Ses ambiguïtés et paradoxes, elle les a racontés jusqu'à se « peopoliser ». Ex-présentatrice du journal télévisé de TF1, elle a incarné sans pétulance l’image d’une chaîne au sommet. Actuellement sur les planches du théâtre de Poche Montparnasse, elle livre à « L’Orient-Le Jour » ses envies et souvenirs, une décennie après son éviction…
Claire Chazal est tous les lundis sur la scène du théâtre de Poche Montparnasse pour lire les textes de ses auteurs préférés. Photo Sébastien Toubon
Le regard trouble, les mains moites et l’air sévère, Claire Chazal s'apprête à prendre l’antenne. Des journaux, elle en a déjà préparé des centaines. Si elle est, depuis quatre ans, le nouveau visage de l’information de TF1, l’ex-reporter réputée pour son stoïcisme peine à dissimuler son angoisse en ce 6 novembre 1995. Car elle le sait, tous ses mots seront scrutés, tous ses gestes analysés.
Loin de son traditionnel plateau aux parquets et panneaux luisants, elle relit une dernière fois ses fiches en attendant l’installation du prompteur. À moins d’un kilomètre du Mur des lamentations, c’est avec gravité que les équipes rédactionnelles se retrouvent au centre de Jérusalem, moins de 48 heures après l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, tué à Tel-Aviv par un militant d’extrême droite.
« C’était la première fois que je présentais le 20 heures en extérieur. En apprenant la nouvelle dans la nuit de samedi à dimanche, nous avons immédiatement pris la mesure de l'événement et avons décidé de délocaliser nos moyens pour couvrir les obsèques sur place », raconte Claire Chazal à L’Orient-Le Jour, près de trente ans après « cette soirée qui a fait basculer les équilibres de la région ».
La cérémonie, sobre, voit Bill Clinton, John Major, Jacques Chirac et une soixantaine de chefs d’État et de gouvernement défiler sur le mont Herzl pour saluer « l’artisan de la paix au Proche-Orient » comme le titrent nombre de quotidiens français à l'époque. Le roi Hussein de Jordanie et le président égyptien Hosni Moubarak font, à la surprise générale, le déplacement. « Fait marquant », note Claire Chazal, outre les images d’un Yasser Arafat atterré suivant les retransmissions des funérailles devant son poste de télévision à Gaza.
« Si avec les discours prononcés à la tribune, personne ne voulait enterrer l’accord d’Oslo avec le corps de Rabin, tout le monde a vite compris que rien ne serait plus jamais pareil, que la paix ne serait pas envisageable. Malheureusement, ça se vérifie en ce moment », analyse la présentatrice qui tient, pendant plus d’une heure, une édition spéciale marquée par les prises de parole de représentants du parti travailliste au pouvoir.
Claire Chazal se dit aujourd’hui enfin apaisée, près de dix ans après son départ surprise de TF1. Photo Sébastien Toubon
« Des journaux aussi exceptionnels, j’en ai fait plusieurs depuis, puisque ça s’est rapidement popularisé. Les sorties des studios sont devenues plus fréquentes pour mieux raconter le terrain », étaye la sexagénaire, émue de partager les coulisses de ces moments ayant fait d’elle l’une des figures les plus reconnaissables de la petite lucarne hexagonale, presque une décennie après son départ précipité de la première chaîne d’Europe…
Une people au journal
Au firmament des années 1990, les stars de télévision délaissent le voyeurisme décomplexé et la désinvolture assumée des sulfureuses eighties pour un style emphatique et épuré, plus en adéquation avec ce que recherchent désormais les stations généralistes. Michel Drucker a fermé ses Champs-Élysées, La Cinq de Silvio Berlusconi se dispose à faire de même.
Alors que le paysage médiatique convulse et se questionne sur les sujets de société brûlants au travers de débats et de talk-shows, les rédactions des journaux télévisés souhaitent quant à elles féminiser leurs images et audiences, branchées costard-cravate.
« J’ai clairement profité du fait que les dirigeants voulaient mettre plus de femmes devant la caméra », admet Claire Chazal. « J’aurais pu rester dans le domaine de la presse écrite ! Sauf que le destin en a voulu autrement », renchérit celle qui a fait ses débuts sur Antenne 2 en tant que grand reporter économique.
Mais c’est sur TF1, en plein été 1991, que s'accélère la carrière de la trentenaire, nouvelle incarnation du JT des week-ends. Brusquement, les balbutiements d’une savoureuse notoriété viennent secouer la discrète lignée des ex-présentatrices de journaux, austères émérites. Les têtes couronnées n’intéressent plus, l’heure est au vedettariat des papes et papesses des messes de 20 heures, plus glamours.
Claire Chazal sur le plateau de son JT, le 24 février 2013. Photo Patrick Kovarik/AFP
« Quand on est trois ou quatre jours par semaine en direct, on devient un personnage public, il faut l’accepter, l’assumer », explique l’illustre blonde qui accumule alors les couvertures de Paris Match et les séances de confessions bisannuelles.
Claire à la plage, Claire à la maison, Claire et ses amants, la présentatrice intrigue, fascine et cultive en dehors de son studio bleu marine une image de femme affranchie, loin des carcans imposés à ceux qui souhaitent s’adresser à la France profonde – Jean-Pierre Pernaut en tête de file.
« J’ai constaté qu’il y avait de la curiosité envers ma personne, j’y ai répondu. Avec le recul, je me demande si je n’en ai pas trop dit… Je suis partie du principe que je n’avais rien à cacher. Mais la presse aguicheuse, elle, je l’ai toujours attaquée en justice ! » relate-t-elle, longtemps assiégée par les paparazzis et abonnée, malgré elle, aux unes de la « presse jaune », clichés volés et folles rumeurs à l’appui.
