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Naissance: 7 novembre 1913 à Mondovi en Algérie
Décès: 4 janvier 1960 à Villeblevin
Albert Camus, est un écrivain : philosophe, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste français. Il fut aussi un journaliste militant engagé dans la Résistance française et dans les combats moraux de l'après-guerre.
Écrivain français né à Mondovi (Algérie) en 1913, mort en 1960, victime d'un accident de voiture. Après des débuts dans le journalisme, Albert Camus quitte l'Algérie et vient habiter en France. Membre de la Résistance, il est ensuite rédacteur en chef du journal Combat (1944-1946). Très engagé dans les événements de son époque, il se montre hostile à l'existentialisme de Sartre ainsi qu'au communisme. En littérature, il a exprimé l'absurdité de la condition humaine et la révolte qu'elle suscite (L'Étranger, Le Mythe de Sisyphe, La Peste). Il pensait qu'il importe moins d'être heureux que d'être conscient. Il a su aussi chanter la beauté de son Algérie natale (Noces, L'Été). Prix Nobel de littérature en 1957.
L'œuvre de Camus comprend des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des poèmes et des essais dans lesquels il développe un humanisme fondé sur la prise de conscience de l'absurdité de la condition humaine mais aussi sur la révolte comme réponse à l'absurde, révolte qui conduit à l'action et donne un sens au monde et à l'existence, et « alors naît la joie étrange qui aide à vivre et mourir »
Lucien Auguste Camus, père d'Albert, est né le 28 novembre 1885 à Ouled-Fayet dans le département d'Alger, en Algérie. Il descend des premiers arrivants français dans cette colonie annexée à la France en 1834 et départementalisée en 1848. Un grand-père, Claude Camus, né en 1809, venait du bordelais, un bisaïeul, Mathieu Juste Cormery, d'Ardèche, mais la famille se croit d'origine alsacienne. Lucien Camus travaille comme caviste dans un domaine viticole, nommé « le Chapeau du gendarme », près de Dréan, à quelques kilomètres au sud de Bône (Annaba) dans le département de Constantine, pour un négociant de vin d'Alger. Il épouse le 13 novembre 1909 à Alger (acte de mariage N° 932) Catherine Hélène Sintès, née à Birkadem le 5 novembre 1882, dont la famille est originaire de Minorque en Espagne. Trois ans plus tard, en 1911, naît leur fils aîné Lucien Jean Étienne et en novembre 1913, leur second fils, Albert. Lucien Auguste Camus est mobilisé comme 2e classe dans le 1er régiment de zouaves en septembre 1914. Blessé à la bataille de la Marne il est évacué le 11 octobre à l'hôpital militaire de Saint-Brieuc dans les Côtes-du-Nord où il meurt le 17 octobre 1914. De son père, Camus ne connaîtra que quelques photographies et une anecdote significative : son dégoût devant le spectacle d'une exécution capitale. Sa mère est en partie sourde et ne sait ni lire ni écrire : elle ne comprend un interlocuteur qu'en lisant sur ses lèvres9. Avant même le départ de son mari à l'armée elle s'était installée avec ses enfants chez sa mère et ses deux frères, Étienne, sourd-muet, qui travaille comme tonnelier, et Joseph, rue de Lyon à Belcourt, un quartier populaire d'Alger. Elle y connaît une brève liaison à laquelle s'oppose son frère Étienne.
C'est dans ce journal que paraît un éditorial écrit par Camus, et resté célèbre, dans lequel il dénonce l'utilisation de la bombe atomique par les Etats-Unis. 'La Peste' est publié en 1947 et connaît un très grand succès. Son oeuvre - articulée autour des thèmes de l'absurde et de la révolte - est indissociable de ses prises de position publiques concernant le franquisme, le communisme, le drame algérien... Passionné de théâtre, Camus adapte également sur scène 'Requiem pour une nonne' de Faulkner. Il obtient le prix Nobel de littérature en 1957 'pour l'ensemble d'une oeuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes.' Trois ans plus tard, il meurt tragiquement dans un accident de voiture.
Le 4 janvier 1960, en revenant de Lourmarin (Vaucluse), par la Nationale 6 (trajet de Lyon à Paris), au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l'Yonne, Albert Camus trouve la mort dans un accident de voiture à bord d'une Facel-Vega FV3B conduite par son ami Michel Gallimard, le neveu de l'éditeur Gaston, qui perd également la vie. La voiture quitte la route et percute un premier arbre puis s'enroule autour d'un second, parmi la rangée qui la borde24. Les journaux de l'époque évoquent une vitesse excessive (180 km/h), un malaise du conducteur, ou plus vraisemblablement, l'éclatement d'un pneu. L'écrivain René Étiemble déclara : « J'ai longtemps enquêté et j'avais les preuves que cette Facel Vega était un cercueil. J'ai cherché en vain un journal qui veuille publier mon article... »
Albert Camus est enterré à Lourmarin, village du Luberon - où il avait acheté une propriété grâce à son prix Nobel - et région que lui avait fait découvrir son ami le poète René Char.
Œuvres de Camus
Révolte dans les Asturies (1936), essai de création collective
L'Envers et l'Endroit (1937), essai
Caligula (première version en 1938), pièce en 4 actes
Noces (1939), recueil d'essais et d'impressions
Le Mythe de Sisyphe (1942), essai sur l'absurde
L'Étranger (1942), roman
Le Malentendu (1944), pièce en 3 actes
La Peste (1947 ; Prix de la critique en 1948), récit
L'État de siège (1948) Spectacle en 3 parties.
