle progression pénible d’une demi-douzaine de kilomètres. Les chasseurs à pied peinent à suivre les cavaliers.
La rencontre entre les deux forces adverses a lieu dans la matinée.
Mais en lieu et place des mille à deux mille hommes attendus, c’est sur l’armée au grand complet d’ Abd el-Kader que tombe Montignac. Près de 10 000 guerriers dont 5 000 cavaliers.
A la tête de ses hussards, Montagnac sabre au clair, charge la cavalerie ennemie. Les Français sont très vite submergés et anéantis.
Trois heures de corps à corps
Montignac est mortellement blessé. Il n’est déjà plus question de capturer Abd el-Kader. Les Français luttent désormais pour leur survie. Les hussards massacrés, c’est au tour des chasseurs à pied de recevoir la charge de la cavalerie arabe. Le combat au corps à corps va durer trois heures.
Du bivouac, la 2e compagnie tente de se porter au secours de la colonne encerclée. Elle ne fait pas deux kilomètres avant d’être assaillie à son tour de tous côtés par une nuée de guerriers descendus des crêtes. Son chef est tué, l’officier en second, le capitaine Dutertre blessé, est fait prisonnier.I l n’est pas encore midi ce 23 septembre quand, sur les 421 hommes engagés, il n’en reste plus que 82 !
Péniblement, les survivants parviennent à se réfugier au marabout de Sidi-Brahim, situé à 1 km du bivouac. Soit une petite enceinte où sont plantés deux figuiers entourés d’un mur de pierre. Durant trois jours les rescapés, sans vivres, sans eau, vont soutenir le siège et les assauts de l’armée d’ Abd el-Kader. Pour tenir, la troupe boit sa propre urine, celle des quelques chevaux encore présents. Pour faire « passer », on la coupe avec quelques gouttes d’absinthe. On coupe aussi les cartouches en deux, puis en quatre, pour avoir plus de coups de fusil à tirer.
« Merde à Abd el-Kader ! »
Pour en terminer et épargner la vie ses hommes, Abd el-Kader tente de négocier. Selon les usages de l’époque. Ainsi fait-il avancer l’officier Dutertre à qui il promet de trancher la tête s’il ne lance pas un appel à la reddition.Dutertre exhorte au contraire ses camarades à résister « jusqu’ à la mort ». C’est son dernier cri, sa tête roule aussitôt dans la rocaille.
Le clairon Rolland frise de connaître le même sort. Egalement prisonnier, on lui intime de sonner la retraite pour décourager les derniers combattants. Au péril de sa vie, il sonne alors la charge. Finalement épargné, il parviendra à s’évader quelques mois plus tard.
Evoquons encore le capitaine de Géraux qui organise la résistance dans le réduit et qui invite à se rendre, répond en écho à Cambrone à Waterloo : « Merde à Abd el-Kader, les chasseurs d’Orléans se font tuer mais ne se rendent jamais« .Le siège du marabout se poursuit ainsi les 24 et 25 septembre.
Côté assaillants, on sait que faute de vivres et surtout d’eau, la résistance ne peut pas s’éterniser. On attend donc que celle-ci s’épuise. Les assiégés caressent eux l’espoir, durant ces deux journées du 24 et du 25 septembre, qu’on va se porter à leur secours. Ce qui ne se produit pas. A l’aube du 26 septembre, à bout de force et dans l’impasse, les 82 survivants s’élancent à 6 heures du matin, baïonnette au canon, et dans une charge furieuse, parviennent à briser l’encerclement.
Leur espoir ? Rallier leur garnison de Djemaa Ghazaouet située à 15 km.S’engage alors une marche dantesque pour la petite troupe à demi-morte de soif et composée de nombreux éclopés. Les 82 soldats vont parcourir les 15 km en formation « au carré » afin de résister au attaques de l’ennemi qui surgit de tous côtés.
Passé l’effet de surprise, en effet, les forces d’Abd el-Kader qui s’étaient éparpillées en attendant la chute du marabout rappliquent en hâte pour participer à l’ultime curée.
Kilomètre après kilomètre, vaille que vaille, en dépit des nouveaux morts, des nouveaux blessés, « le carré » tient. Il parvient jusqu’à l’extrémité du plateau de Tient. A deux kilomètres seulement à vol d’oiseau de la garnison.
11 survivants
Ne reste plus qu’un profond ravin à franchir. Au bas duquel coule un ruisseau, l’oued El Mersa. Mais alors, la tentation est irrésistible. Le carré se disloque et les hommes s’y précipitent pour boire. Avec comme conséquence immédiate, celle d’un nouvel et ultime assaut.
S’en suit un corps à corps désespéré. Il n’y a plus de munitions. On s’étripe à l’arme blanche : sabre contre poignard ou baïonnette. 15 chasseurs et un hussard parmi les 80 échappés le matin de Sidi-Brahim parviendront à rallier le camp. 5 de ces 16 rescapés décèdent de leurs blessures dans les heures, les jours qui suivent. Onze survivants donc sur un effectif initial de quelque quatre cent hommes partis moins d’une semaine plus tôt capturer Abd el-Kader.
Parmi eux, pas un officier, pas un sous-officier n’ a survécu. Hélas pour Abd el-Kader, il ne transforme pas l’essai. Au terme de quinze ans de guérilla, il est finalement contraint de se rendre en 1847.
Reconnaissance internationale
D’abord emprisonné en France, il est finalement gracié par Louis Napoléon Bonaparte suite à une campagne menée dans l’opinion publique française et notamment par Victor Hugo. Puis le nouvel empereur des Français, Napoléon III, le dote d’une pension de 100 000 francs.Abd el-Kader part vivre en Syrie où il mène l’existence d’un intellectuel se consacrant à la théologie, à la philosophie.
En juillet 1860, de violentes émeutes anti-chrétiennes éclatent en Syrie. Les Druzes y massacrent plus de 3000 chrétiens à Damas. Abd el-Kader, dont l’autorité morale est grande à Damas, s’interpose et place les chrétiens de la ville sous sa protection personnelle. Son intervention, parfaitement efficace, sauve ainsi la vie de milliers de chrétiens. Un geste qui connaît un retentissement international.
D’Amérique, Abraham Lincoln lui envoie une paire de revolvers incrustés d’or. De Buckingham, les Britanniques, un fusil précieux. Le Vatican le décore de l’ordre de Pie XI, etc.
En France, à l’implacable ennemi d’hier, « aux mains tachées du sang des héros de Sidi-Brahim », l’on décerne la plus haute distinction. Il est fait Grand-croix de la légion d’honneur ! Abd el-Kader meurt à Damas en 1883, ses cendres reposent aujourd’hui au cimetière d’El Alia à Alger où – à quelques exceptions près – il est considéré comme le héros national. Les ossements des soldats français tombés à Sidi-Brahim ont été rassemblés au « tombeau des braves » au château de Vincennes à Paris.
TIPASA - La tribu des Beni Menacer a constitué l'un des premiers maillons de la résistance populaire algérienne contre l’occupant français, en sacrifiant sur l’autel de la liberté ses meilleurs fils. Parmi eux Mohamed Ben L’hadj, l’un des chouhada de la résistance populaire, tombé au champ d’honneur à la fleur d’âge, dont le crane figure parmi les 24 rapatriés par l’Algérie, à partir de la France.
Le fief de la tribu des Beni Menacer s’étendait jadis de l’est de Motaganem, en allant vers Beni Haoua, et Chlef, à l’Ouest, puis Miliana et le nord de Médéa, au Sud, Cherchell au Nord, et l’ouest d’Alger à l’Est.
