Le roman « Houaria » d’Inaâm Bayoud a remporté, le 9 juillet 2024, le premier prix Assia-Djebar dans la catégorie roman en langue arabe. © DR
Le roman « Houaria » d’Inaâm Bayoud a remporté, le 9 juillet 2024, le premier prix Assia-Djebar dans la catégorie roman en langue arabe. © DR
Tout a commencé quelques jours après l'annonce, le 9 juillet, des lauréats du prix Assia-Djebar, parrainé par le président Abdelmadjid Tebboune. Dans la catégorie roman en langue arabe, le roman Houaria d'Inaâm Bayoud rafle le premier prix. Le récit suit Houaria, jeune femme qui affronte les milieux interlopes de sa ville, Oran, dans l'Ouest algérien, pendant les années 1990 marquées par l'insurrection islamiste. Sur les réseaux sociaux, des auteurs – certains frustrés de ne pas être sur la liste des lauréats –, des critiques, des journalistes et d'autres internautes ont violemment fustigé l'écrivaine lauréate.
« Pornographie »
Leurs griefs ? L'emploi, dans les dialogues, de mots crus, souvent à connotation sexuelle. « Un roman qui n'a rien de littéraire, plein de mots vulgaires et d'insultes contre la ville d'Oran qui a combattu la France et ce qu'elle a laissé traîner comme spermatozoïdes », assène le religieux Ahmed El-Djazaïri. « Il faut appliquer la loi : l'article 333 bis du Code pénal punit de deux mois de prison toutes productions écrites ou représentations contraires à la décence », appelle le « chercheur » Zine El Abidine Khodja.À lire aussi Daoud, Khadra, Sansal, etc., au poteau !« Ce pseudo-roman incite à la débauche, à encourager l'homosexualité et la prostitution… Je ne peux faire entrer chez moi cette pornographie et risquer que ce torchon soit lu par mes enfants, ma femme, mes parents. Les autorités doivent l'interdire pour sauvegarder notre religion et la moralité de la société algérienne », s'insurge un autre internaute.
D'autres s'attaquent même à l'intitulé du prix littéraire, diffamant une grande figure littéraire algérienne : « Assia Djebar n'est pas une écrivaine algérienne, elle a été naturalisée française, membre de l'Académie française, elle a quitté vite son pays pour la France », éructe une internaute se présentant comme « universitaire ».
Ouragan d'intolérance
Les violences et la viralité des attaques ont poussé la maison d'édition MIM, qui a publié le roman, à annoncer sa fermeture le 16 juillet. « MIM a désormais fermé ses portes, contre le vent et contre le feu, lit-on dans le communiqué de cette maison d'édition, dont des romans en arabe avaient raflé des prix littéraires à l'international. Nous n'étions que des défenseurs de la paix et de l'amour et nous ne cherchions qu'à partager cela. Préservez le pays de la discorde et préservez le livre, car un peuple qui lit est un peuple qui ne peut être ni asservi ni affamé. » Entre-temps, des députés d'El Bina (islamiste) et du FLN ont officiellement saisi par écrit le Premier ministre Nadir Larbaoui pour « agir fermement contre cette atteinte à la morale et à l'unité des Algériens ».
À lire aussi Présidentielle algérienne : une leader de l'opposition jette l'épongeCet ouragan d'intolérance a provoqué une autre vague de commentaires sur les réseaux sociaux et dans les médias. « Je m'arroge le droit de pousser ce coup de gueule, car ces incultes ne savent pas que sans la transgression du triangle interdit, sexe, politique et religion, la littérature ne serait pas la littérature mais une œuvre de bienfaisance de Dame patronnesse », a réagi l'auteur et éditeur Lazhari Labter, signataire, aux côtés d'autres intellectuels, d'une pétition de soutien à Inaâm Bayoud et à la maison d'édition MIM.
« Je rends hommage à cette romancière qui a pu casser les tabous trop sacralisés. Illustrer le vécu tel qu'il est dans les œuvres littéraires n'est pas une tâche si simple pour l'actuel écrivain algérien… Inaâm Bayoud a donné l'image d'une femme authentique, audacieuse, tout en assumant tout simplement son rôle de romancière », poste un enseignant.
Descriptions crues du réel
« Aux nouveaux Janissaires […] je dis : lisez attentivement les textes avant de leur balancer une machette qui aveugle la vue et la perspicacité […], le texte n'est pas un espace religieux, social ou psychologique, c'est tout cela ensemble. Ce n'est pas pour rien que les critiques font la différence entre deux concepts : personne et personnalité », a commenté l'écrivain Waciny Laredj.
« Lors du procès de la tentative d'assassinat de Naguib Mahfouz, le juge a demandé à l'homme qui a poignardé l'écrivain : “Pourquoi l'avez-vous poignardé ?” Le terroriste a déclaré : “À cause de son roman Les Enfants de notre quartier.” Le juge lui a demandé : “Avez-vous lu ce roman ?” Le criminel a dit : “Non” », rappelle un internaute.
À lire aussi Voici pourquoi il faut lire « L'Algérie de Macron »Des intellectuels et écrivains ont également rappelé que la littérature algérienne, et arabe en général, est foisonnante de descriptions crues du réel et des personnages. Pour un internaute, il est « presque normal que les haineux https://www.lepoint.fr/monde/algerie-vague-de-haine-contre-l-ecrivaine-inaam-bayoud-pour-son-roman-houaria-19-07-2024-2566007_24.phpse déchaînent : le prix porte le nom d'une femme, Assia Djebar, il est décerné à une femme, Inâam Bayoud, éditée par une femme, Assia Moussai ! » « Et ça parle d'une femme », ajoute un commentaire…
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