L’ancienne avocate et auteure féministe algérienne Wassyla Tamzali était à Montréal la semaine dernière pour présenter son dernier livre, En attendant Omar Gatlato, qui sortira le 20 juin en Algérie. Une occasion pour elle de rencontrer des membres de la diaspora algérienne du Canada.
L'ancienne avocate et essayiste féministe Wassyla Tamzali.
Photo : Radio Canada International / Samir Bendjafer
C’est avec un enthousiasme qui rendrait jalouse une adolescente de la génération Z que Wassyla Tamzali annonce ses événements montréalais sur les réseaux sociaux.
Et c’est avec le même enthousiasme que s’est déroulée l’entrevue accordée à Radio Canada International (RCI) par cette ancienne avocate algérienne et éternelle militante féministe.
Je suis une adolescente qui n’arrive pas à vieillir dans la tête
, lance-t-elle en éclatant de rire, installée sur la terrasse d’un café urbain de l’avenue du Parc en ce mois de mai où la température reste anormalement basse pour la saison.
Cela faisait trois ans que Wassyla Tamzali n’était pas venue à Montréal. Se trouver dans la métropole québécoise est une façon de retrouver une des moi
, affirme-t-elle.
Montréal est une ville nord-américaine francophone où il y a les gens que j’aime, dont des Algériens, des Marocains et des Tunisiens avec lesquels je partage beaucoup de choses que je retrouve dans beaucoup de villes comme à Paris et d’autres villes du Maghreb.
Elle se considère comme une nomade, pas une simple voyageuse. Un nomade retourne toujours dans les endroits de vies qu’il a créés. Montréal est devenue [pour moi] un lieu de vie
, ajoute la mécène qui a lancé il y a quelques années Les Ateliers sauvages (nouvelle fenêtre), un lieu de création et de résidence pour les arts plastiques et vivants à Alger.
Se retrouver à Montréal lui permet de s’intéresser à la vie dans les Amériques parce qu'elle a une grande curiosité intellectuelle, soutient-elle.
En attendant Omar Gatlao
Wassyla Tamzali est venue à Montréal présenter son livre qui sortira le 20 juin en Algérie et qui porte sur le cinéma algérien.
C’est la réédition du livre En attendant Omar Gatlato, publié en 1979. Il ne s’agit pas d’une réédition
, selon l’ancienne avocate.
Ce livre est centré sur les premiers films algériens et même tunisiens projetés dans la mythique cinémathèque algérienne.
Son titre fait référence au film Omar Gatlato de Merzak Alouache sorti en 1976 qui a marqué un tournant dans le cinéma algérien et dans la société algérienne elle-même.
Le nouveau livre contient l'ouvrage publié il y a 44 ans et un deuxième livre très important, car il fait la synthèse de ses idées sur la culture postcoloniale algérienne, explique-t-elle en entrevue.
Quand l’éditeur a demandé à Wassyla Tamzali d’écrire une préface, elle en a écrit une de 100 pages. Une préface qui a fini par porter le titre de Sauvegarde, inspiré de la sauvegarde automatique du fichier du manuscrit sur ordinateur.
Cette partie [sauvegarde] apporte une réflexion qui se déroule sur 60 ans en commençant par les premiers 20 ans, les années 1960 et 1970 [avant qu’elle quitte l’Algérie pour aller travailler à l’ UNESCO avant d’y revenir au début des années 2000, NDLR]
, ajoute-t-elle.
Si elle a pu écrire 100 pages sur la culture postcoloniale algérienne, c’est parce qu'elle a vécu 40 ans après les premiers 20 ans et a pu voir se préciser sa vie pendant cette période, indique-t-elle.
À l’époque, elle dit avoir même alerté, en vain, ses amis à la cinémathèque du fascisme latent dans le discours nationaliste et religieux algérien. On ne se rendait pas compte
.
Son séjour à Montréal a été ponctué par trois événements auxquels elle a participé en tant que conférencière.
Le premier a été organisé par la librairie Gallimard de Montréal et animée par la critique littéraire Danielle Laurin.
Elle y a présenté son livre La tristesse est un mur entre deux jardins, publié chez Odile Jacob en France en 2021 et coécrit avec l’historienne française Michelle Perrot.
Cette dernière est aussi une ancienne militante anticolonialiste. C’est un livre d’échanges entre deux intellectuelles. Ce n’est pas un livre d’anecdotes. Nous avons parlé de la France et de l’Algérie à travers une rencontre de deux intellectuelles. Et c’était passionnant. Bien que je sois essentiellement de formation française, nous avions un point de vue différent sur chaque question abordée
, dit l’Algérienne.
Wassyla Tamzali a parlé des Ateliers sauvages lors d’une causerie animée par la réalisatrice canado-tunisienne Hejer Charf au Cabaret culturel Kawalees.
Rencontrer des Algériens de Montréal est aussi important, pour elle, que d’être dans cette métropole canadienne.
Plus tard, elle a rencontré des membres de la diaspora algérienne de Montréal à la galerie Yara sur invitation de l’Association culturelle Assaddekia-Québec.
La discussion a porté sur son livre Une éducation algérienne, paru en 2007 chez Chihab en Algérie.
Le refus global
Wassyla Tamzali affiche une admiration sans bornes pour Le refus global, ce manifeste publié en 1948 par un groupe d’artistes qui remettait en cause les valeurs traditionnelles de la société québécoise.
Je suis émue de voir comment on peut démarrer une révolution [avec la publication du manifeste du Refus global]. Ça paraît tellement anodin de peindre des tableaux. Un mouvement artistique qui met à terre ce poids de l’Église catholique.