"La tribu des Beni Menacer faisait figure de locomotive de la résistance populaire, en menant la révolte à la tête des grandes familles de la région, à partir de la Zaouia "Sidi Mhamed Aberkane", un véritable centre de rayonnement religieux, géré à l’époque par la famille des Brakna (Aberkane)", a indiqué à l’APS, DR Hassane Mekdouri, professeur en histoire et chercheur.
Avant l’occupation française, le niveau d’organisation de cette tribu était tel qu’elle constituait une sorte de "Fédération" des Beni Menacer, représentée, selon les historiens, par une "force militaire" englobant les tribus de la Dahra, de l’Ouarsenis, de la plaine de Chlef, la Mitidja, et Tissemssilt, en charge de la protection de la partie Est d’Alger, appelée Dar Essoltane, sous la régence Ottomane, a-t-il ajouté.
Menée par M’hamed Ben Aissa El Barkani, la tribu des Beni Menacer a rejoint la résistance populaire, dés les débuts de l’occupation française, soit 1932, en s’alliant à l’Emir Abdelkader, auquel elle prêta allégeance, à la mosquée "100 Arssa" (ou 100 colonnes) de la ville de Cherchell. Elle constitua de ce fait l’un des plus solides soutiens de l’Emir Abdelkader, en "freinant sérieusement" l’expansionnisme colonial, dans l’ouest du pays, durant les années 30 et 40 du siècle dernier, selon les historiens.
"Cette force de résistance de la tribu et son esprit combatif "s’explique selon le chercheur en histoire Dr Mekdouri, par la "jeunesse et bravoure de ses éléments, à l’image du jeune Chahid Mohamed Ben L’hadj, dont le crâne a été rapatrié par l’Algérie".
Après cette allégeance à l’Emir Abdelkader, ce dernier désigna Mhamed Aissa El Barkani "Khalif" de la région du Tell (Titeri) soit Médéa et ses environs, avant d’élargir ses prérogatives jusqu’à la région du Sahel, soit Cherchell. Tandis qu’Allal Ould Mbarek (issu de Koléa) fut désigné "Khalif" de Miliana.
La force de résistance des Beni Menacer était telle que le colonialisme français n’a jamais pu franchir ses frontières géographiques jusqu’à 1934. Ce qui constitua l’un des facteurs à l’origine de la conclusion du "traité Desmichels", un traité de paix par lequel le général Desmichels, gouverneur d'Oran, reconnaît la souveraineté de l’Emir à Abdelkader sur l’Etat national de l’époque. Le traité fut, néanmoins, transgressé par la France coloniale, par l’entremise du Duc d’Orléans, qui mena une attaque à l’est d’Alger, à laquelle la tribu des Beni Menacer fit face.
Poursuivant son offensive, la France coloniale réussi à prendre Cherchell en mai 1840, mais la résistance des Beni Menacer n’a pas fléchi pour autant, en menant plusieurs attaques contre l’ennemi, dont la plus importante fut celle du 19 mai. Une bataille menée à Cherchell, durant six jours contre la France, et dont la férocité a contraint les militaires français à qualifier les Beni Menacer de "véritable épine" qui leur est "restée en travers de la gorge".
La bataille de Zekkar, un autre maillon de l’histoire de la résistance populaire
Selon les historiens, la bataille du Djebel (mont) Zekkar (juillet 1842) à Miliana, restera dans les annales de l’histoire de la résistance populaire parmi les plus cuisantes leçons infligées à la France coloniale par la tribu des Beni Menacer, qui a dressé une embuscade à un régiment de 500 militaires français, menés par l’officier "Besson", gouverneur de Miliana.
Malgré la chute de l'Emir Abdelkader, les Beni Menacer ne se sont pas avoués vaincus face aux assauts de la France, en 1943, tant et si bien qu’ils faillirent tenir en échec le général Bugeaud, Gouverneur général de l'Algérie, tombé dans une embuscade lors d’une importante campagne, avant de se retirer à Cherchell, selon les historiens.
Après deux mois de siège et de combats acharnés, les militaires français franchirent les monts Menacer le 25 février 1943. Ils arrêtèrent un nombre de chefs de tribus, mais ils rencontrèrent une forte résistance en arrivant à la Zaouia "El Berkani", dont les vaillants défenseurs ont tué 14 militaires français.
Après la prise de ce dernier bastion des Beni Menacer, les autorités coloniales décidèrent la déportation des membres de la famille El Berkani et des éléments de la résistance vers l’ile Sainte-Marguerite, du sud de la France.
Malek El Berkani, un second souffle pour la résistance
En dépit de "la politique de pacification" à la française, basée sur l’appauvrissement des populations, le déni de leur identité et la politique d’évangélisation, tout en détruisant les mosquées et les Zaouias, l’esprit de la résistance populaire demeura en veilleuse chez la population durant 40 ans, avant de renaître totalement avec le retour de Malek El Berkani (neveu de M’hamed Ben Aissa El Bekani), de France, en 1871, après 14 ans d’exil.
Précédée de la bonne réputation de sa famille, il n’eut aucun mal à lier contact avec des notables et familles de la région (du centre du Ténés, jusqu’à Dahra), pour tenir une réunion, le 14 juillet 1871 à la place de Souk el Had, du centre ville de Menacer, à l’issue de laquelle fut décidée la prise des armes pour mener la résistance.
C'est ainsi qu'une série d’attaques fut menée contre les intérêts français et des sites militaires à Beni Haoua, Beni Milek, Sidi Amar, Sidi Ghiles, Damous, Cherchell, Hammam Righa, et Ain Beniane (ouest d’Alger). Ces attaques ont fait 120 morts dans les rangs français, jusqu’au 25 juillet de la même année, indiquent les historiens.
Outre ses qualités militaires, Malek El Berkani était, également, un fin diplomate. Il envoya une correspondance à la reine de Grande Bretagne lui demandant une aide, en armes, pour combattre le colonialisme.
Il mena, également, de nombreuses batailles à Sidi Semaine, Sidi Ghiles, et El Anasser, dans la région de Bouharb (Manacer), jusqu’à sa mort au champ d’honneur le 2 août 1971, dans une bataille dans la région de Lakouass à Sidi Maàmar.
Les vaillants hommes de Beni Menacer ont transporté sa dépouille jusqu’à la Zaouia de ses ancêtres, ou il fut enterré avec tous les honneurs dus à son rang, au grand dam des autorités coloniales de l’époque, qui ont tenté (en vain) de récupérer son corps, pour couper sa tête et la transporter, en France pour l’exposer au musée de l’Homme, comme ce fut le cas avec de nombreux héros de la résistance nationale.
« La Ligue de l'enseignement avait à l'époque refusé la diffusion du film avec cette appréciation “ Quoique très correctement réalisé et basé sur des documents indiscutables, ce film va à l'encontre des idées servant de base à l'enseignement de la pénétration française en Afrique du Nord ” ». René Vautier, à propos de « l'endoctrinement mis au service d'une idée politique, ici le colonialisme ».
« La Ligue de l'enseignement avait à l'époque refusé la diffusion du film avec cette appréciation “ Quoique très correctement réalisé et basé sur des documents indiscutables, ce film va à l'encontre des idées servant de base à l'enseignement de la pénétration française en Afrique du Nord ” ». René Vautier, à propos de « l'endoctrinement mis au service d'une idée politique, ici le colonialisme ».
