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Au théâtre, on s'y croirait ! D'abord l'unité de lieu : un terrain vague, tout près d'une décharge publique se situant au bord de la mer, à l'écart de la grande ville dont on n'entend presque aucun bruit et dont on aperçoit, lors de ses «fêtes», les lumières fugaces des feux d'artifice... et dont on craint ses contraintes. Une «batha» noyée dans la plus grande des misères matérielles. Déchéance morale ? Pas si sûr !
Les personnages ensuite : toute une bande de paumés, de détraqués... des laissés-pour-compte de la société, malmenés par la vie, des paumés et autres clochards ayant tous tournés le dos à la société, au nom de la «liberté»... Des conditions de vie effroyables. Une bande de «Hoors»... lesquels pourtant ont recréé une certaine hiérarchie et discipline entre eux. Il y a même de l'affection, de l'amitié, de l'amour... et de la jalousie. On y retrouve Ach le Borgne qui magnifie le clochardisme, Junior son «protégé», un simplet, le Pacha et sa cour et son «favori» Pipo, Mama et son alcoolique de mari, trimballé dans une brouette, Bliss, Nemrod, Mimosa, Négus, Haroun le Sourd, Clovis, le frères Zouj, Dib dit Cétéra, Einstein...
En gros, une vie globalement sans histoires... Mais qui va très, très vite. Surtout lorsqu' apparaît Ben Adam... le «rédempteur», le colosse «donneur de leçons de vie»... ailleurs. Junior le «simplet» l'écoutant ne tarde pas alors à rejoindre la ville. Il en reviendra plusieurs mois après totalement transformé, moralement et physiquement. Il avait tout vu, tout subi bien des infortunes. L'Olympe et les infortunes ne sont jamais là où l'on croit qu'ils sont !
L'Auteur : Né en janvier 1955 à Kenadsa, élève de l'Ecole des cadets de la Révolution, ancien officier de l'Armée nationale populaire, Yasmina Khadra, de son vrai nom Moulessehoul Mohammed, est, aujourd'hui, un écrivain très connu. Lu dans des dizaines de pays, il est traduit en près de 50 langues. Il a à son actif plusieurs dizaines d'œuvres. La plupart sont des romans dont certains ont été adaptés au cinéma et au théâtre et même en bandes dessinées... ceci sans parler des ouvrages (dont des romans policiers) publiés sous pseudonyme au milieu des années 80 et au tout début des années 90, inventant même un personnage fameux, celui du Commissaire Llob.
A noter qu'il a cosigné, aussi, des scénarii de films... qu'il a été un certain temps directeur du Centre culturel algérien à Paris... et qu'il a même tenté une courte «aventure» politique lors de présidentielles!
Et, qu'il a récemment effectué une tournée de promotion du livre (Oran, Tizi Ouzou, Alger). Un écrivain de talent qui ne cesse d'être «attaqué». Il est vrai que sa franchise ne manque pas de déranger.
Extraits : «Tu réagirais comment si t'étais le bon Dieu ? Parce que lui, il bouge pas le p'tit doigt. Il laisse les choses s'envenimer, et quand ça merde grave, il fait celui qui n'est pas là. Alors, les méchants en profitent pour écraser les innocents, et les innocents, ils font pitié et personne ne compatit» (p 127), «La gloire n'est que la preuve que nous restons les otages de nos vanités. Nous dévastons les quiétudes en croyant bâtir des légendes. Nous tombons bas tandis que nous pensons supplanter nos angoisses. Nous régnons sur les décombres comme des vautours sur les charognes...» (p141), «Souvent, on s'en rend pas compte. La chance nous sourit tous les matins, le bonheur nous accueille tous les soirs, et on s'en rend pas compte. On s'y habitue et on pense que ce sera tous les jours ainsi. On fait pas gaffe à ce que l'on possède puis, hop ! d'un claquement de doigts, on s'aperçoit que l'on a tout faux. Parce qu'on croit avoir décroché la lune, on veut croquer le soleil aussi, et c'est là que l'on se crame les ailes...» (pp 190-191)
Avis - Le roman de plusieurs de nos mondes... parallèles, acceptés ou imposés, fuis ou acceptés Des mondes qui ne nous sont pas étrangers et pas si lointains. A lire... mais, sans trop se «prendre la tête»... pour se sortir indemne de tout traumatisme... ou de toute culpabilité.