Les Justes (1949), pièce en 5 actes
Actuelles I, Chroniques 1944-1948 (1950)
L'Homme révolté (1951), essai
Actuelles II, Chroniques 1948-1953
L'Été (1954), essai
La Chute (1956), récit
L'Exil et le Royaume (Gallimard, 1957), nouvelles (La Femme adultère, Le Renégat, Les Muets, L'Hôte, Jonas, La Pierre qui pousse)
Réflexions sur la peine capitale (1957), en collaboration avec Arthur Koestler, Réflexions sur la Guillotine de Camus
Actuelles III, Chroniques algériennes, 1939-1958 (1958)
https://www.wikipoemes.com/poemes/albert-camus/biographie-index.php
Rédigé le 03/04/2021 à 08:58 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 30/06/2023 à 13:47 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
E N I G M E
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Rédigé le 27/06/2023 à 12:39 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
«Sentir ses liens avec une terre, son amour pour quelques hommes, savoir qu'il est toujours un lieu où le coeur trouvera son accord, voici déjà beaucoup de certitudes pour une seule vie». Albert Camus écrivait ces mots, en 1958, au moment où son pays commençait à prendre feu, à voir couler son sang. «S'il est vrai que toute vérité porte en elle son amertume, il est aussi vrai que toute négation contient une floraison de oui». À Tipasa, au printemps de cette année-là, l'écrivain célèbre le soleil, l'odeur des absinthes, «la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres». Le texte a pour titre Noces à Tipasa et il s'agit bien d'épousailles, d'une alliance renouvelée avec le pays dont l'écrivain s'était exilé, quelque dix-huit ans plus tôt, et qu'il n'a pas oublié. Si Paris est l'exil, Tipasa est le royaume. «Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit d'aimer sans mesure».
L'homme révolté rejoue sa vie, dans ces ruines dévorées par le soleil: une courte existence remplie à crever de luttes, de tendresse, d'amertume et de l'effrayant sentiment de cette vitesse du temps qui, chaque minute, nous tue. À Tipasa, le jeune homme insurgé abdique, baisse les armes, se rend à la lumière, au désir. «Quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort». L'homme révolté, l'étranger sur la terre, l'exilé engagé, le combattant de la Résistance, l'éditorialiste compassionnel et enragé — «Je préfère tenir les yeux ouverts!» — est fatigué, très fatigué. Mais sa nature est trop ardente pour lui permettre de se reposer. Sa lassitude pèse cependant moins sur lui que le soleil, qui lui fait un moment lâcher prise. «À Tipasa, je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser.»
Cette halte inespérée à Tipasa a dicté à Camus l'un de ses plus beaux textes, où l'écrivain dépose sa honte d'exister dans un univers absurde, tourne le dos à l'orgueil de lutter et retrouve l'orgueil de vivre. «Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon coeur». L'homme a l'émotion ardente, sèche, l'introspection rude, farouche, le désir torride, exaspéré. La certitude secrète — elle l'a depuis toujours habité — que sa vie sera brève, violente, impitoyable, un moment se desserre, elle aussi épuisée. Camus sort de son piège — «regarder au lieu de voir» — et le monde lui apparaît nouveau d'avoir été trop longtemps oublié. C'est une échappée belle, l'accord retrouvé entre sa tête brûlée et les dieux «qui parlent dans le soleil». «Je suis, écrit-il, comme un acteur sortant de scène et qui a le sentiment d'avoir bien joué son rôle. J'ai fait mon métier d'homme. Notre condition, en certaines circonstances, nous fait un devoir d'être heureux.» La mort — la fin de la pièce — n'interdit pas de continuer à jouer, de mordre dans le beau fruit, jusqu'à ce que tombe le rideau sur la scène du monde. La mer brille à ses pieds, les arbres se peuplent d'oiseaux: «Voir et voir sur cette terre, comment oublier la leçon? Il me faut être nu et plonger dans la mer, à sentir la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes et l'absence d'horizon...» On s'exalte avec lui et en même temps on tremble. Parce qu'on sait. Camus n'a plus que quelques années à vivre. Peut-être lui-même le sait-il, tout au moins le devine-t-il.
Il n'a connu, Tipasa mis à part, en guise de répit, que la folie douce des coulisses d'un théâtre — le sien — qui le reposait de lutter seul. Il a quarante-quatre ans et déjà il a vécu plus longtemps qu'un vieillard. C'est Prométhée, cloué à son rocher, le coeur dévoré par les dieux féroces du temps.
«J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j'attends. J'attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. On me voit passer dans les belles rues savantes, j'admire les paysages, je donne la main, ce n'est pas moi qui parle. Je rêve un peu, je m'offense, je m'étonne à peine. Puis j'oublie et souris à qui m'outrage, salue trop courtoisement celui que j'aime. On me somme de dire qui je suis: rien encore, rien encore...» Rien? Non, bien sûr. Simplement, tragiquement, la vie est trop courte et elle est absurde, embourbée de mort, de tous ces crimes du siècle.
«L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est.» À vingt ans, Camus savait ça, écrivait ça et passionnément commençait de se battre. Il était l'homme qui dit oui et non en même temps. L'impatience le chauffait. Se taire, c'était laisser croire qu'on ne juge et ne désire rien. À partir du moment où l'on parle, on juge, on désire, il n'y a pas moyen de faire autrement. La brûlante ascèse de la révolte était commencée. Le révolté n'est pas un réaliste, c'est un rêveur, un rêveur éveillé, un rêver enragé. «J'exige que soit considéré ce qui, dans l'homme, ne peut se réduire à l'idée, cette part chaleureuse qui ne peut servir à rien d'autre qu'à être.» C'est cette part-là, de lui-même, qui contemple la mer et les ruines à Tipasa et qui écrit cette longue lettre de réconciliation et d'adieu. «Ceux qui s'aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n'est pas le désespoir: ils savent que l'amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l'exil. J'attends encore. Un jour vient, enfin...» C'est beaucoup plus qu'un répit, qu'une médiation, qu'un épanchement: c'est l'occasion de sentir à la fois son détachement de lui-même et sa présence au monde. C'est l'aveu brûlant d'un attachement qui a tout fondé en lui et qui dure encore. «J'ai trop de jeunesse en moi pour pouvoir parler de la mort. Mais il me semble que si je le devais, c'est ici que je trouverais le mot exact, entre l'horreur et le silence, la certitude consciente d'une mort sans espoir.» Jusque-là, il se voyait de face. À présent, il fait un pas de côté pour regarder son profil, tremblant avec bonheur de «cette peur physique de l'animal qui aime le soleil». Le texte est bouleversant, d'une modernité éclatante, le style est dru, charnel, d'une lucidité irréductible, traversé par cette tendresse déferlante qui coule de sa plume, comme le soleil qui inonde les vieilles pierres. «Qu'est-ce que le bleu et que penser du bleu de la mer? C'est la même difficulté pour la mort. De la mort et des couleurs, nous ne savons pas discuter. Je me dis: je dois mourir, mais ceci ne veut rien dire, puisque je n'arrive pas à le croire et que je ne puis avoir que l'expérience de la mort des autres. Je suis jaloux de ceux qui vivront et pour qui pleurs et désirs de femmes auront tout leur sens de chair et de sang. Je suis envieux parce que j'aime trop la vie pour ne pas être égoïste. Je veux porter ma lucidité jusqu'au bout et regarder ma fin avec toute la profusion de ma jalousie et de mon horreur. C'est dans la mesure où je me sépare que j'ai peur de la mort...»