Université d'Evry-Val d'Essonne, sciences politiques et philosophie politique
Louis Aliot, dirigeant bien connu du Rassemblement national et maire de Perpignan, a décidé de soutenir politiquement et financièrement la 43ème réunion hexagonale du Cercle algérianiste qui se tiendra au Palais des congrès de cette ville, du 24 au 26 juin 2022. Au menu : apologie de la colonisation, révisionnisme historique et glorification des généraux qui, pour défendre l’Algérie française, ont pris les armes contre la République, le 21 avril 1961.
Il a décidé de soutenir financièrement, à hauteur de 100 000 euros, la 43ème réunion hexagonale du Cercle algérianiste (1), et d’accueillir ses membres et les participants au Palais des congrès de cette ville, du 24 au 26 juin 2022. Il se confirme que la loi scélérate du 23 février 2005, jamais abrogée faut-il le rappeler, qui établit une interprétation officielle et apologétique de la colonisation française en Algérie et dans le reste de l’empire, n’était pas l’épilogue d’une entreprise de réhabilitation de ce passé mais le prologue bien plutôt. Le discours du candidat Nicolas Sarkozy affirmant, à la veille des élections présidentielles de 2007, que le « rêve de la colonisation » n’était pas un « rêve de conquête » mais « un rêve de civilisation », celui de François Fillon quelques années plus tard et, plus généralement, les positions de la direction des Républicains en témoignent. Fustigeant une prétendue « repentance » et vantant les aspects supposément « positifs » de la colonisation de l’Algérie, les responsabilités de ces derniers sont majeures, établies et accablantes (2). De même celles de certains intellectuels, chroniqueurs et bateleurs médiatiques qui, au nom de la lutte contre « la pensée unique » hier, contre le « décolonialisme » aujourd’hui, redécouvrent les « beautés » de la colonisation aux couleurs de la France.
N’oublions pas l’un des pionniers de cette réhabilitation, A. Finkielkraut, qui déclarait doctement que l’entreprise coloniale « avait aussi pour but d’éduquer » et « d’apporter la civilisation aux sauvages. » (Haaretz, 18 novembre 2005). Indigne philosophe et vrai idéologue qui, sur ce sujet entre autres, débite des opinions rebattues en les prenant pour de fortes pensées. A l’instar des personnalités politiques précitées, il ressasse les trivialités mensongères de Malet et Isaac, ces historiens officiels qui, de l’entre-deux-guerres au début des années soixante, n’ont cessé de contribuer à l’élaboration et à la diffusion de la mythologie impériale-républicaine ; celle-là même qui, depuis plus d’une décennie, est désormais reprise par les différentes forces que l’on sait à des fins partisanes et électoralistes. En ces matières, les uns et les autres ne sont que les piteux ventriloques de discours élaborés par les élites politiques – mention spéciale à Jules Ferry, cet ardent promoteur de l’empire et du racisme élitaire de saison – et académiques de la Troisième République pour légitimer « la course à l’Afrique » et les guerres de conquête menées en Cochinchine et à Madagascar.
Sur ces sujets en particulier, il y a longtemps que le prétendu « front républicain » a disparu au profit de convergences et de compromissions toujours plus graves et toujours plus assumées avec l’extrême-droite, les partisans de l’Algérie française et les soutiens des généraux putschistes. Dans ce contexte, auquel s’ajoute la spectaculaire progression politique du Rassemblement national, sinistrement confirmée par les résultats des élections présidentielles et législatives qui viennent d’avoir lieu, la tenue du Congrès du Cercle algérianiste dans la ville de Perpignan ne saurait surprendre. Le soutien apporté par le maire à cette initiative est parfaitement conforme aux orientations défendues depuis toujours par le Front national et le Rassemblement qui lui a succédé. Apologie de la colonisation, révisionnisme historique, mensonges par omission, minorisation et dénégation des massacres, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les armées françaises entre 1830 et le 19 mars 1962, tels sont quelques-uns des piliers idéologiques de cette extrême-droite qui demeure fidèle à ses traditions.
Il faut y ajouter la glorification des généraux qui, pour défendre l’Algérie française, ont pris les armes contre la République, le 21 avril 1961. En élevant « au rang de citoyens d’honneur de la ville des représentants des familles d’Hélie Denoix de Saint-Marc, des généraux Edmond Jouhaux et André Zeller… (3) », Louis Aliot persévère dans cette voie, ce qui jette une lumière pour le moins singulière sur la conversion des dirigeants du RN aux « valeurs républicaines ». Commandant par intérim du 1er régiment étranger de parachutistes, Denoix de Saint-Marc a joué un rôle de premier plan lors de la tentative de coup d’Etat à Alger, ce qui lui a valu d’être condamné à dix ans de réclusion criminelle par le Haut tribunal militaire. Ayant réussi à s’échapper, Jouhaud a poursuivi son combat au sein de l’organisation terroriste, OAS, laquelle est responsable de l’assassinat de 2360 personnes, auxquelles s’ajoutent 5419 blessés, majoritairement algériens (4). Arrêté le 24 mars 1962, Jouhaud est condamné à mort puis gracié par le général de Gaulle, et sa peine commuée en détention à perpétuité. Zeller, qui a rejoint le « quarteron de généraux » putschistes, écope lui de quinze ans d’emprisonnement. Signalons enfin que le programme officiel des journées perpignanaises du Cercle algérianiste prévoit que l’ancien membre d’un commando de l’OAS à Oran, Gérard Rosenzweig, impliqué dans plusieurs attentats, remette le « Prix universitaire algérianiste » en tant que président du jury. Tels sont quelques-uns des multiples honneurs qui seront rendus à des hommes, anciens criminels lourdement condamnés par la justice, décédés ou vivants, dont le point commun est d’avoir défendu l’Algérie française, par tous les moyens, y compris les pires.
Un scandale, assurément. Nonobstant l’initiative locale et courageuse du « Collectif 66 pour une histoire franco-algérienne non falsifiée », ce scandale ne semble pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, susciter l’indignation et la mobilisation nationales que l’on serait en droit d’attendre des gauches partisanes, syndicales et associatives pour s’opposer à cette nouvelle offensive de l’extrême-droite. Non seulement, cette dernière ne désarme pas mais, plus grave encore, elle se sent pousser des ailes en raison de la conjoncture politique que l’on sait. Une telle situation devrait obliger celles et ceux qui ne se résignent pas à cette progression, jusqu’à présent irrésistible, et à ses conséquences depuis longtemps désastreuses sur tous les plans. Eu égard à l’importance politique et stratégique que le RN accorde à ce 43ème Congrès du Cercle algérianiste, une riposte d’ampleur s’impose. Organisons-là lors des prochaines commémorations des massacres du 17 octobre 1961 en en faisant une initiative unitaire, anticoloniale et antiraciste, pour la vérité historique, la justice et la reconnaissance des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie et dans les autres territoires de l’empire.
Le Cour Grandmaison, universitaire. Derniers ouvrages parus : « Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019 et avec O. Slaouti (dirs), Racismes de France, La Découverte, 2020.
(1) Créé le 1er novembre 1973 pour réhabiliter les combats des partisans de l’Algérie française et la colonisation de ce territoire, ce Cercle, qui se présente comme une « association culturelle des Français d’Afrique du Nord », n’a cessé de rendre hommage aux anciens terroristes de l’OAS et aux généraux putschistes, entre autres.
(2) Avec la finesse qui le caractérise, L. Wauquiez livre aux Français ébahis cette analyse dont la profondeur et la rigueur laissent pantois : « Ajoutez (…) une repentance systématique et vous comprendrez pourquoi des jeunes issus de [ l’] école en viennent à prendre les armes contre leur propre pays. » Le Figaro, 14 février 2016.
