Volonté de massacrer des migrants à l’arme lourde et racisme primaire : Mediapart a pris connaissance de la correspondance de l’ancien directeur de la sécurité de la multinationale du ciment, un ancien militaire qui a été candidat du Front national à des élections locales.
Au lendemain du double séisme politique provoqué par l’écrasante victoire du Rassemblement national (RN) aux élections européennes, puis par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, la même question revient parmi une partie de l’électorat tenté par le vote d’extrême droite : le parti de Marine Le Pen, désormais aux portes du pouvoir, s’est-il vraiment dédiabolisé, comme il ne cesse de le faire paraître dans sa communication ? A-t-il abandonné ses oripeaux racistes et criminels du passé, comme l’assurent ses dirigeant·es ?
Les enquêteurs de la douane judiciaire, un service spécialisé placé sous la tutelle du ministère des finances, ont peut-être des raisons d’en douter, à en croire la correspondance qu’ils ont saisie en 2020 dans le cadre de leurs investigations sur Lafarge, la multinationale française mise en cause dans une affaire de financement du terrorisme islamiste.
Désir de massacre de migrants à l’arme lourde et racisme primaire : des mails émanant de l’un des cadres dirigeants de la société, dont Mediapart a pu prendre connaissance, font froid dans le dos tant ils en disent long sur le danger de l’extrême droite et la porosité de ses idées dans les hautes sphères des mondes militaire et économique.
Jean-Claude Veillard, leur auteur, est un homme respecté dans son milieu professionnel d’origine : l’armée. Né en 1953 en Eure-et-Loir, il a été incorporé à l’âge de 16 ans à l’École des mousses, puis est devenu fusilier marin dans les commandos. En 1982, il a intégré l’École navale comme officier spécialisé. Il rejoint ensuite le Commandement des opérations spéciales (COS), une unité d’élite de l’armée française, qu’il quitte en 2008 bardé d’honneurs, de gloire et de médailles pour rejoindre le géant français du ciment, le groupe Lafarge, comme directeur de la sécurité.
C’est un poste sensible et exposé, pour lequel il devra notamment assurer l’interface avec les principaux services de renseignement français (la DGSE, la DGSI ou la DRM), Lafarge étant implanté dans de nombreux pays à risque. Mais parallèlement à son activité professionnelle, Jean-Claude Veillard cultive une passion politique : le Front national de Marine Le Pen, aujourd’hui le Rassemblement national.
En mai 2014, il l’annonce tout de go à l’un de ses amis : « Concernant mon engagement personnel, j’ai franchi le pas et je suis maintenant clairement au Front. » Il lui rappelle qu’il a été quelques semaines plus tôt cinquième sur la liste du FN aux municipales à Paris. « Mais à Boboland, le combat est difficile », regrette-t-il. La liste du candidat d’extrême droite dans la capitale, Wallerand de Saint-Just, n’a pas dépassé 6,2 %.
Mais à l’aube des élections européennes, toujours en 2014, il se réjouit cette fois de l’opportunité pour son parti « d’être enfin présent au Parlement européen en nombre suffisant ». Le péril est, dit-il, immense : « La France mais également l’Europe sont aujourd’hui colonisées. » Il ajoute : « Dans le XVe arrondissement seulement, la population africaine est passée à 47 000 personnes et elles pondent tous les jours de magnifiques futurs Français… Comment expliquerons-nous à nos petits-enfants que nous avons abandonné notre belle nation ? »
Des blagues racistes et des désirs de crimes
Quelques jours plus tard, il fait suivre par mail à ses contacts une « blague » raciste, faussement attribuée à l’humoriste Gaspard Proust. Celle-ci vise deux ministres du président socialiste François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira, cibles récurrentes de l’extrême droite : « Confier l’Éducation nationale à une Marocaine musulmane ou la justice à une indépendantiste guyanaise, c’est comme confier vos enfants à un pédophile ! »
Au lendemain de l’attentat islamiste ayant décimé en janvier 2015 la rédaction de Charlie Hebdo, Jean-Claude Veillard écrit à un proche : « Je ne serai jamais Charlie et je ne me joindrai jamais à la bobocratie pleurnicharde […]. Si les musulmans se prétendent solidaires de la France et des Français, je leur propose, pendant la durée du deuil national, de nous prouver leur loyauté en dévoilant leurs femmes et en se rasant. Je serai alors avec eux […]. S’ils ne font pas cette démarche, c’est bien qu’ils placent l’islam avant la France. Alors je confirme ma position derrière l’arme et non devant. »
Il se plaint qu’un bon « millier de salopards » seraient « en liberté sur le territoire national, un bon millier soutenu et protégé par 5 millions de sympathisants ». Il tranche, poursuivant dans sa confusion entre musulmans et terroristes : « Il faut qu’ils choisissent leur camp, la France ou l’islam, mais les deux ne sont pas compatibles. »
Manifestement obsédé à l’idée de devoir prendre les armes contre ceux qu’il considère comme des ennemis, Jean-Claude Veillard s’épanche le 10 août 2016 auprès d’un ami sur les migrants, ne cachant pas des envies criminelles. « Personnellement, j’en ai marre de payer pour tous ces traîne-savates. Ils feraient mieux de développer leur pays que de venir nous envahir. Ils sont indépendants depuis 50 ans pour la plupart, mais il faut toujours que ce soit le vilain blanc colonialiste qui les nourrisse », commence-t-il, avant de poursuivre : « Tu ferais mieux d’armer la 12,7 pour les envoyer par le fond et sauver ainsi quelques espèces marines qui en ont bien besoin en Méditerranée. » Son ami lui répond : « Pour la 12,7, ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais bon… »
Selon le site du ministère de la défense, la 12,7 est une arme automatique lourde « capable de traiter des objectifs terrestres (personnels, véhicules faiblement protégés) ou aériens (hélicoptères, avions à basse altitude) ». Jean-Claude Veillard, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, n’en ignore rien, vu ses états de service militaires.
L’ancien directeur de la sécurité de Lafarge est depuis plusieurs années dans la tempête judiciaire pour avoir fait partie des responsables du groupe qui ont consenti au financement entre 2013 et 2015 de groupes terroristes dans le but de continuer de faire tourner une usine stratégique basée en Syrie.
Fabrice Arfi
https://www.mediapart.fr/journal/france/130624/les-mails-racistes-et-criminels-d-un-cadre-dirigeant-de-lafarge-engage-derriere-le-pen
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