Séparé du monde, il le sera pourtant, et si brutalement que tous ceux qui l'aimaient n'en reviendraient jamais.
Le 3 janvier 1960, Camus quitte Lourmarin pour Paris, dans la voiture de Michel Gallimard. Pour une raison indéterminée, la voiture quitte la route et se fracasse contre un arbre. Camus meurt sur le coup. Il avait 46 ans. Dans la poche de sa veste, on a retrouvé le billet de train qu'il devait prendre, avec Francine, sa femme, le soir même. Le rocher de Sisyphe lui a déboulé sur le dos. On l'a enterré au cimetière de Lourmarin. Jean Daniel écrira, dans France Soir : «La route était droite, sèche, déserte. C'est le destin.» Sans doute. En tout cas, c'était la fin d'une vie admirable, «rebelle à l'oubli, rebelle au souvenir», vertigineuse, généreuse, lucide et proche du soleil à se brûler.
Vient de paraître un très bon petit livre, de Pierre-Louis Rey, Camus, l'homme révolté, chez Gallimard, qui donne envie de tout relire. Et je vais tout relire cet été, puisque la collection de La Pléiade vient de publier ses oeuvres complètes. «J'ai toujours eu l'impression de vivre en haute mer, menacé, au coeur d'un bonheur royal. Ainsi, moi qui ne possède rien, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis pourtant comblé quand je le veux, j'appareille à toute heure, le désespoir m'ignore. Je sais que la mer me précède et me suit, j'ai une folie toute prête...»
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/111815/camus-sous-le-soleil
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Rédigé le 27/06/2023 à 12:27 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Est-ce seulement le soleil aveuglant d'Alger qui a empêché Meursault de reconnaître sa victime ? ©Getty - Youcef Krache/For The Washington Post
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Aujourd’hui maman est morte." Il s'agit de l’incipit de L’Etranger d’Albert Camus, récit glaçant de l’étrangeté au monde de son personnage principal, Meursault, qui s’ouvre par l’annonce de la mort de la mère de celui-ci et s’achève par le récit des jours qui précèdent sa montée sur l’échafaud : "Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine."
Albert Camus publie L'Etranger à Alger en 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, à un moment où le conflit met un couvercle sur les aspirations algériennes à l’indépendance. Il n’en reste pas moins, comme le notera plus tard le théoricien palestino-américain Edward Saïd, que le roman se déploie dans un contexte colonial : le meurtre, par Meursault, d’un "Arabe" dont on ignore le nom, montre l’anonymisation des objets de la colonisation qui ne sont pas encore des sujets. Un Arabe.
En 2014 est publié un autre roman signé de l’Algérien Kamel Daoud, qui commence ainsi : "Aujourd’hui, M’ma est encore vivante. Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses. Contrairement à moi, qui, à force de ressasser cette histoire, ne m’en souviens presque plus. Je veux dire que c’est une histoire qui remonte à plus d’un demi-siècle. Elle a eu lieu et on en a beaucoup parlé. Les gens en parlent encore, mais n’évoquent qu’un seul mort – sans honte vois-tu, alors qu’il y en avait deux, de morts. Oui, deux. La raison de cette omission ? Le premier savait raconter, au point qu’il a réussi à faire oublier son crime, alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu’il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n’a même pas eu le temps d’avoir un prénom."
Dans Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud essaye de donner un nom à cet "Arabe" qu’a assassiné Meursault. Le roman élargit le contexte, fouille dans la relation coloniale. La vraie question que pose le roman est brûlante : peut-on "réparer" la colonisation ? Peut-on redonner un nom à celui qui n’en a pas eu ? Et surtout, cela a-t-il un sens de le faire ? Les soixante-dix ans qui séparent les deux textes, les deux incipits, une mère morte, l’autre vivante, peuvent-ils tout simplement être franchis ? Comme le soleil empêche Meursault de voir réellement sa victime, qu’est-ce qui nous aveugle, aujourd’hui, au point de ne pouvoir vraiment regarder en arrière ?
Néanmoins aujourd’hui, et malgré tous les obstacles, les deux textes peuvent être mis l’un en face de l’autre, et s’observer mutuellement, à parts égales.
"Quoi ? Il était là, pas très loin, écrivant dans une langue qui est aussi la nôtre et nous ne le connaissions pas ?" Voilà ce qu’ont pensé beaucoup de lecteurs français quand l’Algérien Kamel Daoud a fait irruption sur la scène littéraire hexagonale avec son roman Meursault, contre-enquête (Actes sud, 2014). Ainsi en va-t-il des livres qui changent vraiment notre façon de voir, notre sensibilité : nous avons du mal à imaginer le monde sans eux, avant eux. Auteur de nouvelles, de romans, d’un essai et de très nombreuses chroniques dans différents journaux, Kamel Daoud fait partie de ces écrivains qui affirment un style, mais aussi un point de vue, à l’écart des clichés ou des formes littéraires en circuit fermé. Quitte à froisser par sa liberté ou même, à se mettre en danger. Les mots, pour lui, servent à donner un sens au monde en cherchant une vérité derrière les mensonges et les faux-semblants. Un antidote aux fanatismes.