(3) Cf., le programme : 43ÈME CONGRES NATIONAL DU CERCLE ...
(4) Y. Benot, « La décolonisation de l’Afrique française (1943-1962) », in Le Livre noir du colonialisme, XVIe-XXIe siècle. De l’extermination à la repentance, sous la dir. de L. Ferro, Paris, R. Laffont, 2003, pp. 517-556.
La conquête. Comment les Français ont pris possession de l'Algérie 1830-1848
En revenant sur les débuts de la colonisation algérienne, Colette Zytnicki nous permet de comprendre comment la France, pourtant mal préparée, a pris pied dans ce territoire complexe.
Il y a plus d’un an, Benjamin Stora publiait un rapport consacré à la colonisation et à la guerre d’Algérie. Les polémiques l’entourant ont montré que les relations entre la France et l’Algérie sont encore imprégnées par le passé colonial. À travers cet ouvrage, Colette Zytnicki, professeure émérite à l’Université de Toulouse et spécialiste de l’Algérie coloniale, propose de revenir à la genèse de cette histoire pour mieux comprendre comment, dès la conquête, les relations entre les deux pays sont marquées par l’incompréhension et la violence.
Une conquête imparfaite
En juillet 1830, les Français débarquent à Alger, chef-lieu de la Régence, alors sous domination ottomane. Dix-huit ans plus tard, l’Algérie est colonisée et divisée en trois départements français. Toutefois, prévient l’autrice, « il ne faut voir dans cette conquête aucun plan préétabli ». Pour expliquer ces contradictions, les sources utilisées sont multiples : rapports officiels, correspondances publiques et privées, récits et témoignages, mais aussi une bibliographie riche qui ne se limite pas à l’historiographie française.
L’autrice montre ainsi que si les projets de conquête de l’autre rive de la Méditerranée remontent à plusieurs décennies, les tensions croissantes entre France et Régence, au sujet notamment du paiement d’arriérés financiers et de la piraterie, rendent l’invasion latente. Le casus belli est provoqué en avril 1827 par le fameux « coup d’éventail » du Dey d’Alger contre le consul de France, dont la réalité est à nuancer mais le prétexte tout trouvé. Trois ans plus tard, les troupes françaises arrivent à Alger.
Les Français trouvent alors une organisation mise en place par les Ottomans dès le XVIe siècle qui voit un pouvoir central représenté à Alger par le Dey, soutenu dans les provinces par trois Beys, siégeant à Constantine, Médéa et Oran. S’y superpose un système complexe de cantons, de tribus, de villes moyennes plus ou moins intégrées et d’un pouvoir religieux omniprésent. Au milieu du XIXe siècle, la Régence a acquis une grande autonomie, si bien que des sociétés urbaines et des élites lettrées coexistent avec des mondes ruraux disparates, des tribus nomades au sud et des grands propriétaires au nord. Bref, « ce système politique […] a le plus souvent été mal compris, voire caricaturé par les occidentaux. Peu d’entre eux ont pu pénétrer dans les arcanes du pouvoir ».
« L’expédition de juillet 1830 fut-elle préparée ? » s’interroge tout au long du livre l’autrice : officiellement, la mission est double, « mettre fin à la piraterie et venger les affronts ». Mais, dès le départ, « l’idée coloniale est un horizon possible » tant l’objectif est annoncé : « civiliser et mettre en valeur ». L’expédition de 1830 se prépare dans un contexte complexe et, très rapidement, les Français se rendent maîtres d’Alger ; le Dey impose la capitulation le 5 juillet. Dans le reste du pays, la conquête, mal préparée, peine à avancer : l’administration est en désordre, pouvoirs militaires et civils n’arrivent pas à s’entendre, la résistance se met en place dans tout le pays. La région côtière est la première à être soumise : Constantine est prise en 1837, avec le ralliement des élites locales.
Après des années de guerre, cette reddition marque « un tournant dans l’histoire de la conquête de l’Algérie par les Français. Elle accentue la désorganisation politique et ne clôt pas la résistance ». À l’Ouest, l’émir Abd El Kader, devenu héros de la lutte nationale algérienne, mène une résistance longue et forte, en ralliant à lui de nombreuses tribus. En face, l’armée française du maréchal Bugeaud apparaît mal organisée, mal armée dans un terrain hostile, où les maladies sont nombreuses. Après des années de conflit et d’exactions de part et d’autre, Abd El Kader se rend en 1847 : l’année suivante, la conquête est officiellement terminée et s’ouvre pour la France le temps de l’occupation coloniale. Dans la période suivante, c’est une guerre totale qui est menée : « la défense de la République va de pair avec la conquête sans état d’âme de l’Algérie et le recours à la violence extrême », souligne l’autrice.
De l’occupation à la colonisation. L’impréparation coloniale
Dès la conquête d’Alger, « l’occupation [...] ne se contenta pas de détruire l’ordre politique, elle crée une énorme gabegie » : elle est en effet marquée par des tâtonnements et des conflits internes nombreux. Après plusieurs années d’hésitations, la France choisit de faire revivre un empire colonial démantelé par la Révolution française : la France devient métropole et l’Algérie une colonie de peuplement. La préparation d’un tel plan paraît contradictoire : d’un côté, l’autrice précise bien que « la perspective d’une colonisation de l’Algérie est bien dans l’air du temps avant 1830 à qui veut y prêter attention » ; mais d’un autre côté, elle décrit des pouvoirs politiques et militaires concurrents, une administration floue et des populations métropolitaines peu préparées à l’aventure coloniale. La Régence n’existe plus en 1835, le territoire devient « possession française dans le nord de l’Afrique », avant de prendre le nom d’Algérie en 1839, alors que territoire soumis reste incomplet et que les troupes d’Abd El Kader menacent Alger.
Les premiers projets d’occupation remontent en fait à 1831, études à l’appui, mais les désaccords sur la forme que doit prendre la colonisation font long feu et durent en fait près de deux décennies. Alger est rapidement réorganisée, les campagnes soumises font également l’objet d’une colonisation active. Dans les villes, les transformations urbaines sont à l’œuvre, sur le modèle occidental, d’abord à Alger, puis à Oran, Constantine, Philippeville et Bône : des nouvelles artères sont percées et des écoles inaugurées dans les quartiers des colons. Dès le départ, les populations sont séparées.
Avec la départementalisation de 1848, chaque commune dispose désormais d’une mairie et la vie politique se calque sur le modèle républicain de la métropole. Dans le monde rural, les territoires agricoles sont occupés et proposés à des colons français. De fait, les populations sont déplacées, déstructurant les logiques démographiques, sociales et économiques existantes, nourrissant ensuite la résistance à l’occupant. Ce vaste mouvement de spoliation renforce des difficultés déjà fortes dans l’agriculture, qui connaît régulièrement des invasions de sauterelles ou la sécheresse. En 1841, un texte fixe le cadre à ce mouvement : une « colonisation officielle étatique reposant sur la concession gratuite de parcelles rurales et urbaines qui doivent être mises en culture et bâties par les colons ».
Dans chacun de ces espaces, la colonisation entraîne donc une mise à l’écart des populations locales et donne naissance à de nombreux ressentiments : entre ces populations, aucune conciliation ne semble possible, expliquant alors comment cette colonisation, imposée d’en haut, préfigure les rancœurs entre les deux nations. L’autrice le souligne ainsi : « la volonté de résistance se fait jour dès le premier moment de la conquête ». Présente partout, cette hostilité à l’occupation ne se limite pas à la figure d’Abd El Kader, resté dans la mémoire algérienne mais se conçoit dans un mouvement plus large.