Citations : «La vraie liberté est de ne rien devoir à personne... la vraie richesse est de ne rien attendre des autres» (p 43), «L'argent est la plus vilaine des vacheries. Quand tu le sers, il te dérobe les yeux ; et quand il te sert, il te confisque le cœur» (p 43), «Les peuples, c'est comme le cheptel. Tu perds de vue une seule brebis galeuse, et les loups te règlent ton compte sur-le-champ» (p137), «Que l'on soit couvert de hardes ou de soie, on n'est jamais que soi» (p 167), «Sais-tu ce qui rend le vice tentant ?... C'est l'illusoire dont il se revêt» (p167), «L'amour est l'essence de la vie, son sens et son salut. S'il vient à toi, garde-le et le ne lâche plus. S'il te fuit, cours-lui après. Si tu ne sais pas où le trouver, invente-le. Sans lui, l'existence n'est qu'un gâchis, un passage à vide, une interminable chute libre» (p198). . . . . LES FLEUVES IMPASSIBLES. Roman de Akram El Kébir. Apic Editions, Alger, 2019, 196 pages, 700 dinars (Fiche de lecture déjà publiée le 11 mars 2020). Extraits pour rappel seulement. Fiche complète in www.almanach-dz.com/population/ biblioteque d'almanach)
Un alcoolique, un dégénéré, un qui est de la «jaquette flottante», un peureux comme pas deux, un chanteur raté, un qui est déjà clando avant d'avoir atteint l'Espagne... sans oublier un «niqué de la tête» (celui qui eu l'ingénieuse idée de faire le voyage)... et deux nouveaux «imposés» en dernière minute... «trop bagarreurs sur le bords et qui ne renâclent pas à, l'idée d'envoyer quelqu'un à l'hôpital qu'ils ont payé grassement en retour»...
Programme : El Harga...
Raison(s): l'ennui, fuir les «insolations estivales et les crèves hivernales», le désespoir, le chômage... Besoin de découvrir une herbe verte... et, surtout «essayer de vivre»... un peu de tout, de tout un peu.
Destination : Espagne... pays le plus proche d'Oran... et ailleurs par la suite... si tout se passe bien.
Moyen : non un frêle esquif, mais une embarcation solide... un véritable bateau avec un véritable équipage.
Mode opératoire : La prise en otage et son détournement d'un bateau-taxi (Oran-Aïn El Turck) à partir du port d'embarquement, en l'occurrence Oran.
L'opération réussit... au départ... avec, cependant, un couac, les deux «imposés», bien décidés à réussir beaucoup plus ce qui ressemble beaucoup plus à une fuite qu'à une harga, se mettent à utiliser la manière «forte», alors que tout se passait tranquillement.
Deux pans, deux mondes qui, par hasard, se croisent, non sur la terre ferme, là où ils habitent depuis des décennies, mais sur un bateau... «piraté». Des destins, heureux ou malheureux, qui, au fil du temps et de la traversée, se rencontrent, échangent des regards (complices ou hostiles), parfois des propos assez vifs sur la harga, sur la société, sur la religion...
L'Auteur : Né à Oran (1984) , journaliste, déjà auteur de plusieurs romans (...)
Extraits : «La harga est une expression qui, aujourd'hui, a beaucoup perdu de son sens. Originellement, les tout premiers harraga étaient ceux qui allaient en Europe par voie légale, et à peine avoir franchi la Paf de l'aéroport, s'empressaient de brûler leurs passeports verts, pour signifier qu'ils ne reviendraient plus jamais en Algérie. Ce phénomène est apparu dans les années 1990, quand le pays était à feu et à sang.
D'ailleurs, il n'est pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que harrag signifie brûleur ! Vous avez déjà vu quelqu'un brûler la mer, vous ?» (p 87)
Avis - Bien sûr il y a une histoire de «harga», mais, en fait, il y a surtout l'histoire d'un pan important de la société oranaise : celui des jeunes... qui ne vivent pas mais vivotent, qui existent mais s'ennuient...
Citations :«Un homme heureux est un homme qui aime la vie, or la vie ne dure pas, d'où son malheur !»(p 154)
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par Belkacem Ahcene-Djaballah
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.Jeudi 11 juillet 2024
. . https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5331028 . .
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