Par Raphaëlle Rérolle. Réalisation : Laurent Paulré. Prise de son : Martin Troadec et Ivan Charbit Attachée de production : Daphné Abgrall. Coordination : Sandrine Treine
Rédigé le 23/06/2023 à 14:43 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Paris (AFP) - Cent ans après sa naissance, le 7 novembre 1913, Albert Camus reste une figure mythique de la littérature française et mondiale, tant par sa pensée visionnaire, sa soif de justice que son itinéraire exceptionnel.
Des quartiers populaires d'Alger au prix Nobel de littérature à seulement 44 ans, ce destin hors du commun fut tragiquement interrompu à 46 ans par un accident de voiture dans le centre de la France le 4 janvier 1960.
"Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas": à 29 ans, Camus signait par cet incipit inoubliable son entrée parmi les grands auteurs. Avec près de huit millions d'exemplaires vendus, "L'étranger", son premier roman publié en 1942 et traduit dans une quarantaine de langues, est le best-seller absolu.
"La peste" s'est vendu à plus de quatre millions d'exemplaires et les ventes de ses livres tous confondus ont augmenté de 4,5% entre 2008 et 2012, selon Gallimard, son éditeur français, qui estime qu'il est "certainement l’écrivain français du XXe siècle le plus connu, le plus cité, et le plus traduit à l’étranger", avec une œuvre composée d'une trentaine d'ouvrages, dont des pièces de théâtre.
Forts de cette popularité, beaucoup ont tenté de se réapproprier l'irréductible homme libre. Mais si Camus continue d'éblouir autant qu'il dérange, il ne "se récupère pas", dit Frédéric Worms, directeur du centre international de philosophie française à l'Ecole normale supérieure (ENS).
Selon M. Worms, Camus, qui intéresse autant un Américain, un Indien ou un Chinois, est plus que jamais d'actualité. Des expériences comme l'économie solidaire, le microcrédit, l'accompagnement des personnes en fin de vie ou les révolutions arabes sont "très camusiennes", estime-t-il.
Car elles traduisent sa philosophie : "résister et instituer des limites pour lutter contre la mort et la misère donc aussi interdire la peine de mort, ne pas employer la terreur pour lutter contre la terreur", souligne M. Worms.
L'absurdité du monde
Philosophe accessible, il l'est à travers ses romans qui décrivent des expériences humaines concrètes et sensuelles aussi, dans leur évocation de la nature et de l'amour ("Noces à Tipasa"). Camus porte un regard humaniste sur la planète, milite pour plus de justice et de liberté tout en reconnaissant les limites de la condition d'être humain mortel et l'absurdité du monde.
Camus a vu le jour en Algérie dans un milieu extrêmement modeste, ce qui le distingue dès le départ des autres intellectuels français. Sa mère, femme de ménage, ne sait ni lire ni écrire.
C'est son instituteur qui le repère et réussit à lui faire suivre des études. C'est à lui que Camus dédiera en 1957 son discours du Nobel.
"Camus a conquis la langue française en allant au lycée, elle ne lui était pas donnée comme elle l'était à son frère ennemi, Jean-Paul Sartre, un bourgeois", souligne l'un de ses biographes, le journaliste Olivier Todd.
Camus disait se sentir "embarqué plutôt qu'engagé". En 1942, installé à Paris, il entre à "Combat", l'un des titres clandestins de la Résistance dont il sera le principal éditorialiste.
Il publie la même année "Le mythe de Sisyphe" un essai dans lequel il expose sa philosophie de l'absurde: l'homme est en quête d'une cohérence qu'il ne trouve pas dans la marche du monde.
"L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte", écrit-il. Mais Camus pose la question des moyens: tous ne sont pas acceptables pour atteindre le but que l'on s'est fixé.
Engagé à gauche, il dénonce le totalitarisme en Union soviétique dans "L'homme révolté" (1951) et se brouille avec Jean-Paul Sartre.
Pendant toutes ces années, Camus est un homme seul et la guerre d'Algérie l'isole un peu plus. Son appel à la "Trêve pour les civils" lancé en janvier 1956 l'éloigne de la gauche, qui soutient la lutte pour l'indépendance algérienne.
L'ENS et l'Université américaine de Paris organiseront les 3 et 4 décembre un colloque international sur l'écrivain avec des intervenants des cinq continents, notamment d'Inde et de Chine. Une exposition sera inaugurée à cette occasion à l'ENS avant de faire le tour du monde.
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Rédigé le 30/05/2023 à 02:20 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 26/05/2023 à 15:06 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
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Rédigé le 26/05/2023 à 09:04 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Le livre de Tarek Djerroud Camus et le FLN fait valoir un autre point de vue algérien sur les rapports de l’écrivain à la « question algérienne ». Entre essai et récit, l’œuvre ne se veut ni l’apologie d’un saint ni l’excommunication d’un apostat, mais une interrogation personnelle de l’histoire contemporaine de l’Algérie, parfois quelque peu idéalisée.
FARIS LOUNIS
Pour certains, Camus était un saint, un héros rare, quand d’autres ne voyaient en lui qu’un écrivain inconsistant : pourtant, lui n’était qu’un humain, avec ses hauts et ses bas. […]. En marge d’une longue et difficile quête de justice humaine, nous apprenons par-ci et par-là qu’un homme d’action pourrait être défini par ce qu’il avait bien réussi à accomplir dans sa vie sans oublier ce qu’il avait voulu réaliser sans y parvenir, l’une comme l’autre conséquence pouvait plaider en sa faveur sinon à son désavantage.