France-Algérie : « la blessure » coloniale
En fait, les liens entre les deux pays sont très anciens, et doivent être analysés au-delà de la relation de domination. Dès le Moyen-Âge, les relations commerciales sont intenses de part et d’autre de la Méditerranée : blé, fournitures, esclaves naviguent d’une rive à l’autre, notamment entre Alger et Marseille. En Europe, les élites économiques et politiques développent alors une vision stéréotypée et la question civilisationnelle est très présente dès les premiers projets de conquête. En réalité, malgré les voyages et le commerce, ces deux mondes savent peu de choses l’un sur l’autre : ainsi, la conquête puis la colonisation contribuent à figer les images réciproques de Français guerriers et exploiteurs d’un côté, d’arabes à civiliser et à mater de l’autre. Aujourd’hui encore, « de part et d’autre de la Méditerranée, l’histoire de la période coloniale continue d’être plus qu’un enjeu mémoriel, c’est une blessure à vif qui n’a jamais vraiment cicatrisé ».
Du côté algérien, le choc et la violence de la conquête, puis l’imposition de nouvelles structures politiques ségrégatives (ajoutées au « choc des transformations urbanistiques ») entraînent la fuite d’une partie de la population d’Alger réfugiée dans les campagnes. La capitale se dépeuple, les tensions entre les musulmans et les juifs sont fortes, des lieux de cultes sont profanés... Jamais, au cours de cette période, les populations locales ne sont intégrées au projet colonial, les « indigènes musulmans » sont exclus des écoles et des administrations. Ailleurs, le mouvement d’appropriation foncière pèse lourd dans les relations : « les bases de la société rurale algérienne sont lourdement ébranlées ».
Côté Français, c’est une grande déception pour les colons : une « expérience doublement terrible car elle repose sur des terres prises aux habitants et que les nouveaux occupants, logés dans des camps de toile ou des baraques en bois, dénués de tout, y meurent en masse et partent dès qu’ils le peuvent ». Les nouveaux venus, fuyant souvent la misère en métropole, se trouvent plongés dans l’inconnu et peinent à s’intégrer et à faire fructifier les terres mises à leur disposition.
En métropole aussi, l’écho de la conquête retentit fortement : les défaites sont lourdement jugées à Paris et les exactions choquent l’opinion publique. Ainsi, à la chambre, les débats sont nombreux sur la question algérienne. À l’inverse, le pouvoir orléaniste met en scène la colonisation en faisant appel à des artistes œuvrant à la glorification militaire française pour nourrir l’imaginaire colonial et la curiosité. Les géographes, les artistes et les écrivains sont nombreux à faire le voyage, donnant naissance à un courant arabophile très dynamique où se mêlent volonté de domination, souci utilitariste et véritable attrait culturel : « avec la conquête de l’Algérie, c’est tout l’Orient qui se rapproche d’un coup ou presque de l’Europe ».
À Paris, c’est d’abord la mission civilisatrice qui est mise en avant, portée notamment par le saint-simonisme et les socialistes qui voient dans l’Algérie un laboratoire idéal d’expérimentations sociales et prônent l’alliance avec les élites locales. Mais force est de constater que, dans les faits, « semet en place un système politique où la pratique du terrain amène à bafouer sans arrêt les intentions civilisatrices proclamées » et où l’idéal d’un monde nouveau paraît bien utopique.
Dans les années 1840, sur ce vaste territoire, la guerre est omniprésente dans les esprits, « creusant le traumatisme causé par la conquête et accroissant le ressentiment et le rejet des envahisseurs » (traumatisme qui dure pendant le siècle et demi de la colonisation). L’autrice le rappelle : « tout n’est pas dit en 1848, mais les bases d’un système politique et social profondément et structurellement inégalitaire sont posées ».
En somme, c’est bien la genèse d’une blessure relationnelle que décrit Colette Zytnicki : « la colonisation de l’Algérie par la France commence et se termine par la guerre ». Si les décrets de décembre 1848 font de l’Algérie un territoire français avec une administration calquée sur la métropole, l’ambiguïté demeure, entre un département intégré et une colonie de peuplement et d’exploitation où le vaste mouvement de spoliation des terres continue des décennies encore.
Du 6 avril au 22 août 2022, le MUCEM propose une exposition sur Abd el-Kader qui offre un parcours de cet homme politique qui fut le résistant le plus célèbre à la conquête coloniale de l’Algérie et celui qui sut tenir en échec la puissance française avec des moyens qui n’étaient pas ceux de celle-ci.
On est accueilli, dès l’entrée, par une citation de Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues, précisant que le terme d’« Émir » s’applique exclusivement à Abd el-Kader. C’est dire la notoriété qui était la sienne à l’époque dont de nombreux documents attestent comme les portraits peints qui apparaissent sur des couvertures d’ouvrages dont nous parlerons ensuite : celui entre autres portraits, « romantique », de Marie-Éléonore Godefroid (1778-1849), élève du baron François Gérard, élève de David, elle-même portraitiste très connue.
Il est reproduit en couverture du récit de Waciny Laredj.
Autour de l’exposition ont lieu ou auront lieu d’autres interventions. L’une d’elles est la conférence donnée le 27 mai 2022, au musée, par Kamel Bouchama, sénateur algérien et spécialiste de la vie et des œuvres de l’Émir. Le titre même de la conférence en donnait les axes essentiels : « Abdelkader, Chevalier de la foi, apôtre de la fraternité, précurseur du droit international humanitaire ». Kamel Bouchama a retracé sa biographie, de sa naissance, en 1808 dans l’ouest algérien, à sa désignation à la tête des tribus qui s’unissent contre l’envahisseur français, à l’organisation de la résistance durant quinze années jusqu’au dépôt des armes en 1847 contre la promesse d’être envoyé en terre d’islam. Il a évoqué cette promesse non tenue et remplacée par un emprisonnement de plusieurs années avant l’obtention de son départ d’abord en Turquie puis enfin à Damas en Syrie en1852 où il mourut en 1883.
Ne pouvant s’attarder sur chaque étape de cette vie, le conférencier a insisté sur sa qualité de fondateur de l’État algérien moderne, sur sa modernité et sur son humanisme. Il établit, comme d’autres biographes avant lui, une bi-partition dans sa vie. La première partie est celle de la résistance et de l’emprisonnement, l’émir contre la France et emprisonnée par elle (1832-1853) ; la seconde partie, celle de l’exil qui le conduit progressivement en Syrie (1853-1883). Le conférencier a particulièrement insisté sur le rejet du terme de « reddition » le concernant : il a voulu « l’arrêt de la guerre » pour préserver les siens, après avoir été trahi par le sultan du Maroc et avoir compris qu’il était pris dans un étau franco-marocain. C’est alors que, dans sa lettre à Lamoricière, il a demandé à être envoyé en terre d’Islam à Alexandrie ou à Aca (Saint Jean d’Acre) : ce qui lui fut assuré. Avec un certain humour, le conférencier a souligné cette habitude du pouvoir colonial français d’avoir, comme mode de gestion des dominés, le piratage… et de rappeler, en un clin d’œil vers une actualité plus proche, le détournement de l’avion des dirigeants du FLN le 22 octobre 1956. L’émir se retrouve, avec les siens, prisonnier :
ce qu’on appelle sa suite était composée de plus de 80 personnes dont 27 sont décédées à Amboise où existe désormais un cimetière du souvenir dont la réalisation a été confiée à l’artiste algérien, Rachid Koreïchi et dont une photo illustre la couverture du récit d’Amel Chaouati. Bouchama a souligné que l’image de la « soumission » d’Abdelkader est récurrente chez les Français, transformant une conscience politique des forces en présence en une « reddition » et déviant la signification politique de ce geste qui a fait couler beaucoup d’encre. Le conférencier a aussi insisté dans la suite de sa conférence sur le respect que l’émir exigeait vis-à-vis des prisonniers français pendant la résistance sur le territoire algérien ; et aussi sur l’épisode de Damas où il sauva des chrétiens du massacre. Cette séquence, toujours racontée, K. Bouchama l’a expliquée dans le contexte de l’impérialisme en expansion alors. La conférence a été suivie de questions posées à l’orateur : deux heures d’exposé et d’échanges qui ont donné les grandes lignes de la représentation officielle de l’émir en Algérie, avec beaucoup d’entrain, d’anecdotes et de parallèles entre le passé et le présent et que le public, nombreux, a suivi avec intérêt.