Trame des drames
Philosophe, calme, parfois lisse, Claire Chazal est pourtant d’une curieuse imperturbabilité une fois la lumière rouge de la caméra allumée. Sur son plateau, elle accueille hommes et femmes de pouvoir, artistes populaires comme médiatiquement rares, entre deux reportages.
De son entretien avec Laurent Fabius, venu se défendre après l'affaire du sang contaminé, au plaidoyer de Dominique Strauss-Kahn, poursuivi pour agression sexuelle et viol sur une femme de ménage du Sofitel de Manhattan, les figures d’autorité déchues savent que le tribunal médiatique se joue presque exclusivement sur les ondes de la chaîne privée tricolore. « Ces interviews pouvaient s’avérer très éprouvantes. Je jouais ma crédibilité de journaliste autant que ces personnalités jouaient leurs avenirs. Il fallait être plus que solide pour les questionner », observe Claire Chazal qui ne s’absentera qu’une fois du cœur de l’actualité.
Claire Chazal, c’est entre 7 et 12 millions de téléspectateurs tous les week-ends de 1991 à 2015. Photo Sébastien Toubon
Le 31 août 1997, il n’est même pas 6h quand Robert Namias, alors directeur de l’information de TF1, prend exceptionnellement les rênes d’un flash spécial interrompant tous les programmes. Sans nouvelle de sa présentatrice phare, injoignable depuis la veille, ce dernier annonce aux téléspectateurs la mort de Lady Diana, victime d’un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris.
S’en suivront plus de six heures de direct et une succession d’émissions retraçant inlassablement la nuit du drame avec le retour d’une Claire Chazal dont l’absence matinale suscite les ragots les plus insensés. « La vérité, je peux enfin la dire, c’est que j’avais décroché tous mes téléphones parce que à cette période je recevais des appels intempestifs toute la nuit chez moi. Des appels anonymes troublants que je ne pouvais plus entendre », expose-t-elle à L'OLJ sans vouloir épiloguer. « Vous savez, j’ai été suivie par des fous ! C’est ainsi… J’ai fini par apprendre la nouvelle en écoutant la radio et j’ai accouru ! Des moments historiques, les grandes stations ne peuvent plus les vivre. Avec les chaînes d’information en continu, cette même adrénaline n’existe plus », souligne-t-elle, regrettant une ère où les courbes d’audimat frôlaient, sans raison particulière, les dix millions…
Botter en touche
Neuf ans après son éviction controversée de TF1, c’est avec une certaine froideur que Claire Chazal déambule dans les rues parisiennes. L’air inaccessible, les cheveux attachés, elle salue les passants devant la terrasse de café où elle s’est installée et répond, apaisée, aux questions concernant son licenciement. « C’était violent, je ne l’ai jamais caché. Ce n’était pas mon choix, mais celui, très personnel, d’un individu qui était mon patron », élabore la journaliste qui ne se résout pas à prononcer le nom de Nonce Paolini. Celui qui était alors dirigeant de la chaîne, en souhaitant moderniser et rajeunir l’image du JT, la remplace par Anne-Claire Coudray, son joker. « Je n'en veux absolument pas à Anne-Claire ! N’importe qui accepterait une offre pareille ! » lance-t-elle élégamment, en affirmant continuer de guetter ce journal qu’elle a incarné.
Aujourd’hui aux manettes de divers magazines culturels sur les chaînes de France Télévisions – qu’elle rejoint quatre mois après sa mise à pied de TF1 actée –, notamment le Grand Échiquier, occasionnellement en prime time sur France 2, Claire Chazal dit avoir retrouvé un regain de normalité, entre des lectures animées sur les planches des théâtres parisiens et sa passion inchangée pour la musique et danse classiques.
« Je n’aime pas tellement l’époque, vous savez », confie-t-elle en pointant du doigt la place qu’occupent les réseaux sociaux dans la sphère politico-médiatique et ce « tribunal de l’opinion où les jugements se font à l'emporte-pièce avec toute absence de nuance ».
De son célèbre ex-conjoint et père de son seul enfant, François, né en 1995 de sa relation avec Patrick Poivre d’Arvor, autre grande figure des bulletins d’information, elle ne dit rien. Accusé publiquement par plus de 90 femmes de viols et de harcèlements sexuels sur plusieurs décennies, l’ancien présentateur à l’image écornée est plus que jamais persona non grata des cercles intellectuels et audiovisuels dans lesquels il a évolué en parfaite impunité. « Je ne parlerais pas de cette affaire, j’ai déjà dit nettement les choses », répond sèchement Chazal. « Je n’ai jamais ressenti que j’étais entièrement mêlée aux hommes qui ont partagé ma vie. C’est ma carrière, mon parcours qu’on respecte », indique-t-elle en fermant l’incommodante parenthèse PPDA.
Si, jusqu'à récemment, elle ne cache pas son envie de devenir, peut-être un jour, ministre de la Culture, Claire Chazal, en pleine écriture de son prochain ouvrage et actuellement sur les planches du théâtre de Poche Montparnasse pour faire découvrir ses lectures favorites, elle soulève aujourd’hui son inquiétude face à la montée des extrêmes dans une France morcelée.
« Tenter d’expliquer l’actualité a été un honneur, reconnaît l'icône du petit écran. Mais aujourd’hui, elle est tellement asphyxiante, tellement douloureuse… »
OLJ / Par Karl RICHA, le 20 juin 2024 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1417704/claire-chazal-a-jerusalem-jai-compris-quune-paix-ne-serait-jamais-possible.html
.
Les commentaires récents