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. Écrit par Sébastien Ledoux et Paul Max Morin, ce livre décrypte l’utilisation que le président de la République fait du « trauma Algérie ».
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Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune. © Jacques Witt/SIPA / SIPA / Jacques Witt/SIPA
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Une rétrospective de la politique des présidents de la Ve République vis-à-vis de l'Algérie . Avant de parler de l'Algérie en particulier, les auteurs – l'historien Sébastien Ledoux et le politologue Paul Max Morin, tous deux spécialistes des questions de mémoire – expliquent que, pour les chefs d'État français qui se sont succédé, la mobilisation de l'histoire nationale en général est au cœur de « l'incarnation » présidentielle. ` .Depuis Charles de Gaulle (l'avènement du nouveau régime en 1958) jusqu'à Emmanuel Macron (l'histoire coloniale), à l'exception de Valéry Giscard d'Estaing et Georges Pompidou, tous ont cherché à marquer leur mandat d'un geste mémoriel, une façon de « revendiquer l'un des attributs du pouvoir présidentiel de la Ve République », alors que dans le même temps s'est opéré dans la société un « déplacement du centre de gravité de l'attention accordée au passé de la nation ». .Les années 1980-1990 ont connu des polémiques liées à la Seconde Guerre mondiale et à la reconnaissance de la participation de Vichy aux crimes antisémites, tandis que le début des années 2000 a été marqué par les débats sur la torture par l'armée française en Algérie ou encore le « rôle positif » de la colonisation.
Depuis 1962, les politiques publiques mémorielles sur la guerre d'Algérie n'ont jamais cessé d'évoluer. Ces politiques peuvent être classées en deux domaines : d'une part, des mesures catégorielles en faveur de trois groupes sociaux directement issus de la guerre d'Algérie (anciens combattants, rapatriés, harkis) et, d'autre part, des mesures de mémorialisation (reconnaître, par exemple, en 1999 le terme « guerre d'Algérie » au lieu des mots « opérations » ou « événements »).
Il explique comment la mémoire est en enjeu politique Le livre explique que, si, dans le champ de la mémoire, les choix présidentiels sont « le fruit d'une réflexion de longue date » pour les premiers chefs d'État, en cohérence avec leur propre discours ou leur sensibilité à l'histoire, les politiques mémorielles des présidents du XXIe siècle sont plutôt guidées par des objectifs électoralistes.
À titre d'exemples, si le mémorial national au mont Valérien pour Charles de Gaulle ou le premier discours au Vél' d'Hiv de Jacques Chirac était le résultat d'une véritable démarche, le thème du rejet de la « repentance » a été brandi par Nicolas Sarkozy en campagne (2007) en vue de séduire un électorat d'extrême droite. Même chose pour François Hollande, qui publia une tribune dans Le Monde sur la guerre d'Algérie le 19 mars 2012, soit quelques semaines avant… le premier tour de la présidentielle.
Macron s'inscrit dans cette tendance. Alors qu'il se trouve à Alger, en février 2017, en tant que candidat à l'élection présidentielle, il déclenche une controverse nationale en qualifiant la colonisation française en Algérie de « crime contre l'humanité ». .Le livre analyse la façon dont Macron a produit un « récit performatif sur la relation de la France avec le passé algérien pour en faire un objet de politique mémorielle ». « En adoptant un discours sur l'oubli, Emmanuel Macron se place en homme de rupture. Définissant l'Algérie comme un problème existentiel concernant l'ensemble de la société française, il construit sa propre légitimité présidentielle de réconciliateur », analysent les auteurs.
Le président, né en 1977, a beaucoup insisté sur le fait qu'il était né après la guerre d'Algérie et portait donc sur l'histoire coloniale « un regard neuf ». Il « se positionne en homme de rupture et se présente comme une personne dotée du pouvoir de mener une politique à la fois inédite et nécessaire pour la société française dans son ensemble ».
« Une fois élu président, il continue à jouer sur cet effet de génération pour solder les comptes et “renouveler” les relations avec les anciens pays africains de l'empire français », poursuivent Ledoux et Morin. « Emmanuel Macron se présente ainsi comme l'homme du dépassement de l'héritage colonial et renvoie ses rivaux dans le “vieux monde” des positions figées, engluées dans un problème qu'ils ne peuvent pas résoudre. »
On entre « dans la tête » d'Emmanuel Macron Pour le chef de l'État, la problématique du « trauma Algérie » en France est centrale. Au cours d'un entretien informel dans l'avion qui le ramène d'Israël en France en janvier 2020, il évoque la guerre d'Algérie comme le défi mémoriel le plus « problématique » et le plus « dramatique ».