Pour prolonger ce que propose le MUCEM, évoquons des auteurs et écrivains algériens qui, ces dernières années, ont évoqué la figure de l’émir au centre de cette exposition. En 2005, le romancier, Waciny Laredj édite en arabe, Kitabu al Amir à Beyrouth. Sa traduction, Le livre de l’Émir, paraît en français l’année suivante chez Actes Sud. Chaque auteur choisit tel ou tel aspect de la vie ou de la pensée d’Abd el Kader : ici, c’est le lien entre l’émir et Mgr Dupuch, évêque d’Algérie, qui est privilégié. Celui-ci a connu And el-Kader, alors qu’il était évêque en Algérie, entre 1838 et 1845, pour un échange de prisonniers. Plus tard, lors de l’emprisonnement de l’émir, Mgr. Dupuch le visite plusieurs fois et plaide, auprès de Louis-Napoléon Bonaparte, sa cause, c’est-à-dire sa libération et son envoi en terre d’islam, selon la promesse non tenue. En choisissant cette relation entre les deux hommes, le romancier algérien développe trois lignes narratives : la trajectoire de l’émir en Algérie de 1832 à 1847 sur laquelle Mgr. Dupuch l’interroge ; les entretiens entre les deux hommes, entre 1848 et 1852 à Pau et à Amboise ; et enfin, le retour des cendres de l’évêque en Algérie en 1864, selon son vœu. Chaque auteur qui s’intéresse à Abd el-Kader dévoile, nécessairement, des aspects méconnus de la conquête de l’Algérie qui n’a pas été sans contradictions et hésitations. La France ne s’opposa pas tout de suite à l’émir, lui concédant le contrôle des tribus de l’intérieur quand, elle-même, se contentait des ports. La colonisation des terres vint ensuite et l’émir devint l’ennemi à vaincre. Waciny Laredj choisit un homme d’église généreux et choqué des actes de la colonisation.
En 2012, c’est au tour d’un autre romancier algérien, Abdelkader Djemaï de se lancer dans l’aventure d’une fiction historique d’un personnage aussi connu. La dernière nuit de l’émir paraît au Seuil (et l’année suivante chez Barzakh, à Alger). Comme le titre l’indique, c’est, cette fois, la dernière nuit sur le sol algérien qui est le point focal de la fiction : le 24 décembre 1847, au port de Ghazaouet, l’émir attend avec toute sa suite, d’embarquer pour Alexandrie ou Saint Jean d’Acre.
e.
Les passagers sont transférés d’un navire à l’autre pour arriver finalement à Toulon. A partir de ce point fort du récit, ce moment où la vie de l’émir bascule, le romancier fait revivre les années précédentes de résistances, de luttes et de trahisons en choisissant de confier la parole à un meddah, sorte de récitant des exploits des héros, Bachir-el-wahrani. Ce choix du narrateur est l’originalité même de ce récit car il fallait cette voix pour donner son poids épique à cette résistance qui, malgré son échec, a montré que la colonisation fut une entreprise pleine de difficultés et que les Algériens n’ont pas assisté, impuissants, à la prise de leurs terres.
En 2013, aux éditions La Cheminante, Amel Chaouati publie un récit tout à fait original par rapport aux nombreux ouvrages écrits depuis deux siècles sur l’émir : Les Algériennes du château d’Amboise. La suite de l’émir Abd el-Kader, enrichi d’une postface de Maïssa Bey, découvrant avec intérêt l’enquête engagée par l’autrice. Amel Chaouati est psychologue de formation et s’intéresse aux influences croisées entre l’Algérie et la France en les reliant à sa propre expérience de l’exil. Elle est connue pour son travail sur l’œuvre d’Assia Djebar ; elle préside le Cercle des Amis de l’écrivaine. Son souhait est de déverrouiller l’Histoire entre les deux pays. Ce récit mène à la fois de front et en convergence son parcours personnel de recherche d’une mémoire et son enquête historique pour rendre visibles celles dont on ne parle pas : les femmes de la suite d’Abd el-Kader. Ébranlée par la découverte du Jardin d’Orient, le cimetière où reposent vingt-cinq personnes de la suite, décédées entre 1848 et 1852, elle raconte : « Alors que je suis plongée dans ma méditation les yeux rivés sur les tombes, j’ai une vision soudaine : des femmes en abaïas sont assises en tailleur ; elles discutent gaiement. Une ribambelle d’enfants joueurs s’agite autour d’elles. Effrayée par cette vision joyeuse qui contraste avec le décor funeste, je lève brusquement la tête. Je réalise que je suis seule sur l’esplanade. […] Je lance un ultime regard en direction des tombes. Je leur fais la promesse de ne pas les oublier ». Avant de quitter Amboise, elle achète deux ouvrages. Dans l’un d’eux, elle lit les intentions de l’artiste Rachid Koraïchi, chargé de rendre hommage à ces disparu(e)s : « le geste symbolique de l’offrande sous-tend chaque ligne de son projet. Directions, matériaux et mesures, l’artiste passe tout au crible de l’exigence spirituelle. Il veut présents ensemble l’Orient et Occident – la pierre dorée d’Alep en appui sur la terre d’Amboise, sa forme cubique pour rappeler la Kaaba ».
Le projet prend forme : « Que faisaient ces Algériennes et leur progéniture si loin de leur propre terre ? » C’est la lecture du livre illustré de Bruno Étienne et Fernand Pouillon, Abd el-Kader le magnanime, édité en 2003, qui l’a mise sur la voie. Elle découvre en le lisant sa connaissance très parcellaire de ce personnage historique qu’elle croyait connaître par ce qu’elle avait appris comme écolière algérienne. Ils mentionnent la présence de femmes mais sans fouiller plus le sujet. Elle se rend compte que, de façon générale, les ouvrages sont aimantés vers le chef de guerre et le chef spirituel. Mener l’enquête qu’elle décide d’entreprendre, c’est aussi remonter le cours de son ignorance de l’histoire de l’Algérie, de la colonisation et de la guerre. « Je ne savais pas que ma première lecture allait me conduire à interroger l’écriture de l’Histoire et sa transmission ». La lecture de nombreux ouvrages la conduit à refaire le parcours de l’émir et de sa suite. Ses découvertes progressives sont toujours assorties d’une réflexion sur la manière d’ériger une histoire dont on sélectionne les étapes, chacun choisissant les siennes dans un pays comme dans l’autre. Ce processus de transformation d’un destin historique en fonction de ce que l’on veut démontrer est bien souligné et peut servir à réfléchir à la construction d’autres destins glorieux de l’Histoire. Elle insiste sur la fameuse « reddition » que le discours algérien gomme alors qu’elle est soulignée par le discours français : « La reddition de l’émir et sa demande d’amane doivent sûrement être une source de traumatisme pas encore dépassée dans l’inconscient collectif. Or, le traumatisme est l’impossibilité d’oublier l’événement de la reddition. Il rappelle l’humiliation pour les uns, la trahison pour les autres, soldées par la colonisation de tout le territoire algérien. La trace de cette blessure se métabolise par le silence des Algériens sur cette période, or, l’importance du déni peut renseigner sur la profondeur de la blessure encore présente ».