Avec cette position, Tarek Djerroud rompt avec les anathèmes qui se perpétuent en Algérie, et parfois en France, depuis la conférence officielle « Albert Camus vu par un Algérien », donnée à Alger en février 1967 par Ahmed Taleb Ibrahimi, alors ministre de l’éducation. L’écrivain y reste condamné comme celui qui, en refusant son nom à « l’Arabe » de L’Étranger et en ne faisant aucune place aux colonisés dans ses romans, avouerait n’être qu’un « tardif défenseur »1 de la domination française en Algérie. Accusé même de vouloir réaliser « de manière subconsciente », « en tuant l’Arabe », « le rêve du pied-noir qui aime l’Algérie, mais ne peut concevoir cette Algérie que débarrassée des Algériens », Albert Camus est réduit à être celui qui a fait passer sa communauté « avant la défense des valeurs universelles ». À ce titre, selon Ibrahimi, Camus, qui ne mérite pas le titre d’« Algérien », « restera pour nous un […] étranger », pour n’avoir pas reconnu « la noblesse de notre combat » et sa « seule issue acceptable : l’Indépendance ».2
Repris sans fin au nom de la critique postcoloniale ou nationaliste, ce verdict, en subordonnant expressément l’algérianité de Camus au critère d’un soutien politique à l’indépendance telle que la voyait le FLN, validait malheureusement l’inquiétude de l’écrivain que les Européens natifs d’Algérie se voient reconnaître leurs droits, comme minorité, à la pleine citoyenneté dans ce nouveau pays.
Revenant aux faits, Djerroud part du texte de Camus « Réflexion sur la générosité » publié en 1939 dans L’Entente, le journal de Ferhat Abbas. Il passe par son engagement au Parti communiste, sa volonté de faire entendre politiquement la voix des colonisés et sa dénonciation courageuse de la répression des premiers indépendantistes de l’association Étoile nord-africaine et du Parti du peuple algérien (PPA) fondés par Messali Hadj. Il termine sur le Camus de la fin des années 1950, pris en tenaille entre sa sous-estimation de l’aspiration nationale algérienne et la crainte que la surenchère des terrorismes rende impossible toute cohabitation future entre les communautés. Djerroud le dit clairement : la dénonciation du colonialisme français par Camus restait réformiste, dans le sens d’une égalité politique et juridique entre tous les citoyens d’Algérie, sans distinction de religion et d’appartenance communautaire, et cela dans le respect total et inconditionnel des différences linguistiques, religieuses et sociales. Ce rêve de justice et de fraternité avait sa grande part d’illusions, perdues peut-être par avance !
Cette aspiration à un dépassement du système colonial passait aussi par l’appel à remédier sans tarder à la détresse économique du plus grand nombre, notamment avec « Misère de la Kabylie », une série de reportages effectués par Camus et publiés dans le journal Alger républicain en juin 1939. Djerroud y voit un engagement sincère de Camus pour les droits et besoins humains les plus élémentaires, et en premier lieu la justice3. Même si, ajoute-t-il à juste titre, ce dernier ne faisait pas clairement le lien « entre colonialisme et misère sociale ». Djerroud brosse ainsi le portrait d’un Camus non pas « colonialiste » ou « paternaliste », mais humaniste, inquiet et incertain, cherchant, depuis le milieu européen pauvre dont il est issu, sa place face à l’altérité des colonisés. Il voulait faire entendre la voix de damnés de cette terre, dont il n’a cessé de célébrer la beauté et la grandeur.
Quant à L’Étranger, il dépeint selon Djerroud « l’autochtone en étranger chez lui, en triste démuni, lequel était même sacrifié à cause d’un faux alibi : le soleil ! ». C’était écrire vrai : le droit discriminatoire de la colonie a fait de « l’Arabe » un « sous-homme » auquel les principes de la République « ne s’appliquaient guère ». Par-delà toute interprétation, ajoute Djerroud, « ce roman, qui se nourrit d’imaginaire comme du réel, venait à pic pour miroiter une réalité quasi quotidienne » de la vie en colonie. Au passage, rappelons que les critiques postcoloniales ou nationalistes de L’Étranger minorent souvent le fait — l’occultent — que ce roman acte la rupture avec la véritable littérature d’apologie du colonialisme, celle dite « algérianiste », jadis représentée par Louis Bertrand et Robert Randau.
Loin du cliché du « colonialiste » dominateur et aveugle, et face à la souffrance et aux revendications de justice et d’indépendance des colonisés, la figure de Camus serait mieux comprise selon Tarik Djerroud dans un rapprochement avec celle de l’instituteur Daru dans la nouvelle de 1957, L’Hôte. Natif d’Algérie, parlant l’arabe, transmetteur du savoir tentant de pallier la famine des habitants, ce personnage refuse l’ordre des autorités de livrer le captif qui lui est confié. À travers lui, l’auteur signalerait tant aux « Arabes » qu’aux Européens quelle quête d’humanité s’esquisse ici entre les deux hommes « dans un « pays […]cruel à vivre » , mais qui pourrait changer avec la volonté de tous ». L’épilogue où l’instituteur se voit condamné de part et d’autre le montre pourtant : l’écrivain n’ignore plus rien de la finitude d’un ordre social qui voue une telle quête à l’échec.
Voulant illustrer une nécessaire « pensée de midi », celle de la juste mesure, Camus a montré les limites de sa vision de « la question algérienne » avec sa proposition fédéraliste très peu réaliste de 1958. « Camus, écrit là aussi Djerroud, pouvait être lucide sur beaucoup de problèmes de son temps. […]. Mais il resta très aveugle sur l’art d’écraser l’ignominie coloniale en Algérie ».
Du livre de Tarik Djerroud, retenons l’invitation lucide à penser l’avant et l’après 1962 sans céder ni aux simplismes de l’histoire officielle ni au mythe de l’écrivain maître du bonheur comme du malheur d’un monde qui souvent l’écrase par son indifférence assourdissante. Car il serait absurde de faire porter la responsabilité de la conquête coloniale et ses conséquences, mais aussi les massacres et atrocités d’une guerre de sept ans à un écrivain broyé dans ses affres.
FARIS LOUNIS
Journaliste.
