WASHINGTON-Irène MOSALLI Assia Djebar est l’un des plus grands écrivains de l’Algérie contemporaine.
Aussi fascinante dans sa prestation orale que dans ses écrits. Titulaire d’une chaire d’études françaises à l’Université de New York, elle a été dernièrement invitée par l’Université de Georgetown, à Washington, à parler de sa manière de faire en littérature qui lui a valu plusieurs distinctions internationales dont le prix de la Paix en 2000 et, à l’instar de Marguerite Yourcenar, son admission, en 1999, à l’Académie royale de Belgique.
À la fois romancière, historienne, cinéaste, elle est axée particulièrement sur la condition des femmes de son pays, et elle a évoqué devant son auditoire un aspect de son art. Écrire en français ne l’a pas empêchée de résister à tout ce qui a entravé sa culture d’origine ni de refuser les tabous de cette dernière car, en définitive, elle a réussi à bien creuser son algérianité.
« Je sais aujourd’hui, dit-elle, que l’on peut écrire dans une langue étrangère et l’intégrer à son imaginaire sans pour autant rompre avec ses racines.»
Une vaste entreprise que celle d’écrire la mémoire des femmes algériennes. Et Assia Djebar nous a révélé d’une manière captivante et claire le mécanisme de ce processus exhaustif et labyrinthique, à partir de son dernier roman La femme sans sépulture.
Ce livre relate l’existence de Zoulika, une héroïne oubliée de la guerre d’Algérie qui, à l’âge de 40 ans,avait quitté son mari et ses deux filles pour prendre le maquis. Elle avait pu revenir régulièrement chez elle jusqu’au jour où elle avait été capturée par les Français.
Et depuis on ne l’avait plus revue. D’où le titre, La femme sans sépulture. Rendre son vrai dû à «Lafemme sans sépulture» L’auteur l’a sortie de l’oubli et de son propre oubli car elle avait commencé à écrire son histoire, il y a vingt ans, puis avait laissé le texte inachevé.
En le reprenant, tout récemment donc, et faute de références écrites et de photographies ayant trait à ce genre d’événements, elle a dû avoir recours à la mémoire orale et aux archives de tout le Maghreb ayant uniquement trait aux grands faits historiques échelonnés sur cinquante ans. En effectuant ce travail de recherche, ont ressurgi de l’arrière-fond de sa propre mémoire des éléments de la réalité.
Elle a découvert d’abord que la maison de Zoulika était voisine de celle de la maison paternelle à Cherchell, petite ville côtière des environs d’Alger. Donc elle ne lui était pas totalement inconnue. Lorsqu’elle avait été enquêter là, une des filles de Zoulika lui avait dit : « On vous attendait depuis des années. » Comprendre : à vous l’écrivain, la cinéaste, la voisine de palier de notre mère !
Assia Djebar précise qu’elle ne voulait pas, comme on s’attendait à ce qu’elle le fasse, mettre en scène sur le grand écran ou dans un livre uniquement Zoulika l’héroïne. Pour elle, le devoir de la mémoire consistait à aller au-delà de la bravoure de passer des renseignements et de la nourriture. Elle voulait rendre son véritable dû à la femme, à l’Algérienne, à la mère et à l’avant-gardiste, car pleinement engagée dans la Résistance, qu’elle était. Pour Assia Djebar, ce n’est pas par des monuments ou tout autre célébration que l’on honore ses héros mais en continuant dans la voie qu’ils ont empruntée. Née en 1936 à Cherchell, Assia Djebar (de son vrai nom Fatima Zohra Imalyène) a été la première Maghrébine à entrer à l’École normale supérieure.
Dès son premier roman (La soif publié à l’âge de 20 ans) jusqu’au dernier (le treizième), en passant par Femmes d’Alger dans leur appartement, Les enfants du nouveau monde, L’amour, la Fantasia, ses films et ses pièces de théâtre, elle est la voix de la femme algérienne dans tous ses combats. Et son écho a porté dans le monde littéraire européen et américain. Elle aime à citer l’écrivain Hermann Broch pour qui la littérature est « une impatience de connaissance. »
Par MOSALLI Irène, le 04 octobre 2002 à 00h00
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