Du côté français, elle voit aussi la blessure présente dans le langage, à travers l’expression assez humiliante : « l’émir est venu en France avec toute sa smala ». Ce mot qui a un sens précis en arabe a été détourné pour signifier, de façon assez méprisante « un groupe important et encombrant ». Pour transmettre véritablement cette histoire, il faut le faire autrement, et Amel Chaouati met à distance des souvenirs épars et commence son voyage dans les archives par les Archives nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence : « Alors que je suis en train de dépouiller ces lettres, des voix féminines nettes et audibles font irruption brusquement. […] Les voix de ces Algériennes m’assiègent et ne me quitteront plus ; elles attendaient d’être délivrées de l’enfermement de l’histoire et pour certaines d’une mort inachevée ». Il faut rendre justice à ces femmes oubliées par les historiens et, du même coup, Amel Chaouati s’intéresse aux Algériennes et aux Françaises de l’Histoire plus récente de l’Algérie : elle prend toute la mesure de mots comme « amies », « ennemies ». Elle prend conscience aussi qu’il est périlleux de vouloir écrire sur un personnage figé dans des discours bien rôdés et qui ne laissent pas place aux contradictions. Conjointement, elle sait que son projet n’est pas isolé : il est courant que les femmes soient les oubliées de l’Histoire. Et comme l’écrit Michelle Perrot, « elles sont imaginées beaucoup plus que décrites ou racontées ». Pour parvenir à son projet, elle décide de commencer par la fin, la fameuse reddition car elle éclaire ce qu’elle veut mettre en valeur. L’enquête se fait alors récit, entrecoupé de documents d’époque. Son séjour dans la ville de Toulon lui permet de reconstituer le désarroi de l’inconnu qu’eurent à affronter ces femmes. Elle s’appuie sur d’autres études de l’époque pour reconstituer ce qui n’a pas été consigné.
L’essayiste combine histoire personnelle et histoire de rencontres au fur et à mesure de son enquête et éléments concrets à inscrire pour écrire l’histoire de ces femmes. Elle propose aussi des lectures de tableaux célèbres de l’époque : en particulier, le tableau très connu (et qui figure en bonne place dans l’exposition du MUCEM), « Louis-Napoléon, prince président, annonçant à Abd el-Kader sa libération au château d’Amboise le 16 octobre 1852 », tableau d’Ange Tissier. C’est le seul tableau où une Algérienne est représentée et ce n’est pas n’importe quelle femme, mais la mère de l’émir. On aura compris combien, pour qui s’intéresse au sujet mais aussi à la sortie des femmes des silences de l’histoire, ce récit d’Amel Chaouati est à lire pour progresser avec elle dans la difficile entreprise qui a été la sienne. Comme l’écrit Maïssa Bey : « Elles s’appellent Zohra, M’barka, Aïcha, Kheïra ou encore Khadidja, Zineb et Rahma. […] Elles sont épouses. Elles sont compagnes. Elles sont rivales, parfois. Mais aussi et surtout mères. […] Elles sont Algériennes ; Nomades pour la plupart. Elles ne connaissent que l’infini des plaines, le bruissement du vent dans les hautes herbes, l’inaltérable chaleur des étés africains et le frissonnement de la terre sous les pieds nus. Arrachées à leur famille, transplantées dans un pays, dans des lieux qui leur sont totalement étrangers, il leur faut apprendre à survivre ».
En 2016, c’est sous forme d’un dossier bien documenté, magnifiquement illustré, que Yahia Belaskri se lance lui aussi dans l’aventure, éditant chez Magellan&Cie, Abd el-Kader, le combat et la tolérance. Le titre choisi souligne l’orientation du regard que l’écrivain porte sur l’émir : il est donc question ici de sa résistance puis de l’attitude qui fut la sienne après qu’il ait déposé les armes. L’illustration de couverture est cette fois le portrait peint par Stanislaw Chlchowski en 1866. Comme les auteurs précédents, Yahia Belaskri raconte comment il en est venu à écrire cet ouvrage. Prenant conscience de la complexité du personnage, il n’a voulu laisser de côté aucun des aspects de sa vie et de ses actions : « J’en suis sorti avec la conviction qu’Abd el-Kader est un homme comme tous les autres, fragile, sujet aux contradictions et aux faux-pas, mais qu’il reste exceptionnel par sa capacité à se remettre en cause, par ses propos remplis d’humanité, par sa recherche d’harmonie qui tend vers l’universel. C’est ainsi qu’il faut comprendre sa proximité avec Ibn Arabi, son maître ».
Chaque chapitre de ce dossier contient des informations précises et rapporte des faits qui font vivre le personnage dans ses contextes. Le premier chapitre s’attarde sur ses origines pour éclairer un devenir. Le second, « Le résistant », revient sur ses combats contre la prise de l’Algérie par la France. A plusieurs reprises, il souligne dans les pourparlers et les traités, le fossé de la langue qui fait que les belligérants signent des textes aux contenus sensiblement divergents. Les dissensions entre les tribus, les appartenances religieuses différentes (Qadirya à laquelle appartient Abd el-Kader et la Tidjania qu’il combat), le recherche d’aide au Maroc et la trahison, l’entrée de Bugeaud dans la lutte, tout est rapporté avec précision et clarté pour un lecteur qui n’a qu’une connaissance approximative de ces années de conquête. Yahia Belaskri revient sur la fameuse reddition : « Il faut de suite clarifier cette question de la reddition. Ils sont nombreux ceux qui, aujourd’hui en Algérie, ne veulent pas en entendre parler, à commencer par sa petite-fille, Al Amira Badiaa Al Hassani, qui, dans une interview accordée au quotidien algérien arabophone El Khabar (juillet 2008), propose de parler d’ « accord de sécurité » et demande que les manuels scolaires soient revus afin d’éliminer ce mot de reddition qui ressemblerait à une infamie. Les faits sont têtus, malheureusement, et les documents existent, consultables par tous. Avait-il le choix ? L’émir, après s’être débarrassé des troupes marocaines qui le pourchassaient, au prix de plusieurs cavaliers morts durant le combat, s’adresse à ses hommes, la poignée qui reste : « Nous avons tous combattu avec ferveur tant qu’il existait pour nous un espoir de libérer notre pays. S’il existait encore une possibilité de vaincre, je poursuivrai le djihad ». Ses hommes l’exhortent à déposer les armes, ce qu’il fait le 23 décembre 1845.