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/camus-et-l-algerie-un-humain-avec-ses-hauts-et-ses-bas,6467
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Rédigé le 20/05/2023 à 10:29 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
“Albert Camus et la guerre d’Algérie. Histoire d’un malentendu”. Voilà un sous-titre qui – par les multiples interrogations qu’il suscite – ouvre un champ à de très larges interprétations. Entre Camus, la France, les “pieds noirs”, les “indigènes”, et les intellectuels de son temps, faut-il voir dans ce terme l’amer constat qu’il y a de telles différences d’interprétations, de méprises, de propos équivoques autour de la solution que le Prix Nobel de littérature envisageait à ce conflit inextricable et qu’on s’évertuait alors pudiquement à considérer comme “des évènements” ? Faudrait-il discerner dans l’emploi du mot “malentendu” des divergences si profondes qu’elles échappent aux parties en présence ; ou enfin une interprétation plus simpliste : Camus aurait-il été “mal” entendu ? Charles Péguy écrivait :
Il y a ainsi entre le pays et sa représentation non pas un inentendu, ce qui serait grave, non pas un malentendu ce qui serait plus grave, mais un faux entendu perpétuel et universel, à qui on est sûr que rien ne peut échapper.
(La République)
Car c’est bien l’histoire d’un “faux entendu perpétuel” dont la France va célébrer en deux temps le soixantième anniversaire : le cessez-le-feu du 19 mars 1962, et la proclamation de l’Indépendance le 5 juillet. De nombreux ouvrages vont paraître cette année, s’ajoutant aux milliers que le sujet a engendré depuis la fin présumée d’un conflit qui – en définitive – n’est pas encore terminé. Il est même permis de se demander si l’on ne fait pas souffrir encore plus des générations de pieds-noirs, de harkis, d’Algériens, d’un mal inutile en sondant leurs plaies incurables. Le Prix Nobel de littérature 1911, Maurice Maeterlinck écrivait : “Il nous est impossible d’oublier le mal qu’on nous a fait, parce que le plus profond de nos instincts, celui de la conservation, est directement intéressé à ce souvenir.” C’est donc à la jeunesse qu’il appartient d’apaiser, à la fois la souffrance des anciens, et de mettre enfin un terme à cette épidémie d’incompréhension et de haine qui s’est répandue dans les âmes. Le poids de la haine est le poids le plus lourd que l’homme puisse porter sur cette terre.
Et qui mieux qu’Albert Camus pourrait tenir le flambeau conducteur, le tenir haut élevé, pour nous préserver, à la fois de l’éblouissement d’une lumière trop immédiate, et des ombres fantastiques qu’elle projette aux alentours. En faisant parler Camus qui – rappelons-le – n’a pas connu l’issue du conflit, Alain Vircondelet signe peut-être l’ouvrage le plus singulier et enrichissant sur le sujet, et surtout à contre-courant des études historiques auxquelles l’ouverture des archives françaises ne fera que confirmer que – de tout temps – les hommes se sont entre-tués sauvagement pour les intérêts d’une minorité, pour les fantaisies des souverains, ou des spéculations financières. L’heure n’est pas de refaire le procès de telle ou telle partie, pas plus qu’elle n’est au repentir contre le colonialisme qui fut la grande erreur de l’Occident tout entier, et qui ne fut conduit qu’au seul profit des élites politiques et économiques des impérialismes, particulièrement britanniques. Pas plus le peuple français, que le peuple anglais ne furent des oppresseurs. On ne déconstruit pas l’histoire ; on en tire les leçons afin de ne pas la revivre. Les fils n’ont pas à porter les fautes des pères pour un niveau de folie qui ruine – aujourd’hui encore – tout espoir de réconciliation. L’heure est aux historiens d’entamer le même travail mémoriel que l’Allemagne vis-à-vis de la Shoah sur les toutes premières années de la présence française en Algérie, car c’est précisément la clé du problème. L’heure est aux “Mémoires réconciliées”, expression que j’emprunte au titre de l’excellent ouvrage de Robert Mazziotta. L’heure est surtout au souvenir et au respect des morts inutiles et abjectes, qu’elles soient “indigènes” ou françaises, et d’autant plus tragiques qu’elles sont innocentes. On n’a jamais vu une balle se détourner de sa trajectoire, un couteau tomber de la main d’un égorgeur, ou une bombe refuser d’exploser afin d’épargner les innocents. “Tuer un homme, c’est une lâcheté ! Que voulez-vous libérer par des assassinats” écrivait Ghandi. L’heure est désormais aux philosophes, aux théologiens auxquels il appartient de démontrer que cette guerre, dès 1830, est avant tout une guerre de religion et de civilisation (ce qui a visiblement échappé à Camus qui ne parlait pas l’arabe, et ne s’intéressait pas au religions en général, et à la religion musulmane en particulier). L’heure est aux islamologues, et surtout à des femmes inspirées comme Razika Adnani ou Kahina Bahloul, de prendre le relais afin de rappeler, et même de marteler deux paroles d’Albert Camus : “Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde”, et surtout : “un homme, ça s’empêche”.
De 1939, date à laquelle Albert Camus écrit “Misère de la Kabylie”, jusqu’en 1959 où il rédige “Le premier homme”, manuscrit inachevé retrouvé dans une sacoche le jour de son accident d’automobile, et qui aurait dû être son œuvre majeure, Alain Vircondelet nous fait revivre la souffrance de cet être déchiré qui “a ce pays en travers de la gorge et je ne puis penser à rien d’autre”, mais qu’il aime autant que sa mère, car : “Une mère, vois-tu, c’est l’humanité.” Albert Camus est l’homme de tous les excès, de toutes les détresses, des rêves brisés, des utopies, de l’exil permanent, de toutes les passions – pour le théâtre et surtout les femmes – qui finissent par le faire sombrer dans la solitude et dans la dépression. Car il n’y a aucun doute : Albert Camus est bien un “écrivain Français d’Algérie”, et il n’a jamais remis en cause cette double appartenance, tout comme il n’a jamais imaginé que l’Indépendance de l’Algérie – à ses yeux inéluctable mais à laquelle il s’oppose – puisse entraîner l’expulsion de tous les Français. “La valise ou le cercueil” placarde le FLN ; “les Français d’Algérie ne sont pas tous des brutes assoiffées de sang, ni tous les Arabes des massacreurs maniaques.”, répond Camus. Jusqu’à son dernier jour, il a dénoncé le terrorisme et la répression. Suivi par Malraux, il a cru que les deux peuples pourraient cohabiter de manière fraternelle et pacifique, construire une “Algérie nouvelle” au sein d’une culture commune, à la condition préalable que la France octroie enfin les mêmes droits aux “indigènes” qu’à leurs ressortissants :
Les Algériens méritent réparation. Ils ont été utilisés, asservis d’une certaine manière, spoliés de la plupart de leurs terres, leurs mosquées ont été désacralisées pour en faire des cathédrales et des églises, leur culture jamais respectée, alors que la culture française et son histoire ont été enseignées à leurs enfants, quand une certaine partie n’était pas encore scolarisée : trop d’affronts ont été commis pour que les choses continuent ainsi.