Il crée aussi des liens de dépendance entre la mémoire de la guerre d'Algérie et l'islam, le communautarisme ou encore les problèmes des banlieues. Dans son discours sur le « séparatisme islamiste », le 2 octobre 2020, le thème de la mémoire refoulée de la guerre d'Algérie est présenté comme faisant le terreau du séparatisme. .
Le livre analyse « l'investissement considérable d'Emmanuel Macron pour la guerre d'Algérie » et comment, depuis 2017 et ses propos sur la colonisation jusqu'à l'« histoire d'amour [ayant] sa part de tragique » entre la France et l'Algérie évoquée (en août 2022, à Alger), le président a construit « un objet original de politique mémorielle dont l'évolution au cours du premier quinquennat en dit autant sur son rapport personnel au pouvoir, sa perception des événements sociopolitiques, que sur la fonction réservée à la mémoire dans le champ de l'action politique aujourd'hui ».
Il dissèque le concept de « réconciliation des mémoires » On y apprend que le concept de « réconciliation des mémoires » a été introduit pour la première fois par François Hollande.
Le 19 mars 2016, il tient le discours le plus important de son quinquennat sur la guerre d'Algérie, après celui prononcé à Alger le 20 décembre 2012 (il évoque la colonisation comme « un système injuste et brutal » en reconnaissant « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien »).
Devant le Mémorial de la guerre d'Algérie du quai Branly, appelant à la « paix des mémoires », il déclare : « La grandeur d'un pays, c'est d'être capable de réconcilier toutes les mémoires et de les reconnaître. » Cette nécessité de « réconcilier toutes les mémoires » dans un objectif de « rassemblement » de la nation intervient à la suite des attentats de janvier et novembre 2015.
On comprend mieux pourquoi la politique mémorielle de Macron… ne peut pas marcher Selon les auteurs, la politique mémorielle de Macron – « une politique gazeuse » réduite à « une politique catégorielle » envers les « groupes mémoriels » concernés auxquels est proposée une « inflation » d'actes mémoriels – ne peut pas aboutir.
D'abord car elle est victime d'une « présidentialisation » qui la rend dépendante de la volonté et de l'implication personnelle du président et de son équipe, dont l'agenda ne permet pas de suivre les projets dans la durée. « Le pilotage exclusif de la politique mémorielle par l'Élysée affecte structurellement le déploiement de la politique publique, privant le président de capacités transformatrices. »
Très peu de moyens financiers et humains lui ont été alloués. Benjamin Stora en a d'ailleurs fait les frais lorsqu'il a été missionné par le président pour réaliser son rapport, remis en janvier 2021, sur la colonisation et la guerre d'Algérie (1954-1962) pour tenter de « décloisonner » des mémoires divergentes et douloureuses entre les deux pays.
« La politique mémorielle se fait sans la mobilisation des moyens de l'État, repose presque exclusivement sur la geste présidentielle et épouse l'agenda du président. Benjamin Stora doit donc travailler vite, faire l'économie de la profondeur et formuler des recommandations rapidement réalisables », souligne l'ouvrage.
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Aussi, la politique mémorielle du président est victime de « la droitisation politique du macronisme », qui entraîne d'importants renoncements « pourtant essentiels dans le traitement de l'histoire algérienne de la France : la confrontation au fait colonial et à la permanence du racisme dans la société contemporaine ».
Quand, lors de sa visite en Algérie en août 2022, Macron réduit la relation franco‐algérienne, comprenant 132 ans de colonisation, à « une histoire d'amour qui a sa part de tragique », il l'inscrit dans « la continuité d'une idéologie coloniale qui n'a jamais cessé d'utiliser des euphémismes pour masquer les réalités sociales et politiques ». « Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron aurait pu condamner sans crainte la colonisation. Mais le colonialisme est encore une fois l'angle mort de sa politique mémorielle », regrettent les auteurs. . . .
Par Adlène Meddi
Publié le 12/07/2024 à 10h00 . .
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