Le chapitre 3 intitulé « Une éthique musulmane face à la chrétienté » revient sur la confrontation de mentalités religieuses très différentes. L’humanité de l’émir, au nom de sa foi, est attestée plus d’une fois durant la guerre en Algérie puis plus tard, au moment où il sauvera des chrétiens à Damas. Le chapitre 4 est consacré au « prisonnier ». Le discours dominant en France justifie le non-respect par les Français de la parole donnée à l’émir. Ainsi on peut lire dans une revue de l’époque : « Il était dit qu’Abd el-Kader nous donnerait de l’embarras même quand il serait entre nos mains. Autrefois, on ne savait pas où le prendre ; maintenant, on ne sait pas où le mettre. Il nous est impraticable qu’il soit envoyé à Saint-Jean d’Acre ou à Alexandrie, comme il en avait témoigné le désir. […] Laisser Abd el-Kader planter sa tente en Orient, ce serait laisser s’établir en vue et à proximité de nos possessions d’Afrique un foyer de conspirations permanentes aussi dangereuses que l’état de guerre ».
La captivité de l’émir et des siens est racontée de Toulon à Pau, de Pau à Amboise. Le chapitre 5, « de Brousse à Damas » retrace le périple de l’émir pour aboutir finalement à sa résidence en Syrie. Le chapitre 6, « Le franc-maçon » expose les éléments d’un fait qui divise, malgré les documents attestés, les Algériens aujourd’hui ; de même que le chapitre 7, « L’ami de la France ». On les lira avec d’autant plus d’intérêt. Le chapitre 8, « Le mystique » fait plus consensus ; mais le 9, « Des femmes, une famille » affronte la question qu’a exploré Amal Chaouati, en montrant que l’émir, comme un homme de son temps, était polygame, qu’il eut seize enfants – dix garçons et six filles. Tous ces chapitres sont accompagnés d’une riche iconographie et de documents qui permettent de sortir de cette lecture, un peu moins ignorants des faits et avec une meilleure connaissance d’un homme au destin exceptionnel.
Les fictions ou essais lus omettent souvent de souligner que l’émir Abd el Kader ne parlant pas français, il y avait toujours un traducteur entre lui et son interlocuteur, de même qu’entre le texte qu’il signe des différents traités et le texte que signent les Français. Peut-être pour tous ces auteurs, cela allait de soi et il était inutile de s’attarder : pourtant, c’est un aspect tout à fait passionnant à sonder pour ce qui est de la fluidité des échanges et les contresens qui en découlent quand les « rencontres » se font dans la brutalité et la violence. Comment se fait l’intercompréhension ? Le vainqueur ne s’embarrasse pas de nuance et le vaincu se sait floué. Todorov en a analysé un exemple, savoureux s’il n’était dramatique, celui de « l’arrivée » linguistique de Christophe Colomb aux « Indes »…
Cela justifierait de ne pas passer aux oubliettes un ouvrage tout à fait passionnant, même si romancé et controversé, celui de Léon Roches, Trente deux ans à travers l’islam : né en 1809, le jeune homme arrive en Algérie en 1832 où son père s’est installé à proximité d’Alger. Il a 23 ans et il arrive deux ans après les premiers pas de la conquête. Il éprouve le besoin d’apprendre la langue du pays par amour pour une jeune musulmane et très vite, il maîtrise l’arabe : il est alors pris comme traducteur dans l’Armée d’Afrique, sous-lieutenant de cavalerie dans la Garde Nationale d’Algérie de 1835 à 1839. Il entre en contact avec l’administration d’Abd el-Kader dont il devient le secrétaire, lui traduisant toutes sortes de documents. Il vit au camp de celui-ci le temps de la trêve entre l’émir et la France, entre 1837 et 1839, après le traité de la Tafna, le 30 mai 1837. Il le quitte en 1839 quand la guerre reprend entre l’émir et la France. Bugeaud l’utilise encore pour des pourparlers puis le fait affecter au Ministère des Affaires étrangères comme interprète. De novembre 1839 au 14 février 1846, il sera au service du Général Bugeaud. Il continuera ensuite sa carrière au Maroc, en Egypte. Réédité par la BNF, son récit est à lire et rappelle le rôle joué par les interprètes dans toute domination. Il présente ainsi son projet, en 1884 : « Dès ma sortie du collège, j’ai pris l’habitude de noter chaque soir, sur un agenda, ce que j’ai fait et observé durant la journée. C’est dans ce journal régulièrement tenu, pendant plus de cinquante années consécutives malgré les péripéties d’une vie singulièrement agitée, que j’ai trouvé les jalons qui m’ont servi à reconstruire mon passé. Appelé ainsi à narrer les événements de la glorieuse épopée de l’Algérie, je retrouvai un peu de cette verve qui animait autrefois mes récits. On croirait en effet à un roman fait à plaisir, en lisant la relation de mon séjour auprès de l’émir Abd-el-Kader, de mon voyage à la Mecque, de mon arrivée à Rome et de mon retour en Algérie. Ma personnalité est trop humble, sans doute, pour que j’aie l’orgueil de croire que le public prenne grand intérêt aux détails de ma vie privée. Ces détails, toutefois, ne sont pas inutiles, car tous ils initient mes lecteurs au caractère et aux mœurs intimes de la société musulmane, arcane dans lequel peu d’européens ont pu pénétrer ».
En 1947, dans la Revue Africaine, Marcel Emerit, professeur à la Faculté des Lettres d’Alger, a démoli son ouvrage dans un article intitulé « La légende de Léon Roches », traitant son livre de « joli roman oriental » et d’erroné par bien des aspects. Espion, agent double, affabulateur, tout a été dit sur cet homme à l’esprit d’aventure et qui eut une carrière étonnante. En ce qui concerne notre sujet, avoir été successivement et dans un temps resserré, secrétaire d’Abd el-Kader puis de Bugeaud mériterait d’être pris en considération ; en particulier pour le rôle que jouaient les interprètes au moment des conquêtes et des dominations.
Notre objectif était d’élargir nos lectures autour de ce personnage étonnant de l’émir Abd el-Kader, d’autant qu’en plus de l’exposition au MUCAM, cette année 2022 a donné l’occasion d’évoquer sa présence dans l’Histoire de France. Le mois de février était marqué par la détérioration de l’œuvre, « Passage Abdelkader », à Amboise, la veille de son inauguration. L’artiste qui l’a réalisée, Michel Audiard, s’est exprimé sur cette destruction. « C’est réellement un saccage prémédité. Il faut une disqueuse, il faut couper, il faut tordre. C’est un acte de lâcheté, (…) ce n’est pas signé, c’est gratuit. On était là pour fêter un personnage emblématique dans la tolérance, et là, c’est un acte intolérant. Je suis atterré ». Il est évident que de part et d’autre, au niveau politique, l’usage que l’on veut faire de l’émir Abd el-Kader est une personnalité faisant le lien entre deux pays, longtemps en conflit, une personnalité susceptible d’être un argument de rapprochement pour peu qu’on lime certains faits et leurs conséquences. Alors, oui, Abd el-Kader est cette figure du vaincu honoré, de celui qu’on a appelé « le meilleur ennemi de la France » alors qu’il a été un résistant à la colonisation de l’Algérie.
Se souvient-on que le jeune Kateb Yacine donna, à 17 ans, une conférence à la Salle des Sociétés savantes à Paris, le 24 mai 1947, intitulée, « Abdelkader et l’indépendance algérienne » ? Il le fit en un temps où la figure de l’émir n’était pas au beau fixe. Son objectif était de retracer la résistance de l’émir à la colonisation et de le montrer comme le précurseur de la résistance du XXe siècle. Le jeune conférencier concluait ainsi : « Quant à moi, j’aurais accompli ma plus belle mission si je gagnais de nouvelles sympathies françaises à la cause de l’indépendance de mon pays ».
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