On ne peut que regretter qu’il n’y ait pas eu – à cette époque – un rapprochement entre Albert Camus l’agnostique et Louis Massignon, “le catholique musulman” (titre de l’excellent ouvrage de Manoël Pénicaud), qui – de son côté – écrivait : “Nous ne pouvons pas espérer maintenir l’unification franco-algérienne, tant que nous nous obstinerons à la fonder sur le sang, la violence, et le mépris”.
La guerre d’Algérie n’est pas que celle des militaires contre le FLN, c’est aussi la guerre des intellectuels. Jamais, depuis l’Affaire Dreyfus, elle n’avait atteint un tel paroxysme de violences et de controverses, comme en témoigne cette phrase de Jean-Paul Sartre citée par Alain Vircondelet, et que Jean Daniel ne lui pardonnera jamais. Elle a le malheur de prophétiser la décennie noire et sanglante en Algérie dans les années 1990, avec pour conséquence les vagues d’attentats islamistes qui vont déferler par la suite en Europe en général, et en France en particulier :
Car en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. (Préface à l’ouvrage “Les Damnés de la terre“, éditions Maspéro, 1961)
Car là est le grand mérite de l’ouvrage d’Alain Vircondelet : contextualiser avec honnêteté la pensée et l’action d’Albert Camus au sein des nombreux groupes d’intellectuels qui dominent le paysage français : les catholiques et les marxistes qui s’unissent autour de la cause algérienne. Camus est viscéralement de gauche, mais pas celle de Sartre qu’il considère comme sectaire. Il est aussi le plus Algériens des Français, et le plus Français des Algériens, mais les extrémistes et les indépendantistes les plus modérés le rejettent, tout comme il va être haï par les partisans de l’Algérie française. (Aujourd’hui encore l’étude de Camus est exclue dans son pays de naissance, et il est un “étranger” pour les jeunes algériens). C’est désormais un homme seul qui menace de sombrer dans la folie, et le combat qu’il mène en faveur de la “mesure” prend tout son sens, lorsqu’il prononce à Stockholm cette fameuse phrase qui sera si mal interprétée et trop souvent détournée : “En ce moment on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère” :
Autour de lui, c’est la désertion. Il s’en rend compte, avouant qu’il a beaucoup d’ennemis. Ils avancent sans masque à présent, et délibérément le condamnent, affirmant qu’il s’est rangé du côté de la réaction. Camus mesure leur injustice.
L’extrait de cette lettre à Maria Casarès qui demeurera le grand amour de sa vie illustre l’abandon dans lequel se trouve l’intellectuel, un don Juan désespéré, à la fois exilé, mais prisonnier de sa terre natale. Sa démission ressemble plutôt à une abdication, conséquence d’un aveu d’impuissance. À cette époque, il n’y a pas – pour les intellectuels – de ligne médiane. Stéphan Zweig s’est donné la mort parce que – nostalgique du monde d’hier –, il souffrait du monde en guerre. Camus avait choisi le silence, au risque de mourir de solitude :
C’est pourquoi dans l’impossibilité de me joindre à aucun des camps extrêmes (…) j’ai décidé de ne plus participer aux incessantes polémiques qui n’ont eu d’autre effet que de durcir en Algérie les intransigeances aux prises et de diviser un peu plus une France déjà empoisonnée par les haines et les sectes. (Chroniques algériennes)
Albert Camus, n’a pas connu les accords d’Évian. Aurait-il accepté l’exil de sa mère, qui refusait de venir à Lourmarin, car il n’y avait pas les “Arabes” ? La grande prouesse d’Alain Vircondelet est de ne pas se risquer à faire parler le philosophe outre-tombe. Il respecte sur ce point les paroles de Francine Camus – sa femme – lors du procès du général Jouhaud le 13 avril 1962. Lorsque le bâtonnier l’interroge : “Albert Camus avait-il prévu le sort qui serait fait aux Algériens ? ” Elle répond :
Je préfère ne pas parler de ses paroles, de ce qu’il a pu me dire, parce que cela autoriserait d’autres à dire, peut-être, des choses qu’il n’aurait pas dites.
Dans la longue liste des ouvrages qui vont célébrer le soixantième anniversaire des accords d’Évian, celui d’Alain Vircondelet – qui demeure l’un des grands spécialistes de Camus – fait figure d’exception, au point qu’il nous paraît incontournable. Il n’est pas une nouvelle histoire de la Guerre d’Algérie. Même si l’auteur ne nous épargne pas des pages insoutenables sur les multiples exactions commises de part et d’autre, même si certains points demeurent discutables comme l’affirmation de la création de la Nation algérienne par la France, alors qu’elle me paraît plus imputable à l’Émir Abdelkader, ce livre sur “Camus l’incompris” fera date. Les pensées de l’écrivain, “victime expiatoire du drame qui se joue devant lui” comme disait Sartre, et choisies par Alain Vircondelet sont si lumineuses, qu’elles nous le laissent entrevoir comme l’homme de la réconciliation.