À la question si un tel manifeste pourrait marcher en Algérie, elle répond : On ne le veut pas. Il ne s’agit pas de ne pas savoir comment s’y prendre. Car pour trouver comment s’y prendre, il faut le vouloir et avoir une forte conviction
.
Pour elle, la création des Ateliers sauvages participe à un changement minime. Ça peut apporter une réflexion
.
Quand elle est rentrée en Algérie au début des années 2000, elle affirme avoir essayé de discuter des changements possibles. Mais à un moment, je ne voulais plus discuter de ce qui n’allait pas. Je voulais apporter des contre-exemples. Voilà ce qu’on pourrait faire. Et j’ai eu cette chance matérielle de pouvoir créer le contre-exemple.
Privilèges
Wassyla Tamzali explique qu’avec ce qu’elle a investi dans Les Ateliers sauvages, elle pourrait venir à Montréal, descendre au Ritz-Carlton et y passer 15 jours et inviter des amis chaque soir. Mais ça ne m’amuse pas.
.
Elle aurait pu ouvrir un grand restaurant avec l’argent qu’elle avait reçu en héritage. Mais pour moi, l’art est le moyen le plus profond et le plus efficace pour sonder l’âme des gens. Et ça, c’est très important
, ajoute-t-elle en entrevue avec RCI.
C'est un énorme privilège
, reconnaît-elle. Mon deuxième privilège est que je sais ce que c’est que la culture. J’ai été à l’école et j’ai eu la chance de voyager de Paris, à New York, à Berlin, à Kinshasa, à Tunis, à Pékin et de travailler dans une grande organisation [l’ UNESCO]
, affirme-t-elle.
Obscurantisme
Pour la militante féministe, l’islamisme a trouvé en Algérie un écho très profond.
Nous avons [en Algérie] une éducation qui poursuit le projet obscurantiste et qui est arrivée, je crois, à un point de non-retour. Le corps est enfoncé dans cet obscurantisme qui touche les sphères les plus élevées du pouvoir et qui accompagne chaque geste de la journée, chaque rituel, chaque cérémonie
, dit celle qui utilise le nous
en parlant de l’Algérie.
L’islamisme algérien n’est pas né dans la société conservatrice. Il est né dans des milieux où la modernité a échoué.
Elle rappelle que l’encadrement du Front islamique du Salut dissous était formé par des ingénieurs. Ils sortaient tous de nos écoles d’ingénieurs.
Pour elle, mieux vaut avoir affaire à un analphabète qu’à un homme qui a été mal éduqué
.
Hirak et féminisme
L’ancienne avocate estime que le mouvement populaire prodémocratie en Algérie, le Hirak, a échoué sur le court terme, parce qu’il n’a pas changé le régime.
Toutefois, il a repolitisé certains rapports entre les gens, chez les jeunes et dans les milieux artistiques. J’ai entendu des amis dire que si ça échoue cette fois-ci, on est cuits. Et ça a échoué et ils disent maintenant qu’il faut qu’on se remette au travail
, affirme-t-elle en entrevue avec RCI.
Wassyla Tamzali déplore le fait que le mouvement populaire ait évacué la question du féminisme.
Quand on a commencé à parler de féminisme en Algérie, on nous disait qu’on ne pouvait pas le faire tant que le peuple ne serait pas éduqué et que le pays ne serait pas développé. Il y a toujours un argument pour nous dire que ce n’est pas le moment de le faire. Et c’est exactement ce qu’a fait le Hirak
, explique-t-elle.
La seule analyse et le seul angle pertinent aujourd’hui pour parler de la société algérienne c’est le féminisme. Pourquoi? Parce que je me rends compte qu’en étudiant la situation en Algérie, un des piliers du pouvoir, c’est la situation des femmes comme elle est aujourd’hui,
ajoute-t-elle.
La militante féministe estime que le pouvoir politique ne peut pas prendre le risque de lancer un projet d’égalité et un vrai projet d’insertion des femmes, parce qu’il met en danger son pouvoir. Il n’y a pas une volonté irrépressible de changer les choses, parce que ce changement passe par la famille et tout changer
.
Ne s’attaque-t-elle pas aux fondements de la société? La question la fait réagir et elle n’hésite pas à la qualifier de ridicule
.
Il n’y a pas de fondement de la société. Il s’en crée tous les jours. Nous creusons notre tombe avec ces mots-là. Il y a un seul fondement dans la vie des hommes et des femmes et c’est la liberté et l’égalité. C’est le seul qui a un avenir pour l’Algérie.
Autochtones
L’auteure algérienne dit être sensible à la question autochtone au Canada. Elle trouve des similitudes avec ce qu’a subi l’Algérie pendant le colonialisme.
Comment [l'Algérie] a-t-elle pu se remettre de ce qui lui est arrivé comme [ce qui est arrivé] aux Autochtones? Voilà la grande interrogation de Wassyla Tamzali sur son pays.
Ça n’a pas été jusqu’au bout, mais c’était le même projet. Tocqueville a quand même suggéré que si la France voulait continuer à coloniser l’Algérie, il fallait tuer tout le monde
, indique-t-elle.
Évidemment, le sort des Algériens et des Autochtones était différent. Parce que ce n’était pas la même époque et les Algériens avaient déjà des structures modernes qu’on le veuille ou non. Un peuple qui était déjà intégré dans la Méditerranée
, conclut-elle.
Note : ce reportage est également disponible en arabe
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