Jean-Jacques BEDU
[email protected]
23 février 2022
https://marenostrum.pm/albert-camus-alain-vincondelet/
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Rédigé le 19/05/2023 à 16:16 dans Camus, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
A. Camus
l’humanisme d’Albert Camus pouvait parfois paraître solennel (je le serai moi-même ici) et officiant, il n’avait pourtant rien d’une posture pour cérémonies. Aussi éloigné du cynisme que de la candeur, fondé sur un « goût violent de la justice », empreint d’une noblesse combative, l’humanisme de Camus refusait à la fois le confort des radicalismes mondains, les catéchismes révolutionnaires et le secours des horizons surnaturels.
C’est peut-être dans ce passage de la quatrième et dernière des Lettres à un ami allemand (1944) que sa nature et sa portée apparaissent le plus clairement : « Vous n’avez jamais cru au sens de ce monde et vous en avez tiré l’idée que tout était équivalent et que le bien et le mal se définissaient selon qu’on le voulait. Vous avez supposé qu’en l’absence de toute morale humaine ou divine les seules valeurs étaient celles qui régissaient le monde animal, c’est-à-dire la violence et la ruse. Vous en avez conclu que l’homme n’était rien et qu’on pouvait tuer son âme, que dans la plus insensée des histoires la tâche d’un individu ne pouvait être que l’aventure de la puissance, et sa morale, le réalisme des conquêtes. Et à la vérité, moi qui croyais penser comme vous, je ne voyais guère d’argument à vous opposer, sinon un goût violent de la justice qui, pour finir, me paraissait aussi peu raisonné que la plus soudaine des passions.
Où était la différence ? C’est que vous acceptiez légèrement de désespérer et que je n’y ai jamais consenti. »
Il peut sembler éthéré d’attribuer au nazisme un mobile aussi « raffiné » que le « désespoir ». Ses causes principales ne sont-elles pas plutôt à chercher, outre les conditions historiques, du côté de la bassesse, de la cupidité et de la cruauté les plus ordinaires alliées à la rationalité industrielle ? Mais c’est peut-être le propre des esprits élevés que de ne pouvoir envisager l’effroyable mesquinerie des turpitudes sanglantes. Et leur tentation constante de donner au Mal l’attrait hideux d’une profondeur dévoyée. Cependant, si Camus paraît, dans ces Lettres à un ami allemand, accorder le bénéfice du désespoir aux entrepreneurs en exterminations de masse et camps de la mort, il n’est pour autant suspect d’aucune complaisance ni d’aucune fascination perverse à leur égard. Il fut, comme on sait, d’une intransigeance sans faiblesse dans le non qu’il leur a opposé et la guerre qu’il leur a livrée.
On a coutume de voir en Camus un modéré ; « un pauvre modéré », comme il le dit lui-même, non sans un humour amer. La « pensée de midi », les limites assignées à la révolte, ses prises de position pendant la guerre d’Algérie, son rejet d’un certain satano-dandysme, de tout fanatisme, de la démesure prométhéenne, viennent en général appuyer ce point de vue, qui sonne tantôt comme un reproche tantôt comme un éloge. Le qualificatif, s’il n’a rien d’infamant en soi, ne rend pas tout à fait justice à sa pensée et à son action. Car, si l’on entend par « modéré » un adepte à tout-va de la prudence, du compromis, de la pusillanimité éthique et politique, de la tiédeur, on se fait, à mon avis, de Camus une idée bien diminuée. Ce qui donne à sa « modération » ses traits propres tient à ceci que pour lui l’ordre ne réside pas seulement dans la tranquillité des rues mais doit répondre à un principe supérieur : la réalisation de la justice. La tranquillité publique peut reposer sur un ordre sanglant. Elle peut se fonder sur l’argent, la caste. Elle peut régner par la peur et le mensonge. C’est là le vrai désordre, que Camus s’employa à combattre. Si c’est cela être modéré, nous devrions peut-être essayer de considérer ce qu’il y a en nous de « modéré » avec plus d’attention. Et c’est pourquoi je n’éprouve pas envers Camus la distance goguenarde que m’inspirent habituellement les directeurs de conscience de tous poils. Je continue de voir en lui un écrivain qui indique les voies d’une existence honorable, sans faire silence sur nos renoncements et nos médiocrités, nos postures et impostures, conscientes et inconscientes, toujours à l’affût. L’humanisme de Camus, d’une trempe comparable à celui de René Char, ne saurait se confondre avec un inoffensif humanitarisme caritatif, un pacifisme béat ou un rapiéçage de stoïcisme pour temps nucléaires. C’est un humanisme de combat, porté par une exigence de lucidité quant à ses propres ressorts et ses possibles impasses.
Toutefois, je ne suis pas sûr que Camus aurait accepté pour lui-même le terme d’ « humanisme ». Il était conscient des questions qu’il soulève et des réserves qu’il encourt : « Il paraît qu’il me reste à trouver un humanisme. Je n’ai rien contre l’humanisme, bien sûr. Je le trouve court, voilà tout. Et la pensée grecque était bien autre chose qu’un humanisme. C’était une pensée qui faisait sa part à tout. » (Carnets 1935-1948, Cahier V septembre 1945-Avril 1948). Je ne sais si ce mot, passé depuis longtemps à la nécessaire moulinette de la déconstruction et du soupçon, lui convient. Je ne sais s’il l’aurait admis mais je le maintiens, avec l’attention due à chaque nuance de son œuvre.
Albert Camus n’était ni un saint sans Dieu ni un joueur de flûte nous entraînant à l’écart des violences de l’Histoire pour nous noyer dans les ruisseaux de moraline. Mais un homme dont les écrits portent la marque d’une conscience ardente qui décide de croire au pauvre bonheur terrestre. Comme, peut-être, le gamin de Belcourt voulait pour sa mère une vie digne. « J’aimais ma mère avec désespoir. Je l’ai toujours aimé avec désespoir. »
MARE NOSTRUM
https://marenostrum.pm/camus-et-le-fln/
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Rédigé le 19/05/2023 à 13:11 dans Camus, France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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